Hernani - biblio

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Hernani - biblio
Hernani
Victor Hugo
Livret pédagogique
correspondant au livre élève n° 44
établi par Armelle Vautrot-Allégret,
certifiée de Lettres modernes,
professeur en I.U.F.M.
Sommaire – 2
SOMMAIRE
A V A N T - P RO P O S ............................................................................................ 3
T A B L E D E S CO RP U S ........................................................................................ 4
R É P O N S E S A U X Q U E S TI O N S ................................................................................ 5
Bilan de première lecture (p. 234) ..................................................................................................................................................................5
Acte I, scène 1 (pp. 17 à 21).............................................................................................................................................................................5
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 22-23).................................................................................................................................5
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 24 à 31)..................................................................................................................7
Acte I, scène 4 (pp. 56 à 57)...........................................................................................................................................................................10
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59)...............................................................................................................................10
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70)................................................................................................................12
Acte II, scène 3 (pp. 83 à 88)..........................................................................................................................................................................17
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 89-90)...............................................................................................................................17
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 91 à 99)................................................................................................................18
Acte IV, scène 2 (pp. 156 à 163) ....................................................................................................................................................................21
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 164-165)...........................................................................................................................21
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 166 à 173)............................................................................................................23
Acte V, scène 6 (pp. 213 à 223) .....................................................................................................................................................................26
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 224-225)...........................................................................................................................26
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 226 à 233)............................................................................................................28
C O M P L ÉM EN T S A U X
B I B L I O G RA P H I E
L E C TU RE S D ’ I M A G E S
................................................................ 32
CO M P L É M EN TA I R E ......................................................................
Tous droits de traduction, de représentation et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2006.
43, quai de Grenelle, 75905 Paris Cedex 15.
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37
Hernani – 3
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre en œuvre, il est demandé à la
fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces
lectures, de préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace d’un corpus de
textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires, techniques du commentaire, de la dissertation,
de l’argumentation contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs. Une pièce de théâtre comme
Hernani permettra d’étudier une œuvre romantique et les thèmes attendus qui y seront exploités. Il
s’agira aussi de situer ce drame dans l’évolution du genre dramatique et les débats qui se sont
cristallisés autour de ce texte.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle collection d’œuvres
classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du texte, moderne et aérée, qui facilite
la lecture de l’œuvre grâce à des notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page, afin d’en favoriser la pleine
compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre la lecture attrayante et
enrichissante, la plupart des reproductions pouvant donner lieu à une exploitation en classe,
notamment au travers des lectures d’images proposées dans les questionnaires des corpus.
• En fin d’ouvrage, le « dossier Bibliolycée » propose des études synthétiques et des tableaux qui
donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de l’auteur, contexte historique, liens de
l’œuvre avec son époque, genres et registres du texte…
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à faciliter l’analyse de l’œuvre
intégrale en classe. Présenté sur des pages de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du
texte (sur fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe après un parcours cursif de l’œuvre. Il
se compose de questions courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Des questionnaires raisonnés en accompagnement des extraits les plus représentatifs de l’œuvre :
l’élève est invité à observer et à analyser le passage. On pourra procéder en classe à une correction du
questionnaire ou interroger les élèves pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Des corpus de textes (accompagnés le plus souvent d’un document iconographique) pour éclairer
chacun des extraits ayant fait l’objet d’un questionnaire ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse des textes (et éventuellement de lecture d’image) et de travaux d’écriture pouvant constituer
un entraînement à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de Première, sur le
« descriptif des lectures et activités » à titre de groupement de textes en rapport avec un objet d’étude
ou de documents complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos élèves, un outil de travail
efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la réflexion.
Table des corpus – 4
TABLE DES CORPUS
Corpus
La cachette : mise en
scène d’un jeu de dupes
(p. 24)
Le héros romantique :
une âme tourmentée
(p. 60)
La main vengeresse
(p. 91)
La figure royale face à
la mort
(p. 166)
Mourir d’amour
(p. 226)
Composition du corpus
Objet(s) d’étude
et niveau(x)
Compléments aux
travaux d’écriture destinés
aux séries technologiques
Texte A : Scène 1 de l’acte I d’Hernani de
Victor Hugo (pp. 17 à 21).
Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte III des
Fourberies de Scapin de Molière (pp. 24-27).
Texte C : Scène 8 de l’acte I du Mariage de
Figaro de Beaumarchais (pp 27-29).
Document : Le Tricheur à l’as de carreau de
Georges de La Tour (p. 29).
Le texte de théâtre
(Seconde et Première)
La relation maître/valet
(Seconde et Première)
La comédie
(Seconde et Première)
Question préliminaire
De quelle manière et dans quel but la
cachette est-elle exploitée dans les
textes du corpus ?
Texte A : Scène 4 de l’acte I d’Hernani de
Victor Hugo (pp. 56-57).
Texte B : Extrait de la scène 3 de l’acte III de
Lorenzaccio d’Alfred de Musset (pp. 60-62).
Texte C : « Le Lac », extrait des Méditations
poétiques d’Alphonse de Lamartine (pp 62-64).
Texte D : Extrait de Le Rouge et le Noir de
Stendhal (pp. 64-66).
Texte E : Extrait de René de François-René de
Chateaubriand (pp. 66-67).
Document : Le Voyageur au-dessus de la mer
de nuages de Caspar David Friedrich (pp. 6768).
Le héros romantique :
un type de personnage
(Première)
Le romantisme :
un mouvement littéraire
(Première)
Le monologue et les textes
à dimension monologique
(Seconde et Première)
Texte A : Extrait de la scène 3 de l’acte II
d’Hernani de Victor Hugo (p. 83, v. 547, à p. 86,
v. 600).
Texte B : Extrait de la scène 2 de l’acte I de
Comme il vous plaira de William Shakespeare
(pp. 91-93).
Texte C : Scène 2 de l’acte II du Cid de Pierre
Corneille (pp. 93-96).
Texte D : Extrait de Colomba de Prosper
Mérimée (pp. 96-97).
Texte A : Extrait de la scène 2 de l’acte IV
d’Hernani de Victor Hugo (p. 159, v. 1493, à
p. 161, v. 1564).
Texte B : « Sur la mort du roi Louis XIII » de
Pierre Corneille (p. 167).
Texte C : Extrait de l’Inventaire-Sommaire des
archives communales antérieures à 1790,
département du Loir-et-Cher (p. 168).
Texte D : Extrait du Roi se meurt d’Eugène
Ionesco (pp. 169-170).
Document : La Mort de Jules César de
Vincenzo Camuccini (pp. 170-171).
Texte A : Extrait de la scène 6 de l’acte V
d’Hernani de Victor Hugo (p. 217, v. 2110, à
p. 223, l. 2166).
Texte B : Extrait de la scène 7 de l’acte V de
Phèdre de Jean Racine (pp. 226-228).
Texte C : « La Mort des amants », extrait des
Fleurs du mal de Charles Baudelaire (pp. 228229).
Texte D : Extrait du Lys dans la vallée d’Honoré
de Balzac (pp. 229-230).
Document : Photographie extraite du film
Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli (p. 231).
La vengeance : une
thématique littéraire
récurrente
(Première)
La vengeance : un moteur
d’action en littérature
(Seconde et Première)
Le théâtre et la versification
(Seconde et Première)
Question préliminaire
Qui, dans chaque extrait, cherche à se
venger de qui et pour quelles raisons ?
La dimension tragique
et spectaculaire de
la mort royale
(Première)
La force du témoignage
du texte et de l’image
(Seconde et Première)
Question préliminaire
La figure royale, dans chaque extrait,
sort-elle grandie ou avilie de sa
confrontation avec la mort ?
La fin tragique
(Seconde et Première)
Le héros tragique : un type
de personnage
(Première)
Question préliminaire
Comment et pourquoi les personnages
en arrivent-ils à mourir d’amour dans ces
textes ?
Commentaire
Vous montrerez comment la scène glisse
du simple badinage à l’effervescence
comique.
Question préliminaire
Comment ces différents textes
exploitent-ils les caractéristiques du
monologue pour cerner les thématiques
romantiques ?
Commentaire
Vous montrerez comment la nature
permet à l’âme romantique d’exprimer
les conflits qui l’animent.
Commentaire
Vous montrerez que, pris entre l’amour
et l’honneur, Rodrigue va prendre la
décision qui fera de lui un héros.
Commentaire
Vous montrerez comment l’agonie de
Béranger ressemble à un pastiche de
scène de tragédie tout en montrant
l’impuissance de l’homme face à la mort.
Commentaire
Vous montrerez comment la mort des
amants n’est pas seulement morbide
mais sublime dans ce poème.
Hernani – 5
RÉPONSES AUX QUESTIONS
B i l a n
d e
p r e m i è r e
l e c t u r e
( p .
2 3 4 )
Les différents lieux sont :
– acte I : Saragosse (chez Doña Sol) ;
– acte II : Saragosse (dans un patio du palais de Silva) ;
– acte III : Saragosse (dans le château de Silva) ;
– acte IV : Aix-la-Chapelle (dans le tombeau de Charlemagne) ;
– acte V : Saragosse (au palais d’Aragon).
v Don Carlos convoite Doña Sol. Il entre chez elle par la ruse et la force, puis il menace et soudoie la
servante pour approcher Doña Sol.
w Doña Sol est promise à Don Ruy Gomez, qui est de la même condition sociale qu’elle, mais elle
aime Hernani, un brigand.
x Hernani est le seul à ne pas être noble et, qui plus est, c’est un brigand. Don Carlos est le roi : c’est
lui qui a donc le rang le plus élevé.
y Hernani veut se venger de celui qui a tué son père, qui se trouve être le père de Don Carlos.
U Hernani a fait savoir au roi qu’il voulait sa mort ; sa tête est donc mise à prix. Il sera funeste à Doña
Sol si elle le suit car ses jours seront alors en danger.
V Don Ruy Gomez est un homme d’honneur. Il ne veut pas se faire complice de Don Carlos qu’il
reconnaît pour abject. En revanche, Don Ruy Gomez va demander réparation à Hernani pour lui
avoir pris la femme qu’il aime.
W Don Carlos prend Doña Sol en otage car il sait que Don Ruy Gomez et Hernani l’aiment.
X Lorsque Don Ruy Gomez fera retentir le son d’un cor, Hernani devra se livrer à lui et mourir.
at Parmi les comploteurs, les motivations sont de divers ordres : l’un ne veut pas de Don Carlos à la
tête de l’Empire, un autre lui reproche d’avoir séduit sa femme et de l’avoir déshonorée, un dernier
convoite quelque faveur que Don Carlos lui refuse…
Les raisons demeurent essentiellement politiques, puisque Don Carlos veut être nommé empereur et
que cela n’est pas du goût de tout le monde.
ak Don Carlos va confondre les comploteurs dans le tombeau de Charlemagne où il vient puiser force
et inspiration.
al Grâce à l’empereur Don Carlos, Hernani retrouve son titre (le duc Jean d’Aragon) et ses terres.
am Leurs noces sont célébrées mais ils ne consommeront pas leur mariage puisque le destin rattrape
Hernani.
an Le Masque vient chercher Hernani pour qu’il respecte sa promesse. On peut penser ici au
Commandeur dans Dom Juan.
ao Hernani doit choisir entre le poignard et le poison. Il choisit le poison.
ap Doña Sol, découvrant le terrible serment et le dessein funeste de son époux, s’empare de la fiole et
en boit la moitié. Elle donne le reste à Hernani pour que tous deux meurent ensemble.
aq Don Ruy Gomez assiste à leur mort, impuissant puisque le poison fait son effet. Il se tue à son tour.
u
A c t e
I ,
s c è n e
1
( p p .
1 7
à
2 1 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 22-23)
Une scène d’exposition soucieuse de la tradition
u Nous sommes ici au premier acte (chiffré et titré) de la pièce. Le lieu scénique est précisé, de même que
des éléments de décor. Les personnages sont nommés (ils nous ont été auparavant présentés dans la liste des
personnages). Les didascalies en fin de scène signalent les changements de personnages et justifient ainsi le
Réponses aux questions – 6
changement de scène. Si le lieu scénique change à chaque acte, on peut déjà remarquer qu’il s’agit ici
d’une émancipation vis-à-vis de la règle classique (un seul lieu pour toute l’action). Briser les unités
classiques fait partie des revendications romantiques.
v
Les didascalies initiales informent sur l’acte, la scène, le lieu de l’action et les personnages présents, ainsi
que sur la situation temporelle (la nuit), propice à l’intrigue (il fait sombre et toutes les confusions sont
possibles).
Les didascalies internes nous renseignent sur les locuteurs, mais aussi sur leur ton et leur gestuelle.
L’échange est animé : les didascalies sont donc très utiles pour se donner une idée précise de l’action
qui règne sur scène et de la manière dont chaque personnage se conduit avec l’autre (Don Carlos
maltraite presque la duègne).
w
Don Carlos apparaît autoritaire et violent, mais très épris de Doña Sol et donc jaloux de ses intrigues
amoureuses. Il n’hésite pas à maltraiter la gouvernante.
De son côté, Josefa est d’abord intimidée par cet homme bourru et veut protéger les secrets de sa
jeune maîtresse, mais elle reprend vite ses esprits et oublie ses scrupules lorsqu’il s’agit de gagner
quelque argent.
La relation entre ces deux personnages fait penser à la traditionnelle relation maître/valet de la
comédie.
x
Doña Sol de Silva est la maîtresse de Doña Josefa et Don Carlos est manifestement épris d’elle. Elle est
promise à un vieil homme, héritier des barbons de comédies : « le vieux duc de Pastraña, son oncle, un bon
seigneur caduc, vénérable et jaloux ».
Doña Sol a un jeune amant qu’elle reçoit le soir en cachette et qui doit se nommer Hernani, comme
le montre la confusion de Doña Josefa.
y
Les deux personnages se prêtent à une querelle assez grotesque, d’autant que le gentilhomme finit par se
cacher dans une armoire trop petite pour lui. On se sent davantage ancré dans une comédie. Cependant, la
présence du poignard et l’allusion à la jalousie ne laissent rien présager de bon…
Une écriture dramatique audacieuse et novatrice
U Dès les premiers mots échangés, l’alexandrin est disloqué et entrecoupé de didascalies qui rompent, un
peu plus encore que le simple saut de ligne, la métrique : « Serait-ce déjà lui ? C’est bien à
l’escalier / Dérobé. / Vite, ouvrons ! / Bonjour, beau cavalier. »
La première réplique de Don Carlos multiplie les enjambements qui ruinent la syntaxe de syntagmes
ou de phrases entières : « fiancée au vieux duc / De Pastraña » (enjambement dans le groupe nominal
avant le complément du nom), « la belle adore / Un cavalier sans barbe et sans moustache encore »
(enjambement entre le sujet et le COD).
V Dans le cadre du cycle agonal (affrontement verbal ou physique – du grec agôn, qui exprime l’idée de
combat, de lutte), la ponctuation est très importante car les répliques s’enchaînent souvent sur le type
exclamatif : l’un agresse l’autre et déclenche une agression plus forte encore ou une réaction de défense :
« Main-forte ! / Au feu !… Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte ! », « Cette boîte ! / Va-t’en si tu n’en veux
pas ! / Si ! ».
Le système des questions-réponses fonctionne bien lui aussi, même si, dans le cas présent, l’agressivité
de chaque personnage envers l’autre ne permet pas à ce système d’engager une véritable
communication : « Duègne, c’est ici qu’aura lieu l’entretien ? / Oui. / Cache-moi céans ! / Vous ! / Moi. /
Pourquoi ? / Pour rien. »
Enfin, les répétitions de mots reflètent elles aussi l’atmosphère de conflit qui hante les échanges et
semble crisper chaque interlocuteur : « Deux mots de plus, duègne, vous êtes morte ! […] / Vous m’avez
défendu de dire deux mots, maître. »
Le passage d’une réplique à l’autre joue aussi beaucoup ici sur les antonymes : « Pourquoi ? / Pour
rien », ou encore : « Vous ? / Moi ».
W Don Carlos utilise la métaphore de la sorcière à partir de l’armoire, d’abord décrite comme une
« boîte » tant elle est étroite : « Serait-ce l’écurie où tu mets d’aventure / Le manche du balai qui te sert de
monture ? » Cette image renvoie aux représentations traditionnelles des sorcières.
Don Carlos utilise aussi l’ironie, figure même de la moquerie : « Vous êtes donc le diable ? – Oui », « Un
homme ici ! / C’est une femme – est-ce pas – / Qu’attendait ta maîtresse ? ».
Hernani – 7
Le jeu de mots des vers 8 à 10 (« Un cavalier sans barbe […] Le jeune amant sans barbe à la barbe du vieux »)
insiste sur la différence d’âge entre le futur et l’amant, et l’on retrouve là une des composantes de la
comédie traditionnelle (Plaute, Molière, Beaumarchais) : un vieux barbon jette son dévolu sur une
jeune fille qui finit généralement par épouser un homme de son âge, grâce à des manigances qui se
font sous le nez du barbon, le rendant encore plus ridicule, donc comique.
at Les vêtements caractérisent chaque protagoniste et cachent, dans un premier temps, l’identité de
l’intrus : le déguisement est un ressort de la comédie déjà très utilisé aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Don Carlos demande à la duègne de choisir entre la bourse (la coopération) et le poignard (le refus,
donc la mort) : l’issue peut être tragique à ce moment de la scène. Le poignard ne laisse rien présager
de bon.
L’armoire sera la cachette, lieu encore plus étroit que celui de la chambre à coucher : la situation est
comique (d’autant qu’il y a l’onomatopée « Ouf ! »), mais on peut là aussi s’attendre à une issue
tragique car Don Carlos veut confondre le couple coupable d’une entrevue interdite. L’armoire,
qualifiée de « boîte » par Don Carlos, fait aussi penser à un cercueil.
X
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 24 à 31)
Examen des textes et de l’image
u Hernani : la cachette est une armoire de la chambre de Doña Sol et c’est Don Carlos qui s’y cache pour
surprendre l’arrivée du jeune amant Hernani.
Scapin : le valet cache son vieux maître dans un sac, soi-disant pour le protéger de gens qui lui veulent
du mal mais, en réalité, il s’agit d’un stratagème pour le battre en toute impunité.
Figaro : la cachette est un fauteuil de la chambre de Suzanne, promise de Figaro. Chérubin s’y cache
dans un premier temps puis le Comte le rejoint sans savoir qu’il y est. Un meuble va devoir alors
cacher deux personnages !
La Tour : le jeune homme au premier plan cache des cartes derrière son dos pour tricher au jeu.
v Les didascalies contribuent à animer considérablement le jeu par l’agitation qu’elles révèlent ; elles
donnent aussi à voir le jeu scénique pour le lecteur car les cachettes sont à chaque fois regagnées dans la
précipitation (arrivée d’un troisième personnage) et le rythme enlevé est donné par la vivacité des échanges
(répliques courtes, ponctuation très expressive), mais aussi et surtout par les interruptions incessantes des
didascalies :
– Hernani : « examinant l’armoire », « rouvrant l’armoire », « l’examinant encore », « il s’y blottit avec peine »,
« dans l’armoire restée ouverte », « de l’intérieur de l’armoire »…
– Scapin : « il donne plusieurs coups de bâton sur le sac », « mettant la tête hors du sac », « lui remettant la tête
dans le sac », « Géronte met doucement la tête hors du sac », « Géronte sort du sac »…
– Figaro : « Elle s’approche du fauteuil pour masquer Chérubin » ; « Il s’assied dans le fauteuil » ; « Suzanne lui
barre le chemin ; il la pousse doucement, elle recule, et se met ainsi entre lui et le petit page ; mais, pendant que le
Comte s’abaisse et prend sa place, Chérubin tourne et se jette effrayé sur le fauteuil à genoux et s’y blottit.
Suzanne prend la robe qu’elle apportait, en couvre le page, et se met devant le fauteuil ».
w Hernani : la gouvernante et Don Carlos sont différents par leur habit (didascalies initiales et internes, ainsi
que les propos de Josefa pour la description du costume de Don Carlos) ; ordres et menaces proférés par le
seigneur à l’encontre de la duègne montrent son ascendant sur elle-même.
Scapin : Scapin est le serviteur de Géronte et, à ce titre, il le vouvoie et le nomme « Monsieur », alors
que Géronte le tutoie et lui demande de se conduire en « serviteur zélé ». Dans ses imitations de
spadassins et autres assaillants, Scapin rappelle toujours qu’il n’est que le serviteur (« Ah ! camarades,
voici son valet »).
Figaro : Suzanne est une domestique qui vouvoie le Comte et le nomme « Monseigneur ». On voit par
ailleurs qu’elle redoute sa colère (« effrayée », « troublée »). Lui la tutoie et se permet même quelques
appellatifs familiers comme « Suzon », « Suzette » ou « ma chère ». Il utilise aussi l’impératif : « Parle »,
« Sors », « Renvoie-le ».
La Tour : la servante est debout et sert le vin, tandis que les autres personnages disputent la partie de
cartes. La femme face à nous porte des perles, sa coiffure et sa tenue sont soignées mais rappellent
davantage les artifices des courtisanes ; le filou qui cache des cartes est vêtu chichement. En revanche,
Réponses aux questions – 8
le jeune homme à droite, qui va probablement se faire rouler par les deux autres, est très richement
vêtu et coiffé (étoffes et plumes).
x Par le rythme qu’elle impose à la scène, l’intervention de la cachette et de la duperie qu’elle accompagne
donne au texte un ton enlevé. Les personnages, dans leur agitation, sont comiques : ils se démènent en tous
sens (voir didascalies), s’agitent et cherchent des issues verbales à la situation (vers 31-32, Josefa se persuade
qu’Hernani saura bien s’en sortir seul ; Scapin contraint Géronte à rester dans le sac, alors que celui-ci
cherche à en sortir ; Suzanne tente de détourner l’attention du Comte pour qu’il ne découvre pas
Chérubin et devra ensuite en faire de même avec Bazile).
Les situations sont elles aussi comiques : Don Carlos est ridicule de se retrouver ainsi enfermé dans
une armoire par amour pour une femme ; Géronte est ridicule de se faire berner avec tant de facilité
par les imitations de Scapin et son odieux stratagème ; le Comte est ridicule de se retrouver obligé de
se cacher derrière un fauteuil (s’il y a bien piètre cachette, c’est celle-ci !), chez sa soubrette qu’il
courtise d’ailleurs avec un acharnement peu digne d’un seigneur (« ce droit charmant ! Si tu venais en
jaser sur la brune au jardin, je mettrais un tel prix à cette légère faveur »).
Finalement, presque tous les types de comiques sont exploités à travers l’artifice de la cachette :
comique de gestes, de paroles et de situation.
y La femme est tentatrice : Doña Sol est convoitée par trois hommes différents ; Suzanne est presque
l’épouse d’un homme et cependant assidûment courtisée par un autre, sans compter ses badinages avec
Chérubin dans la scène qui précède notre extrait ; la courtisane du tableau joue probablement de ses
charmes pour détourner l’attention du jeune homme riche qui va se faire duper au jeu. Volontairement ou
non, la femme est un point central, voire la motivation essentielle de la scène de duperie.
U La femme (cf. question précédente) représente la tentation charnelle et amène les hommes à commettre
maintes folies.
L’argent est une thématique très présente, d’abord à travers les conflits de milieux sociaux (le maître
entend abuser de la soubrette, le roi veut avoir la femme qu’il désire…), mais aussi plus clairement à
travers la corruption : Don Carlos propose de l’argent à Doña Josefa ; les personnages du tableau
jouent pour de l’argent, et, pour deux d’entre eux, il s’agit d’extorquer en trichant une somme
conséquente à un riche jeune homme.
Corrélativement à l’argent, le pouvoir est associé à la scène de duperie : le Comte propose de
promouvoir ou menace de disgracier Figaro (et Chérubin plus tard) ; Don Carlos exerce son autorité
sur une gouvernante et entend l’exercer aussi sur quiconque lui résistera.
Le jeu est, dans le tableau, le vice clairement évoqué. Il est associé à la femme et à l’argent mais aussi
au vin.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
On s’appuiera sur les réponses aux questions 2 et 4. Il faudra notamment insister sur les didascalies, qui
véhiculent essentiellement les informations sur les lieux et la gestuelle. On s’attachera au rôle de la
cachette, mais en prenant soin de solliciter les lieux (espace intime ou non) et les accessoires qui
entrent dans le jeu de duperie (le fauteuil, le sac…).
Commentaire
Remarques
Les élèves doivent prendre l’habitude de partir de ce qui est le plus évident dans le texte proposé au
commentaire (qui parle et de quoi ?) pour ensuite traiter la spécificité générique du texte (ici un duo
de comédie avec inégalité sociale mais aussi absence d’harmonie dans les sentiments). Il leur faudra
enfin toujours analyser l’extrait en envisageant son impact dans l’ensemble de l’œuvre (ici sur
l’intrigue) : issue et prolongement de l’extrait, donc incidence sur l’action.
1. Une scène de badinage… unilatéral !
A. Un dialogue marqué par l’inégalité
• Vouvoiement / tutoiement.
• Distance des appellatifs / familiarité des appellatifs et des surnoms.
Hernani – 9
B. Glissements de champs lexicaux
De la parole (« tu parlais seule […] écoute […] parle », « parle […] dis […] jaser ») aux sentiments (« petit
cœur », « amour », « femme », « mari »…) pour en arriver finalement à la concupiscence.
C. Les didascalies
• Comment Suzanne tente de le repousser, comment le Comte insiste.
• Mise en parallèle, habile mais vaine de la part de Suzanne, de son couple (« le devoir d’une femme
envers son mari ») avec celui formé par le Comte et la Comtesse (« qu’il épousa par amour »).
2. Une scène de comédie digne d’un vaudeville
A. Comique de situation
On sait que le page est caché, qu’il y a donc un témoin de cette scène.
B. Ponctuation
Exacerbe les réactions de chacun (…/!/?) et crée le non-dit, notamment sur les projets charnels du
Comte.
C. Gestuelle et ton exacerbés eux aussi
• Suzanne effarouchée en est presque peu crédible.
• Le Comte ne se laisse pas rejeter de la sorte et insiste, au risque d’être ridicule.
D. Irruption d’un quatrième personnage
Bazile représente déjà une menace alors qu’il n’est pas encore dans la chambre – ce qui est savoureux
pour le spectateur et le lecteur.
3. Quelle issue pour le(s) personnage(s) caché(s) ?
A. Stratagèmes de Suzanne
Stratégies verbales et gestuelles pour protéger Chérubin.
B. Le fauteuil
• Omniprésence du fauteuil (didascalies de début, de milieu et de fin).
• Jeu scénique autour de cet accessoire (le Comte s’y assoit, tente d’y entraîner Suzanne, s’y réfugie
finalement).
C. Incongruité de la situation finale
Le Comte lui-même en vient à se cacher, et deux personnages se retrouvent dépendants d’un simple
fauteuil, tandis que Suzanne voit déjà son honneur bafoué (« Que je suis malheureuse ! »).
Conclusion
Il s’agit d’une scène menée avec beaucoup de rythme, tournant autour d’un objet central : le fauteuil.
Tout peut arriver : que Suzanne cède, que Chérubin soit découvert, que le déshonneur s’abatte sur la
soubrette, le Comte ou le page, que d’autres personnages fassent irruption (Figaro ?), ou que Bazile
serve mal les intérêts de son maître et que le Comte l’apprenne alors qu’il est caché !
Dissertation
Remarques
Il faudra redéfinir le terme dramatique souvent mal employé de nos jours et qui pourtant renvoie
directement au genre du théâtre (drama, « action » en grec).
Cela offre deux pistes essentielles aux élèves : comment les décors et les objets font-ils partie
intégrante du discours dramatique et quel rôle jouent-ils dans l’intrigue et l’évolution des personnages,
en sachant qu’il peut être ici question de sources tragiques ou comiques ?
1. Comment les décors et les objets se signalent-ils dans le discours dramatique ?
A. Les indications
Nécessaires à la mise en scène, au jeu des acteurs, à la représentation pour le lecteur (Beaumarchais,
Hugo…), les didascalies peuvent parfois remplacer le changement de scène ou d’acte (déjà chez
Musset puis surtout dans le théâtre du XXe siècle, comme chez Samuel Beckett et plus tard Yasmina
Reza).
Réponses aux questions – 10
B. La forme des didascalies
Un repère évident car typographique : recours aux caractères italiques et gras.
C. La couleur locale et la représentation historique
Costumes, décors, architecture… surtout lorsque l’action n’est pas contemporaine de l’époque
d’écriture ou que le lieu n’est pas celui de l’écriture : Corneille, Beaumarchais, Hugo…
D. Contextualisation des personnages et rôle sur l’atmosphère
Clarté et obscurité, par exemple, intimité liée au lieu : scènes de duperie favorisées par des heures
d’obscurité ou des éléments de décor qui cachent (le balcon de Cyrano, l’armoire d’Hernani, le jardin
où se dénoue l’intrigue du Mariage de Figaro…).
2. Comment prennent-ils part au discours dramatique ?
A. Prendre part à l’action
L’objet peut simplement prendre part à l’action (une partie du costume, un déguisement, comme
souvent dans les comédies du XVIIe ou du XVIIIe siècle), favoriser le quiproquo, mettre en place un
usurpateur (Ruy Blas…).
B. Symboliser
• L’objet peut symboliser un personnage (l’épée du père ; le poignard, parfois même taché de sang,
qui a tué un des personnages ; un bijou ou une étoffe qui a appartenu à un personnage…) ou même
parfois aider à l’identifier (un lange brodé pour un enfant abandonné).
• L’objet peut symboliser un événement, un sentiment (ce qui rappelle un duel, un combat, un
mariage, une promesse d’amour…). Dans le cas d’une symbolique, il faut chercher quel rappel ou
quelle anticipation permet l’objet. On peut ainsi parfois pressentir l’issue fatale ou pas d’une pièce.
C. Être un enjeu
L’objet peut passer d’une scène à l’autre comme un fil conducteur et devenir l’enjeu même d’une
conquête (le ruban de la Comtesse que possède Chérubin, l’écharpe de Marianne dans Les
Caprices…).
Conclusion
L’objet et le décor sont certes des indices propres à ancrer la situation spatio-temporelle de l’intrigue
et permettent souvent de mettre en place l’illusion sur scène, mais ils ont parfois une véritable
vocation dramatique : ils jouent alors un rôle, à la manière d’un personnage, participant ainsi
activement à l’intrigue et à son évolution.
Écriture d’invention
• On attendra bien entendu le respect de l’écriture théâtrale (didascalies, identité des locuteurs, recours
impeccable au discours direct, notamment à travers le système énonciatif approprié).
• On attendra aussi la mise en relief des connivences : le rôle de la servante (disperser l’attention ?
enivrer le jeune homme riche ?), le jeu des regards entre la courtisane et le jeune homme de dos, les
réactions éventuelles du jeune homme riche (se rend-il compte qu’il est la dupe des autres ? est-il trop
sûr de lui ?). Les apartés pourront dévoiler peu ou prou les intentions des tricheurs et expliqueront
éventuellement le procédé de tricherie.
• On saura peut-être ainsi ce que le jeune homme va perdre, combien de temps la partie aura duré…
• La production devra cependant respecter le cadre de la consigne et ne pas déborder, en racontant,
par exemple, un affrontement entre des personnages.
A c t e
I ,
s c è n e
4
( p p .
5 6
à
5 7 )
◆ Lecture analytique de la scène (pp. 58-59)
Le monologue : une nécessité dramatique ?
u Don Carlos parle à Don Ruy Gomez qui ignore encore qui est Hernani ; ce dernier assiste à leur
conversation. Don Carlos va protéger l’anonymat du brigand pour mieux l’avoir à sa merci (v. 376 à
379) et fait croire à Don Ruy Gomez qu’Hernani fait partie de sa suite (v. 380). Hernani assiste à la
Hernani – 11
scène en silence ; il n’est pas dans son intérêt de se trahir pour le moment, puisqu’il veut pouvoir
rencontrer à nouveau Doña Sol en cachette.
v Hernani, seul en scène, reprend les termes de Don Carlos, à peine sorti de scène, et procède à un
véritable jeu de mots dans ses premiers vers, mais ce jeu de mots dévie le sens des propos : « C’est
quelqu’un de ma suite » (Don Carlos) / « Oui, de ta suite, ô roi ! de ta suite ! – J’en suis. / Nuit et jour, en
effet, pas à pas, je te suis. » On comprend alors qu’Hernani poursuit un but précis : la vengeance ; afin
d’accomplir son terrible dessein, il suit donc Don Carlos.
w Ce monologue s’adresse à Don Carlos : « ô roi » (v. 381, 411, 413). Le tutoiement montre aussi que
ce monologue a un destinataire, même absent.
x À la scène 2, Hernani vouvoie le roi. Il ignore encore qui il est, même s’il l’a identifié
immédiatement comme un seigneur (v. 186). Il n’a donc pas encore reconnu en lui celui dont il veut
se venger et ce n’est qu’avec l’arrivée de Don Ruy Gomez à la scène suivante qu’Hernani comprend
qu’il a à ses côtés son pire ennemi. Dès lors, il perd tout respect – ce que montre le tutoiement – et le
ton change pour faire place à la haine et à la vengeance.
Un héros partagé entre haine et amour
y Dans un monologue, la 1re personne sature les différents postes syntaxiques de la phrase : du
pronom sujet ou complément (je/j’/me/moi) en passant par le déterminant adjectif possessif (« ma
race », « mon rival »…). La 1re personne est cependant toujours mise en opposition avec la 2e personne,
qui désigne Don Carlos.
U Le sentiment amoureux est présent à travers l’évocation de la rivalité des deux hommes et surtout
dans l’évocation de la femme aimée, Doña Sol : « te voilà donc mon rival ! », « aimer », « Mon cœur »,
« en l’aimant », « Mon amour ».
La vengeance est cependant le sentiment qui domine ici, puisque Hernani a enfin trouvé celui qu’il
cherchait pour venger son père : « Un poignard à la main » ; « haïr », « ta haine », « du côté de ma haine » ;
« Ce que je veux de toi, ce n’est point faveurs vaines, / C’est l’âme de ton corps, c’est le sang de tes
veines, / C’est tout ce qu’un poignard, furieux et vainqueur, / En y fouillant longtemps peut prendre au fond
d’un cœur » ; « Ma vengeance ».
V Après être resté « flottant », le cœur d’Hernani bascule finalement du côté de la haine, comme
l’indiquent les vers 391-392 où l’hésitation est exprimée par l’image de la balance.
W Cette expression signifie « faire partie de ceux qui constituent la suite du roi », c’est-à-dire ceux qui
y trouvent quelque intérêt et embrassent les idées du roi pour en tirer quelque profit. La suite du roi
est essentiellement composée de vils hypocrites, selon Hernani (v. 394 à 401).
X Les vers 403-404 développent la proposition relative « Ce que je veux de toi » en une succession de
tournures présentatives (« ce n’est point […], C’est […] ») marquées d’une gradation, puisque Hernani
en arrive à évoquer clairement le meurtre (« c’est le sang de tes veines »). Le parallélisme concourt aussi à
mettre en valeur la volonté d’Hernani de se venger du roi : les vers 403-404 sont découpés par des
césures à l’hémistiche qui martèlent ses propos par des accents et des pauses savamment disposés par la
métrique. La rime frappe aussi par sa subtilité, puisqu’on y rencontre les deux homophones
« veines » / « vaines ».
Un destin tragique en marche
at Les verbes de mouvement et d’action sont : suivre, aller, poursuivre, marcher, épier, écouter, chercher,
presser. Par là, Hernani montre que rien ne lui fera abandonner sa soif de vengeance et qu’il ira
jusqu’au bout.
ak Les vers 403 à 406 sont d’abord partagés en hémistiches, puis se développent sur les vers 405-406
grâce à l’enjambement. La détermination d’Hernani semble sans faille et elle le mènera non pas à un
simple meurtre mais à l’accomplissement d’une vengeance sans demi-mesure.
Vers 407-408, le contre-rejet de « Ma vengeance qui veille » développe la personnification de la
vengeance, notamment grâce aux verbes d’action.
Vers 409-410, les alexandrins sont quelque peu ébranlés par l’impératif initial « Va ! », suivi de
groupes verbaux courts, saccadés, et par la multiplication des coordinations ; Hernani semble proche
de la folie tant la vengeance l’obsède et le guide.
Réponses aux questions – 12
Vers 405-406 : le poignard est d’abord affublé de qualités humaines (« furieux et vainqueur ») et
fonctionne finalement de manière métonymique pour désigner celui qui le tient, c’est-à-dire Hernani
lui-même. De plus, les verbes d’action (fouiller, prendre) ajoutent à la personnification de l’arme.
am Dans les vers 407-408, la vengeance est personnifiée ; dans les vers 409-410, le pas est personnifié.
À chaque fois, ces personnifications désignent de manière métonymique Hernani (son désir de
vengeance, son pas). Ce sont donc d’autres manières, pour le locuteur, de parler encore de lui-même.
an Les termes qui évoquent le désir de vengeance, la métrique qui semble montrer que cette
vengeance va s’accomplir sans que rien puisse la stopper, la colère présente dans les propos d’Hernani
et palpable notamment à travers la critique des courtisans et du roi (désormais tutoyé) nous montrent
que l’issue de ce drame ne peut qu’être tragique. On pressent un inéluctable affrontement entre
Hernani et le roi mais on ignore encore à ce moment s’il y aura une ou plusieurs victimes.
al
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 60 à 70)
Examen des textes et de l’image
u L’extrait d’Hernani est clairement un monologue, puisque le personnage est seul en scène. Dans le
texte de Musset, Lorenzo n’est pas seul, puisqu’il parle à Philippe, mais sa tirade est si longue qu’elle
occupe l’espace de parole à la manière d’un monologue. Comme dans les autres textes, la 1re personne
domine dans cette tirade. Les personnages parlent d’eux, de leur ressenti, de leurs émotions
(exprimées d’ailleurs par des termes et une ponctuation éloquents) – ce qui caractérise souvent le
monologue. Dans les textes de Chateaubriand, Lamartine et Stendhal, le personnage est comme seul
en scène, bien que l’on ne soit pas au théâtre.
Seul le texte de Stendhal est écrit à la 3e personne, mais la focalisation interne nous permet d’avoir
accès aux pensées et aux sentiments de Julien. On a affaire ici à un monologue romanesque.
v Dans la prose comme dans la versification, on observe une extension des phrases qui semblent
échapper à la rigueur de la syntaxe et de l’organisation du texte, comme la fuite du temps échappe à
nos héros :
– les enjambements dans la versification d’Hernani montrent un destin en marche dont la réalisation
semble inéluctable ; de la même manière, les enjambements et autres effets de métrique (rejets et
contre-rejets : « et vous, heures propices, / Suspendez votre cours ! ») allongent démesurément les phrases
qui débordent ainsi le cadre des vers (« Temps jaloux, se peut-il que ces moments d’ivresse / […] Que les
jours de malheur ? ») ;
– la prose de Chateaubriand, quant à elle, use d’artifices qui rallongent la syntaxe, comme les
subordinations (« Notre cœur est un instrument incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous sommes
forcés de rendre les accents de la joie sur le ton consacré aux soupirs ») et les coordinations abondantes ou les
énumérations (« je marchais à grands pas, le visage enflammé, le vent sifflant dans ma chevelure, ne sentant ni
pluie ni frimas, enchanté, tourmenté, et comme possédé par le démon de mon cœur »).
w Le meurtre et la domination du puissant amènent le héros romantique à se dépasser. Il doit en effet
dépasser sa peur, ses complexes d’infériorité sociale le cas échéant ; il doit surpasser en force ou en
intelligence sa victime et donc révéler à tous sa valeur : « Ce que je veux de toi, ce n’est point de faveurs
vaines », « il faut que le monde sache un peu qui je suis », « Cette méditation sur ce qui avait pu faire peur à
l’homme heureux et puissant contre lequel une heure auparavant il était bouillant de colère acheva de rasséréner
l’âme de Julien ». À sa manière, chaque héros défend un idéal, que ce soit un idéal chevaleresque
(venger le déshonneur familial), politique (purger la Terre d’un tyran vivant dans le vice) ou social
(s’imposer quand on est fils d’ouvrier au milieu des nobles).
x La femme aimée raccroche le héros romantique à un idéal de pureté. Dans le cas d’Hernani, son
amour pour Doña Sol le fait même un instant hésiter à accomplir sa funeste vengeance car, tuer, c’est
aussi se ternir aux yeux de celle qu’il aime. Dans le texte de Lamartine, la femme aimée provoque
tristesse et mélancolie par son absence et amène le poète à faire corps avec la nature pour dépasser son
chagrin et le sublimer.
y La nature offre un havre de paix où le héros romantique peut se laisser aller tranquillement à la
divagation et à la réflexion. La nature contribue à le couper du monde en l’accueillant en son sein
pour mieux recueillir ses confidences :
Hernani – 13
– l’eau offre des métaphores filées propices à l’évocation du temps qui passe, à l’évocation de
l’agitation du héros : « l’océan des âges », « coulez pour eux [il s’agit des heures propices] » ; les éléments
sont personnifiés et semblent un miroir des tourments du poète : « tes riants coteaux », « le zéphir qui
frémit », « le vent qui gémit », « le roseau qui soupire »… ;
– l’immensité de la nature peut donner au héros le sentiment de s’élever au-dessus des hommes :
Julien « se trouva debout sur un roc immense » ; « debout sur son grand rocher, regardait le ciel » ; « tout était
silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays » ;
– la nature semble parfois communiquer avec le héros : « murmure que les vents et les eaux font entendre
dans le silence d’un désert », « une voix du Ciel semblait me dire ».
Les oiseaux semblent être les compagnons de solitude des héros romantiques ; eux aussi dominent en
volant les espaces infinis et l’homme, éternel Icare, ne peut s’empêcher de se rêver à son tour s’élevant
dans les airs : « L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants
le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement » ; « souvent j’ai suivi des yeux les oiseaux de passage
qui volaient au-dessus de ma tête. Je me figurais les bords ignorés, les climats lointains où ils se rendent ; j’aurais
voulu être sur leurs ailes ».
U Le héros romantique est en quête d’idéal et d’absolu. La référence aux personnages célèbres et, qui
plus est, à de grands guerriers dont les exploits sont unanimement reconnus, aussi sanguinaires soientils, nous montre quels sont les modèles de ces héros et à quelle grande destinée ils aspirent. On peut
repenser aussi à Don Carlos invoquant Charlemagne dans Hernani.
V Exemples de personnifications :
– Texte A : personnification de la vengeance (v. 407-408) qui devient métonymie d’Hernani luimême.
– Texte B : la Providence est personnifiée mais cela permet à Lorenzo de montrer qu’il entend bien
dominer son destin.
– Texte C : les personnifications apparaissent sous la forme d’apostrophes et d’impératifs adressés aux
inanimés (« Ô lac ! […] Regarde ! » ; « Ô lac ! rochers muets ! […] Gardez de cette nuit […] ! »).
–Texte D : « la beauté ravissante » et « la fraîcheur délicieuse » sont comme des esquisses de la femme
aimée ; ce sera en effet la prochaine victoire de Julien : séduire Mme de Rênal.
– Texte E : la personnification passe là aussi par l’impératif qui s’adresse à l’inanimé : « Levez-vous vite,
orages désirés qui devez emporter René dans les espaces d’une autre vie ! »
Dans les textes C, D et E, la nature se fait confidente et prend des caractéristiques humaines pour
mieux recueillir les états d’âme du héros et accompagner sa réflexion, telle une amie bienveillante.
W Autres types d’images :
– la métaphore musicale sert à caractériser le cœur, siège des passions si chères aux romantiques
(« Notre cœur est une lyre où il manque des cordes ») ;
– la comparaison donne au paysage un aspect fantomatique qui fait penser à la brume du tableau de
Friedrich (« je voyais la lune sillonner les nuages amoncelés, comme un pâle vaisseau qui laboure les vagues ») ;
par ailleurs, l’élément maritime est une constante dans les images romantiques car la mer, tantôt
calme, tantôt déchaînée, reflète bien les tourments et les passions qui agitent les héros romantiques.
X Cette solitude met le héros romantique face à lui-même et face à l’immensité de la nature et du
temps. Il apparaît en quelque sorte seul contre tous (les hommes, le destin, le temps…). Hernani
s’adresse à un personnage absent de la scène (Don Carlos) et en évoque un autre (Doña Sol) tout aussi
absent. Cela est moins frappant dans la tirade de Lorenzo, puisqu’il s’adresse à un personnage présent
sur scène, mais on comprend dans ses propos qu’il est isolé, regardé et épié par ses détracteurs : « les
républicains me couvrent de boue et d’infamie », « voilà assez longtemps que les oreilles me tintent ».
Dans les autres textes, la solitude est psychologique mais elle se traduit aussi par un isolement
physique : « Regarde ! Je viens seul m’asseoir sur cette pierre », « il se vit dans les bois et loin du regard des
autres », « les sons que rendent les passions dans le vide d’un cœur solitaire ».
Dans le cas de personnages comme Hernani, Lorenzo ou Julien Sorel, la solitude est d’autant plus
importante qu’elle est nécessaire à l’accomplissement de projets personnels que les héros ne tiennent
pas à faire partager, pour se protéger et garder toutes les chances de les voir aboutir, qu’il s’agisse d’un
projet de meurtre, de vengeance ou de revanche sociale.
Dans le tableau de Friedrich, l’homme se dresse, seul, face à l’immensité des éléments, de la nature
nimbée de brume.
Réponses aux questions – 14
Les contrastes apparaissent d’abord dans les couleurs mais aussi dans les contours des différents
éléments du tableau : l’homme debout, de dos, sur un rocher élevé avec lequel il semble faire corps,
se détache de l’arrière-plan par sa couleur sombre et ses contours précis ; l’arrière-plan – la mer de
nuages – se noie dans une brume claire et imprécise.
L’homme apparaît clairement délimité face à l’immensité infinie qu’il domine pourtant par sa position
(comme Julien sur son immense rocher).
at
Travaux d’écriture
Question préliminaire
La vengeance anime Hernani qui veut par-dessus tout venger son père, mais aussi Lorenzo, déprécié
par le regard des autres qui ne voient en lui qu’un adepte du vice et de la luxure sans morale ni idéal ;
Julien, lui, veut se venger de sa condition sociale et va pour cela chercher à mettre le notable à sa
merci.
Le poète et Hernani sont mus par l’amour mais, chez Hernani, la vengeance prend le dessus. Le
poète, lui, ne peut plus vivre sans voir ni entendre partout celle qu’il aime et la nature devient alors
pour lui le lieu de la confidence mais aussi peut-être le linceul idéal. Il en est de même pour René,
pris de « sensations fugitives » au cours de ses promenades où l’immensité le renvoie aux limites de la
condition humaine et donc à sa propre mort (« attends que le vent de la mort se lève, alors tu déploieras ton
vol vers ces régions inconnues que ton cœur a demandées »).
Commentaire
Introduction
Les Méditations poétiques, recueil poétique publié en 1820, regroupe 24 poèmes. Lamartine y transcrit
ses états d’âme, ses impressions. Le recueil a certes des aspects classiques mais il est aussi novateur par
l’évocation de la sensibilité personnelle du poète. Lamartine se souvient de la femme aimée, Julie
Charles (ou Elvire).
Le poète se trouve dans un lieu qui lui est cher, près d’un lac qui a été le témoin de ses amours. Il y
revient cette fois sans la femme aimée, mais tout ici la lui rappelle et il prend conscience que, si le
temps passe et fuit inexorablement, la nature, elle, fige certains moments en gardant notamment la
trace des amours vécues. Tout concourt dans ce poème à établir la correspondance entre la nature et
l’amour passé dont il ne reste plus que le souvenir, seule résistance au temps qui passe.
1. L’évocation de la nature et de la femme aimée
A. Le titre
Le titre du poème évoque un lieu aimé qui a été le refuge du poète et de sa compagne : l’élément
aquatique, qui a la caractéristique d’être changeant comme les passions de l’âme, ne va cesser d’être
évoqué et décliné suivant un champ lexical savamment disséminé au fil des strophes : « lac », « océan »,
« flots », « onde », « rivage », « coulez », « port », « rive », « eaux »…
B. Les qualificatifs
Les qualificatifs utilisés pour la nature en général et le lac en particulier évoquent le bonheur passé et
prennent des caractères humains qui rappellent la femme aimée (l. 6 : « des flots chéris » ; l. 16 : « flots
harmonieux »).
C. L’apostrophe
Le poète apostrophe (« ô » vocatif) tous les éléments de la nature (et surtout le lac) et les interpelle par
le biais des impératifs (« Parlez », « Gardez », « Coulez », « Suspendez »…) pour les prendre à témoin
de son bonheur passé et de son malheur présent.
D. Le pronom indéfini tout
Le pronom indéfini tout relaie la pluralité des éléments (« les riants coteaux », « les noirs sapins », « les rocs
sauvages », « les parfums légers ») pour s’échouer tel le flot sur la rive dans l’ultime vers (« Ils ont aimé »)
qui apparaît comme la concentration de tout ce qui a été dit dans le poème. Ce vers est la chute et
Hernani – 15
l’apogée du poème : le poète constate le pouvoir des sentiments et confesse que tout ici le ramène au
souvenir de la femme aimée.
2. La fuite du temps face au souvenir
A. Champs lexicaux et métaphore
• Associée au champ lexical aquatique, la métaphore du navigateur renforce le sentiment
d’impuissance : l’homme est un marin qui navigue sur l’océan des âges et voudrait jeter l’ancre pour
arrêter le temps.
• Toujours présent, l’élément aquatique assure, par la métaphore « l’océan des âges », le glissement entre
la nature et le temps.
• Le champ lexical du temps prend le relais, notamment avec les divisions temporelles (« la nuit », « le
jour », « l’aurore », « le soir », « les heures », « l’année », « moments », « l’éternité ») et la présence
d’adjectifs significatifs (« l’heure fugitive », « nuit éternelle »).
B. Opposition entre passé et présent
• L’opposition entre le passé heureux et le présent douloureux s’articule grâce à l’alternance des temps
verbaux (passé/présent) : l’imparfait insiste sur la durée des actions et le passé simple sur le caractère
bref et inattendu des moments vécus ; le présent sert à l’observation générale (présent gnomique :
« L’homme n’a point de port, le temps n’a point de rive ; / Il coule, et nous passons ! ») et à la réflexion.
• Cette réflexion insiste sur l’impossibilité de l’homme à fixer le temps. Cette dernière est signalée par
les invocations au temps : « jaloux » ; il donne puis reprend (« Ce temps qui les donna, ce temps qui les
efface ») ; il a un caractère inlassable, éternel.
C. Rythme
Le rythme alterne vivacité et longueur des phrases : l’absence de ponctuation (l’asyndète) et les phrases
courtes dans les premières strophes cèdent la place aux enjambements qui rallongent, étirent les vers et
miment ainsi la fuite inexorable du temps.
D. Fragilité et impuissance de l’homme
• La fragilité de l’homme est mise en valeur et donne une tonalité élégiaque, lyrique au poème. Le
poète se plaint en apostrophant le temps et en usant de ponctuation expressive.
• Les participes passés et la voix passive (strophe 1) soulignent la passivité et l’impuissance de l’homme
face au temps : il est soumis au mouvement du temps. Sans doute est-ce pour cela que le poète nous
invite à profiter du temps présent, à la manière du « Carpe diem » : « Hâtons-nous, jouissons ! »
Conclusion
Lamartine réfléchit, dans ce poème, sur sa condition d’homme, sur sa faiblesse et son impuissance face
à la fuite du temps. Il s’agit d’un appel adressé à la nature, seule capable d’aider l’homme dans sa lutte
contre le temps et qui garde en son sein la trace des bonheurs d’antan.
Dissertation
Remarque
Les élèves devront analyser la citation en n’excluant aucun infinitif. Victor Hugo ne veut pas dire
qu’il ne faut plus penser ni aimer mais qu’il faut offrir à son art plusieurs facettes, plusieurs fonctions.
On peut voir dans cette citation une synthèse de plusieurs tendances du romantisme, déjà manifeste à
l’époque de la parution de William Shakespeare, alors que certains peut-être réduiraient trop
promptement le romantisme à une seule tendance.
Introduction
Après les réflexions d’un XVIIIe siècle éclairé et les émois de la Révolution, le XIXe siècle vient prendre
possession d’esprits tourmentés par tous ces changements et ces nouvelles perspectives. L’art – la
littérature surtout – va jouer un rôle déterminant : les auteurs vont illustrer à merveille ce siècle et
certains vont en inciter d’autres à s’engager dans la voie des idées, tandis que d’autres vont les guider
vers l’exploration des passions et de la sensibilité de l’être humain. Quelques-uns, dont Victor Hugo,
vont tenter de réaliser la synthèse de ces penchants pour faire de la littérature un art total, capable de
toucher et de représenter tout le monde. La tâche du penseur est effectivement rude !
Réponses aux questions – 16
1. Les lendemains de la Révolution : le vague des passions pour une génération d’héritiers
tourmentés
A. Le « vague des passions » (Chateaubriand)
Déjà initié par Rousseau et continué par Chateaubriand, le « vague des passions » naît de la
contemplation d’une nature complice et confidente où les tourments des sentiments trouvent refuge.
B. La condition de l’homme
• La noblesse chahutée, le pouvoir royal renversé par le XVIIIe siècle poussent à s’interroger sur la
condition de l’homme : quelle est la place de chacun et surtout quelle est l’incidence du destin sur la
place que l’on va occuper ?
• L’homme va devoir se définir grâce à un idéal nouveau, déjà présent dans La Nouvelle Héloïse de
Rousseau puis dans le Werther de Goethe.
C. Une littérature plaisante
La littérature doit plaire à cette nouvelle génération, comme l’expriment Stendhal dans Racine et
Shakespeare (1823-1825) et Senancour dans Oberman (1804) : l’inclination de ce nouveau siècle porte
d’abord sur la sensibilité qualifiée de « charmante » par Sterne, en ce qu’elle est « source inépuisable de
tout ce qu’il y a de délicieux dans nos joies et de précieux dans nos chagrins ! »
D. L’expression du spleen
• L’expression suprême de la sensibilité romantique est l’expression de la mélancolie, du spleen, sorte
de perturbation du rapport au monde, un monde qui plus est en mouvement.
• Restent deux solutions : exprimer la souffrance de la prise de conscience du néant, de l’infini, de
l’inéluctable ou bien s’engager dans une lutte idéologique pour trouver sa place dans ce monde.
2. Un siècle intense que reflète une littérature engagée et désenchantée
• L’Histoire va très vite montrer ses limites à l’esprit romantique : après l’enthousiasme de la
Révolution, la chute de l’Empire met à mal l’exaltation d’une jeunesse qui se voulait en mouvement,
comme le montre bien Musset dans Les Confessions d’un enfant du siècle.
• Napoléon a marqué les esprits, et beaucoup d’auteurs, comme Stendhal et Hugo, ont vu en lui le
modèle d’un destin épique, hors du commun, symbole d’énergie et de renouveau.
• Déçu par la réalité, l’auteur envisage l’irrationnel comme recours contre la mélancolie, comme en
témoignent les œuvres fantastiques d’Hoffmann (Contes) ou de Balzac (La Peau de chagrin). Mais c’est
parfois la religion qui permet l’évasion d’un présent trop dur à supporter (Lamartine, Vigny, SainteBeuve).
Conclusion
Héritiers de la rigueur classique et des grands bouleversements des Lumières, les romantiques
synthétisent différentes aspirations et y trouvent des palliatifs à leurs déceptions et échecs
contemporains. On peut se réfugier dans l’expression exaltée de l’amour ou de la souffrance, ou
préférer s’engager idéologiquement. Mais le romantisme apparaît finalement comme une lutte intense
d’une individualité complexe face à un monde qui ne le satisfait pas. Ce sont ces contradictions qui
apparaissent dans la citation de Victor Hugo.
Écriture d’invention
Il faudra veiller à ce que les élèves passent de la 3e à la 1re personne du singulier et à ce que la
ponctuation soit assez expressive pour traduire les sentiments du locuteur. Les didascalies pourront
permettre de restituer quelques passages descriptifs, et notamment la manière dont Julien se déplace
puis occupe le milieu naturel dans lequel il évolue alors.
Proposition pour commencer le monologue :
« JULIEN, avançant lentement, comme gêné par la végétation qui l’entoure :
Je l’ai eu ! Je ne pensais pas qu’il céderait aussi facilement… et je me demande bien pourquoi
d’ailleurs. Cela est suspect. Il me faudra en trouver la raison… mais plus tard ! Je veux savourer cette
victoire ! (Il s’arrête, reprend son souffle, regarde autour de lui, voit un énorme rocher sur lequel il grimpe avec
agilité.) Quel calme ! Quelle sérénité ! Je peux voir tout Verrières s’étendre au loin. Que cela semble
petit… insignifiant. (Sourire satisfait, poing sur la hanche.) Etc. »
Hernani – 17
A c t e
I I ,
s c è n e
3
( p p .
8 3
à
8 8 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 89-90)
Pour l’amour d’une femme bafouée
u Hernani entre en scène alors que Doña Sol l’implore de venir la sauver des griffes de Don Carlos. Il
est donc appelé en sauveur. La didascalie qui couronne la première réplique d’Hernani montre qu’il se
sent en position de force et que la situation, même, le satisfait. Dans la scène 2 de l’acte I, Hernani
rejoint Doña Sol mais ignore que Don Carlos est caché dans l’armoire. Il est donc surpris, déstabilisé,
lorsque ce dernier révèle sa présence et, surtout, il ne connaît pas son identité : il ne sait donc pas que
Don Carlos est celui dont il cherche à se venger. Il n’est alors pas en position de force.
v Les vers 550 à 552 montrent que Don Carlos avait demandé à des complices de faire le guet. La
réponse d’Hernani (v. 552 à 559) démonte l’organisation de Don Carlos, puisqu’il lui démontre qu’il
a lui aussi des hommes pour le servir et même en plus grand nombre. Le rapport de force s’inverse
très vite.
w Don Carlos n’est pas intimidé, alors qu’il est pris en flagrant délit. Il se permet même de traiter
« avec dédain » Hernani qui vient pourtant de lui apprendre qu’il n’avait pas de secours à attendre des
siens. Alors qu’Hernani, dans des répliques assez longues, explique à Don Carlos toutes les raisons
qu’il a de le haïr, ce dernier se contente de réponses lapidaires et méprisantes : « C’est bien » ;
« fièrement » ; « Allons, vous me questionnez ! »…
x Les termes et expressions qui expriment l’amour qu’Hernani porte à Doña Sol sont : « Mon
amour ! » (v. 550) ; « Nous aimons tous deux la même femme » (v. 569) ; « Je n’avais qu’un désir, qu’une
ardeur, qu’un besoin, / […] Plein d’amour, j’accourais » (v. 572-573). Les vers 572-573 apparaissent
comme une contraction des grands élans verbaux de la scène 2 de l’acte I (v. 43-48, 50-54), et le
verbe aimer et les mots de la même famille sont utilisés à maintes reprises dans cette scène aussi.
Un conflit qui remonte plus loin
y Hernani veut venger l’honneur de sa famille bafouée par celle de Don Carlos et son désir de
vengeance est comme un moteur pour lui. Dès lors qu’il connaît l’identité du roi (ce qui n’est pas
encore le cas quand il le rencontre chez Doña Sol au début de l’acte I), il n’a plus qu’une idée en
tête : le tuer. Là, l’occasion est trop belle : Don Carlos est devant lui, en train d’accomplir un acte
méprisable qui ne peut qu’ajouter à sa haine.
U Hernani évoque à plusieurs reprises son désir de vengeance mais on peut retenir le vers 582. Dans
son monologue, on retiendra le vers 384 : « Ma race en moi poursuit en toi ta race ! »
V Dans les vers 568 à 570, l’anaphore « Je vous hais » permet à Hernani d’énumérer toutes les raisons
qu’il a de haïr Don Carlos, et donc toutes les raisons de le tuer. Ces arguments portent sur l’affront
familial, sur la rivalité autour de Doña Sol… jusqu’à la condamnation sans appel où l’anaphore est
répétée : « Je vous hais, je vous hais, – oui, je te hais dans l’âme ! »
W Hernani parle plus longuement que Don Carlos ; c’est lui qui domine la situation dans cette scène.
Du vers 553 au vers 584, Hernani n’est guère interrompu que par de courtes répliques de Don Carlos
qui constituent des interruptions quasi artificielles des propos d’Hernani. C’est l’occasion pour Hugo
de déconstruire l’alexandrin (v. 571, 580, 585).
Une vengeance en marche
X
HERNANI
DON CARLOS
« Immobile, les bras toujours croisés, et ses yeux
étincelants fixés sur le roi. »
« Il lui saisit le bras. »
« Il tire son épée. »
« Hernani, sombre et pensif, tourmente quelques instants
de la main la poignée de son épée, puis se retourne
brusquement vers le roi, et brise la lame sur le pavé. »
« Dont les yeux se rallument. »
« Il ôte son manteau et le jette sur les épaules du roi. »
« Souriant avec dédain. »
« Fièrement. »
« Hernani recule. Don Carlos fixe des yeux
d’aigle sur lui. »
« Le roi se tourne à demi vers lui et le regarde avec
hauteur. »
« Riant, à demi, avec dédain. »
« Le roi s’enveloppe du manteau. »
« Il sort. »
Réponses aux questions – 18
Hernani est beaucoup plus mobile que Don Carlos ; on sent toute la fougue du jeune héros
romantique. Don Carlos essaie, quant à lui, d’en imposer avec le dédain et le mépris ; c’est là son
arme.
at Don Carlos vouvoie Hernani. Hernani, quant à lui, le vouvoie d’abord puis se met à le tutoyer à
partir du vers 570 – ce qui marque une évolution dans la haine qu’il ressent et exprime pour cet
homme.
Généralement, le maître tutoie le valet – ce qui marque le statut social et hiérarchique. Ici, le rapport
de force s’inverse, puisque le brigand va tutoyer le roi.
ak
POUR DÉSIGNER HERNANI
« Seigneur bandit » (v. 559)
« Compagnon » (v. 588)
« Monsieur » (v. 602)
« Mon maître » (v. 605)
POUR DÉSIGNER DON CARLOS
« Seigneur roi de Castille » (v. 558)
« Don Carlos » (v. 577)
« Seigneur » (v. 585)
« Monsieur » (v. 627)
Au fil des répliques, les protagonistes perdent toute civilité l’un envers l’autre ; la barrière sociale est
peu à peu gommée par le rapport de force, puisque tous deux finissent par se donner le même
appellatif (« Monsieur »).
al Le champ lexical du combat est très présent : « épée », « querelle », « affront », « mourir », « assiège »,
« ennemis », « frappe », « vengeance », « défends-toi », « frappez », « duel », « ta dague », « assassinez-moi »,
« sang », « meurtres », « victimes », « poignards », « crime », « complots »…
Le duel et l’assassinat sont deux options qui s’opposent : Hernani voudrait l’emporter loyalement et
avec honneur contre Don Carlos, puisqu’il s’agit pour lui de venger les siens. Don Carlos refuse le
duel car il veut que le brigand se compromette afin d’être pourchassé et puni comme un vulgaire
assassin.
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 91 à 99)
Examen des textes
u Transmission de la haine :
– Texte A : Hernani veut venger son père bafoué par le père du roi (v. 567).
– Texte B : le duc Frédérick déteste Orlando parce que c’est le fils du chevalier Roland de Boys qu’il
déteste ; Orlando va haïr le duc Frédérick dès lors que celui-ci lui avouera la haine qu’il éprouve pour
son propre père.
– Texte C : Rodrigue veut venger son père, Don Diègue, qui a été offensé par le Comte.
– Texte D : Colomba veut que son frère venge la mort de leur père assassiné par une famille rivale.
v Termes exprimant la haine et la vengeance :
– Texte A : « je vous hais », « ma haine », « vengeance », « duel », « assassinat »…
– Texte B : « mon ennemi », « façons rudes et jalouses »…
– Texte C : « venge », « vaincre », « honneur »…
– Texte D : « mort », « taches de sang », « frappé », « tu le vengeras », « sang »…
Ces termes appartiennent aux champs lexicaux de l’honneur, de la mort et du meurtre.
w Dans ces trois textes, il s’agit pour le fils de venger son père, même si, dans le texte D, c’est
Colomba qui pousse son frère à la vengeance. Dans ce cas d’ailleurs, il est plutôt question d’une
coutume corse. Dans le cas de Rodrigue et d’Hernani, on retrouve des valeurs chevaleresques.
x Dans les textes A, B et C, les héros sont de jeunes hommes qui ne se sont pas encore réellement
illustrés par des exploits. Hernani est certes un brigand, mais s’attaquer à la personne du roi n’est pas
un projet modeste. Orlando, quant à lui, va se faire connaître en affrontant le lutteur et Rodrigue n’a
pas encore brillé par les armes, comme le lui rappelle le Comte, alors qu’il s’apprête à venger son père
en affrontant un combattant expérimenté.
Hernani – 19
Manière dont les femmes sont mêlées aux histoires de vengeance :
– Texte A : Doña Sol est une motivation supplémentaire de vengeance car Don Carlos a bafoué son
honneur en voulant l’enlever.
– Texte B : les jeunes femmes Rosalinde et Célia tombent sous le charme du jeune Orlando avant
même qu’il ait vaincu. Son exploit ne fait que renforcer à leurs yeux son pouvoir de séduction.
– Texte C : Chimène est la fille du Comte que Rodrigue s’apprête à affronter ; il va vite comprendre
que tuer le père signifie perdre la fille, alors qu’ils étaient sur le point de se marier.
– Texte D : point de femme aimée ici mais une sœur, Colomba, qui ne pense qu’à venger la mort de
son père et qui va rappeler cette tradition à son frère.
U Rôle des objets :
– Texte A : la dague, l’épée sont les armes évoquées par les personnages. Elles prolongent la main du
meurtrier et représentent l’esprit de vengeance et de violence. Le manteau est déjà évoqué dans
l’acte I ; ici, il passe d’un personnage à l’autre, de la même manière que le rapport de force s’inverse
entre Don Carlos et Hernani.
– Texte B : Rosalinde donne au jeune héros une chaîne, comme les dames nobles faisaient porter
leurs couleurs aux chevaliers médiévaux ; c’est un symbole d’union et de promesse entre les deux
jeunes gens.
– Texte D : Colomba a conservé la chemise tachée du sang de son père, ainsi que les balles qui ont
servi à l’assassiner. Ces objets rappellent le meurtre et servent de passage de témoin entre une
génération et l’autre, par la main féminine.
y
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Il s’agit de montrer ici que la vengeance traverse les générations et que souvent le fils se doit de
défendre l’honneur du père, même si cela doit faire de lui un criminel. Le meurtre répond
généralement au meurtre mais la vengeance se contente parfois de pousser un homme à en bannir un
autre (texte B).
Commentaire
Introduction
Cette scène est pour Rodrigue le moment du dilemme : il est sur le point d’épouser Chimène mais
son père a été offensé d’un soufflet par le Comte, le père de Chimène. Dans la scène qui précède
notre extrait, Don Diègue demande à son fils de le venger lors d’un duel. Le jeune homme sait qu’en
tuant le Comte, il perd l’amour de sa promise. Mais l’honneur est plus fort que tout et Rodrigue ne
peut se dérober à son devoir.
1. Un cruel dilemme : entre amour et vengeance
• Rodrigue réclame réparation pour l’offense faite à son père : l’échange de stichomythies initial
rappelle les faits et place immédiatement le dialogue sous le signe agonal.
• À la fougue de Rodrigue répondent le calme et l’expérience du Comte : les répliques s’allongent
lorsque le Comte essaie de lui faire entendre raison en évoquant Chimène (« Mon âme avec plaisir te
destinait ma fille ») et leur mariage prochain (« voulant pour gendre un cavalier parfait »).
• Très vite, les champs lexicaux de l’affrontement et de l’amour s’entremêlent, révélant le dilemme
qui se pose à Rodrigue. Dans le même temps, les arguments des deux hommes opposent honneur et
amour.
2. Rodrigue ou la naissance d’un héros
• Malgré toute la rhétorique déployée par le Comte, Rodrigue choisit de venger l’honneur de son
père : en effet, le Comte essaie d’abord de le faire fléchir en évoquant Chimène, puis il évoque sa
jeunesse et son manque d’expérience dans le combat, avant de déclarer que le tuer ne lui attirerait
finalement aucun mérite (« On te croirait toujours abattu sans effort ; / Et j’aurais seulement le regret de ta
mort »).
Réponses aux questions – 20
• À plusieurs reprises, Rodrigue sollicite le présent intemporel pour montrer que sa détermination est
sans faille : « aux âmes bien nées, / La valeur n’attend point le nombre des années » ; « Mes pareils à deux fois
ne se font point connaître, / Et pour leurs coups d’essai veulent des coups de maître » ; « À qui venge son père, il
n’est rien impossible » ; « Qui m’ose ôter l’honneur craint de m’ôter la vie ? ».
La scène est fermée sur elle-même et fonctionne presque comme un piège : aux stichomythies
initiales répondent celles de la fin, sollicitant l’impératif et précipitant la chute du Comte.
Conclusion
Étape initiatique, cet affrontement est celui qui « fait grandir » Rodrigue tout en précipitant sa perte,
en ce qui concerne son projet de mariage avec Chimène. Le personnage du héros naît ici et ne fera
que se confirmer avec ses exploits guerriers. La destinée du Cid est en marche.
Dissertation
1. Récurrence et persistance des genres
A. Les modèles antiques
• Des amours contrariées aux affrontements entre maîtres et valets, tout était déjà mis en scène
(Molière et Marivaux y ont puisé beaucoup de leurs personnages).
• Tragédie et comédie coexistaient chez les Grecs comme chez les Latins (Sophocle, Térence,
Plaute…).
B. La mythologie
Une source d’inspiration surtout pour le théâtre (Antigone : version antique, versions modernes).
C. Le genre épique
• Un genre qui traverse la prose et la poésie, d’Homère à Cervantès…
• S’il est vrai que certains genres dominent suivant les siècles, ils ont tous traversé les époques et sont
hérités de l’Antiquité. Ils reviennent cycliquement, suivant les partis pris idéologiques des auteurs et
les thématiques à la mode.
2. Des thématiques inépuisables qui n’empêchent pas le renouvellement
A. L’amour se décline sous toutes les formes
De l’amour heureux (poésie du XVIe siècle, comédies) à l’amour malheureux (héroïnes balzaciennes,
héros de tragédies…), en passant par l’amour funeste (dans la poésie lyrique, la tragédie…).
B. Le temps
Il est au centre des préoccupations de l’homme, depuis le « Carpe diem » latin jusqu’à « L’Horloge »
baudelairienne et même le théâtre du XXe siècle.
C. La condition humaine
Elle est d’ailleurs le corollaire de la fuite du temps (on pense à Montaigne, à Pascal), mais elle est aussi
la préoccupation majeure après les guerres et autres affrontements politiques et religieux, d’Agrippa
d’Aubigné à Camus.
Conclusion
La littérature s’articule autour des mêmes thématiques qui, elles-mêmes, conditionnent des genres plus
ou moins courus suivant les siècles et les tendances. Si les genres se renouvellent et les thématiques
connaissent des évolutions liées à l’Histoire, on peut cependant parler d’un « éternel
recommencement » en littérature, l’être humain restant soumis aux mêmes hésitations.
Écriture d’invention
Proposition de début de dialogue :
« ROSALINDE, émue, les yeux dans le vague. J’en tremble encore. Ce bel Orlando a touché mon âme…
et mon cœur ! (Elle se tourne avec précipitation vers Célia.)
CÉLIA , la regardant, le poing sur la hanche et fronçant les sourcils. Ne vous réjouissez pas trop, ma
cousine… vous avez compris que votre père ne voulait plus entendre parler de lui du fait de sa
lignée. Je ne crois pas que vous ayez la moindre chance… (Prenant un air mutin.) Moi, en
revanche…
Hernani – 21
ROSALINDE. Tu exagères, cousine. Son cœur est si noble que rien ne l’effraierait, pas même les
menaces d’un père. Il est si valeureux, si courageux, si fort, si…
CÉLIA , levant les yeux aux ciel. Na na na na… Téméraire, oui ; mais je suis certaine qu’il tient à la vie.
(Devenant plus grave.) Et votre père n’est pas du genre à plaisanter, chère cousine !
ROSALINDE, comme exaltée. Oui, mais, pour lui, je me ferai fuyarde ! Pour lui, je braverai toutes les
colères du monde ! Rien ne nous arrêtera !
Etc. »
A c t e
I V ,
s c è n e
2
( p p .
1 5 6
à
1 6 3 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 164-165)
Divagations d’un mégalomane
u Beaucoup de termes renvoient au pouvoir politique : « prince », « empereur », « roi », « loi », « titre »,
« Empire », « États », « rois », « les maisons féodales », « Margraves », « cardinaux », « doges », « ducs à
fleurons », « chefs de clans », « hauts barons », « soldats », « trônes », « gouverner », « majestés ».
À plusieurs reprises, Don Carlos répète la tournure « avoir été » (v. 1495, 1496 deux fois, 1499) pour
insister sur les « états de service » de Charlemagne et la déchéance que représente à ses yeux cette
simple tombe, emblème du statut de mortel d’un grand homme. À ce passé s’oppose la répétition du
verbe être (v. 1516, 1556).
v Images évoquant la verticalité et, à travers elles, la grandeur de celui qui domine : « Géant, pour
piédestal avoir eu l’Allemagne ! » (v. 1497) ; « Élevez, bâtissez » (v. 1503) ; « Taillez à larges pans un édifice
immense ! » (v. 1505) ; « des cités, des tours, un vaste essaim, / De hauts clochers d’église à sonner le tocsin »
(v. 1527-1528) ; « La pyramide énorme appuyée aux deux pôles » (v. 1530) ; « Monter […] À ce faîte »
(v. 1545-1546).
Ces images sont puisées dans l’architecture. Le roi est comme un édifice immense au pied duquel
s’étend le peuple. Il domine de sa hauteur.
w Métaphores filées :
– « Flots vivants, qui, toujours l’étreignant de leurs plis, / La balancent, branlante, à leur vaste roulis »
(v. 1531-1532) ;
– « Ah ! le peuple ! – océan ! – onde sans cesse émue ! / Où l’on ne jette rien sans que tout ne remue ! / Vague
qui broie un trône et qui berce un tombeau ! » (v. 1537 à 1539).
x On identifie une énumération qui va sous forme de dégradation, du plus haut au plus bas de la
société. Le roi est celui qui domine tout cela.
y Termes et expressions renvoyant au bruit des hommes : « Couvrez la terre entière / De bruit et de
tumulte » (v. 1502-1503) ; « Un grand bruit ; pleurs et cris, parfois un rire amer, / Plainte qui, réveillant la
terre qui s’effare, / À travers tant d’échos, nous arrive fanfare » (v. 1524 à 1526).
On peut relever les allitérations en [r] et en [k] qui renvoient au grondement de la foule mais aussi
aux cris (de révolte ? de souffrance ?) face au tyran.
Prise de conscience de la condition de mortel
U Avoir été (à plusieurs reprises) et avoir eu sont des infinitifs passés qui expriment ce qui n’est plus, en
opposition à l’ensemble de l’extrait au présent (infinitif et indicatif).
V La mort est évoquée à travers « cette tombe », « la poussière », « cette pierre », « le dernier terme », « un
tombeau », « grands vaisseaux naufragés », « du fond de ce tombeau ». La tombe matérialise la mort mais la
métaphore maritime ajoute quelque poésie à cette évocation.
W Ces termes expriment le mouvement, l’agitation : « bruit », « tumulte », « foule », « un grand bruit »,
« pleurs et cris », « flots vivants », « balancent », « branlante », « font tout changer de place », « chanceler »,
« tout remue », « berce », « flux et reflux roule », « tressaillir », « sentant vivre, sourdre et palpiter la terre ».
Les hommes, et même les puissants, ne font que s’agiter en tous sens pour poursuivre leur rêve de
gloire ou pour lutter contre le pouvoir d’un tyran. Tous se débattent à leur manière dans leur vie.
Réponses aux questions – 22
Exemples de ponctuations expressives (en rouge) :
« – Gouverner tout cela ! – Monter, si l’on vous nomme,
À ce faîte ! Y monter, sachant qu’on n’est qu’un homme !
Avoir l’abîme là !… – Pourvu qu’en ce moment
Il n’aille pas me prendre un éblouissement !
Oh ! d’États et de rois mouvante pyramide,
Ton faîte est bien étroit ! Malheur au pied timide !
À qui me retiendrais-je ? […]
– Puis, quand j’aurai ce globe entre mes mains, qu’en faire ?
Le pourrai-je porter seulement ? Qu’ai-je en moi ?
Être empereur, mon Dieu ! j’avais trop d’être roi !
Certe, il n’est qu’un mortel de race peu commune
Dont puisse s’élargir l’âme avec la fortune.
Mais, moi ! qui me fera grand ? qui sera ma loi ?
Qui me conseillera ? »
La ponctuation expressive est particulièrement utilisée au théâtre, puisque l’on a affaire à du discours
direct ; elle est à même de rendre les propos plus éloquents, que ce soit par les points d’exclamation,
d’interrogation ou de suspension. Les hésitations, les angoisses, les colères, l’exaltation sont marquées
ici dans le monologue de Don Carlos. Les interrogations sont rhétoriques car ce dernier n’attend pas
de réponse d’un mort. Des interjections, des phrases verbales viennent ajouter à la valeur expressive
des propos.
at On repère un rejet du vers 1499 sur le vers 1500 qui prolonge l’énumération dans la comparaison
de supériorité et aboutit à une comparaison mégalomane : « aussi grand que le monde ». Le second
hémistiche est séparé du premier par une ponctuation expressive (points de suspension) et constitue
une figure de rétention par rapport à ce qui a été développé avant « et que tout tienne là ». L’homme,
aussi brillant soit-il, termine son parcours dans un tombeau. Don Carlos fait la triste expérience de la
condition humaine.
X
L’invocation à Charlemagne
ak Don Carlos évoque d’abord Charlemagne à la 3e personne (« la sienne », « est-il donc si peu »…), puis
il glisse subtilement vers sa propre destinée par le truchement du pronom indéfini « on » et du
pronom pluriel « vous ». Le « je » apparaît à partir du vers 1510, mais, comme pour ne pas regarder
son destin en face, Don Carlos revient à des propos plus généraux et évoque l’immensité des hommes
et leur triste condition.
Le retour de la ponctuation expressive, et notamment des interrogations oratoires, marque aussi le
retour de la 1re personne (à partir du vers 1551).
al Indices grammaticaux évoquant Charlemagne :
– pronoms : « la sienne », « on », « toi » ;
– adjectifs déterminants : « votre empire », « nos deux majestés » ;
– noms communs, qui renvoient au statut social et politique, et noms propres : « l’épée », « la loi » ;
« prince », « empereur », « roi » ; « César », « Charlemagne » ;
– comparaisons avec Annibal, Attila ;
– verbes à l’impératif, d’abord au pluriel (« élevez », « bâtissez ») puis au singulier (« Prends », « Versemoi »).
am Le mode impératif et les phrases exclamatives et interrogatives sont les plus utilisés dans l’invocation
de Don Carlos à Charlemagne.
an Attila, César, Annibal sont cités par Don Carlos : ce sont des références en matière de conquêtes et
d’exploits guerriers. Don Carlos se place sous l’obédience des plus grands, pour valoriser son statut
après avoir valorisé celui de Charlemagne.
ao Victor Hugo a sans doute voulu faire dire à son personnage que la puissance ne se construisait
qu’au détriment des plus faibles, qu’il s’agisse de les mépriser ou de les anéantir. Mais, malgré cette
puissance, un homme reste un homme, dont la mort constitue le terme quoi qu’il arrive.
Hernani – 23
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 166 à 173)
Examen des textes et de l’image
u Expression de la grandeur de la figure royale :
– Texte A : images de verticalité qui tendent à montrer que le roi est au-dessus de l’ensemble des
hommes ; champ lexical du pouvoir.
– Texte B : « monarque sans vice », « le plus juste des rois », « vainqueur de toutes parts ».
– Texte C : « Il a été pendant sa vie si absolu qu’il a passé par-dessus toutes les lois pour faire sa volonté »,
« tant le roi était puissant et absolu ».
– Texte D : la tirade de Béranger montre qu’il veut que rien ne se fasse sans lui, que rien n’existe plus
que sa mémoire, son souvenir (répétition de la tournure au subjonctif « Que… »).
– Document : bien que mis à mort, César ne baisse pas la tête ; il affronte le regard de ses meurtriers.
v La figure royale, seule contre ou au-dessus de tous :
– Texte A : à la singularité du puissant s’oppose la pluralité des autres, la foule, le peuple, le monde.
– Texte B : « Dont la seule bonté déplut aux bons François », « Son règne fut pourtant celui de l’injustice » ;
l’auteur nous montre que Louis XIII, même s’il n’était pas un mauvais roi, n’était pas soutenu par son
peuple à cause de son affection pour Richelieu. Cela suffit à le faire entrer en disgrâce pour
l’ensemble des Français (utilisation du pluriel qui s’oppose au singulier du roi).
– Texte C : « peu regretté de tout son royaume », c’est-à-dire de « tous ses sujets », accablés d’impôts et de
taxes ; le prédéterminant « tout » exprime bien la pluralité des opposants au roi.
– Document : César est le seul personnage avachi sur ce tableau ; il subit les assauts simultanés de
plusieurs complices armés ; et même si sa statue domine la situation, l’empereur, lui, est soumis à la
cruauté des autres.
w Opposition entre le texte B et le texte C :
– Texte B : l’auteur fait l’éloge d’un roi bon mais incompris et injustement traité par ses sujets ; tout
est fait pour inspirer de le pitié au lecteur (voir la dernière strophe).
– Texte C : l’auteur ne cherche aucunement à faire regretter le défunt roi ; au contraire, il dresse un
bilan désastreux de son règne et se range aux côtés de tous ceux qui ne vont pas le regretter.
x Rapport à la loi et à la justice de chaque figure royale :
– Texte A : Don Carlos respecte en Charlemagne celui qui a été « l’épée » et « la loi » ; cela ne signifie
pourtant pas qu’il entende régner dans la justice, puisque les images concourent à montrer que Don
Carlos est arriviste, qu’il entend déjouer les complots et régner en maître absolu, toujours en quête
d’un titre plus honorifique encore.
– Texte B : Louis XIII ne semblait pas animé par le vice mais il était influencé et donc mal conseillé
par Richelieu (« Son règne fut pourtant celui de l’injustice »).
– Texte C : « il a passé par-dessus toutes les lois pour faire sa volonté » et tous ont été opprimés, du plus
démuni au plus riche (princes et nobles y compris).
– Texte D : Béranger veut remplacer la religion, la culture, l’Histoire même. C’est un comportement
tyrannique. Il semble prêt à promulguer des lois absurdes, voire abjectes, avant de mourir, pour
satisfaire sa mégalomanie et sa peur de la mort.
y Évocation ou représentation du corps du mort et de sa sépulture :
– Texte A : la pierre, la tombe, le tombeau recueillent la dépouille de Charlemagne ; Don Carlos vit
cela comme un revers cuisant du destin, mais il voue respect et adoration à cette tombe.
– Texte B : « Sous ce marbre repose un monarque sans vice » ; la tombe est forcément faite d’une matière
précieuse, puisqu’il est question de la dépouille d’un roi.
– Texte C : la personne du roi n’est évoquée que de manière négative (il a ruiné la France, mené des
guerres sanguinaires…), et le texte se contente de donner des informations sur la mort du roi (date) et
le lieu où fut transporté le corps pour l’oraison.
– Texte D : « ils vont bouffer, ils vont danser sur ma tombe » ; Béranger voit sa tombe comme une source
d’humiliation ; il n’imagine pas sa dépouille être foulée, souillée ; il préférerait que son corps soit
conservé « intact dans un palais sur un trône » et il énumère des souhaits plus que fantaisistes (« que des
vierges se roulent à mes pieds refroidis ») ; Béranger n’accepte pas la mort, il ne veut ni être enterré ni être
embaumé… il veut rester vivant !
Réponses aux questions – 24
– Document : César, blessé, est déjà en train de fléchir ; il se rapproche un peu plus du sol, de la
pierre qui accueillera son corps.
U Relevé des phrases non verbales :
– Texte A : « Oh ! Quel destin ! » ; « Quoi donc ! » ; « Quoi ! » ; « Ô démence ! » ; « Cette pierre ! » ; « Et
du titre et du nom triomphants ? » ; « Oh ! L’Empire ! l’Empire ! » ; « Ô ciel ! » ; « Les hommes ! » ; « Ah !
le peuple ! – océan ! – onde sans cesse émue ! » ; « Malheur au pied timide ! » ; « Mon Dieu ! » ; « Mais
moi ! ».
– Texte D : « Sans moi, sans moi » ; « Mon image dans tous les ministères, dans les bureaux de toutes les souspréfectures, chez les contrôleurs fiscaux, dans les hôpitaux » ; « Un seul nom de famille, un seul nom de famille
pour tout le monde » ; « Horreur ! ».
Les phrases non verbales expriment l’angoisse existentielle de Don Carlos et de Béranger, qui sont
terrorisés face à ce qui les attend. Le pouvoir et la mort forment une combinaison fortement
anxiogène.
V Dans le texte C, il s’agit de donner des informations d’abord rigoureuses (date et lieu du décès puis
de l’oraison) et ensuite de ne surtout pas louer la personne du défunt, puisqu’il a pillé la France. La
ponctuation est donc peu expressive et les phrases sont longues.
Dans les autres textes, les exclamatives accompagnent interjections et phrases non verbales (textes A
et D, voir question ci-dessus), mais aussi les marques d’indignation et les injonctions démentes de
Béranger (« Que toutes les fenêtres éclairées aient la couleur de mes yeux, que les fleuves dessinent dans les
plaines le profil de mon visage ! »). Les interrogations sont surtout oratoires : invocation de Don Carlos ;
« Jamais de tels malheurs furent-ils entendus ? » (texte B). La ponctuation expressive apporte une réelle
force pathétique aux textes.
W Énumérations :
– Texte A : énumération de tous les humains que domine le roi (v. 1519 à 1521).
– Texte B : « l’ambition, l’orgueil, l’audace, l’avarice » (énumération de défauts, voire de vices qui
normalement ne feraient pas un bon roi, mais on comprend ici que c’est Richelieu qui est visé).
– Texte C : énumération de tous ceux qui ont été opprimés par le roi – ce qui contribue à en
construire une image des plus dépréciatives (« Les princes et la noblesse […]. Les parlements n’avaient […].
Le clergé […]. Tous les corps […] »).
– Texte D : le roi est en plein délire et chacune de ses répliques n’est en fait qu’une longue
énumération de souhaits (« que » + subjonctif), mais on peut aussi relever « Je veux qu’on me garde dans
des bras chauds, dans des bras frais, dans des bras tendres, dans des bras fermes ».
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Panique ou noblesse face à la mort : les puissants ne peuvent masquer leur angoisse quant à ce qui leur
arrive et cela se ressent dans les champs lexicaux, la ponctuation, la thématique de la mort liée à celle
du pouvoir. Le César de Camuccini affronte du regard ses assaillants, donc la mort.
Suivant le prestige dont jouissait le défunt monarque, les propos sont plus ou moins élogieux :
personne manifestement ne regrettera la disparition de Louis XIV ; celle de Louis XIII provoquera des
réactions mitigées ; Charlemagne est un monarque regretté par Don Carlos en tout cas et il s’est
illustré par un règne riche et florissant.
En ce qui concerne le roi de Ionesco, sa position est ambiguë : il n’accepte pas la mort mais son
entourage ne lui est pas d’un grand secours car on lui propose d’abord de l’embaumer puis on lui dit
qu’il revivra peut-être. La confusion règne dans les esprits car, sans le roi, tout bascule.
Commentaire
Introduction
Cette scène ressemble à un pastiche de scène de tragédie ; on croirait voir une mort d’opéra, où le
héros, atteint d’un mal terrible, meurt après des vocalises à n’en plus finir ! Cependant, la mort du roi
Hernani – 25
soulève des questions existentielles sur la place de l’homme dans le monde et ce qu’il laisse derrière
lui.
1. Un pastiche de scène de tragédie
A. Dimension monologique de la tirade
• Saturation des différents postes syntaxiques par la 1re personne (moi, je, mon, mes…).
• La parole du roi prime sur celles des autres personnages (Marie, Juliette, Marguerite, le médecin).
B. Des personnages royaux, semble-t-il
On retrouve une problématique familiale traditionnelle (héritières, épouses) – même si ici les
personnages sont nommés et non appelés par leur rang – et un entourage traditionnel de tragédie mais
aussi de comédie (le garde / le médecin) – ce qui place d’emblée la scène dans un entre-deux-genres.
C. Un ton pathétique
• Le ton est pathétique grâce à la ponctuation expressive et surtout grâce aux phrases au subjonctif,
mêlant ordres et souhaits.
• Ces phrases sont celles d’un homme désespéré, prêt à n’importe quelle aberration pour laisser une
trace.
D. Le mélange des niveaux de langue nous éloigne de la piste tragique (« bouffer »)
Au fil des répliques, le roi semble régresser, comme infantilisé par son angoisse de la mort et l’attitude
de ceux qui l’entourent, au point de ne plus réclamer que des bras accueillants.
2. Des questions fondamentales sur la place de l’homme dans le monde
A. Seul
La 1re personne s’oppose à un tout à la fois indéfini (« on ») et nommé (« tous les manuels », « tous les
autres rois »…), relayé par les formes plurielles des groupes nominaux et pronominaux (« ils »,
« tous ») : le roi est seul devant la mort et devant la Terre entière.
B. Dans son quotidien
Le pathétique prend forme d’exagération quand on étudie de plus près les thématiques contenues dans
les phrases au subjonctif : les thèmes énumérés sont prosaïques et appartiennent au quotidien de tout
homme (l’école, les places publiques, les préfectures, la religion…), comme cela s’est beaucoup
rencontré dans la littérature d’après-guerre.
C. Aux allures dictatoriales
• Le roi, dans son délire mégalomane, prend des allures de dictateur qui rappellent le film de Chaplin :
le discours se fait politique et idéologique ici.
• Le roi aspire à une forme d’éternité qui rappelle les pharaons, les empereurs, mais sommeille en lui
l’être humain qui réclame en dernier réconfort les bras, maternels probablement.
Conclusion
On retrouve chez Ionesco des angoisses existentielles exprimées par d’autres écrivains tels que Camus
ou Beckett, mais, ici, les angoisses prennent la forme d’un pastiche de tragédie et se teintent d’un
arrière-plan historique indéniable.
Dissertation
1. Tout est-il prétexte à littérature ?
A. Parler d’amour
Des blasons et récits médiévaux aux poèmes enflammés d’Apollinaire en passant par les sonnets du
XVIe siècle…
B. Évoquer sa terre natale, exprimer sa nostalgie ou décrire le paysage urbain
Sonnets de Du Bellay, écrits de la négritude, poésie sur le monde moderne (Émile Verhaeren, Les
Villes tentaculaires)…
C. Exprimer des idéologies, des idées philosophiques
Rabelais, Montaigne, la critique du XVIIIe siècle par les philosophes ou certains dramaturges, Victor
Hugo et le mouvement romantique, les écrivains de l’entre-deux-guerres…
Réponses aux questions – 26
2. La littérature est-elle capable de dire l’indicible ?
A. Recourir à l’écrit quand les mots ne peuvent être dits
Cas des déclarations d’amour ou des propositions indécentes (lettre de Cyrano à Roxane), des propos
érotiques (lettres échangées par Sand et Musset).
B. Utiliser la littérature pour raconter l’horreur
Récits de guerres (les poètes de la Résistance), de génocides (Primo Levi)…
C. Exprimer les désirs les plus répréhensibles, dévoiler les faces humaines les plus sombres
Écrits sadiques, antisémites, portraits de personnages cruels comme chez Faulkner…
Conclusion
Il semble que la littérature soit capable de tout exprimer, bien que la censure, à certaines périodes de
l’Histoire, s’évertue à canaliser les idées qu’elle véhicule. Il en est de même de tous les arts : quand
Mozart montre un comte ridiculisé par les ruses d’un petit page ou d’un valet, quand Wagner exalte
la force du héros…
Écriture d’invention
Proposition de début de corrigé :
« CÉSAR, se débattant, cherchant des yeux celui qui l’a frappé dans cette assemblée. Qui ? Qui a fait cela ?
Que vous arrive-t-il ?
TOUS LES CONSPIRATEURS, d’une même voix. À mort ! Tuons l’empereur !
LES PERSONNAGES ASSISTANT À LA SCÈNE. Ahhhhh ! Cessez ! Cessez ! (Et d’autres, un peu plus loin :)
À mort ! À mort !
CÉSAR, se protégeant le visage d’un bras, implorant Brutus du regard. Toi, mon fils, ne les laisse pas faire…
(Regardant le poignard qu’il brandit vers lui, les yeux écarquillés.) Non, pas toi !!! Pas toi, Brutus, mon
fils !
Etc. »
A c t e
V ,
s c è n e
6
( p p .
2 1 3
à
2 2 3 )
◆ Lecture analytique de l’extrait (pp. 224-225)
Respecter sa parole : une question d’honneur
u Termes employés pour évoquer le pacte et son code d’honneur :
– évocation du « serment » et du défunt père qui va en vouloir à son fils de manquer ainsi d’honneur
(v. 2117-2118) ;
– « faussaire », « félon », « parjure », « trahison » seraient le lot du brigand s’il n’honorait pas sa parole
(v. 2120 à 2122).
v Figures de style :
– anaphore de « Veux-tu […] » en tête de vers et de phrase interrogative ;
– énumération avec répétition de la coordination (« faussaire, et félon, et parjure »).
Par ces figures de rhétorique, Hernani entend convaincre Doña Sol de laisser s’accomplir le funeste
destin de celui qu’elle aime car c’est une question d’honneur.
w Don Ruy Gomez rappelle à Hernani que son père serait déshonoré si son fils ne respectait pas sa
parole (v. 2118). Hernani voit dans le sacrifice de Doña Sol un rappel de sa triste promesse (v. 21352136). L’honneur de la famille et surtout du père, de son vivant tant respecté, oblige Hernani à s’en
montrer digne. Ne pas honorer une promesse va à l’encontre de ce principe de gentilhomme.
x Don Ruy Gomez utilise d’abord des phrases affirmatives dont la première sonne comme une
sentence (v. 2113). Ensuite, l’exclamation permet de dramatiser l’évocation du père en donnant plus
d’expressivité à la phrase (v. 2118).
Hernani, quant à lui, recourt à des interrogations qui semblent oratoires, bien qu’elles soient adressées
à Doña Sol : il sait qu’elle ne veut pas faire de lui un parjure (v. 2120-2121) et cherche seulement à la
fléchir, à l’émouvoir, pour qu’elle se résigne et accepte la fatalité.
Hernani – 27
Don Ruy Gomez se tue car, par sa faute, ont péri les deux jeunes époux et il a vu mourir sous ses
yeux celle qu’il aimait. Ceci est trop lourd à supporter pour un homme d’honneur comme il se
dépeignait lui-même, notamment face à Don Carlos.
y
Un destin en marche
U Didascalies : « DOÑA SOL, lui retenant toujours le bras » ; « DOÑA SOL, toujours pendue au bras
d’Hernani » ; « Elle élève la fiole aux yeux d’Hernani et du vieillard étonné » ; « Il fait quelques pas pour sortir.
Hernani le retient » ; « D OÑA SOL, sombre » ; « D OÑA SOL, rendant à Hernani la fiole à demi vidée » ;
« HERNANI, prenant la fiole » ; « Il porte la fiole à sa bouche » ; « DOÑA SOL, se jetant sur lui » ; « Ils
s’asseyent l’un près de l’autre » ; « Ils s’embrassent » ; « HERNANI, d’une voix affaiblie » ; « HERNANI,
d’une voix de plus en plus faible » ; « D OÑA SOL, d’une voix également éteinte » ; « HERNANI, avec un
soupir » ; « DON RUY GOMEZ, soulevant sa tête qui retombe » ; « D OÑA SOL, échevelée et se dressant à
demi sur son séant » ; « Elle retourne la figure d’Hernani » ; « Elle retombe » ; « Il se tue ».
Les didascalies nous montrent dans quel élan de passion les amants courent à leur perte, comment la
fiole passe de l’un à l’autre. Puis leur mort est mise en scène, à la manière de celle de Roméo et
Juliette : ils ne meurent pas exactement en même temps, de manière à ce que le supplice soit plus
long, donc plus pathétique. Don Ruy Gomez parachève leur œuvre en se tuant lui aussi devant cette
double mort tragique.
V Exemples de stichomythies : entre Hernani et Doña Sol (v. 2131 à 2133), entre les trois
personnages (v. 2145 à 2149, 2159 à 2162).
Ces échanges de répliques accélèrent le rythme de la scène tout en rendant perceptible la tension qui
règne. Les stichomythies contribuent fortement à la dramatisation de la scène.
W Différents termes renvoient à la mort dans les répliques : « âmes », « sang », « morts », « poison »,
« sépulcre », « dormir », « douleurs », « souffrir », « pâle », « fatalité », « partir », « abîmes », « spectres »,
« sombre », « ombre », « mort », « morte ». Ils renvoient aussi bien à la souffrance physique provoquée
d’abord par le poison qu’au bien-être qui s’ensuit et auréole la mort des deux amants.
X Plusieurs termes montrent que les amants sont unis dans ce destin fatal et que leur mort ne fait que
se substituer à leur nuit de noce : « ensemble », « d’un vol égal » (v. 2151 à 2154) ; « ma bouche sur ta
main » (v. 2158) ; « c’est mon époux […] nous nous aimons / […] C’est notre nuit de noce » (v. 2162-2163).
at Les expressions sous forme d’interjections sont propres au ton tragique : « Adieu ! » (v. 2119),
« Ah ! » (v. 2124, 2137, 2149), « Dieu ! » (v. 2127), « hélas ! » (v. 2138), « Ô tourment ! » (v. 2150). On
peut aussi évoquer certaines images particulièrement lyriques, comme celles des abîmes, de la clarté,
des feux…
Doña Sol : une héroïne tragique
ak Doña Sol comprend la situation au début de la scène 6, alors qu’à la scène précédente le Masque est
venu demander à Hernani d’honorer sa parole. L’évocation du serment va éclairer Doña Sol : « Quel
serment ? » (v. 2063).
al Elle supplie Don Ruy Gomez dans une tirade poignante (v. 2067 à 2082) où elle convoque des
images pathétiques (« Il vaudrait mieux pour vous aller aux tigres même / Arracher leurs petits, qu’à moi celui
que j’aime ») et use d’une ponctuation expressive. Elle menace de le tuer mais cela est sans effet,
d’autant qu’elle n’en a pas la force. Elle implore surtout sa pitié (v. 2083 à 2090). Ces discours étant
sans effet, elle ne trouve pas d’autre moyen d’échapper à la douleur que la fiole de poison.
am C’est justement lorsqu’elle sort la fiole que Doña Sol fait tout basculer (« Elle lui arrache la
fiole. / Je l’ai. / Elle élève la fiole aux yeux du vieillard et d’Hernani étonnés »). Seul Hernani devait
mourir ; avec son geste, les trois personnages trouveront la mort à la fin de la scène.
Doña Sol apparaît téméraire, courageuse, impétueuse, passionnée.
an Verbes à l’impératif dans les répliques de Doña Sol : « Tiens maintenant » (v. 2124) ; « Prends, te disje » (v. 2125) ; « Ne te plains pas de moi » (v. 2126) ; « Va ! / Bois si tu veux ! » (v. 2130-2131) ; « jette
loin de moi ce philtre ! » (v. 2137) ; « Arrête ! » (v. 2138) ; « ne bois point ! » (v. 2142) ; « Calme-toi […].
Partons d’un vol égal » (v. 2152-2153) ; « Ne le réveillez pas » (v. 2164) ; « tiens-toi vers moi tourné »
(v. 2165).
Réponses aux questions – 28
Doña Sol dirige l’action, elle tient les rênes du destin en s’emparant de la fiole et en exhortant
Hernani à la suivre dans la mort. Elle tente ensuite de l’en dissuader tant ses souffrances sont grandes
mais Hernani boit à son tour. Elle semble le guider doucement vers la mort, demandant même à Don
Ruy Gomez de ne pas le réveiller.
ao Ces images sont surtout présentes dans la réplique de Doña Sol, des vers 2136 à 2143 et aussi dans
les vers qui suivent :
– champ lexical : « douleurs », « ronge », « dévore », « souffrît », « feu », « souffrirais », « souffre horriblement » ;
– images : « ce poison est vivant » (personnification), « une hydre à mille dents qui ronge et qui dévore »
(métaphore monstrueuse).
◆ Lectures croisées et travaux d’écriture (pp. 226 à 233)
Examen des textes et de l’image
u Personnes qui meurent d’amour :
– Texte A : Doña Sol et Hernani meurent d’amour ; Don Ruy Gomez aussi d’une certaine manière,
puisqu’il perd celle qu’il aimait.
– Texte B : Phèdre meurt d’avoir aimé Hippolyte.
– Texte C : les amants meurent ensemble.
– Texte D : Mme de Mortsauf se laisse mourir.
– Document : Roméo et Juliette meurent tous deux, Roméo en croyant Juliette morte puis Juliette
en découvrant le corps sans vie de son amant.
v Termes évoquant la mort et la sépulture :
– Texte A : voir la réponse à la question 8, page 27, sur l’extrait d’Hernani.
– Texte B : « sans vie », « mort », « victime », « trépas », « sanglante image », « mortel souvenir », « funeste »,
« supplice », « Par un chemin plus lent descendre chez les morts », « poison », « venin », « froid cœur expirant »,
« inconnu », « la mort ».
– Texte C : « tombeaux », « cieux », « esprits », « long sanglot », « adieux », « Ange », « flammes mortes ».
– Texte D : « la vie contre la mort », « lèvres décolorées », « c’est la mort », « pleurs », « larmes », « funeste ».
w Dans ces textes et le document, il est question de suicide. Les amants meurent l’un à la suite de
l’autre mais pas ensemble. Phèdre se tue d’avoir ressenti un amour coupable mais non réciproque
cependant. Dans le cas d’Hernani et Doña Sol et dans celui de Roméo et Juliette, l’amour est
réciproque et les amants s’unissent dans la mort.
x Dans les deux textes, le bien-être succède à la douleur ou, tout du moins, à des sensations
désagréables. Il est d’abord question de froid puis l’apaisement se matérialise dans la clarté qui semble
accueillir celui qui meurt.
y État d’esprit et état physique des mourant(e)s :
– Texte A : à la folie passionnelle et à la souffrance physique (le tout étant proche du délire) succèdent
le bien-être et l’apaisement.
– Texte B : Phèdre confesse son amour coupable et rétablit la vérité sur Hippolyte ; elle le réhabilite
aux yeux de son père ; il y a chez elle un désir d’absolution avant de mourir.
– Texte C : les amants semblent pris d’un délire commun, à la fois mystique et charnel. Cela laisse
supposer qu’il ne s’agit pas réellement de leur mort mais de « la petite mort ».
– Texte D : Henriette semble prise d’une forme de délire elle aussi, puisque, tout en étant mourante,
elle se persuade qu’elle va aller mieux et formule même des projets avec Félix.
– Document : Juliette semble désespérée devant le cadavre de son amant et son suicide apparaît
comme un acte de folie passionnelle.
U Rôle de la ponctuation expressive et des types de phrases :
– Texte A : la ponctuation expressive sature les répliques, au point de multiplier les interjections et les
phrases injonctives qui révèlent tour à tour l’autorité du personnage qui infléchit le cours du destin
(Doña Sol), puis la folie suicidaire des amants et enfin le désespoir de Don Ruy Gomez.
Hernani – 29
– Texte B : les phrases exclamatives et le recours au subjonctif au début de la tirade de Thésée
révèlent son désespoir devant la mort de son fils et son amertume envers Phèdre ; il utilise aussi des
phrases injonctives qui expriment sa colère envers Phèdre (« Jouissez de sa perte », « Laissez-moi »), et
les points de suspension montrent dans quel trouble il se trouve. Phèdre, quant à elle, utilise un ton
beaucoup plus posé car elle est en train de mourir ; le poison fait son effet et elle veut absolument dire
la vérité avant qu’il ne soit trop tard ; elle ne gaspille donc pas son temps en fébrilité inutile.
– Texte D : Henriette répète plusieurs fois l’interjection « Ah ! » et les points de suspension révèlent
que la vie l’abandonne et qu’elle peine à terminer sa phrase. L’interrogation oratoire rend ses propos
pathétiques (« Pourquoi vous ai-je tant souhaité, Félix ? »).
V Exemples d’enjambements :
– Texte A : v. 2138 à 2140, v. 2145-2146, v. 2151-2152 (Doña Sol), v. 2155-2156 (Hernani). Les
enjambements allongent les sensations de souffrance puis d’apaisement et insistent sur les sentiments
qui assaillent les amants près du trépas.
– Texte B : les vers « J’ai pris, j’ai fait couler » à « toute sa pureté » s’enchaînent suivant des sortes de
distiques que forment les enjambements répétés. Phèdre est calme mais ses capacités sont sans doute
altérées et son débit ralenti par le poison – ce que miment ces enjambements.
– Texte C : la 1re strophe fonctionne comme une énumération suivant le groupe verbal initial « Nous
aurons », et cette énumération s’étale donc sur 4 vers. Chaque strophe, quatrain ou tercet, repose sur
l’enjambement articulant les vers à une seule proposition principale (« Nos deux cœurs seront », « Nous
échangerons », « un Ange […] viendra ranimer »). Le rythme des strophes semble s’étirer ; il n’est pas
question d’une mort subite mais langoureuse, lascive.
W Les synesthésies combinent plusieurs sensations qui provoquent une sorte d’ivresse des sens. Cette
ivresse se retrouve généralement dans les instants amoureux, mais on voit bien dans ces textes que
l’amour et la mort sont étroitement liés.
– Texte A : sensation de douleur, alternance d’obscurité et de clarté, sensualité dans la mort quand
Doña Sol est couchée tout près de celui qu’elle aime.
– Texte B : sensation de chaleur (« brûlantes veines ») puis de froid (« froid inconnu »), vision altérée (« je
ne vois plus qu’à travers un nuage »), alternance de clarté et d’obscurité.
– Texte C : sensations olfactives (« odeurs légères », « étranges fleurs »), sensations visuelles mêlant
couleurs (« Un soir fait de rose et de bleu mystique ») et lumière (« flambeaux », « éclair »), alternance de
froid et de chaleur (« Usant […] leurs chaleurs dernières », « ranimer […] les flammes mortes »).
– Texte D : sensation de chaleur (main brûlante, lèvres chaudes), métaphore florale (« comme un lys
éternel ») relayée par le fait que Félix regarde et sent les fleurs, sensation liée au souffle de l’expiration.
La mort s’accompagne de sensations troublantes et parfois délicieuses qui étonnent le lecteur et
semblent enivrer celui qui côtoie la mort dans ces textes.
X Champ lexical lié à la clarté :
– Texte A : « Vers des clartés nouvelles / Nous allons tout à l’heure ensemble ouvrir nos ailes », « Vois-tu des
feux dans l’ombre ? » ;
– Texte B : « Et la mort, à mes yeux dérobant la clarté, / Rend au jour, qu’ils souillaient, toute sa pureté » ;
– Texte C : « sous des cieux plus beaux », « un Ange […] / Viendra ranimer […] / Les miroirs ternis et les
flammes mortes » ;
– Texte D : « ses lèvres décolorées », « je me tournai vers la fenêtre ».
La clarté s’oppose à l’obscurité des ténèbres, à l’absence de couleur du mort, mais elle se manifeste
pour accompagner le défunt comme un guide, comme une sorte de protection. Elle prend, dans les
textes A et C, une dimension clairement mystique avec l’image des ailes et de l’Ange, et dans le
texte B aussi, avec l’image de la pureté.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Mourir d’amour repose sur le paradoxe d’un sentiment intense et la plupart du temps partagé (sauf
pour Phèdre), qui cependant pousse au suicide pour des motivations diverses : Roméo et Juliette
n’avaient pas le droit de s’aimer et ont fini par s’unir dans la mort ; Hernani et Doña Sol allaient être
séparés par la mort du jeune homme, mort inéluctable en raison d’un serment ; Phèdre rejoint dans la
Réponses aux questions – 30
mort celui qu’elle a condamné par de terribles accusations et pour échapper à sa culpabilité ; Henriette
ne supporte pas la trahison de celui qu’elle aimait et ne veut pas vivre sans lui ; les amants
baudelairiens enfin fusionnent par-delà la vie charnelle.
Il y a à la fois un idéal d’amour derrière ces fins tragiques mais aussi quelque chose de terrible qui
empêche ces couples de s’aimer sur Terre, durant leur vie terrestre, et qui les pousse à s’en échapper.
Commentaire
Introduction
Ce poème offre une vision de la mort qui bouscule la sensibilité du lecteur, dans la mesure où cette
vision est heureuse, presque extatique. Dans Les Fleurs du mal cohabitent ces deux dimensions : la
mort vue de manière morbide et la mort vue comme un accès à un idéal.
1. Une vision paradoxalement positive de la mort
• La mort n’est pas vraiment présente tout au long du poème : seuls le titre et le dernier vers en
parlent directement.
• Les couleurs de la mort (bleu et rose) et la qualification surprenante du bleu « mystique » diffèrent de
la représentation traditionnellement noire et sombre de la mort.
• La mort est source de sensations plurielles, de plénitude et non de vide : « plein d’odeurs », « des lits »,
« des divans », « des cieux ».
• Il y a union, fusion des deux amants et non pas séparation (« nous », « nos », « deux », « doubles »,
« jumeaux »).
• Dans la mort, le poète conserve des sensations visuelles, charnelles, olfactives (synesthésies chères à
Baudelaire).
• La mort n’apparaît pas comme une fin, comme le montrent l’utilisation du futur (« aurons »,
« seront », « échangerons », « viendra ») et l’évocation mystique d’une possible résurrection (« un Ange
[…] fidèle et joyeux […] viendra ranimer »).
• La mort apparaît à la fois empreinte de beauté et de mystère.
2. Une forme traditionnelle pour une vision en rupture
• Le sonnet est la forme privilégiée du recueil des Fleurs du mal.
• Il apparaît ici sous une forme très traditionnelle (forme italienne déjà très utilisée par les poètes du
XVIe siècle pour chanter l’amour, la nostalgie) : 2 quatrains et 2 tercets, rimes croisées et plates.
• La mort n’est pas vue ici sous l’angle religieux mais sous l’angle mystique antique, inspiré de Platon :
l’image du double, de la gémellité aboutit à une forme unique pleine et satisfaisante.
• Cette vision de la mort est une vision en rupture : la mort fait cohabiter les contraires – unité et
duplicité, obscurité et clarté, mort et chaleur, joie et sanglots – ; c’est une vision qui repose sur le
paradoxe.
Conclusion
La forme et le thème sont traditionnels mais la vision, elle, repose sur les contraires, la rupture, le
paradoxe. On retrouve ici le même paradoxe que celui de l’expression « la petite mort » pour désigner
l’orgasme. Amour et mort cohabitent dans ce sonnet baudelairien.
Dissertation
Introduction
Il s’agit ici d’analyser le texte dramatique sous l’angle de son rapport avec la représentation, puisque
c’est là, plus que tout autre genre littéraire, sa spécificité. Cette dimension est incontournable mais on
peut se demander aussi de quelle manière les effets dramatiques sont appréciables par la lecture seule.
1. La représentation : une dimension incontournable de l’œuvre dramatique
A. Choix des décors et des costumes
• La conformité à l’époque de l’action rassure le spectateur dans sa perception du texte.
• Au contraire, le parti pris de la transposition d’une époque à une autre (on peut penser à la mise en
scène des Caprices de Marianne de Musset avec Lambert Wilson, par exemple) éclaire d’un jour
nouveau le texte.
Hernani – 31
B. Choix des interprètes
• Le choix des interprètes peut jouer en faveur ou non de l’imagination du spectateur.
• Certaines têtes d’affiche font oublier le personnage joué et l’on pense parfois davantage à celui que
l’on vient voir sur scène qu’au texte que l’on vient voir représenté.
C. Transposition télévisuelle
• Cette transposition pose d’autres problèmes, liés aux possibilités de mises en scène plus complexes
qu’en direct, au théâtre.
• Les artifices (vieillissement d’un personnage, gros plans…) offrent des perspectives d’interprétation
différentes et multiples.
D. Donner à voir
Plus que tout autre genre littéraire, le genre dramatique est un genre qui donne à voir. Le passage à la
représentation est donc une partie importante de son décryptage et de son interprétation par le
metteur en scène, le comédien, le spectateur enfin.
2. Les artifices du dramaturge au service du lecteur
A. L’avant-propos
Qu’il s’agisse de textes critiques, comme les préfaces de Cromwell ou de Ruy Blas, ou de sortes de
lettres ouvertes ou dédicaces, l’avant-propos contextualise la pièce et fait du lecteur un lecteur averti,
apte à décrypter certains indices disséminés dans le texte dramatique.
B. Le recours aux didascalies initiales
Liste des personnages et renseignements abondants sur eux (caractères, habits, relations, attitudes),
comme chez Beaumarchais ou Vigny, permettent au lecteur de mieux se les représenter et de suivre
leurs destinées, leurs péripéties, en se sentant davantage impliqué.
C. Des indications très précises de mise en scène sont surtout remarquables dès le XVIIIe siècle
De Beaumarchais à Hugo, sans oublier ensuite Beckett, Ionesco et, encore plus récemment, Reza,
Schmidt ou Koundé, tous favorisent la représentation mentale de ce qui serait représenté sur la scène.
D. La « parlure »
Le travail du style enfin, la « parlure » (terme de Pierre Larthomas) permettent d’appréhender de
manière plus vivante les échanges entre les personnages et en favorisent l’expressivité (types de
répliques, ponctuation, jeux de langage, type de vocabulaire et niveaux de langue utilisés…).
Écriture d’invention
Proposition de début de corrigé :
« Sans toi », reprit-elle en effleurant mon oreille de ses lèvres chaudes pour y jeter ces deux syllabes comme deux
soupirs. Ce furent là ses dernières paroles. Je sentis son souffle s’éteindre contre ma tempe. Un instant, je restai
pétrifié, espérant peut-être dans un désir fou sentir à nouveau son souffle s’animer. Mais en vain.
Je tournai la tête vers l’abbé Birotteau et, sans verser une larme, sans faiblir, je prononçai froidement : « C’est
fini. » Il me regarda, à la fois empreint de tristesse, de pitié… et d’étonnement ! Peut-être guettait-il quelques
marques de chagrin sur mon visage. Peut-être attendait-il une larme. Qui sait ce qu’Henriette avait pu lui confier
avant mon arrivée, en guise d’ultime confession ?
Dehors, quelques proches attendaient dans un profond silence. Je tentai d’éviter leurs regards interrogateurs, lorsque
je franchis le seuil de la porte de la chambre où reposait désormais Henriette.
Etc.
Compléments aux lectures d’images – 32
COMPLÉMENTS
A U X
L E C T U R E S
D
’IMAGES
Rappel méthodologique :
Il conviendra de rendre les élèves sensibles à certains éléments de composition de l’image, comme
les jeux sur les contrastes, qui permettent de mettre en valeur certains éléments plus que d’autres, les
axes (horizontaux et verticaux), qui orientent la lecture et l’analyse de l’image, les plans et les
éléments y figurant, les effets de netteté et de flou, qui tranchent entre les personnages du premier
plan et les autres.
Comme pour un texte, on fera attention aussi à la visée du document, notamment s’il y a écho avec
le texte correspondant (comme une gravure ironique pour illustrer un texte qui l’est tout autant).
Enfin, on s’attachera à montrer quelle est la valeur de l’image ici : simple ornement, complément ou
interprétation du texte…
◆ Victor Hugo par Nicolas-Eustache Maurin (p. 4)
L’auteur
Nicolas-Eustache Maurin est né à Perpignan en 1799. Ayant pu faire ses études à Paris grâce à une
pension de la ville et du département, il entra dans l’atelier d’Henri Regnault. Portraitiste et
lithographe, il exposa au Salon de Paris en 1833, 1834 et 1835. Il est décédé en 1850.
L’œuvre
Une lithographie est un procédé datant de la fin du XVIIIe siècle. Elle consiste en la reproduction par
impression des dessins tracés avec une encre ou un crayon gras sur une pierre calcaire.
Ce portrait représente Victor Hugo en pleine période romantique. Son allure est typique de
l’époque : coiffure quelque peu échevelée, foulard noué avec élégance, tenue soignée, boutonnière.
Victor Hugo a l’air pensif ou concentré. Il aura la même attitude pensive sur d’autres représentations
de lui, bien des années plus tard.
Travaux proposés
– En quoi ce portrait renvoie-t-il aux clichés du personnage romantique ?
– Peut-on établir une corrélation entre ce portrait et le personnage romantique tel qu’on se le
représente (Hernani, René…) ?
◆ Dessin de Jean-Jacques Grandville (p. 8)
L’auteur
Né à Nancy en 1803 et mort à Vanves en 1847, Jean-Jacques Grandville, de son vrai nom JeanIgnace-Isidore Gérard, fut un illustrateur fécond. Son pseudonyme vient de son grand-père paternel,
acteur qui était alors connu sous le nom de « Gérard de Grandville ».
Grandville utilisa largement le nouveau procédé d’impression lithographique, et sa première
lithographie date de 1825. On lui doit une foule de caricatures satiriques et politiques, ainsi que des
illustrations de nombreux ouvrages (notamment les Fables de La Fontaine).
L’œuvre
Cette gravure illustre la première représentation du drame au Théâtre-Français. On voit les passions se
déchaîner parmi le public : les hommes en noir et ceux en habits moins lugubres s’empoignent.
Théophile Gautier raconte cette mémorable soirée dans L’Histoire du romantisme : dès les premiers
vers, classiques et romantiques se sont affrontés, les uns huant, les autres défendant ardemment leur
héros.
Travaux proposés
– Quelle scène d’Hernani cette gravure représente-t-elle ? Aidez-vous des personnages présents sur
scène et de leur attitude.
– En quoi cette gravure représente-t-elle l’affrontement des classiques contre les romantiques ?
Hernani – 33
◆ Le Tricheur à l’as de carreau de Georges de La Tour (p. 29)
L’auteur
Georges de La Tour est né en 1593 à Vic-sur-Seille en Moselle. Fils d’un boulanger, il est le
deuxième d’une famille de sept enfants. Ses années de formation et son parcours demeurent un
mystère et une suite d’hypothèses. Mais de nombreux documents apparus dans les années 1980-1990
ont permis de démentir l’idée selon laquelle il aurait été un artiste isolé et l’on sait qu’il reçut le titre
de « peintre ordinaire du roi » en 1639. Néanmoins, de nombreuses questions demeurent sur ses liens
possibles avec des artistes italiens et hollandais (influencés comme lui par le Caravage) à Paris, un
séjour en Flandre et le voyage à Rome que les peintres de l’époque avaient l’habitude de faire.
Toujours est-il que Georges de La Tour sera, en France, l’un des plus singuliers continuateurs du
courant initié par le Caravage (1571-1610), maître italien dont le style réaliste révolutionna l’art
pictural en Europe.
Georges de La Tour est mort le 30 janvier 1652 à Lunéville. Réputé et admiré en son temps, il
sombra dans l’oubli jusqu’en 1915 où des historiens d’art ressuscitèrent son œuvre.
L’œuvre
De La Tour utilise ici la thématique de la tricherie, aussi développée par le Caravage dans ses toiles.
Le tableau réunit par ailleurs les trois tentations majeures condamnées au XVIIe siècle : les femmes, le
vin et le jeu, qui toutes peuvent mener l’homme à sa perte.
La courtisane, ici repérable par ses apparats (coiffure, décolleté, bijoux), est au centre de la toile car
c’est elle qui mène le jeu. Elle est complice avec la servante, qui apporte le vin (pour enivrer la proie
de la courtisane ?), et sans doute le jeune homme en face, qui cache des cartes dans son dos.
Le jeune homme à droite de la toile, fortuné si l’on en juge par sa tenue et sa coiffe, est en train de se
faire berner sans s’en rendre compte.
Travaux proposés
– Qui sont les personnages présents dans cette toile ?
– Comment la courtisane est-elle mise en valeur ?
– De quelle manière la complicité s’organise-t-elle entre certains personnages ? Qui en est la victime ?
◆ Scène 3 de l’acte I, gravure de Martin et Paris (p. 44)
L’œuvre
On comprend, en observant les personnages, qu’il s’agit de l’entrée en scène de Don Ruy Gomez,
qui découvre chez lui le roi Don Carlos et un jeune inconnu, Hernani, en présence de Doña Sol et
Doña Josefa qui lui font la révérence.
Les costumes et le décor représentent bien l’époque évoquée. Les types des personnages sont
reconnaissables : le vieux seigneur, le port altier du roi, Hernani près de l’armoire où s’était caché le
roi, les femmes en retrait…
Travaux proposés
– Quels personnages du drame sont ici représentés, selon vous ? Justifiez votre réponse.
– Cette illustration est-elle fidèle au texte ? Justifiez votre réponse.
◆ Le Voyageur au-dessus de la mer de nuages de Caspar David Friedrich (p. 67)
L’auteur
Caspar David Friedrich (1774-1840) est un peintre allemand, qui fut proche du premier mouvement
romantique. Il fut fasciné par les paysages calmes et mélancoliques et eut un goût prononcé pour le
mysticisme et le fantastique.
« Il ne peignit jamais de visages ; ses personnages, le plus souvent, nous sont montrés de dos et nous avons
pourtant le sentiment, parfois, infiniment troublant, dans le mouvement même de l’anamnèse, que ses tableaux
nous regardent, comme s’ils nous étaient soudain devenus des visages » (Michel Le Bris, Journal du romantisme,
Skira, 1981).
Compléments aux lectures d’images – 34
L’œuvre
Ce tableau est extrêmement connu parce que totalement emblématique de l’esprit romantique.
L’œuvre de Friedrich est pourtant vaste, mais il est remarquable que ses personnages de dos sont pour
lui une sorte de marque de fabrique.
Le personnage semble ainsi, plus que face à la nature et à ses éléments tantôt calmes, tantôt déchaînés,
se retrouver face à lui-même et plonger jusqu’au fond de son âme.
L’âme de ce personnage à la silhouette de dandy est donc tourmentée et passionnée, mais aussi
brumeuse. Il y a toutes les figures romantiques (René, Hernani, Lorenzo et tant d’autres) dans cette
toile.
Travaux proposés
– En quoi la silhouette du personnage évoque-t-elle celle d’un héros romantique ?
– Si ce que voit le personnage est le reflet de son âme, comment définir alors les sentiments, les
pensées qui l’animent ?
◆ Mounet-Sully dans le rôle d’Hernani (p. 82)
L’acteur
Grand comédien contemporain de Sarah Bernhardt, Mounet-Sully incarna quelques héros, dont
Hernani. Il est ici représenté dans une pose représentative du personnage : l’allure déterminée, les bras
croisés par cette détermination, prêt à en découdre avec quiconque essaiera d’attenter à sa personne
ou à celle de Doña Sol.
Le costume est soigné ; beaucoup de détails participent à l’illusion : les étoffes, les armes, la coiffe…
Travaux proposés
– Que nous révèle ce cliché sur le personnage d’Hernani tel que semble vouloir l’interpréter MounetSully ?
– Relevez deux répliques d’Hernani qui pourraient correspondre à ce que vous venez de décrire du
personnage.
◆ Geneviève Casile et François Beaulieu dans la mise en scène de Robert Hossein (p. 102)
Les acteurs
Sont ici présents Hernani et Doña Sol. On note leur attitude, à terre, qui laisse supposer un échange
d’une grande intensité émotionnelle mais aussi la volonté de parler sans être entendus (de Don Ruy
Gomez ?).
Le costume de Doña Sol est magnifique : elle apparaît noble, richement vêtue. Hernani, bien que de
dos, semble vêtu très simplement. Ce duo doit se situer au début de la pièce et non à la fin (quand
Hernani a changé de statut social et est devenu gentilhomme) : il est encore ici le brigand rebelle.
Travaux proposés
– Observez l’attitude des deux personnages : quelles émotions, quelle tension traduit-elle ?
– À quel moment de la pièce fait référence, selon vous, cette photographie ? Trouvez le passage qui
correspond.
◆ La Mort de Jules César de Vincenzo Camuccini (p. 170)
L’œuvre
Le tableau mise sur une représentation à la fois réaliste et grandiloquente. Le décor est campé : des
statues à l’arrière-plan, la grandeur et la solennité des lieux, le sol froid et lisse comme une sépulture.
Les personnages sont répartis de toutes parts, mis en valeur par les contrastes que génère la lumière
entrant. Leur présence montre ainsi que le meurtre se fait au vu et au su de tous et qu’il y a bien
conjuration, malgré des mains levées qui manifestent l’horreur du meurtre.
César est seul contre tous, il s’effondre sous les coups mais garde quelque dignité en ne se laissant pas
choir totalement. On ne sait si sa main tendue implore ou dénonce… on l’imagine cependant mal
implorer.
Hernani – 35
Travaux proposés
– De quelle manière les contrastes soulignent-ils la présence des différents personnages et mettent-ils
en évidence l’horreur du meurtre ?
– En quoi l’attitude de Jules César contraste-t-elle avec celle de ses assaillants ? Quelle image de lui
nous renvoie ce tableau ?
◆ Worms dans le rôle de Don Carlos (p. 192)
L’acteur
Le comédien endosse fièrement le costume royal : la pose est altière ; le costume est lourd, riche et
paré. De la même manière que Mounet-Sully incarnait Hernani avec une évidente grandiloquence,
Worms incarne le roi avec force conviction.
Travaux proposés
– Comparez l’attitude de Mounet-Sully dans le rôle d’Hernani et celle de Worms dans celui de Don
Carlos.
– Observez la pose de Worms et cherchez une réplique ou même une tirade qui correspondrait bien à
son attitude.
◆ Jany Gastaldi et Aurélien Recoing dans la mise en scène d’Antoine Vitez (p. 203)
La mise en scène et les acteurs
La mise en scène de Vitez marqua le renouveau du théâtre hugolien : les décors sont dépouillés mais
symboliques et l’immense escalier, présent dans presque tous les actes du drame, figure tour à tour la
menace, la protection, la mort et la vie.
Les deux interprètes ne sont pas ici vêtus de costumes somptueux cherchant l’illusion de l’époque : la
robe de Doña Sol est certes volumineuse et rappelle son statut social mais elle n’a pas de coiffe et ses
cheveux sont dénoués, figurant sans doute sa propre liberté face à Don Ruy Gomez ; Hernani, quant
à lui, est échevelé aussi, sa tenue est simple comme son statut social. Leur attitude est ici très
intéressante : ils regardent dans la même direction (regardent-ils la menace arriver ou projettent-ils
leur amour futur ?), mais Hernani est à genoux et Doña Sol le surplombe, pesant sur ses épaules
comme le poids de son destin.
Travaux proposés
– Que révèlent sur les personnages (tels qu’a voulu les représenter Vitez) leur tenue et leur coiffure ?
– Observez l’attitude des deux personnages. En quoi est-elle représentative de leur relation et de
l’enjeu de celle-ci ?
◆ La mort des amants, lithographie d’Achille Devéria (p. 220)
L’auteur
Achille Devéria est né à Paris en 1800. Élève d’Anne-Louis Girodet-Trioson et de Louis Lafitte, il est
l’auteur d’un grand nombre de lithographies publiées sous la forme de cahiers et d’albums (18281835). Dans les années 1830, il devient un illustrateur à succès : parmi ses œuvres les plus connues,
outre les œuvres des auteurs romantiques, citons les Contes de Perrault (1835), Robinson Crusoé (1836)
et Don Quichotte (1839). Il est nommé « conservateur des estampes » de la Bibliothèque nationale en
1855. Il décède à Paris en 1857.
L’œuvre
Cette lithographie, réalisée au soir de la première, représente la mort des amants, donc la fin du
drame. On voit Hernani à terre et Doña Sol s’effondrant à ses côtés. Elle lui tient le visage en le
regardant fixement, un sourire aux lèvres. On retrouve là le cliché des amants réunis dans la mort :
ensemble, charnellement unis, rassurés, apaisés par cette mort conjointe. Ils sont encore en habits de
mariage (on voit la robe blanche et la coiffe de Doña Sol) – ce qui donne à cette mort prématurée un
aspect encore plus tragique.
À côté d’eux, Don Ruy Gomez les regarde, bras croisés, spectateur d’un destin inéluctable auquel
pourtant il a participé. Son vêtement sombre tranche avec sa barbe blanche, mais surtout avec la robe
de noce de Doña Sol. Ainsi vêtu et représenté, il symbolise la Mort.
Compléments aux lectures d’images – 36
Travaux proposés
– Observez l’attitude des deux amants. Comment leur mort nous est-elle présentée ?
– Commentez la posture et la représentation de Don Ruy Gomez à côté des deux amants mourants.
◆ Photographie extraite de Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli (p. 231)
L’auteur
Franco Zeffirelli est né à Florence en 1923. Après des études d’architecture, il est tour à tour
décorateur de théâtre et de cinéma puis acteur. Il devient ensuite l’assistant de Luchino Visconti et
réalise son premier long métrage en 1958 (Camping). Sa passion pour Shakespeare lui inspire trois
films : La Mégère apprivoisée en 1967 (avec Elizabeth Taylor et Richard Burton), Roméo et Juliette en
1968 et Hamlet en 1990 (avec Glenn Close et Mel Gibson).
Également metteur en scène de théâtre et d’opéra, il porte à l’écran La Traviata (1982) et Otello (1986)
de Verdi.
Des décors soignés, des costumes somptueux et une approche davantage sentimentale qu’intellectuelle
des œuvres qu’il met en scène caractérisent son travail.
L’œuvre
La photo représente ici la fin de Roméo et Juliette, telle que Franco Zeffirelli l’a filmée. Contrairement
à une représentation théâtrale, le cadrage permet ici de voir distinctement le visage des deux amants.
Juliette, découvrant Roméo mort, se poignarde d’un geste théâtral : la tête renversée en arrière,
comme implorant le Ciel. Les deux amants sont physiquement très proches, comme dans la
lithographie représentant la mort d’Hernani et de Doña Sol. Il y a comme une union charnelle dans
cette mort conjointe.
La lumière fait ressortir leurs visages, jeunes, éteints… bientôt apaisés tous deux.
Travaux proposés
– Que fait ressortir le contraste dans cette photo ?
– En quoi cette représentation de la mort des amants est-elle émouvante et pathétique ?
Hernani – 37
BIBLIOGRAPHIE COMPLÉMENTAIRE
◆ Sur le théâtre de Victor Hugo
– J. Gaudon, « En marge de la bataille d’Hernani », revue Europe, n° 671 (spécial Hugo), 1985.
– Anne Ubersfeld, Le Roman d’Hernani, Belin, 1993.
– Anne Ubersfeld, Le Roi et le Bouffon : essai sur le théâtre de Victor Hugo, José Corti, 2001.
– « Vitez, metteur en scène de Hugo », article paru dans la revue Romantisme, n° 102 (sur les scènes du
XXe siècle), SEDES, 1998.
◆ Sur le drame romantique
– M. Descotes, Le Drame romantique et ses Grands Créateurs, PUF, 1955.
– Jacqueline de Jomaron (sous la direction de), Le Théâtre en France, coll. « Le Livre de Poche », LGF,
1992.
◆ Document pédagogique
– Françoise Gomez et Marc Holfeltz, Jeunesse d’Hernani, document VHS édité par le CRDP de
l’académie de Paris, 2003 / Lille : CRDP du Nord-Pas-de-Calais, 2003.
Leçon de mise en scène d’Anne Delbée qui fit le pari en 2002 de faire jouer Hernani et Doña Sol par
des comédiens ayant l’âge des rôles ; entretiens avec des comédiens qui ont incarné Hernani chez
Antoine Vitez et Robert Hossein.
◆ Discographie
– Ernani de Giuseppe Verdi.
Différentes versions existent, notamment avec Luciano Pavarotti ou Placido Domingo dans le rôletitre. Ces versions sont disponibles en DVD ou en VHS et permettent de comparer les stratégies de
mises en scène dans le théâtre et dans l’opéra.