Louis Nicollin, le truculent président du club de

Transcription

Louis Nicollin, le truculent président du club de
( D’INGUE D’ATHLÉ ) LOUIS NICOLLIN
Un sacré
Loulou
Louis Nicollin, le truculent président du club de foot de Montpellier, est à la fois un industriel,
un collectionneur, une grande gueule, et surtout un mordu de sport. Ami de Yohann Diniz,
il nous a reçus chez lui pour nous parler d’athlétisme, un peu, et de ses multiples passions,
beaucoup. RÉDACTEUR ET PHOTOGRAPHE : ÉTIENNE NAPPEY
L
orsque nous débarquons dans son bureau, un matin
ensoleillé de février, Louis Nicollin, dit Loulou, est tel
qu’on nous l’avait décrit. Un peu bougon, gouailleur,
bavard et d’un vocabulaire inimitable. Sa préoccupation du moment, c’est l’installation d’un train miniature qu’il se
fait construire dans l’une des pièces de son immense demeure,
sise au mas Saint-Gabriel, au cœur de la petite Camargue, dans
l’arrière-pays montpelliérain. « Miniature » n’est sans doute pas
le bon mot pour qualifier le projet de rail de Loulou : douze
pistes, jonchées de décors d’animations en tout genre. « Une
fête foraine, un marché, tout ce que tu veux. Je l’ai commandé à
des Allemands, ça fait six mois qu’ils bossent dessus », résume-t-il
en parlant de son « rêve de gosse ».
Enfant, sa grand-mère lui achetait Miroir sprint et But et club. « À
l’époque, c’était les deux journaux sportifs qui traitaient de tous
les sports. C’était fabuleux, surtout pour le Tour de France. Ça m’a
donné le virus. » Aujourd’hui, il est « abonné à toutes les revues de
sport en français ». Voilà le principal trait de caractère du personnage, apprécié des médias pour sa langue bien pendue :
tout faire à fond.
Collectionneur patenté (timbres, petits soldats de plomb, jouets,
voitures miniatures, etc.), il est à la tête d’une impressionnante
compilation de souvenirs sportifs. « Cela a commencé avec les
maillots de foot, après que j’ai créé le club de Montpellier à la Paillade
en 1974, et le reste est venu après. Aujourd’hui, il y en a de partout.
Enfin, c’est rangé par thème, hein », prend-il le soin de préciser.
Jugez plutôt : près de 5 000 pièces, tous sports confondus. « J’ai
du cricket, du rugby, du handball, et même du curling ! C’est un
sport un peu con, mais enfin, bon. » En tout, le musée de l’industriel
Nicollin occupe une superficie de 5000 m², réparti en quatre
grands bâtiments différents sur sa propriété du mas Saint-Gabriel.
Six employés à plein temps sont chargés de la logistique, de la
conservation et des acquisitions. Le tout est privé, même si le
président du Montpellier Hérault Sporting Club n’est pas avare
en visite, avec les visiteurs habitués des lieux ou de passage.
Rayon athlétisme, son musée renferme quelques perles rares :
la tenue complète de Kevin Young des Mondiaux de Stuttgart
en 1993, un maillot de l’URSS porté par Valery Borzov, un autre
d’Emil Zatopek, celui de Renaud Lavillenie avec lequel il a franchi
6,03 m aux championnats d’Europe en salle en 2011, un t-shirt
d’Usain Bolt – « je l’ai eu au meeting de Paris, j’y vais pratiquement
tous les ans. J’ai toutes les torches olympiques, sauf celle d’Albertville. On me l’a proposée une fois, mais à un prix effroyable. J’ai des
médailles d’or, surtout des athlètes de l’Est, qui les vendent pour
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se faire un peu de sous. Beaucoup de sous, même. J’ai aussi un
bronze de Ladoumègue, qui est très recherché. Le musée du sport
de Lausanne l’a eu dans le cul, c’est moi qui leur ai piqué ! », se marre
l’heureux propriétaire. Sans être « fan, fan, fan », Loulou Nicollin
« aime l’athlé en général. Je regarde quand il y en a à la télé. Ce qui
me plaît le plus ? Le décathlon, j’estime que c’est les mecs les plus
forts de tous. J’aime bien le 3 000 m steeple aussi, avec la rivière. Au
début, ils sautent facile et, à la fin de la course, c’est plus la même
affaire. Après, le 100 m et tous ces trucs, c’est trop rapide, je n’ai pas
le temps de suivre. »
FAN D’HEIKE DRECHSLER
Nicollin compte également quelques potes dans le milieu des
pistes en tartan. Parmi eux, Yohann Diniz tient une place de
choix. Pas surprenant, donc, de retrouver plusieurs tuniques
portées par le marcheur rémois au milieu de celles de Romain
Barras ou Romain Mesnil. Car Diniz est un ami personnel de Louis
Nicollin. « Je le connais depuis longtemps. Il est déjà venu trois fois
ici en vacances. Je l’ai même fait donner le coup d’envoi d’un match
entre Montpellier et le Stade de Reims », rappelle Nicollin. « C’est
un athlète qui me plaît, parce qu’il se défonce pour pratiquement
rien du tout. Il n’a qu’une tare, c’est qu’il est socialiste ! », s’esclaffe
Loulou, qui ne se départit jamais de son humour si corrosif.
« C’est un garçon attachant, et même dans les moments difficiles,
je l’ai toujours soutenu. » Depuis, Nicollin suit toutes ses courses
à la télévision. « À chaque fois, j’ai peur qu’il prenne un carton, ce
con ! », souffle-t-il. Nicollin, fana de marche ? « Je ne passerais pas
ma vie à en regarder, mais comme je connais Yohann, je suis toutes
ses courses, en entier, et j’espère qu’il va être champion olympique ! »
À Rio, en 2016, il y sera. « Si la santé le permet, bien sûr. J’en ai déjà
fait beaucoup ! » Il y suivra Diniz, évidemment, mais aussi tous
les autres sports, comme d’habitude.
Au détour de la conversation, il cite Blanka Vlasic, « très belle », et
« la sauteuse allemande, Heike quelque chose. Drechsler ? Ah oui,
voilà. Je me rappelle l’avoir vue aux Jeux olympiques à Barcelone.
Mamma, quel canon, mon père ! » Il parle également de Bambuck, Jazy, Piquemal, Delecour et Guy Drut, dont il a « un de ses
premiers maillots, à Oignies ». Le nom de Colette Besson lui fait
briller les yeux. « C’était une amie. J’ai un maillot d’elle en équipe
de France et un autre en équipe d’Europe. Ça, c’était une fille bien.
Et à l’époque, ils ne gagnaient pas autant de sous que les athlètes
aujourd’hui. Il fallait qu’ils soient amateurs complets, ce qui me fait
bien rire. » Fierté régionale oblige, il a aussi gardé un souvenir
particulier de Jean-Claude Nallet, « une star en son temps. Il était
de la région lyonnaise, comme moi, donc il avait ma préférence. Et
pis, sur 400 m, les mecs ils sont à fond tout le long. 100 m, c’est dur,
200 m, c’est dur, mais 400 m à fond, aaaaaaaaaaah », souffle-t-il
d’admiration.
Il finit par revenir à la marche et évoque Paris-Colmar. « À l’époque,
c’était Paris-Strasbourg, j’en ai d’ailleurs des affiches. Comment il
s’appelait déjà ? Ah oui, Gilbert Roger, le grand marcheur (NDLR :
il a gagné six fois l’épreuve entre 1949 et 1958). Les malheureux,
ils marchaient jour et nuit. Ils se reposaient un moment, ils repartaient. Je trouve ça terrible. Fallait être faits ! C’est un peu comme
Bordeaux-Paris à vélo, même si je pense que c’est plus facile sur des
pédales qu’à pied. Je n’aurais fait ni l’un ni l’autre, mais enfin, j’aimais
ça. » D’ailleurs, en a-t-il fait lui-même de l’athlé ? « Nooooon, trop
dur ! À l’école, en cours d’éducation physique, on faisait un peu de
50 m ou de 100 m, mais c’est tout. Je préférais ça plutôt que de me
faire exempter, comme certains ! » Spectateur comblé plutôt que
pratiquant, Nicollin a toutefois quelques petits trous dans son
immense collection. Manquent à l’appel : Carl Lewis et « Jesse
Owens, ça serait bien de les avoir ». Si nos lecteurs ont ça en stock,
les portes du musée, véritable caverne d’Ali Baba de souvenirs
sportifs, leur seront grandes ouvertes.
Mécénat
« Un petit sponsoring en retour »
z À l’automne dernier, Loulou Nicollin a reçu la visite de Mahiedine Mekhissi. Le steepleur
rémois n’était pas venu les mains vides, puisqu’il lui a offert la fameuse liquette qu’il a
portée –puis retirée– en finale des championnats d’Europe de Zurich, dans la dernière
ligne droite du 3000 m steeple. « Il a voulu faire comme les footballeurs, c’est marrant. C’est un
bon type, et pas con en plus ! Je lui ai donné un petit quelque chose jusqu’aux Jeux olympiques. »
Lucide, l’industriel rhodano-montpelliérain sait bien que s’il reçoit en moyenne deux
maillots chaque semaine, tous les dons ne sont pas innocents. « Les mecs sont pas couillons.
Ils savent qu’avec un peu de cul, ils auront un petit sponsoring en retour. » À la tête d’une fortune
d’environ 120 millions d’euros en 2014 (selon les estimations du magazine Challenges),
celui qui a prospéré « avec des camions poubelles », subventionne, à titre privé ou via le groupe
Nicollin Services, un certain nombre d’équipes ou de sportifs de tous horizons. Le Pôle
France des épreuves combinées de Montpellier en fait partie, tout comme Yohann Diniz. En
dehors de l’athlé, Nicollin s’est également impliqué, au cours du demi-siècle écoulé, dans
le football, avec le club de Montpellier, qu’il a fondé et dont il est toujours président. Mais
aussi dans le rugby, dans le basket et le handball. À soixante-et-onze ans, il est également
le président de la Fédération Française de Joute et de Sauvetage Nautique.
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