Commentaire composé
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Commentaire composé
Commentaire composé Poète français de la seconde moitié du XIXe, Verlaine est une figure littéraire controversée. En effet, si d’une part il est l’un des précurseurs du symbolisme et sera même sacré « Prince des Poètes » par ses contemporains, d’autre part sa vie sociale se résume à une déchéance physique et morale. Dans les Poèmes Saturniens, il évoque à de multiples reprises la noirceur de la vie humaine, notamment par le biais de la solitude et de la mélancolie, Saturne étant la planète tutélaire des mélancoliques. Dans ce sonnet, « L’Enterrement », le poète semble aller à l’encontre du reste de ce recueil puisque, s’il est vrai que le thème abordé renvoie à la mort, la façon dont il en parle semble au contraire joyeuse. C’est d’ailleurs cette originalité qui attirera notre attention, et nous amènera à observer comment la peinture d’une scène enthousiaste permet à Verlaine de porter un regard critique sur la société. Dans un premier temps, nous montrerons comment Verlaine s’efforce de nous peindre avec précision une scène joyeuse, pour ensuite constater que derrière l’apparente bonhomie se cache le regard critique du poète. I. Une peinture précise et gaie de l’enterrement A. Un regard enthousiaste * L’enthousiasme se retrouve à travers un certain nombre de termes mélioratifs qui parsèment le texte ainsi que par la ponctuation Ex : -Utilisation de l’exclamation aux vers 1, 9 et 14 souligne l’enthousiasme -Un champ lexical mélioratif émaille le texte : « gai » V1, « svelte » V3, « douillettement V6 * Cet aspect positif va même jusqu’à l’éloge, puisqu’il est poussé à l’extrême Ex : -« Je ne sais rien de gai comme un enterrement » V1 L’emploi de la négation « ne…rien » donne un caractère absolu à la gaieté de la cérémonie. -« allègrement » V4 l’allégresse renvoie au ciel : éloge * Enfin, le poète s’investit lui-même dans cette vision positive : Ex : -« Tout cela me parait charmant, en vérité ! » « me » renvoie au «je» poétique. B. Un scène qui touche d’autant plus qu’elle est réaliste * Les personnages présents sont ceux attendus à un enterrement Ex : -Le fossoyeur V2, le prêtre V4, l’enfant de cœur V5, le défunt V8, les croque-morts V11, les héritiers V14 * Les objets présents évoquent l’enterrement Ex : -la pioche V2, la cloche V3, le cercueil V7, les discours V12 *Les détails évoqués renforcent le réalisme en animant la scène Ex : -La pioche « qui brille » V2 ajoute un effet visuel de lumière -«le mol éboulement / De la terre » V7-8 donne du mouvement à la scène -Le « nez rougi » V11 ajoute une touche de rouge tout en apportant une donnée sociale rendant le personnage plus réel *La musicalité apporte une dernière dimension de réalisme Ex : -la cloche et son « svelte trille » V3 : le son de la cloche évoque la cérémonie religieuse -la « voix fraîche de fille » V5 de l’enfant de chœur évoque le chant religieux Transition : L’utilisation de la joie pourrait être interprétée de manière positive dans tout autre contexte. Mais il s’agit ici d’un enterrement, et la bienséance, notamment au XIXe siècle, exige qu’une telle cérémonie soit traitée avec sobriété et que l’emphase soit portée sur la douleur de la perte. Verlaine cherche donc à provoquer le lecteur, et par extension à souligner l’hypocrisie d’une telle cérémonie. II. Une vision satyrique de la cérémonie et de ses participants A. Une gaieté à contre-courant *L’éloge que fait ici Verlaine est paradoxal, puisque cette joie est particulièrement inattendue, pour ne pas dire dérangeante. Verlaine n’hésite d’ailleurs pas à tomber dans l’excès, afin de donner plus de force à sa critique. Ex : -« Je ne sais rien de gai comme un enterrement » : la comparaison initiée par l’outil de comparaison « comme » associe gaieté et enterrement, deux termes qui s’opposent. Dès le départ, la provocation apparaît. -« au fond du trou, bien chaud, douillettement » V6 l’aspect confortable de l’enterrement, renforcé par le vocabulaire mélioratif et la succession des virgules qui saccadent le vers comme si l’on faisait attention à ce que chaque action soit effectuée avec précision, contraste avec la froideur du corps et de la terre dans laquelle il s’installe. B. Des personnages grotesques *Le grotesque passe par une déformation physique qui révèle un avilissement moral Ex : -Les croque-morts « tout rondelets » V10 « au nez rougi »V11 : la rondeur du ventre révèle la gourmandise, un des sept péchés capitaux, tandis que la rougeur du nez trahi une seconde faiblesse : la dépendance à l’alcool *Le grotesque se retrouve aussi dans le décalage entre l’attitude qu’adoptent les personnages et l’attitude qu’ils devraient adopter Ex : -Le prêtre qui « prie allègrement » : l’allégresse évoque une joie intense, hors il s’agit ici d’un enterrement. -« Les héritiers resplendissants » V14 qui concluent ce poème par la joie visiblement affichée que semble leur procurer la mort du défunt, celle-ci signifiant pour eux l’accès à l’héritage. C. Une pointe d’ironie On distingue, dans le choix des associations et dans l’expression, une vision ironique de la scène. Ex : -« Tout cela me paraît charmant, en vérité ! »V9 Le fait que le poète trouve un enterrement charmant est déjà suspicieux. Mais cette affirmation est renforcée par la ponctuation, le point d’exclamation rendant cet enthousiasme particulièrement intense. Enfin, l’ajout de l’expression « en vérité » apparaît comme une assurance supplémentaire de l’enthousiasme, insistance lourde si elle n’était teintée d’ironie. -« Les beaux discours concis »V12 L’association autour du mot discours des adjectifs « beaux » et « concis » montre un regard moqueur : en effet, ce n’est pas la concision qui fait la beauté d’un discours, sauf si l’on est pressé que la cérémonie se termine ! In fine, on constate que ce poème se caractérise par son originalité. Original au sein des Poèmes Saturniens puisqu’il se veut joyeux, original dans la manière dont il est traité puisque cette joie est associée à un enterrement. Poème vivant, il comporte un nombre important de détails qui viennent renforcer l’aspect sympathique de la scène présentée. Cependant, cette vision affectée cache un humour grinçant de la part du poète, qui parsème son sonnet de détails dérangeants. Sous l’apparente gaieté se cache une société hypocrite qui n’est pas du tout centrée sur le défunt. Les intérêts personnels et la formalité religieuse l’emportent sur la sincérité des sentiments. Verlaine porte ainsi un regard satirique sur ses contemporains, et invite le lecteur à réfléchir sur ces moments artificiels de la vie humaine.