Les limites du projet : Typologies de fins des projets et implications

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Les limites du projet : Typologies de fins des projets et implications
Les limites du projet : Typologies de fins des projets et implications pour la gestion ?
Eric Rousseau ([email protected]) est doctorant au LIRSA (CNAM Paris – EA4603). Ses
travaux portent sur le mode projet et son institutionnalisation, ainsi que sur les risques.
Résumé
Cette réflexion par d'un constat, l’étude des limites de la gestion de projets déployé par les
entreprises semble ne plus être au cœur des préoccupations académiques. Pourtant l’observation
des résultats d’études menées sur l’atteinte des projets, qui reflètent la réalité du terrain, nous
interpelle et nous amène à nous interroger sur les raisons du taux d’échec, ou de dérive important
par rapport à l’efficacité annoncée. Notre réflexion porte sur le mode projet, au travers d’un
questionnement sur la fin du projet en recherchant à identifier des thèmes en rapport avec ce
sujet, pour proposer un classement des fins de projets ainsi que deux contraintes structurantes
jugées les plus pertinentes (l‘importance du projet, la turbulence), que nous avons complétées par
la période.
Ceci nous permet d’effectuer quelques hypothèses, d’ouvrir une discussion sur la présence
croissante des projets dans les entreprises, de nous questionner sur les implications pour les
entreprises et notamment par la présence de certains projets qui s’écartent des standards
historiques d’utilisation du mode projet (les grands projets industriels dans des univers complexes
et turbulents des années 1990 : période d’institutionnalisation P.Garel 2003, de théorisation de
théorisation" M.Mignerat et S.Rivard 2006) . Ce point restant à confirmer ou infirmer au travers
d’un panel plus large.
INTRODUCTION (1 pages)
Le management de projet (G.Garel, 2003 - p 81) se structure au travers des associations
professionnelles et d’outils de gestions en s’appuyant sur les méthodes utilisées lors de la
réalisation des projets civils et militaires, leurs standardisations, le tout rendu possible par la
multiplication de grands projets. En ce sens, les techniques trouvent leurs sources sur ces grands
projets, caractérisés par des enjeux en taille et de budgets importants, et soumis à des contraintes
de délai (triptyque « spécification / Coût / délai »). Le recours à ces pratiques est justifié pour
maitriser les zones d’incertitudes associées à leur environnement permettant de tenir les délais, de
maîtriser les dérives, tout en garantissant le niveau de qualité.
Les projets ont une fin annoncée, inéluctable de par leurs caractères éphémères. Le constat a été
effectué dans les années 1960, de leurs efficacités, leurs efficiences par comparaison à la
réalisation des mêmes travaux dans d’autres modèles d’organisations, ou plus récemment lors de
leurs évolutions comme le modèle standard de la fin des années 1980 complété par l’ingénierie
concourante ou simultanée (G.Garel, V.Giard, & C.Midler, 2001 - p 6), (V.Giard, & C.Midler,
1996 - p 6 et 21). Nous nous intéresserons à la gestion des projets, que nous qualifions de mode
projet, que nous différencions de l’organisation par projet (ECOSIP, 1993, p-222). Le mode
projet est une institutionnalisation de la gestion de grands projets initialement justifiés par leurs
efficacités sur des contextes spécifiques. Cette institutionnalisation a conduit au postulat de
l’efficience de ce mode de gestion, même si la question de l’efficience a disparue dans les
discours (E.Rousseau & Y.Bazin, 2011). Notre questionnement porte sur les limites du projet,
plus précisément on connait plus ou moins son point de départ, mais se questionne-t-on sur ce qui
permet de caractériser qu’un projet est terminé ou mené à terme ? La fin d’un projet semble de
premier abord ne pas poser trop de problème ni ne semble donner lieu à beaucoup
d’interrogation. Toutefois, un certain nombre de questions se posent sur les éléments qui
permettraient de caractériser les projets au travers de l’observation de cette fin.
La diversité des projets (1 pages)
Parler de projet veut tout dire, et en réalité ne rien dire, si l'on ne prend pas le temps de
circonscrire et de qualifier au minimum ce terme polysémique, point illustré entre autre par le
groupe ECOSIP (1993, p 18) et au travers de la taxonomie des projets (JP.Boutinet, 1990 - p 114
et 1993, p 54). Leurs diversités et complexités semblent infinies, du fait entre autre des
spécificités des marchés (industriels, banque, assurance, administration...), des législations, des
entreprises (Sa culture projet, son organisation, son capital humain...). Dans la littérature
"technique" des projets, ces questions sont souvent occultées en se focalisant sur
l’instrumentalisation des conduites de projets, sur les procédures nécessaires à sa bonne
réalisation : Organisation du projet, Description des règles de fonctionnement, des organes de
pilotages, des rôles, des comportements.... avec pour conséquence de masquer la complexité liée
à la diversité des contextes et leurs particularités inhérentes. Pour définir le terme projet, nous
retiendrons deux définitions, celle donnée par l’AFNOR au travers de la norme « FD X50-115 » :
« Processus unique, qui consiste en un ensemble d’activités coordonnées et maîtrisées
comportant des dates de début et de fin, entrepris dans le but d’atteindre un objectif conforme à
des exigences spécifiques telles que des contraintes de délais, de coûts et de ressources », et celle
de L’AFITEP-AFNOR (V.Giard et C.Midler 1994.02) qui définit un projet comme « une
démarche spécifique qui permet de structurer méthodiquement et progressivement une réalité à
venir […] un projet est défini et mis en œuvre pour répondre au besoin d’un client (...) et
implique un objectif et des besoins à entreprendre avec des ressources données». Ces deux
définitions posent le projet comme une organisation efficace et efficiente pour aboutir à un
objectif dans un délai, avec un niveau de qualité et un budget donné.
Les projets étudiés concernent le développement ou l’amélioration de produits à destination des
clients, des projets liés à l’organisation, ou des évolutions techniques. Chacun nécessitant des
évolutions, des adaptations du système d’information, il s’agit de projets essentiellement
technologiques menacés par l’obsolescence et présentés comme nécessaires pour promouvoir
l’innovation (JP.Boutinet, 1993 - p 15), et la survie des organisations. Ce champ d’observation,
reste étendu, ce qui explique notre choix de nous limiter a quelques projets dans les services.
Les projets et l’efficacité (1 pages)
Penser l’efficacité des projets, nécessite tout d’abord de se questionner sur ce qu’on entend par
efficacité. La réussite, l’efficacité (F Julien, 1996 – p 15) passe par le choix d’agir (d’intervenir
dans le monde et de donner forme à la réalité) en adéquation à une projection d’une forme idéale.
Ceci nous renvoie à une situation ou sa configuration que nous figeons à un instant précis tel un
cliché fugitif que nous nous octroyons en pensant en faire une vérité pour continuer à nous
projeter, en occultant qu’elle change avant même que nous l’ayons compris. Au-delà des
difficultés européennes à penser l’efficacité, de l’intérêt de la pensée chinoise que l’on retrouve
entre autre dans le « potentiel de la situation », notre cadre d’étude (Entreprises européenne et
plus précisément Française) s’inscrit dans la vision de l’efficacité qui trouve son origine dans la
culture Grecque, comme modèle servant de norme à notre action, et que nous projetons. Les
projets s’inscrivent dans cette vision d’un rapport moyens-fin qui nous sert à comprendre l’action
(F Julien, 1996 – p 32, 49), à savoir l’élaboration d’une suite d’opérations, l’allocation de
moyen… pour donner réalité à une « fin conçue » permettant d’atteindre le but visé. Pour cela
nous élaborons des projets, plan d’actions construit en suite ordonnée d’opérations en tant que
moyens pour atteindre l’objectif visé.
Au-delà du modèle que nous projetons sur l’efficacité (i.e. les projet) permettant d’atteindre
l’objectif pour ensuite constater et gérer les différences quitte à le faire évoluer lorsque la
pratique nous en écarte, nous nous questionnons indirectement sur cette efficacité en portant
notre regard sur la fin de projet. La fin du projet qui déterminera le moment privilégié où l’on
pourra commencer l’analyse et la mesure de son efficacité, elle-même conçue comme résultant de
l’action, à savoir du déroulement du projet, et perçue comme une entité isolable pour permettre sa
mesure. L’observation de cette fin questionne sa construction, qui peut être vue comme tension
entre le désir d’une représentation d’un bien (matériel ou non) et des moyens que l’on engagera
qui évolueront dans le temps, en fonction des choix, des aléas, des contextes… (F Julien, 1996 –
p 52) pour atteindre le résultat visé. Cette construction nous renvoie à l’efficacité de l’action et la
fin en tant qu’efficacité de moyen, fin comme résultat ou fin comme construction par rapport à un
résultat. La littérature sur les projets nous renvoie directement sur cette construction de
l’efficacité, que l’on retrouve en filigrane, en l’observant comme l’aboutissement d’actions; sans
pour autant se questionner sur la fin d’un projet en tant que tel. L’observation des fins de projets
devraient nous permettre de mettre en avant déjà la présence de plusieurs types de fin possibles.
Méthode de recueil pour les entretiens (1 pages)
Notre méthodologie a consisté en une recherche effectuée sur la base d’entretiens qualitatifs d’un
panel de huit projets (2 à 3 entretiens par projets) sur le cas de la fin de projet pour en identifier
les éléments importants l’impactant. La grille d’entretien se composait de questions ouvertes pour
recueillir un maximum d'informations et permettre aux personnes interviewées de s'exprimer. Ces
entretiens se sont déroulés en face à face avec une population de professionnels des projets
limités à quelques acteurs clés, à savoir : Le commanditaire, le Directeur de projet ou chef de
projet et quelques experts tant maîtrise d’ouvrage que maîtrise d’œuvre. Ils ont été réalisé dans en
entreprise commercialisant des services. Cette méthode introduit plusieurs biais dans cette phase
d’avancement du fait de l’absence de certains profils (développeurs, acteurs de la qualification,
intégrateurs, experts divers, utilisateurs…).
Le contenu de ces entretiens a été analysé, puis découpé et classé en verbatim classés dans
différents thèmes. Celui-ci a subi plusieurs itérations par lectures successives pour structurer,
reclasser, regrouper, et décomposer les verbatim dans chacun des thèmes. Ceux-ci (Niveau 1) se
décomposent au besoin en sous-thème (Niveau 2).
RESULTATS (6 pages)
Les fins de projet observées (1 pages)
Nous avons opéré un premier classement sur la base des contraintes majeures, permettant
d’identifier des types de fin de projet :
-
La fin de projet contraint par les budgets ;
-
La fin de projet contraint par les spécifications ;
-
La fin contrainte ou imposée par une échéance ou par les délais
Celles-ci restant dans le prisme institutionnel en renvoyant in-fine vers des variations du triptyque
« spécification / Coût / délai », nous avons étudié une autre classification en regroupant les
contraintes pesant sur les projets pour isoler d’autres caractéristiques plus génériques,
indépendantes et adaptées à notre étude, que celles usitées dans la littérature: le triptyque
« Qualité, coût, délai », les configurations structurelles ou les formes d'organisation.
Les contraintes pesant sur le projet (1 pages)
Notre étude nous permet de relever certains éléments qui jouent sur l’efficacité des projets et de
faire ressortir deux contraintes qui les impactent : En premier le degré de turbulence, et en second
l’importance du projet. La turbulence dépend de l’incertitude de l’environnement dans lequel
évolue le projet, avec plusieurs éléments de réponses que nous relevons, comme l’implication,
des décisions et les arbitrages….
L’importance des projets, se retrouve en filigrane en observant leurs difficultés plus ou moins
fréquentes avec des conséquences plus ou moins importantes. Elle se retrouve dans les
discussions professionnelles autour des grands projets comme lors de la table ronde effectuée par
l’association G9+ sur la maîtrise des grands projets informatiques (1) discutant de leurs difficultés
(Légitimité, la rédaction des spécifications, relations avec les fournisseurs…), dans les études
universitaires ECOSIP, « l’auto qui n’existait pas » (C.Midler, 1993), etc.
Nous n’avons pas retenu la présence d’une « nouveauté » que nous considérons plus comme un
élément responsable de turbulence, du fait des incertitudes qu’elle induit qui modifient le
contexte traditionnel des projets. Nous subodorons aussi la présence de spécificités liées au "
1
http://www.g9plus.org/interface/CR_G9+_Maitrise_Grands_Projets_Informatiques.pdf
secteur d’activité" que nous ne pouvons toutefois pas corréler à notre analyse du fait de notre
échantillon limité.
Le tableau suivant regroupe ces différents principaux éléments extraits des verbatim (contraintes
et réponses) et les agrège suivant les deux contraintes retenues.
Tableau 1 : Contraintes et pistes de réponses extraites des verbatim
Contraintes
Réponse
La turbulence
La turbulence de l’environnement ou de l’organisation
Décisions et projets stratégiques
La turbulence pendant le projet
- Les contraintes imposées par l’environnement (législatives,
économiques…) ou par l’organisation
- La maîtrise du contexte du projet par l’organisation
- La complexité de l’environnement technique du projet
- Le départ de ressources clés (Commanditaire, expert…)
- Les problèmes rencontrés durant son déroulement (par
exemple lors de la qualification)
- La nouveauté dans les projets
- Décisions et arbitrages du commanditaire ou décisions stratégique avec
répercussions éventuelles
- Recours aux modèles projet et méthodes de gestion de projet
(structures, pilotage, processus, communication…)
- La mobilisation et l’implication des ressources
- La gestion des risques
- La compétence des acteurs projets
L’importance du projet
Les moyens nécessaires pour atteindre les objectifs
La complexité du problème
Le nombre d’acteurs impliqués
Modèle et méthodes de gestion de projet
- Le lotissement du projet
- La structure projet déployée
-…
Le niveau de mobilisation et d’implication des ressources de
l’entreprise
Les décisions et arbitrages du commanditaire ou décisions
stratégiques avec répercussions éventuelles
La compétence des acteurs projets
Turbulence et Importance du projet (3 pages)
L’importance du projet
Le mode projet trouve sa genèse dans ces grands projets aux enjeux stratégiques importants qui
impliquent de nombreux acteurs, des budgets conséquents, des contraintes fortes de délais, avec
la nécessité d’être les premiers sur le marché tout en maîtrisant les coûts. De nombreuses études,
pour ne pas dire la majorité, et en particulier les références en la matière (C.Midler - 1993,
S.C.Whellwright et K.B.Clark – 1992) les étudient. Cette définition de grand projet, nous semble
relative et liée aux secteurs, si on l’applique "stricto sensu" elle ne se retrouve pas dans notre
contexte. Ceci nous amène à différencier l’importance de la notion de grand projet. Cette
dernière fait référence généralement dans la revue de la littérature à des projets industriels
importants comme l’étude effectuée dans le cadre du groupe ECOSIP en 1989, C.Midler (1993),
qui concerne des « projets de développement dans l'aérospatiale, l'automobile, le grand BTP, le
nucléaire, les produits pharmaceutiques... ». Nous n’avons pas identifié d’articles, d’études
universitaires délimitant a minima ce que l’on entend par « Grands Projets » (critères,
classification…) avec leurs caractéristiques, les qualifiant, et de les différenciant des autres. Ce
terme pourtant usité correspond à une combinaison des critères parmi lesquels on citera
l’importance de l’investissement, le caractère indivisible du projet, son exclusivité dans
l’organisation rendant impossible d’autres projets d’envergures similaires… Nous nous
interrogeons sur cette notion et la définition de ses caractéristiques en fonction du secteur
d’activité des firmes. Que signifie grand projet dans le service (exemple banque) en comparaison
à un projet de développement dans l’aérospatiale ? Nous ne répondrons pas à cette question. Dans
notre recherche nous les positionnerons en relatif les uns par rapport aux autres sur une échelle
que nous qualifierons « d’importance du projet ». Il nous semble plus opportun d’effectuer la
distinction entre les projets en fonction de l’enjeu relatif pour l’entreprise.
Tableau 1 : Classement des projets observés par niveau d'importance
Importance du projet
Importance forte :
Impactant l’activité en cas de report de l’échéance de fin ou générant des surcoûts important ;
La totalité ou presque des collaborateurs de la firme est impactée par ce projet ;
Pas d’autres projets d’envergure lors de leurs déroulements ;
Budgets et ressources conséquentes au regard de l’activité de la firme
Importance Moyenne ou faible :
Impactant un ou plusieurs segments marchés d’une direction
Mobilisation de ressources limitées à une direction et les acteurs transverses (Marketing, communication, RH…)
Possibilités d’autres projets d’envergure dans la firme lors de leurs déroulements ;
La turbulence du projet
Nous relevons au travers de l’étude des verbatim des contraintes à l’origine de la turbulence des
projets, qu’elles soient internes (la maîtrise du projet par l’organisation, la complexité de
l’environnement technique du projet…) ou externes (imposées par l’environnement : législatives,
économiques…) à l’organisation. Historiquement les projets ont vu le jour dans un
environnement que nous qualifierons d’incertain : initialement la course pour l’armement et la
conquête spatiale, puis ensuite le développement de nouveaux produits pour répondre dans une
situation économique concurrentielle… Cette notion est inhérente au contexte et nous la
qualifierons sur une échelle de "forte" (en présence de variables exogènes, difficilement
contrôlables, entraînant des contraintes et risques sur le projet), jusqu’à "faible" (en présence de
variables endogènes, prévisibles et contrôlables).
La turbulence de l’environnement se retrouve au travers de l’environnement marché, des
contraintes (réglementaires…) pouvant à l’extrême impacter la pérennité de l’activité. De même,
celle-ci peut avoir des répercussions sur le projet durant son déroulement. Par exemple,
l’environnement social, juridique, économique et technologique, peut générer des effets sur
l’organisation (exemple : modification d’une loi, nouvelle technologie), qui après analyse
entraînera des surcoûts (études et développements supplémentaires), des arbitrages…
Les
caractéristiques
d’un
environnement
turbulent
(I.Ansoff,
1986
-
p2)
résident
dans l’impossibilité d’extrapoler la croissance passée, et donc l’application des stratégies passées
est suspecte, de même la rentabilité ne suit pas la croissance et le futur reste incertain dans un
environnement plein de surprise. La turbulence future peut être évaluée (I.Ansoff, 1989 - p18-19)
au travers de trois critères : La complexité du marché, la familiarité des événements et la
prévisibilité de l’avenir. Dans le secteur étudié, les marchés initialement localisés, voire
régionalisés, sont maintenant mondialisés ce qui se constate au travers des fusions, des
acquisitions et du regroupement des acteurs locaux dans des multinationales, tout en conservant
le besoin d’offres de services locales liées entre autre à la culture, la législation… Les offres de
services, sont déjà et seront de plus en plus soumises à de multiples contraintes internationales
parmi lesquelles on peut relever la mise en œuvre de la stratégie en provenance des maisons
mères, des besoins de rentabilité des capitaux, la centralisation de certains produits (services), les
placements boursiers de plus en plus mondialisés, le renforcement des contraintes législatives et
réglementaires… Ces réglementations, particularités… nécessitent d’adapter les produits aux
besoins des pays (sociologiques et politiques) pour répondre aux attentes des consommateurs
variant suivant les cultures. L’avenir reste difficilement prévisible avec comme corollaire des
évolutions des produits de plus en plus rapides pour répondre aux différentes contraintes et
besoins des clients. Dans cette situation l’offre de service se diversifie et l’entreprise doit être
réactive pour répondre aux besoins nouveaux ou émergeants, aux évolutions... La turbulence
caractérise l’environnement des marchés dans lequel évoluent les firmes ; elle permet de prendre
en compte les éléments endogènes et exogènes susceptibles d’impacter le projet, et de l’englober
dans le contexte stratégique de l’entreprise en le positionnant comme un moyen contribuant à
l’atteinte des objectifs. Elle reste relative, même si globalement elle est plus importante que dans
le passé, elle n’est pas linéaire sur l’ensemble des domaines d’activités et elle se modifie en
fonction des évolutions du champ et de la période d’observation. Ce qui amène à faire
l’hypothèse qu’il existe une relation entre le recours aux projets et la turbulence, le premier
permettant de répondre au besoin.
Le tableau suivant présente le classement des projets sur cette échelle.
Tableau 1 : Classement des projets observés par contexte de turbulence
Contexte de turbulence
Contexte de turbulence forte :
La turbulence de l’environnement : Période du projet qui fait suite à des regroupements d’acteurs dans le champ, Diversification
au travers d’alliances et de partenariats de certains acteurs entrés dans les années 80 sur ce secteur, nouveaux entrants suite à
l’évolution des canaux de distributions (Internet)
La turbulence réglementaire : Les évolutions réglementaires et législatives incontournables (Euro…)
La turbulence Marché : Segments marchés compétitifs avec de nombreux concurrents et une position de leader sur une partie de
ce segment
Contexte de turbulence moindre :
Projets dans des segments marchés de spécialistes (nécessitent une technicité métier importante) / Moins d’acteurs et d’entrants
sur ce segment / Pénétration de segments de "niche"
Projets qui se déroulent sur des durées plus importantes avec des budgets limités
Constat sur les projets observés (1 page)
La segmentation présentée ci-après des projets étudiés sur trois axes (turbulence, importance
relative du projet, une période de 10 ans), permet de relever que certains projets s’écartent des
standards initiaux (grands projets dans des contextes turbulents).
Le segment primaire contenant les projets importants se déroulant dans un environnement
turbulent fort. Ces projets correspondent à ceux principalement étudiés dans les articles dans le
milieu industriel. Nous préférons par analogie avec notre contexte la terminologie de « projet
important », plus représentative et pertinente. Elle reprend les caractéristiques des grands projets
mais avec des engagements financiers moindres, l’enjeu pour la firme reste important car
conditionne sa survie ou impacte très fortement sa rentabilité. Les segments secondaires
englobent les projets importants dans un environnement de moindre turbulence, ainsi que les
projets de moindre importance dans un environnement turbulent. Le mode projet en
s’institutionnalisant s’est déployé sur ces segments qui partagent certaines des caractéristiques du
« primaire », mais dans des échelles différentes. La taille du projet, les budgets engagés, le
nombre d’intervenants à coordonner nécessitent d’avoir recours au mode projet pour planifier,
coordonner et pouvoir garantir sa réussite. De même, dans un environnement incertain (avec ou
sans nouveauté), le modèle projet permet de réduire ces incertitudes au travers de l’organisation,
des méthodes, des outils… Le segment tertiaire, dans lequel nous retrouvons les projets de
moindre importance dans un environnement non turbulent fort ; segment sur lequel porte notre
questionnement.
Projet Important
O
Temps
2005 à 2009
N
2000 à 2005
Représente un projet
O
O
N
Environnement
Turbulent Fort
Questionnement pour la gestion de projet (2 pages)
Nous nous interrogeons sur les limites de l’utilisation du mode projet dans des contextes d’enjeux
plus faibles, ce qui nous ramène aux discours sous-jacents de l’efficacité ou de l’efficience qui
s’expliquerait entre autre par des mécanismes d’institutionnalisation. Leurs utilisations
croissantes, nous renvoient sur la notion de risques acceptés par l’entreprise et à sa quête de
maîtrise de l’environnement et de son futur (JP.Boutinet, 1990 - p 220) « […], c’est le constat
qu’ils se sont imposés par une logique de "toujours plus" ; dans leurs ambitions de maîtrise ils
veulent asservir l’ordre de la nature pour lui substituer un ordre technique témoignant d’une
plus grande fiabilité […] ». La propagation du mode projet sur ce segment pose la question des
limites de son adoption dans des contextes ou les contraintes sont moins importantes. Il faudrait
pour cela toutefois au préalable se questionner sur les impacts, coûts apportés par le mode
projet (Des structures transverses, des techniques de projets…) et pose aussi la question sur
l’utilisation de ces méthodes et de leurs niveaux d’utilisation (plus ou moins contraignants) au
regard d’autres modes d’organisation comme par exemple une norme, ou d’autres à construire.
Ce qui nous amène à effectuer l’hypothèse que l’utilisation des modes projets sur ce segment se
justifie en partie par les mécanismes d’institutionnalisation, les enjeux économiques et la
turbulence de l’environnement ne semblent pas totalement suffisants pour le justifier. Nous nous
questionnons sur le possible recours au projet sur ces segments ne trouve en partie son
explication au discours sur l’efficacité de ces pratiques véhiculées tant par les institutions que les
acteurs.
L’utilisation croissante des projets renvoie plus globalement à l’analyse de l’efficacité, les études
que ce soit du domaine universitaire ou professionnel renvoie la connaissance des projets en
observant : les facteurs de réussite ou des causes d’échec (plus rare) ou de « dérapage » (comme
l’étude du STANDISH GROUP), ou l’analyse des techniques et des retours comme le travail du
groupe ECOSIP. Ces études et recherches trouvent leurs origines dans le constat de l’efficacité et
de l’efficience du mode projet (constaté sur certains types de projet). Elles étudient l’amélioration
des techniques en observant les projets réussis, les raisons des échecs, des contextes
spécifiques… ce que nous qualifierons de prisme «institutionnel». Pour autant, elles ne se
questionnent pas sur la mesure du niveau d’efficacité ou d’efficience (ou de déficience),
prérequis pour vérifier au minimum la robustesse, voire la validité de ce présupposé adapté aux
multiples domaines sur lesquels ce mode de gestion s’est déployé ; ceci nous semble occulter la
réflexion sur les limites et frontières de la généralisation des apports constates lors de l’étude des
grands projets industriels à d'autres secteurs avec d'autres contraintes dans d’autres contextes.
De même, nous nous interrogeons sur le fait que si les projets sont une réponse pour gérer la
turbulence et qu’ils sont plus adaptés dans un champ donné que d’autres modes d’organisation,
pourquoi constate-t-on toujours un nombre de projets abandonnés ou en dépassement aussi
important ? Ne pourrait-on pas s’attendre à avoir des taux de réussite plus importants du fait de la
maturité des modèles, des acteurs formés, des méthodes diffusées notamment par les institutions.
Au-delà des débats existants sur les chiffres, nous relèverons simplement que le taux de réussite
présenté reste faible. Par exemple dans l’étude du STANDISH GROUP des projets réussis, en
dépassement ou en échec, à peine un tiers des projets sont dans les temps, le budget et avec la
qualité attendue. Le reste se répartissant entre les projets « challenged », à savoir ceux pour
lesquels un compromis a été effectué sur un des axes précédemment évoqués, voire tout
simplement abandonné « Failed ». Même si ce sujet dépasse le champ de notre étude et que les
justifications des causes de dépassements ou d’arrêts relevés par ces études sont justes, on peut
s’interroger sur le modèle ou sa mise en œuvre après 20 ans d’utilisation au regard du taux de
réussite. Ce questionnement ne présupposant pas de l’efficacité ou de l’efficience ou non du
modèle, mais le confirmerait, le pondérerait ou l’infirmerait en fonction des particularités de
chaque contexte.
Répondre à ces interrogations permettrait de couper court à toute discussion sur un possible
mythe de l’efficacité ou de l’efficience.
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