étude de la résistance de botrytis cinerea aux benzimidazoles
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étude de la résistance de botrytis cinerea aux benzimidazoles
79 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2003, 142, 79-100 ÉTUDE DE LA RÉSISTANCE DE BOTRYTIS CINEREA AUX BENZIMIDAZOLES, DICARBOXIMIDES ET DITHIOCARBAMATES DANS LES CULTURES ABRITÉES DE TOMATE DE LA RÉGION DU GHARB (MAROC) (*) A. HMOUNI (1) , L . OIHABI (1) , A. BADOC (2) , A. DOUIRA (1) Malgré une intense protection phytosanitaire, la pourriture grise de la Tomate occasionnée par les attaques de Botrytis cinerea continue à provoquer d’importants dégâts. L'étude de la sensibilité de six isolats de la région du Gharb aux principaux fongicides antibotrytis employés au Maroc a révélé une forte résistance de ce parasite au bénomyl et au méthylthiophanate. La croissance mycélienne n'est pas inhibée, même à 1000 ppm. La germination des conidies n’est pas affectée par le méthylthiophanate et faiblement par le bénomyl. Les dicarboximides, relativement plus efficaces, sont aussi confrontés au phénomène de résistance. Tous les isolats testés se sont développés à 10 ppm, la procymidone donnant de meilleurs résultats que la vinchlozoline. Néanmoins, les concentrations inhibitrices CI50 de la croissance mycélienne les plus faibles ont été notées en présence d’iprodione. La germination des conidies est faiblement inhibée par les dicarboximides avec des CI50 supérieures à 100 ppm. (*) (1) (2) Manuscrit reçu le 25 mai 2003. Laboratoire de Botanique et de Protection des Plantes, Département de Biologie, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofaïl, BP 133, 14000 Kénitra, Maroc. [email protected], [email protected], [email protected] Laboratoire de Mycologie et Biotechnologie végétale – EA 3675, Faculté des Sciences pharmaceutiques, Université Victor-Segalen Bordeaux 2, 146, rue LéoSaignat, 33076 Bordeaux Cedex. [email protected] 80 Les dithiocarbamates ont fortement inhibé la germination conidienne du pathogène. Le thirame est particulièrement efficace (CI50 < 2 ppm). Pour la croissance mycélienne, il donne de meilleurs résultats que le mancozèbe (CI50 de 3,3 à 17). Les deux souches les moins agressives sur des rondelles de tomate s’avèrent les plus sensibles aux dithiocarbamates et aux dicarboximides. La résistance, particulièrement aux benzimidazoles et aux dicarboximides, impose l'adoption d'autres stratégies de lutte. INTRODUCTION Botrytis cinerea Pers., agent causal de la pourriture grise, est capable d'infecter un grand nombre de plantes cultivées (tomates, raisins, haricots, fraises, etc.) à n’importe quel stade de leur développement ainsi qu’en période de stockage [1]. En absence de variétés de Tomates résistantes à ce pathogène, le contrôle de cette maladie est basé sur l’usage répété de fongicides, principalement des benzimidazoles et des dicarboximides, qui n’empêchent pas des pertes considérables de rendement, surtout en cultures abritées. Diatta [10] a constaté la présence de la pourriture grise dans 96 % des exploitations visitées au Maroc. Besri et Diatta [5 ] ont montré l’importance de la résistance de B. cinerea au bénomyl et au méthylthiophanate. L’inefficacité de la chimiothérapie est généralement attribuée à l’apparition de souches résistantes [9,11-12,17,21,28]. Leur maintien paraît lié à leur capacité à survivre dans les conditions naturelles et à entrer en compétition avec les souches sensibles en terme de potentiel d’infection, de sporulation ou encore de dissémination. D’où l’intérêt des tests de virulence des souches retenues dans les études de résistance. Le niveau de résistance des souches de B. cinerea dans la région du Gharb est encore inconnu. Afin de mieux gérer l’utilisation des fongicides, nous avons étudié leur influence sur la croissance mycélienne et la germination conidienne de quelques isolats de B. cinerea. Par la même occasion, nous avons évalué la virulence de ces isolats sur des rondelles de feuilles de Tomate. 81 MATÉRIEL ET MÉTHODES Matériel fongique Six isolats de Botrytis cinerea ont été obtenus à partir de chancres sporulés développés sur des tiges de pieds de Tomate provenant de serres de cinq exploitations de la plaine du Gharb au Maroc (Tableau I). Les tiges ont été placées dans des sachets en plastique. Un fragment de mycélium a été prélevé de manière stérile à l'aide d'une aiguille, placé sur un milieu PDA (Potato Dextrose Agar) et incubé dans une chambre humide 24 à 48 h à 20°C pour favoriser la sporulation et faciliter l’isolement. Tableau I : Origine et désignation des isolats utilisés dans le test de résistance. Localité Bouknadel Mnasra Fouarate Sidi Taibi Isolat B1 B10 B12*, B13* et B16 B18 * : B12 et B13 proviennent d’une même serre Des repiquages successifs d’un peu de mycélium en bordure des jeunes colonies sont réalisés jusqu'à purification totale du champignon en boîtes de Petri à l’obscurité et à 22°C. Fongicides et concentrations retenues Les matières actives les plus commercialisées pour lutter contre la pourriture grise de la Tomate ont été retenues et appartiennent à trois familles de fongicides : - les benzimidazoles : bénomyl (Benlate®, 50 %), méthylthiophanate (Pelt 44® , 70 %). Il peut paraître surprenant d’inclure le méthylthiophanate dans la famille des benzimidazoles. Cependant, il a été démontré que ce produit génère le méthyl-2-benzimidazole carbamate (MBC, carbendazime) qui est le même composé responsable de l’activité fongitoxique du bénomyl [37]. - les dicarboximides : iprodione (Rovral® , 50 %), vinchlozoline (Ronilan®, 50 %), procymidone (Sumisclex®, 50 %), - les dithiocarbamates : thirame (Pomarsol® , 80 %), mancozèbe (Dithane®, 80 %). 82 Le choix des concentrations est effectué sur la base d’essais préliminaires et des travaux de certains auteurs [5,16,42]. Pour le test de croissance mycélienne, une seule gamme de concentrations a été utilisée : 0,1 ; 1 ; 10 ; 100 ; 500 et 1000 ppm. Pour le test de germination, cette même gamme a été testée pour le bénomyl, a été limitée à 100 ppm pour le méthylthiophanate, l’iprodione et moins pour les dithiocarbamates tandis qu’en présence de la vinchlozoline et de la procymidone, la gamme de 250, 500, 750 et 1000 ppm a été retenue. Test de croissance mycélienne Le test est réalisé selon la méthode de Wang et al. [42 ]. Les fongicides mis en suspension dans l'eau distillée stérile sont dilués jusqu’à obtention des concentrations désirées, puis additionnés au milieu PDA en surfusion à 45°C. Les milieux sont coulés dans des boîtes de Petri de 90 mm de diamètre. Après solidification, des disques mycéliens de 5 mm de diamètre sont prélevés sur une jeune colonie de B. cinerea et un disque est déposé au centre de chaque boîte. Après quatre jours d'incubation à température ambiante (22°C), la croissance est estimée en mesurant le diamètre moyen de chaque colonie (deux diamètres perpendiculaires). Au-delà de cette durée, B. cinerea ayant une croissance rapide, la boîte ne suffirait plus à le contenir, tout au moins en ce qui concerne les témoins. Par ailleurs, un contact prolongé champignon - fongicide risque d'induire le développement de secteurs résistants [42]. Trois boîtes pour chaque isolat et chaque concentration de fongicide sont prévues. L'expérience est répétée 3 fois. Le pourcentage d'inhibition de la croissance mycélienne est calculé selon la formule suivante : I (%) = 100 x (A - B)/A où A = diamètre moyen des colonies témoins et B = diamètre moyen des colonies traitées. De l’équation de régression linéaire entre les logarithmes décimaux des concentrations de fongicides (en abscisses) et les pourcentages d’inhibition de la croissance transformés en valeurs probit (en ordonnées), on détermine les concentrations réduisant de 50 % (CI50) la croissance mycélienne. Test de germination conidienne Le test est réalisé selon la méthode de Wang et Coley-Smith [41]. Les milieux nutritifs additionnés de fongicides sont préparés comme 83 précédemment, mais avec un milieu malt-agar. Ils sont coulés de façon à avoir une couche mince pour permettre le comptage microscopique des conidies. Comme la germination des spores de B. cinerea est fonction de l'âge de la culture ainsi que de la concentration des spores, des suspensions ajustées à 106 conidies / ml, préparées à partir de cultures âgées de quinze jours, sont utilisées. Un volume de 0,2 ml est étalé dans chaque boîte. La germination des conidies est observée au microscope après 16 h d'incubation à 22°C. On considère la germination comme effective si la longueur du tube germinatif est supérieure au plus petit diamètre de la conidie. Environ 300 conidies sont observées par isolat et concentration de fongicide. L'expérience est répétée deux fois. Le pourcentage de résistance est calculé selon la formule suivante [28] : R (%) = 100 x Gt/Go où Gt est le pourcentage de germination à t ppm du fongicide et Go le pourcentage témoin de germination sans fongicide. Comme précédemment, on détermine les concentrations réduisant de 50 % (CI50) la germination conidienne. Évaluation de virulence des isolats Le test de virulence, inspiré de la technique de Wang et Coley-Smith effectué sur des disques de feuilles de 25 mm de diamètre, découpées à l'aide d'un emporte pièce. Les feuilles sont prélevées sur des pieds de Tomate âgés de deux mois et sont choisies complètement développées. Un explant mycélien de cinq mm de diamètre, prélevé à la zone de croissance active d'une culture âgée de trois jours, est déposé au centre de chaque disque foliaire dans une boîte de Pétri. Les boîtes contiennent trois rondelles de papier filtre ou bien une couche de billes de verre et sont constamment humidifiées par de l’eau distillée stérile pour maintenir une atmosphère saturée d’humidité. La mesure des diamètres des lésions (deux diamètres orthogonaux) est réalisée après quatre jours d’incubation à température ambiante (22°C). Dix disques foliaires sont traités par isolat et par type de support (papier filtre ou billes de verre). L’expérience est répétée deux fois. L’analyse statistique est réalisée selon le test de Newman et Keuls au seuil de 5 %, pour la germination conidienne comme pour la croissance mycélienne. Les boîtes de Petri sont disposées de manière aléatoire sur la paillasse. [41 ], est 84 RÉSULTATS Croissance mycélienne Benzimidazoles Le bénomyl comme le méthylthiophanate présente une faible action sur la croissance mycélienne (Tableau II). À 100 ppm, la croissance des six isolats est inhibée largement en-dessous de 50 %, conditions retenues par certains auteurs pour considérer qu’on a affaire à des souches résistantes aux benzimidazoles. Les isolats présentent globalement le même niveau de résistance. À 1000 ppm, la croissance mycélienne n’est inhibée que de 41 à 58 %. Tableau II : Action d’une gamme de concentrations de deux benzimidazoles sur le pourcentage d’inhibition de la croissance mycélienne de six iolats de Botrytis cinerea cultivés sur le milieu PDA. ppm Fongicide 0,1 1 B1 0 0 B10 0 0 B12 0 8,4 B13 1,6 8,4 B16 0 6,9 B18 0,6 B1 10 100 500 1000 17 49 53 16 38 49 17 44 50 20 55 57 8,8 31 44 57 2,2 5,9 16 38 55 0 0 0 22 33 42 B10 0 1 8,6 24 32 58 B12 0 0 0 33 46 49 B13 0 0 0 23 51 B16 0 4,7 5,7 28 42 B18 0 0,4 5,9 46 53 Isolat Bénomyl 5,8 12 9,3 11 Méthylthiophanate 9,8 25 7,6 85 Dicarboximides Selon le FRAC (Fungicide Resistance Action Committee) [13], un isolat est considéré comme résistant aux dicarboximides s'il est capable de se développer à une concentration de 10 ppm de matière active. Tous les isolats testés se sont développés à cette concentration (Tableau III) et peuvent être considérés comme résistants. Tableau III : Action d’une gamme de concentrations de trois dicarboximides sur le pourcentage d’inhibition de la croissance mycélienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur le milieu PDA. ppm Fongicide 0,1 1 10 100 500 1000 B1 5,6 17 82 83 84 85 B10 7 19 82 83 84 85 B12 13 22 67 75 79 81 Isolat Procymidone B13 6,5 15 75 78 78 82 B16 3,8 7 33 49 73 86 B18 21 43 79 82 86 88 B1 16 35 61 100 100 100 B10 13 44 58 91 100 100 B12 30 35 48 100 100 100 Iprodione B13 1,3 7,4 23 85 100 100 B16 2,1 6,7 24 79 94 100 B18 13 16 50 100 100 100 B1 0 0 20 65 77 77 B10 9,8 13 24 62 89 94 B12 9,1 16 31 68 79 81 B13 0 0 19 68 72 78 B16 0 0 1 41 51 61 B18 12 29 72 76 77 Vinchlozoline 8,4 86 À 10 ppm, la procymidone est significativement plus efficace que l’iprodione et la vinchlozoline. Mais à 1000 ppm, l‘inhibition n’est totale que pour l’iprodione. Dithiocarbamates Le thirame apparaît plus efficace que le mancozèbe (Tableau IV). À 10 ppm, l’inhibition varie de 29 à 60 % contre 4 à 37 % pour le mancozèbe. Tableau IV : Action d’une gamme de concentrations de deux dithiocarbamates sur le pourcentage d’inhibition de la croissance mycélienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur le milieu PDA. ppm Fongicide 0,1 1 10 100 500 1000 B1 0 0 32 100 - - B10 5,5 19 60 100 - - B12 2,6 18 31 100 - - B13 0 10 50 100 - - B16 0 10 29 100 - - B18 2,2 11 39 100 - - B1 0 18 34 84 96 B10 15 32 66 100 100 Isolat Thirame Mancozèbe 4,9 18 B12 5,5 5,5 14 58 100 100 B13 7,1 7,5 10 79 100 100 B16 0 0 63 100 B18 3,1 74 100 25 3,9 37 4,9 51 L’inhibition est totale pour tous les isolats à 100 ppm de thirame. On note des réponses variables des isolats au mancozèbe : B13 est le plus sensible et B16 le plus résistant. Le calcul des CI50 montre (Tableau V) le faible pouvoir inhibiteur des benzimidazoles par rapport aux dicarboximides et aux dithiocarbamates. L’iprodione présente la plus grande efficacité, exception faite de l’isolat B13 qui semble plus sensible au thirame. 87 Tableau V : Concentrations inhibitrices CI50 des trois familles de fongicides testées sur la croissance mycélienne de six isolats de Botrytis cinerea sur le milieu PDA. Benzimidazoles Isolat Bénomyl Dicarboximides Dithiocarbamates Méthyl Procymidone Iprodione Vinchlo Thirame Mancozèbe thiophanate zoline B1 762 >1000 9,5 1,6 81 B10 >1000 B12 848 7 2,1 20 3,3 >1000 >1000 10 1,2 31 4,4 14 B13 702 >1000 14 >100 6,6 11 B16 772 >1000 60 4,4 >100 8,6 52 B18 >1000 >1000 2,7 30 4,6 47 12 1,8 17 64 5,7 Les isolats de B. cinerea ne présentent pas le même profil de résistance aux fongicides, même pour une même famille chimique. Les isolats B12 et B13 bien que récoltés de la même serre présentent une résistance statistiquement différente à l’égard de la procymidone et de la vinchlozoline. Germination conidienne Benzimidazoles À 100 ppm, le bénomyl a entraîné une légère inhibition de la germination conidienne (Tableau VI). Tableau VI : Action du bénomyl sur le % de résistance à la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur un milieu malt-agar. ppm 0,1 1 10 100 500 1000 B1 99 94 82 46 0 0 B10 100 96 79 61 0.2 0 B12 99 89 67 55 B13 100 92 77 56 B16 97 88 66 36 B18 100 94 62 51 Isolat 15 2.2 11 9.1 0 0 0 0 88 À 500 ppm, l’inhibition est presque totale avec une fréquence de spores résistantes de moins de 15 %. Contrairement au bénomyl, le méthylthiophanate n’a pas d’effet sur la germination des spores (Tableau VII). À 100 ppm, la fréquence des spores résistantes oscille entre 97 et 100 %. Tableau VII : Action du méthylthiophanate sur le pourcentage de résistance à la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur un milieu malt-agar. ppm 0,1 1 10 50 100 B1 99 98 98 98 98 B10 100 100 100 100 100 B12 98 99 100 99 98 B13 100 100 100 99 99 B16 100 100 100 99 99 B18 100 99 98 98 97 Isolat Dicarboximides La germination des spores est peu influencée par la présence de l’iprodione (Tableau VIII). Tableau VIII : Action de l’iprodione sur le pourcentage de résistance à la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur un milieu malt-agar. ppm 0,1 1 10 50 100 B1 100 99 99 91 81 B10 97 95 92 84 73 B12 94 89 82 73 61 B13 90 88 82 74 41 B16 96 95 93 85 63 B18 98 94 91 86 73 Isolat 89 Le niveau de résistance est encore plus élevé en présence de vinchlozoline (Tableau IX). La germination n’est pas affectée à 500 ppm. À 1000 ppm, les spores de tous les isolats peuvent encore germer. De même, pour la procymidone aucune des concentrations testées n’a pu inhiber totalement la germination des spores. Une réduction nette de la longueur du tube germinatif à partir de 100 ppm a été observée pour les trois dicarboximides. Tableau IX : Action de deux dicarboximides sur le pourcentage de résistance à la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur un milieu malt-agar. Vinchlozoline ppm Procymidone 250 500 750 1000 250 500 750 1000 B1 98 94 86 63 96 95 77 72 B10 88 87 76 66 87 82 74 66 B12 87 81 80 48 86 83 68 53 B13 95 92 91 58 87 75 72 60 B16 94 93 84 51 86 83 68 53 B18 93 88 82 53 52 68 84 88 Isolat Dithiocarbamates À 10 ppm, le thirame entraîne une inhibition totale de la germination des conidies (Tableau X), et le mancozèbe provoque une légère inhibition, avec une variation maximale pour les isolats B12 et B13 provenant de la même serre. À 50 ppm, l’inhibition devient totale. En présence du bénomyl, les CI50 varient de 15 à 32 ppm alors qu’elles dépassent 100 ppm en présence du méthylthiophanate (Tableau XI). Les dicarboximides, même à des concentrations élevées, affectent la germination des isolats testés avec des CI50 toujours supérieures à 100 ppm. Les CI50 ne dépassent pas 2 ppm en présence du thirame alors qu’elles sont comprises entre 2 et 6 ppm en présence du mancozèbe. Ces valeurs sont nettement plus faibles que celles observées pour la croissance mycélienne, ce qui traduit l’activité préventive de ces deux produits. 90 Tableau X : Action de deux dithiocarbamates sur le pourcentage de résistance à la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea cultivés sur un milieu malt-agar. Thirame ppm Mancozèbe 0,1 1 10 0,1 1 10 50 B1 97 87 0 98 96 61 0 B10 95 89 0 99 93 60 0 B12 90 89 0 98 93 23 0 B13 93 79 0 100 98 87 0 B16 96 82 0 96 90 82 0 B18 94 87 0 99 92 58 0 Isolat Tableau XI : Concentrations inhibitrices CI50 des trois familles de fongicides testées sur la germination conidienne de six isolats de Botrytis cinerea sur le milieu malt-agar. Benzimidazoles Isolat Bénomyl Dicarboximides Méthyl thiophanate Dithiocarbamates Thirame Mancozèbe B1 17 >100 >100 1,5 4,1 B10 32 >100 >100 1,5 4,0 B12 23 >100 >100 1,2 2,9 B13 21 >100 >100 1,1 6,1 B16 15 >100 >100 1,4 3,8 B18 23 >100 >100 1,4 3,9 Évaluation de l’agressivité des isolats de B. cinerea Aucune différence significative n’est révélée entre les supports papier filtre et billes de verre (Tableau XII). Pour ces deux types de support, l’ordre des isolats est le même. B18 et B13 sont les plus virulents et B12 le moins. 91 Tableau XII : Évaluation de l’agressivité de six isolats de Botrytis cinerea sur des rondelles de feuilles de Tomate. Diamètre des lesions (mm) Isolat sur papier filtre sur billes de verre B1 19,8 bc 17,5 a B10 18,5 c 17,6 b B12 6,7 d 7,2 B13 24,5 a 21,8 a B16 19,5 bc 21,5 a B18 23,2 ab 23,9 a b Les résultats d’une même colonne, suivis de la même lettre, ne sont pas différents significativement au seuil de 5 %. DISCUSSION ET CONCLUSION Avec l’arrivée sur le marché du bénomyl (Benlate® ) en 1968, les benzimidazoles, premiers fongicides systémiques à large spectre, ont marqué une nouvelle période dans la lutte contre un grand nombre de champignons, exception faite des Oomycètes et des Zygomycètes [6]. Différentes spécialités furent largement utilisées au début des années soixante-dix, vu leur action contre Botrytis cinerea supérieure à celle des fongicides multisites [30]. Il est clair que la dose de fongicide fixée pour distinguer les souches sensibles des résistantes est critique pour l'interprétation des résultats [15]. La grande majorité des auteurs ont fixé cette dose à 100 ppm [4,16,42]. D'autres utilisent des doses plus faibles, d'environ 2 à 5 ppm [11,21]. En fixant la dose discriminante à 100 ppm, les six isolats étudiés présentent une résistance aux benzimidazoles. Les CI50 dépassent 1000 ppm pour cinq des six isolats testés pour le méthylthiophanate. Ceci est probablement lié à une 92 forte pression de sélection due à l’usage abusif de ce produit, utilisé par au moins 77 % des agriculteurs au Maroc [10], malgré la détection de souches résistantes [5]. Le niveau de résistance atteint en présence du bénomyl est supérieur à celui des souches tunisiennes où on a des valeurs de CI50 de 478 ppm [17]. Des CI50 de l’ordre de 840 ppm ont été rapportées par Moorman et Lease [34] en Pennsylvanie. Leroux et Gredt [28 ] estiment que ces souches peuvent exister naturellement. D’autres auteurs pensent qu’elles ont pu apparaître en raison des propriétés mutagènes des benzimidazoles [7,23]. Les benzimidazoles sont des agents antimitotiques qui interfèrent spécifiquement avec la division nucléaire et avec d’autres processus liés à l’activité des microtubules telle l’orientation de la croissance hyphale [6,29]. La résistance au bénomyl, liée à une moindre affinité du fongicide avec la tubuline (protéine dont l'assemblage forme les microtubules qui sont des constituants majeurs du fuseau achromatique), est portée par un gène chromosomique [29]. Il a aussi été suggéré que l'hétérocaryose pourrait être à l'origine d’une résistance instable et présentant plusieurs niveaux chez B. cinerea [23]. Le développement de souches fortement résistantes à l'ensemble des benzimidazoles a contraint les agriculteurs à faire appel à d'autres fongicides. Les dicarboximides ont pris ainsi le relais des benzimidazoles [29]. Cependant, des souches résistantes se sont développées [19,22,42]. À 10 ppm, concentration recommandée pour le test de résistance aux dicarboximides [13], les six isolats testés se sont développés. La majorité des travaux entrepris sur la résistance de Botrytis cinerea aux dicarboximides ont concerné une seule matière active en raison d’une résistance croisée entre les différents produits de cette famille [29,36,42]. Ainsi, des souches collectées à partir de champs jamais soumis au chlozolinate en Tunisie ont montré une résistance à ce produit [17]. Cependant, une grande différence dans la réponse des six isolats aux trois dicarboximides testés a été observée. Les valeurs de CI50 de la croissance mycélienne sont généralement plus faible pour l’iprodione que pour la procymidone et la vinchlozoline. Des souches avec des CI50 inférieurs à 10 ppm ont été rapportées pour un grand nombre de culture [20,27,32,35]. Des souches montrant un 93 niveau élevé de résistance (CI50 > 10 ppm) ont été isolées dans peu d’occasion, mais demeurent faciles à obtenir in vitro [3]. Des souches avec des niveaux encore plus élevés (CI50 >100 ppm) peuvent être obtenues dans des conditions artificielles [6]. À 20 ppm de procymidone, Besri et Diatta [5] ont rapporté une inhibition mycélienne totale de l’isolat testé. L’isolat B16 présente une résistance nettement plus élevée à ce produit. Les CI50 observées pour l’iprodione en Tunisie, comprises entre 1,4 et 5,4 ppm [17], sont similaires à celles des isolats testés, exception faite de B13 dont la CI50 atteint 12 ppm. Le niveau de résistance atteint est supérieur à celui rapporté au Chili [22] et en Europe [36,41-42]. Il a été suggéré que l’exposition continue des populations de B. cinerea à une pression de sélection dans un environnement fermé (culture sous serre) à l’image des conditions in vitro puisse favoriser l’émergence d’une résistance élevée et transmissible [6,14]. L’étude de la germination conidienne a révélé une activité plus marquée de l’iprodione par rapport à la procymidone et la vinchlozoline et une réduction de la longueur du tube germinatif à forte dose. Les dicarboximides inhibent à la fois la germination des spores et l’élongation des hyphes mycéliens. Ils induisent des altérations morphologiques du tube germinatif et des extrémités hyphales comme une augmentation du nombre de diverticules qui augmentent de taille et finissent par éclater en présence de concentrations élevées [6,37]. Le mode d’action des dicarboximides n’est pas totalement élucidé, mais on pense qu’ils pourraient interférer avec une protéine de la membrane cytoplasmique ou encore inhiber des enzymes flaviniques telle la NADPH-cyto C réductase. Il a été proposé que de cette action résulte un flux anormal d’électrons produisant ainsi des produits oxygénés actifs tels H2O2 et le superoxide O2- qui en retour causent la peroxidation des lipides, la destruction de la membrane et d’autres effets toxiques non spécifiques [6,25,37]. La résistance aux dicarboximides est cependant non persistante. Les souches résistantes auraient une capacité de survie et une compétitivité inférieures à celles des souches sensibles [4,30,41 ]. L'emploi des dicarboximides de manière raisonnée est souvent conseillé. 94 L’activité fongitoxique des dithiocarbamates a été décrite en 1934 par Tisdale et Williams [39], mais ce n’est qu’une quarantaine d’années plus tard que ces fongicides ont eu un impact significatif en agriculture [37]. Les dithiocarbamates, compte tenu de leur mode d’action, sont souvent séparés en dialkyldithiocarbamates (cas du thirame) et monoalkyldithiocarbamates (comme le mancozèbe). Ces derniers se distinguent par la présence d’un atome d’hydrogène qui leur permet de se transformer en isothiocyanate. Les isothiocyanates sont toxiques par inactivation des groupements thiols de certaines enzymes [37]. Les nombreux types de réactions dans lesquelles interagissent les dialkyldithiocarbamates rendent difficile l’élucidation de leurs sites d’action. Ces fongicides sont capables d’inhiber une variété d’enzymes de différents types [29,37 ]. La faible apparition de souches résistantes à ces fongicides, après plus de 40 ans d’utilisation, suggère un effet multisite [26,37]. La résistance aux fongicides unisites, qui agissent sur un seul site du métabolisme fongique, est un phénomène bien connu [6,37]. Par contre, la résistance aux fongicides multisites a été rarement rapportée. Le doute s’est installé quand Barak et Edgington [2] ont décrit en 1984 des souches résistantes au chlorothalonil et au thirame. Plus récemment, des souches résistantes au dichlorofluanide, mais demeurant sensibles au chlorothalonil et au thirame, ont été décrites en Grande-Bretagne et en Grèce [29 ]. Des isolats de B. cinerea présentant une résistance stable au captane ont été isolés de diverses récoltes traitées régulièrement avec ce produit. Les CI50 de la croissance mycélienne de ces isolats étaient 2 à 13 fois plus grandes que celles utilisées pour inhiber des souches sauvages [2]. À titre comparatif, si l’on considère les isolats B1 (le plus résistant) et B10 (le plus sensible), on obtient un rapport de 11 pour le mancozèbe et de 5 pour le thirame. Les dithiocarbamates sont de puissants inhibiteurs de la germination des spores de B. cinerea [29]. La germination des isolats testés est inhibée totalement à 10 ppm de thirame. La CI50 est inférieure à 2 ppm pour tous les isolats. De même, le mancozèbe s’est révélé plus efficace sur la germination des spores que sur la croissance mycélienne. Une fois la résistance à un produit développée, son maintien est déterminé par la capacité des souches à survivre, se développer et se propager [16 ]. Les isolats B12 et B10 qui semblent les moins agressifs présentent globalement les plus faibles CI50 de la croissance mycélienne en 95 présence des dithiocarbamates et des dicarboximides et sont de ce fait les plus sensibles à ces fongicides. Les relations entre l’acquisition de la résistance et la virulence des souches font l’objet de controverses. Des souches européennes de B. cinerea résistantes aux benzimidazoles se sont avérées aussi compétitives et virulentes que les souches sensibles et peuvent par conséquent se maintenir au sein de la population même en absence de traitement [4,28,31-32]. D’un autre côté, des souches de B. cinerea résistantes aux dicarboximides se sont montrées moins compétitives que les souches sensibles [4,41] ; d’autres études infirment ce résultat et rapportent un potentiel d’infection similaire sinon supérieur pour les souches résistantes [18,40]. Barak et Edgington [2] ont rapporté une pathogénicité de souches de B. cinerea résistantes au captane similaire à celle des souches sauvages sur les fraises et les pommes. L’agressivité des souches de B. cinerea pourrait dépendre de l’organisme hôte : des isolats résistants aux dicarboximides ont présenté la même agressivité que les souches sensibles sur des feuilles de Fraisier et de Tomate [8] ou sur des cotylédons de Concombre [42], mais ont été moins agressifs sur des feuilles de Carottes [8]. La lutte chimique contre la pourriture grise présente des difficultés liées à la résistance grandissante des souches aux principaux produits commercialisés. La formule phytosanitaire idéale, comme pour un grand nombre de champignons pathogènes, est loin d’être trouvée et on ne peut actuellement que limiter les dégâts à un seuil économiquement supportable. Cependant un certain nombre de mesures peuvent être prises, à savoir [38] : • minimiser le taux de fertilisation azotée • appliquer des mesures prophylactiques adéquates afin de réduire le taux d’inoculum primaire • éviter les sites où la pression de la maladie est élevée • utiliser préventivement des fongicides afin d’éliminer les petites populations pathogènes • avoir recours aux fongicides uniquement en cas de nécessité afin d’éviter la sélection de souches résistantes • combiner les fongicides pour réduire les populations pathogènes. 96 RÉFÉRENCES 1- ACTA - Guide pratique de défense des cultures. Paris : Assoc. Coord. Techn. Agric., 1990, 557 p. 2- Barak (E.), Edgington (L.V.) - Botrytis cinerea resistant to captan: the effect of inoculum age and type on response to the fungicide. - Can. J. Plant Pathol., 1984, 6(3), 211-214. 3- Beever (R.E.) - Osmotic sensitivity of fungal variants resistant to dicarboximide fungicides. - Trans. Brit. Mycol. 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Spore germination was not affected by methylthiophanate and only a little by benomyl. Dicarboximides, which are relatively more efficient, are also confronted with the problem of resistance. All the tested isolates were able to grow at 10 ppm, procymidon obtaining better results than iprodione and vinchlozolin. Nevertheless, the lowest CI50 for mycelial growth were noted in the presence of iprodione. Conidial germination was weakly inhibited by dicarboximides, with CI50 exceeding 100 ppm. Dithiocarbamates strongly inhibited conidial germination. Thirame was particularly efficacious (CI50 < 2 ppm). For mycelial growth, it gave better results (CI50 3.3-17 ppm) than mancozebe. The two least aggressive strains on tomato slices were the most sensitive to dicarboximides and dithiocarbamates. The phenomenon of resistance, especially to benzimidazoles and dicarboximides, calls for the adoption of other control strategies. Key-words: Botrytis cinerea, fungicides, grey mould, resistance, tomato. __________