Les douze foutus cailloux d`Alinora - La nuit de la lune
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Les douze foutus cailloux d`Alinora - La nuit de la lune
Greg "LeGreg" Siebrand Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Publié sur Scribay le 11/10/2015 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate À propos de l'auteur Salut, moi c'est Greg! J'ai commencé à poser des vers sur des feuilles de papiers durant mon adolescence. Depuis quelques années, je partage mes écrits sur la toile. Amoureux de la culture libre, j'ai décidé de laisser tous mes écrits en libre accès, et pour ceux qui le souhaitent, ils peuvent me soutenir via un don ou une acquisition de mes histoires dans de jolis objets que l'on appelle communément livres. Je ne prétend pas être un Rimbaud ou un Hugo, mais je ne demande qu'à m'améliorer! Vous pouvez également me trouver sur mon blog, où je radote aussi sur le monde, la technologie, la culture libre et mon parcours dans l'auto-édition en plus de mes histoires. À propos du texte Il est loin, le temps de l’âge d’or. Elle n’est plus, la splendeur d’alors. Par ces maux et malheurs, Gogol nous ruina, À une longue nuit sans saveur, il nous condamna. Les peuples d’Alinora sont totalement désunis, Des Trapus, nous n’entendons plus aucun bruit, Les Sylvains, dans leur sombre forêt se sont retirés, Les Tirgalions, dans leur contrée, complètement oubliés. Les Hommes n’ont plus de roi et de lumière pour les guider, Brisée, la grande lignée Inothaï aux quatre vents s’est éparpillée, Les chefs des grandes familles se proclamèrent maîtres et rois, À l’unité des hommes et à la paix, plus personne ne croit. Prends garde, car les heures les plus sombres sont encore à venir, Car les tourments et grands malheurs sont appelés à revenir, Un jour sans lune, son esprit se réveillera, Et sa soif de colère et de pouvoir nous consumera. Prends garde à la lune écarlate, C’est le signe ultime qui annoncera son éveil, Il sera fin prêt à retrouver les pierres scélérates, Et s’il les trouve, disparue sera la lumière du soleil. Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Mais tout n’est pas perdu, il nous reste un espoir, Qu’un esprit vaillant, nous guide dans le noir. La descendance du dernier pourrait se révéler, Et avec l’aide de valeureux, dans les ténèbres nous guider. Si tel est le cas, Alinora pourrait revivre un âge d’or Où paix, prospérité et sagesse nous prendrait à bras le corps, Où les Tirgalions nous émerveilleraient à nouveau, Où Sylvains, hommes et Trapus ne seraient plus rivaux. Mais l’espoir est mince, car ce guide nous est inconnu, et nous, hommes du peuple, depuis longtemps, ne l’espérons plus. Nous prions constamment, pour qu’il se fasse connaître, Afin que les ténèbres de Gogol, à jamais, puissent disparaître. Légendes perdues d’Alinora, du Grand Sage Figuiel, de la maison Eliborienne. Licence Transfert dans le Domaine Public Licence Creative Commons 0 L'auteur abandonne tous ses droits d'auteur sur l'œuvre, dans la limite de la loi de chaque pays. L'œuvre peut être distribuée, exploitée ou modifiée sans aucune restriction, à l'exception de celles exigées par la loi de chaque pays. La licence sur le site de la fondation Creative Commons 3 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Table des matières Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Un jour comme un autre, en Tirgoval Un bien joli caillou L'assemblée Une nuit agitée Adieux à la garnison Un bien singulière rencontre Où est-ce qu'elle est, la jolie maisonnette? La cachette ultime pour un précieux caillou 4 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Salut à toi, ô cher lecteur. Tu tiens en tes mains le plus grand ouvrage de tous les temps ! Mais avant de t'expliquer en quoi ce livre est important, laisse-moi me présenter. Je me nomme Figuiel le jeune, de la grande maison Eliborienne, et si on me surnomme le « jeune », c'est tout simplement que mon aïeul Figuiel, dit l'ancien, était chroniqueur de la Grande Cour Royale, bien avant les temps sombres qui secouèrent notre monde. Je suis donc le Maître Historien de la Maison Royale, et ma tâche principale consiste à relater tous les événements que connaît Alinora, afin qu'ils restent écrits pour la postérité et instruire les générations futures. Ma tâche est ardue mais fortement plaisante, car découvrir puis raconter les histoires sont ma passion depuis ma plus tendre enfance. Et si je dis qu'elle est ardue, c'est tout simplement que cette tâche vient d'être réinstaurée par notre souverain bien aimé (on ne dira pas le contraire, sous peine de torture au martifouet), après des milliers d'années d'abandon, suite au conflit qui secoua toutes les provinces pendant tant d'années. Mais soit, je ne vais pas raconter toute ma vie, ce n'est pas le but de cet ouvrage. Ce livre raconte la plus grande épopée que connut Alinora. Il raconte le récit de braves aventuriers qui sacrifièrent tout pour sauver notre terre tant aimée des griffes de la plus grande menace qui ait jamais existé en Alinora. Voici donc l'histoire de Sighdur et son ami Taitdur, du vieux mage Moltonnel et de Melinas, la plus grande guerrière que ce monde ait enfanté. Comment, grâce à leur dévouement et leur abnégation, ils réussirent à retrouver la couronne perdue depuis des milliers d'années, et aidèrent notre Grand Souverain à chasser les ténèbres pour l'éternité. Lis et apprend ce livre. Lorsque tu l'auras fini, passe-le à d'autres. Car ce grand savoir doit perdurer pour l'éternité. Ces hommes et femmes, dans cette histoire, sont les plus grands héros qu'Alinora ait jamais connu. Ils doivent rester dans notre mémoire à tous, afin que pour toujours, ils soient honorés pour nous avoir simplement permis de vivre en paix et dans la prospérité. Sur cette petite note, je te laisse cher lecteur, et je te souhaite une bonne lecture ainsi qu'un bon plongeon dans notre passé. La publication de l'histoire commencera le 1er Novembre. 5 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Un jour comme un autre, en Tirgoval C’était une matinée comme les autres en Tirgoval, cette contrée bucolique, à l’écart de tout, en Alinora. Il faisait un soleil radieux, les oisillons chantaient leur douce mélodie, et la récolte qui arrivait s’annonçait bonne et prometteuse. Les Tirgalions s’affairaient à leurs tâches quotidiennes, tout en chantant et plaisantant, et blablabla. Stop. Si vous croyez que je vais m’étaler en banalité à deux pièces d’or quatre sous, vous n’en aurez pas pour votre argent. Cependant, il faut bien présenter les choses, notre bon roi ayant un œil omniprésent sur la tâche qu’il ma confiée. Désolé donc, si par moment vous verrez quelques banalités romanesques, elles sont cependant nécessaires. Je me dois donc de présenter cette contrée et ses habitants atypiques, longtemps oubliés de la mémoire d’Alinora. Tirgoval était un havre de paix. Ses habitants, les Tirgalions, étaient des êtres joyeux, et leur mot d’ordre était de s’amuser, de croquer la vie à pleines dents. Petits êtres farceurs, ils adoraient faire des bonnes blagues à leur entourage. Et lorsque je dis petit, ils le sont bel et bien : un Tirgalion moyen mesure en moyenne une quarantaine de centimètres. Les plus grands jamais recensés n’ont jamais dépassé le demi-mètre, et cela reste exceptionnel. Pour vous aider à bien visualiser ces petits êtres, un étrange voyageur d’une contrée appelée “Terre” nous a dit que les Tirgalions ressemblaient dans leur contrée à des petites statues décoratives créées à partir d’une matière appelée plastique qu’ils nomment “Nains de jardin”. Sighdur s’étira devant le porche de sa maisonnette, taillée dans un arbre centenaire et regardait tout la populace du bourg principal, Tirgaville, se mettre en mouvement : Cailldur amenait les bouteilles de lait aux portes des maisonnettes, Blédori servait les petits pains aux fermiers qui se mettaient en route vers les champs. Sighdur aimait regarder toute cette agitation. Voir ses camarades s’affairer comme des petites fourmis le faisait sourire, et il s’imaginait déjà, tout en tirant sa petite barbe encore bien brune, les farces qu’il pourrait leur faire subir une fois rentré du labeur, en fin de journée. Il alluma sa pipe, la première du jour, et se mit à penser à ce qu’il ferait aujourd’hui. Tout en aspirant quelques bouffées, il titillait sa petite barbe. Elle n’était pas bien grande et formait une petite boucle à hauteur du menton. Cela ne voulait dire qu’une chose : il devait avoisiner une quarantaine d’années. Oui, j’ai oublié de le mentionner : les Tirgalions deviennent adulte vers l’âge de 50 ans, et vivent jusqu’aux environ de la cent-cinquantaine. Il est assez aisé, pour quelqu’un connaissant bien ces petits êtres, de justement deviner leur âge par cette petite barbe bien caractéristique, qu’ils laissaient pousser en ne faisant que la tailler. Ces barbes étaient tressées d’une manière qui était régie par un code. Grâce à cette convention sociale, un Tirgalion savait exactement ce que faisait son interlocuteur, 6 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate sans même le connaître. Son regard se tourna vers l’horizon, se détournant de l’activité journalière de Tirgaville. Il se posa au loin, vers cette forêt, celle que l’on ne peut traverser, et qui définit la frontière de Tirgoval. Il ne comprenait pas pourquoi il était interdit de s’y promener. L’Ancêtre, gardien du savoir des Tirgalions, refusait d’expliquer pourquoi on avait posé ce genre de règles il y a tant d’années. Cette règle remontait à tellement longtemps, que le père du père de Sighdur n’avait pas connu la période où cette loi avait été promulguée. D’ailleurs, personne ne traversait cette forêt pour venir en Tirgoval, hormis un géant toujours mal rasé. Il était le seul étranger qui venait visiter cette contrée. On ne savait pas trop qui il était, mais il passait de temps à autre en Tirgoval. Il venait écouter les histoires des Tirgalions, les farces, les petites anecdotes, et souriait toujours, avec un air paternel envers ces petits êtres. Pourtant, cela faisait longtemps qu’il n’était plus apparu, bien facilement un dizaine d’années, alors qu’il venait environ tous les six mois auparavant. Il était peut-être mort, se disait Sighdur. Il avait d’ailleurs du mal à se rappeler de son nom : Radiel ? Mardiel ? C’était quelque-chose en iel avec un A, c’était la seule certitude qui habitait Sighdur. Il demanderait ce soir à l’ancêtre. Il se décida. Aujourd’hui, comme déjà mainte fois par le passé, il irait se promener dans cette forêt. Sighdur aimait bien s’y promener, elle était si jolie et tranquille. De temps à autre, il ramenait des fleurs qui y poussaient, car on n’en trouvait d’aussi belles nulle part ailleurs dans le pays. Par contre, il ne l’avait jamais traversée entièrement, et comme bien souvent, il se demandait ce qu’il y avait de l’autre côté de celle-ci. Peut-être qu’en ce jour il franchirait ce pas, mais à chaque fois qu’il y pensait, il ressentait une forte appréhension à braver un tel interdit. Sighdur prit un petit déjeuner copieux. Il lui faudrait trois bonnes heures de marche pour atteindre la forêt interdite et ne se permettrait pas de pause. Il se prépara un casse-croûte, bien que les quelques champignons qu’il avait goûtés sur place étaient particulièrement savoureux. Une fois son paquetage prêt, il se mit en route. Le cœur léger, notre petit Tirgalion se mit à parcourir les sentiers du Val en poussant la chansonnette. Ce chant, bien qu’appris par tous les Tirgalions, était rarement déclamé. Destinée à se donner du courage pour les grands voyages, les rares occasions où l’on pouvait l’entendre étaient lorsque les petits-hommes venaient des quatre coins de Tirgoval pour assister au Grand Conseil de Tirgaville. Les Tirgalions avaient depuis longtemps arrêté de voyager. Encore une fois, en ce si beau jour, Je prendrai la route, sous ce soleil radieux, Prenant mille chemins et cent détours, Mais je reviendrai, ceci n’est pas un adieu. J’irai revoir la douce clarté de la Ghlisbar, 7 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate La traverserai en sautant sur ses nénuphars, J’irai cueillir les fleurs des grandes vallées, Je marcherai partout, m’éloignerai des sentiers. Je pars, sans m’encombrer de superflu, La route m’appelle, en place je ne tiens plus, Avec mon bâton pour seul compagnon… Il s’arrêta net de chanter. Une énorme masse noire était apparue dans le ciel. Celleci grossissait à vue d’œil et se rapprochait de plus en plus. Une horde de corbacks, des oiseaux de mauvais augures. Lorsqu’ils survolaient le val, ils apportaient dans leurs sillages de biens tristes nouvelles, des grandes catastrophes ou le décès de quelqu’un de bien important. Mais là, c’était différent. Ils étaient nettement plus nombreux qu’à l’accoutumée. Leur cri sinistre résonna dans toute la vallée. Sighdur stoppa sa marche. Il se mit à trembler de peur. Qu’est-ce qui allait bien se passer cette fois ? La dernière fois qu’une horde de corbeaux avait traversé la contrée, le barrage du Bas-Val avait cédé et le village à côté fut entièrement sous eaux. De nombreux Tirgalions avaient perdu la vie, noyés par les flots tumultueux. Les oiseaux, qui maintenant étaient beaucoup plus nombreux, annonçaient-ils une catastrophe pire encore ? Il reprit ses esprits et rassembla tout son courage. Non, ces oiseaux de malheurs ne gâcheraient pas sa journée ! Il ramassa son petit baluchon et se remit en route. Mais son engouement était entaché, il ne reprit point la chansonnette qu’il avait entonnée à gorge déployée. Au bout d’une bonne trotte, il vit au loin ces bois si magnifiques mais interdits. Il ne lui restait plus qu’à traverser la Ghlisbar, cette petite rivière à l’eau si limpide et si claire, sillonner la dernière vallée remplie de champs et prés. Une fois la Ghlisbar derrière lui, il s’éloigna du chemin. En effet, la route continuait dans les bois, mais une petite « garnison » de Tirgalions y résidait, toujours au cas où des intrus arriveraient et sonner l’alarme en cas de danger. Ils l’appelaient la garnison par moquerie, s’y retrouver n’était autre que la peine que subissaient les Tirgalions en cas de grosses bêtises, car sincèrement, y séjourner n’avait rien d’amusant : il n’y avait rien à faire à part regarder cette forêt d’où rien ne sortait. C’était le pire châtiment, la honte suprême pour un Tirgalion, être farceur par son essence, mais privé justement de cette partie de lui-même. Il commença donc à s’aventurer dans les prés, évitant soigneusement d’être vu par un autre de ses compères. Il évita la dernière bâtisse, celle de Harengdur, l’ancien pêcheur puant le poisson pourri, reconverti en vieux fermier grincheux. Il lui fera une bonne blague au retour, il se faisait chaque fois avoir et cela amusait tous les Tirgalions de le voir jurer à tout bout de champ ! 8 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Il arriva sans trop de difficulté à éviter les terres de cette vieille ferme, se cachant dans les champs de blés, tel une petite souris. S’il se faisait attraper, le vieux fermier n’hésiterait pas à lui piquer le derrière avec sa fourche toute rouillée. Hors de la vue de la bâtisse, il se releva et se trouva face à cette forêt, silencieuse et inconnue depuis des millénaires. Il ne put s’empêcher de ressentir le frisson du danger, de l’interdit et sourit. Les arbres l’attendaient, semblaient lui murmurer de venir jusqu’à eux. D’un pas décidé, il franchit la lisière pour se retrouver dans ce lieu si mystérieux et enchanteur. 9 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Un bien joli caillou Notre joyeux Tirgalion s’enfonça dans les bois. Sighdur, comme à chaque visite, pensait que c’était dommage qu’il soit interdit de s’y aventurer. Cette forêt était magnifique, aucun autre endroit en Tirgoval n’égalait son calme, sa plénitude, bien que cette contrée d’Alinora soit un havre de paix. Mais dans un autre sens, il était heureux de cette décision : il était seul à pouvoir profiter de cette beauté insaisissable pour les autres Tirgalions. Il se mit à respirer à plein poumons, pour profiter des parfums délicieux dégagés par cette nature sauvage. Il trouva un arbre sur lequel pourrait grimper pour y savourer sa pitance. N’étant pas très sûr des créatures du coin, il préféra se mettre en hauteur. Au moins, il était à l’abri des créatures pédestres, bien qu’il n’en ait jamais rencontrées durant ses précédentes escapades. Une fois bien installé avec les mets étalés sur la branche qui les soutenait, il commença à se régaler. Le saucisson était particulièrement savoureux. Il venait de chez Cochodori, la meilleure bouchère de Tirgaville, et l’on venait de tout Tirgoval rien que pour ce petit bout de viande. Tout en le grignotant, il observa la forêt. Il aimait tant admirer ces paysages sauvages, intouchés et intouchables depuis une éternité. Il observait la moindre parcelle, scrutant le moindre détail d’un arbre ou d’un buisson, appréciant les couleurs inhabituelles des fleurs du coin. Mais durant ces observations du jour, il remarqua quelque chose d’inhabituel, qui dénotait tout à fait avec le cadre champêtre immaculé. Une tâche sombre gisait sur le sol. Il n’avait jamais vu de pareille nuance dans ces bois où tout n’était que couleur chatoyante. Elle titilla sa curiosité légendaire, le démangea, tant il voulait savoir ce que c’était. Il engloutit un dernier morceau et abandonna ses victuailles pour aller découvrir l’intrus. Au fur et à mesure qu’il s’avançait, le chant des oiseaux se fit de plus en plus rare, et lorsqu’il arriva à proximité de cette zone sombre, la forêt n’émit plus aucun son ; un silence de mort s’abattit autour de Sighdur. Ce mutisme soudain commença à l’effrayer quelque peu, mais sa curiosité fut bien plus forte, et il s’approcha. Un géant était allongé sur le ventre. Des taches d’un sombre pourpre parcouraient son dos et semblaient humides. Sighdur prit un bâton, et piqua ce géant. Aucune réaction de sa part, était-il inconscient ? Il sauta de petits pas en petits pas, tout autour de ce grand gaillard. Il devait être aussi grand que le géant mal rasé qui venait les voir, et il était tout habillé de métal. Il tenait quelque chose dans sa main, une sorte de petit étui en cuir qu’il agrippait fermement. Les petits coups de bâton ne provoquant aucune réaction, le Tirgalion se décida de soulever le visage du géant. Il était totalement figé, les paupières ouvertes mais les yeux totalement révulsés. La terreur pouvait se lire sur tous les traits. Sighdur fit un bon en arrière, tellement il était à faire peur. Il se ressaisit bien vite, et son regard se tourna à nouveau vers ce qu’il tenait en main. 10 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Il s’apprêta à prendre ce fameux petit étui, sa main se rapprochait, et lorsqu’il toucha ce qui semblait être une petite bourse en cuir, enfin petite pour le géant mais non pour Sighdur, un bruit sec se fit entendre dans toute la forêt. C’était à nouveau, Sighdur pouvait le voir à travers le feuillage, une nuée de corbeaux, tout aussi important que celle qui l’avait vue ce matin. Il se rappela alors les premiers mots d’une légende, qu’il avait entendue lors d’une veillée. Lors que par deux fois, en un jour, survoleront les ailes noires. Lorsque par deux fois, elles passeront le même soir, Il s’aventurera seul dans les terres interdites, Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite. C’est alors que Tirgoval connaîtra les ténèbres, C’est alors que le mal reviendra, nous recouvrant de son voile funèbre. Il tressaillit. Par deux fois déjà donc les corbeaux étaient passés. Un tel phénomène ne s’était jamais produit auparavant, du moins de son vivant, et il n’avait jamais entendu une quelconque histoire où ils avaient survolé le val par deux fois. Mais il se dit aussi qu’il n’était pas en Tirgoval, il y avait peu de chances qu’ils y passent une deuxième fois. Il n’hésita plus, et attrapa tant bien que mal la bourse, qu’il put contempler entièrement. Une étrange inscription était gravée sur le cuir. Des symboles inconnus la parcouraient, et ressemblaient à une ancienne écriture. Sighdur n’arriva pas à la déchiffrer, ces inscriptions devaient appartenir à un langage venant d’au-delà de la forêt. Peut-être que le puits de savoir qu’était l’Ancien le saurait, lui. Sa curiosité maladive continua de le triturer, et Il ne put s’empêcher de l’ouvrir, ignorant si cette inscription était un quelconque avertissement. Et il le vit. Ce grand caillou, noir comme l’ébène. Il était entièrement poli. Pourtant, en le tenant, il était sûr qu’on pouvait voir à l’intérieur. Il avait l’impression qu’une sorte de brume blanchâtre s’y promenait, comme si ce joyau renfermait une forme de vie, la retenant prisonnière. Il s’aventurera seul dans les terres interdites, Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite. Sighdur chassa vite ses paroles qui lui revenaient en tête. Il était fasciné, il n’arrivait pas à détacher le regard de cette pierre. Elle l’hypnotisait, et rapidement, il se sentit comme par absorbé par elle. Il se retrouva dans le noir absolu, entouré par cette brume qu’il avait aperçue. Elle était vivante, tournoyait tout autour de lui, et maugréait de sombres murmures que Sighdur n’arrivait pas à comprendre. Ils se transformèrent en voix, et montèrent en intensité, jusqu’à devenir des hurlements. Sighdur essaya de se boucher les oreilles, mais rien n’y fut, ces mots vociféraient de plus en plus forts, hurlaient et dégageaient une haine et une colère si intense qu’il se mit à en pleurer. 11 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Le paysage se mit à changer devant lui, il voyait une immense pleine désolée, où la terre était noire comme du charbon. Il aperçut une armée de spectre, d’ombres fantomatiques, qui se déplaçaient vers une grande et sombre forteresse. Sighdur ferma les yeux, chassant tant que possible ces images qui l’effrayaient au plus haut point. Lorsqu’il les rouvrit, il était là, de nouveau seul dans cette forêt, tenant toujours cette sombre pierre dans ses mains. Mais curieusement, elle avait rétréci, comme si la pierre voulait qu’il soit aisé de la porter pour Sighdur. Il la remit dans sa bourse, courut vers l’endroit où il avait pique-niqué, ramassa rapidement toutes ses affaires et détala sans demander son reste. Alors qu’il atteignait l’orée de la forêt, il se rendit compte qu’il était fort tard. Le soleil commençait déjà à décliner, et d’ici une heure il ferait nuit. Combien de temps avait-pu durer cette plongée infernale ? Cela ne lui avait paru que quelques minutes, pourtant il était pas loin de treize heures lorsqu’il avait découvert ce sordide caillou. Il hâta le pas, pour être rentré le plus tôt possible à Tirgaville. Il passa les champs du vieux Harengdur, sans prendre la peine de se cacher et reprit la route principale qui le menait jusqu’à chez lui. Alors qu’il progressait vers Tirgaville, il se rendit compte que la campagne était déserte. Il ne croisa personne sur la route, ni personne dans les champs. Il n’entendait nulle part les chants de ses compères qui normalement s’entendaient en tout Tirgalion durant la journée. Le pays semblait s’être vidé tout habitant. Tout en résistant de céder à la panique, il hâta encore plus le pas, trottant au plus vite vers la cité. 12 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate L'assemblée Lorsqu’il arriva en vue de la ville, il fut totalement ébloui. La Grande place centrale illuminait toute la vallée, des feux y brûlaient, comme lors des jours de grandes fêtes, où tout le pays se réunissait pour festoyer gaiement. Tous les Tirgalions étaient rassemblés, et sur une estrade, se trouvait l’Ancien et la vieille Mégère. La tension était palpable, bien que Sighdur se trouvait à quelque distance, il constatait que ses semblables paniquaient. Mais le spectacle dans son ensemble était encore plus inquiétant, et rajoutait encore à la tension. La lune était absente. De grandes nuées vertes luminescente parcouraient le ciel et semblaient annoncer un grand malheur. Les enfants pleuraient, n’ayant jamais vu telle couleur spectrale, leurs mères, quant à elles, tentaient de réprimer leur panique pour les réconforter. Lorsqu’il franchit la porte de la cité, ils apparurent de nouveau. Ces maudits corbacks étaient là, passaient sur la cité, éructant leurs cris mortifères. La panique se fit de plus en plus ressentir dans la ville, et alors qu’il arrivait sur la place, tous les regards se tournèrent vers lui. Doushdori, l’épandeuse de fiel par excellence, et que l’on nommait – à raison – la Mégère, commença à hurler : — Regardez qui arrive en retard, cria la Mégère, en le pointant du doigt. Je suis sûre que c’est encore notre Sighdur, l’habitué des moult coups tordus qui apporte le malheur dans notre contrée ! L’ancien se tourna vers Sighdur et l’appela : — Sighdur, viens ici mon garçon ! Un passage s’ouvrit devant lui, les Tirgalions s’écartant pour le laisser passer jusqu’à l’ancien. Sighdur n’était pas à son aise, il tremblait, tout en avançant, et sentait le regard de colère et de suspicion que ses congénères lui adressaient. Il ne put que baisser le regard, durant sa progression. Mais bon, il était habitué, ce n’était pas le premier savon qu’il se prendrait. Il arriva à l’estrade où il était attendu. La mégère lui cracha dessus lorsqu’il passa à son hauteur, en lui vociférant toute sorte de nom d’oiseaux. L’ancien, lui, le regardait d’un œil bienveillant, et fit un petit geste pour que l’agresseuse de Sighdur se calme quelque peu. Il était vraiment impressionnant. Sa barbe, qui comportait un nombre incalculable de tresses, atteignait presque le sol, signe qu’il était vieux, sage et respecté. — Dis-moi, jeune Sighdur, où étais-tu donc passé ? Cela fait déjà quelques heures que nous sommes rassemblés, ici, pour discuter du problème qui nous occupe. Dismoi, sais-tu de quoi je parle ? Sighdur baissa les yeux. Il était gêné, et il répondit à voix basse. 13 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate — Oui l’Ancien. Vous parlez des corbeaux qui nous ont survolé déjà par trois fois aujourd’hui. De ce voile verdâtre qui nous a volé notre lune. La voix de Sighdur était tellement basse que l’assemblée ne l’entendait guère. Ils demandèrent à répéter, et l’on fit venir le crieur afin qu’il déclame haut et fort les réponses de notre Tirgalion. Il répéta les mots de Sighdur, mais avec un ton plein de mépris. La foule huait Sighdur à chaque réponse. — Tu les as donc vus, jeune Tirgalion. Et pourquoi n’es-tu donc pas venu, directement, comme tous tes autres camarades ? Je le répète donc à nouveau, ou étais-tu ? — Je me promenais, l’Ancien. Vous le savez, j’aime marcher, découvrir de nouveaux lieux, voir de nouveaux paysages. Il rougit, baissa encore plus la tête. Il s’apprêtait à dire où il était allé. Il savait que le châtiment serait la garnison, en plus de la honte qu’il jetterait sur sa famille. Il aurait tellement voulu se cacher, rapetisser encore et encore, pour pouvoir se faufiler dans un trou de souris. — J’ai été là où on ne peut aller. J’ai été dans les bois interdits. À ces mots, la colère de la foule monta en intensité, vivifiée par la Mégère qui hurlait à la trahison et au malheur qu’il apportait en Tirgoval. L’Ancien fit signe à la foule de se calmer, le temps que Sighdur explique son aventure. — Je sais bien que cela est interdit. Mais si vous saviez, ces bois sont si magnifiques et paisibles, je ne comprends pas pourquoi il nous est totalement défendu d’y mettre les pieds. Oui, ce n’est pas la première fois que j’y mets les pieds, et je n’ai jamais eu de problème, ni fait de mauvaise de rencontre jusqu’à… — Jusqu’à ? Interrompit cette Mégère, d’une voix pleine d’agressivité, bien déterminée à exalter la furie de la foule. — Jusqu’à aujourd’hui. Il y avait un géant couché dans les bois. Il était couvert de métal, et je pense qu’il était mort. Il avait ceci sur lui. Il tendit la bourse de cuir à l’Ancien qui remarqua directement les inscriptions. Il fit un regard étonné, comme si celles-ci sortaient d’un autre âge. — C’est de l’ancien Inothaï. La langue des rois, disparue depuis bien longtemps ! Sais-tu ce que ces mots veulent dire, jeune Sighdur ? Sigdur fit un signe de la tête pour montrer qu’il ne savait pas. L’Ancien regarda attentivement les inscriptions, pour finalement dire : — À seul celui qui aura le pouvoir. Il demanda ensuite au Tirgalion s’il savait ce que contenait cette bourse. 14 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate — Un caillou. Il est poli, et semble vivant à l’intérieur, comme si une brume blanche cherchait à en sortir. Lorsque je l’ai regardé, j’ai comme été aspiré dans la pierre, et j’ai vu plein d’ombres fantomatiques. — Une pierre de pouvoir ! La Mégère hurla de nouveau — C’est lui, c’est bien lui cet oiseau de malheur ! Il ramène la désolation et la destruction en Tirgoval ! Rappelez-vous la prophétie ! Lors que par deux fois, en un jour, survoleront les pies noires, Lorsque par deux fois, elles passeront le même soir, Lors d’une nuit sombre, ne portant pas l’éclat de la lune, Et que dans tout le val, sévit cette funeste brume, Il s’aventurera seul dans les terres interdites, Il la trouvera et la portera, cette pierre maudite. C’est alors que Tirgoval connaîtra les ténèbres, C’est alors que le mal reviendra, nous recouvrant de son voile funèbre. Les Tirgalions ne connaîtront plus la paix, Ils subiront guerre, désolation et le fouet, Finis les rires, la joie, l’allégresse en Tirgoval, Ce sera l’annonce du retour du mal ancestral. À peine ces mots prononcés, un terrible bruit se fit entendre dans le ciel, et de nouveau, les corbeaux refirent leur apparition, encore plus nombreux que les trois premières fois où elles étaient passées dans la journée. La foule, hurlait, paniquait. Ces oiseaux de malheurs fonçaient sur la place, comme s’ils étaient animés par une colère et une haine incommensurable. Les Tirgalions courraient partout, cherchaient à se mettre à l’abri des coups de becs et griffes des volatiles. C’était le chaos total. Une fois tous cachés, certains sous des abris de fortune tels que l’estrade ou sous des tables, ils durent attendre un bon moment avant que cette nuée d’oiseaux disparaisse. Mais leur rage avait tout saccagé. Les bois étaient parsemés de coups de becs et griffes, des vitres avaient été brisées par le vol des corbacks. Mais la foule était bien trop en colère que pour commencer à tout ranger et réparer. Il fallait punir le coupable qui avait ramené le malheur dans leur terre. — Malheur à toi, Sighdur, qui a ramené ces oiseaux de mauvaise augure sur nous ! Tu nous paieras ça ! — Il faut le pendre à un gibet ! Comme cela si ces volatiles reviennent, ils s’en prendront directement à lui et nous laisseront tranquille ! L’Ancien fit signe à toute la populace de se calmer. 15 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate — Mes chers Tirgalions, gardez votre calme ! Ce qui est fait ne peut être défait, car il était de toute façon écrit que cela devait arriver. Mais oui, il nous faut trouver une solution afin que nous puissions éviter le pire ! Puisse Dothiria avoir pitié de nous, et nous envoyer un signe ! L’Ancien s’agenouilla, et tous firent de même. L’ensemble des Tirgalions répétaient la prière de l’Ancien, dans l’espoir qu’elle soit entendue par Dothiria, la divinité préférée des Tirgalions, qui les protégeait et leur donnait une vie longue et prospère. Ô Douce Dothiria, Protège-nous dans le noir, Puisses-tu avoir pitié de nous, Nous guider dans ces remous, Réponds à notre appel, je t’en supplie, Sois la branche sur laquelle je m’appuie. La foule s’était calmée suite à cette prière, et l’Ancien prit le bâton qui l’aidait dans sa marche. Il entonna d’une voix grave une phrase incompréhensible pour tous les Tirgalions. — Hak Abazi Muatar Loktarum Ouzefar ! Le bout de son bâton, à ces mots, devint incandescent, et il traça un cercle sur le sol. Il traça ensuite des inscriptions, comme celles sur la bourse trouvée par Sighdur. Il prit ensuite une petite bourse attachée à sa ceinture, qui contenait des petits bouts de bois taillés et gravés, et répéta de nouveau son incantation. Il jeta ensuite celles-ci dans le cercle et observa le résultat. — Tout espoir n’est pas encore totalement perdu, mais les jours et nuits qui arrivent s’annoncent difficiles et plein de malheur, pas seulement pour les Tirgalions, mais pour tout Alinora. Mais la pierre ne peut rester ici, car tant qu’elle sera parmi nous, les malheurs et désastres s’abattront sur nous. Seuls les grands sages pourront savoir ce qu’il adviendra, mais les oracles sont formels : si de sombres forces la trouvent, Alinora connaîtra les tourments pendant fort longtemps ! — Qu’il s’en aille alors ! Il a trouvé cette foutue pierre, il l’a ramené ici c’est à lui de nous en débarrasser ! La foule acquiesça vigoureusement aux paroles de la Mégère. Mais, Kogndur, le forgeron, s’avança. — Moi je suis sûr que si on la brise, cette caillasse, cela en sera fini ! Passe-la-moi, Sighdur, que je la démolisse ! Sighdur lui tendit la bourse, bien content de s’en débarrasser. Kogndur ouvrit la bourse, mais lorsque sa main toucha la pierre, son visage se décomposa. Il était assailli par la peur, ses yeux se révulsèrent et se mit à trembler de tout son être. Et il 16 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate tomba, raide mort ! La foule était stupéfaite. Personne ne se serait attendu à cela. Des rumeurs de magie noire et de démons parcouraient l’assemblée. La Mégère reprit de plus belle — À seul celui qui détient le pouvoir ! Regardez ce qu’il advient des êtres qui touchent la pierre ! Elle ne peut pas rester ici, et lui avec elle ! L’Ancien reprit la parole, de nouveau en faisant des gestes pour calmer la foule qui recommençait à s’énerver. — Dis-moi, Sighdur, as-tu touché la pierre, toi aussi ? — Oui. Comme je l’ai dit, j’ai vu des choses dedans, comme si j’avais été absorbé par elle. — Tu sembles donc immunisé à son pouvoir ? Comprends-tu, alors, la tâche qui t’incombe ? Tu devras porter la pierre loin d’ici, aux Inothaï, qui en sont les gardiens ! La foule acquiesça les paroles de l’Ancien, l’applaudissant, criant leur accord. — Mais l’Ancien, comment voulez vous que je trouve ces gens ? Et qui sont-ils ? Comment les reconnaît-on ? — Je ne sais pas, jeune Sighdur. Mais une fois cette assemblée dissoute, marche avec moi jusqu’à mon logis, car nous aurons à discuter quelque peu avant ton départ. — Il est donc entendu ! Sighdur ira porter la pierre à qui de droit, en espérant que cela puisse nous éviter les pires heures de notre histoire. Tu partiras dès demain, car l’urgence nous touche désormais. À midi, heure tapante, nous irons te dire au revoir à la garnison. Nous mettons tous nos espoirs en toi, jeune Tirgalion ! À ces mots, l’assemblée se dissout. Les femmes allèrent coucher les enfants, les hommes se mirent à ramasser les débris du passage des corbeaux, toujours inquiets mais quelque peu soulagés que l’ancien ait encore trouvé les mots et les solutions qui convenaient. 17 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Une nuit agitée Ils marchaient ensemble vers la maison de l’Ancien. Sighdur était plein d’appréhension, comme tout Tirgalion, il n’avait jamais quitté Tirgoval. Il se mit à soupirer. La tâche qui lui incombait semblait être un poids insurmontable. Il commençait à regretter d’avoir ramassé ce foutu caillou de malheur. Il était jeté en pâture au monde, laissé seul, jeté comme une vieille chaussette, et devant lui un monde immense et inconnu l’attendait. Il ne savait pas comment s’y prendre, ni qui il devait trouver. Mais l’Ancien devina bien vite les pensées de notre pauvre compère, et le rassura. — Cela fait bien longtemps que plus personne n’a quitté le Val. Je crois bien que oui, j’étais le dernier à être parti. Sighdur s’arrêta. Le vieux avait donc parcouru Alinora ! — Oui, comme toi, j’ai parcouru Alinora pendant ma jeunesse. Tu sais, chaque Ancien l’a fait, par le passé. Nous sommes les garants du savoir en Tirgoval et nous nous devons de connaître le monde qui nous entoure. C’est pourquoi aussi, je t’ai demandé de m’accompagner, pour que nous parlions seul à seul. Car vois-tu, ce que j’ai vu est bien plus grave que ce que j’ai dit durant l’assemblée. Ils continuèrent à marcher jusqu’à sa chaumière, et il fit signe à Sighdur d’entrer. Il prépara une bonne tisane au miel et une fois fait, ils s’installèrent à table pour discuter. — Cette pierre, que tu as trouvée, est une Pierre Divine, l’une des douze pierres que l’on appelle couramment de Pouvoir. Elles ont été données aux races d’Alinora par les Dieux, pour qu’elles puissent protéger le monde en cas de danger. Et seuls certains êtres sont capables de les posséder et de s’en servir. C’est ce qui d’ailleurs est arrivé au Forgeron, il a voulu tenir la pierre entre ses doigts et n’a pas résisté à sa puissance. Curieusement, toi, tu as le don. La Pierre t’a choisi. À cause de ce don, tu mets tout Tirgoval en danger, car il est dit dans d’anciens textes que le Mal Incarné reviendra, et qu’Il cherchera par tous les moyens à les retrouver. Je l’ai vu, grâce aux oracles. Les signes qui annoncent son réveil sont parmi nous. Tu dois trouver un moyen qu’Il ne mette pas la main dessus. Il existe au Sud, une forteresse appelée « Le Dernier Rempart ». Les hommes qui y vivent font partie d’un vieil ordre et ils veillent sur une des Pierres, l’une des plus puissantes, afin qu’elle ne tombe aux mains de personne. Tu dois t’y rendre, ils sauront t’aider. L’Ancien se leva et se dirigea vers un petit coffre qu’il dissimulait sous son lit. Il le ramena à table et l’ouvrit. Il sortit une petite dague, un parchemin bien enroulé, et une cape faite d’un tissu étrange. — Ce n’est pas grand-chose pour ton périple, mais tiens. Cette dague que tu vois là, 18 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate m’a été bien utile durant mon voyage, il y a bien longtemps. Elle ne te protégera pas de grands dangers, mais tu pourras te défendre un minimum. Ceci, c’est une vieille carte. Elle a plus de cent ans, mais c’est une bonne base pour te diriger. Quant à cette cape, elle fut faite par un grand couturier Inothaï. Elle te teindra au sec et chaud, qu’il pleuve, qu’il vente ou fasse grand froid. Nous nous la repassons, d’Ancien à Ancien pour nos périples. Sighdur remercia l’Ancêtre. Pas forcément de gaieté de cœur. Il soupira encore et encore, retenait ses larmes. Alors qu’il rêvait de voyage et de découverte, là, d’un coup, il ne voulait plus partir. Les mots suivants de l’Ancien le rassurèrent encore moins. — Sois vraiment prudent. Il a été défendu aux humains de parcourir nos terres par le passé. Pour eux, les Tirgalions sont des êtres de légende et n’existent pas ou plus. Tu risques d’attirer la convoitise de marchands ou quelque prince cupide, alors sois toujours sur tes gardes et n’accorde pas ta confiance facilement. Ne mentionne pas la pierre à moins que tu sois obligé ou que tu sois arrivé à destination. Rentre chez toi maintenant. Fais tes bagages, légers bien sûr, et repose-toi. Tu vas en avoir besoin. Sighdur n’arrivait pas à dormir et se retournait constamment dans son lit. Il s’en voulait. Pourquoi avoir été aujourd’hui dans ce stupide bois ? Pourquoi fallait-il encore qu’il aille voir cette tâche sombre ? Pourquoi n’avait-il pas encore une simple fois réussi à réprimer son insatiable curiosité ? L’inquiétude le rongeait, il avait extrêmement peur de ce demain qui arrivait bien trop vite à son goût. Il repensa à ce foutu cailloux et ce qu’il avait vu pendant qu’il la tenait. La vision qu’il avait eu était terrifiante, il n’arrivait pas à l’expliquer correctement. Était-ce le futur ? Le passé ? Que pouvait donc bien faire cette pierre ? Avait-elle réellement un pouvoir ? Il fut tenté de la regarder à nouveau, mais il se ravisa. Il ne savait pas combien de temps il avait été plongé dans cette pierre, ou combien de temps il avait perdu connaissance. À vrai dire, il ne savait pas réellement ce qui lui était arrivé, et il n’avait pas envie de revivre une telle expérience. Il repensa aussi aux paroles de la Mégère et de l’Ancien. Visiblement la situation était vraiment grave pour qu’ils s’en soucient autant tous les deux. Douchdori avait encore été pire que les dernières fois. Elle lui avait déjà passé de multiples savons, mais jamais elle n’avait été aussi mauvaise. Il n’avait jamais vu la Mégère cracher au visage de quelqu’un. Leurs paroles soulevaient plus de questions qu’elles n’en résolvaient. Quel était ce Mal, pourquoi ne pas dire ce que c’était ? Qu’est-ce qui allait arriver ? Toutes ces questions ne faisaient que renforcer son angoisse qui grandissait au fur et à mesure que la nuit passait. Il supplia Dothiria de lui venir en aide, de lui envoyer un signe. Mais rien ne vint. Au bout d’un long moment, la fatigue l’emporta et il sombra dans le sommeil. 19 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Il rêva. Il se trouvait dans une vallée verdoyante, un peu semblable à Tirgoval, mais beaucoup plus luxuriante. Alors qu’il se promenait dans ce cadre bucolique, il tomba sur une grande créature. Une géante, comme l’homme qu’il avait vu dans les bois. Elle avait de longs cheveux dorés, les yeux d’un blanc éclatant, et le regardait en souriant. Sa robe immaculée semblait légère et flottait au vent. Un halo lumineux l’entourait, la rendant impressionnante. Mais à ses côtés, il se sentait apaisé, d’un geste tous ses doutes, ses angoisses s’envolèrent. Elle lui adressa la parole. — N’aie pas peur, jeune Tirgalion. Le chemin est long et la tâche est ardue, mais tu n’es pas seul. Cherche la lune bleue dans l’eau profonde et dirige-toi à l’est. D’autres attendent ta venue depuis bien longtemps. Elle lui sourit une dernière fois, caressant sa joue d’une main bienveillante et disparut dans la nuit. 20 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Adieux à la garnison Sighdur sentit une pression sur son épaule et au fur et à mesure qu’il émergeait de son sommeil, reconnu une voix bien familière qui l’appelait. En ouvrant les yeux, il aperçut Taitdur, son ami le plus cher depuis sa tendre enfance. Ils étaient voisins, avaient deux ans d’écart, et passaient la majeure partie de leur temps libre ensemble. Taitdur était légèrement plus grand que son compère, bien qu’il soit plus jeune. On peut dire que ces deux garnements faisaient bien la paire : Taitdur l’intrépide, qui fonçait tête baissée au moindre danger sans jamais réfléchir, suivant son copain à la curiosité maladive, qui dès qu’il constatait qu’il s’était fourré dans de mauvais draps ne cessait de soupirer. « Sighdur, allez, réveille-toi grosse feignasse ! Ils vont nous attendre ! — Hein, quoi ? Qui ça ? Et il est quelle heure, pardi ? — 9 heures ! Il est temps de se mettre en route, on doit être à midi à la garnison pour notre départ ! » Sighdur se leva d’un bon et fut automatiquement réveillé. Il avait dormi si tard ! Il alla vite chercher les affaires que l’Ancien lui avait donné, prit quelques provisions et vêtement, emballa tout dans son baluchon et fut fin prêt, lorsqu’il s’arrêta net. « Attends, notre départ, dis-tu ? — Tu crois quoi, toi ? Que je vais te laisser aller vagabonder de part le monde seul ? Non, non, je t’accompagne. Et puis, tu auras besoin de compagnie, de soutien ! Et je ne t’ai jamais laissé tomber, comme je sais que tu feras pareil pour moi. » Un sourire se dégagea des lèvres de Sighdur. Il ne serait pas seul, Dothiria l’avait écouté et exaucé ! Il fit une tape amicale et d’approbation sur l’épaule de Taitdur. Son baluchon à l’épaule, il ferma la porte de sa chère chaumière. Une larme lui monta au visage. Il aimait ce lieu qui l’avait vu naître et grandir. C’était la demeure familiale, venait de son père et qu’il avait gardée lorsque ces parents étaient partis rejoindre le grand jardin de Dothiria. Perdu dans ses pensées, il fut vite rappelé à l’ordre par son ami. « Hum ! Je sais pour toi que c’est dur. Mais je te connais, tu n’aurais jamais résisté à aller ramasser ce foutu cailloux comme je suis sûr que tu diras durant tout notre parcours ! Allez, le vaste monde nous attend. Même si le voyage ne semble pas être propice, rappelle-toi que l’on en a toujours rêvé ! » Sighdur hocha de la tête. Son compagnon avait raison. Ils se mirent en route, sans jamais se retourner. Ils ne parlèrent pas en chemin. Tout du long de la route, Sighdur regardait le paysage. Il ne savait pas quand il reviendrait, s’il remettrait même les pieds un jour 21 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate dans le Val, et voulait mémoriser à jamais dans sa tête cette si belle vallée verdoyante, havre de paix et de bonheur pour tous les Tirgalions. Il retenait chaque plante, chaque colline. Il s’arrêta pour tremper quelques instants ses pieds dans la Ghlisbar et y rempli sa gourde. Il aurait voulu s’y jeter entièrement dedans, et nager, nager jusqu’à la fin du jour. Il fut rapidement rappelé à l’ordre par Taitdur qui voyait l’heure tourner et qui commençait à s’impatienter. Pour leur donner du courage, Taitdur commença à chanter. Le chant du voyage que Sighdur avait chanté si gaiement hier en se rendant dans les bois interdits. Ce qui ne plut pas le moins du monde son compère qui commença à soupirer encore et encore. Au bout d’un petit temps, Taitdur, voyant que son chant provoquait l’effet inverse à celui souhaité, stoppa net de chanter. Ils arrivèrent finalement en vue de la Garnison. Une petite troupe les attendait. Nombre de Tirgalions étaient venus voir le départ Sighdur, principalement pour se rassurer, voir qu’il prenait bien la route. Mais l’on remarquait que certains l’enviaient : beaucoup de jeunes rêvaient de découvrir le monde qui se trouvait audelà de la forêt. En tête de ce groupe, l’Ancien s’avança pour les accueillir. « Tu as donc trouvé quelqu’un pour t’accompagner. Bien, bien » L’Ancien sourit aux deux jeunes aventuriers. Il semblait satisfait, rassuré que Sighdur ne prenne la route seul. l’éleva la voix, afin que tous présents, entendent bien ses mots. — Jeunes Sigdur et Taitdur, nous vous envoyons par-delà le Val. Puisse Dothiria vous accompagner et vous soutenir dans votre long périple. Nous, Tirgalions, plaçons en vous nos espoirs. Notre survie en dépend. Imitant l’Ancien, tous s’agenouillèrent devant eux, pour leur témoigner le plus grand respect. Les femmes tapissèrent la voie de fleurs jusqu’au grand portail qui donnait sur la forêt. Déjà de là, Sighdur, en regardant devant lui, voyait bien que la route disparaissait rapidement, envahie par la nature qui avait repris ses droits depuis bien longtemps. Une forêt, sombre, sauvage, mais magnifique. Ils reçurent des victuailles à tel point qu’ils durent en refuser, ne pouvant tout porter. Mais Sighdur garda bien les saucissons de Cochodori, qui était venue spécialement les lui apporter pour son départ. Il était temps de se mettre en route. Après les dernières embrassades et mots d’adieux, nos deux amis pénétrèrent dans la forêt interdite. Taitdur fut tout de suite émerveillé par la beauté de ces bois, et il eut la même réflexion que Sighdur il y a de cela bien longtemps, à savoir qu’il était vraiment dommage qu’il soit interdit de se promener par ici. Il marcha d’un enthousiasme sans faille, devant bien souvent encourager son compagnon qui traînait quelque peu des 22 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate pieds. Comme Sighdur l’avait vu, la route s’effaçait assez rapidement au fur et à mesure qu’ils s’enfonçaient dans les bois. La route n’était bientôt plus qu’un lointain souvenir et avançaient à tâtons dans ces immenses bois. Taitdur était tout guilleret, bien heureux de pouvoir parcourir le monde à sa guise. Mais Sighdur, lui, n’avait pas le cœur à aller de l’avant. Bien que son rêve l’ait quelque peu ragaillardi, il était toujours inquiet. Il ne savait pas où ils devaient aller, les indications qu’ils avaient reçus étaient tellement vagues ! Ils marchèrent encore et encore, jusqu’à la nuit tombée. Taitdur s’émerveillant des plantes magnifiques, des petits ruisseaux bucoliques, et du chant des oiseaux (on a insisté pour que j’insère cette phrase. Sérieusement, je trouve que ce genre de diatribes particulièrement neu-neu. Je n’arrive pas à comprendre leur intérêt). Une fois le soleil couché, ils firent un petit campement de fortune, à l’abri dans des fougères, mais n’osèrent faire de feu. Ils ne savaient pas quelles créatures rodaient dans le noir, ils préféraient être prudents et ne pas se faire remarquer. Après un repas frugal mais copieux, ils décidèrent de se reposer. Sighdur n’arrivait pas à fermer l’œil. Les bruits de la forêt le faisaient sursauter, et il n’arrivait pas à trouver de position confortable. Il n’avait jamais quitté son petit lit douillet. Il se retrouvait à même le sol, les racines lui rentrant dans les côtes. Mais il était surtout rongé par le remords et l’inquiétude. Quant à Taitdur il ne semblait pas inquiet pour le moins du monde et visiblement dormait comme un bébé. Ils se levèrent à l’aube, et se mirent directement en route, cassant la croûte en marchant. Au fur et à mesure de leur progression la végétation se fit de plus en plus dense, et par moment ils ne pouvaient voir le ciel tant les branches des arbres s’entremêlaient. 23 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Un bien singulière rencontre Au bout de quelques heures, ils pensèrent avoir atteint le cœur de la forêt : l’atmosphère y était étouffante. Les arbres étaient tellement concentrés que malgré leur petite taille, ils éprouvèrent des difficultés pour progresser, devant éviter branchages et troncs rapprochés. Soudain, ils s’arrêtèrent net. Alors qu’ils n’avaient perçu que le chant tout joyeux des oiseaux depuis le début de leur progression, ils entendirent des craquements. Quelqu’un était proche, et marchait nonchalamment, faisant craquer tous les bouts de bois sous ses pieds. Nos deux amis repérèrent un buisson et s’y faufilèrent vite fait. Quel ne fut pas leur étonnement lorsqu’ils aperçurent une femme. Elle ne ressemblait à aucune Tirgalionne : elle avait les cheveux d’une couleur pourpre, des oreilles taillées en pointes. Quant à son teint, il n’en avait jamais vu un pareil ; il était verdâtre, bien plus prononcé que celui du gros Panssdur avait trop mangé et qu’il se retenait de régurgiter. Elle était bien plus grande qu’eux, devait avoir une taille équivalente à celle du géant que Sighdur avait croisé quelques jours plus tôt. D’un coup, la créature s’arrêta de marcher. Elle leva la tête, et commença à sentir l’air autour d’elle, comme si une odeur inhabituelle l’avait submergée et en cherchait la source. Ils purent mieux l’observer, et se rendirent compte qu’elle était très très belle. Ses traits de visage étaient fins, avec des yeux couleurs de l’océan. Après avoir reniflé quelques secondes, elle se tourna vers le buisson qui les cachait et s’adressa aux deux compères. — Mais que vois-je là, donc ? Ne serait-ce donc pas des petits Tirgalions ? Qu’est-ce que vous faites là, si loin de chez vous ? Elle s’approchait, avec un rictus que ni Sighdur ni Taitdur n’auraient pu dire s’il était amical ou mauvais. Ils ne savaient pas comment réagir et étaient tétanisés sur place. Voyant la peur qui transpirait de tous les pores de nos deux Tirgalions tout penauds, elle ralentit et dit d’une voix plus calme. — Rassurez-vous, je ne vous veux aucun mal. Je me nomme Séléna, maîtresse de cette forêt depuis tant d’années. Je n’ai plus vu de Tirgalion depuis, depuis… Elle fit une pause, levant la tête semblant chercher la réponse au fond de son esprit. Mais globalement, nos deux compères avaient surtout l’impression qu’elle était en train de sentir quelque chose, vous savez comme lorsqu’on essaie de détecter l’origine d’une odeur venant d’un derrière. Oui, elle semblait « sentir le pet ». Mais suivez-moi donc, vous êtes bien loin de chez vous, venez donc prendre une tasse de thé dans mon humble maison ! Ils se regardèrent tous les deux, et Taitdur haussa les épaules. 24 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate — Certes, madame ! Nous acceptons volontiers votre invitation ! Cela fait deux jours que nous marchons, un bon thé ne serait pas de refus ! Sighdur fronça les sourcils. Il n’aimait pas trop la réponse de son compère, même si un bon petit thé lui ferait le plus grand bien. Mais ni Séléna ni Taitdur ne le laissèrent émettre la moindre objection en se mettant en route. Il soupira un bon coup puis trotta derrière eux pour les rattraper. Ils suivirent donc cette étrange créature, qui s’enfonçait un peu plus profondément dans les bois, délaissant ce qui restait de la route. Au bout de quelques instants, ils arrivèrent à l’orée d’une petite clairière, et au milieu d’elle une charmante maisonnette, avec un grand pourtour de fleurs. Les deux Tirgalions ne purent résister au charme bucolique de l’endroit et marchèrent d’un pas tout joyeux vers la chaumière. Une fois à l’intérieur, ils découvrirent une demeure bien coquette : des petites tapisseries dans des cadres bucoliques et champêtres décoraient les murs, les meubles étaient faits avec amour dans un bois que les deux Tirgalions n’arrivaient pas à définir, mais qui semblait bien robuste. Leur hôtesse leur fit signe de s’asseoir, en mettant quelques livres sur les chaises afin qu’ils puissent voir correctement la table, les meubles n’étant bien sûr, pas adapté à la petite taille des Tirgalions. Pendant qu’ils grimpaient et prenaient place, elle alla préparer le thé, et chercher quelques biscuits qui trônaient sur une étagère. Une fois que tout fut prêt, elle se mit à table. — Bien, maintenant que tout est prêt, présentons-nous un tout petit peu plus. Comme je vous l’ai dit, je m’appelle Séléna et je vis ici depuis bien longtemps, à vrai dire je ne me rappelle plus trop bien, je ne compte plus les années ! Et je dois dire que cela fait un bon bout de temps que je n’avais plus vu de Tirgalions ! Qu’est-ce que vous faites si loin de chez vous ? Ce fut Taitdur, qui plein d’assurance et avec une certaine fierté, prit la parole. Sighdur ne disait un mot, humant son thé et le dégustait en silence. Cette personne ne lui inspirait pas du tout confiance. — Je suis Taitdur et voici mon ami de longue date Sighdur. Nous sommes en mission pour le Val ! À ces mots, Sighdur se tourna vers lui, ses sourcils se froncèrent tellement qu’ils atteignirent presque le bas de leurs paupières. Il n’avait pas répété les mots de l’Ancien, sur le fait qu’ils ne devaient faire confiance à personne. Il aurait dû lui toucher un mot. Mais Taitdur le comprit au regard de son ami et ne continua pas son explication. — En mission pour le Val ? Voilà qui est passionnant ! Moi qui croyais que les 25 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Tirgalions ne passaient leur temps qu’à chanter et faire des farces aux autres ! — Mais oui, nous en sommes en mission, justement, notre ancien va fêter ces deuxcent ans et nous allons lui faire un tour du tonnerre. C’est pourquoi on nous a envoyé par-delà Tirgoval pour la préparer ! Séléna sourit et se resservit une tasse de thé et leur proposa un biscuit. Ils étaient délicieux, Les Tirgalions n’en avaient jamais mangé de telle sorte, se demandant bien avec quelle farine ils avaient été cuits. Mais Taitdur était pensif et se posait tellement de questions qu’il n’arrêta pas d’interroger leur hôtesse. — Et vous madame Séléna, vous connaissez donc notre existence, à nous, Tirgalions. Mais vous, qu’êtes-vous, si je puis me permettre ? Elle pouffa de rire en entendant cette question. — Vous semblez bien ignorant, Monsieur le Tirgalion, pour vous aventurer hors de vos terres ! Je suis une nymphe, comme il n’en reste plus beaucoup en Alinora. Nous avons été massacrées pour la plupart d’entre nous, et nous nous sommes éparpillées dans tout le continent. Je vis comme la plupart de mes semblables, cachée, et votre forêt est l’endroit idéal pour être tranquille ! — Les humains sont si terribles que ça ? Ce sont bien eux qui vous ont fait ça ? On nous a dit de se méfier d’eux ! — Oui, les humains ne nous aimaient pas beaucoup. Ils voulaient qu’on les serve, qu’on serve de bêtes de compagnie à leurs grands seigneurs pour leur plus grand plaisir et leur divertissement. Mais nous ne nous sommes jamais laissées faire, et de rage, comme ils n’arrivaient pas à nous dompter, nous ont truandées. Les deux compères se regardèrent. Sigdur trembla en entendant ces mots, se rappela également de ce que lui avait dit l’ancêtre sur les humains. Au plus il entendait parler des géants, au moins il avait envie de les rencontrer et rebrousser chemin. Mais Taitdur, avide de savoir, continuait de questionner Séléna. — La forêt ici, il n’y a donc que vous qui y viviez ? — À ma connaissance, oui. Vous savez, les humains n’y mettent pas les pieds. Pour eux, cette forêt est maudite et personne n’ose la traverser. Les hauts-nobles d’Alinora la décrétèrent maudite pour que personne ne s’y aventure et découvre votre vallée. Votre ancien ne vous l’a-t-il pas expliqué ? — Non. Il est le gardien du savoir. C’est lui qui garde la mémoire, qui connaît le monde et l’histoire. Avec toutes ces connaissances, il nous conseille. Et s’il ne raconte pas toute l’histoire d’Alinora, hormis certaines vieilles légendes qui concernent les Tirgalions, il dit que c’est pour notre bien et que nous puissions vivre en toute insouciance, sans qu’on aie à se préoccuper de ce qui nous entoure ou de 26 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate notre passé. — Hé bien, on va faire un mini résumé : il y a bien longtemps, il y eut une grande guerre, qui unit une grande partie des peuples d’Alinora, à savoir les humains, les Sylvains et Trappus contre Gogol, le Seigneur fou des terres du nord. Les Tirgalions étaient pris entre deux feux, et beaucoup périrent. Lorsque Gogol fut vaincu, les nobles d’Alinora vous donnèrent cette terre, devenue Tirgoval pour que puissiez vivre en paix et ne plus subir les guerres, devenues si communes sur tout le continent. Ils l’écoutèrent parler encore et encore, mais au plus elle parlait, au plus les questions s’accumulaient pour nos deux amis, se demandant dans quel monde ils allaient atterrir. Ils l’écoutèrent tellement parler qu’ils n’avaient pas vu que le soleil atteignait l’horizon et qu’il leur faudrait trouver un endroit où passer la nuit. Séléna, les voyant regarder par la fenêtre arrêta le plongeon dans le passé d’Alinora. — Diantre ! Il est déjà si tard ! Le temps passe vite lorsque je raconte toutes ces histoires ! Je vous ai retenu plus que je ne l’aurais du, mais comme le soleil a déjà passé l’horizon, que diriez-vous de dormir au chaud pour cette nuit ? C’était la proposition à ne pas refuser. Sighdur n’avait presque pas fermé l’œil depuis leur départ, Taitdur bien qu’il ait dormi correctement, s’était réveillé avec moult courbatures. Même si Sighdur ne sentait toujours pas à l’aise, s’ils pouvaient dormir au chaud bien tranquillement, autant en profiter ! Ils partiraient dès l’aube, quitte à ne pas attendre que Séléna se réveille. Ils discutèrent encore durant une bonne partie de la soirée, Taitdur racontait la vie quotidienne en Tirgoval à leur hôte, et elle répondait à leur question. Ils s’endormirent bien tard, mais bien au chaud, leur charmante hôtesse leur ayant fait un peu de place au pied de son lit afin qu’ils soient bien installés. 27 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate Où est-ce qu'elle est, la jolie maisonnette? Bien tard dans la nuit, un rire étrange et des chuchotements réveillèrent Sighdur en sursaut. Il ne reconnaissait plus les lieux, la maison était toujours là, mais elle avait complètement changé. Les beaux murs blancs avaient fait place à des murs totalement sombres, aussi noirs que du charbon. Les tapisseries bucoliques avaient disparu, laissant place à des trous faisant office de fenêtres qui donnaient sur une forêt totalement décrépie. La saleté était omniprésente. Un étrange chaudron chauffait dans l'âtre, celui-ci était garni de crânes et d'ossements en tout genre. Il réveilla vite fait Taitdur qui, totalement effrayé, eut la même vision. C'est alors qu'ils les aperçurent. Ils avaient plus ou moins la même taille qu'un Tirgalion moyen, mais c'était bien la seule comparaison qui était possible. Leur peau tendait vers le vert et le brun, était parsemée de cicatrices, comme si celles-ci indiquaient avec fierté des marques de guerre. Leurs cheveux étaient en bataille et ne semblaient plus avoir touché de peigne depuis bien des années. Mais ce qui effrayait le plus les deux Tirgalions n'était ni plus ni moins leur regard qui était de braise, habité par une haine vivace. Et ils observaient nos deux amis avec un sourire plus que malsain. Selena était derrière eux, et fouillait avec fébrilité dans les affaires des Tirgalions. — Je l'ai sentie ! Je suis sûre que j'en ai senti une ! Elle se tourna vers eux. Son sourire, ses yeux étaient eux aussi envahis par cette braise, cette haine si intense. Ils reconnaissaient à peine la Nymphe qui les avait accueillis plus tôt dans la journée. « Dites-moi, vous deux ! Où est-ce qu'elle est ? Où l'avez vous cachée ? Je sais ce que vous transportez, donnez-la-moi ! — Je ne vois pas du tout de quoi vous voulez parler », répondit Sighdur. « Mon ami vous l'a dit, nous sommes en route pour quérir quelque ingrédient pour la farce de l'Ancêtre ! » La réponse qu'il obtint fut l'hilarité générale chez les gnomes qui les observaient. L'un deux, munis d'une lance, s'avança et la pointa directement en direction de la gorge de Sighdur. « Ce n'est pas bien de mentir, mon petit ami. Quand Maîtresse demande, tu réponds sans faillir. Quand Maîtresse ordonne, tu obéis. Il va falloir vite vous y faire, les gaillards, sinon vous allez tâter de nos fers ! » Un deuxième se rapprocha et gifla violemment Taitdur. Le coup était si fort qu'il se sentait tomber, mais se rattrapa d'une main. « Tu fais moins le malin là, hein, Monsieur le Fanfaron ! Monsieur, j'ai une mission 28 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate pour le Val ! Toi aussi, je vais t'apprendre à ne plus mentir ! » Les coups s'abattirent, les un après les autres, tout aussi violents que le premier jusqu'à ce qu'il tombe inconscient. Puis, ce fut au tour de Sighdur de connaître le même sort. À leur réveil, ils virent qu'ils étaient enfermés dans une cage, comme celles qu'ils utilisaient pour leurs poules. Ils n'étaient plus dans la maison, mais dans une grotte. Sighdur supposa qu'elle devait être sous la maison, en observant un escalier taillé directement dans la pierre et qui montait vers un éventuel étage supérieur. La grotte subissait le même aspect que la demeure dans laquelle ils s'étaient réveillés. La Pierre était sombre comme l'ébène, le sol recouvert de gravillons et d'ossements en tout genre, allant du petit animal à celui d'êtres humanoïdes. Un peu plus loin se trouvaient des instruments étranges, vraisemblablement destinés à trancher, arracher des membres ou organes. Selena se tenait devant leur cage, avec les gnomes bizarres derrière elle, et répéta une nouvelle fois sa question. — Où est-elle ? Sa voix était de plus en plus forte, portée par la colère et l'envie. Sighdur se leva d'un trait, et tout en se tenant à la cage, dit avec colère : « Mais puisque je vous dis que je ne sais même pas de quoi vous parler ! — Mais bien sûr, mon petit Tirgalion. J'ai senti une pierre de pouvoir dans les bois, c'est d'ailleurs pour cela que je suis venue à votre rencontre. Car je sais que c'est vous qui la transportez. — Faut arrêter la moquette, madame ! Si vous voulez des cailloux, il y en a plein les bois ! Les pierres magiques, ça n'existe pas ! » Les créatures firent en pas en arrière. Il ne faut pas contredire maîtresse. Quand maîtresse se fâche, bonjour les dégâts. De fait, la fureur se lisait sur son visage. Un vent froid se mit à souffler dans la grotte. Il se concentra sur les deux Tirgalions, qui se mirent à trembler. Taitdur, voyant son ami souffrir par ce vent glacial, demanda à ce qu'elle s'arrête. « D'accord, arrêtez ! Je vais vous le dire ! — Où est-elle ?, demanda-t-elle à nouveau. — tout prêt... — Où ça ? — Dans ton cul. » Stupeur générale. Ni Selena, ni les gnomes maléfiques ne s'étaient attendu à une telle réponse. La nymphe se mit à rire. Ses minis sbires hésitèrent un instant, puis 29 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate s'esclaffèrent à leur tour. Mais cette hilarité n'était point joviale, au contraire, elle glaçait le sang des deux malheureux enfermés comme des poules. Au bout d'un petit instant, Selena reprit un air sévère et arrêta son rire malfaisant. Les créatures derrière elle stoppèrent aussi sec. « -Vous ne perdez rien pour attendre, petits Tirgalions. Dès demain, nous reprendrons cet interrogatoire et je commencerai votre éducation. Vous êtes comme ces pauvres Tirgalions perdus dans la forêt bien avant vous. Vous êtes à moi dorénavant, et comme eux, vous me servirez et m'adorerez jusqu'à ce que la mort, qui viendra bien tardivement, vous prenne ! Mes chers gnomes, surveillez-les, le jour va bientôt poindre, il est temps pour moi de me reposer ! Me promener dans le soleil m'a épuisée ! » Sighdur observa le mécanisme de cette cage. Un cadenas, rien de bien sorcier à ouvrir s'ils avaient les ustensiles adéquats. Mais à chaque regard qu'il posait hors de la cage, il était rappelé à l'ordre par un de ses tortionnaires. Lorsque Sighdur et Taitdur commencèrent à dodeliner de la tête et tentaient de trouver une position confortable pour se reposer, les gnomes décidèrent de tirer à la courte-paille celui qui devrait garder les deux Tirgalions durant la journée. Ce fut le plus grand, un peu benêt qui dut s'y coller, à la grande satisfaction de ses confrères. Sighdur, en regardant ces êtres immondes, supposa même qu'ils avaient entourloupé leur camarade, et que ce n'était pas la première fois qu'ils agissaient de la sorte. C'est bien simple, ils dans leurs palabres, ils l'avaient chaque fois appelé « Big Dadais ». Ces derniers s'en allèrent dans une sorte d'alcôve un peu plus loin et on ne les entendit plus, hormis quelques grossiers ronflements sporadiques. Profitant de la distraction de leur geôlier, il fallait bien dire qu'il n'était absolument pas malin, et que le moindre bruit suspect lui faisait faire une mini ronde de surveillance, Sighdur et Taitdur fouillèrent leurs poches et plis dans leurs vêtements. À leur grande satisfaction, leurs tortionnaires, dans leur hâte, ne leur avaient pas fait subir une fouille corporelle, et par miracle Sighdur trouva une épingle de sûreté bien calée au fond de sa poche. Il ne lui en fallait pas plus pour crocheter ce maigre cadenas, ils devaient juste arriver à distraire le « grand benêt ». C'est là qu'une brillante idée émergea dans son esprit. « Dis-moi, Taitdur, tu te rappelles de la berceuse que chantonnait Chandori pour nous endormir ? Celle qui parlait de grands voyages, de ce Tirgalion solitaire, avide de découverte, mais qui se sentait bien seul, loin de sa terre ? Tu pourrais nous la chanter ? » Taitdur comprit tout de suite le subterfuge. Il commença à entamer une chansonnette, avec une voix faible et douce pour ne attirer l'attention sur eux. La technique fonctionna à merveilles. Leur geôlier, après avoir versé une petite 30 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate larme, dodelina de la tête et s'assoupit sous le doux chant de Taitdur. Dès qu'ils furent sûrs et certains que le « grand benêt » dormait à poings fermés, Sigurd sortit son épingle et se mit à bidouiller la serrure du cadenas qui ne tarda pas à céder. Ni une ni deux, ils sortirent de la cage sans faire le moindre bruit. Mais Taitdur ne voulait pas partir sans faire un vilain tour aux créatures qui les avaient martyrisés toute la nuit. Il s'approcha d'elle tout doucement, à pas de Tirgalion bien furtif, et noua les lacets de ses chausses entre eux. Lorsqu'ils se lèveront, ils se prendront un gamelle bien solide. C'était bien peu payé face aux atrocités qu'ils leur avaient fait subir, mais c'était tout de même mieux que rien. Une fois son méfait accompli, ils prirent la poudre d'escampette, grimpant quatre à quatre les marches vers ce qu'ils pensaient être la sortie. Sighdur avait vu juste : les grottes où ils avaient été séquestrés se trouvaient bien sous la demeure, l'entrée dissimulée aux visiteurs, par une tout petite alcôve derrière la cheminée. La maisonnette avait repris l'apparence qu'ils avaient connue avant leur sommeil et le soleil brillait, majestueux dans le ciel. La journée était déjà bien avancée, selon eux il ne devait pas être loin de midi. Tout doucement, à pas de loups, ils avançaient vers la porte, qui signifiait pour eux la fin de leur calvaire. Il leur restait cependant un gros problème : la porte était fermée, et nos Tirgalions étaient bien trop petits pour actionner le levier. De plus, elle était là. Endormie, certes, mais elle était là. Il fallait donc éviter de faire le moindre bruit, sinon, c'en était fini de leur course. Et honnêtement, Sighdur n'osait pas imaginer de quoi était capable une créature aussi malsaine avec la pierre à sa portée. Pendant que Taitdur réfléchissait à un moyen de franchir cet obstacle, Sighdur, lui, cherchait leurs affaires. Il n'eut pas longtemps à chercher, elles traînaient toujours sur la table de cette vilaine sorcière. Il rassembla tout ce qu'il put, hormis la nourriture qui avait mystérieusement disparu et fit vite deux baluchons. Taitdur lui intima de monter sur ses épaules, ce que Sighdur fit de suite. Le premier commença à se relever ensuite, et les deux Tirgalions, en faisant donc la courte échelle, purent actionner le mécanisme de la porte. Malgré le cliquetis émis par la clenche, qui provoqua un stress énorme chez nos deux compères, Séléna ne semblait pas se réveiller. Ils sortirent vite fait de la demeure et se mirent à courir le plus vite possible pour sortir de la clairière. 31 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate La cachette ultime pour un précieux caillou Lorsqu'ils franchirent la lisière de ce havre au milieu de cette sombre forêt, un cri strident résonna à des kilomètres à la ronde. D'abord seuls des hurlements étaient audibles, mais peu après, une phrase retentit dans toute la clairière. Rattrapez-les, triples crétins ! Séléna hurlait, sa voix furieuse était portée par le vent. Ils tremblèrent quelques instants, puis les deux Tirgalions se mirent à courir de plus belle pour tenter de mettre le plus de distance possible entre eux et leurs poursuivants. Ils ne s'arrêtèrent pas plus lorsque la nuit arriva, car ils avaient bien trop peur de se faire prendre à nouveau par leurs étranges tortionnaires. Ce n'est que vers minuit qu'ils s'accordèrent une pause, et Taitdur, tout haletant, posa enfin la question qui lui brûlait les lèvres depuis que Selena avait entamé son interrogatoire. — Mais la Pierre, où est-elle ? C'était bien ça qu'elle cherchait, non ? Elle n'était pas dans les affaires ! Un sourire se forma sur les lèvres barbues de Sighdur. — En fait, tu n'étais pas très loin de la vérité. Bien sûr, comme je ne savais pas ce qui allait nous arriver, je l'ai cachée avant que nous nous mettions en route. L'Ancêtre m'avait dit de me méfier de tout le monde. Je l'ai donc mise dans le seul endroit où elle ni ses sbires n'ont pas pensé à fouiller ! Sighdur enfonça une main dans son caleçon et commença à triturer son derrière. Au bout de quelques gémissements, mini sauts et tours de main, il sortit la bourse de la pierre avec un sourire triomphal. — Tu vois, elle est bien là, à l'abri ! Là au moins je suis sûr qu'on ne cherchera pas à aller fouiller ! Taitdur se mit à rire comme un petit fou. Il trouvait la petite blague fort plaisante. Mais Sighdur avait bien raison, jamais il aurait pensé à chercher la pierre dans un trou de balle. Sighdur remit la pierre dans sa cachette de fortune, en demandant à son compère de se retourner. Ce dernier, quant à lui, avait repris son souffle et commençait à s'impatienter. Dépêche-toi, Sighdur, remettons-nous en route, je n'ai franchement pas envie de retomber sur ces monstres. On ne sait pas où ils sont, vaut mieux ne pas traîner ! Ils marchèrent d'un pas rapide, forçant le plus possible l'allure. Et tout en avançant, Sighdur rappela les mots de l'Ancêtre, expliqua à Taitdur qu'il ne fallait en aucun cas qu'ils parlent de la pierre à moins d'être sûr que leurs interlocuteurs soient dignes de confiance. Il lui expliqua aussi les craintes du vieux, de ce qu'il avait vu et ce que cette pierre pourrait annoncer. En entendant ces mots, son compagnon devint tout 32 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate blême. Comme Sighdur quelques nuits auparavant, les questions et l'inquiétude l'envahirent : comment pourraient-ils, eux, de simples petits Tirgalions, éviter les catastrophes qui s'annonçaient ? Et comment trouver ces « Inothai » et comment les reconnaissait-on ? Mais Taitdur l'intrépide chassa rapidement tous ces doutes : la soif de découverte du monde inconnu l'emporta bien vite sur tout le reste. Ils continuèrent à marcher de pied ferme, jusqu'à ce qu'ils retrouvent des traces familières. À leurs pieds, quelques fougères avaient été piétinées. Le reste de la flore environnante était aplati, prenant les formes de deux petits corps qui s'étaient couchés là. Ils constatèrent avec désarroi qu'ils n'avaient pas avancé, mais dans leur fuite précipitée, avaient rebroussé chemin : ils étaient retournés à l'endroit où ils avaient campé la nuit précédente ! « On y arrivera jamais, soupira Sighdur. Nous sommes en train de retourner vers le val, nous avons perdus tant de temps. Je crois bien qu'on est perdu. » « Ne te laisse pas abattre copain. Je sais bien que pester est ta spécialité, mais il est encore trop tôt pour s'avouer vaincus. Allez, remettons-nous en route ! Ils bifurquèrent et reprirent leur marche de plus belle. Sighdur continuait de pester dans son coin, suivant un Taitdur bien décidé à sortir de la forêt au plus vite. Mais son enjouement était feint, pour ne pas inquiéter outre mesure son compagnon. Dans sa tête, il ne cessait de prier Dothiria qu'ils ne retombent pas nez à nez avec les viles créatures qui les avaient tourmentés. Ils s'accordèrent une longue pause à l'aurore. Selon que ce qu'ils avaient vu ce matin, les créatures bizarres qui les pourchassaient semblaient ne pas aimer la lumière du soleil. Ils décidèrent de se reposer un peu avant de reprendre leur marche. Chacun prit un tour de garde d'une heure pour que l'autre puisse dormir un peu, et ensuite, ils repartirent toujours d'un pas décidé. Ils refirent une pause similaire en fin d'après-midi, histoire de se reposer jusqu'à ce que le soleil passe l'horizon. L'endroit où ils s'étaient arrêtés regorgeait de champignons, et les deux Tirgalions affamés en firent un festin. Ils se reposèrent de la même manière que leur pause matinale et reprirent une marche forcée durant toute la nuit. Ils avancèrent durant trois jours sans jamais se détourner, et en gardant le même modus operandi. Il leur arrivait de ne rien manger pendant une journée, se nourrissant que de ce qui poussait dans les bois. De temps à autre, des bruits effrayants retentissaient autour d'eux, et ils se cachaient jusqu'à ce qu'ils soient sûrs que la menace soit passée. La fatigue et la faim commencèrent à s'installer, et ils puisaient dans leurs derniers retranchements, ce qui n'empêcha pas leur cadence de marche ralentir. À la fin du troisième jour, ils atteignirent l'orée de la forêt et se retrouvèrent face à une vaste plaine. 33 Les douze foutus cailloux d'Alinora - La nuit de la lune écarlate 34