Les douze foutus cailloux d`Alinora - La nuit de la lune

Transcription

Les douze foutus cailloux d`Alinora - La nuit de la lune
Greg "LeGreg" Siebrand
Les douze foutus cailloux
d'Alinora - La nuit de la lune
écarlate
Publié sur Scribay le 11/10/2015
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
À propos de l'auteur
Salut, moi c'est Greg! J'ai commencé à poser des vers sur des feuilles de papiers
durant mon adolescence. Depuis quelques années, je partage mes écrits sur la toile.
Amoureux de la culture libre, j'ai décidé de laisser tous mes écrits en libre accès, et
pour ceux qui le souhaitent, ils peuvent me soutenir via un don ou une acquisition de
mes histoires dans de jolis objets que l'on appelle communément livres. Je ne prétend
pas être un Rimbaud ou un Hugo, mais je ne demande qu'à m'améliorer!
Vous pouvez également me trouver sur mon blog, où je radote aussi sur le monde, la
technologie, la culture libre et mon parcours dans l'auto-édition en plus de mes
histoires.
À propos du texte
Il est loin, le temps de l’âge d’or.
Elle n’est plus, la splendeur d’alors.
Par ces maux et malheurs, Gogol nous ruina,
À une longue nuit sans saveur, il nous condamna.
Les peuples d’Alinora sont totalement désunis,
Des Trapus, nous n’entendons plus aucun bruit,
Les Sylvains, dans leur sombre forêt se sont retirés,
Les Tirgalions, dans leur contrée, complètement oubliés.
Les Hommes n’ont plus de roi et de lumière pour les guider,
Brisée, la grande lignée Inothaï aux quatre vents s’est éparpillée,
Les chefs des grandes familles se proclamèrent maîtres et rois,
À l’unité des hommes et à la paix, plus personne ne croit.
Prends garde, car les heures les plus sombres sont encore à venir,
Car les tourments et grands malheurs sont appelés à revenir,
Un jour sans lune, son esprit se réveillera,
Et sa soif de colère et de pouvoir nous consumera.
Prends garde à la lune écarlate,
C’est le signe ultime qui annoncera son éveil,
Il sera fin prêt à retrouver les pierres scélérates,
Et s’il les trouve, disparue sera la lumière du soleil.
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Mais tout n’est pas perdu, il nous reste un espoir,
Qu’un esprit vaillant, nous guide dans le noir.
La descendance du dernier pourrait se révéler,
Et avec l’aide de valeureux, dans les ténèbres nous guider.
Si tel est le cas, Alinora pourrait revivre un âge d’or
Où paix, prospérité et sagesse nous prendrait à bras le corps,
Où les Tirgalions nous émerveilleraient à nouveau,
Où Sylvains, hommes et Trapus ne seraient plus rivaux.
Mais l’espoir est mince, car ce guide nous est inconnu,
et nous, hommes du peuple, depuis longtemps, ne l’espérons plus.
Nous prions constamment, pour qu’il se fasse connaître,
Afin que les ténèbres de Gogol, à jamais, puissent disparaître.
Légendes perdues d’Alinora, du Grand Sage Figuiel, de la maison Eliborienne.
Licence
Transfert dans le Domaine Public
Licence Creative Commons 0
L'auteur abandonne tous ses droits d'auteur sur l'œuvre, dans la limite de la loi de
chaque pays.
L'œuvre peut être distribuée, exploitée ou modifiée sans aucune restriction, à
l'exception de celles exigées par la loi de chaque pays. La licence sur le site de la
fondation Creative Commons
3
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Table des matières
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la
lune écarlate
Un jour comme un autre, en Tirgoval
Un bien joli caillou
L'assemblée
Une nuit agitée
Adieux à la garnison
Un bien singulière rencontre
Où est-ce qu'elle est, la jolie maisonnette?
La cachette ultime pour un précieux caillou
4
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la
lune écarlate
Salut à toi, ô cher lecteur. Tu tiens en tes mains le plus grand ouvrage de tous les
temps ! Mais avant de t'expliquer en quoi ce livre est important, laisse-moi me
présenter. Je me nomme Figuiel le jeune, de la grande maison Eliborienne, et si on
me surnomme le « jeune », c'est tout simplement que mon aïeul Figuiel, dit l'ancien,
était chroniqueur de la Grande Cour Royale, bien avant les temps sombres qui
secouèrent notre monde. Je suis donc le Maître Historien de la Maison Royale, et ma
tâche principale consiste à relater tous les événements que connaît Alinora, afin
qu'ils restent écrits pour la postérité et instruire les générations futures. Ma tâche
est ardue mais fortement plaisante, car découvrir puis raconter les histoires sont ma
passion depuis ma plus tendre enfance. Et si je dis qu'elle est ardue, c'est tout
simplement que cette tâche vient d'être réinstaurée par notre souverain bien aimé
(on ne dira pas le contraire, sous peine de torture au martifouet), après des milliers
d'années d'abandon, suite au conflit qui secoua toutes les provinces pendant tant
d'années. Mais soit, je ne vais pas raconter toute ma vie, ce n'est pas le but de cet
ouvrage.
Ce livre raconte la plus grande épopée que connut Alinora. Il raconte le récit de
braves aventuriers qui sacrifièrent tout pour sauver notre terre tant aimée des
griffes de la plus grande menace qui ait jamais existé en Alinora. Voici donc l'histoire
de Sighdur et son ami Taitdur, du vieux mage Moltonnel et de Melinas, la plus
grande guerrière que ce monde ait enfanté. Comment, grâce à leur dévouement et
leur abnégation, ils réussirent à retrouver la couronne perdue depuis des milliers
d'années, et aidèrent notre Grand Souverain à chasser les ténèbres pour l'éternité.
Lis et apprend ce livre. Lorsque tu l'auras fini, passe-le à d'autres. Car ce grand
savoir doit perdurer pour l'éternité. Ces hommes et femmes, dans cette histoire, sont
les plus grands héros qu'Alinora ait jamais connu. Ils doivent rester dans notre
mémoire à tous, afin que pour toujours, ils soient honorés pour nous avoir
simplement permis de vivre en paix et dans la prospérité.
Sur cette petite note, je te laisse cher lecteur, et je te souhaite une bonne lecture
ainsi qu'un bon plongeon dans notre passé.
La publication de l'histoire commencera le 1er Novembre.
5
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Un jour comme un autre, en Tirgoval
C’était une matinée comme les autres en Tirgoval, cette contrée bucolique, à l’écart
de tout, en Alinora. Il faisait un soleil radieux, les oisillons chantaient leur douce
mélodie, et la récolte qui arrivait s’annonçait bonne et prometteuse. Les Tirgalions
s’affairaient à leurs tâches quotidiennes, tout en chantant et plaisantant, et
blablabla. Stop. Si vous croyez que je vais m’étaler en banalité à deux pièces d’or
quatre sous, vous n’en aurez pas pour votre argent. Cependant, il faut bien présenter
les choses, notre bon roi ayant un œil omniprésent sur la tâche qu’il ma confiée.
Désolé donc, si par moment vous verrez quelques banalités romanesques, elles sont
cependant nécessaires.
Je me dois donc de présenter cette contrée et ses habitants atypiques, longtemps
oubliés de la mémoire d’Alinora. Tirgoval était un havre de paix. Ses habitants, les
Tirgalions, étaient des êtres joyeux, et leur mot d’ordre était de s’amuser, de croquer
la vie à pleines dents. Petits êtres farceurs, ils adoraient faire des bonnes blagues à
leur entourage. Et lorsque je dis petit, ils le sont bel et bien : un Tirgalion moyen
mesure en moyenne une quarantaine de centimètres. Les plus grands jamais
recensés n’ont jamais dépassé le demi-mètre, et cela reste exceptionnel. Pour vous
aider à bien visualiser ces petits êtres, un étrange voyageur d’une contrée appelée
“Terre” nous a dit que les Tirgalions ressemblaient dans leur contrée à des petites
statues décoratives créées à partir d’une matière appelée plastique qu’ils nomment
“Nains de jardin”.
Sighdur s’étira devant le porche de sa maisonnette, taillée dans un arbre centenaire
et regardait tout la populace du bourg principal, Tirgaville, se mettre en
mouvement : Cailldur amenait les bouteilles de lait aux portes des maisonnettes,
Blédori servait les petits pains aux fermiers qui se mettaient en route vers les
champs. Sighdur aimait regarder toute cette agitation. Voir ses camarades s’affairer
comme des petites fourmis le faisait sourire, et il s’imaginait déjà, tout en tirant sa
petite barbe encore bien brune, les farces qu’il pourrait leur faire subir une fois
rentré du labeur, en fin de journée.
Il alluma sa pipe, la première du jour, et se mit à penser à ce qu’il ferait aujourd’hui.
Tout en aspirant quelques bouffées, il titillait sa petite barbe. Elle n’était pas bien
grande et formait une petite boucle à hauteur du menton. Cela ne voulait dire qu’une
chose : il devait avoisiner une quarantaine d’années. Oui, j’ai oublié de le
mentionner : les Tirgalions deviennent adulte vers l’âge de 50 ans, et vivent
jusqu’aux environ de la cent-cinquantaine. Il est assez aisé, pour quelqu’un
connaissant bien ces petits êtres, de justement deviner leur âge par cette petite
barbe bien caractéristique, qu’ils laissaient pousser en ne faisant que la tailler. Ces
barbes étaient tressées d’une manière qui était régie par un code. Grâce à cette
convention sociale, un Tirgalion savait exactement ce que faisait son interlocuteur,
6
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
sans même le connaître.
Son regard se tourna vers l’horizon, se détournant de l’activité journalière de
Tirgaville. Il se posa au loin, vers cette forêt, celle que l’on ne peut traverser, et qui
définit la frontière de Tirgoval. Il ne comprenait pas pourquoi il était interdit de s’y
promener. L’Ancêtre, gardien du savoir des Tirgalions, refusait d’expliquer pourquoi
on avait posé ce genre de règles il y a tant d’années. Cette règle remontait à
tellement longtemps, que le père du père de Sighdur n’avait pas connu la période où
cette loi avait été promulguée. D’ailleurs, personne ne traversait cette forêt pour
venir en Tirgoval, hormis un géant toujours mal rasé. Il était le seul étranger qui
venait visiter cette contrée. On ne savait pas trop qui il était, mais il passait de temps
à autre en Tirgoval. Il venait écouter les histoires des Tirgalions, les farces, les
petites anecdotes, et souriait toujours, avec un air paternel envers ces petits êtres.
Pourtant, cela faisait longtemps qu’il n’était plus apparu, bien facilement un dizaine
d’années, alors qu’il venait environ tous les six mois auparavant. Il était peut-être
mort, se disait Sighdur. Il avait d’ailleurs du mal à se rappeler de son nom : Radiel ?
Mardiel ? C’était quelque-chose en iel avec un A, c’était la seule certitude qui
habitait Sighdur. Il demanderait ce soir à l’ancêtre.
Il se décida. Aujourd’hui, comme déjà mainte fois par le passé, il irait se promener
dans cette forêt. Sighdur aimait bien s’y promener, elle était si jolie et tranquille. De
temps à autre, il ramenait des fleurs qui y poussaient, car on n’en trouvait d’aussi
belles nulle part ailleurs dans le pays. Par contre, il ne l’avait jamais traversée
entièrement, et comme bien souvent, il se demandait ce qu’il y avait de l’autre côté
de celle-ci. Peut-être qu’en ce jour il franchirait ce pas, mais à chaque fois qu’il y
pensait, il ressentait une forte appréhension à braver un tel interdit.
Sighdur prit un petit déjeuner copieux. Il lui faudrait trois bonnes heures de marche
pour atteindre la forêt interdite et ne se permettrait pas de pause. Il se prépara un
casse-croûte, bien que les quelques champignons qu’il avait goûtés sur place étaient
particulièrement savoureux. Une fois son paquetage prêt, il se mit en route.
Le cœur léger, notre petit Tirgalion se mit à parcourir les sentiers du Val en
poussant la chansonnette. Ce chant, bien qu’appris par tous les Tirgalions, était
rarement déclamé. Destinée à se donner du courage pour les grands voyages, les
rares occasions où l’on pouvait l’entendre étaient lorsque les petits-hommes venaient
des quatre coins de Tirgoval pour assister au Grand Conseil de Tirgaville. Les
Tirgalions avaient depuis longtemps arrêté de voyager.
Encore une fois, en ce si beau jour,
Je prendrai la route, sous ce soleil radieux,
Prenant mille chemins et cent détours,
Mais je reviendrai, ceci n’est pas un adieu.
J’irai revoir la douce clarté de la Ghlisbar,
7
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
La traverserai en sautant sur ses nénuphars,
J’irai cueillir les fleurs des grandes vallées,
Je marcherai partout, m’éloignerai des sentiers.
Je pars, sans m’encombrer de superflu,
La route m’appelle, en place je ne tiens plus,
Avec mon bâton pour seul compagnon…
Il s’arrêta net de chanter. Une énorme masse noire était apparue dans le ciel. Celleci grossissait à vue d’œil et se rapprochait de plus en plus. Une horde de corbacks,
des oiseaux de mauvais augures. Lorsqu’ils survolaient le val, ils apportaient dans
leurs sillages de biens tristes nouvelles, des grandes catastrophes ou le décès de
quelqu’un de bien important. Mais là, c’était différent. Ils étaient nettement plus
nombreux qu’à l’accoutumée. Leur cri sinistre résonna dans toute la vallée.
Sighdur stoppa sa marche. Il se mit à trembler de peur. Qu’est-ce qui allait bien se
passer cette fois ? La dernière fois qu’une horde de corbeaux avait traversé la
contrée, le barrage du Bas-Val avait cédé et le village à côté fut entièrement sous
eaux. De nombreux Tirgalions avaient perdu la vie, noyés par les flots tumultueux.
Les oiseaux, qui maintenant étaient beaucoup plus nombreux, annonçaient-ils une
catastrophe pire encore ?
Il reprit ses esprits et rassembla tout son courage. Non, ces oiseaux de malheurs ne
gâcheraient pas sa journée ! Il ramassa son petit baluchon et se remit en route. Mais
son engouement était entaché, il ne reprit point la chansonnette qu’il avait entonnée
à gorge déployée.
Au bout d’une bonne trotte, il vit au loin ces bois si magnifiques mais interdits. Il ne
lui restait plus qu’à traverser la Ghlisbar, cette petite rivière à l’eau si limpide et si
claire, sillonner la dernière vallée remplie de champs et prés. Une fois la Ghlisbar
derrière lui, il s’éloigna du chemin. En effet, la route continuait dans les bois, mais
une petite « garnison » de Tirgalions y résidait, toujours au cas où des intrus
arriveraient et sonner l’alarme en cas de danger. Ils l’appelaient la garnison par
moquerie, s’y retrouver n’était autre que la peine que subissaient les Tirgalions en
cas de grosses bêtises, car sincèrement, y séjourner n’avait rien d’amusant : il n’y
avait rien à faire à part regarder cette forêt d’où rien ne sortait. C’était le pire
châtiment, la honte suprême pour un Tirgalion, être farceur par son essence, mais
privé justement de cette partie de lui-même.
Il commença donc à s’aventurer dans les prés, évitant soigneusement d’être vu par
un autre de ses compères. Il évita la dernière bâtisse, celle de Harengdur, l’ancien
pêcheur puant le poisson pourri, reconverti en vieux fermier grincheux. Il lui fera
une bonne blague au retour, il se faisait chaque fois avoir et cela amusait tous les
Tirgalions de le voir jurer à tout bout de champ !
8
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Il arriva sans trop de difficulté à éviter les terres de cette vieille ferme, se cachant
dans les champs de blés, tel une petite souris. S’il se faisait attraper, le vieux fermier
n’hésiterait pas à lui piquer le derrière avec sa fourche toute rouillée.
Hors de la vue de la bâtisse, il se releva et se trouva face à cette forêt, silencieuse et
inconnue depuis des millénaires. Il ne put s’empêcher de ressentir le frisson du
danger, de l’interdit et sourit. Les arbres l’attendaient, semblaient lui murmurer de
venir jusqu’à eux. D’un pas décidé, il franchit la lisière pour se retrouver dans ce lieu
si mystérieux et enchanteur.
9
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Un bien joli caillou
Notre joyeux Tirgalion s’enfonça dans les bois. Sighdur, comme à chaque visite,
pensait que c’était dommage qu’il soit interdit de s’y aventurer. Cette forêt était
magnifique, aucun autre endroit en Tirgoval n’égalait son calme, sa plénitude, bien
que cette contrée d’Alinora soit un havre de paix. Mais dans un autre sens, il était
heureux de cette décision : il était seul à pouvoir profiter de cette beauté
insaisissable pour les autres Tirgalions. Il se mit à respirer à plein poumons, pour
profiter des parfums délicieux dégagés par cette nature sauvage.
Il trouva un arbre sur lequel pourrait grimper pour y savourer sa pitance. N’étant
pas très sûr des créatures du coin, il préféra se mettre en hauteur. Au moins, il était
à l’abri des créatures pédestres, bien qu’il n’en ait jamais rencontrées durant ses
précédentes escapades. Une fois bien installé avec les mets étalés sur la branche qui
les soutenait, il commença à se régaler. Le saucisson était particulièrement
savoureux. Il venait de chez Cochodori, la meilleure bouchère de Tirgaville, et l’on
venait de tout Tirgoval rien que pour ce petit bout de viande. Tout en le grignotant, il
observa la forêt. Il aimait tant admirer ces paysages sauvages, intouchés et
intouchables depuis une éternité. Il observait la moindre parcelle, scrutant le
moindre détail d’un arbre ou d’un buisson, appréciant les couleurs inhabituelles des
fleurs du coin. Mais durant ces observations du jour, il remarqua quelque chose
d’inhabituel, qui dénotait tout à fait avec le cadre champêtre immaculé.
Une tâche sombre gisait sur le sol. Il n’avait jamais vu de pareille nuance dans ces
bois où tout n’était que couleur chatoyante. Elle titilla sa curiosité légendaire, le
démangea, tant il voulait savoir ce que c’était. Il engloutit un dernier morceau et
abandonna ses victuailles pour aller découvrir l’intrus.
Au fur et à mesure qu’il s’avançait, le chant des oiseaux se fit de plus en plus rare, et
lorsqu’il arriva à proximité de cette zone sombre, la forêt n’émit plus aucun son ; un
silence de mort s’abattit autour de Sighdur. Ce mutisme soudain commença à
l’effrayer quelque peu, mais sa curiosité fut bien plus forte, et il s’approcha.
Un géant était allongé sur le ventre. Des taches d’un sombre pourpre parcouraient
son dos et semblaient humides. Sighdur prit un bâton, et piqua ce géant. Aucune
réaction de sa part, était-il inconscient ? Il sauta de petits pas en petits pas, tout
autour de ce grand gaillard. Il devait être aussi grand que le géant mal rasé qui
venait les voir, et il était tout habillé de métal. Il tenait quelque chose dans sa main,
une sorte de petit étui en cuir qu’il agrippait fermement. Les petits coups de bâton
ne provoquant aucune réaction, le Tirgalion se décida de soulever le visage du géant.
Il était totalement figé, les paupières ouvertes mais les yeux totalement révulsés. La
terreur pouvait se lire sur tous les traits. Sighdur fit un bon en arrière, tellement il
était à faire peur. Il se ressaisit bien vite, et son regard se tourna à nouveau vers ce
qu’il tenait en main.
10
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Il s’apprêta à prendre ce fameux petit étui, sa main se rapprochait, et lorsqu’il
toucha ce qui semblait être une petite bourse en cuir, enfin petite pour le géant mais
non pour Sighdur, un bruit sec se fit entendre dans toute la forêt. C’était à nouveau,
Sighdur pouvait le voir à travers le feuillage, une nuée de corbeaux, tout aussi
important que celle qui l’avait vue ce matin. Il se rappela alors les premiers mots
d’une légende, qu’il avait entendue lors d’une veillée.
Lors que par deux fois, en un jour, survoleront les ailes noires.
Lorsque par deux fois, elles passeront le même soir,
Il s’aventurera seul dans les terres interdites,
Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite.
C’est alors que Tirgoval connaîtra les ténèbres,
C’est alors que le mal reviendra, nous recouvrant de son voile funèbre.
Il tressaillit. Par deux fois déjà donc les corbeaux étaient passés. Un tel phénomène
ne s’était jamais produit auparavant, du moins de son vivant, et il n’avait jamais
entendu une quelconque histoire où ils avaient survolé le val par deux fois. Mais il se
dit aussi qu’il n’était pas en Tirgoval, il y avait peu de chances qu’ils y passent une
deuxième fois. Il n’hésita plus, et attrapa tant bien que mal la bourse, qu’il put
contempler entièrement.
Une étrange inscription était gravée sur le cuir. Des symboles inconnus la
parcouraient, et ressemblaient à une ancienne écriture.
Sighdur n’arriva pas à la déchiffrer, ces inscriptions devaient appartenir à un
langage venant d’au-delà de la forêt. Peut-être que le puits de savoir qu’était l’Ancien
le saurait, lui. Sa curiosité maladive continua de le triturer, et Il ne put s’empêcher
de l’ouvrir, ignorant si cette inscription était un quelconque avertissement. Et il le
vit. Ce grand caillou, noir comme l’ébène. Il était entièrement poli. Pourtant, en le
tenant, il était sûr qu’on pouvait voir à l’intérieur. Il avait l’impression qu’une sorte
de brume blanchâtre s’y promenait, comme si ce joyau renfermait une forme de vie,
la retenant prisonnière.
Il s’aventurera seul dans les terres interdites,
Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite.
Sighdur chassa vite ses paroles qui lui revenaient en tête. Il était fasciné, il n’arrivait
pas à détacher le regard de cette pierre. Elle l’hypnotisait, et rapidement, il se sentit
comme par absorbé par elle. Il se retrouva dans le noir absolu, entouré par cette
brume qu’il avait aperçue. Elle était vivante, tournoyait tout autour de lui, et
maugréait de sombres murmures que Sighdur n’arrivait pas à comprendre. Ils se
transformèrent en voix, et montèrent en intensité, jusqu’à devenir des hurlements.
Sighdur essaya de se boucher les oreilles, mais rien n’y fut, ces mots vociféraient de
plus en plus forts, hurlaient et dégageaient une haine et une colère si intense qu’il se
mit à en pleurer.
11
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Le paysage se mit à changer devant lui, il voyait une immense pleine désolée, où la
terre était noire comme du charbon. Il aperçut une armée de spectre, d’ombres
fantomatiques, qui se déplaçaient vers une grande et sombre forteresse. Sighdur
ferma les yeux, chassant tant que possible ces images qui l’effrayaient au plus haut
point.
Lorsqu’il les rouvrit, il était là, de nouveau seul dans cette forêt, tenant toujours
cette sombre pierre dans ses mains. Mais curieusement, elle avait rétréci, comme si
la pierre voulait qu’il soit aisé de la porter pour Sighdur. Il la remit dans sa bourse,
courut vers l’endroit où il avait pique-niqué, ramassa rapidement toutes ses affaires
et détala sans demander son reste.
Alors qu’il atteignait l’orée de la forêt, il se rendit compte qu’il était fort tard. Le
soleil commençait déjà à décliner, et d’ici une heure il ferait nuit. Combien de temps
avait-pu durer cette plongée infernale ? Cela ne lui avait paru que quelques minutes,
pourtant il était pas loin de treize heures lorsqu’il avait découvert ce sordide caillou.
Il hâta le pas, pour être rentré le plus tôt possible à Tirgaville. Il passa les champs du
vieux Harengdur, sans prendre la peine de se cacher et reprit la route principale qui
le menait jusqu’à chez lui.
Alors qu’il progressait vers Tirgaville, il se rendit compte que la campagne était
déserte. Il ne croisa personne sur la route, ni personne dans les champs. Il
n’entendait nulle part les chants de ses compères qui normalement s’entendaient en
tout Tirgalion durant la journée. Le pays semblait s’être vidé tout habitant. Tout en
résistant de céder à la panique, il hâta encore plus le pas, trottant au plus vite vers la
cité.
12
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
L'assemblée
Lorsqu’il arriva en vue de la ville, il fut totalement ébloui. La Grande place centrale
illuminait toute la vallée, des feux y brûlaient, comme lors des jours de grandes fêtes,
où tout le pays se réunissait pour festoyer gaiement. Tous les Tirgalions étaient
rassemblés, et sur une estrade, se trouvait l’Ancien et la vieille Mégère. La tension
était palpable, bien que Sighdur se trouvait à quelque distance, il constatait que ses
semblables paniquaient. Mais le spectacle dans son ensemble était encore plus
inquiétant, et rajoutait encore à la tension. La lune était absente. De grandes nuées
vertes luminescente parcouraient le ciel et semblaient annoncer un grand malheur.
Les enfants pleuraient, n’ayant jamais vu telle couleur spectrale, leurs mères, quant
à elles, tentaient de réprimer leur panique pour les réconforter.
Lorsqu’il franchit la porte de la cité, ils apparurent de nouveau. Ces maudits
corbacks étaient là, passaient sur la cité, éructant leurs cris mortifères. La panique
se fit de plus en plus ressentir dans la ville, et alors qu’il arrivait sur la place, tous les
regards se tournèrent vers lui. Doushdori, l’épandeuse de fiel par excellence, et que
l’on nommait – à raison – la Mégère, commença à hurler :
— Regardez qui arrive en retard, cria la Mégère, en le pointant du doigt. Je suis sûre
que c’est encore notre Sighdur, l’habitué des moult coups tordus qui apporte le
malheur dans notre contrée !
L’ancien se tourna vers Sighdur et l’appela :
— Sighdur, viens ici mon garçon !
Un passage s’ouvrit devant lui, les Tirgalions s’écartant pour le laisser passer jusqu’à
l’ancien. Sighdur n’était pas à son aise, il tremblait, tout en avançant, et sentait le
regard de colère et de suspicion que ses congénères lui adressaient. Il ne put que
baisser le regard, durant sa progression. Mais bon, il était habitué, ce n’était pas le
premier savon qu’il se prendrait.
Il arriva à l’estrade où il était attendu. La mégère lui cracha dessus lorsqu’il passa à
son hauteur, en lui vociférant toute sorte de nom d’oiseaux. L’ancien, lui, le regardait
d’un œil bienveillant, et fit un petit geste pour que l’agresseuse de Sighdur se calme
quelque peu. Il était vraiment impressionnant. Sa barbe, qui comportait un nombre
incalculable de tresses, atteignait presque le sol, signe qu’il était vieux, sage et
respecté.
— Dis-moi, jeune Sighdur, où étais-tu donc passé ? Cela fait déjà quelques heures
que nous sommes rassemblés, ici, pour discuter du problème qui nous occupe. Dismoi, sais-tu de quoi je parle ?
Sighdur baissa les yeux. Il était gêné, et il répondit à voix basse.
13
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
— Oui l’Ancien. Vous parlez des corbeaux qui nous ont survolé déjà par trois fois
aujourd’hui. De ce voile verdâtre qui nous a volé notre lune.
La voix de Sighdur était tellement basse que l’assemblée ne l’entendait guère. Ils
demandèrent à répéter, et l’on fit venir le crieur afin qu’il déclame haut et fort les
réponses de notre Tirgalion. Il répéta les mots de Sighdur, mais avec un ton plein de
mépris. La foule huait Sighdur à chaque réponse.
— Tu les as donc vus, jeune Tirgalion. Et pourquoi n’es-tu donc pas venu,
directement, comme tous tes autres camarades ? Je le répète donc à nouveau, ou
étais-tu ?
— Je me promenais, l’Ancien. Vous le savez, j’aime marcher, découvrir de nouveaux
lieux, voir de nouveaux paysages.
Il rougit, baissa encore plus la tête. Il s’apprêtait à dire où il était allé. Il savait que le
châtiment serait la garnison, en plus de la honte qu’il jetterait sur sa famille. Il aurait
tellement voulu se cacher, rapetisser encore et encore, pour pouvoir se faufiler dans
un trou de souris.
— J’ai été là où on ne peut aller. J’ai été dans les bois interdits.
À ces mots, la colère de la foule monta en intensité, vivifiée par la Mégère qui hurlait
à la trahison et au malheur qu’il apportait en Tirgoval. L’Ancien fit signe à la foule de
se calmer, le temps que Sighdur explique son aventure.
— Je sais bien que cela est interdit. Mais si vous saviez, ces bois sont si magnifiques
et paisibles, je ne comprends pas pourquoi il nous est totalement défendu d’y mettre
les pieds. Oui, ce n’est pas la première fois que j’y mets les pieds, et je n’ai jamais eu
de problème, ni fait de mauvaise de rencontre jusqu’à…
— Jusqu’à ? Interrompit cette Mégère, d’une voix pleine d’agressivité, bien
déterminée à exalter la furie de la foule.
— Jusqu’à aujourd’hui. Il y avait un géant couché dans les bois. Il était couvert de
métal, et je pense qu’il était mort. Il avait ceci sur lui.
Il tendit la bourse de cuir à l’Ancien qui remarqua directement les inscriptions. Il fit
un regard étonné, comme si celles-ci sortaient d’un autre âge.
— C’est de l’ancien Inothaï. La langue des rois, disparue depuis bien longtemps !
Sais-tu ce que ces mots veulent dire, jeune Sighdur ?
Sigdur fit un signe de la tête pour montrer qu’il ne savait pas. L’Ancien regarda
attentivement les inscriptions, pour finalement dire :
— À seul celui qui aura le pouvoir.
Il demanda ensuite au Tirgalion s’il savait ce que contenait cette bourse.
14
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
— Un caillou. Il est poli, et semble vivant à l’intérieur, comme si une brume blanche
cherchait à en sortir. Lorsque je l’ai regardé, j’ai comme été aspiré dans la pierre, et
j’ai vu plein d’ombres fantomatiques.
— Une pierre de pouvoir !
La Mégère hurla de nouveau
— C’est lui, c’est bien lui cet oiseau de malheur ! Il ramène la désolation et la
destruction en Tirgoval ! Rappelez-vous la prophétie !
Lors que par deux fois, en un jour, survoleront les pies noires,
Lorsque par deux fois, elles passeront le même soir,
Lors d’une nuit sombre, ne portant pas l’éclat de la lune,
Et que dans tout le val, sévit cette funeste brume,
Il s’aventurera seul dans les terres interdites,
Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite.
C’est alors que Tirgoval connaîtra les ténèbres,
C’est alors que le mal reviendra, nous recouvrant de son voile funèbre.
Les Tirgalions ne connaîtront plus la paix,
Ils subiront guerre, désolation et le fouet,
Finis les rires, la joie, l’allégresse en Tirgoval,
Ce sera l’annonce du retour du mal ancestral.
À peine ces mots prononcés, un terrible bruit se fit entendre dans le ciel, et de
nouveau, les corbeaux refirent leur apparition, encore plus nombreux que les trois
premières fois où elles étaient passées dans la journée.
La foule, hurlait, paniquait. Ces oiseaux de malheurs fonçaient sur la place, comme
s’ils étaient animés par une colère et une haine incommensurable. Les Tirgalions
courraient partout, cherchaient à se mettre à l’abri des coups de becs et griffes des
volatiles. C’était le chaos total. Une fois tous cachés, certains sous des abris de
fortune tels que l’estrade ou sous des tables, ils durent attendre un bon moment
avant que cette nuée d’oiseaux disparaisse. Mais leur rage avait tout saccagé. Les
bois étaient parsemés de coups de becs et griffes, des vitres avaient été brisées par
le vol des corbacks. Mais la foule était bien trop en colère que pour commencer à
tout ranger et réparer. Il fallait punir le coupable qui avait ramené le malheur dans
leur terre.
— Malheur à toi, Sighdur, qui a ramené ces oiseaux de mauvaise augure sur nous !
Tu nous paieras ça !
— Il faut le pendre à un gibet ! Comme cela si ces volatiles reviennent, ils s’en
prendront directement à lui et nous laisseront tranquille !
L’Ancien fit signe à toute la populace de se calmer.
15
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
— Mes chers Tirgalions, gardez votre calme ! Ce qui est fait ne peut être défait, car il
était de toute façon écrit que cela devait arriver. Mais oui, il nous faut trouver une
solution afin que nous puissions éviter le pire ! Puisse Dothiria avoir pitié de nous, et
nous envoyer un signe !
L’Ancien s’agenouilla, et tous firent de même. L’ensemble des Tirgalions répétaient
la prière de l’Ancien, dans l’espoir qu’elle soit entendue par Dothiria, la divinité
préférée des Tirgalions, qui les protégeait et leur donnait une vie longue et prospère.
Ô Douce Dothiria,
Protège-nous dans le noir,
Puisses-tu avoir pitié de nous,
Nous guider dans ces remous,
Réponds à notre appel, je t’en supplie,
Sois la branche sur laquelle je m’appuie.
La foule s’était calmée suite à cette prière, et l’Ancien prit le bâton qui l’aidait dans
sa marche. Il entonna d’une voix grave une phrase incompréhensible pour tous les
Tirgalions.
— Hak Abazi Muatar Loktarum Ouzefar !
Le bout de son bâton, à ces mots, devint incandescent, et il traça un cercle sur le sol.
Il traça ensuite des inscriptions, comme celles sur la bourse trouvée par Sighdur. Il
prit ensuite une petite bourse attachée à sa ceinture, qui contenait des petits bouts
de bois taillés et gravés, et répéta de nouveau son incantation. Il jeta ensuite celles-ci
dans le cercle et observa le résultat.
— Tout espoir n’est pas encore totalement perdu, mais les jours et nuits qui arrivent
s’annoncent difficiles et plein de malheur, pas seulement pour les Tirgalions, mais
pour tout Alinora. Mais la pierre ne peut rester ici, car tant qu’elle sera parmi nous,
les malheurs et désastres s’abattront sur nous. Seuls les grands sages pourront
savoir ce qu’il adviendra, mais les oracles sont formels : si de sombres forces la
trouvent, Alinora connaîtra les tourments pendant fort longtemps !
— Qu’il s’en aille alors ! Il a trouvé cette foutue pierre, il l’a ramené ici c’est à lui de
nous en débarrasser !
La foule acquiesça vigoureusement aux paroles de la Mégère. Mais, Kogndur, le
forgeron, s’avança.
— Moi je suis sûr que si on la brise, cette caillasse, cela en sera fini ! Passe-la-moi,
Sighdur, que je la démolisse !
Sighdur lui tendit la bourse, bien content de s’en débarrasser. Kogndur ouvrit la
bourse, mais lorsque sa main toucha la pierre, son visage se décomposa. Il était
assailli par la peur, ses yeux se révulsèrent et se mit à trembler de tout son être. Et il
16
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
tomba, raide mort !
La foule était stupéfaite. Personne ne se serait attendu à cela. Des rumeurs de magie
noire et de démons parcouraient l’assemblée. La Mégère reprit de plus belle
— À seul celui qui détient le pouvoir ! Regardez ce qu’il advient des êtres qui
touchent la pierre ! Elle ne peut pas rester ici, et lui avec elle !
L’Ancien reprit la parole, de nouveau en faisant des gestes pour calmer la foule qui
recommençait à s’énerver.
— Dis-moi, Sighdur, as-tu touché la pierre, toi aussi ?
— Oui. Comme je l’ai dit, j’ai vu des choses dedans, comme si j’avais été absorbé par
elle.
— Tu sembles donc immunisé à son pouvoir ? Comprends-tu, alors, la tâche qui
t’incombe ? Tu devras porter la pierre loin d’ici, aux Inothaï, qui en sont les
gardiens !
La foule acquiesça les paroles de l’Ancien, l’applaudissant, criant leur accord.
— Mais l’Ancien, comment voulez vous que je trouve ces gens ? Et qui sont-ils ?
Comment les reconnaît-on ?
— Je ne sais pas, jeune Sighdur. Mais une fois cette assemblée dissoute, marche avec
moi jusqu’à mon logis, car nous aurons à discuter quelque peu avant ton départ.
— Il est donc entendu ! Sighdur ira porter la pierre à qui de droit, en espérant que
cela puisse nous éviter les pires heures de notre histoire. Tu partiras dès demain, car
l’urgence nous touche désormais. À midi, heure tapante, nous irons te dire au revoir
à la garnison. Nous mettons tous nos espoirs en toi, jeune Tirgalion !
À ces mots, l’assemblée se dissout. Les femmes allèrent coucher les enfants, les
hommes se mirent à ramasser les débris du passage des corbeaux, toujours inquiets
mais quelque peu soulagés que l’ancien ait encore trouvé les mots et les solutions qui
convenaient.
17
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Une nuit agitée
Ils marchaient ensemble vers la maison de l’Ancien. Sighdur était plein
d’appréhension, comme tout Tirgalion, il n’avait jamais quitté Tirgoval. Il se mit à
soupirer. La tâche qui lui incombait semblait être un poids insurmontable. Il
commençait à regretter d’avoir ramassé ce foutu caillou de malheur. Il était jeté en
pâture au monde, laissé seul, jeté comme une vieille chaussette, et devant lui un
monde immense et inconnu l’attendait. Il ne savait pas comment s’y prendre, ni qui il
devait trouver. Mais l’Ancien devina bien vite les pensées de notre pauvre compère,
et le rassura.
— Cela fait bien longtemps que plus personne n’a quitté le Val. Je crois bien que oui,
j’étais le dernier à être parti.
Sighdur s’arrêta. Le vieux avait donc parcouru Alinora !
— Oui, comme toi, j’ai parcouru Alinora pendant ma jeunesse. Tu sais, chaque Ancien
l’a fait, par le passé. Nous sommes les garants du savoir en Tirgoval et nous nous
devons de connaître le monde qui nous entoure. C’est pourquoi aussi, je t’ai
demandé de m’accompagner, pour que nous parlions seul à seul. Car vois-tu, ce que
j’ai vu est bien plus grave que ce que j’ai dit durant l’assemblée.
Ils continuèrent à marcher jusqu’à sa chaumière, et il fit signe à Sighdur d’entrer. Il
prépara une bonne tisane au miel et une fois fait, ils s’installèrent à table pour
discuter.
— Cette pierre, que tu as trouvée, est une Pierre Divine, l’une des douze pierres que
l’on appelle couramment de Pouvoir. Elles ont été données aux races d’Alinora par
les Dieux, pour qu’elles puissent protéger le monde en cas de danger. Et seuls
certains êtres sont capables de les posséder et de s’en servir. C’est ce qui d’ailleurs
est arrivé au Forgeron, il a voulu tenir la pierre entre ses doigts et n’a pas résisté à
sa puissance. Curieusement, toi, tu as le don. La Pierre t’a choisi. À cause de ce don,
tu mets tout Tirgoval en danger, car il est dit dans d’anciens textes que le Mal
Incarné reviendra, et qu’Il cherchera par tous les moyens à les retrouver. Je l’ai vu,
grâce aux oracles. Les signes qui annoncent son réveil sont parmi nous.
Tu dois trouver un moyen qu’Il ne mette pas la main dessus. Il existe au Sud, une
forteresse appelée « Le Dernier Rempart ». Les hommes qui y vivent font partie d’un
vieil ordre et ils veillent sur une des Pierres, l’une des plus puissantes, afin qu’elle ne
tombe aux mains de personne. Tu dois t’y rendre, ils sauront t’aider.
L’Ancien se leva et se dirigea vers un petit coffre qu’il dissimulait sous son lit. Il le
ramena à table et l’ouvrit. Il sortit une petite dague, un parchemin bien enroulé, et
une cape faite d’un tissu étrange.
— Ce n’est pas grand-chose pour ton périple, mais tiens. Cette dague que tu vois là,
18
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
m’a été bien utile durant mon voyage, il y a bien longtemps. Elle ne te protégera pas
de grands dangers, mais tu pourras te défendre un minimum. Ceci, c’est une vieille
carte. Elle a plus de cent ans, mais c’est une bonne base pour te diriger. Quant à
cette cape, elle fut faite par un grand couturier Inothaï. Elle te teindra au sec et
chaud, qu’il pleuve, qu’il vente ou fasse grand froid. Nous nous la repassons,
d’Ancien à Ancien pour nos périples.
Sighdur remercia l’Ancêtre. Pas forcément de gaieté de cœur. Il soupira encore et
encore, retenait ses larmes. Alors qu’il rêvait de voyage et de découverte, là, d’un
coup, il ne voulait plus partir. Les mots suivants de l’Ancien le rassurèrent encore
moins.
— Sois vraiment prudent. Il a été défendu aux humains de parcourir nos terres par le
passé. Pour eux, les Tirgalions sont des êtres de légende et n’existent pas ou plus. Tu
risques d’attirer la convoitise de marchands ou quelque prince cupide, alors sois
toujours sur tes gardes et n’accorde pas ta confiance facilement. Ne mentionne pas
la pierre à moins que tu sois obligé ou que tu sois arrivé à destination. Rentre chez
toi maintenant. Fais tes bagages, légers bien sûr, et repose-toi. Tu vas en avoir
besoin.
Sighdur n’arrivait pas à dormir et se retournait constamment dans son lit. Il s’en
voulait. Pourquoi avoir été aujourd’hui dans ce stupide bois ? Pourquoi fallait-il
encore qu’il aille voir cette tâche sombre ? Pourquoi n’avait-il pas encore une simple
fois réussi à réprimer son insatiable curiosité ? L’inquiétude le rongeait, il avait
extrêmement peur de ce demain qui arrivait bien trop vite à son goût.
Il repensa à ce foutu cailloux et ce qu’il avait vu pendant qu’il la tenait. La vision
qu’il avait eu était terrifiante, il n’arrivait pas à l’expliquer correctement. Était-ce le
futur ? Le passé ? Que pouvait donc bien faire cette pierre ? Avait-elle réellement un
pouvoir ? Il fut tenté de la regarder à nouveau, mais il se ravisa. Il ne savait pas
combien de temps il avait été plongé dans cette pierre, ou combien de temps il avait
perdu connaissance. À vrai dire, il ne savait pas réellement ce qui lui était arrivé, et
il n’avait pas envie de revivre une telle expérience.
Il repensa aussi aux paroles de la Mégère et de l’Ancien. Visiblement la situation
était vraiment grave pour qu’ils s’en soucient autant tous les deux. Douchdori avait
encore été pire que les dernières fois. Elle lui avait déjà passé de multiples savons,
mais jamais elle n’avait été aussi mauvaise. Il n’avait jamais vu la Mégère cracher au
visage de quelqu’un. Leurs paroles soulevaient plus de questions qu’elles n’en
résolvaient. Quel était ce Mal, pourquoi ne pas dire ce que c’était ? Qu’est-ce qui
allait arriver ? Toutes ces questions ne faisaient que renforcer son angoisse qui
grandissait au fur et à mesure que la nuit passait. Il supplia Dothiria de lui venir en
aide, de lui envoyer un signe. Mais rien ne vint. Au bout d’un long moment, la fatigue
l’emporta et il sombra dans le sommeil.
19
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Il rêva. Il se trouvait dans une vallée verdoyante, un peu semblable à Tirgoval, mais
beaucoup plus luxuriante. Alors qu’il se promenait dans ce cadre bucolique, il tomba
sur une grande créature. Une géante, comme l’homme qu’il avait vu dans les bois.
Elle avait de longs cheveux dorés, les yeux d’un blanc éclatant, et le regardait en
souriant. Sa robe immaculée semblait légère et flottait au vent. Un halo lumineux
l’entourait, la rendant impressionnante. Mais à ses côtés, il se sentait apaisé, d’un
geste tous ses doutes, ses angoisses s’envolèrent. Elle lui adressa la parole.
— N’aie pas peur, jeune Tirgalion. Le chemin est long et la tâche est ardue, mais tu
n’es pas seul. Cherche la lune bleue dans l’eau profonde et dirige-toi à l’est. D’autres
attendent ta venue depuis bien longtemps.
Elle lui sourit une dernière fois, caressant sa joue d’une main bienveillante et
disparut dans la nuit.
20
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Adieux à la garnison
Sighdur sentit une pression sur son épaule et au fur et à mesure qu’il émergeait de
son sommeil, reconnu une voix bien familière qui l’appelait. En ouvrant les yeux, il
aperçut Taitdur, son ami le plus cher depuis sa tendre enfance. Ils étaient voisins,
avaient deux ans d’écart, et passaient la majeure partie de leur temps libre
ensemble. Taitdur était légèrement plus grand que son compère, bien qu’il soit plus
jeune. On peut dire que ces deux garnements faisaient bien la paire : Taitdur
l’intrépide, qui fonçait tête baissée au moindre danger sans jamais réfléchir, suivant
son copain à la curiosité maladive, qui dès qu’il constatait qu’il s’était fourré dans de
mauvais draps ne cessait de soupirer.
« Sighdur, allez, réveille-toi grosse feignasse ! Ils vont nous attendre !
— Hein, quoi ? Qui ça ? Et il est quelle heure, pardi ?
— 9 heures ! Il est temps de se mettre en route, on doit être à midi à la garnison pour
notre départ ! »
Sighdur se leva d’un bon et fut automatiquement réveillé. Il avait dormi si tard ! Il
alla vite chercher les affaires que l’Ancien lui avait donné, prit quelques provisions et
vêtement, emballa tout dans son baluchon et fut fin prêt, lorsqu’il s’arrêta net.
« Attends, notre départ, dis-tu ?
— Tu crois quoi, toi ? Que je vais te laisser aller vagabonder de part le monde seul ?
Non, non, je t’accompagne. Et puis, tu auras besoin de compagnie, de soutien ! Et je
ne t’ai jamais laissé tomber, comme je sais que tu feras pareil pour moi. »
Un sourire se dégagea des lèvres de Sighdur. Il ne serait pas seul, Dothiria l’avait
écouté et exaucé ! Il fit une tape amicale et d’approbation sur l’épaule de Taitdur.
Son baluchon à l’épaule, il ferma la porte de sa chère chaumière. Une larme lui
monta au visage. Il aimait ce lieu qui l’avait vu naître et grandir. C’était la demeure
familiale, venait de son père et qu’il avait gardée lorsque ces parents étaient partis
rejoindre le grand jardin de Dothiria. Perdu dans ses pensées, il fut vite rappelé à
l’ordre par son ami.
« Hum ! Je sais pour toi que c’est dur. Mais je te connais, tu n’aurais jamais résisté à
aller ramasser ce foutu cailloux comme je suis sûr que tu diras durant tout notre
parcours ! Allez, le vaste monde nous attend. Même si le voyage ne semble pas être
propice, rappelle-toi que l’on en a toujours rêvé ! »
Sighdur hocha de la tête. Son compagnon avait raison. Ils se mirent en route, sans
jamais se retourner.
Ils ne parlèrent pas en chemin. Tout du long de la route, Sighdur regardait le
paysage. Il ne savait pas quand il reviendrait, s’il remettrait même les pieds un jour
21
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
dans le Val, et voulait mémoriser à jamais dans sa tête cette si belle vallée
verdoyante, havre de paix et de bonheur pour tous les Tirgalions. Il retenait chaque
plante, chaque colline. Il s’arrêta pour tremper quelques instants ses pieds dans la
Ghlisbar et y rempli sa gourde. Il aurait voulu s’y jeter entièrement dedans, et nager,
nager jusqu’à la fin du jour. Il fut rapidement rappelé à l’ordre par Taitdur qui voyait
l’heure tourner et qui commençait à s’impatienter.
Pour leur donner du courage, Taitdur commença à chanter. Le chant du voyage que
Sighdur avait chanté si gaiement hier en se rendant dans les bois interdits. Ce qui ne
plut pas le moins du monde son compère qui commença à soupirer encore et encore.
Au bout d’un petit temps, Taitdur, voyant que son chant provoquait l’effet inverse à
celui souhaité, stoppa net de chanter.
Ils arrivèrent finalement en vue de la Garnison. Une petite troupe les attendait.
Nombre de Tirgalions étaient venus voir le départ Sighdur, principalement pour se
rassurer, voir qu’il prenait bien la route. Mais l’on remarquait que certains
l’enviaient : beaucoup de jeunes rêvaient de découvrir le monde qui se trouvait audelà de la forêt. En tête de ce groupe, l’Ancien s’avança pour les accueillir.
« Tu as donc trouvé quelqu’un pour t’accompagner. Bien, bien »
L’Ancien sourit aux deux jeunes aventuriers. Il semblait satisfait, rassuré que
Sighdur ne prenne la route seul. l’éleva la voix, afin que tous présents, entendent
bien ses mots.
— Jeunes Sigdur et Taitdur, nous vous envoyons par-delà le Val. Puisse Dothiria vous
accompagner et vous soutenir dans votre long périple. Nous, Tirgalions, plaçons en
vous nos espoirs. Notre survie en dépend.
Imitant l’Ancien, tous s’agenouillèrent devant eux, pour leur témoigner le plus grand
respect. Les femmes tapissèrent la voie de fleurs jusqu’au grand portail qui donnait
sur la forêt. Déjà de là, Sighdur, en regardant devant lui, voyait bien que la route
disparaissait rapidement, envahie par la nature qui avait repris ses droits depuis bien
longtemps. Une forêt, sombre, sauvage, mais magnifique.
Ils reçurent des victuailles à tel point qu’ils durent en refuser, ne pouvant tout
porter. Mais Sighdur garda bien les saucissons de Cochodori, qui était venue
spécialement les lui apporter pour son départ.
Il était temps de se mettre en route. Après les dernières embrassades et mots
d’adieux, nos deux amis pénétrèrent dans la forêt interdite.
Taitdur fut tout de suite émerveillé par la beauté de ces bois, et il eut la même
réflexion que Sighdur il y a de cela bien longtemps, à savoir qu’il était vraiment
dommage qu’il soit interdit de se promener par ici. Il marcha d’un enthousiasme sans
faille, devant bien souvent encourager son compagnon qui traînait quelque peu des
22
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
pieds.
Comme Sighdur l’avait vu, la route s’effaçait assez rapidement au fur et à mesure
qu’ils s’enfonçaient dans les bois. La route n’était bientôt plus qu’un lointain
souvenir et avançaient à tâtons dans ces immenses bois. Taitdur était tout guilleret,
bien heureux de pouvoir parcourir le monde à sa guise. Mais Sighdur, lui, n’avait pas
le cœur à aller de l’avant. Bien que son rêve l’ait quelque peu ragaillardi, il était
toujours inquiet. Il ne savait pas où ils devaient aller, les indications qu’ils avaient
reçus étaient tellement vagues !
Ils marchèrent encore et encore, jusqu’à la nuit tombée. Taitdur s’émerveillant des
plantes magnifiques, des petits ruisseaux bucoliques, et du chant des oiseaux (on a
insisté pour que j’insère cette phrase. Sérieusement, je trouve que ce genre de
diatribes particulièrement neu-neu. Je n’arrive pas à comprendre leur intérêt). Une
fois le soleil couché, ils firent un petit campement de fortune, à l’abri dans des
fougères, mais n’osèrent faire de feu. Ils ne savaient pas quelles créatures rodaient
dans le noir, ils préféraient être prudents et ne pas se faire remarquer. Après un
repas frugal mais copieux, ils décidèrent de se reposer.
Sighdur n’arrivait pas à fermer l’œil. Les bruits de la forêt le faisaient sursauter, et il
n’arrivait pas à trouver de position confortable. Il n’avait jamais quitté son petit lit
douillet. Il se retrouvait à même le sol, les racines lui rentrant dans les côtes. Mais il
était surtout rongé par le remords et l’inquiétude. Quant à Taitdur il ne semblait pas
inquiet pour le moins du monde et visiblement dormait comme un bébé.
Ils se levèrent à l’aube, et se mirent directement en route, cassant la croûte en
marchant. Au fur et à mesure de leur progression la végétation se fit de plus en plus
dense, et par moment ils ne pouvaient voir le ciel tant les branches des arbres
s’entremêlaient.
23
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Un bien singulière rencontre
Au bout de quelques heures, ils pensèrent avoir atteint le cœur de la forêt :
l’atmosphère y était étouffante. Les arbres étaient tellement concentrés que malgré
leur petite taille, ils éprouvèrent des difficultés pour progresser, devant éviter
branchages et troncs rapprochés. Soudain, ils s’arrêtèrent net. Alors qu’ils n’avaient
perçu que le chant tout joyeux des oiseaux depuis le début de leur progression, ils
entendirent des craquements. Quelqu’un était proche, et marchait nonchalamment,
faisant craquer tous les bouts de bois sous ses pieds.
Nos deux amis repérèrent un buisson et s’y faufilèrent vite fait. Quel ne fut pas leur
étonnement lorsqu’ils aperçurent une femme. Elle ne ressemblait à aucune
Tirgalionne : elle avait les cheveux d’une couleur pourpre, des oreilles taillées en
pointes. Quant à son teint, il n’en avait jamais vu un pareil ; il était verdâtre, bien
plus prononcé que celui du gros Panssdur avait trop mangé et qu’il se retenait de
régurgiter. Elle était bien plus grande qu’eux, devait avoir une taille équivalente à
celle du géant que Sighdur avait croisé quelques jours plus tôt.
D’un coup, la créature s’arrêta de marcher. Elle leva la tête, et commença à sentir
l’air autour d’elle, comme si une odeur inhabituelle l’avait submergée et en cherchait
la source. Ils purent mieux l’observer, et se rendirent compte qu’elle était très très
belle. Ses traits de visage étaient fins, avec des yeux couleurs de l’océan. Après avoir
reniflé quelques secondes, elle se tourna vers le buisson qui les cachait et s’adressa
aux deux compères.
— Mais que vois-je là, donc ? Ne serait-ce donc pas des petits Tirgalions ? Qu’est-ce
que vous faites là, si loin de chez vous ?
Elle s’approchait, avec un rictus que ni Sighdur ni Taitdur n’auraient pu dire s’il était
amical ou mauvais. Ils ne savaient pas comment réagir et étaient tétanisés sur place.
Voyant la peur qui transpirait de tous les pores de nos deux Tirgalions tout penauds,
elle ralentit et dit d’une voix plus calme.
— Rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal. Je me nomme Séléna, maîtresse de
cette forêt depuis tant d’années. Je n’ai plus vu de Tirgalion depuis, depuis…
Elle fit une pause, levant la tête semblant chercher la réponse au fond de son esprit.
Mais globalement, nos deux compères avaient surtout l’impression qu’elle était en
train de sentir quelque chose, vous savez comme lorsqu’on essaie de détecter
l’origine d’une odeur venant d’un derrière. Oui, elle semblait « sentir le pet ».
Mais suivez-moi donc, vous êtes bien loin de chez vous, venez donc prendre une
tasse de thé dans mon humble maison !
Ils se regardèrent tous les deux, et Taitdur haussa les épaules.
24
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
— Certes, madame ! Nous acceptons volontiers votre invitation ! Cela fait deux jours
que nous marchons, un bon thé ne serait pas de refus !
Sighdur fronça les sourcils. Il n’aimait pas trop la réponse de son compère, même si
un bon petit thé lui ferait le plus grand bien. Mais ni Séléna ni Taitdur ne le
laissèrent émettre la moindre objection en se mettant en route. Il soupira un bon
coup puis trotta derrière eux pour les rattraper.
Ils suivirent donc cette étrange créature, qui s’enfonçait un peu plus profondément
dans les bois, délaissant ce qui restait de la route. Au bout de quelques instants, ils
arrivèrent à l’orée d’une petite clairière, et au milieu d’elle une charmante
maisonnette, avec un grand pourtour de fleurs. Les deux Tirgalions ne purent
résister au charme bucolique de l’endroit et marchèrent d’un pas tout joyeux vers la
chaumière.
Une fois à l’intérieur, ils découvrirent une demeure bien coquette : des petites
tapisseries dans des cadres bucoliques et champêtres décoraient les murs, les
meubles étaient faits avec amour dans un bois que les deux Tirgalions n’arrivaient
pas à définir, mais qui semblait bien robuste. Leur hôtesse leur fit signe de s’asseoir,
en mettant quelques livres sur les chaises afin qu’ils puissent voir correctement la
table, les meubles n’étant bien sûr, pas adapté à la petite taille des Tirgalions.
Pendant qu’ils grimpaient et prenaient place, elle alla préparer le thé, et chercher
quelques biscuits qui trônaient sur une étagère.
Une fois que tout fut prêt, elle se mit à table.
— Bien, maintenant que tout est prêt, présentons-nous un tout petit peu plus. Comme
je vous l’ai dit, je m’appelle Séléna et je vis ici depuis bien longtemps, à vrai dire je
ne me rappelle plus trop bien, je ne compte plus les années ! Et je dois dire que cela
fait un bon bout de temps que je n’avais plus vu de Tirgalions ! Qu’est-ce que vous
faites si loin de chez vous ?
Ce fut Taitdur, qui plein d’assurance et avec une certaine fierté, prit la parole.
Sighdur ne disait un mot, humant son thé et le dégustait en silence. Cette personne
ne lui inspirait pas du tout confiance.
— Je suis Taitdur et voici mon ami de longue date Sighdur. Nous sommes en mission
pour le Val !
À ces mots, Sighdur se tourna vers lui, ses sourcils se froncèrent tellement qu’ils
atteignirent presque le bas de leurs paupières. Il n’avait pas répété les mots de
l’Ancien, sur le fait qu’ils ne devaient faire confiance à personne. Il aurait dû lui
toucher un mot. Mais Taitdur le comprit au regard de son ami et ne continua pas son
explication.
— En mission pour le Val ? Voilà qui est passionnant ! Moi qui croyais que les
25
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Tirgalions ne passaient leur temps qu’à chanter et faire des farces aux autres !
— Mais oui, nous en sommes en mission, justement, notre ancien va fêter ces deuxcent ans et nous allons lui faire un tour du tonnerre. C’est pourquoi on nous a envoyé
par-delà Tirgoval pour la préparer !
Séléna sourit et se resservit une tasse de thé et leur proposa un biscuit. Ils étaient
délicieux, Les Tirgalions n’en avaient jamais mangé de telle sorte, se demandant bien
avec quelle farine ils avaient été cuits. Mais Taitdur était pensif et se posait
tellement de questions qu’il n’arrêta pas d’interroger leur hôtesse.
— Et vous madame Séléna, vous connaissez donc notre existence, à nous, Tirgalions.
Mais vous, qu’êtes-vous, si je puis me permettre ?
Elle pouffa de rire en entendant cette question.
— Vous semblez bien ignorant, Monsieur le Tirgalion, pour vous aventurer hors de
vos terres ! Je suis une nymphe, comme il n’en reste plus beaucoup en Alinora. Nous
avons été massacrées pour la plupart d’entre nous, et nous nous sommes éparpillées
dans tout le continent. Je vis comme la plupart de mes semblables, cachée, et votre
forêt est l’endroit idéal pour être tranquille !
— Les humains sont si terribles que ça ? Ce sont bien eux qui vous ont fait ça ? On
nous a dit de se méfier d’eux !
— Oui, les humains ne nous aimaient pas beaucoup. Ils voulaient qu’on les serve,
qu’on serve de bêtes de compagnie à leurs grands seigneurs pour leur plus grand
plaisir et leur divertissement. Mais nous ne nous sommes jamais laissées faire, et de
rage, comme ils n’arrivaient pas à nous dompter, nous ont truandées.
Les deux compères se regardèrent. Sigdur trembla en entendant ces mots, se
rappela également de ce que lui avait dit l’ancêtre sur les humains. Au plus il
entendait parler des géants, au moins il avait envie de les rencontrer et rebrousser
chemin. Mais Taitdur, avide de savoir, continuait de questionner Séléna.
— La forêt ici, il n’y a donc que vous qui y viviez ?
— À ma connaissance, oui. Vous savez, les humains n’y mettent pas les pieds. Pour
eux, cette forêt est maudite et personne n’ose la traverser. Les hauts-nobles
d’Alinora la décrétèrent maudite pour que personne ne s’y aventure et découvre
votre vallée. Votre ancien ne vous l’a-t-il pas expliqué ?
— Non. Il est le gardien du savoir. C’est lui qui garde la mémoire, qui connaît le
monde et l’histoire. Avec toutes ces connaissances, il nous conseille. Et s’il ne
raconte pas toute l’histoire d’Alinora, hormis certaines vieilles légendes qui
concernent les Tirgalions, il dit que c’est pour notre bien et que nous puissions vivre
en toute insouciance, sans qu’on aie à se préoccuper de ce qui nous entoure ou de
26
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
notre passé.
— Hé bien, on va faire un mini résumé : il y a bien longtemps, il y eut une grande
guerre, qui unit une grande partie des peuples d’Alinora, à savoir les humains, les
Sylvains et Trappus contre Gogol, le Seigneur fou des terres du nord. Les Tirgalions
étaient pris entre deux feux, et beaucoup périrent. Lorsque Gogol fut vaincu, les
nobles d’Alinora vous donnèrent cette terre, devenue Tirgoval pour que puissiez
vivre en paix et ne plus subir les guerres, devenues si communes sur tout le
continent.
Ils l’écoutèrent parler encore et encore, mais au plus elle parlait, au plus les
questions s’accumulaient pour nos deux amis, se demandant dans quel monde ils
allaient atterrir. Ils l’écoutèrent tellement parler qu’ils n’avaient pas vu que le soleil
atteignait l’horizon et qu’il leur faudrait trouver un endroit où passer la nuit. Séléna,
les voyant regarder par la fenêtre arrêta le plongeon dans le passé d’Alinora.
— Diantre ! Il est déjà si tard ! Le temps passe vite lorsque je raconte toutes ces
histoires ! Je vous ai retenu plus que je ne l’aurais du, mais comme le soleil a déjà
passé l’horizon, que diriez-vous de dormir au chaud pour cette nuit ?
C’était la proposition à ne pas refuser. Sighdur n’avait presque pas fermé l’œil
depuis leur départ, Taitdur bien qu’il ait dormi correctement, s’était réveillé avec
moult courbatures. Même si Sighdur ne sentait toujours pas à l’aise, s’ils pouvaient
dormir au chaud bien tranquillement, autant en profiter ! Ils partiraient dès l’aube,
quitte à ne pas attendre que Séléna se réveille.
Ils discutèrent encore durant une bonne partie de la soirée, Taitdur racontait la vie
quotidienne en Tirgoval à leur hôte, et elle répondait à leur question. Ils
s’endormirent bien tard, mais bien au chaud, leur charmante hôtesse leur ayant fait
un peu de place au pied de son lit afin qu’ils soient bien installés.
27
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
Où est-ce qu'elle est, la jolie maisonnette?
Bien tard dans la nuit, un rire étrange et des chuchotements réveillèrent Sighdur en
sursaut. Il ne reconnaissait plus les lieux, la maison était toujours là, mais elle avait
complètement changé. Les beaux murs blancs avaient fait place à des murs
totalement sombres, aussi noirs que du charbon. Les tapisseries bucoliques avaient
disparu, laissant place à des trous faisant office de fenêtres qui donnaient sur une
forêt totalement décrépie. La saleté était omniprésente. Un étrange chaudron
chauffait dans l'âtre, celui-ci était garni de crânes et d'ossements en tout genre. Il
réveilla vite fait Taitdur qui, totalement effrayé, eut la même vision.
C'est alors qu'ils les aperçurent. Ils avaient plus ou moins la même taille qu'un
Tirgalion moyen, mais c'était bien la seule comparaison qui était possible. Leur peau
tendait vers le vert et le brun, était parsemée de cicatrices, comme si celles-ci
indiquaient avec fierté des marques de guerre. Leurs cheveux étaient en bataille et
ne semblaient plus avoir touché de peigne depuis bien des années. Mais ce qui
effrayait le plus les deux Tirgalions n'était ni plus ni moins leur regard qui était de
braise, habité par une haine vivace. Et ils observaient nos deux amis avec un sourire
plus que malsain. Selena était derrière eux, et fouillait avec fébrilité dans les affaires
des Tirgalions.
— Je l'ai sentie ! Je suis sûre que j'en ai senti une !
Elle se tourna vers eux. Son sourire, ses yeux étaient eux aussi envahis par cette
braise, cette haine si intense. Ils reconnaissaient à peine la Nymphe qui les avait
accueillis plus tôt dans la journée.
« Dites-moi, vous deux ! Où est-ce qu'elle est ? Où l'avez vous cachée ? Je sais ce que
vous transportez, donnez-la-moi !
— Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler », répondit Sighdur. « Mon ami
vous l'a dit, nous sommes en route pour quérir quelque ingrédient pour la farce de
l'Ancêtre ! »
La réponse qu'il obtint fut l'hilarité générale chez les gnomes qui les observaient.
L'un deux, munis d'une lance, s'avança et la pointa directement en direction de la
gorge de Sighdur.
« Ce n'est pas bien de mentir, mon petit ami. Quand Maîtresse demande, tu réponds
sans faillir. Quand Maîtresse ordonne, tu obéis. Il va falloir vite vous y faire, les
gaillards, sinon vous allez tâter de nos fers ! »
Un deuxième se rapprocha et gifla violemment Taitdur. Le coup était si fort qu'il se
sentait tomber, mais se rattrapa d'une main.
« Tu fais moins le malin là, hein, Monsieur le Fanfaron ! Monsieur, j'ai une mission
28
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
pour le Val ! Toi aussi, je vais t'apprendre à ne plus mentir ! »
Les coups s'abattirent, les un après les autres, tout aussi violents que le premier
jusqu'à ce qu'il tombe inconscient. Puis, ce fut au tour de Sighdur de connaître le
même sort.
À leur réveil, ils virent qu'ils étaient enfermés dans une cage, comme celles qu'ils
utilisaient pour leurs poules. Ils n'étaient plus dans la maison, mais dans une grotte.
Sighdur supposa qu'elle devait être sous la maison, en observant un escalier taillé
directement dans la pierre et qui montait vers un éventuel étage supérieur.
La grotte subissait le même aspect que la demeure dans laquelle ils s'étaient
réveillés. La Pierre était sombre comme l'ébène, le sol recouvert de gravillons et
d'ossements en tout genre, allant du petit animal à celui d'êtres humanoïdes. Un peu
plus loin se trouvaient des instruments étranges, vraisemblablement destinés à
trancher, arracher des membres ou organes. Selena se tenait devant leur cage, avec
les gnomes bizarres derrière elle, et répéta une nouvelle fois sa question.
— Où est-elle ?
Sa voix était de plus en plus forte, portée par la colère et l'envie. Sighdur se leva
d'un trait, et tout en se tenant à la cage, dit avec colère :
« Mais puisque je vous dis que je ne sais même pas de quoi vous parler !
— Mais bien sûr, mon petit Tirgalion. J'ai senti une pierre de pouvoir dans les bois,
c'est d'ailleurs pour cela que je suis venue à votre rencontre. Car je sais que c'est
vous qui la transportez.
— Faut arrêter la moquette, madame ! Si vous voulez des cailloux, il y en a plein les
bois ! Les pierres magiques, ça n'existe pas ! »
Les créatures firent en pas en arrière. Il ne faut pas contredire maîtresse. Quand
maîtresse se fâche, bonjour les dégâts. De fait, la fureur se lisait sur son visage. Un
vent froid se mit à souffler dans la grotte. Il se concentra sur les deux Tirgalions, qui
se mirent à trembler. Taitdur, voyant son ami souffrir par ce vent glacial, demanda à
ce qu'elle s'arrête.
« D'accord, arrêtez ! Je vais vous le dire !
— Où est-elle ?, demanda-t-elle à nouveau.
— tout prêt...
— Où ça ?
— Dans ton cul. »
Stupeur générale. Ni Selena, ni les gnomes maléfiques ne s'étaient attendu à une
telle réponse. La nymphe se mit à rire. Ses minis sbires hésitèrent un instant, puis
29
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
s'esclaffèrent à leur tour. Mais cette hilarité n'était point joviale, au contraire, elle
glaçait le sang des deux malheureux enfermés comme des poules. Au bout d'un petit
instant, Selena reprit un air sévère et arrêta son rire malfaisant. Les créatures
derrière elle stoppèrent aussi sec.
« -Vous ne perdez rien pour attendre, petits Tirgalions. Dès demain, nous
reprendrons cet interrogatoire et je commencerai votre éducation. Vous êtes comme
ces pauvres Tirgalions perdus dans la forêt bien avant vous. Vous êtes à moi
dorénavant, et comme eux, vous me servirez et m'adorerez jusqu'à ce que la mort,
qui viendra bien tardivement, vous prenne ! Mes chers gnomes, surveillez-les, le jour
va bientôt poindre, il est temps pour moi de me reposer ! Me promener dans le soleil
m'a épuisée ! »
Sighdur observa le mécanisme de cette cage. Un cadenas, rien de bien sorcier à
ouvrir s'ils avaient les ustensiles adéquats. Mais à chaque regard qu'il posait hors de
la cage, il était rappelé à l'ordre par un de ses tortionnaires.
Lorsque Sighdur et Taitdur commencèrent à dodeliner de la tête et tentaient de
trouver une position confortable pour se reposer, les gnomes décidèrent de tirer à la
courte-paille celui qui devrait garder les deux Tirgalions durant la journée. Ce fut le
plus grand, un peu benêt qui dut s'y coller, à la grande satisfaction de ses confrères.
Sighdur, en regardant ces êtres immondes, supposa même qu'ils avaient entourloupé
leur camarade, et que ce n'était pas la première fois qu'ils agissaient de la sorte.
C'est bien simple, ils dans leurs palabres, ils l'avaient chaque fois appelé « Big
Dadais ». Ces derniers s'en allèrent dans une sorte d'alcôve un peu plus loin et on ne
les entendit plus, hormis quelques grossiers ronflements sporadiques.
Profitant de la distraction de leur geôlier, il fallait bien dire qu'il n'était absolument
pas malin, et que le moindre bruit suspect lui faisait faire une mini ronde de
surveillance, Sighdur et Taitdur fouillèrent leurs poches et plis dans leurs vêtements.
À leur grande satisfaction, leurs tortionnaires, dans leur hâte, ne leur avaient pas fait
subir une fouille corporelle, et par miracle Sighdur trouva une épingle de sûreté bien
calée au fond de sa poche. Il ne lui en fallait pas plus pour crocheter ce maigre
cadenas, ils devaient juste arriver à distraire le « grand benêt ». C'est là qu'une
brillante idée émergea dans son esprit.
« Dis-moi, Taitdur, tu te rappelles de la berceuse que chantonnait Chandori pour
nous endormir ? Celle qui parlait de grands voyages, de ce Tirgalion solitaire, avide
de découverte, mais qui se sentait bien seul, loin de sa terre ? Tu pourrais nous la
chanter ? »
Taitdur comprit tout de suite le subterfuge. Il commença à entamer une
chansonnette, avec une voix faible et douce pour ne attirer l'attention sur eux.
La technique fonctionna à merveilles. Leur geôlier, après avoir versé une petite
30
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
larme, dodelina de la tête et s'assoupit sous le doux chant de Taitdur. Dès qu'ils
furent sûrs et certains que le « grand benêt » dormait à poings fermés, Sigurd sortit
son épingle et se mit à bidouiller la serrure du cadenas qui ne tarda pas à céder.
Ni une ni deux, ils sortirent de la cage sans faire le moindre bruit. Mais Taitdur ne
voulait pas partir sans faire un vilain tour aux créatures qui les avaient martyrisés
toute la nuit. Il s'approcha d'elle tout doucement, à pas de Tirgalion bien furtif, et
noua les lacets de ses chausses entre eux. Lorsqu'ils se lèveront, ils se prendront un
gamelle bien solide. C'était bien peu payé face aux atrocités qu'ils leur avaient fait
subir, mais c'était tout de même mieux que rien. Une fois son méfait accompli, ils
prirent la poudre d'escampette, grimpant quatre à quatre les marches vers ce qu'ils
pensaient être la sortie.
Sighdur avait vu juste : les grottes où ils avaient été séquestrés se trouvaient bien
sous la demeure, l'entrée dissimulée aux visiteurs, par une tout petite alcôve derrière
la cheminée. La maisonnette avait repris l'apparence qu'ils avaient connue avant leur
sommeil et le soleil brillait, majestueux dans le ciel. La journée était déjà bien
avancée, selon eux il ne devait pas être loin de midi.
Tout doucement, à pas de loups, ils avançaient vers la porte, qui signifiait pour eux la
fin de leur calvaire. Il leur restait cependant un gros problème : la porte était fermée,
et nos Tirgalions étaient bien trop petits pour actionner le levier. De plus, elle était
là. Endormie, certes, mais elle était là. Il fallait donc éviter de faire le moindre bruit,
sinon, c'en était fini de leur course. Et honnêtement, Sighdur n'osait pas imaginer de
quoi était capable une créature aussi malsaine avec la pierre à sa portée.
Pendant que Taitdur réfléchissait à un moyen de franchir cet obstacle, Sighdur, lui,
cherchait leurs affaires. Il n'eut pas longtemps à chercher, elles traînaient toujours
sur la table de cette vilaine sorcière. Il rassembla tout ce qu'il put, hormis la
nourriture qui avait mystérieusement disparu et fit vite deux baluchons.
Taitdur lui intima de monter sur ses épaules, ce que Sighdur fit de suite. Le premier
commença à se relever ensuite, et les deux Tirgalions, en faisant donc la courte
échelle, purent actionner le mécanisme de la porte. Malgré le cliquetis émis par la
clenche, qui provoqua un stress énorme chez nos deux compères, Séléna ne semblait
pas se réveiller. Ils sortirent vite fait de la demeure et se mirent à courir le plus vite
possible pour sortir de la clairière.
31
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
La cachette ultime pour un précieux caillou
Lorsqu'ils franchirent la lisière de ce havre au milieu de cette sombre forêt, un cri
strident résonna à des kilomètres à la ronde. D'abord seuls des hurlements étaient
audibles, mais peu après, une phrase retentit dans toute la clairière.
Rattrapez-les, triples crétins !
Séléna hurlait, sa voix furieuse était portée par le vent. Ils tremblèrent quelques
instants, puis les deux Tirgalions se mirent à courir de plus belle pour tenter de
mettre le plus de distance possible entre eux et leurs poursuivants. Ils ne
s'arrêtèrent pas plus lorsque la nuit arriva, car ils avaient bien trop peur de se faire
prendre à nouveau par leurs étranges tortionnaires. Ce n'est que vers minuit qu'ils
s'accordèrent une pause, et Taitdur, tout haletant, posa enfin la question qui lui
brûlait les lèvres depuis que Selena avait entamé son interrogatoire.
— Mais la Pierre, où est-elle ? C'était bien ça qu'elle cherchait, non ? Elle n'était pas
dans les affaires !
Un sourire se forma sur les lèvres barbues de Sighdur.
— En fait, tu n'étais pas très loin de la vérité. Bien sûr, comme je ne savais pas ce qui
allait nous arriver, je l'ai cachée avant que nous nous mettions en route. L'Ancêtre
m'avait dit de me méfier de tout le monde. Je l'ai donc mise dans le seul endroit où
elle ni ses sbires n'ont pas pensé à fouiller !
Sighdur enfonça une main dans son caleçon et commença à triturer son derrière. Au
bout de quelques gémissements, mini sauts et tours de main, il sortit la bourse de la
pierre avec un sourire triomphal.
— Tu vois, elle est bien là, à l'abri ! Là au moins je suis sûr qu'on ne cherchera pas à
aller fouiller !
Taitdur se mit à rire comme un petit fou. Il trouvait la petite blague fort plaisante.
Mais Sighdur avait bien raison, jamais il aurait pensé à chercher la pierre dans un
trou de balle. Sighdur remit la pierre dans sa cachette de fortune, en demandant à
son compère de se retourner. Ce dernier, quant à lui, avait repris son souffle et
commençait à s'impatienter.
Dépêche-toi, Sighdur, remettons-nous en route, je n'ai franchement pas envie de
retomber sur ces monstres. On ne sait pas où ils sont, vaut mieux ne pas traîner !
Ils marchèrent d'un pas rapide, forçant le plus possible l'allure. Et tout en avançant,
Sighdur rappela les mots de l'Ancêtre, expliqua à Taitdur qu'il ne fallait en aucun cas
qu'ils parlent de la pierre à moins d'être sûr que leurs interlocuteurs soient dignes de
confiance. Il lui expliqua aussi les craintes du vieux, de ce qu'il avait vu et ce que
cette pierre pourrait annoncer. En entendant ces mots, son compagnon devint tout
32
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
blême. Comme Sighdur quelques nuits auparavant, les questions et l'inquiétude
l'envahirent : comment pourraient-ils, eux, de simples petits Tirgalions, éviter les
catastrophes qui s'annonçaient ? Et comment trouver ces « Inothai » et comment les
reconnaissait-on ? Mais Taitdur l'intrépide chassa rapidement tous ces doutes : la
soif de découverte du monde inconnu l'emporta bien vite sur tout le reste.
Ils continuèrent à marcher de pied ferme, jusqu'à ce qu'ils retrouvent des traces
familières. À leurs pieds, quelques fougères avaient été piétinées. Le reste de la flore
environnante était aplati, prenant les formes de deux petits corps qui s'étaient
couchés là. Ils constatèrent avec désarroi qu'ils n'avaient pas avancé, mais dans leur
fuite précipitée, avaient rebroussé chemin : ils étaient retournés à l'endroit où ils
avaient campé la nuit précédente !
« On y arrivera jamais, soupira Sighdur. Nous sommes en train de retourner vers le
val, nous avons perdus tant de temps. Je crois bien qu'on est perdu. »
« Ne te laisse pas abattre copain. Je sais bien que pester est ta spécialité, mais il est
encore trop tôt pour s'avouer vaincus. Allez, remettons-nous en route !
Ils bifurquèrent et reprirent leur marche de plus belle. Sighdur continuait de pester
dans son coin, suivant un Taitdur bien décidé à sortir de la forêt au plus vite. Mais
son enjouement était feint, pour ne pas inquiéter outre mesure son compagnon. Dans
sa tête, il ne cessait de prier Dothiria qu'ils ne retombent pas nez à nez avec les viles
créatures qui les avaient tourmentés.
Ils s'accordèrent une longue pause à l'aurore. Selon que ce qu'ils avaient vu ce
matin, les créatures bizarres qui les pourchassaient semblaient ne pas aimer la
lumière du soleil. Ils décidèrent de se reposer un peu avant de reprendre leur
marche. Chacun prit un tour de garde d'une heure pour que l'autre puisse dormir un
peu, et ensuite, ils repartirent toujours d'un pas décidé.
Ils refirent une pause similaire en fin d'après-midi, histoire de se reposer jusqu'à ce
que le soleil passe l'horizon. L'endroit où ils s'étaient arrêtés regorgeait de
champignons, et les deux Tirgalions affamés en firent un festin. Ils se reposèrent de
la même manière que leur pause matinale et reprirent une marche forcée durant
toute la nuit.
Ils avancèrent durant trois jours sans jamais se détourner, et en gardant le même
modus operandi. Il leur arrivait de ne rien manger pendant une journée, se
nourrissant que de ce qui poussait dans les bois. De temps à autre, des bruits
effrayants retentissaient autour d'eux, et ils se cachaient jusqu'à ce qu'ils soient sûrs
que la menace soit passée. La fatigue et la faim commencèrent à s'installer, et ils
puisaient dans leurs derniers retranchements, ce qui n'empêcha pas leur cadence de
marche ralentir. À la fin du troisième jour, ils atteignirent l'orée de la forêt et se
retrouvèrent face à une vaste plaine.
33
Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate
34

Documents pareils