Rémission spontanée d`une aplasie médullaire survenant au cours

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Rémission spontanée d`une aplasie médullaire survenant au cours
Biologie au quotidien
Ann Biol Clin 2012 ; 70 (4) : 474-6
Rémission spontanée d’une aplasie médullaire
survenant au cours d’une grossesse
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
Spontaneous remision of aplastic anemia occurring during a pregnancy
Hatim Nafil
Illias Tazi
Lahoucine Mahmal
Service d’hématologie, CHU Mohamed
VI, Université Cadi Ayyad, Marrakech,
Maroc
<[email protected]>
Résumé. L’aplasie médullaire est une maladie rare causée par la destruction des
cellules souches pluripotentes de la moelle osseuse. La survenue de l’aplasie
médullaire pendant la grossesse est rare et peut être fatale pour la mère et
l’enfant. L’association n’est pas parfaitement expliquée et il n’y a pas de consensus sur la prise en charge optimale. Nous rapportons le cas d’une patiente âgée
de 30 ans traitée pour aplasie médullaire pendant la grossesse, l’évolution est
favorable.
Mots clés : aplasie médullaire, grossesse, traitement
Abstract. Aplastic anemia is a rare disease caused by destruction of pluripotent
stem cells in bone marrow. The occurrence of aplastic anemia during pregnancy
is rare and can be fatal for both mother and child. The association is not well
explained and there is no consensus on optimal management. We report the
case of 30 years-old women treated for aplastic anemia during pregnancy, the
evolution is favorable.
Article reçu le 16 décembre 2011,
accepté le 27 janvier 2012
Key words: aplastic anemia, pregnancy, treatment
L’aplasie médullaire (AM) est une insuffisance médullaire quantitative, secondaire à la disparition complète ou
partielle du tissu hématopoïétique, sans prolifération cellulaire anormale. L’arrêt de production des cellules-souches
hématopoïétiques (CSH) est responsable d’une défaillance
globale de l’hématopoïèse et d’une pancytopénie [1]. L’AM
est une maladie rare dont l’incidence est de 2,2/million
d’habitants par an en Europe et aux États-Unis [2]. Il s’agit
d’une maladie grave, le décès survenant généralement suite
à une hémorragie importante ou une infection grave [3].
L’AM est rarement décrite au cours de la grossesse [4].
C’est un événement très grave menaçant la vie de la mère
et du fœtus [4]. La mortalité maternelle varie de 20 à 60 %
[4]. Il n’existe pas à ce jour de consensus pour la prise en
charge [5].
Nous rapportons l’observation d’une AM survenant au
cours d’une grossesse répertoriée dans notre formation.
La patiente de 30 ans, sans antécédents pathologiques
particuliers, deuxième geste, deuxième pare, enceinte de
22 semaines d’aménorrhée (SA), était hospitalisée pour
une anémie sévère d’installation rapidement progressive.
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Pour citer cet article : Nafil H, Tazi I, Mahmal L. Rémission spontanée d’une aplasie médullaire survenant au cours d’une grossesse. Ann Biol Clin 2012 ; 70(4) : 474-6
doi:10.1684/abc.2012.0709
doi:10.1684/abc.2012.0709
L’observation
L’examen clinique a objectivé une patiente pâle, dyspnéique, avec purpura des membres inférieurs. Il n’a pas
été noté de masses palpables ni de signes infectieux.
L’hémogramme a montré une concentration d’hémoglobine à 46 g/L, volume globulaire moyen (VGM) : 96
fL, réticulocytes : 18 G/L, globules blancs (GB) : 6,1 G/L,
polynucléaires neutrophiles : 3,4 G/L, lymphocytes : 2,31
G/L, plaquettes : 7 G/L. Le bilan hépatique, rénal ainsi que
le bilan d’hémostase étaient normaux. Le myélogramme
a montré une moelle pauvre sans cellules anormales. La
biopsie ostéomédullaire a objectivé une moelle hypoplasique (richesse médullaire évaluée à 20 %), sans infiltration
tumorale et sans myélofibrose.
Le phénotypage par cytométrie en flux à la recherche d’un
clone d’hémoglobinurie paroxystique nocturne (HPN) était
négatif. Le caryotype médullaire était normal. Les sérologies virales (parvovirus B19, EBV, hépatites A, B et C, VIH
et CMV) étaient négatives.
En conclusion, il s’agit d’une aplasie médullaire sévère
chez une patiente âgée de 30 ans enceinte de 22 semaines
d’aménorrhée.
La patiente a été mise sous programme transfusionnel en
culots globulaires phénotypés compatibles et en unités plaquettaires. La concentration d’hémoglobine était maintenue
supérieure à 90 g/L et le taux de plaquettes était supérieur
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Rémission d’une aplasie et grossesse
à 20 G/L, afin de prévenir les conséquences graves de
la thrombopénie et l’anémie aussi bien pour la mère que
pour le fœtus. La surveillance du fœtus était armée, basée
sur des échographies obstétricales et le doppler fœtal, une
prévention de l’immaturité fœtale par bêthamétasone était
instituée.
A la 38e semaine d’aménorrhée, la patiente a été hospitalisée pour accouchement. Elle a été transfusée en culots
globulaires et en unités plaquettaires. Sa concentration
d’hémoglobine était maintenue supérieure à 100 g/L et sa
concentration de plaquettes était supérieure à 50 G/L. Elle
a accouché par voie basse d’un enfant de sexe masculin,
de poids normal et d’Apgar 10/10. Durant le post partum,
aucune complication hémorragique ou infectieuse n’a été
observée. La patiente a quitté la maternité après cinq jours
d’hospitalisation.
Après un contrôle régulier par des hémogrammes mensuels, les chiffres d’hémoglobine et de plaquettes se sont
normalisés spontanément au bout de deux mois de suivi. La
patiente est toujours en rémission avec un recul de deux ans.
Discussion
La relation entre l’AM et la grossesse reste incertaine. Il
n’existe pas de preuve formelle impliquant la grossesse
dans l’étiologie de l’AM [6]. Cependant, certains auteurs
soutiennent l’hypothèse d’une association de la grossesse
avec l’AM du fait que certains cas d’AM régressent après
l’accouchement et qu’ils peuvent rechuter lors des grossesses ultérieures [7, 8].
Le traitement de l’AM comprend les soins de support obligatoires et le traitement curatif de l’AM [4]. La greffe de
moelle osseuse est le traitement le plus efficace avec une
probabilité de survie de l’ordre de 80-90 % [9]. Toutefois,
cette procédure est contre-indiquée pendant la grossesse
en raison des fortes doses d’immunosuppresseurs et de la
radiothérapie administrées lors du conditionnement prégreffe qui seraient toxiques pour le fœtus [4]. La greffe
de moelle doit être retardée après l’accouchement [4]. Le
traitement de l’AM au cours de la grossesse est basé sur les
soins hématologiques intensifs, et il est discuté en fonction
de la sévérité de l’aplasie et le terme de la grossesse [4, 10].
Les transfusions doivent être en culots globulaires phénotypés, déleucocytés compatibles dans les systèmes Rhésus et
Kell et en unités plaquettaire HLA compatibles pour prévenir l’allo-immunisation antiplaquettaire. La concentration
d’hémoglobine maternelle doit être maintenue supérieure à
80 g/L pendant la grossesse pour assurer l’oxygénation du
fœtus et la concentration de plaquettes doit être maintenue
supérieure à 20 G/L, afin de prévenir les conséquences
Ann Biol Clin, vol. 70, n◦ 4, juillet-août 2012
graves de la thrombopénie. L’impact de la surcharge
en fer post-transfusionnel chez la mère est à prendre en
considération. Les infections bactériennes peuvent être
rapidement fatales chez ces patients neutropéniques. Il
s’agit donc d’une urgence thérapeutique et les patients
doivent rapidement recevoir une antibiothérapie à large
spectre [1, 3, 4, 10].
Bien que la majorité des études ne recommandent pas
l’utilisation systématique de médicaments pour le traitement de l’AM au cours de la grossesse, certains auteurs
proposent un traitement immunosuppresseur (sérum antilymphocytaire, ciclosporine) en cas de réponse incomplète
aux soins hématologiques de support. Ces traitements, largement utilisés chez les patientes non enceintes, permettent
d’obtenir une réponse hématologique dans 40 à 70 % des
cas [1, 5]. Dans la série de Choudhry [11], un traitement par
ciclosporine a été administré dans deux cas d’AM durant
la grossesse, la réponse était partielle dans un cas. Stibbe
[5] a rapporté le cas d’une patiente âgée de 26 ans, traitée
par l’association ciclosporine-méthylprednisolone, durant
la grossesse et après l’accouchement, avec une évolution
fatale à cause d’une hémorragie cérébrale et une infection
non contrôlée.
En revue de la littérature, le traitement par sérum antilymphocytaire a été prescrit dans deux cas. Le décès est survenu
dans les deux cas [12, 13].
Le rôle des androgènes n’est pas clair, les androgènes
peuvent entraîner une virilisation chez les fœtus de sexe
féminin [13]. L’efficacité des corticoïdes ou de facteurs de
croissance des granulocytes (G-CSF) est également discutée [4].
Concernant la voie d’accouchement, la voie basse vaginale
est souvent préférée, l’indication de la césarienne est guidée
par des raisons obstétricales [4].
Dans notre cas, la mise en place précoce d’un programme
de transfusion a permis de garder des chiffres optimaux
d’hémoglobine et de plaquettes protégeant la mère et le
fœtus des conséquences graves de l’anémie et l’hémorragie
durant la grossesse et l’accouchement. L’AM s’est amélioré
spontanément après l’accouchement sans aucun traitement
immunosuppresseur.
Conclusion
L’association d’une aplasie médullaire avec la grossesse
est une situation rare à forte mortalité maternelle et fœtale.
Les soins hématologiques intensifs restent la base du traitement, celui-ci nécessite une collaboration étroite entre
hématologues et obstétriciens.
Conflits d’intérêts : aucun.
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Biologie au quotidien
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