2250 L`exploitation d`un fonds de commerce sur le domaine public

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2250 L`exploitation d`un fonds de commerce sur le domaine public
Domaine / Patrimoine ÉTUDE
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2250
L’exploitation d’un fonds de
commerce sur le domaine public
Étude rédigée par :
Philippe S. Hansen,
avocat à la Cour – UGGC Avocats
Pour de nombreux propriétaires publics, la valorisation économique du domaine public repose
notamment sur l’accueil d’activités commerciales, dont le chiffre d’affaires constitue souvent
l’assiette des redevances d’occupation. Pourtant, l’occupation privative du domaine public par
des commerçants s’est heurtée, surtout du point de vue de ces derniers, à un obstacle majeur,
résultant du refus constant du Conseil d’État de reconnaître l’existence de fonds de commerce
sur ledit domaine. C’est cet obstacle qui a été levé par l’article 72 de la loi n° 2014-626 du 18 juin
2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises (dite « loi Pinel »), qui
introduit dans le Code général de la propriété des personnes publiques plusieurs dispositions
consacrant la possibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public. Reste alors
à examiner les conditions et conséquences de cette avancée législative, qui ne manquera pas de
susciter de nombreux contentieux, tant sur l’existence même du fonds – car la loi comporte
certaines limites – que sur sa valorisation, tant en cas de cession du fonds qu’en cas de résiliation
du titre d’occupation.
1 - En introduisant quatre nouveaux articles dans le Code général
de la propriété des personnes publiques 1, consacrant la possibilité
d’exploiter un fonds de commerce sur le domaine public, le législateur a mis un terme à une jurisprudence des juridictions administratives, aussi constante que contestée, selon laquelle l’occupation du
domaine public s’oppose à la constitution d’un fonds de commerce.
2 - Aux termes de cette jurisprudence, « eu égard au caractère révocable, pour un motif d’intérêt général, d’une convention portant autorisation d’occupation du domaine public, ainsi que du caractère personnel
et non cessible de cette occupation, celle-ci ne peut donner lieu à la constitution d’un fonds de commerce dont l’occupant serait propriétaire » 2.
3 - Désormais, l’article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des personnes publiques dispose qu’« un fonds de commerce
peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une
clientèle propre ».
4 - Ce faisant, la loi met non seulement un terme à la jurisprudence précitée,mais consacre également la « patrimonialisation » des
titres d’occupation du domaine public, déjà amorcée avec la possibi1. Ces quatre articles (CGPPP, art. L. 2124-32-1 et L. 2124-33 à L. 2124-35)
sont insérés dans une nouvelle section 7 (intitulée « utilisation du domaine
public dans le cadre de l’exploitation de certaines activités commerciales ») au
sein du chapitre IV du titre II du livre Ier de la 2e partie du code. Ces
dispositions sont issues de l’article 72 de la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014
relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises.
2. CE, 31 juill. 2009, n° 316534, Sté Jonathan Loisirs : JurisData n° 2009006579 ; RJEP 2010, comm. 17, note C. Chamard-Heim ; Contrats-Marchés
publ. 2009, comm. 332, note G. Eckert. V. aussi CE, 19 juill. 2011, n° 323924,
Commune de Limoges : JurisData n° 2011-000410.
lité pour les occupants d’être titulaires de droits réels. On notera, à cet
égard, que certaines activités particulières bénéficiaient déjà d’un régime juridique proche de celui résultant de l’existence d’un fonds de
commerce : ainsi, les taxis titulaires d’une autorisation de stationnement comme les titulaires d’emplacements dans les marchés d’intérêt
national peuvent présenter un successeur au gestionnaire du domaine public 3.
5 - Si cette évolution est évidemment très positive, notamment en
tant qu’elle améliore la situation des commerçants implantés sur le
domaine public et est, ainsi, susceptible de lever les réticences de certains d’entre eux à s’y installer, la possibilité de constituer un fonds de
commerce sur le domaine public comporte quelques limites (1) et
soulève plusieurs questions, relatives notamment à la transmission
du fonds, par cession ou succession (2) et à sa valorisation (3).
1. Les limites à la constitution d’un fonds
de commerce sur le domaine public
6 - La première limite à la constitution d’un fonds de commerce
sur le domaine public résulte de l’article L. 2124-35 du Code général
3. V. respectivement les articles L. 3121-2 du code des transports et les articles
L. 761-9 et R. 761-24 du Code de commerce. Voir aussi, admettant la
légalité d’un contrat ayant pour objet la « présentation d’un successeur par le
bénéficiaire d’un droit de place sur un marché à l’autorité municipale
octroyante » en tant que « cet acte ne contrevient en rien à l’inaliénabilité du
domaine public », Cass. 1re civ., 5 déc. 1995, n° 93-12.096, M. Perret et autres
c/ Mme Darre et autres : JurisData n° 1995-003524 ; Bull. civ. 1995, I, n° 445.
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de la propriété des personnes publiques, qui dispose que la section 7
dans laquelle il se situe n’est pas applicable au domaine public naturel. Ainsi, le domaine public naturel – qui, pourtant, accueille de
nombreuses activités commerciales – bénéficie d’une protection particulière, ce qui n’est guère nouveau en soi (ainsi, par exemple, les
dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques
et du Code général des collectivités territoriales relatives à la constitution de droits réels sur le domaine public ne sont pas applicables au
domaine public naturel 4.
7 - La deuxième limite à la constitution d’un fonds de commerce
sur le domaine public n’est pas, en tant que telle, une conséquence de
l’appartenance des dépendances occupées au domaine public, mais
résulte de la définition même du fonds de commerce qui, comme le
rappelle l’article L. 2124-32-1 du Code général de la propriété des
personnes publiques, suppose l’existence d’une clientèle propre.
8 - En effet, l’existence d’un fonds de commerce dépend de l’existence d’une clientèle rattachée à ce fonds de façon autonome.
9 - Cette condition emporte deux conséquences principales
s’agissant de l’exploitation d’activités commerciales sur le domaine
public.
10 - D’une part, il est jugé par les juridictions judiciaires que la
concession du droit d’exploiter une clientèle appartenant à une personne publique ne permet pas à l’exploitant de constituer une clientèle propre. Il en est notamment ainsi dans le cadre de délégations de
service public 5, ce qui limite évidemment la portée de l’apport des
nouvelles dispositions du Code général de la propriété des personnes
publiques, de nombreuses activités de service public déléguées étant
exploitées sur le domaine public.
11 - D’autre part, lorsque le commerçant exerce son activité dans
des locaux dépendant d’ensembles plus vastes, la constitution du
fonds de commerce suppose l’existence d’une clientèle propre au
commerçant, distincte de celle de l’ensemble dans lequel se situe le
local.
12 - Ainsi, il a été jugé que l’exploitant des cafés-buvettes et comptoirs sur un champ de courses (privé) ne disposait pas d’une clientèle
personnelle distincte de celle de la société des courses, dès lors que
l’activité était « limitée [...] à l’enceinte du champ de courses et réduite
aux seules journées de réunions hippiques » et que « le public qui était
venu sur l’hippodrome et avait fréquenté les buffets buvettes s’était
rendu avant tout sur les lieux pour assister aux courses de chevaux » 6.
13 - Il existe, de même, plusieurs décisions relatives aux commerces installés dans des lieux attirant, par eux-mêmes, une clientèle
qui leur est propre tels, principalement, les grandes surfaces ou ensembles commerciaux. La question se pose ici de savoir si la clientèle
de chaque commerçant lui est propre ou si elle provient de l’ensemble
plus vaste.
14 - La Cour de cassation considère ainsi que le commerçant situé
dans un supermarché, qui « devait se conformer à la discipline générale
en vigueur dans l’établissement » et qui « ne bénéficiait d’aucune autonomie de gestion, son stand étant dans l’enceinte de l’établissement et les
heures d’ouverture ainsi que de fermeture déterminés discrétionnairement par la société [gestionnaire du supermarché] » n’avait d’autre
clientèle que celle de cette société 7. De même, elle a jugé, après avoir
4. V., s’agissant du domaine public de l’État et de ses établissements publics,
l’article L. 2122-5 du code général de la propriété des personnes publiques
et, s’agissant du domaine public des collectivités territoriales, l’article
L. 1311-8 du Code général des collectivités territoriales.
5. V. Cass. com., 29 janv. 1952 : D. 1952, p. 737, note F. Derrida ; S. 1952, I,
p. 196 ; CJEG 1952, p. 171 ; RTD com. 1952, p. 310, obs. Jauffret.
6. Cass. ass. plén., 24 avr. 1970, Bayait c/ Sté courses rouennaises : JurisData
n° 1970-095003 ; Bull. civ. 1970, n° 3 ; D. 1970, jurispr. p. 381, note R. L. ; JCP
G 1970, II, 16489, note B. Boccara.
7. Cass. 3e civ., 9 juill. 1979, n° 77-13.452, SARL Services minute c/ SA Carrefour : Bull. civ. 1979, III, n° 153 ; D. 1980, p. 64. V. aussi Cass. 3e civ., 28 sept.
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relevé que les premiers juges avaient considéré que « la règlementation des commerces privés situés dans une galerie marchande imposée
par les clauses du bail de la société propriétaire de ces fonds est exclusive
d’une clientèle », que « ne constitue pas un fonds de commerce un établissement sans clientèle propre » 8. Enfin, après avoir rappelé que « le
statut des baux commerciaux s’applique aux baux de locaux stables et
permanents dans lesquels est exploité un fonds de commerce ou un fonds
artisanal, ces fonds se caractérisant par l’existence d’une clientèle propre
au commerçant ou à l’artisan [mais] que, toutefois, le bénéfice du statut
peut être dénié si l’exploitant du fonds est soumis à des contraintes incompatibles avec le libre exercice de son activité »,la Cour de cassation a
confirmé l’arrêt d’une cour d’appel ayant appliqué le statut des baux
commerciaux en relevant, à propos d’une boutique située dans un
hôtel, la réalité de l’activité commerciale, l’existence de marchandises
offerte à la vente, l’accessibilité du magasin à une clientèle autre que
celle de l’hôtel qui lui était notamment adressée par des tiers et l’absence d’entrave effective à l’activité commerciale résultant du règlement intérieur de l’hôtel (qui ne comportait donc pas de contraintes
incompatibles avec le libre exercice de l’activité) 9.
15 - À l’inverse, lorsque le commerçant est installé à l’extérieur du
supermarché et que sa clientèle est attirée par son emplacement et les
spécialités qu’il vend, il est admis que cette clientèle puisse lui être
propre 10. De même, l’existence d’une clientèle propre a été reconnue
au commerçant du fait que les locaux occupés constituaient de réels
locaux commerciaux et non de simples emplacements (en tant qu’ils
disposaient « d’une vitrine et d’une entrée indépendante ») et qu’il
disposait d’« une pleine autonomie de gestion » 11.
16 - De manière plus topique, la Cour de cassation a récemment
jugé, à propos d’un commerce (pizzeria) situé dans la galerie marchande d’un port de plaisance (sans, du reste, exclure l’existence du
fonds de commerce du fait de l’appartenance, pourtant avérée, dudit
port au domaine public),qu’il appartenait à la cour d’appel de rechercher si le commerçant « exploitait une clientèle attachée à l’activité de
la pizzeria qui soit distincte de celle du port de plaisance où elle était
exercée » 12.
17 - On notera enfin que la Cour de cassation n’exige plus que la
clientèle propre du commerçant soit prépondérante par rapport à
celle de l’établissement dans lequel se situe son local 13.
18 - En pratique, il pourra être difficile de trancher la question de
savoir si la clientèle appartient au commerçant ou au gestionnaire du
1982, n° 81-13.211, Époux Rio c/ Société Marché du Puits : Gaz. Pal. 1983,
pan. p. 51, note J. Dupichot.
8. Cass. com., 16 janv. 1990, n° 87-20.156, Sté Bijouterie Horlogerie Garde :
JurisData n° 1990-704084 ; Dr. fisc. 1990, n° 11, comm. 574 ; JCP N 1991,
n° 4, II, p. 28 ; JCP E 1991, II, p. 52 ; RJF 3/1990, n° 361. Voir, dans le même
sens, Cass. 3e civ., 5 juill. 1995, n° 93-17.674, Mme Fosse c/ Société des Grands
Magasins ardennais : Bull. civ. 1995, III, n° 166 ; AJPI 1996, p. 46, note J.-P.
Blatter.
9. Cass. 3eciv., 19 janv. 2005, n° 03-15.283, Société Grand Case Beach Club
management association c/ Mme Miltich Welch : JurisData n° 2005-026521 ;
Bull. civ. 2005, III, n° 10. Voir, dans le même sens, CA Aix-en-Provence,
11 mars 2014, n° 2014/160, SA SBM c/ Mme Angèle Lydia Dotta vve. Stauffer.
10. V. Cass. 3e civ., 1er déc. 1976, n° 75-14.592, Société Sogara c/ Escarbassière :
Bull. civ. 1976, III, n° 436.
11. Cass. 3e civ., 24 janv. 1996, n° 94-10.322, Société européenne de supermarchés
et autres c/ M. Amesz : Bull. civ. 1996, III, n° 22, Loyers et copr. 1997,
comm. 46, obs. P.-H. Brault et C. Mutelet (voir aussi CA Versailles, 10 avril
1996, Mme Carre c/ SNC Continent Hypermarché, cité dans le même
commentaire).
12. Cass. com., 28 mai 2013, n° 12-14.049, Société Raphaël et autre c/ Société La
Romana et autres : JurisData n° 2013-010948.
13. V. à propos d’un chalet destiné à la vente de restauration légère situé sur le
domaine skiable d’une commune, Cass. 3e civ., 19 mars 2003, n° 01-17.679 :
JurisData n° 2003-018270 ; Bull. civ. 2003, III, n° 66 ; D. 2003, p. 973, obs.
Y. Rouquet ; D. 2003, p. 2749, et la note ; RTD com. 2003, p. 275, obs.
J. Monéger.
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domaine public occupé : dans certains cas, où la clientèle est captive
comme dans les aéroports, l’existence d’un fonds de commerce paraît
très difficile à admettre. Dans d’autres, comme dans celui des gares
dans lesquelles l’offre commerciale s’est largement développée dans
un but avoué de dépasser le simple service offert aux voyageurs, la
solution sera plus délicate à trouver. Elle dépendra notamment de la
dissociabilité fonctionnelle du local occupé avec les autres dépendances du domaine public (mais se posera alors aussi la question de
savoir si le local en cause appartient lui-même au domaine public 14 et
de l’autonomie de gestion dont dispose l’occupant (en termes d’horaires d’ouverture, de règles à respecter etc.).
2. La transmission du fonds de
commerce constitué sur le domaine
public
19 - Aux termes de l’article L. 2124-33 du Code général de la propriété des personnes publiques, « toute personne souhaitant se porter
acquéreur d’un fonds de commerce ou d’un fonds agricole peut, par
anticipation, demander à l’autorité compétente une autorisation d’occupation temporaire du domaine public pour l’exploitation de ce
fonds ».Selon le même texte,« l’autorisation prend effet à compter de la
réception par l’autorité compétente de la preuve de la réalisation de la
cession du fonds ».
20 - À cet égard, on rappellera que le droit au bail (et, plus précisément, le droit au renouvellement du bail) fait partie du fonds de
commerce et se trouve ainsi cédé avec le fonds. Il importait donc que
la consécration de la possibilité de constituer un fonds de commerce
sur le domaine public s’accompagne de dispositions propres à la cession du fonds et au sort de l’autorisation d’occupation domaniale
dont le propriétaire du fonds est titulaire.
21 - On notera cependant que le nouveau texte ne crée pas directement de mécanisme de cession du titre d’occupation mais organise,
à l’instar par exemple de ce qui existe sur les marchés d’intérêt national, la présentation à l’administration d’un successeur par le titulaire
de l’autorisation. Simplement, et c’est là l’apport de la loi, une fois le
successeur agréé par l’administration, cet agrément permettra la
transmission du fonds qui prendra alors toute sa valeur.
22 - La transmission successorale du fonds de commerce est,
quant à elle, prévue par l’article L. 2124-34 du Code général de la
propriété des personnes publiques, qui dispose qu’« en cas de décès
d’une personne physique exploitant un fonds de commerce ou un fonds
agricole en vertu d’une autorisation d’occupation temporaire du domaine public, l’autorité compétente délivre à la demande de ses ayants
droit, sauf si un motif d’intérêt général s’y oppose, une autorisation
d’occupation temporaire du domaine public identique à celle accordée à
l’ancien titulaire pour la seule poursuite de l’exploitation du fonds, durant trois mois ».
23 - Le texte organise ici une période de transition dans laquelle
les ayants droits peuvent soit décider de poursuivre l’exploitation du
fonds – et ils devront alors obtenir une autorisation d’occupation
plus pérenne –, soit présenter à l’administration gestionnaire du domaine un successeur qui sera, en cas d’accord, subrogé dans les droits
et obligations de l’ancien titulaire 15.
14. V., par exemple, CE, 11 déc. 2008, n° 309260, Perreau-Polier : JurisData
n° 2008-074677 ; Rec. CE 2008, tables p. 734 ; Dr. adm. 2009, comm. 25 ;
AJDA 2009, p. 828 note O. Févrot et CE, sect., 28 déc. 2009, n° 290937, Société
Brasserie du Théâtre : JurisData n° 2009-017290 ; Rec. CE 2009, p. 528 ; JCP
A 2010, 2197, note C. Chamard-Heim.
15. Les ayants-droit disposent, pour cela, d’un délai de six mois à compter du
décès.
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3. La valorisation économique du fonds
de commerce
24 - La valorisation économique du fonds de commerce, outre
qu’elle constitue l’une des conditions premières de la cession du
fonds, présente un second avantage essentiel pour le commerçant
installé sur le domaine public : permettre une juste indemnisation de
l’occupant en cas de résiliation de son titre d’occupation. En effet, si le
Conseil d’État avait admis, dans son arrêt Société Jonathan Loisirs
précité, qu’en l’absence de clause contraire, l’occupant est en droit
d’obtenir réparation du préjudice direct et certain résultant de la
résiliation de son titre pour un motif d’intérêt général, tel que la perte
des bénéfices découlant d’une occupation du domaine conforme aux
prescriptions de la convention et des dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme
de cette occupation, l’impossibilité de constituer un fonds de commerce sur le domaine public faisait obstacle à ce que l’occupant évincé
demande la réparation de préjudices tenant en la perte d’un tel fonds
de commerce, le privant ainsi d’une grande partie de ses droits
indemnitaires 16.
25 - Désormais, c’est bien l’intégralité du préjudice subi par l’occupant qui,en principe,pourra être indemnisé en cas de résiliation de
son titre.Reste toutefois à définir le périmètre de ce droit,d’un double
point de vue.
26 - D’abord, il convient d’articuler l’existence d’un préjudice indemnisable au titre de la perte du fonds de commerce avec les autres
dispositions du Code général de la propriété des personnes publiques
relatives à l’indemnisation des occupants en cas de résiliation de leur
titre pour un motif d’intérêt général.
27 - S’agissant des occupants titulaires de droits réels, il n’existe
guère de difficulté, les articles L. 2122-9 du Code général de la propriété des personnes publiques et L. 1311-7 du Code général des collectivités territoriales prévoyant une indemnisation de l’occupant à
hauteur du « préjudice direct, matériel et certain né de l’éviction
anticipée ». À l’évidence, cette indemnisation intègre désormais le
préjudice résultant de la perte du fonds de commerce.
28 - En revanche,lorsque l’occupant ne dispose d’aucun droit réel
– ce qui est, en pratique, majoritairement le cas – les droits indemnitaires de l’occupant sont en principe limités à la part non amortie des
investissements réalisés sur le domaine public, en application de l’article R. 2125-5 du Code général de la propriété des personnes publiques. Certes, ces dispositions ne sont pas d’ordre public, de sorte
que les parties peuvent convenir d’inclure la perte du fonds de commerce dans le périmètre des préjudices indemnisables, mais il serait
certainement opportun que les dispositions réglementaires précitées
soient modifiées pour tirer les conséquences de l’évolution des dispositions législatives.
29 - Ensuite et en tout état de cause, il convient encore de déterminer la valeur d’un fonds de commerce installé sur le domaine public.
De ce point de vue, les méthodes de valorisation des fonds de commerce communément employées lorsque le commerçant est titulaire
d’un bail commercial (évaluation par comparaison, par les bénéfices,
méthode des barèmes fiscaux, évaluation par le chiffre d’affaires etc.)
pourront certainement être transposées aux fonds de commerce situés sur le domaine public. En revanche, là où les commerçants titulaires de baux commerciaux disposent généralement de garanties
quant à leur maintien dans les lieux qu’ils occupent, il n’en est pas de
même sur le domaine public où le principe de précarité fait obstacle à
la conclusion de baux commerciaux. Il en résulte que l’occupant ne
16. V. aussi, dans le même sens, CE, 19 janv. 2011, Commune de Limoges, préc.
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peut, à l’expiration de son titre, se prévaloir à aucun droit au maintien
dans les lieux ou au renouvellement de l’autorisation 17.
30 - La valeur du fonds de commerce subit donc nécessairement
une dépréciation progressive à mesure que le terme du titre d’occupation approche. Ainsi, à titre d’exemple, le Comité d’urgence du
Conseil national de la comptabilité a, dans son avis n° 2002-B du
9 janvier 2002 relatif au traitement comptable applicable à la redevance
due par chaque titulaire d’autorisation d’établissement et d’exploitation d’un réseau de radiocommunications mobiles de troisième génération, considéré que les autorisations permettant l’exploitation d’un
réseau mobile de troisième génération constituent un mode d’occupation privatif du domaine public hertzien de l’État 18 et que l’amortissement de ce droit « doit être calculé sur la durée probable
17. V. par exemple CE, 14 oct. 1991, n° 95857, Hélie : Juris-Data n° 1991046775 ; Rec. CE 1991, tables p. 927 et CAA Versailles, 24 nov. 2005,
n° 03VE02298, Société Glaxo Welcome Immobilière de recherche.
18. Il convient en effet de rappeler qu’aux termes de l’article L. 2111-17 du
Code général de la propriété des personnes publiques, « les fréquences
radioélectriques disponibles sur le territoire de la République relèvent du
domaine public de l’État ».
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d’utilisation qui ne peut excéder la durée de l’autorisation fixée à 20 ans,
durée à l’issue de laquelle la valeur résiduelle sera nulle ».
31 - D’une manière générale, dès lors que les autorisations d’occupation du domaine public sont, en principe, assorties d’une durée
déterminée 19, elles doivent selon nous être amorties sur une période
correspondant à leur durée. Cela limite bien entendu la portée de la
patrimonialisation du titre résultant des nouvelles dispositions du
Code général de la propriété des personnes publiques et il faudra, en
pratique, tenir compte de cette contrainte. Sur ce point aussi, les dispositions réglementaires prévues par la loi seraient utiles pour préciser la façon dont le fonds de commerce devra être valorisé.
Mots-Clés : Domaine / Patrimoine - Fonds de commerce
19. V. l’article R. 2122-6 du code de la propriété des personnes publiques – le
Conseil d’État ayant toutefois jugé que l’absence de précision de la durée
dans l’autorisation n’emporte pas la nullité celle-ci, compte tenu de sa
révocabilité (CE, 5 févr. 2009, n° 305021, Assoc. Sté centrale d’agriculture,
d’horticulture et d’acclimatation de Nice et des Alpes-Maritimes : Rec. CE
2009, p. 20 ; Dr. adm. 2009, comm. 53, note Melleray ; JCP A 2009, 2103, note
Guigue ; RJEP 2009, comm. 42, note Maugüé ; BJCP 2009, p. 224, concl.
Escaut et obs. Schwartz ; AJDA 2009, p. 704, note Dreyfus).
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