La connaissance de l`histoire nous rend-elle plus libres

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La connaissance de l`histoire nous rend-elle plus libres
La connaissance de l'histoire nous rend-elle plus libres ?
Corrigé
Introduction
C’est une idée commune : la connaissance de ce que les hommes ont fait dans le passé les
aiderait à ne plus commettre les mêmes erreurs et, plus généralement, à avoir une meilleure
prise sur le cours de leur histoire. Ainsi, le savoir de l’historien permettrait de ne plus subir les
événements comme des manifestations du destin ou du hasard. Il donnerait à espérer que les
peuples puissent, grâce à lui, mieux dominer leur devenir collectif. Mais peut-on tirer des
leçons de l’histoire ? Et ces leçons seraient-elles capables d’assurer à l’homme une meilleure
maîtrise de son existence ? Autrement dit, gagne-t-on en liberté à connaître son passé ou bien
cette connaissance, sur le plan de l’action, est-elle sans incidence significative ?
1. Que peut la connaissance historique ?
A. En quoi consiste le savoir de l’historien ?
Le domaine d’investigation de l’historien, c’est l’événement humain. L’enquête (en grec,
historia) historique ne peut avoir de valeur que si elle se donne le temps de rassembler un
nombre suffisant de documents et de témoignages variés, afin de les confronter, les recouper
et au bout du compte de tenter une reconstitution de ce qui s’est produit. C’est donc pour des
raisons de méthode que l’histoire ne peut pas se pencher sur un présent trop proche. Mais la
construction de la chaîne des événements n’est pas l’ambition unique de l’historien. Celui-ci
veut également comprendre et expliquer. L’explication ne saurait être de type scientifique
puisqu’il n’existe pas de lois de l’histoire rendant l’avenir prévisible. Mais une fois
l’événement produit, il est possible d’en démêler la complexité et d’en faire apparaître les
causes, de façon rétrospective. Plus exactement, l’historien expose la façon dont la rencontre
aléatoire de facteurs indépendants s’est nouée en une nécessité causale – par exemple
comment s’est progressivement constitué le contexte international qui a rendu nécessaire la
guerre de 1914-1918 (montée des nationalismes, concurrences coloniales, contentieux francoallemand, système d’alliances diplomatiques…).
B. Dans quelles mesures l’histoire nous libère-t-elle ?
Cette reconstitution éclairée du passé nous donne prise, intellectuellement, sur les événements
qu’elle permet d’expliquer. Donner sens à une réalité, quelle qu’elle soit, c’est toujours se
libérer de l’ignorance qui nous enferme dans un rapport passif, soumis et aveugle à ce qui
arrive ou est arrivé. Le savoir, en lui-même, est libérateur. Mais au-delà de cette liberté
intellectuelle, peut-on aller jusqu’à considérer que la connaissance historique nous donne plus
de maîtrise sur le cours des événements dans le présent ?
La singularité de l’événement humain interdit la superposition de deux situations distinctes.
Autrement dit, jamais le présent ne répétera le passé de sorte qu’il est inutile de chercher à
apprendre dans le passé ce que nous réserve l’avenir, fût-il très proche. En histoire,
comparaison n’est jamais raison. Et s’il est vrai que des événements peuvent se ressembler,
les points d’analogie sont toujours très partiels et très généraux. Ainsi, en toutes guerres, il y a
des batailles, des morts, des pertes civiles, des capitulations… Mais il ne s’est pourtant jamais
© Hatier 2002-2003
produit deux guerres identiques. Et si l’on pouvait élaborer une théorie sociologique du conflit
armé entre les peuples, alors les lois du phénomène belliqueux ne seraient que des rapports
très abstraits entre des faits très généraux – par exemple qu’un pays en guerre donne toujours
plus de libertés à son pouvoir exécutif et moins à sa population qu’en temps de paix. Si donc
les événements humains ne sont, par nature, jamais prévisibles, il est vain d’attendre de la
connaissance historique un quelconque pouvoir sur le cours des choses. L’historien, comme
n’importe quel homme, découvre le présent au présent. Seuls les prophètes ou les devins
prédisent l’avenir.
2. La connaissance historique nous aliène
A. Une fuite devant les exigences du présent
La connaissance historique n’ayant pas d’incidence pratique (c’est-à-dire pour l’action), elle
n’a pas d’autre valeur qu’intellectuelle et culturelle. C’est le goût pour les choses humaines,
l’attrait du passé, des vieilles pierres qui font, aux yeux de l’historien, toute la valeur de sa
discipline. Mais peut-on réduire la connaissance du passé à n’être qu’un luxe de l’esprit ? Les
hommes se sont toujours penchés sur leurs origines et même si la raison (logos ) historienne
ne représente pas la même démarche que celle du mythe (muthos ), elles sont l’une et l’autre
la manifestation de ce qui semble bien être un besoin de l’âme humaine.
Que gagne-t-on à se tourner vers ce qui n’est plus ? Pourquoi cet amour des vestiges de la vie
des autres, fussent-ils nos ancêtres ? Cette disposition presque mélancolique nous libère certes
des urgences du présent et des interrogations du futur ; mais n’y a-t-il pas, à travers cette
libération, quelque chose d’anesthésiant et de dévitalisant ? N’est-ce pas se dégager de la
tension de l’existence que de préférer les vies faites à la vie à faire ? L’histoire incarnerait
ainsi cette pente de l’esprit humain à fuir les exigences de la difficile tâche d’exister. Loin
d’être synonyme de libération, elle traduirait un refus de liberté : refus de faire face à
l’indécision de l’avenir qui rend nécessaire de le bâtir dans le présent. Engagement qui ne
peut s’appuyer sur aucune certitude…
B. Une quête d’identité vaine
Mais allons plus loin encore, en nous demandant ce qui peut ainsi fasciner l’homme dans les
bribes fantomatiques de son passé. Car si l’histoire traduit la fuite devant l’existence libre
dans le présent, c’est sans doute en faisant miroiter une perspective séduisante. Ne serait-ce
pas le mirage de l’origine qui fixe l’horizon du travail de l’historien ? Il est vrai que l’histoire,
sous sa forme contemporaine, est devenue éminemment critique et ne saurait se confondre
avec un quelconque récit des premiers commencements. La croyance mythique en un temps
d’avant les temps, absolu et fondateur, est bel et bien abandonnée. Mais la recherche
historienne ne renonce toutefois pas complètement au désir de savoir d’où nous venons. Si
une origine fixe, précise n’est jamais historiquement assignable, si la quête des sources aboutit
le plus souvent à une ramification complexe, c’est toujours la question de savoir pourquoi
nous sommes aujourd’hui ce que nous sommes qui anime l’historien. Et même quand celui-ci
se penche sur des périodes et des civilisations très éloignées des siennes, c’est la condition
d’une humanité changeante et fluente qui est son objet. Faire de l’histoire, c’est toujours
étudier comment l’identité d’un individu ou d’un peuple se fait puis se défait, comment son
être se forge sans jamais devenir une nature ou un destin c’est-à-dire un principe définitif.
C’est donc l’illusion que la connaissance du passé lèvera un peu le voile qui recouvre notre
être qui animerait l’historien. Illusion fatale à notre liberté s’il est vrai que notre être ne s’est
pas joué hier mais se rejoue toujours aujourd’hui. Plutôt que de vouloir savoir d’où nous
venons, la liberté nous enjoint plutôt de décider où nous voulons aller.
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3. La prise de conscience de notre responsabilité historique
A. La culture historienne nous engage dans le présent
La connaissance historique revient-elle vraiment à tourner le dos à notre liberté ? S’il est vrai,
comme nous l’avons dit, que l’événement humain est toujours singulier et que l’histoire ne se
répète pas, il est impossible de plaquer sur le présent les schémas du passé. Mais c’est
précisément le défaut de culture historienne qui entretien cette erreur : pour l’homme du
commun, une guerre est une guerre et, depuis la nuit des temps, il ne se passe jamais rien de
nouveau sous le soleil. Ce qu’apporte la connaissance du passé, c’est donc une meilleure
disposition à saisir ce que chaque situation historique a d’unique et d’original. L’historien,
plus que quiconque, sait donc que le présent est toujours inouï, inédit et qu’il réclame, pour
répondre à ses défis, de l’inventivité et de l’audace. Loin d’enfermer dans le passé, l’histoire
engage dans l’existence concrète. Dans tous les aspects de la vie sociale, individuelle ou
collective, elle aide à souligner l’absence de solutions toutes faites pour régler les problèmes
du présent : tout ce qui a réussi hier ne peut plus réussir aujourd’hui. La vie nous condamne à
inventer. Et l’histoire contribue à cette prise de conscience.
B. Notre liberté dans l’histoire
Si nous sommes responsables, dans l’histoire, c’est qu’il dépend de nous que les choses
changent, non pas que les hommes puissent maîtriser le cours de leur devenir collectif. Mais
ce dont ils héritent n’est jamais un destin. Le présent est l’occasion, comme nous l’avons dit,
d’en faire quelque chose à partir d’un contexte singulier. La prise de conscience du fait que
notre être n’est jamais figé peut être la conclusion, comme nous l’avons vu, d’une quête
nostalgique d’identité. Mais elle peut être également le point de départ d’un élan de liberté :
parce que je ne suis que ce que je fais de ce que j’ai été, rien n’est définitivement joué. Mon
être n’est pas à découvrir, à connaître, il est à forger. La connaissance historique peut donc
aussi s’envisager comme une prise de conscience de notre condition d’être libre. Car notre
liberté ne réside pas dans notre toute-puissance, ni dans le pouvoir absolu que notre volonté
détiendrait sur elle-même ; elle se manifeste à travers le fait que notre existence est capable
d’innovation, autrement dit que notre être n’est jamais définitivement déterminé. Parce que
nous sommes historiques, nous sommes imprévisibles. Là est le signe de notre liberté.
Conclusion
Que l’homme est libre, c’est l’histoire qui peut nous l’apprendre. Et en nous l’apprenant, la
connaissance historique nous renvoie au devoir d’exercer cette liberté en nous tournant
davantage vers l’avenir que vers le passé pour décider du présent. Sans doute certains
traumatismes collectifs nous incitent-ils à regarder l’avenir avec un oeil dans le rétroviseur :
« Plus jamais ça ! » Réaction compréhensible. Mais se battre pour que l’horreur d’hie r ne
nous ressaisisse pas est un combat vain s’il est vrai que l’histoire ne se répète jamais.
L’histoire nous enjoint plutôt de mobiliser tous nos efforts et toutes nos énergies pour parer
aux erreurs à venir, pour tenter de deviner les risques du futur. Parce que nous sommes libres,
nous devons vivre en ne retenant qu’une chose : l’erreur, la faute sont vite commises. La
liberté nous impose la prudence.
Orientations bibliographiques
© Hatier 2002-2003
Pour approfondir la lecture du corrigé
–
Hegel, La Raison dans l’histoire (Introduction), 10/18 (1-B*).
–
Nietzsche, Considérations inactuelles (2e), Aubier (2-A* et 2-B*).
–
Veyne, Comment on écrit l’histoire ?, Éd. du Seuil, coll. « Points essais » (1-A* et 3A*).
–
Sartre, L’existentialisme est-il un humanisme ?, Gallimard, coll. « Folio essais » (3B*).
* Ces indications renvoient aux différentes parties.
© Hatier 2002-2003

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