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L’Encéphale (2013) 39, 401—407
Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com
journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP
MÉTHODOLOGIE
Étude des qualités psychométriques de la version
française du How I Think Questionnaire dans un
échantillon d’adolescents français
Psychometric properties of the French version of the How I Think
Questionnaire
N.-K. Van Leeuwen a, E. Chauchard a, H. Chabrol a,∗, J. Gibbs b
a
Centre d’études et de recherches en psychopathologie, université de Toulouse-Le Mirail, Octogone, 21, rue d’Alsace-Lorraine,
31000 Toulouse, France
b
Ohio State University, 1835 Neil avenue, Columbus, Ohio 43210, États-Unis
Reçu le 19 janvier 2012 ; accepté le 19 octobre 2012
Disponible sur Internet le 26 mars 2013
MOTS CLÉS
Fidélité ;
Validité ;
How I Think
Questionnaire ;
Adolescence
KEYWORDS
Reliability;
Validity;
How I Think
Questionnaire;
Adolescence
∗
Résumé L’objectif de cette étude est d’étudier les qualités psychométriques de la version
française du questionnaire anglo-saxon des distorsions cognitives auto-complaisantes délinquantogènes, le How I Think Questionnaire (HIT-Q) (Barriga et al., 2001 [2]) en testant sa fidélité
et sa validité sur un échantillon de 972 adolescents. Les résultats rapportent une très bonne
consistance interne de l’échelle et une corrélation inter-items élevée (␣ de Cronbach = 0,91 ;
MIC = 0,22). Les validités convergente, discriminante et critériée sont satisfaisantes. La version
française du questionnaire des distorsions cognitives auto-complaisantes se présente comme un
questionnaire ayant de bonnes propriétés psychométriques. Ce questionnaire constitue donc
un bon outil d’évaluation des cognitions délinquantogènes dans un échantillon d’adolescents
français.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Summary Certain research has pointed out the relative importance of cognitive distortions in
the development of antisocial behavior. Distortions of social cognitions that facilitate aggression
and other types of antisocial behavior have been described as self-serving cognitive distortions
(Barriga et al., 2001 [2]). Considering the importance of the assessment of delinquent cognitive
distortions, an instrument has been validated to measure self-serving cognitive distortions: the
How I Think Questionnaire (HIT-Q, Barriga et al., 2001 [2]). Thus, the aim of the present study
was to evaluate the convergent, discriminant and concurrent validity of a French version of
the HIT-Q and its four dimensions (self-centered, blaming other, minimizing/mislabeling and
assuming the worst).
Auteur correspondant.
Adresse e-mail : [email protected] (H. Chabrol).
0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2013.
http://dx.doi.org/10.1016/j.encep.2012.10.013
402
N.-K. Van Leeuwen et al.
Method. — A sample of 972 French high-school students completed the Youth Psychopathic traits
Inventory (YPI ; Andershed et al., 2002 ; Andershed et al., 2007 [26,27]) used to evaluate the
convergent validity of the HIT-Q. To investigate discriminant validity, participants also completed the Sociomoral Reflection Measure-Short Form (SMR-SF ; Gibbs et al., 1992 [28]) and
the Interpersonal Reactivity Index (IRI ; Davis, 1983 [29]) used to assess cognitive and affective
empathy. To measure antisocial behavior, the French versions of the Self-Reported Delinquency
Questionnaire (SRDQ ; Le Blanc and Frechette, 1989 [22]), the Antisocial Behavior Scale (ABS ;
Schawb-Stone et al., 1996 [23]), the Self-Reported Delinquency Behavior (SRDB ; Elliott and
Menard, 1996 [24]) and three items of the Sexual Experiences Survey (SES ; Koss et al., 2007
[25]) were used. Two samples were composed based on the same socio-demographic (age and
gender) and socio-economic characteristics and ethnic background. French males scoring in
the upper quartile on the antisocial behavior total score were classified in the antisocial group
(n = 135) and the rest of the sample in the non-antisocial group (n = 306). Convergent and discriminant validity was determined using Pearson coefficients of correlation. One-way analyses
of variance were used for mean scores comparisons. Regression analysis was used to evaluate
the relative contribution of self-serving cognitive distortions to the prediction of antisocial
behavior.
Results. — The French version of the HIT-Q showed acceptable reliability and validity and also a
satisfying convergent and discriminant validity. The HIT-Q and its dimensions were positively and
highly correlated to psychopathic traits (r = 0.50 to r = 0.61, p < 0.05) ; these findings suggested
a good convergent validity. The correlation between self-serving cognitive distortions and social
moral reasoning (r = −0.23 to r = −0.28, p < 0.05) and empathy (r = −0.13 to r = −0.20, p < 0.05)
appeared to be negative and low ; this relationship was conclusive and showed a satisfying
discriminant validity. Mean comparison showed that participants in the antisocial group reported
higher scores of self-serving cognitive distortions and its dimensions than the non-antisocial
group. Self-serving cognitive distortions significantly predicted antisocial behavior (␤ = 0.58,
SE = 0.02, p < 0.001) and explained 34% of the variance.
Discussion. — The study of the convergent validity of the HIT-Q with the YPI as external criteria
showed they were closely linked, which suggests self-serving cognitive distortion may be the
cognitive expression of psychopathic traits. The discriminant validity of the HIT-Q with moral
reasoning and empathy was satisfying and similar to previous results (Lardén et al., 2006 [20]). In
concordance with previous studies, delinquent cognitive distortions appeared to be a significant
predictor of antisocial behavior and moreover, participants in the antisocial group reported
higher scores of self-serving cognitive distortions (Capuano, 2007 ; Barriga and Gibbs, 1996 ;
Nas et al., 2008 [10—12]).
Conclusion. — The present study showed that the French version of the HIT-Q presents good
psychometric properties.
© L’Encéphale, Paris, 2013.
Introduction
Les distorsions cognitives délinquantogènes ont fait l’objet
de nombreuses études anglo-saxonnes sur les comportements antisociaux. Gibbs et al. [1] proposent une typologie
de distorsions cognitives de niveau primaire et secondaire.
Le niveau primaire décrit les attitudes et les croyances égocentriques et le niveau secondaire fait plutôt référence
à des rationalisations qui ont pour objectif de neutraliser
les sentiments de culpabilité relatifs à un acte antisocial
et de préserver l’image de soi. En référence à cette
conceptualisation, le How I Think Questionnaire (HIT-Q) a
été proposé par Barriga, et al. [2], afin de mesurer les
cognitions délinquantogènes et leur implication dans les
comportements antisociaux [3—6]. En lien avec la typologie
de Gibbs et al. [1], quatre sous-dimensions du HIT-Q évaluent les cognitions délinquantogènes. D’abord, la catégorie
des cognitions « égocentriques » relatives aux croyances
et attitudes centrées sur soi. La deuxième catégorie
« minimisation » considère les comportements antisociaux
comme acceptables voire admirables, ne représentant pas
de danger. La troisième catégorie « blâme des autres » considère les sources extérieures comme responsables d’actions
nuisibles. La dernière catégorie « anticipation du pire » présuppose des rationalisations destinées à se déculpabiliser
comme par exemple imputer des intentions malveillantes
à autrui ou juger que certaines situations sociales soient
inévitables.
L’implication des cognitions délinquantogènes dans les
comportements antisociaux a été montrée [7—9]. Les
comportements antisociaux font référence à des actes
répréhensibles comme la transgression de règles sociales
ou morales nuisibles pour autrui incluant les comportements agressifs et les comportements délinquants [2].
Ces comportements antisociaux trouveraient leurs origines
majoritairement dans des distorsions cognitives notamment
dans la difficulté d’interpréter correctement des situations.
Deux études antérieures ont montré que les adolescents
Qualités psychométriques de la version française du How I Think Questionnaire
présentant des actes délinquants rapportaient significativement plus de distorsions cognitives délinquantogènes
que leurs pairs non-délinquants [10,11]. Dans l’étude de
Capuano [12], ces distorsions cognitives auto-complaisantes
étaient un prédicateur significatif d’agression physique.
Bien que le lien entre les distorsions cognitives et les
traits psychopathiques soit encore mal connu, les comportements antisociaux associés aux traits psychopathiques
seraient associés à un plus grand nombre de comportements déviants [13]. Cette association serait un facteur
prédictif de la stabilité et de la sévérité des troubles du
comportement chez les adolescents [14]. Salekin et Frick
[15] rapportent trois dimensions centrales (l’insensibilité,
l’égocentrisme et l’impulsivité) dans les troubles psychopathiques qui se rapprochent des dimensions du modèle
primaire des distorsions cognitives de Gibbs et al. [1].
Les distorsions cognitives délinquantogènes neutralisent
l’empathie, c’est-à-dire que les sujets ne sont plus réceptifs à la détresse de l’autre [9,16—19]. Dans l’étude de
Lardén et al. [20], l’empathie et le raisonnement moral
apparaissent corrélés négativement aux distorsions cognitives.
Les distorsions cognitives délinquantogènes jouent un
rôle majeur dans le déterminisme des comportements antisociaux et justifient l’importance d’un outil permettant leur
évaluation. Les objectifs de cette étude sont donc de proposer une version française du HIT-Q, d’étudier sa fidélité,
sa validité convergente et discriminante et de déterminer
sa validité prédictive afin de permettre son utilisation dans
une population d’adolescents francophones.
Méthode
Sujets
Neuf cent soixante 12 adolescents français (594 garçons,
378 filles) dont l’âge moyen était de 16,92 ans (écarttype = 1,14 ans, étendue : 14 à 22 ans), scolarisés dans des
lycées généraux et professionnels de la région Midi-Pyrénées
au cours de l’année 2009—2010, ont rempli la batterie de
questionnaires. Les participants ont tous signé un consentement libre et éclairé après avoir été informés de l’anonymat
et de la confidentialité de leurs données. Aucune compensation n’a été offerte. Le nombre de participants était
suffisant pour une étude de validité et de fidélité. Afin
d’étudier la validité critériée, l’échantillon a été dichotomisé en deux groupes « conduites antisociales » et « sans
conduites antisociales ». Afin d’homogénéiser les échantillons, les participants des deux groupes étaient de même
origine ethnique et partageaient les mêmes caractéristiques socio-démographiques (âge) et socio-économiques.
L’échantillon masculin (n = 717) regroupe 161 délinquants
(23 %) et 556 non-délinquants (77 %) (âge moyen des sujets
du groupe avec conduites antisociales = 17,1 ± 1,1 ; âge
moyen des sujets du groupe sans conduites antisociales = 16,8 ± 1,1, p > 0,05 ; étendue = 14—22 ans).
Instruments
Le HIT-Q a été développé par Barriga et al. [2] pour évaluer les distorsions cognitives délinquantogènes. Les items
403
sont cotés sur une échelle type-Likert en 6 points (de 1 = pas
du tout d’accord, à 6 = tout à fait d’accord). Cet outil comprend 54 items mais seulement 39 items (Tableau 1) évaluent
les distorsions cognitives délinquantogènes qui se réfèrent
aux quatre catégories de comportements antisociaux (le
mensonge, le vol, le mépris et l’agression physique) du
DSM-IV [21]. Par exemple, l’item 2 de la sous-dimension
de l’égocentrisme « Parfois il faut mentir pour obtenir ce
que l’on veut » est une distorsion cognitive concernant le
mensonge. Ces 39 items sont regroupés en quatre souséchelles : égocentrisme, blâme des autres, anticipation du
pire et minimisation/catégorisation. Dix items mesurent
l’anticipation du pire, neuf mesurent l’égocentrisme, huit
mesurent la minimisation/catégorisation et dix items évaluent le blâme des autres. L’échelle compte au final
38 items. Le score total se calcule en additionnant les scores
de chaque item et en divisant par le nombre total d’items
(38). Ainsi, un participant avec un score moyen de 4 est, dans
l’ensemble, plutôt d’accord avec les cognitions délinquantogènes. Un participant avec un score moyen de 4 présente,
dans l’ensemble, de légères distorsions cognitives délinquantogènes. La traduction du questionnaire en français a
été effectuée dans un premier temps par une psychologue
trilingue (français, anglais, néerlandais) puis dans un second
temps une rétro-traduction a été effectuée par une psychologue anglophone. Les deux versions ont été comparées afin
de garantir la fiabilité de la version française. L’autorisation
des auteurs a été obtenue.
Les conduites antisociales ont été mesurées à partir
d’un questionnaire composite constitué du questionnaire de
délinquance auto-révélée (QDAR) de Le Blanc et Frechette
[22], de l’Antisocial Behavior Scale de Schwab-Stone et al.
[23], du Self-Reported Delinquent Behavior (SRDB) d’Elliott
et al. [24]. Trois items issus du Sexual Experience Survey de
Koss et al. [25] ont été ajoutés au questionnaire. Les sujets
indiquaient pour chaque item le nombre de fois où ils ont
commis un acte antisocial (coté sur 4 points, de 0 = « jamais »
à 4 = « 5 fois ou plus »). Le critère d’inclusion dans le groupe
« conduites antisociales » a été défini par un score se situant
dans le quartile supérieur des scores de l’échantillon. Le
score total varie de 0 à 56 et l’alpha de Cronbach pour cette
échelle était de 0,92.
Les traits psychopathiques ont été évalués par la
version française du Youth Psychopathic traits Inventory
(YPI) [26,27]. L’YPI est un auto-questionnaire comprenant 50 items (c’est-à-dire, « Je me sens souvent calme
quand les autres sont effrayés »). Les sujets doivent indiquer leur degré d’accord aux items selon une échelle de
type-Likert en 4 points (de 1 « pas du tout d’accord » à
4 « tout à fait d’accord »). L’échelle propose trois sousdimensions : l’affectivité, le style de vie et les relations
interpersonnelles. Dans cette étude, le score total de
l’échelle a été utilisé. L’alpha de Cronbach pour l’YPI
était de 0,81.
Le Sociomoral Reflection Measure-Short Form [28] est une
échelle en 3 points (de 1 = pas important, à 3 = très important), composée de dix items, qui évalue le raisonnement
moral. Plus le score aux items (c’est-à-dire, « En général à
quel point est-ce important pour toi de dire la vérité ? ») est
élevé plus le sujet a un raisonnement moral. Le score total
varie de 10 à 30. Dans notre étude, la cohérence interne de
l’échelle de raisonnement moral était de 0,69.
404
Tableau 1
N.-K. Van Leeuwen et al.
Classification des items par sous-dimensions du How I Think Questionnaire (HIT-Q).
Items du HIT-Q
1
2
3
4
5
6
7
8
9
10
11
Anticipation du pire
Je ne peux rien faire au fait de perdre souvent patience
Ca ne sert à rien d’éviter les conflits
Je n’arrive pas à éviter les problèmes, peu importe les efforts avec lesquels j’essaie
Je serais toujours envahi(e) si je ne pousse pas les gens autour de moi
Les gens cherchent toujours à me harceler
On devrait faire du mal aux gens, avant qu’ils ne le fassent
On devrait voler aussi, si on ne le fait pas, quelqu’un d’autre le fera
On devrait voler aussi, les gens te voleraient s’ils en avaient la possibilité
Je pourrais aussi bien dire la vérité ou mentir, dans tous les cas les gens ne me croiraient pas
Tout le monde vole, pourquoi pas moi
Tu ne peux pas faire confiance aux gens parce qu’ils te mentiront toujours
12
13
14
15
16
17
18
19
20
Égocentrisme
Parfois il faut mentir pour obtenir ce que l’on veut
Quand je vois quelque chose qui me plaît, je le prends
Quand je suis en colère, cela m’est égal que quelqu’un soit blessé
Lorsque je veux quelque chose, la façon dont je réussis à l’obtenir m’est égale
Lorsque j’ai vraiment envie de faire quelque chose, je me fiche de savoir si c’est légal ou non
Les règles sont généralement destinées aux autres
Obtenir ce dont on a besoin est la seule chose importante
Si je mens à quelqu’un, cela me regarde (c’est mon problème)
On devrait prendre ce dont on a besoin, quitte à blesser quelqu’un
21
22
23
24
25
26
27
28
29
30
31
32
33
34
35
36
37
38
Minimisation
Si une personne te manque de respect, tu dois te venger
Tout le monde ment, ce n’est pas la fin du monde.
C’est fou de ne pas voler lorsqu’on sait qu’on ne se fera pas prendre
Seuls les lâches fuient les combats
Les boutiques gagnent assez d’argent pour que l’on puisse piquer ce dont on a besoin
Mentir à quelqu’un n’est pas grave lorsqu’on ne connaît pas la personne
Tout le monde enfreint la loi, ce n’est pas la fin du monde
Voler une voiture ne fait de mal à personne tant qu’il n’arrive rien au véhicule et que le véhicule est restitué au
propriétaire
Blâme des autres
Je fais des erreurs parce que je fréquente les mauvaises personnes
Si quelqu’un ne verrouille pas sa voiture, c’est qu’il cherche à se la faire voler
Ce n’est pas grave de mentir quand quelqu’un est assez stupide pour tomber pour me croire
Si le propriétaire d’une maison ou d’un magasin est cambriolé, c’est faute de ne pas l’avoir davantage sécurisé
À force de te poser trop de questions, les gens te forcent à mentir
Les gens essaient toujours de me provoquer pour se battre
Si quelqu’un néglige à ce point de surveiller son portefeuille, il mérite de se le faire voler
Si les gens ne coopèrent pas avec moi, ce ne sera pas de ma faute si quelqu’un est blessé
Quand je perds mon sang froid, c’est parce que les gens essaient de m’énerver
Parfois il faut blesser les gens lorsqu’on a des problèmes avec eux
L’Interpersonal Reactivity Index (IRI) [29], est une échelle
dont les items sont cotés en 5 points (de 1 « Ne me décrit
pas bien » à 5 « Me décrit très bien ») permettant de
mesurer les dispositions cognitives et affectives liées à
l’empathie. N’ont été retenus que les 13 items correspondant à l’empathie affective : la préoccupation empathique
(c’est-à-dire, « J’ai souvent de la tendresse, le sentiment
d’être concerné(e) par des personnes moins chanceuses que
moi ») et l’empathie cognitive : la prise de recul (c’està-dire, « Quand je suis fâché(e) avec quelqu’un, je tente
habituellement de me mettre à sa place »). Le score varie
de 13 à 65, les sujets ayant obtenu un score élevé à
cette échelle révèlent de bonnes dispositions empathiques.
L’alpha de Cronbach de l’IRI était de 0,61.
Analyses statistiques
Afin de comparer les qualités de la structure unifactorielle
et de la structure à quatre facteurs, des analyses factorielles confirmatoires (CFA) et exploratoires du HIT-Q ont
été réalisées afin de retenir le meilleur modèle [30,31]. La
Qualités psychométriques de la version française du How I Think Questionnaire
consistance interne pour chaque sous-dimension du questionnaire des cognitions délinquantogènes a été évaluée
avec le coefficient alpha de Cronbach et des corrélations
moyennes inter-items (MIC). Pour que la consistance interne
de l’échelle soit satisfaisante, le coefficient ␣ devrait être
égal ou supérieur à 0,70 [32] et le MIC égal ou supérieur
à 0,20 [33]. Les coefficients de corrélations de Pearson
ont été rapportés entre le score total du HIT-Q et ses
sous-dimensions et les différentes échelles. La validité
convergente du HIT-Q s’est effectuée avec l’YPI puisque
les deux échelles partagent des caractéristiques communes.
La validité concourante a été évaluée par des analyses
corrélationnelles (r de Pearson) entre le HIT-Q et ses sousdimensions et le YPI. L’échelle de raisonnement moral et
d’empathie ont permis de tester la validité discriminante.
La validité critérielle a été définie à l’aide d’un t test
entre le groupe présentant des « conduites antisociales »
et le groupe « sans conduites antisociales » à l’échelle des
cognitions délinquantogènes. La contribution unique des
distorsions délinquantogènes à la prédiction des comportements antisociaux a été rapportée par le coefficient ␤, par
la statistique t et le degré de significativité du coefficient (p)
de l’analyse de régression multiple. Les analyses statistiques
ont été réalisées avec la version 8 de STATISTICA.
Résultats
Analyse factorielle
Les paramètres d’ajustements de la structure à quatre
facteurs (anticipation, égocentrisme, minimisation, blâme
des autres) n’étaient pas satisfaisants (Goodness-of-Fit
Index [GFI] = 0,83, Root Mean Square Residual [RMR] = 0,06,
Root Mean Square Error of Approximation [RMSEA] = 0,07).
L’analyse factorielle exploratoire avec rotation varimax n’a
pas permis de dégager un modèle plus satisfaisant. La
majorité des items saturaient dans un seul facteur ce qui
favoriserait l’utilisation d’une structure unifactorielle. Une
analyse factorielle de second ordre a permis de repérer les
items avec une faible saturation factorielle. L’item 3 (c’està-dire, « Certaines personnes mériteraient d’être remises à
leur place ») rapportait un mauvais ajustement et a donc été
supprimé. Une nouvelle CFA a permis de rendre compte de
meilleurs paramètre d’ajustements pour la structure unifactorielle avec l’exclusion de l’item 3 (GFI = 0,84, RMR = 0,05,
RMSEA = 0,07). Enfin, le critère d’information d’Akaike [34]
permet de retenir le meilleur modèle en comparant leurs
indices respectifs. L’indice AIC été plus faible dans la structure uni factorielle (2,90 versus 3,08) suggérant que ce
modèle est légèrement meilleur que la structure à quatre
facteurs.
Analyse de fidélité du How I Think Questionnaire
L’alpha de Cronbach des quatre sous-échelles du HIT-Q
varie de ␣ = 0,71 à ␣ = 0,74 et les corrélations moyennes
inter-items varient de MIC = 0,21 à MIC = 0,25. L’alpha de
Cronbach pour la totalité des items du questionnaire est
de ␣ = 0,91 et la corrélation moyenne inter-items est de
MIC = 0,22.
405
Corrélations entre le score total et les
sous-dimensions du How I Think Questionnaire
Le Tableau 2 rapportent les coefficients de corrélation
entre le score total au HIT-Q et les scores obtenus aux
sous-dimensions « anticipation du pire », « égocentrisme »,
« minimisation » et le « blâme des autres » qui varient de
r = 0,65 à r = 0,86, p < 0,05. Les coefficients de corrélations
étant élevés entre les sous-dimensions du HIT-Q, l’utilisation
du score global semblerait préférable afin d’éviter des problèmes de multicollinéarité.
Validité convergente du How I Think Questionnaire
Une corrélation positive est rapportée entre le score global
au HIT-Q, ses sous-scores et le YPI (p < 0,05). Un coefficient
de corrélation de 0,61 est observé entre les scores totaux au
HIT-Q et de l’YPI (Tableau 2). Les coefficients de corrélation
entre les sous-dimensions du HIT-Q et le YPI varient de 0,50 à
0,58 (p < 0,05).
Validité discriminante du How I Think
Questionnaire
L’analyse de la validité discriminante entre le score total
au HIT-Q, ses sous-scores et le raisonnement moral et
l’empathie montre des corrélations négatives significatives
(p < 0,05). Le Tableau 2 rapporte les coefficients de corrélation qui varient de −0,23 à −0,28 entre le score total au
HIT-Q et ses sous-scores et le raisonnement moral. Les coefficients de corrélation varient de −0,13 à −0,20 entre les
distorsions cognitives et ses composantes et l’empathie.
Validité critériée du How I Think Questionnaire
Les analyses comparatives ont permis de vérifier que les
sujets du groupe avec conduites antisociales (n = 161) rapportent un score significativement plus élevé au HIT-Q
que les sujets du groupe qui n’en présentent pas (n = 556)
(112,51 ± 26,14 versus 85,95 ± 20,01, t = −13,78, p = 0,001).
Une analyse de régression multiple prédisant le score du
questionnaire des conduites antisociales a mis en évidence
la contribution unique et indépendante des distorsions
auto-complaisantes à la prédiction de ces comportements.
Le score total au HIT-Q contribue significativement à la
prédiction des conduites antisociales (␤ = 0,53, SE = 0,03,
p < 0,001). Vingt-neuf pour cent de la variance totale est
expliquée par le modèle.
Discussion
L’objectif de la présente étude est d’étudier les qualités psychométriques de la version française du HIT-Q
en étudiant sa fidélité, ses validités critériées et de
construit. L’étude de la fiabilité a montré que l’échelle
présente une bonne consistance interne, ce constat est
renforcé par des corrélations inter-items satisfaisantes. De
meilleurs paramètres d’ajustement sont apparus dans le
modèle mono factoriel que dans le modèle à quatre facteurs du HIT-Q favorisant l’utilisation du score global de
406
N.-K. Van Leeuwen et al.
Tableau 2 Corrélations entre l’échelle des distorsions délinquantogènes et ses sous-dimensions et le raisonnement moral, les
traits psychopathiques et l’empathie.
1. Distorsions cognitives
2. HIT-Q anticipation du pire
3. HIT-Q égocentrisme
4. HIT-Q minimisation/catégorisation
5. HIT-Q blâme des autres
6. Raisonnement moral
7. Traits psychopathiques
8. Empathie
1
2
3
4
5
6
7
8
—
0,86
—
0,87
0,65
—
0,87
0,66
0,71
—
0,88
0,70
0,67
0,67
—
−0,28
−0,24
−0,28
−0,23
−0,23
—
0,61
0,50
0,58
0,53
0,51
−0,22
—
−0,18
−0,13
−0,20
−0,17
−0,13
−0,33
−0,11
—
l’échelle. L’étude de la validité convergente en utilisant
l’YPI a permis de mettre en évidence de fortes corrélations positives significatives qui soutiennent l’hypothèse
que les distorsions cognitives auto-complaisantes peuvent
être considérées comme l’expression cognitive de traits
psychopathiques. La divergence entre le questionnaire des
cognitions auto-complaisantes et l’échelle de raisonnement
moral et d’empathie est satisfaisante ; en effet les analyses de la validité discriminante observées dans la présente
étude sont congruentes avec les données de la littérature
rapportant également des associations négatives entre ces
facteurs [9,16—20]. Dans notre échantillon, similairement
à des résultats antérieurs, le groupe des adolescents présentant des conduites antisociales présente davantage de
distorsions auto-complaisantes que leurs pairs n’en présentant pas [10,11]. Plus spécifiquement, les adolescents ayant
des conduites antisociales semblent davantage anticiper
le pire, minimiser les situations, blâmer autrui et présenter des cognitions égocentriques. Comme dans l’étude de
Capuano [12], l’analyse de régression multiple a confirmé la
contribution unique des distorsions cognitives aux conduites
antisociales. Les résultats de cette recherche confirment la
validité de cet outil, qui permettra une meilleure prévention des comportements antisociaux. Il pourrait permettre
d’identifier les distorsions cognitives de l’adolescent afin
d’orienter l’accompagnement thérapeutique. Par exemple,
un adolescent présentant des cognitions particulièrement
égocentriques pourrait apprendre à prendre en considération le point de vue d’autrui et un adolescent ayant
plutôt tendance à minimiser les conséquences de ses actes
pourrait apprendre à en appréhender les répercussions [2].
Cependant, des recherches complémentaires sur l’étude des
distorsions cognitives délinquantogènes au sein d’une population d’adolescent français doivent être menées.
Déclaration d’intérêts
Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en
relation avec cet article.
Références
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youth to think and act responsibly through a peer-helping
approach. Champaign, IL US: Research Press; 1995.
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