Quelques textes sur les édifices de spectacles Fichier

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Quelques textes sur les édifices de spectacles Fichier
2013-2014, S1
Université Paris 1
L1 - Histoire de l’art et archéologie
Art et archéologie de Rome et de l’Italie
E. Letellier
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Édifices de spectacles, sources littéraires
L’histoire du théâtre romain
Valère Maxime, Faits et dits mémorables, II, 4
Texte traduit par C. Salles (In C. Salle, L’Antiquité romaine. Paris : Larousse, in extenso, 1993.)
Valère Maxime était un contemporain de Tibère. Il a laissé neuf livres de Faits et dits Mémorables, qui étaient
destinés à servir d’exemples aux rhéteurs pour illustrer leurs discours. Il retrace ici une histoire du théâtre
romain.
« La construction du premier théâtre date de la censure de Messala et Cassius1. Cependant, à l’instigation de
Publius Scipion Nasica, on décida de vendre aux enchères tout le matériel ayant servi à le bâtir. Et même un
sénatus-consulte défendit, dans Rome et à moins d’un mille, d’installer des gradins et de s’asseoir pour les
représentations théâtrales. C’était sans doute pour associer à cette détente des esprits l’endurance à rester debout
qui est un trait propre à la race romaine.
D’autre part, pendant cinq cent cinquante-huit ans, les sénateurs assistèrent aux jeux publics mélangés avec le
peuple. Mais les édiles Atilius et Lucius Scribonius mirent fin à cet usage. Pendant les jeux qu’ils organisèrent
en l’honneur de la Mère des dieux2, en se conformant à l’avis du second Africain, ils assignèrent des places
distinctes aux sénateurs et au peuple. Cette mesure les priva de la sympathie de la foule et ébranla grandement
la popularité de Scipion.
Je vais rappeler maintenant depuis ses origines la raison qui fit instituer les jeux publics. Sous le consulat de
Caius Sulpicius Peticus et de Caius Licinius Stolon3, une épidémie de peste d’une violence intolérable avait
détourné notre cité des activités militaires et l’avait accablée sous le poids de l’inquiétude. Il semblait qu’en
faisant appel à une forme nouvelle et rare de célébrer un culte religieux on trouverait plus d’efficacité que dans
n’importe quelle science humaine. Par conséquent, pour apaiser la volonté des divinités célestes, on composa
des hymnes. Les citoyens les écoutèrent attentivement, alors que jusque-là ils s’étaient contentés des spectacles
du cirque, célébrés pour la première fois par Romulus sous le nom de Consualia après l’enlèvement des
Sabines. Mais l’habitude des humains de poursuivre avec acharnement les initiatives frivoles fit qu’à ces paroles
pleines de respect pour les dieux, la jeunesse en plaisantant ajouta des gestes avec des mouvements grossiers et
inorganisés. Cela fournit l’occasion de faire venir d’Etrurie un pantomime. Sa gracieuse souplesse, imitée des
Curètes et des Lydiens dont les Etrusques tirent leur origine, charma les yeux des Romains, par son agréable
nouveauté. Comme le pantomime est appelé « histrion » par les Etrusques, on a donné à tout acteur montant sur
la scène le nom d’histrion. Peu à peu, l’art scénique glissa vers le genre de la satura duquel le poète Livius4, le
premier de tous, sut détourner l’attention des spectateurs pour les intéresser à l’intrigue de pièces dramatiques.
Cet auteur jouait lui-même ses pièces, mais, comme le public le rappelait trop souvent, il avait perdu sa voix. Il
s’adjoignit un acteur et un joueur de flûte et il continua de faire des gestes en silence. On fit venir les acteurs
d’atellanes du pays des Osques. Et ce genre de distraction est tempéré par la gravité italienne et c’est pourquoi il
échappe à la censure. Aussi les acteurs d’atellanes ne sont pas exclus de leurs tribus ni écartés du service
militaire. »
1
En 154 av. J.-C.
En 195 av. J.-C.
3
En 364 av. J.-C.
4
L’écrivain Livius Andronicus fut le premier en 240 av. J.-C. à faire représenter à Rome une pièce de théâtre écrite en latin.
2
La représentation d’un mime
Apulée, les Métamorphoses, X, 29-31
Texte traduit par C. Salles (In C. Salle, L’Antiquité romaine. Paris : Larousse, in extenso, 1993.)
Apulée (125-170), originaire de Madaure en Numidie, a beaucoup voyagé (en Grèce, à Rome), avant de
s’installer à Carthage, où il jouissait d’une grande renommée d’orateur. Outre de nombreuses œuvres
philosophiques et oratoires il nous a laissé un magistral roman : Les Métamorphoses ou l’Âne d’or, où il
raconte avec jubilation, dans une série de récits enchâssés, les mésaventures du jeune Lucius, transformé en
âne pour avoir été trop curieux de magie. Il s’agit ici de la représentation d’un mime dans le théâtre de
Corinthe ; le sujet est le jugement de Pâris sur le mont Ida, au cours duquel le jeune berger doit offrir une
pomme d’or à la plus belle de trois déesses, Junon, Minerve et Vénus.
« Voici qu’entrent des garçons et des filles dans la fleur de leur adolescence, remarquablement beaux et vêtus
somptueusement. Ils évoluent avec grâce pour danser une pyrrhique grecque5. Disposés en bon ordre, ils
décrivent des figures harmonieuses : tantôt ils forment une ronde sinueuse, tantôt ils dessinent une ligne
oblique, puis se disposent en carré, enfin ils se séparent en deux rangées. Mais leurs arabesques ondoyantes et
alternées sont interrompues par une sonnerie de trompette. Le rideau est baissé6, les tentures sont repliées et le
décor de la scène apparaît.
On voyait une colline en bois édifiée à la ressemblance de cette célèbre montagne qu’Homère a chantée sous le
nom d’Ida dans ses poèmes. La construction se dressait vers le ciel et était plantée de bosquets et d’arbres réels.
De sa cime jaillissait une source, faite par la main de l’architecte et s’écoulant pour former une rivière.
Quelques petites chèvres broutaient l’herbe et, représentant le berger phrygien Pâris, un jeune homme, vêtu
d’une splendide tunique et d’un manteau oriental recouvrant ses épaules, la tête coiffée d’une tiare en or, jouait
le rôle d’un gardien de troupeau. Apparaît alors un joli garçon, tout nu à l’exception d’une chlamyde d’éphèbe7
jetée sur son épaule gauche. Sa blonde chevelure attirait les regards de tout le public et, au milieu de ses
cheveux, deux petites ailes d’or, placées de façon symétrique, se dressaient. Son caducée montrait qu’il
s’agissait de Mercure. S’avançant en dansant, il tend au jeune homme représentant Pâris la pomme recouverte
d’une feuille d’or qu’il tient dans sa main droite. Par une mimique, il indique ce que Jupiter demande et, avec
un charmant pas en arrière, quitte immédiatement la scène.
Arrive ensuite une jeune femme au noble visage, vêtue à la façon de la déesse Junon. En effet, sa tête est
couronnée d’un diadème blanc et sa main porte un sceptre. Une autre comédienne fait alors irruption et on
reconnaît qu’il s’agit de Minerve : sur sa tête étincelle un casque sur lequel est placée une couronne d’olivier.
Elle tient un bouclier et brandit une lance, telle qu’on représente la déesse au combat.
Après ces deux jeunes filles, une troisième fait son entrée, bien supérieure par son charme. La grâce divine de
son teint la désigne comme étant Vénus, une Vénus encore vierge et montrant la beauté parfaite de son corps
entièrement nu, à l’exception d’une écharpe de soie légère voilant son charmant pubis. Du reste un zéphyr
indiscret joue amoureusement avec cette étoffe : tantôt il souffle lascivement pour la soulever et découvrir la
tendre fleur de la jeunesse, tantôt il l’entraîne voluptueusement pour qu’elle se plaque plus étroitement sur le
corps de l’actrice et en dessine les contours sensuels. Un contraste de couleurs distingue la déesse, son corps
blanc semblant venir du ciel, son voile azuré paraissant sortir de la mer. »
5
La pyrrhique est une danse guerrière grecque. Le terme finit par désigner toute catégorie de ballet.
A la différence de notre usage, le rideau de théâtre, à Rome, est « baissé » au début de la représentation pour faire apparaître la scène,
et disparaît dans une trappe aménagée sur le sol.
7
La chlamyde est un court manteau grec.
6
L’inauguration du Colisée
Dion Cassius, Histoire romaine, LXV, 25-26.
Traduit du grec par E. Gros et V. Boissée, 1870
Dion Cassius (160-235) était Grec et fit une carrière brillante dans l’administration impériale romaine (il fut
sénateur, consul et deux fois légat de province impériale). Il écrivit un énorme ouvrage d’histoire romaine
(jusqu’à la mort d’Élagabale en 222) selon la méthode de l’annalistique (présentation des événements année
après année). Pour l’Empire, après la bataille d’Actium, il adopte une perspective plutôt biographique pour
chaque empereur. Il décrit ici avec emphase les festivités autour de l’inauguration du Colisée.
« Titus, dans les autres occasions, ne fit rien de remarquable ; mais, lors de la dédicace de l’amphithéâtre et des
bains qui portent son nom, il donna des spectacles nombreux et merveilleux. Des grues se battirent les unes
contre les autres ; quatre éléphants, d’autres animaux, tant domestiques que sauvages, au nombre d’environ neuf
mille, furent égorgés, et des femmes, de basse condition, il est vrai, aidèrent à les tuer. Beaucoup d’hommes se
firent gladiateurs, beaucoup aussi luttèrent en troupes dans des combats sur terre et sur mer. Après avoir tout à
coup rempli d’eau cet amphithéâtre, Titus y fit paraître des chevaux, des taureaux et d’autres animaux
apprivoisés qu’on avait dressés à faire dans l’eau les mêmes exercices que sur terre ; il y fit aussi paraître des
hommes sur des vaisseaux. Ces hommes engagèrent, comme s’ils eussent été les uns Corcyréens, les autres
Corinthiens, un combat naval8 ; d’autres en livrèrent un, hors de l’amphithéâtre, dans le bois de Caius et
Lucius9, que jadis Auguste avait fait creuser pour cet effet. Là, il y eut, le premier jour, combat de gladiateurs et
massacres de bêtes, le lac ayant été recouvert d’un plancher au droit des statues et de constructions tout à
l’entour ; le second, jeux du cirque, le troisième, combat naval de trois mille hommes, et, ensuite, combat de
terre : les Athéniens, ayant vaincu les Syracusains (ce furent les noms qu’ils avaient pris pour le combat),
descendirent dans l’île et emportèrent d’assaut un fort qu’on y avait élevé à l’entour du monument. On eut
pendant cent jours ces sortes de spectacles sous les yeux. Titus donna aussi au peuple des choses utiles ; il jetait
d’un lieu élevé sur le théâtre de petites boules de bois, portant un bon, celui-ci pour quelque comestible, celui-là
pour un vêtement, un autre pour un vase d’argent, un autre encore pour un vase d’or, pour des chevaux, pour
des attelages, pour des troupeaux, pour des esclaves ; ceux qui les avaient attrapées devaient les remettre aux
officiers chargés de la distribution et recevoir l’objet marqué.
Après avoir terminé ces fêtes et avoir, le dernier jour, pleuré en présence du peuple entier, Titus ne fit plus rien
de grand ; l’année suivante, sous le consulat de Flavius et de Pollion, après la dédicace dont il a été parlé, il
mourut aux mêmes eaux que son père. »
8
9
Corinthe et Corcyre sont deux cités grecques qui s’étaient affrontées lors de la guerre du Péloponnèse, au Ve s. av. J.-C.
Caius et Lucius César, petits-fils d’Auguste, morts prématurément.