Actes du 3e congrès francophone sur les troubles
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Actes du 3e congrès francophone sur les troubles
Actes du 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques Éditions du réseau ANACT Pour retrouver les ouvrages déjà publiés aux Éditions du réseau ANACT : www.anact.fr Quatre thématiques majeures : • Gestion des âges • Santé au travail et prévention des risques • Développement des compétences • Changement technique et organisationnel Des objectifs communs : • Améliorer conjointement les conditions de travail et la performance de l’entreprise • Impliquer tous les acteurs concernés Déjà parus : • Du management des compétences au management du travail Bernard devin, Christian Jouvenot et Florence Loisil (coord.) 306 pages - 2009 • Analyser les usages des systèmes d’information et des TIC : quelles démarches, quelles méthodes ? sous la direction de Marie Benedetto-Meyer Romain Chevallet 288 pages - 2008 • Des services publics face aux violences : concevoir des organisations source de civilité Le Réseau ANACT existe depuis plus de 30 ans et couvre l’ensemble du territoire ; il se compose de : • l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, établissement public sous tutelle du ministère en charge du Travail ; • 26 associations régionales (ARACT), structures de droit privé, administrées de manière paritaire et financées par l’État (ANACT-DRTEFP) et les Régions. Francis Ginsbourger 144 pages - 2008 • Le travail, un défi pour la GRH Rachel Beaujolin-Bellet, Pierre Louart et Michel Parlier (coord.) 272 pages - 2008 • Prévenir le stress et les risques psychosociaux Benjamin Sahler, en collaboration avec La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective », et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple d’illustrations, « toute représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article 40). Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. Le code de la propriété intellectuelle du 1 juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage collectif sans autorisation des ayants droit. Or cette pratique s’est généralisée notamment dans les établissements d’enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui menacée. er © ANACT, 2012 Conception de la maquette et mise en page : Double Action ISBN : 978-2-913488-68-4 ANACT : 192, av. Thiers - CS 800 31 69457 LYON CEDEX 06 Tél. : 04 72 56 13 13 - Fax : 04 78 37 96 90 Michel Berthet, Philippe Douillet, Isabelle Mary-Cheray et le groupe projet du réseau ANACT 270 pages - 2007 • Faire face aux exigences du travail contemporain Pascal Ughetto 164 pages - 2007 • Dessine-moi une trajectoire Nicole Raoult (coord.) et al. (CD Rom de paroles d’experts inclus) 440 pages - 2006 • Réconcilier la stratégie et l’opérationnel : l’approche « processus-compétences » Renée Demeestere, Vincent Genestet, Philippe Lorino 102 pages - 2006 • Flexi-sécurité : l’intervention des transitions professionnelles Danielle Kaisergruber 140 pages - 2006 • Être cadre, quel travail ? sous la direction de Yves-Frédéric Livian 288 pages - 2006 • Troubles musculosquelettiques et travail : quand la santé interroge l’organisation Fabrice Bourgeois, Claude Lemarchand, François Hubault, Catherine Brun, Alexis Polin, Jean-Marie Faucheux, Philippe Douillet, Emmanuel Albert 320 pages - 2006 • Comprendre le travail pour le transformer : la pratique de l’ergonomie François Guérin, Antoine Laville, François Daniellou, Jacques Duraffourg, Alain Kerguelen Réimpression de l’édition de 1997 320 pages - 2006 • Développer les capacités des hommes et des territoires en Europe sous la direction de Robert Salais et Robert Villeneuve (traduction de l’édition anglaise parue aux Presses de l’Université de Cambridge) 456 pages - 2006 • Élaborer des référentiels de compétences sous la direction de Christian Jouvenot et Michel Parlier Préface de Daniel Atlan 464 pages - 2005 • Changer le travail… oui mais ensemble Henri Rouilleaut, Thierry Rochefort Préface de Jean Gandois et postface de Jean-Christophe Le Duigou 512 pages - 2005 L e congrès 2011 est structuré autour de deux thèmes principaux, traversés par des préoccupations telles que l’évaluation des interventions et la spécificité des secteurs et des populations : quelle place accorder aux risques psychosociaux et aux outils pour prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS) ? Les liens entre TMS et risques psychosociaux La médiatisation du thème des risques psychosociaux conduit à explorer leurs interactions avec la prévention des TMS. Quelles questions sur l’organisation du travail ? Comment faire un diagnostic intégrant tous les facteurs de risque ? Comment construire une intervention institutionnelle sans réelle demande ? Quelles spécificités du secteur des relations de service ? Qu’entend-on par charge émotionnelle ? Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de la prévention Les outils et méthodes sont nombreux dans le domaine du diagnostic des TMS. En quoi la production de données sur les expositions conduit les acteurs à s’engager dans l’action ? Quels sont les outils pertinents ? Quelle transformation de ces outils dans la pratique des acteurs de la prévention ? Quelles sont les limites des outils existants ? En quoi les outils permettent-ils de tenir compte de la diversité des population et de la variabilité des situations de travail ? Avec tous nos remerciements • Aux membres du comité scientifique du groupe francophone sur les TMS pour la préparation scientifique de ce congrès : Michel Aptel (Chercheur Professeur, CHU Besançon, France), Agnès Aublet-Cuvelier (Chercheur, INRS, France), Marie Bellemare (Chercheur, Université de Laval, Canada), René Brunet (Chercheur LEEST, France), Sandrine Caroly (Enseignant-chercheur, PACTE, France), Fabien Coutarel (Enseignant-chercheur, Université de Clermont-Ferrand, France), Denis Denys (Chercheur, IRSST, Canada), Alain Delisle (Chercheur, Université de Sherbrooke, Canada), Alexis Descatha (Chercheur, UVSQ Inserm, France) Marie-José Durand (Chercheur, Université de Sherbrooke, Canada), Évelyne Escriva (Chargée de mission, ANACT, France), Ohtmane Ghomari (Chercheur, Université Djilali Liabes, Algérie) Catherine Ha (Chercheur, InVS, France), Nicolas Hatzfeld (EnseignantChercheur, Université d’Évry, France), Taouffi Khalfallah (Médecin du travail, Université de Tunis Tunisie), Fabienne Kern (Enseignant-Chercheur, IST, Suisse), Annette Leclerc (Chercheur, INSERM, France), Sylvie Ouellet (Chercheur, IRSST, Canada), Alain Piette (Ergonome attaché au Service public fédéral, Belgique), Johanne Prévost (Ergonome-Conseillère en prévention, CSST, Canada), Yves Roquelaure (Professeur, LEEST, France), Marie Saint-Vincent (Chercheur, IRSST, Canada), Adriana Savescu (Chercheur, INRS, France), Pascal Simonet (Doctorant, CNAM Paris, France), Susan Stock (Médecin et chercheur, INSPQ, Canada), Ghislaine Tougas (Ergonome, DSP de Montréal, Canada), Georges Toulouse (Chercheur, IRSST, Canada), Annie Touranchet (Médecin-inspecteur, DIRECCTE, France), Nicole Vézina (Professeur, UQAM, Canada). • Aux membres du comité d’organisation pour la préparation logistique du congrès : Jack Bernon (ANACT, France), Élisabeth Blanc (PACTE, France), Thierry Bontems (PACTE, France), Frédéric Bottala (UPMF, France), Sandrine Caroly (PACTE, France), Christelle Casse (PACTE, France), Amélie DePhuoc (Université de Lyon, France), Évelyne Escriva (ANACT, France), Gilles Heude (ANACT, France), Nicole Geoffray (ANACT, France), Catherine Guibbert (ANACT, France), Catherine L’Allain (PACTE, France), Delphine Lamborot (ANACT, France), Aurelie Landry (UPMF, France), Elsa Laneyrie (UPMF, France), Martine Milleret (Ethic Ergonomie, France), Catherine Morel (PACTE, France), Julie Pavillet (UPMF, France), Agnès Rochette (PACTE, France), Jérémie Schneider (PACTE, France), Hassan Skaiky (PACTE, France), Véronique Strippoli (PACTE, France), Stéphanie Tillement (PACTE, France), Tiphanie Viney (PACTE, France), Hedi Zammouri (PACTE, France) • À l’ensemble des intervenants pour la qualité de leur présentation. La présente édition des ACTES du 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques a été assurée par Christian Mahoukou du Département Transfert et Communication (DTC) de l’ANACT. Sommaire Introduction générale au congrès 2011 du groupe de recherche francophone sur les tms Nicole Vézina, Alexis d’Escatha, Sandrine Caroly, Évelyne Escriva p. 2 Session 1 - Introduction des thèmes transversaux p. 4 Les enjeux de l’évaluation des interventions pour la prévention des TMS : pourquoi et comment apprécier les effets d’une action de prévention ? » Fabien Coutarel p. 5 Diversité des populations et TMS : causes, associations ou facteurs de confusion ? Karen Messing p. 10 Diversité des acteurs : quelles coopérations pour la prévention des TMS ? Sandrine Caroly p. 16 Session 2 - Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) p. 20 Usure physique, usure psychique : entre convergences et décalages, quelques repères historiques. Nicolas Hatzfeld p. 21 Session 3 - Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ? p. 27 Souffrance sociale, répression psychique et troubles musculosquelettiques. Philippe Davezies p. 28 TMS-RPS : l’hypothèse de l’hypo-sollicitation de l’activité. Yves Clot p. 29 Session 4 - Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) p. 30 Facteurs de risque psychosociaux et TMS. Annette Leclerc p. 31 Les relations entre les TMS et les risques psychosociaux au travail : un modèle conceptuel. Susan Stock p. 32 Atelier 1 - L’organisation de la prévention des TMS et des RPS - Évelyne Escriva, Marie Saint-Vincent p. 33 Organiser la prévention des TMS et RPS : proximités et différences. Une réflexion à partir des pratiques d’entreprises. Evelyne Escriva, Philippe Douillet p. 34 Des TMS aux RPS, vers une approche globale du travail. Cécile Briec, Yannice Clochard p. 39 Traiter de « surcharge de travail », une intégration des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux. Micheline Boucher p. 46 Les pratiques de management : un incontournable dans la prévention des risques psychosociaux au travail. Michel Vézina, Carole Chénard p. 47 De l’intérêt de lier « TMS » et « RPS » : quelles implications pour l’organisation de l’action de prévention ? Fabien Coutarel p. 51 Atelier 2 - Relations de service, charge émotionnelle et affects - George Toulouse, Marie Bellemare, Corinne Van de Weerdt p. 56 Introduction sur la prise en compte des émotions et des affects dans les relations de service. Corinne Van De Weerdt p. 57 Approche ergonomique des risques psychosociaux associés aux TMS : l’étude de la charge émotionnelle des préposés au service d’urgence de la sécurité publique. George Toulouse, Louise St-Arnaud, Anne Marché-Paillé, Denis Duhalde, Alain-Steve Comtois, Alain Delisle p. 62 La qualité du travail : un enjeu majeur pour le développement de la santé. Johann Petit, Bernard Dugué p. 68 L’induction d’émotions positives au cours des soins aux patients désorientés comme facteur de protection des TMS chez les soignants. Pierre Poulin, Julie Bleau p. 69 Atelier 3 - Environnement psychosocial du travail : définitions et outils pour le caractériser - Susan Stock , Fabienne Kern Environnement psychosocial du travail : définitions et concepts - Susan Stock p. 74 p. 75 L’intérêt de l’analyse de l’activité en complément de tout outil d’évaluation de l’environnement psychosocial. Fabienne Kern p. 82 Outils pour apprécier les aspects socio-organisationnels lors d’une intervention de prévention : l’expérience des praticiens. Marie Bellemare, Geneviève Baril-Gingras p. 86 Atelier 4 - Les conditions physiques et psychosociales de retour au travail suite aux TMS. Alexis Descatha, Marie-José Durand p. 91 Quand la recherche s’impose au présent - Marie-José Durand p. 92 Approche bio-psycho-sociologique des troubles musculosquelettiques (TMS) en médecine physique et réadaptation Influence des facteurs professionnels sur le processus de réadaptation. Bernard Fouquet p. 96 Les indicateurs de situation de handicap au travail : la perspective du clinicien. Nicole Charpentier p.105 Point de vue du médecin du travail en France. Jacques Lapierre, Martine Soulatzky p.107 Atelier 5 - La fonction du geste dans la reconquête du sens au travail : Une question de reconnaissance. Pascal Simonet, Sandrine Caroly p.108 Développement du geste et prévention des TMS. Gabriel Fernandez L’analyse des gestes professionnels et de leurs dilemmes dans différentes instances au sein de l’entreprise Question de reconnaissance ? Edwige Quillerou-Grivot p.114 L’examen du geste professionnel en situation de formation, clé de compréhension pour la prévention durable des TMS. Bertrand Poete p.121 Former pour faire de la qualité : quelle reconnaissance pour les gestes professionnels ? Un exemple dans le secteur de l’industrie automobile. Karine Chassaing p.125 Session 5 - Synthèses p.135 Synthèse 7 Congrès international sur la prévention des troubles musculosquelettiques liés au travail (Premus 2010). Yves Roquelaure, Annette Leclerc p.136 Session 6 - Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention p.139 ormes, législation, outils, valeurs limites, mesures…Pour mieux prévenir les TMS ? Influence de la réglementation, N des normes, des valeurs limites, les outils, des chiffres… Pour mieux prévenir les TMS ? Alain Piette p.140 Doit-on parler d’outil ou de démarche ? Pas de prévention des TMS sans une réinterrogation des hypothèses managériales. François Daniellou p.148 p.109 e Atelier 6 - Réglementation et directives sont-elles des leviers de prévention ? Alain Piette, Nicolas Hatzfeld Vers un nouveau cadre réglementaire au niveau européen. L’initiative de la Commission en matière d’ergonomie et de troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle : état de lieu et discussion. Antonio Cammarota p.149 p.150 Regard comparé sur la prévention des TMS dans les pays francophones (France, Belgique, Suisse, Québec, Algérie). Loïc Lerouge p.151 Normes et règlementations, des outils au sein des entreprises ? Roland Gauthy p.156 L’entreprise face aux obligations légales en matière de prévention des TMS. L’environnement législatif français, carcan ou ressort dans le domaine de la prévention des TMS ? Dr François Becker p.161 L’inspection du travail au Québec : parfois un levier pour la prévention des TMS.Marie Saint-Vincent, Maud Gonella, Denys Denis, Daniel Imbeau, Karine Aubry p.164 Atelier 7 - Adaptation et appropriation des outils au service de la prévention des TMS. Agnès Aublet-Cuvelier, Sylvie Ouellet p.171 L’outil SALTSA dans un service interentreprises de santé au travail :un exemple d’utilisation. D. Leclerc, J.-P. Brion p.172 Le procès cadre vert : comment le travail peut aider à rester actif. Jean-Pierre Meyer, Jean-Luc Mochel p.176 Une formation-action comme outil de prévention des TMS ,dans le secteur viticole : leviers et freins identifiés par le biais de la recherche évaluative. Rachel Barbet-Detraye, Aurélie Landry, Arnaud Tran Van p.182 De l’outil Muska à la démarche de prévention des TMS, quelles appropriations ? Comparaison entre une PME et une grande entreprise. Xavier Merlin, Jean-François Thibault, Alain Garrigou p.189 Méthode et outils de mobilisation des entreprises. Michel Aptel, René Brunet, Ghislaine Tougas, Nicole Vézina p.196 Atelier 8 - Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de la prévention. Michel Aptel, René Brunet, Ghislaine Tougas, Nicole Vézina p.196 Introduction : mobilisation et intervention - des relations à élucider. René Brunet p.197 Quel bilan de la campagne de communication TMS 2008-2010. Lionel Groléas, Agnès Lebret, Pascal Étienne p.197 Mobilisation de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes. Jérôme Chardeyron p.205 Comment amener une entreprise à s’intéresser à la prévention des TMS ? Une démarche de mobilisation à la prévention des TMS. Ghislaine Tougas p.210 Atelier 9 - Mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans l’analyse des gestes. Denys Denis, Adriana Savescu p.214 Démarche pluridisciplinaire pour le développement d’un outil de travail plus approprié. Jean-Claude L’Huillier p.215 La pluridisciplinarité au service de la prévention des TMS : quand l’association entre psychologie du travail et biomécanique devient, pour les professionnels, support d’analyse des gestes de métier. Pascal Simonet, Adriana Savescu, Clarisse Gaudez, Agnès Aublet-Cuvelier, Muriel Van Trier p.221 Préparer le Lys des Incas en qualité et en sécurité : une intervention pluridisciplinaire dans le secteur de la floriculture colombienne. Nelcy Arevalo Pinilla p.227 Du mouvement à la représentation du travail, collaboration pluridisciplinaire dans un CAT. Arnaud Désarménien p.234 L’approche du geste dans un groupe aéronautique : construction de la pluridisciplinarité et développement de la prévention des TMS à partir d’un dispositif de formation. Michèle Bassargette, Olivier Decourcelle, Laurent Guisot, Sylvie Martin-Boulineau, Sonia Sutter p.240 Atelier 10 -La surveillance épidémiologique et le suivi des statistiques de santé en entreprise : comment les « chiffres » peuvent-ils aider à la compréhension des TMS ? Catherine Ha, Susan Stock, Évelyne Escriva p.246 Construction d’indicateurs synthétiques à partir des données de surveillance épidémiologique des TMS. Catherine Ha, Julien Brière, Julie Plaine, Natacha Fouquet, Ellen Imbernon, Yves Roquelaure, Natacha Fouquet p.247 La surveillance épidémiologique des TMS au Québec et son application pour favoriser la prévention des TMS par le Réseau québécois de santé publique en santé au travail. Susan Stock, Paule Pelletier p.249 Les enjeux de la surveillance des TMS en Algérie. Othmane Ghomari, Benali Beghdadli, Abdelkrim Kandouci p.251 Stivab, une étude pluridisciplinaire sur la santé et les conditions de travail dans la filière viande bretonne. Quelles difficultés à mettre en débat les résultats et à passer de l’étude à l’action ? Patrick Morisseau, Adeline Pornin p.256 Les affections périarticulaires et les données « chiffrées » dans l’entreprise. Daniel Depincé, Joël Maline p.260 Introduction Introduction au congrès 2011 du Groupe de recherche francophone sur les TMS icole Vézina, Alexis d’Escatha, N Sandrine Caroly, Évelyne Escriva présidents du GRF-TMS et co-présidentes du congrès 2011 À l’occasion de ce troisième congrès du GRF-TMS, il apparaît utile de rappeler l’évolution de ce groupe, ses objectifs et son fonctionnement puisque l’organisation de ce congrès est à son image. Il s’agit en effet d’une organisation particulière qui se distingue et qu’il importe donc de clarifier. On comprendra mieux aussi pourquoi le Groupe a orienté le congrès autour de ces deux thèmes principaux : les liens entre TMS et risques psychosociaux et les méthodes et outils pour la prévention. Le GRF-TMS existe depuis 1998, alors que l’un des volets d’un projet financé par l’Inserm (1998-2002, France) visait « la formalisation d’un réseau multidisciplinaire sur les affections périarticulaires en milieu de travail ». Il s’agissait en fait de la consécration d’un groupe s’étant peu à peu constitué à l’initiative de l’ANACT qui avait organisé des rencontres de chercheurs de disciplines variées, tous engagés dans la recherche sur les TMS en milieu de travail1. Dès lors, le groupe s’est élargi à des chercheurs de la Belgique et du Québec et depuis, avec les années, d’autres chercheurs de pays francophones se sont joints au Groupe et proviennent de l’Algérie, du Luxembourg, de la Suisse et de la Tunisie. Le GRF-TMS ne permet pas seulement le rassemblement de chercheurs de différents pays, mais aussi et peut-être surtout, la réunion de chercheurs de différentes disciplines dont la préoccupation commune est la mise en place d’une prévention efficace et durable des TMS. Les chercheurs du Groupe proviennent aussi de diverses institutions, mais portent un point de vue collectif sur la nécessité d’une action concertée. Cette caractéristique du Groupe est très importante puisque le fait de poursuivre un but commun permet de rapprocher les disciplines, de montrer l’intérêt tant des approches qualitatives que quantitatives ou mixtes et de créer une réelle proximité favorisant une plus grande cohésion et un enrichissement des questions de recherche et des protocoles. La nécessité pour le GRF-TMS de rapprocher le développement de nouvelles connaissances par la recherche de l’organisation des actions de prévention dans les milieux de travail, a eu deux effets : d’une part, l’intégration dans le GRF-TMS de praticiens chercheurs et de praticiens collaborateurs à des projets de recherche et, d’autre part, l’organisation de congrès ayant comme principal objectif de créer un lieu de rendez-vous entre les chercheurs et les praticiens. L’intention est de permettre un échange réciproque de connaissances issues de la recherche et de la pratique. Le premier congrès a eu lieu à Nancy en 2002, le second à Montréal en 2005 et ce troisième congrès, à Grenoble. À chaque fois, différentes institutions se sont impliquées dans l’organisation matérielle, tant des instituts de recherche que des organismes de prévention. 2 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’organisation scientifique du congrès se fait de façon particulière. Des discussions ont d’abord lieu entre les membres pour identifier des thèmes d’intérêt, soit d’un point de vue de partage de connaissances, soit pour le développement d’actions efficaces de prévention ou de maintien au travail, soit pour susciter un débat sur des enjeux importants en lien avec la prévention des TMS. Une équipe se forme ensuite autour de chacun des thèmes. Ces équipes sont constituées de deux ou trois membres du Groupe qui deviennent les organisateurs d’un atelier portant sur l’un des thèmes identifiés. Ce sont ces organisateurs qui développent une proposition précisant les objectifs de leur atelier et les intervenants qui pourront être invités à faire une communication. Ces propositions sont ensuite discutées avec l’ensemble des membres du Groupe à l’occasion de conférences téléphoniques internationales visant la coordination des différents ateliers entre eux et la cohérence de l’ensemble du congrès. Un comité central assure l’animation du Groupe. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Introduction Les organisateurs sont invités à favoriser dans leur atelier, la mise en application de trois principes importants pour le GRF-TMS : les échanges interdisciplinaires, l’implication des praticiens dans les communications et l’espace de débat avec les participants au congrès. Ces principes sont de mieux en mieux respectés depuis le premier congrès et en particulier pour ce troisième congrès. C’est ainsi que dix ateliers ont été organisés, dont cinq au cours d’une première journée qui se consacrera aux liens entre TMS et risques psychosociaux. Comment en effet ignorer l’appel qui est lancé quant aux impacts des risques psychosociaux tant au niveau de la santé physique que mentale ? Les préventeurs sont interpelés dans tous les pays à ce sujet et les membres du GRFTMS veulent souligner l’importance dans ce débat d’un modèle multidimensionnel de la personne au travail et d’une approche systémique de la prévention. La deuxième journée regroupe les ateliers dont les thèmes sont en lien avec les méthodes et outils mobilisés par ou pour les acteurs de la prévention. Plusieurs chercheurs ont été impliqués dans le développement d’outils, mais répondent-ils vraiment aux besoins des praticiens et sont-ils adaptés au contexte des entreprises ? Comment les outils, méthodes, moyens, normes ou données de surveillance sont-ils utilisés ou peuvent-ils être utilisés dans la pratique pour la prévention ? Une particularité du congrès 2011 est le fait d’avoir proposé trois thèmes transversaux afin de pouvoir réfléchir ensemble à de nouvelles questions pour la recherche et à des préoccupations pour la pratique : l’évaluation des interventions, la diversité des populations au travail et les acteurs en entreprise. Le GRF-TMS compte aujourd’hui 32 membres dont 22 sont des organisateurs des ateliers du congrès 2011. Ils ont invité à communiquer 56 personnes : des praticiens, des chercheurs, des représentants de différents organismes. Malgré son ouverture aux apports importants des collègues de pays non-francophones dont le congrès Premus peut témoigner, le Groupe maintient son qualificatif de francophone puisqu’il y a intérêt à faciliter l’expression des points de vue propres au monde francophone. Il maintient aussi son caractère informel et, comme le rapportait Michel Aptel, animateur du GRF-TMS à la suite d’Annette Leclerc, de 2002 à 2008, « le Groupe a un caractère informel qu’il revendique. Ce Groupe est d’abord le moyen d’échanger et son mode de fonctionnement doit rester souple et peu formalisé »*. Le congrès proposé pour 2011 se veut aussi une occasion de rappeler publiquement que les TMS dans les milieux de travail représentent un phénomène complexe, difficile à cerner et à étudier, mais que l’organisation efficace des actions de prévention doit représenter une priorité de la santé publique et de la santé au travail. C’est à se demander si le terme congrès est bien approprié ou faudrait-il parler de rassemblement, de forum ou de manifestation ? - 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 * Voir à ce sujet le texte de Michel Aptel (2006), intitulé : Groupe de recherche francophone sur les TMS : « Une belle histoire de chercheurs ». 3 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Session 1 4 ISBN : 978-2-913488-68-4 Introduction des thèmes transversaux 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Les enjeux de l’évaluation des interventions pour la prévention des TMS : pourquoi et comment apprécier les effets d’une action de prévention ? abien Coutarel F Clermont Université, Université Blaise Pascal, EA 4281, PAEDI (France) L ’amélioration de la performance des interventions conduites en milieu de travail constitue un enjeu majeur pour la prévention des troubles musculosquelettiques (TMS). Apprendre de ses actions sur la base de données fiables, là est la plupart du temps situé l’enjeu de l’évaluation des interventions visant la prévention des TMS. La prévention ne peut être réduite à une application des modèles étiologiques disponibles. En effet, dans le cadre de l’intervention ergonomique, la prévention suppose une mobilisation d’acteurs singuliers selon des formes adaptées non définissables par avance, dans des contextes spécifiques (culturels, sociaux, économiques…), auxquels il faut également s’adapter. L’amélioration de nos actions nécessite une meilleure compréhension du passage des connaissances étiologiques générales aux actions dans des contextes singuliers. L’évaluation des interventions vise précisément à construire une meilleure compréhension des relations entre le déroulement, le contexte et les effets de ces interventions (Berthelette et coll., 2008 ; IRSST 2008 ; Landry et coll., 2006). Nous nous proposons ici de centrer nos propos sur l’évaluation des effets des interventions. Ce faisant, nous souhaiterions souligner ici un autre enjeu essentiel de l’évaluation des interventions : favoriser l’acceptabilité de démarches de prévention de plus en plus ambitieuses. L’enjeu : favoriser l’acceptabilité de démarches de plus en plus ambitieuses De nombreuses entreprises sont aujourd’hui prêtes à s’engager dans des actions de préventions des troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle. Cet engagement des directions ne se fait jamais sans craintes. Celles-ci justifient le fait que le périmètre de l’action confiée aux intervenants est très souvent restreint dans un premier temps. Les actions de prévention les plus ambitieuses et les plus efficaces sont toujours celles qui succèdent à des actions préalables plus réduites. Les connaissances existantes et stabilisées concernant les démarches de prévention des TMS les plus efficaces insistent sur trois caractéristiques essentielles : la transformation de l’organisation du travail, la mobilisation des acteurs internes, et l’intégration des questions de santé au travail dans les projets de conception. Cependant, il existe un décalage important entre l’état des connaissances concernant les actions de prévention les plus efficaces et ce à quoi sont prêtes dans un premier temps les entreprises se lançant dans la prévention. L’enjeu du développement de la prévention passe donc selon nous par le développement de notre capacité à convaincre nos commanditaires de passer d’initiatives réduites dans un premier temps, à des démarches plus ambitieuses ultérieurement. Ainsi la question de l’évaluation des interventions visant la prévention des TMS est convoquée, et surtout, si l’on se place du côté du commanditaire, préoccupé par l’évaluation des effets de ces interventions. Cet enjeu d’évaluation des interventions doit être tenu très tôt dans l’intervention, dès l’analyse de la demande. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Il est donc possible (voire nécessaire ?) de répondre favorablement à des demandes d’intervention offrant un champ réduit d’investigation et de transformation, présageant d’effets limités en termes de prévention, à condition de positionner précocement l’évaluation de l’action comme un réel enjeu du projet. La compétence de l’intervenant en matière de prévention des TMS consistera à prévoir et à assurer une cohérence entre ce qui peut être atteint (résultats), compte tenu des ressources proposées (temps, implications des acteurs de l’entreprise, périmètre des transformations possibles…), et de comparer cela aux objectifs formulés par le commanditaire. L’intervenant cherchera aussi à mettre en visibilité les effets non attendus de l’intervention. 5 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Ceci conduira donc souvent à renégocier les objectifs et/ou les moyens, et à accepter d’intervenir tout en formalisant des objectifs atteignables. C’est à cette condition, qu’à la fin de l’action, lorsque viendra le temps du bilan et que le nombre de TMS n’aura pas diminué, mais que l’intervenant aura néanmoins démontré son efficacité compte tenu du périmètre négocié (sur la base d’indicateurs pertinents), que la crédibilité et le positionnement de l’intervenant seront renforcés. En ne le faisant pas, il prend le risque de laisser l’évaluation finale de son action libre de tout cadrage pertinent. Et, le premier réflexe de nos interlocuteurs sera « naturellement » de regarder l’évolution avant/après des plaintes. Du suivi des symptômes… Suivre l’évolution des symptômes de TMS afin d’évaluer une intervention pose de nombreux défis méthodologiques (Coutarel et coll., 2009). Les études longitudinales sont difficiles à réaliser en milieu de travail car le suivi dans le temps d’une cohorte de travailleurs exposés, d’un nombre suffisant, avec un pourcentage de perdus de vue aussi faible que possible, sans variation de l’exposition pendant la période d’exposition est une action épineuse, tant ces conditions sont difficiles à réunir dans un environnement économique et technique changeant (Dugué, 2006 ; Aublet-Cuvelier coll., 2006), où la flexibilité des organisations est perçue comme le principal atout économique. Les modalités de recueil des symptômes méritent aussi une certaine vigilance : les auto-questionnaires permettent souvent de suivre un nombre important de travailleurs mais la fiabilité des données est aussi parfois discutable en fonction de la compréhension et de l’interprétation des questions, du climat social dans l’entreprise… L’implication du médecin du travail, y compris pour procéder par exemple à un examen clinique standardisé très utile s’il peut être mobilisé. Évaluer l’efficacité d’une intervention sur la base du suivi des symptômes pose un autre problème majeur : si certains déterminants prééminents des TMS-MS sont modifiables par des interventions en entreprise visant à réduire l’exposition aux contraintes biomécaniques (intensité des efforts, conditions posturales de réalisation des efforts, répétitivité des efforts, environnement de travail) ou aux contraintes psychologiques et sociales de réalisation du travail (interruptions de tâches, autonomie dans le travail et marges de manœuvre, soutien collectif et hiérarchique, etc.), les modèles de risque disponibles montrent que cela ne porte que sur une fraction du risque de TMS (Roquelaure, 2010). Ceci signifie que, dans l’hypothèse, où l’intervenant pourrait agir significativement sur l’ensemble des déterminants professionnels identifiés par son diagnostic initial, demeurerait un certain nombre de cas de TMS. Comme, par ailleurs, cette « situation idéale » d’intervention n’existe pas, et donc qu’un certain nombre de déterminants des TMS demeure hors de portée de transformation pour l’intervenant, la probabilité que les symptômes de TMS soient encore présents après « une intervention réussie » est également assez importante. Enfin, si la population de travailleurs concernés n’est pas suffisamment importante, il ne sera pas possible de maîtriser statistiquement les spécificités liées aux acteurs : effet travailleur sain, vicariance des symptômes, travailleurs très fragilisés moins sensibles aux améliorations… Or l’intervention globale, systémique et participative – constituant par ailleurs le modèle d’intervention reconnu comme étant le plus efficace) est souvent conduite sur un périmètre réduit de travail (un atelier, un service, une équipe…). …aux marges de manœuvre 6 ISBN : 978-2-913488-68-4 Nous venons de le préciser : évaluer sérieusement une intervention sur la base de l’évolution des symptômes de TMS constitue autant un défi qu’un risque. Ce risque concerne à la fois l’intervenant et sa crédibilité, et la prévention de manière générale : favoriser l’acceptabilité par les entreprises de démarches de plus en plus ambitieuses. Ceci ne peut pour autant conduire à dédouaner l’intervenant de toute évaluation des effets de son action. Mais sur quels critères ? 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux L’ergonomie de l’activité propose un modèle (Guérin et coll., 1997). Les principales caractéristiques que cette approche retient de l’activité de travail sont les suivantes (Daniellou et Rabardel, 2005) : 1. l’activité de travail est finalisée par un ou plusieurs buts qui ne sont pas toujours évidents ; 2. la relation entre le sujet et l’objet est médiée par les dispositifs techniques, les schèmes individuels et leur organisation, eux-mêmes marqués du contexte social, culturel et historique du sujet ; 3. l ’activité est toujours singulière ; 4. l ’activité est porteuse de son histoire ; 5. l’activité comporte toujours une dimension collective, autrui pouvant être présent à travers les instruments, les outils, les règles ou les procédures ; 6. l ’approche de l’activité doit être intrinsèque, c’est-à-dire à même de saisir les rationalités qui motivent les régulations mises en œuvre par les travailleurs ; 7. enfin, l’activité est intégrative, c’est-à-dire que sa construction répond à un grand nombre de déterminants. Ainsi, une telle approche du travail tentera d’articuler les dimensions systémiques, dynamiques, historiques et culturelles de cette activité, en respectant la diversité des individus et leurs rationalités propres. En mettant l’accent sur les déterminants des facteurs de risque, cibles privilégiées de l’action de transformation du milieu de travail, l’ergonomie de l’activité définit les TMS comme un symptôme parmi d’autres possibles d’un dysfonctionnement organisationnel général du système de production de biens ou de services, où le déficit de marges de manœuvre des différents acteurs de l’organisation apparaît central (Vézina, 2001 ; Coutarel, 2004). Les marges de manœuvre des travailleurs, pour faire face aux variabilités du travail, apparaissent centrales du point de vue des déterminants des facteurs de risque de TMS. Ces marges de manœuvre dépendent de l’expérience, du collectif, des espaces techniques et outils, de l’organisation… elles sont internes (du côté du sujet) et externes (du côté du milieu). Les marges de manœuvre constituent donc cette disponibilité du sujet et cette perméabilité du milieu favorisant le maintien d’un certain niveau de performance tout en tenant compte des aléas d’une situation de travail. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Face aux difficultés de l’évaluation basée sur le suivi des symptômes, il nous paraît utile de développer des travaux qui permettraient d’opérationnaliser ces marges de manœuvre comme indicateurs opérationnels d’évaluation. Ceux-ci pourraient concerner différentes catégories. Voici quelques exemples, repris de Coutarel et coll. (2009) : • Concernant l’organisation du travail : -- Les différentes prescriptions dont les travailleurs sont la cible sont-elles négociables en cas de difficulté ? Sont-elles compatibles entre elles ? -- Quelles sont les possibilités pour les travailleurs de réguler le déroulement de leur activité de travail (procédures, modes opératoires, gestes professionnels, cadence…) ? • Concernant les capacités individuelles et collectives pour faire face : -- Le changement s’accompagne-t-il du développement de l’activité des travailleurs (participation des salariés au projet, formation, possibilité d’entraide, connaissance du système de production dans son ensemble…) ? -- Le projet a-t-il contribué à renforcer le collectif de travail afin qu’il se construise en ressource pour chaque travailleur ? • Concernant l’amont et l’aval des situations concernées par les transformations : -- Les transformations réalisées ont-elles des impacts sur d’autres situations de travail situées en amont ou en aval ? De quelles natures sont ces impacts au sein de la structure ? -- Le projet a-t-il un impact aussi sur des acteurs externes de l’entreprise (institutionnels, clients, fournisseurs) ? De quelles natures sont ces impacts à l’extérieur de la structure ? • Concernant les outils de gestion de la vie de l’entreprise : -- Le projet a-t-il permis de faire évoluer les outils de gestion en place ? -- De nouveaux outils et/ou indicateurs issus de l’analyse du travail réel sont-ils implémentés ? De quelles natures sont ces changements ? • Concernant la conception des outils et espaces de travail : -- Comment les variabilités des situations de travail rencontrées sont-elles prises en compte dans la conception des situations de travail ? -- Les outils et espaces de travail peuvent-ils être adaptés ou changés facilement ? Sont-ils adaptables ? 7 Session 1 Introduction des thèmes transversaux • Concernant les concepteurs des organisations : -- Le projet a-t-il fait, auprès des décideurs et de l’encadrement, la démonstration de l’intérêt de la participation des travailleurs aux projets de conception ? -- Le projet a-t-il permis d’améliorer les conditions de travail de ceux qui ont la mission d’organiser le travail des autres (l’encadrement notamment) ? -- Le projet a-t-il permis aux décideurs et à l’encadrement de mieux connaître la réalité des contraintes du travail (changement des représentations) ? • Concernant l’organisation des projets : -- Le projet a-t-il permis de transformer les pratiques de l’entreprise en termes de conduite de projet (structuration sociale et technique des projets, démarche, outils…) ? -- Les différents acteurs concernés par le projet sont-ils impliqués selon des modalités différenciées et explicites (missions, modalités, temporalités), fondées sur les connaissances actuelles en termes de conduite de projet ? • Concernant le pouvoir de décision de la direction du site : -- Le projet a-t-il contribué à augmenter l’autonomie dont dispose la direction dans les décisions concernant la gestion du site (la conduite du changement, la conception, les modalités d’organisation du travail, la gestion de la production), par rapport à ses collaborateurs (actionnaires, groupe auquel le site appartient, clients, fournisseurs) ? Conclusion Si le souci de l’évaluation des interventions n’est pas nouveau dans le champ de la prévention des TMS, la thématique est émergente dans le monde scientifique. Cette préoccupation grandissante des chercheurs nous semble s’inscrire dans un paradoxe aujourd’hui assez clair : alors que les connaissances sur l’intervention et les actions de prévention ont beaucoup progressé ces dernières années (…), que les intervenants perçoivent de plus en plus l’efficacité et la robustesse de leurs approches dans l’action, les critères mobilisés classiquement par l’entreprise autour de l’évolution des symptômes et des plaintes pour en apprécier les effets conduisent dans de nombreux cas à une évaluation négative de l’action. Il s’agit là selon nous d’un problème majeur pour la prévention des TMS de manière générale, et sans doute au-delà pour toute action de prévention en entreprise. En effet, les démarches de prévention les plus ambitieuses (celles qui touchent de manière sensible à l’organisation du travail, par exemple) se réalisent quand les décideurs de l’entreprise ont pu faire le constat de la relative inefficacité de démarches plus réduites (aménagement de poste, mise en place de rotations sont deux exemples classiques). Cela suppose la capacité des décideurs à intégrer le fait que les résultats insatisfaisants puissent être également expliqués par le caractère limité du champ des transformations possibles. L’évaluation des interventions constitue à ce titre un aspect majeur de toute démarche et suppose une vraie compétence des acteurs de prévention sur le sujet : « les modèles et connaissances concernant les TMS nous permettent de dire que le champ des transformations proposées dans le projet devrait conduire à tels résultats en termes de prévention. On peut comprendre que vous souhaitiez commencer par une action plus réduite. Il nous est possible de vous accompagner là-dessus : c’est important d’améliorer à court terme ce qui peut l’être, mais sachez également que vous ne règlerez par le problème initial à l’origine de votre demande. On vous propose d’intégrer au projet une dimension évaluative pour être en mesure de faire ensemble un bilan pertinent de l’action à son terme ». Ce raisonnement initial définit les conditions de l’interprétation ultérieure des résultats de l’action par les décideurs. 8 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’enjeu scientifique de l’évaluation des interventions ergonomiques nous paraît être double : • D’une part, l’intégration par les acteurs de la prévention de la nécessité de faire de l’évaluation une préoccupation extrêmement précoce. Il n’y a aucune raison pour qu’un responsable confie spontanément aux acteurs de la prévention les « clés de son organisation », alors que dans le même temps, les travaux de recherche montrent l’intérêt de situer l’action de transformation à ce niveau-là. L’évaluation doit permettre de redistribuer les responsabilités au terme de l’action, pour favoriser l’engagement des décideurs dans de nouvelles actions plus ambitieuses. • D’autre part, définir des critères qui puissent rendre compte des bénéfices associés à l’action ergonomique compte tenu du périmètre négocié des transformations possibles. Les effets d’une intervention 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux ergonomique sur les symptômes de TMS des travailleurs concernés par l’action sont très aléatoires et non maîtrisables. L’évolution des symptômes des travailleurs est influencée par de nombreuses autres dimensions que celles sur lesquelles l’intervenant a prise : la fraction de risque attribuable, l’effet travailleur sain, la fragilisation importante des personnes les plus exposées, des contraintes du travail sur lesquelles l’intervenant n’est pas autorisé à travailler, des dimensions sociétales comme le chômage… Ceci doit conduire à relativiser l’importance des symptômes des TMS dans l’évaluation des interventions ergonomiques et à élaborer de nouveaux indicateurs plus en lien avec ce sur quoi l’ergonome agit. La question scientifique de l’évaluation des interventions est également un débat épistémologique : quelle(s) démarche(s) scientifique(s) permet(tent) de tirer des leçons généralisables d’une intervention ergonomique ? Tous les contextes et démarches d’intervention sont-ils favorables à la mise en place des mêmes méthodes scientifiques ? Nous avons pu initier, dans le cadre du projet ANR mais également lors du dernier congrès PREMUS en 2010 avec la communauté scientifique internationale spécialisée sur les TMS, ce débat scientifique et épistémologique. Les premiers échanges témoignent de la volonté de dépasser les clivages classiques entre approches qualitatives des sciences humaines et sociales et approches expérimentales des sciences de la vie ou de l’épidémiologie, pour construire les conditions scientifiques de leur complémentarité, plutôt que les arguments en faveur de leurs exclusivités respectives. Cette problématique devrait constituer une perspective scientifique essentielle pour les années à venir, au bénéfice du développement de démarches rigoureuses d’évaluation des interventions. Références : Aublet-Cuvelier A., Aptel M, Weber H. (2006). The dynamic course of musculoskeletal disorders in an assembly line factory. International Archives of Environmental Health, 79, 578-84 Berthelette, D., Bilodeau, H., & Leduc, N. (2008).Pour améliorer la recherche évaluative en santé au travail. Santé publique, 20, sup. 3, 171-179. Coutarel, F. (2004). La prévention des troubles musculo-squelettiques en conception : quelles marges de manœuvre pour le déploiement de l’activité ? Laboratoire d’Ergonomie des Systèmes Complexes, Université Bordeaux 2, Collection Thèses & Mémoires Coutarel, F., Vézina, N., Berthelette, D., Aublet-Cuvelier, A., Descatha, A., Chassaing, K., Roquelaure, Y., Ha, C. (2009). Orientations pour l’évaluation des interventions visant la prévention des Troubles MusculoSquelettiques liés au travail. Pistes, Perspectives Interdisciplinaires Sur le Travail et la Santé (http://www. Pistes. uqam.ca/), 11, 2, 1-20. Daniellou, F., & Rabardel, P. (2005). Activity-oriented approaches to ergonomics : some traditions and communities. Theoretical Issues in Ergonomics Science, 6, 5, 353-357. Dugué, B. (2006). La folie du changement. L. Théry (dir), Le travail intenable. La Découverte, 95-118. Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J. & Kerguelen, A. (1997). Comprendre le travail pour le transformer. Editions de l’ANACT. IRSST (2008). Actes du 2ème Congrès Francophone sur les TMS. Montréal. Landry, A., Mary-Cheray, I., & Tayar, E. (2006). Proposition for evaluations of musculoskeleteal disorders preventive intervention. Proceedings of IEA 16th congress, Maastricht Roquelaure Y, Ha C, Fouquet N, Descatha A, Leclerc A, Goldberg M, et Imbernon E. (2009). Attributable risk of carpal tunnel syndrome in the general population : implications for intervention programs in the workplace. Scand J Work Environ Health, 35(5) :342-8. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Vézina, N. (2001). La pratique de l’ergonomie face aux TMS : ouverture à l’interdisciplinarité. Actes du Congrès SELF-ACE, 44-60. 9 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Diversité des populations et TMS : causes, associations ou facteurs de confusion ? aren Messing K Centre interdisciplinaire de recherche sur la biologie, la santé la société et l’environnement (CINBIOSE), Université du Québec à Montréal (Canada) D epuis 1993, l’équipe de recherche l’Invisible qui fait mal du CINBIOSE fait des recherches sur la santé des femmes au travail, en partenariat avec les structures en condition des femmes et en santésécurité des trois principales centrales syndicales du Québec, soit la CSN, la CSQ et la FTQ1. Les chercheures de l’équipe proviennent de plusieurs disciplines, incluant l’ergonomie, le droit, la sociologie, l’éducation corporelle et les communications. Nos recherches visent entre autres à : rendre visibles les contraintes et les exigences des tâches habituellement assignées aux femmes, comprendre les obstacles à l’intégration et le maintien des femmes dans les postes habituellement occupés par des hommes et comprendre les différences selon le genre observées au niveau des lésions professionnelles. Nous essayons plus récemment d’incorporer aussi une compréhension du rôle des différences de culture, d’ethnicité et de langue dans la prévention des lésions. Plusieurs parmi nous faisons partie du comité technique Gender and Work de l’Association internationale d’ergonomie, qui tient des ateliers réguliers sur l’ergonomie et le genre au Québec (et en France)2. Pendant nos études et discussions, nous entendons, le plus souvent, les deux questions suivantes : 1 - En intervention, on tient compte des facteurs sur lesquels on peut agir, mais on ne peut pas (même si on le voulait) intervenir sur les caractéristiques personnelles des travailleurs/ travailleuses ? Et on tient déjà compte des différences inter-individuelles dans les interventions. Qu’est-ce que cela ajouterait de tenir compte des différences de groupe (genre, sexe, âge, ethnicité, langue, catégorie sociale) quand on veut diminuer les TMS ? 2 - Je fais des analyses quantitatives de la relation entre les expositions aux facteurs de risque et les TMS. Je traite automatiquement le genre (l’âge, la catégorie socio-professionnelle, l’ethnie….) dans mes analyses en ajustant pour les facteurs de confusion, donc je n’ai pas besoin de tenir autrement compte du genre dans les analyses, n’est-ce pas ? Ce texte tente de répondre rapidement aux deux questions, en donnant des exemples issus de nos études et interventions. Ces études ont surtout concerné le sexe/le genre3,4, et l’appartenance aux minorités ethniques ou culturelles5. Interventions et différences inter-individuelles Pendant longtemps, les ergonomes hésitaient à considérer des phénomènes relevant des différences de groupe, en disant que l’ergonomie tient déjà compte des différences inter-individuelles. Ainsi, si les femmes sont plus petites en moyenne, ce n’est pas la moyenne qui compte, c’est l’ajustement du poste en fonction de la grandeur. Si les vieilles personnes ne sont plus capables de manipuler des charges, elles ne sont pas onfédération des syndicats nationaux, Centrale des syndicats du Québec, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec C International Ergonomics Association Technical Committee on Gender and Work. Proposal to create the committee. http://www.iea.cc/upload/technical_genderandwork.pdf ?phpMyAdmin=XPyBrlJQjtrNYKM50fpmCYvGm%2C8&phpMyAdmin=jLDUJrGUIxQ-3p3v5atPhaf1Xo8 consulté le 18 avril 2011. 3. Messing, K. 1999. La pertinence de tenir compte du sexe des ”opérateurs” dans les études ergonomiques : Bilan de recherches. PISTES 1(1). http://www.pistes.uqam. ca/v1n1/articles/v1n1a5.htm 4. Messing, K., Stock, S.R., Tissot, F. 2009. Should studies of risk factors for MSDs be stratified by gender ? Lessons from analyses of musculoskeletal disorders among respondents to the 1998 Québec Health Survey. Scandinavian Journal of Work Environment and Healt h 35(2) :96-112. 5. Premji, S., Duguay, P., Messing, K., Lippel, K. 2010. Are immigrants, ethnic and linguistic minorities over-represented in jobs with a high level of compensated risk ? Results from a Montréal, Canada study using census and workers’compensation data. American Journal of Industrial Medicine 53(9) :875-885. 1. 10 ISBN : 978-2-913488-68-4 2. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux seules à être faibles, et tous et toutes bénéficieront d’appareils de levage. Si les immigrants ou analphabètes ne sont pas capables de comprendre les consignes de sécurité sur les chantiers, il faut que les consignes soient claires pour tout le monde. Dans nos études et interventions, nous avons identifié plusieurs contextes où il est important de parler explicitement des caractéristiques des groupes, surtout s’il s’agit de groupes défavorisés : uand les membres d’un groupe sont explicitement assignés à des tâches spécifiques, en Q raison de leur appartenance au groupe Il est connu que les immigrants-es ne sont pas dans les mêmes emplois et secteurs de l’économie que les natifs, que les hommes et les femmes occupent des emplois spécifiques, que les jeunes et les moins jeunes, les plus ou les moins nantis, se retrouvent dans des postes différents, avec des conséquences pour l’incidence des TMS6,7,8,9, Mais même à l’intérieur d’un même titre d’emploi, les risques ne sont pas distribués de manière égale. L’exemple le plus évident est l’assignation du travail « lourd » aux hommes et du travail « léger » aux femmes. Nous avons étudié ce phénomène en rapport avec plusieurs emplois au Québec. Au Québec, les postes de travail « légers » et « lourds » des services de nettoyage des hôpitaux étaient originalement assignés respectivement aux femmes et aux hommes, de par la convention collective. Chaque poste comportait ses exigences particulières : les femmes étaient surtout assignées au dépoussetage, au lavage des toilettes et autres aménagements ; les hommes au lavage du sol et des murs. Une étude ergonomique a montré que le travailleur assigné au « lourd » levait en moyenne plus de charges et était parfois sollicité pour manipuler des charges lourdes ou pour entrer dans des situations dangereuses. La travailleuse assignée au « léger » changeait plus souvent de posture du tronc, faisait des manipulations plus rapides, et était sollicitée plus fréquemment quand il fallait faire des manipulations de précision ou un travail de qualité10. Chaque type de poste était associé à son lot de TMS : les hommes au dos, les femmes aux cou/épaules poignets et aux membres inférieurs. Une première réorganisation de ce travail (années 80) permettait à chaque groupe de postuler l’emploi traditionnellement assigné à l’autre, et une deuxième (années 2000) fusionnait les deux postes. Mais une étude a montré que les femmes continuaient à passer plus de temps à laver les toilettes et que les hommes continuaient à passer plus de temps à laver les planchers ; les types de TMS demeuraient un peu différents11. Nous avons observé ce genre de division des tâches selon le genre dans plusieurs emplois. Nous étions surprises de voir que quand les femmes entraient dans des postes de travail traditionnellement masculins, souvent l’équipe réorganisait le travail pour donner aux femmes le travail perçu comme plus « léger », laissant le « lourd » aux hommes. Caroly et collègues ont décrit ce type de phénomène chez les policiers et policières. Ce genre de division des tâches s’opère aussi en regard de l’âge : il a été démontré que, dans certains milieux, les vieux hommes (mais pas les vieilles femmes) sont assignés à des tâches légères12. Un phénomène analogue se retrouve quand on examine la répartition des blessures en fonction du statut social13. Puisque les équipes de travail ont tendance à organiser le travail selon les aptitudes perçues de chacun-e, il est probable que les stéréotypes d’ethnie, de couleur et de maîtrise de la langue jouent aussi dans l’exposition aux risques de TMS. 6. Eng A, ‘t Mannetje A, Ellison-Loschmann L, McLean D, Cheng S, Pearce N. 2011. Ethnic differences in patterns of occupational exposure in New Zealand. American Journal of Industrial Medicine 53(9) :875-885. Asselin S. 2003. Professions : convergence entre les sexes ? Données sociographiques 7(3) :6-8. Breslin FC, Polzer J, MacEachen E, Morrongiello B, Shannon H. 2007. Workplace injury or ”part of the job” ? : towards a gendered understanding of injuries and complaints among young workers. Soc Sci Med. 64(4) :782-93. 9. d’Errico A, Punnett L, Cifuentes M, et coll. (2007) Hospital injury rates in relation to socioeconomic status and working conditions. Occup Environ Med . 64 (5) : 325-33. 10. Messing, K., Chatigny, C., Courville, J. (1998) “Light” and “heavy” work in the housekeeping service of a hospital . Applied Ergonomics 29 (6) :451-459. 11. Calvet B, Riel J, Couture V, Messing K. (sous presse) Work organization and gender among hospital cleaners in Quebec after the merger of “light” and “heavy” work classifications. Ergonomics . 12. Torgén M, Kilbom A. 2000. Physical work load between 1970 and 1993-did it change ? Scand J Work Environ Health 26(2) :161-8. 13. Myers DJ, Lipscomb HJ. 2010. Informal social status among coworkers and risk of work-related injury among nurse aides in long-term care. Am J Ind Med. 53(5) :5147. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 8. 11 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Les intervenants-es ont le devoir de promouvoir la santé. Donc ils ne peuvent pas accepter, comme mécanisme de prévention, l’assignation du risque en fonction des caractéristiques présumées des individus. Des stéréotypes concernant les capacités et aptitudes pour la manipulation des charges, incitaient certaines personnes à exiger des hommes qu’ils s’exposent à des risques d’accident ou de violence physique.14,15 Puisqu’il faut plutôt réduire les expositions des hommes et des femmes, cela fait partie de l’intervention de déconstruire ce type de stéréotypes. Il faut par exemple amener une réflexion sur les définitions de la difficulté et de la « charge » de travail. Malheureusement, la déconstruction est difficile. Un syndicat québécois a développé un outil pour ce faire,16 mais a rencontré des difficultés à l’appliquer. Quand il y a de la discrimination contre un groupe qui affecte sa vie au travail, sa capacité d’exprimer des problèmes ou de se faire entendre ou d’être représenté dans les instances de décision Il existe de nombreux exemples de conditions de travail qui affectent un groupe plus que d’autres : la ceinture d’outils qui ne sied pas bien aux hanches des femmes ; les meilleurs tissus accordés aux couturières de même groupe ethnique que le garçon de plancher qui en fait la distribution17 ; des heures ou des jours de formation qui limitent l’accès à des personnes ayant des responsabilités familiales ou des adhérents d’une religion minoritaire ; des quarts de travail qui finissent tard le soir, mettant les femmes en danger pour le chemin de retour à la maison ; l’interdiction d’utiliser son téléphone au travail, ce qui affecte les personnes ayant des responsabilités familiales. C’est quand le groupe affecté souffre de discrimination, que le problème risque de ne pas être mentionné spontanément. On hésite de s’identifier à un groupe discriminé. Une étude canadienne montre que de jeunes hommes sentent une pression de ne pas exprimer leurs problèmes de santé au travail, de peur d’être mal perçus.7 Des travailleurs/euses peuvent aussi ne pas s’exprimer à cause d’un problème de langue.16 Des femmes dans des métiers non-traditionnels pourraient se taire parce qu’elles désirent « se fondre dans la masse ».18 En général, il est plus difficile pour des employés-es « au bas de l’échelle » de se faire entendre au travail. Dans ce cas les praticiens/nnes auront à intervenir pour identifier les blocages à l’amélioration des conditions. Études quantitatives et TMS Puisque nous essayons de faire en sorte que nos résultats de recherches influencent non seulement les milieux de travail locaux, mais aussi les politiques gouvernementales, les pratiques de droit et les normes, nous avons dû mener des études quantitatives, de manière à pouvoir généraliser nos résultats et tirer des conclusions pour la population. Par exemple, la juriste Katherine Lippel a examiné, avec des ergonomes et une épidémiologiste, un cas de non-indemnisation de TMS chez des travailleuses qui manipulaient des poids d’environ 1 kg, avec un cycle de travail de 3 secondes.19 Ce cas l’a incitée à examiner la jurisprudence entre 1987 et 1996 de manière systématique. Par des analyses quantitatives et qualitatives, elle a constaté que les femmes souffrant de TMS liés au travail 20 étaient moins souvent compensées que les hommes souffrant de TMS liés au travail. Ce constat a amené les syndicats et l’organisme qui examine les demandes à revoir la formation dispensée aux juges et aux plaideurs, entre autres pour leur expliquer la problématique des lésions attribuables au travail hautement répétitif à faible force. Un réexamen de la jurisprudence en 2006 a montré un changement ; il n’y avait plus d’écart significatif entre les taux de reconnaissance selon le sexe.21 14. Messing, K, Elabidi, D. (2002) La part des choses : Analyse de la collaboration entre aide-soignants et aide-soignantes dans les tâches impliquant de la force physique. Cahiers du genre No 32 :5-24. Augestad, L.B., Vatten L.J., 1994. Five year risk of assault on employees in a psychiatric hospital. Safety Science 18(2) :113-124. CSN, 2005, Ciel, un hippopotame dans mon milieu de travail ! Guide de sensibilisation aux impacts sur la santé au travail de rapports hommes-femmes difficiles. www. csn.qc.ca/brochure-hippo.pdf 17. Premji S., Lippel, K., Messing K.,2008. On travaille à la seconde ! Rémunération à la pièce et santé au travail dans une perspective qui tient compte de l’ethnicité et du genre. PISTES http://www.pistes.uqam.ca/v10n1/articles/v10n1a2.htm 18. Messing, K., Seifert, A.M., Couture, V. 2005. Les femmes dans les métiers non-traditionnels : le général, le particulier et l’ergonomie. Travailler 15 : 131-148. 19. Lippel, K., Messing, K., Stock, S., Vézina, N. (1999). La preuve de la causalité et l’indemnisation des lésions attribuables au travail répétitif : rencontre des sciences de la santé et du droit. Windsor Yearbook of Access to Justice, volume XVII :35-86. 20. Lippel K., 2003. Compensation for Musculoskeletal Disorders in Quebec : Systemic Discrimination against Women Workers ? Int J Health Serv 33 (2) : 253-281. e 21. Lippel, K. 2008. Le regard du droit québécois sur les troubles musculo-squelettiques : indemnisation et prévention. Communiqué au 2 Congrès francophone sur les troubles musculo-squelettiques : de la recherche à l’action. Montréal, 2008. http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/Plen-Lippel-10h40.pdf 15. 12 ISBN : 978-2-913488-68-4 16. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Ainsi, un traitement quantitatif a pu amener un changement de pratique, et celui-ci a probablement amélioré la prise en charge des personnes atteintes. Ce genre d’exemple nous a persuadées du potentiel de l’application des méthodes quantitatives pour contrer la discrimination faite aux femmes. Mais, les travaux de Cox et Lippel 22 ont démontré des biais dans les rapports des lésions professionnelles en ce qui concerne les femmes, et ceux de Premji et collègues5 ont mis en évidence le même problème en ce qui concerne le statut d’immigrant, le fait d’appartenir à une minorité visible, et le fait de ne pas parler le français. Il est possible que les TMS de certains groupes soient cachés par les systèmes de collecte et d’analyse de données en santé au travail. Nous avons donc procédé à l’analyse de données d’entrevues et questionnaires pour bien saisir les cas de TMS. Au Québec en 1998, la majorité des personnes au travail passaient la plupart de leur journée debout, et cinq sur six ne pouvaient pas s’asseoir à volonté.23 Étonnamment, peu d’études quantitatives avaient établi les effets physiologiques de cette posture.24 Pour prévenir des TMS, nous avons besoin de démontrer que la posture debout prolongée endommage la santé, et, éventuellement, d’identifier quelle alternance de postures assis et debout est souhaitable.25 Nous voulons aussi mieux connaître les effets de la posture debout statique, rapportée comme particulièrement dommageable par les caissières.26 Nous avons entrepris une série d’analyses de données en collaboration avec des experts-es en épidémiologie et santé publique.27 À l’époque, quand on traitait le genre dans les analyses en santé au travail, il était souvent considéré comme un « facteur de confusion» dans les analyses de régressions multiples.28 Ceci veut dire qu’on concevait que le genre avait une influence indépendante à la fois sur les conditions de travail et sur les TMS (Schéma 1). Par exemple, si les femmes rapportaient plus de douleurs aux membres inférieurs, il fallait en quelque sorte soustraire l’effet du genre du total des TMS et, pour les hommes, l’ajouter, pour comprendre le véritable effet du travail debout sur les TMS aux membres inférieurs. Puisque qu’une littérature considérable suggère que les deux genres ne se retrouvent pas dans les mêmes emplois, il paraissait évident qu’il fallait ajuster pour le genre en considérant la relation entre la posture de travail et les TMS aux membres inférieurs. Mais si la posture debout des femmes est différente de la posture debout des hommes, et si c’est la différence qui est responsable de l’augmentation des douleurs des femmes, nous cachons ce phénomène en traitant le genre comme une variable de confusion. Schéma 1 Le genre, l’âge, etc. sont traités comme des facteurs « de confusion » 22. Cox R, Lippel K. 2008. Falling through the legal cracks : the pitfalls of using workers’ compensation data as indicators of work-related injuries and illnesses. Policy and Practice in Health and Safety 6(2) :9-30. Tissot, F., Messing, K., Stock, S. (2005) Standing, sitting and associated working conditions in the Quebec population in 1998. Ergonomics 48 (3) : 249-269. Messing, K., Randoin, M., Tissot, F., Rail, G., Fortin, S. (2004). La souffrance inutile : la posture debout statique dans les emplois de service. Travail, Genre et Sociétés 12 :77-104. 25. Laperrière, E., Ngomo, S., Thibault, M-C., Messing K (2006) Indicators for choosing an optimal mix of major working postures. Applied Ergonomics 37(3) : 349-357. 26. Laberge, M. et Vézina, N. 1998. Un banc assis-debout pour les caissières : une solution pour réduire les contraintes de la position debout ? Travail et Santé , 14(2) :42-48. 27. Arcand, R., Labrèche, F., Stock, S., Messing, K., and Tissot, F. 2001, Travail et santé, in Enquête sociale et de santé 1998, 2nd edition (Montréal : Institut de la statistique du Québec). pp 525-570. 28. Messing, K., L. Punnett, M. Bond, et coll. (2003) Be the fairest of them all : challenges and recommendations for the treatment of gender in occupational health research. American Journal of Industrial Medicine 43 : 618-629. 23. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 24. 13 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Ce que nous avons constaté, en regardant de plus près, était que l’expression « posture debout » comprend plusieurs types de postures. Par exemple, les postures debout des femmes sont plus souvent statiques.26 Aussi, on a constaté que les femmes et les hommes ayant les mêmes titres d’emploi ne faisaient pas le même nombre de pas par séquence de pas.24 Nous avons donc conclu que ce serait plus exact de considérer que les femmes et les hommes ayant les mêmes postes et rapportant les mêmes conditions de travail ne faisaient pas nécessairement la même activité. En fait, le genre pourrait intervenir à plusieurs endroits dans la relation entre l’évaluation des risques du travail et les rapports de TMS (Schéma 2) Schéma 2 Le genre, l’âge, etc. sont considérés dans leur(s) relation(s) aux facteurs causant les TMS Depuis les dix dernières années, plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la relation entre le genre, les conditions de travail, l’activité de travail et les TMS.29 D’aucuns trouvent que l’activité de travail des femmes comporte plus de risques que celle des hommes affectés aux mêmes postes ; d’autres observent que la même activité cause plus de tort aux hommes., Un nombre croissant d’études montre que le fait d’ajuster le traitement statistique en fonction du genre peut conduire à une mauvaise compréhension de la chaîne causale.3,30 Les écueils proviennent du fait que, peu d’études quantitatives puissent réunir à la fois des observations de tous les aspects pertinents de l’activité physique et mentale pendant une période de temps assez longue pour être valide, un nombre élevé de femmes et d’hommes qui exercent la même activité et une caractérisation détaillée des symptômes de santé. De telles études seraient extrêmement coûteuses, et il n’est pas réaliste de supposer qu’elles verront le jour. Qu’est-ce qui se passe quand on ajuste pour le genre dans un examen des relations entre le travail et les TMS ? Une comparaison détaillée des deux méthodes nous montre qu’une telle procédure risque de fausser la relation entre les facteurs de risque et les effets, qu’il y ait eu ou non une différence de prévalence de TMS selon le genre.31 Si on stratifie (analysant les données séparément pour les femmes et les hommes), on peut mieux identifier les facteurs de risque pour les deux genres. Messing, K., Stellman, J.M. 2006. Sex, gender and health : the importance of considering mechanism. Environmental Research . 101(2) :149-162. Hooftman WE, van der Beek AJ, Bongers PM, van Mechelen W. 2009.Is there a gender difference in the effect of work-related physical and psychosocial risk factors on musculoskeletal symptoms and related sickness absence ? Scand J Work Environ Health 35(2) :85-95. 31. Silverstein B, Fan ZJ, Smith CK, et coll. 2009. Gender adjustment or stratification in discerning upper extremity musculoskeletal disorder risk ? Scand J Work Environ Health. 35(2) :113-26. 32. Leijon O, Härenstam A, Waldenström, Alderling M, Vingard E. 2006. Target groups for prevention of neck/shoulder and low back disorders : an exploratory cluster analysis of working and living conditions. Work 27(2) :189-204. 29. 14 ISBN : 978-2-913488-68-4 30. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Malheureusement, ce qui est vrai du genre l’est aussi de l’âge, l’ethnie, la langue et la classe sociale. Chaque paramètre socio-démographique possède ses associations avec la chaîne causale qui lie les expositions aux TMS. En plus, il n’y a que deux genres, mais les âges, les ethnies, les langues d’expression et les catégories sociales sont plus nombreux. Nous sommes actuellement en train de réfléchir sur les différentes manières dont on pourra tenir compte des groupes sociaux dans l’analyse des TMS associés au travail. Nous avons commencé à examiner des bases de données en utilisant des techniques d’analyse de correspondance ou de grappes.32 Il y a quelques années, nous avons effectué une analyse des articles scientifiques qui traitaient des TMS dans les emplois de bureau.28 La plupart ne considèrent pas beaucoup les mécanismes potentiels liant les conditions de travail et les TMS. En effet, une analyse de la littérature montre que le traitement du genre dans les articles scientifiques sur les TMS laisse à désirer. En attendant de trouver la méthode idéale de déployer les analyses statistiques, on peut au moins considérer, dans chaque base de données à analyser, la place des groupes sociaux dans la chaîne causale qui mène entre les expositions en milieu de travail et les TMS. Remerciements 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Karen Messing est membre de l’Équipe émergente sur le genre, l’environnement et la santé subventionnée par les Instituts de recherche en santé du Canada [GTA92108]. 15 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Diversité des acteurs : quelles coopérations pour la prévention des TMS ? andrine Caroly S Laboratoire Pacte, Université de Grenoble (France) N ombreux sont les acteurs intervenants dans le domaine de la santé au travail et préoccupés par les questions de prévention des TMS : médecins du travail, ergonomes, Intervenants en Prévention des Risques Professionnels (IPRP), ingénieur sécurité, Directions des Ressources Humaines (DRH), infirmières du travail, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, rhumatologues, psychologues du travail, etc. Autour de ces professionnels gravitent d’autres acteurs qui jouent un rôle important dans les dynamiques de prévention : les salariés, les responsables d’entreprise, les chefs d’ateliers, les partenaires institutionnels, etc. Face à cette diversité des acteurs ayant des statuts différents et des compétences variées se pose la question de comment agir ensemble efficacement pour la prévention des TMS. Malgré les évolutions de la loi en santé au travail en matière de pluridisciplinarité, le travail collectif ne se décrète pas. Le constat est plutôt celui d’une difficulté à travailler ensemble, à repérer les zones d’action de chacun avec parfois des situations conflictuelles. Pourtant la mobilisation collective des acteurs s’avère indispensable aujourd’hui pour une prévention des TMS. Nous discuterons ici de deux notions par rapport à la mobilisation des acteurs : celle de « compétences » et celle d’« activité collective ». Les acteurs ont des compétences mais n’ont pas toujours les modalités organisationnelles ou techniques pour pouvoir les mettre en œuvre. Les compétences dépendent non seulement de leurs connaissances mais aussi des possibilités de leurs mises en œuvre et des moyens disponibles pour faire le travail. Des prescriptions sont parfois antinomiques dans la tâche et les missions sont parfois floues. Les modalités organisationnelles ne permettent pas de réguler toutes les perturbations de l’activité. Des coopérations sont aussi nécessaires avec les autres acteurs pour développer les compétences ainsi que des gestes professionnels du métier. Dans le domaine de la prévention des TMS, nous pouvons identifier plusieurs freins à l’action des acteurs dans la prévention. Au niveau de la politique, le contexte marqué par des réformes (pluridisciplinarité, prévention secondaire) n’aide pas toujours les acteurs à se positionner. Au niveau de l’entreprise, les changements permanents dans les modes de production conduisent à des remises en cause des constructions/adaptations. Au niveau de la population, le vieillissement ainsi que la féminisation des emplois constituent une diversité, rendant plus complexe la recherche de solution. Ces différents niveaux de freins traduisent le manque de marges de manœuvre des acteurs pour pouvoir construire leurs compétences. Quelles que soient les fonctions, il ne faut pas sous-estimer le poids des effets du contexte et de la législation sur les stratégies des acteurs ainsi que le rôle de la culture de l’entreprise et de la sensibilité du dirigeant vis-à-vis de la santé-sécurité. Ainsi, on observe chez les acteurs de la prévention des actions limitées dans la transformation. Par exemple, l’aménagement du poste comme seul moyen de réparer la maladie et de protéger les salariés. Les logiques sont souvent cloisonnées dans le fonctionnement de l’entreprise et la prévention se trouve plus comme un élément ajouté que comme une fonction intégrée. Il apparaît donc nécessaire d’analyser le travail de chaque acteur pour comprendre les empêchements et les moyens d’un travail collectif. Il semble difficile d’envisager la coopération si les domaines de compétences ne sont pas identifiés. 16 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les acteurs sont en effet en permanence soumis à des dilemmes. Par exemple, entre travailler seul ou en pluridisciplinarité, entre faire (usage de la loi, des outils) et accompagner (écoute, tolérance, conseil), entre passer du temps en entreprise et passer du temps au bureau, en cabinet ou en formation. Cela pose des questions aux acteurs sur l’efficacité, l’efficience et le sens de leur travail. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux Une diversité d’acteurs dans le domaine de la prévention Nous pouvons tenter dans un premier temps de faire une catégorisation selon plusieurs positionnements des différents acteurs (cf. fig. 1). Les acteurs se répartissent dans le champ de la prévention selon l’approche individuelle ou collective, selon la prévention primaire ou secondaire/tertiaire et selon l’axe santé-travail. Certains acteurs travaillent sans demande alors que d’autres interviennent dans le cadre d’une demande. Certains sont plus du côté clinique, alors que d’autres sont plus du côté de la loi, des normes, etc. Cette diversité d’acteurs œuvrant pour la prévention et le positionnement des uns et des autres correspond à une construction sociale. Elle dépend de la manière dont l’entreprise (employeurs et salariés) se représente le rôle des uns et des autres, ainsi que du contexte institutionnel et politique. Par exemple, un médecin du travail en France pratique de façons très différentes, comparé à un médecin du travail au Québec. Le médecin français consulte le salarié dans son cabinet alors que le médecin québécois ne fait que des programmes de prévention. Diversité des formes d’engagement dans l’entreprise Les formes de mobilisation des acteurs dans l’entreprise dépendent du statut donné à l’intervenant. Il existe des différences dans l’engagement des acteurs et une diversité d’actions de prévention selon que les intervenants travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise, selon la taille de l’entreprise (petite/ moyenne ou grande entreprise). Le manque de proximité géographique avec des organisations morcelées et des centres de décision éloignés rend plus difficiles les actions. L’ancienneté dans l’entreprise et l’expérience des réseaux jouent un rôle dans les possibilités d’actions des intervenants. Il faut du temps pour tisser des liens, construire des relations de confiance. L’instabilité et la mobilité forte des acteurs posent des problèmes pour la mobilisation des uns et des autres. Des logiques non intégrées dans le fonctionnement de l’entreprise Si l’on reprend les deux axes du 3ème congrès francophone sur les TMS, les liens TMS/RPS et l’articulation outils/démarche, la prévention dans l’entreprise peut être variée. Par exemple, l’attention n’est portée que sur la dimension biomécanique sans prise en compte des facteurs psychosociaux. Une autre entreprise ne regarde la santé que du côté de la souffrance. Les entreprises ne font pas toujours les liens entre les différents risques. Certaines ne font qu’appliquer des outils alors que d’autres sont plus proches d’une gestion des risques dans les démarches de conception des lignes de production. L’ergonome aimerait pouvoir aller sur les questions de RPS et de conduite de changement mais l’entreprise le cantonne à une approche biomécanique. Le psychologue est situé du côté du stress et de la passation de questionnaire alors qu’il aimerait bien pouvoir évoluer sur les liens entre perception des risques et douleur du corps et une prévention touchant l’organisation du travail. Il existe plusieurs actions mises en œuvre dans l’entreprise. À l’ergonome, par exemple, l’aménagement des postes de travail, aux kinés la formation gestes et postures, aux psychologues les questionnaires stress, les entretiens d’écoute. Des outils dans l’organisation comme le kaisen blitz pourraient être davantage investis, à condition de ne pas trop tirer du côté de la performance. La mise en place de la rotation pourrait faire l’objet d’une intégration des questions de santé. Il apparaît que la participation des acteurs à la conduite de projet et plus largement au changement dans l’entreprise pourrait faciliter l’intégration des logiques. dont le croisement est à rechercher dans l’organisation du travail et de la production. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Le cloisonnement des logiques dans le fonctionnement de l’entreprise s’explique par une faiblesse du débat sur les connaissances de l’activité (les perturbations, les aléas, les variabilités, les conflits de buts, 17 Session 1 Introduction des thèmes transversaux les collectifs). Les logiques de production, de qualité, de santé-sécurité, du commercial, de maintenance s’affrontent ou s’excluent avec des difficultés pour trouver des compromis dans l’activité. Plusieurs motifs peuvent expliquer la séparation des logiques dans le fonctionnement de l’entreprise : • Des difficultés de coordination entre différents acteurs ou différents départements. • Des modèles étiologiques et d’action relatifs à la prévention très différents (de l’approche biomécanique du geste à la prise en compte des facteurs psychosociaux). • Une référence à la standardisation basée sur les bonnes pratiques. • Peu d’évaluation de l’efficacité des actions et des retours d’expérience. Le potentiel des données est souvent sous-utilisé faute de pilote et de compétences internes ou externes. • Des difficultés dans le pilotage des projets d’entreprise. Souvent la non-prise en compte des connaissances sur le travail dans les processus de décision et la faible considération de la santé comme une dimension stratégique de l’efficacité de l’entreprise par la hiérarchie, ainsi que la faiblesse de l’alerte avec un déni du problème et/ou une position de prise en charge incertaine constituent des freins à la conduite de projet de prévention. Les changements permanents, la gestion de l’entreprise et le turn-over des acteurs amènent à une faiblesse d’anticipation et plutôt une gestion au quotidien des difficultés. Ce qui rend difficiles le suivi des actions dans le temps et la cohérence du dispositif de prévention avec un manque de participation de tous les acteurs dans les projets d’évolution de leurs conditions de travail. • La faible coordination des acteurs partenaires extérieurs dans le suivi des entreprises. • Le manque de ressources en temps, en moyens de travail, en compétences des acteurs des projets de prévention des TMS. Une nouvelle façon de concevoir la prévention Pour une mobilisation plus efficace des acteurs dans la prévention, plusieurs ingrédients sont à réunir : • Coordonner les Services de prévention SST, institutions & Inspection du Travail. • Partager des connaissances (partenaires sociaux et observatoire social des TMS). • Développer une capacité de négociation d’un nouveau modèle industriel, prenant en compte la prévention. • Accéder à une autre vision du développement de la santé en entreprise, qui ne soit pas seulement du côté de la préservation mais aussi du côté de la construction de la santé. • Redonner une place à l’activité dans la conduite de projet de conception, d’amélioration continue, dans la transformation des conditions de travail. Pour cela, il est nécessaire de passer de l’expertise des acteurs à la disposition des acteurs à construire ensemble des projets de prévention. Dans un modèle d’expertise, chaque acteur dispose d’une zone d’action. Par exemple, en s’appuyant sur le modèle de Bellemare et coll., le médecin du travail pourrait se situer dans l’alerte, l’ergonome et le psychologue du travail dans l’analyse du travail, et les concepteurs et organisateurs du travail, ainsi que les directeurs et CHSCT au niveau de la gestion et de la structuration de la prévention. Il n’est pas suffisant de penser cette répartition des rôles dans le système de la prévention, car selon le contexte, l’expertise est empêchée et les acteurs cherchent à mettre en œuvre des savoir-faire qui se situent au-delà de leur zone d’action. 18 ISBN : 978-2-913488-68-4 Selon le modèle de Baril-Gingras, Bellemare et al. (2008), les intervenants pourront en effet développer des ressources visant à conduire un projet de prévention efficace, si les orientations des organismes de prévention et des politiques publiques sont claires et s’ils disposent d’un soutien solide de leurs organisations. Il faut aussi des connaissances, des habilités et de l’expérience des intervenants à « lire » le contexte et les enjeux, et à définir des stratégies pour utiliser les capacités à résoudre les problèmes avec un point de vue sur les activités, et à trouver des propositions de changements. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 1 Introduction des thèmes transversaux De l’émergence de réseau à l’activité collective Le modèle d’intervention dans la prévention doit pouvoir évoluer vers la construction de réseau pour passer progressivement à l’élaboration d’une activité collective des acteurs. La notion de réseau correspond à des opérateurs devant travailler ensemble autour d’un objectif commun qui nécessite la mobilisation de compétences diverses. Il se construit de manière circonstancielle et il est éphémère (Cau-Bareille). Plusieurs formes de travail collectif peuvent être observées chez les acteurs de la prévention : • Des logiques qui s’ignorent : chaque acteur travaille en parallèle, il n’y a pas de travail collectif, ni de travail en réseau. Par exemple, le médecin du travail et l’IPRP d’un même service de ST ne travaillent pas ensemble. • Des logiques qui se succèdent, un travail collectif de co-activité. Par exemple, dans le cadre d’un projet de maintien dans l’emploi, le médecin du travail délègue au chargé de mission Agefiph qui, à son tour, délègue à un ergonome consultant la mission d’aménagement du poste. • Des logiques qui se croisent de temps en temps pour des projets ponctuels. Par exemple, pour un projet TMS dans la grande distribution. • Des logiques qui s’intègrent pour l’innovation. Par exemple, une collaboration multiprofessionnelle avec de nouvelles façons de travailler, comme les clubs TMS, ou des expériences de travail collectif où les idées, les méthodes et les actions font l’objet de débat et de confrontation. Les acteurs pourront s’engager dans une activité collective de prévention s’ils ont des moyens de travail collectif (façon de coopérer et de s’entraider dans l’action) et de collectif de travail (façon de partager des règles de métier, construction du genre professionnel) et si celle-ci tient compte de la diversité des acteurs. Cette activité collective pour une autre conception de la prévention vise à la fois des objectifs d’efficacité, de santé et de construction de valeurs. La vitalité du collectif qui s’en dégage favorise le développement de l’activité individuelle, des compétences et des actions collectives. Cela pourrait constituer une autre voie à une prévention pluriprofessionnelle. Plusieurs conditions sont à réunir pour faciliter une activité collective pluriprofessionnelle : • Chaque acteur doit reconnaître la nécessité de professionnels différents dans la prévention. • Les contraintes doivent faire l’objet de négociation. • Un travail collectif de terrain pourrait faciliter les apprentissages croisés. Par exemple, faire l’expérience d’un travail en binôme IDE/MDT ou Ergonome/MDT). • Chaque acteur doit pouvoir disposer de marges de manœuvre pour agir. Par exemple, ne pas aller seul dans l’entreprise mais être accompagné d’un partenaire, pouvoir appeler un partenaire à tout moment. • Des espaces de débats sur la délibération des règles doivent être créés. Par exemple, échanger sur les manières de formuler des restrictions selon le contexte de l’entreprise, le projet du salarié et de l’entreprise. • Des objets intermédiaires et/ou des objets frontières devraient davantage circuler entre les acteurs. Par exemple, l’analyse de la demande. • Des lieux de pratiques réflexives dans et sur l’action sont à envisager. Par exemple, organiser des échanges sur la pratique en SST. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Plusieurs questions se posent pour une meilleure prise en compte de la diversité des acteurs dans la prévention : Comment travailler ensemble ? Faut-il préalablement établir un langage commun ? Comment intégrer les différents points de vue ? Comment les acteurs du dispositif de prévention négocient-ils leurs rôles ? Quelles coopérations s’établissent ? Comment passer du travail collectif à une prévention pluriprofessionnelle ? 19 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Session 2 20 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Usure physique, usure psychique : entre convergences et décalages, quelques repères historiques icolas Hatzfeld N Université d’Evry (France) V oici plusieurs décennies que dans bien des pays, le développement des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux a suscité des réflexions, des débats et des actions. En fait, plusieurs aspects semblent rapprocher ces deux catégories de maux qui affectent le monde du travail et conduisent à s’interroger sur les relations qu’elles entretiennent entre elles. De constitution relativement récente, l’une et l’autre regroupent des pathologies qui ont longtemps été considérées comme distinctes. Leur essor est lié à une évolution des opinions et des comportements ainsi qu’à des progrès dans leur reconnaissance administrative. Par ailleurs, leur développement est rattaché à des transformations qui affectent les conditions de travail et d’emploi et traduit en quelque sorte une maladie des organisations, pour reprendre une analyse formulée il y a déjà quelques années. Cette concordance de temps et de corrélation pourrait unir par une sorte d’évidence les deux phénomènes. Un regard historien incite à nuancer un tel schéma. Les contextes, les connaissances et les représentations ont considérablement évolué, et les mots comme les imaginaires ne désignent pas les mêmes figures de pathologies. Les formulations actuelles ont émergé, grosso modo, depuis les années 1970, en migrant parfois vers le monde du travail à partir d’autres domaines, comme le domaine militaire pour le terme de stress1. Dans la longue durée cependant, des pathologies comparables à celles d’aujourd’hui sont survenues, même si elles ont été à maintes périodes moins visibles ou moins nombreuses. Certaines périodes laissent la trace d’attentions plus marquées que d’autres particulières. Des pathologies périarticulaires – crampes et autres rhumatismes – sont repérées et interprétées selon des rythmes divers. C’est sous des noms divers là aussi que l’on trouve, à différents moments, l’accent mis sur des pathologies psychiques : énervement, usure, fatigue nerveuse, etc. Des analyses associent parfois les dimensions physiques et psychiques, tandis qu’à d’autres moments, elles sont disjointes, voire opposées, les secondes servant à nier le poids des premières. Ainsi, les relations entre formes physiques et psychiques d’usure ont été parfois convergentes et parfois concurrentes. Ces variations passées renvoient à la définition des pathologies caractérisées et aux facteurs mis en avant. Elles renvoient aux acteurs sociaux qui les soutiennent, représentants patronaux ou organisations de travailleurs, et aux intentions qui les sous-tendent. Elles permettent de mettre en perspective l’importance de ce qui se joue à propos des définitions d’aujourd’hui. Le texte qui suit abordera quelques-unes des questions, d’inégale importance, que soulève une observation du passé, tirée de recherches propres sur les TMS et pour l’essentiel de lectures sur la question du stress et des risques psychosociaux. La première reprend le problème soulevé par l’ambivalence des relations entre les deux familles de pathologies, tantôt concordantes et tantôt discordantes, selon que la notion de risques psychosociaux est orientée vers des facteurs internes au travail et tantôt vers des causes extraprofessionnelles. Les questions suivantes examinent des variations d’époque et relèvent des périodes où les groupes de pathologies physiologiques ou psychologiques semblent, par leur concordance, souligner des mises en cause et des recompositions dans le monde du travail. Annette Leclerc et al., « La situation épidémiologique des troubles musculo-squelettiques : des définitions et des méthodes différentes, mais un même constat », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 44-45, 15 novembre 2005, p. 218 ; Marc Loriol, « La reconnaissance juridique du stress au travail », in Buscatto Marie, Loriol Marc et Weller Jean-Marc (dir.), Au-delà du stress. Une sociologie des agents publics au contact des usagers , Paris, ERES, 2007. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 1. 21 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Facteurs de risque : inhérents au travail ou externes ? TMS et stress, risques périarticulaires et risques psychosociaux, ces couples ne sont pas toujours concordants, et leurs prédécesseurs ne l’ont pas toujours été. Leurs relations ont fait débat dès les débuts de l’époque industrielle, et ont dès lors été liées à la définition donnée à ce qui, plus ou moins, correspondait aux risques psychosociaux. Très tôt en effet, le choix s’est imposé d’imputer les peines ouvrières à l’activité exercée ou bien aux conditions de vie. La question découle de l’inquiétude qui s’exprime très tôt, notamment dans les milieux éclairés de la fin du XIIIe siècle et du début du XIXe siècle, vis-à-vis des manufactures de la première industrialisation. Des médecins, en particulier, craignent que celle-ci n’entraîne une dégradation à la fois de la santé ouvrière et de l’environnement des manufactures. Cependant, très vite à cette époque, dans le réseau des médecins hygiénistes d’alors, un courant dominant pose le problème dans des termes qui vont s’imposer pendant plus d’un demi-siècle. Dans son livre célèbre, Villermé, après d’autres, explique que « c’est d’une manière indirecte, médiate, ou par les conditions de nourriture, de logement, de fatigue, de durée du travail, de mœurs, etc., dans lesquelles se trouvent les ouvriers, que les professions agissent le plus souvent en bien ou en mal sur la santé ou sur celle de leur famille. Cette règle, ajoute-t-il, doit être considérée comme générale.2 » L’opposition entre la primauté accordée à la condition ouvrière au sens large et une analyse des nuisances au travail stricto sensu ne saurait être plus claire. L’accent mis sur un des deux phénomènes, usure ou maladie, semble contribuer directement à la négation de l’autre. Plus précisément, ces difficultés sont attribuées à l’allongement de la durée de travail, permise par la mécanisation et la réduction de l’effort musculaire, aux contraintes imposées aux femmes et surtout aux enfants et en particulier à la longue durée pendant laquelle, chaque jour, des postures de travail sont néfastes aux corps jeunes. Villermé dénonce également la misère salariale et les conditions de vie déplorables qui en découlent (alimentation, logement), ainsi que la dégradation des mœurs. Il plaide pour une loi réduisant la durée du travail et pour une élévation des salaires, dont résulterait une amélioration automatique des conditions de vie. Mais il s’oppose à la mise en cause du travail proprement dit. Certaines des préoccupations exprimées par ce courant donnent lieu aux premières lois de protection du travail des femmes et des enfants. Au sein du patronat, elles trouvent des correspondances dans les courants paternalistes qui se forment et dans les réseaux de moralité que suscitent certains patrons du textile pour recruter leur main-d’œuvre féminine dans des familles recommandables. Les premiers services de médecine d’usine qui se mettent en place au sein de grandes entreprises, déjà, se préoccupent à la fois de soigner et de sélectionner le personnel.3 Dès le milieu du XIXe siècle s’esquisse de cette façon une politique patronale mettant l’accent sur les caractères et le comportement de la main-d’œuvre, comme variables essentielles de gestion de la santé au travail. Les aptitudes physiques, les bonnes dispositions du tempérament sont examinées à l’embauche, tandis qu’un environnement social et moral favorable est vu comme les moyens de réduire les risques de difficultés au travail. Ces missions d’accompagnement de la main-d’œuvre, féminine notamment, font partie des attributions du corps des surintendantes d’usine dont l’école est créée en 1917 4. Elles sont développées entre les deux guerres avec la formation des services de la psychologie industrielle et de la psychotechnique dans de grandes entreprises industrielles et de service public5. Après la Seconde Guerre mondiale, en France comme dans de nombreux pays industriels, ces fonctions se renforcent dans les entreprises, avec l’extension légale de la médecine du travail. La réduction des risques passe par une bonne connaissance des contraintes qu’imposent les postes à pourvoir et des aptitudes qu’ils exigent, la définition de ces postes étant, de façon générale, guidée par des critères individualisés de productivité du travail. Dans les banques, où les services de mécanographie connaissent une expansion considérable, les services médicaux structurent une double pratique de sélection rigoureuse des jeunes femmes. Ils sont particulièrement attentifs au dos d’un côté, aux ressources psychiques de l’autre, et procèdent à une sélection rigoureuse suivant ces critères : « Nous insistons à l’examen médical sur les deux points suivants : résistance nerveuse, état de la colonne vertébrale » 6. Parallèlement, ils tendent Louis-René Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers , Paris, Renouard, 1840. Réédition Paris, éditions EDI, 1989, p. 509. Anson Rabinbach, Le moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernité , Paris, éditions La Fabrique, 2004 ; Christophe Capuano, « Le point de vue patronal sur les accidents professionnels. Le cas des usines Schneider du Creusot des années vingt à la Seconde Guerre mondiale », in Anne-Sophie Bruno et alii (dir.), La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs , Rennes, PUR, 2011. 4. Annie Fourcaut, Femmes à l’usine : ouvrières et surintendantes dans les entreprises françaises de l’entre-deux-guerres , Paris, François Maspero, 1982. 5. Catherine Omnes et Anne-Sophie Bruno (dir.), Les mains inutiles. Inaptitude au travail et emploi en Europe , Paris, Belin, 2004. 6. A. Laporte et Deplanque, « Étude comparée de 2 groupes de travail en commun « groupe dactylos » – « groupe perforeuses » attachées à un atelier mécanographique », AMP, tome 27, 1966, p. 87-89. 2. 22 ISBN : 978-2-913488-68-4 3. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) ensuite à escamoter la part du travail dans les difficultés dont peuvent se plaindre certaines salariées 7. Face à des plaintes comparables d’employées des Postes, d’autres médecins tendent à mettre en cause le mode de vie désinvolte à l’égard de leur propre santé dont font preuve les jeunes provinciales étourdies par la vie parisienne. Au cours des mêmes années d’enthousiasme « rationalisateur », le projet de réaliser l’adéquation homme / poste traduit l’espoir, passablement utopique, de faire coïncider les spécificités de chaque salarié avec les exigences de chaque poste. Là encore, l’organisation du travail est considérée comme une donnée et exonérée des risques périarticulaires ou psychiques par l’accent mis sur les facteurs extraprofessionnels. Enfin, on peut rappeler qu’en matière de classement de pathologies comme maladie professionnelle indemnisable, l’accent mis sur les prédispositions individuelles et sur les situations hors travail des personnes affectées a longtemps joué de façon systématique contre la reconnaissance de ces pathologies. Les progrès de l’épidémiologie ont joué un rôle important pour sortir de l’alternative exclusive et faire considérer que les facteurs extra-professionnels n’annulent pas la réalité des facteurs de risque inhérents au travail. Mais l’ambivalence continue de jouer contre la reconnaissance, particulièrement dans le domaine des risques psychosociaux. De l’usure au surmenage, une crise du travail autour de 1900 Si, de façon récurrente, l’appréciation des risques a fait jouer les facteurs psychosociaux contre les facteurs physiologiques lorsqu’ils étaient principalement situés hors de la zone professionnelle, certaines époques ont mis en cause cet ordonnancement des débats. La fin du XIXe et début du XXe siècle est une de ces périodes de remise en cause. Tandis que la dégradation rapide de la santé des travailleurs est ancienne, ce moment voit monter des protestations ouvrières contre l’usure ou, pour reprendre un terme plus neuf, contre le surmenage. Plusieurs éléments contribuent à cet essor des plaintes. L’un réside dans les modifications du marché de l’emploi, moins défavorable aux demandeurs d’emploi et leur donnant des atouts nouveaux dans les discussions salariales. Un autre tient à la progression de l’aptitude à protester avec les progrès des organisations ouvrières, des associations aux syndicats. Toutefois, l’essor revendicatif et contestataire est aussi à rapporter à des modifications du travail et de son organisation. Jusque-là, les variations d’un travail résultaient essentiellement dans les modifications de sa durée, au point que l’expression d’accroissement du travail désignait tout simplement l’allongement de la durée d’activité. Les pathologies étaient par conséquent particulièrement attachées aux caractéristiques des métiers, aux postures et aux gestes que chacun d’eux exigeait. Lorsque dans la seconde moitié du XIXe siècle, médecins et chirurgiens s’intéressent aux pathologies des travailleurs, ils examinent, selon la problématique posée par Ramazzini, l’activité spécifique de chaque profession pour en dégager les risques particuliers ; les ouvrages élargissent leur répertoire en ajoutant les nouveaux métiers aux emplois artisanaux traditionnels, pour autant que ceux-ci se perpétuent. Et à la fin du siècle est formé le dessein de réaliser un dictionnaire médical des métiers mettant à contribution les inspecteurs du travail et les médecins d’usine. Dans le même temps, la relation d’emploi se transforme, et la subordination du travailleur par le salariat s’accentue par palier. Mais les salariés résistent, et le salaire à la tâche connaît une crise qu’illustrent les cas, un peu limites, des Sublimes, ces grands professionnels de la métallurgie. Ceux-ci freinent leur labeur pour maintenir les « prix » de leur travail au point que les patrons se plaignent de la flânerie ouvrière. Ils cherchent à contrecarrer l’entrée en lice des ingénieurs qui, par des techniques d’organisation extérieures aux règles de métier, entreprennent d’intensifier le travail. En acceptant une réduction de la durée de celuici, ces ingénieurs s’emploient à densifier le temps d’activité. Ils s’appuient sur l’autorité que leur donne la mise en service des machines toujours plus complexes et coûteuses dont se dotent les patrons et sur l’agencement des ateliers qui en découle, sur l’observation du travail ouvrier et sur l’autorité prise sur les contremaîtres, ainsi que sur l’élaboration de nouvelles formules de rémunération destinées à promouvoir l’effort. Le salaire au rendement prend forme. L’usure change de contenu et se déplace vers l’intensité de l’activité. Plus récent et plus explicitement porté à exprimer cette densité accrue du temps de travail, le terme de surmenage fait florès dans le monde syndical 8. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 7. Cédric Neumann, « Rendement et santé au travail des mécanographes (1945-1975 », in Anne-Sophie Bruno et alii (dir), La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs , Rennes, PUR, 2011. 8. Emile Pouget, L’organisation du surmenage (le système Taylor), Paris, Marcel Rivière, 1913 23 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Parallèlement aux divers lieux du travail connu comme manuel, certaines activités tertiaires sont touchées. Les activités d’écriture sont à cet égard significatives. Depuis Ramazzini, les crampes de l’écrivain dont souffraient les secrétaires et surtout les copistes étaient dûment répertoriées. L’industrialisation, l’essor des entreprises et le développement d’administrations publiques suscitent l’accroissement des travaux de copie. L’usage des plumes métalliques, et une standardisation des exigences se combinent pour étendre les pathologies. L’apparition des machines à écrire apporte quelque temps de répit, avant de transformer les normes de production et les pathologies. Un temps attirés par ces machines, les hommes les transmettent vite aux femmes 9, dont les doigts agiles, le dos et l’équilibre nerveux éprouvent vite leurs désagréments, sous forme de douleurs variées. L’évolution suscite des débats entre médecins. La « crampe télégraphique », qui se répand à la même époque et pour les mêmes raisons, occasionne des controverses comparables. Néanmoins, près de 10% des opérateurs de la Poste britannique en sont affectés et elle est peut-être la première affection provoquée par des gestes de travail à être considérée comme indemnisable, en 1908, deux ans après le vote dans ce pays de la loi sur l’indemnisation des travailleurs. Les protestations syndicales ouvrières comme les disputes scientifiques mettent en cause les évolutions techniques et les transformations du travail. Outre les affections périarticulaires liées à l’activité professionnelle, elles font parfois intervenir la tension nerveuse. En écho, les recherches sur le travail, qui se développent alors, suivent plusieurs phases successives10. Un premier temps est plutôt consacré à une étude du rendement énergétique du corps au travail, du mouvement et de la fatigue (1860-1900). Ensuite vient l’essor d’une science en laboratoire qui s’emploie à accumuler des données sur le travail industriel (1900-1910), avant d’effectuer des premières interventions en usine et des efforts pour influencer l’action publique sur la durée du travail et les accidents. Mais, on le voit, ces préoccupations sont principalement tournées vers l’activité musculaire du corps vu comme machine humaine. RPS / TMS : des images différentes au cours des Trente glorieuses ? La loi de 1919 sur l’indemnisation des maladies professionnelles modifie les données du problème. Les entreprises se trouvent sous la menace de dépenses d’indemnisation significatives, et la reconnaissance devient un enjeu d’importance. Elles accentuent la double politique de développement de la sélection à l’embauche et de dénégation de difficultés provoquées chez les salariés par le travail afin, notamment, de ne pas donner de prise à des procédures de reconnaissance. Par ailleurs, la distinction entre l’accident du travail et la maladie professionnelle prend une importance notable tant que les pathologies périarticulaires et psychiques ne sont pas reconnues comme indemnisables. Dès la loi de 1898 créant l’indemnisation des accidents du travail, dans certaines branches, des accommodements permettent de déclarer comme accidents des pathologies périarticulaires, puis, bien plus tard, des affections psychiques. Quelques maladies de mineurs sont ainsi « passées » en accidents, avec la complaisance d’assurances privées de l’entre-deux-guerres. Mais la Sécurité sociale d’après 1945, surveillée par le ministère du Travail, devient intransigeante sur le sujet et refuse de considérer les microtraumatismes comme autant d’accidents dont l’accumulation mérite l’indemnisation. Par conséquent, durant quelques décennies, des pathologies dont la plupart des interlocuteurs s’accordent à penser qu’elles sont liées au travail ne peuvent donner lieu à indemnisation. La reconnaissance interviendra par trois définitions de plus en plus larges du tableau 57, en 1972, 1982 puis 1991. Les premières formes de stress indemnisées sont, à partir de 1982, celles que développent des employés de banque victimes d’attaques, puis en 1999 ceux qui sont victimes d’une accumulation d’agressions multiples. Delphine Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin, 2001 ; –, Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008. 10. Anson Rabinbach, Le moteur humain…, op. cit. 24 ISBN : 978-2-913488-68-4 9. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Entretemps, les risques psychosociaux et les affections périarticulaires font l’objet d’attentions différentes. Les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale sont marquées par un puissant mouvement de rationalisation du travail. Les méthodes d’organisation d’inspiration taylorienne, qui avaient connu des développements limités à de grandes entreprises durant l’entre-deux-guerres, se diffusent de façon systématique dans l’ensemble de l’économie à l’occasion du vaste mouvement de développement de la productivité soutenu par les États-Unis à l’intention du monde occidental. La formation de l’encadrement, la simplification du travail, les chronométrages et l’analyse des postes se généralisent 11, les conseils en organisation multiplient leurs interventions tandis que les entreprises se dotent de services de méthodes. La rationalisation, on l’a vu, touche l’industrie et les services, les ateliers et les pools tertiaires, les ouvriers et les employés d’exécution. Simultanément, la sélection à l’embauche se technicise, échappe aux chefs d’atelier pour passer aux mains des services de main-d’œuvre. Au fur et à mesure que les services techniques prennent le contrôle du travail, le salaire au rendement est remplacé par un salaire au poste, coté en fonction des compétences exigées et de la pénibilité qu’il comporte. Au cours des années 1950, la CGT se montre particulièrement sensible à ces transformations d’organisation. Elle mène des campagnes contre l’intensification du travail et critique, comme la fédération de la métallurgie, « à la fois la fatigue physique et la fatigue nerveuse, infiniment plus dangereuse ». C’est en coopération avec la CGT des Postes, télégraphes et téléphones que sont réalisées, sous la conduite de Louis Le Guillant, quelques études sur les pathologies psychiques liées à l’organisation du travail des standardistes 12. Elles désignent la fatigue nerveuse comme maladie de la productivité. Ces préoccupations connaissent une certaine diffusion dans la médecine du travail, soulignée par Henri Desoille qui fait alors autorité dans cette discipline 13, et s’appliquent tant à des pathologies périarticulaires qu’à des névroses et états dépressifs traduisant le surmenage et l’usure professionnelle. En 1960, les sixièmes journées nationales de médecine du travail sont consacrées à la fatigue. Mais les communications ne marquent pas explicitement le lien entre fatigue et pathologies ostéo-articulaires. Surtout, il ne semble pas y avoir consensus sur l’analyse, tandis que la rationalisation et le modernisme suscitent encore un fort engouement. La croissance et les mobilités professionnelles facilitent les ajustements entre les mutations de l’emploi et du travail. Les années 1960 voient s’effectuer un double chassé-croisé. Tandis que la CGT atténue sa contestation, la CFDT s’inquiète de ces évolutions du travail. Soucieuse de mieux les comprendre, telle ou telle fédération, notamment les métallurgistes, sollicite des chercheurs. Mais elle s’adresse à des ergonomes, avec l’équipe constituée par Alain Wisner au Cnam. Il en ressort des enquêtes sur les crises de nerfs dans l’électronique et sur la charge mentale que comportent les formes nouvelles du travail. Les pathologies périarticulaires, des douleurs lombaires aux syndromes du canal carpien, ne sont pas absentes des observations effectuées sur les formes nouvelles du travail contraint. Elles restent alors juxtaposées aux affections nerveuses et psychiques. Après 1968, les années 1970 voient se développer les critiques du travail tandis que s’atténuent les aspects pathologiques, psychiques et physiologiques, des effets de son organisation. Durant tout ce temps, des pressions sont régulièrement effectuées pour la reconnaissance d’affections périarticulaires, mais celles-ci sont encore présentées comme distinctes les unes des autres, spécifiques aux différents métiers concernés. C’est selon ce principe que sont, très prudemment, engagés les premiers pas de reconnaissance, en 1972 et 1982. 11. Jonathan Zeitlin, Gary Herrigel, Americanization and its Limits. Reworking US Technology and Management in Post-war Europe and Japan, Oxford, New-York, Oxford University Press , 2004 Marc Loriol, « La reconnaissance juridique du stress au travail… », art. cit. ; Louis Le Guillant, Le drame humain du travail. Essai de psychopathologie du travail , Toulouse, éres, 2006 (chapitres consacrés à la névrose des téléphonistes). 13. H. Desoille, L. Le Guillant, J. Begoin et J. Vacher, « Effets de la fatigue sur la santé des travailleurs », Archives des maladies professionnelles , tome 19, 1958, p. 93 ; M. Roques, États dépressifs chez des employés des services mécanographiques ou téléphoniques des PTT, Archives des maladies professionnelles , tome 18, 1957, p. 52-53. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 12. 25 Session 2 Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Années 1980-2000, une nouvelle crise du travail ? En guise d’ouverture aux débats, je proposerai quelques pistes de discussion sur les dernières décennies. Au cours des années 1980, en effet, plusieurs signes semblent indiquer le développement d’une nouvelle crise du travail. La diffusion dans toute l’économie de la révolution informatique en est un. À cet égard, le secteur des banques et assurances a été précurseur et, depuis les années 1970, les syndicats y évoquent les menaces que fait peser un suivi généralisé du travail et de l’activité. Celui-ci touche des catégories jusque-là exemptes de surveillance automatique. Il correspond à une modification des systèmes de rémunération, notamment à une individualisation des salaires, en bonne partie superficielle. L’informatisation accentue également les possibilités de décentraliser et d’externaliser une partie des activités des entreprises. Un second élément tient à une transformation des relations travail–emploi, avec le recul de la régulation par les mobilités professionnelles et la banalisation des situations précaires et fragiles ou le contournement ou la fragilisation de protections institutionnelles et collectives. En matière de santé au travail, les pathologies périarticulaires sont d’une certaine façon décloisonnées, en ce que les facteurs propices à leur développement sont en bonne part transverses aux branches d’activité et liés à une évolution générale du travail. Les modes d’organisation et plus encore les réformes d’organisation initiées depuis le début des années 1980 sont en cause dans les mouvements de développement de ces pathologies. La croissance exponentielle des demandes de reconnaissance et des prises en charge effectives est à rapporter à l’élargissement des définitions réglementaires donnant droit à indemnisation, à l’accentuation des contraintes et exigences au travail, rassemblées dans un nouveau mouvement d’intensification et à un changement d’attitude parmi les salariés. Sur ces différents terrains, des jonctions s’effectuent avec le stress et les risques psychosociaux d’origine professionnelle. Enfin, la mise en lumière de ces phénomènes passe pour partie par une coopération, visible dès les années 1980, entre acteurs de terrain, professionnels de la santé et experts, ainsi qu’entre experts de différentes disciplines. 26 ISBN : 978-2-913488-68-4 Ce sont ces différents éléments, et surtout leur convergence, qui amènent à se demander si l’on n’a pas eu affaire, pour ces années 1980-2000, à une nouvelle crise du travail. La comparaison internationale permettrait de nuancer ces interrogations. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 3 Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ? Session 3 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ? 27 Session 3 Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ? Souffrance sociale, répression psychique et troubles musculosquelettiques hilippe Davezies P Université Claude Bernard Lyon 1 C omme dans le cas de l’amiante, les risques psychosociaux ont fait irruption sur la scène médiatique lorsqu’il est apparu que les atteintes à la santé touchaient des couches de salariés traditionnellement privilégiées : ces catégories de salariés qui disposent, dans leur travail, d’espaces d’expression personnelle et de développement et qui voient ces espaces attaqués par la pression à l’intensification et à la standardisation. Les manifestations de souffrance sont alors bruyantes et possèdent une forte visibilité sociale. Cependant, dès le début des années 1980, Christophe Dejours avait alerté sur une autre forme de souffrance : celle des salariés exposés à des situations de contrainte sévère, sans grande possibilité d’investissement personnel, et surtout sans la perspective d’y échapper. Les OS des processus tayloriens sont la catégorie emblématique de cette situation. Dans ce cas, la souffrance est silencieuse. Pour tenir, les salariés développent des stratégies de résistance qui passent par la répression de leur propre subjectivité. Dejours signalait alors qu’en présence de cette souffrance sans expression de détresse psychique, il fallait s’attendre à voir survenir des pathologies du corps. Cette proposition a été largement validée par l’épidémiologie du stress. Les ouvriers spécialisés ne viennent pas en consultation de souffrance au travail, mais font des maladies physiques au premier rang desquelles figurent les maladies cardio-vasculaires et les troubles musculosquelettiques. Ces constats sont aujourd’hui éclairés par l’évolution des connaissances biologiques. Il a été repéré depuis longtemps qu’en situation de stress chronique, les individus exposés pouvaient mettre en œuvre des stratégies de désengagement psychique qui s’accompagnaient d’une absence de la réponse en cortisol, caractéristiques des réactions au stress. Ces sujets présentaient plus de symptômes physiques, ce qui était troublant dans la mesure où la tradition attribuait les pathologies du stress plutôt à l’excès de cortisol. Au cours de la dernière décennie, il s’est confirmé que les taux de cortisol bas observés chez les sujets exposés à des situations de stress chronique étaient responsables d’une quantité de phénomènes pathologiques. Le cortisol est alors apparu comme participant à l’apaisement de la réaction de stress. Plusieurs découvertes importantes sont venues compléter la compréhension de ces phénomènes : • En cas de stress, la sécrétion de CRH par l’hypothalamus et la mobilisation du système sympathique activent les mécanismes de l’inflammation, en particulier par leur interaction avec une classe de molécules de découverte récente, les cytokines pro-inflammatoires. • La situation de stress chronique peut se traduire par une dissociation de la réponse biologique, la CRH et l’activité du système sympathique étant élevées alors que le cortisol reste bas. Cela signifie que, chez les sujets exposés durablement à l’adversité, le cortisol bas ne tempère plus l’activation des mécanismes inflammatoires. De plus, la baisse du cortisol est responsable d’un abaissement du seuil de la douleur qui accroît les phénomènes douloureux. Les travailleurs voués au travail répétitif sous cadence, qui n’expriment pas de détresse psychique alors qu’ils sont exposés au stress professionnel, sont donc dans une situation qui cumule des contraintes biomécaniques locales avec une susceptibilité à l’inflammation et à la douleur. Mais la baisse du cortisol est aussi observée chez les sujets exposés à un harcèlement chronique. 28 ISBN : 978-2-913488-68-4 Ces données contribuent aussi à expliquer un autre pan de la pathologie qui frappe ces catégories de travailleurs. Il est en effet démontré que l’athérosclérose responsable des pathologies cardio-vasculaires est liée à une inflammation au niveau de la paroi des vaisseaux. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 3 Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ? TMS-RPS : l’hypothèse de l’hypo-sollicitation de l’activité Y ves Clot Conservatoire National des Arts et Métiers (CNAM Pari) (France) O n rattachera la question mal décrite par l’expression ” RPS ” à des dilemmes fréquents du travail et, en particulier, à l’existence d’une sorte de déliaison qui se fait jour dans l’activité ; une déliaison entre les préoccupations réelles des opérateurs -- une certaine idée du travail et d’eux-mêmes dans le travail -- et des occupations immédiates qui leur tournent le dos. Le sens même de l’action en cours se perd quand disparaît dans le travail le rapport entre les buts auxquels il faut se plier, les résultats auxquels il faut s’astreindre et ce qui compte vraiment pour soi et pour les collègues de travail dans la situation. Ce qui compte vraiment — et parfois de manière vitale dans les tâches de services — dessine d’autres buts possibles de qualité que la qualité attendue des buts prescrits. Alors, la perte de sens de l’activité la dévitalise, la désaffecte en rendant psychologiquement factice la poursuite du travail. Alors on est actif mais sans se sentir actif. Même la performance réalisée et reconnue peut perdre sa fonction psychologique si on ne s’y reconnaît pas. La visée du travail exigé devient alors psychologiquement étrangère à l’activité des sujets dont l’objet est ailleurs. Les actions réalisées rivalisent dans leur activité avec celles qui devraient et surtout pourraient l’être. La réalité psychologique de ces conflits dans l’objet même du travail est la source de puissants affects qui trouvent de moins en moins un destin favorable. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Dans ce conflit de buts gît un paradoxe : les buts atteints, désinvestis, perdent leur sens et ceux auxquels on tient et qui restent en jachère, privés de leur réalisation sociale, sont discrédités aux yeux mêmes de beaucoup de travailleurs comme des objectifs encombrants. C’est l’imagination même qui devient alors pour eux un obstacle à surmonter pour travailler ” normalement ”. Bien des drames humains du travail trouvent là leur origine ou leur matière quand la situation s’installe et interdit de penser, à tort ou à raison, qu’un changement serait possible. Quand la confrontation sur la qualité du travail est devenue impraticable, suractivité et sentiment d’insignifiance forment alors un mélange ” psychosocial ” explosif. C’est une sorte d’activisme désœuvré que la moindre injustice managériale peut transformer en ressentiment durable. Mais ce dernier est la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’une vie professionnelle contrariée. Car la passivité n’est jamais qu’une activité ” rentrée ”, un développement incarcéré. De ce point de vue, après avoir rappelé que les TMS peuvent être vus comme une hyper-sollicitation de l’organisme enracinée dans une hypo-sollicitation de l’activité du corps tout entier, on cherchera à montrer que les ” RPS ” trahissent aussi — à tous les sens du terme — une hypo-sollicitation de l’activité des sujets au travail. 29 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Session 4 30 ISBN : 978-2-913488-68-4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Facteurs de risque psychosociaux et TMS nnette Leclerc A INSERM : U1018 – Université Paris XI - Paris Sud – Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines – INED (France) L a présentation abordera la question des « risques psychosociaux » en lien avec les TMS principalement sous un angle épidémiologique, d’où la préférence pour le terme « facteur de risque » ou « facteur de risque potentiel », qui fait référence à des variables (potentiellement) associées aux TMS, en incluant les associations effectivement observées mais non causales. La première partie portera sur la thématique ellemême et diverses façons de l’aborder, en montrant qu’il y a plusieurs questions plutôt qu’une seule, avec des réponses qui peuvent différer. La seconde partie développera des résultats issus de travaux épidémiologiques. Facteurs de risque psychosociaux et TMS, des questions multiples Les questions que l’on se pose diffèrent selon ce qui est mis sous le terme « psychosocial » et selon la dimension de santé retenue. D’autres aspects importants sont les hypothèses sur les liens entre expositions psychosociales et expositions biomécaniques et posturales, et la prise en compte du temps, principalement entre exposition et « effet » sur la santé. Le terme psychosocial fait le plus souvent référence, dans la littérature épidémiologique, aux modèles évaluant la demande et la latitude dans le travail, au niveau individuel ; cependant, les facteurs « en amont » caractérisant l’organisation du travail sont aussi à considérer. Concernant les « effets », si les associations entre « stress » et activité musculaire sont documentées par des études en laboratoire, ces résultats ne sont pas extrapolables à d’autres types d’effets, en particulier des pathologies avérées. Les effets à court terme peuvent différer des effets à long terme ; de même il est nécessaire de faire une distinction entre les déclarations par les sujets et les pathologies objectivées. Résultats issus d’études épidémiologiques 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Des associations entre TMS et expositions psychosociales mesurées au niveau individuel (demande, latitude..) sont très fréquemment retrouvées, mais sont souvent d’intensité modeste. Pour la plupart des sites de douleur, des revues générales basées sur un grand nombre d’études apportent ici des résultats relativement solides. De façon générale, les liens entre expositions psychosociales et TMS sont de plus faible intensité, et parfois inexistants, quand la dimension de santé est objectivée par un examen médical, quand les expositions biomécaniques sont prises en compte, et quand un protocole d’étude longitudinal permet de garantir la temporalité des relations. On peut regretter que les revues générales issues de la littérature épidémiologique ne discutent pas suffisamment des interrelations entre facteurs psychosociaux et biomécaniques, laissant le plus souvent sans réponse la question de savoir si les expositions psychosociales auraient les mêmes conséquences selon que les expositions biomécaniques sont présentes ou absentes. Il manque aussi d’études portant sur les liens entre les TMS et les caractéristiques de l’organisation du travail, qui déterminent à la fois l’intensité des expositions biomécaniques et l’existence ou l’intensité d’expositions psychosociales au niveau individuel. 31 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Les relations entre les TMS et les risques psychosociaux au travail : un modèle conceptuel S usan Stock Institut national de santé publique du Québec, Université de Montréal (Canada) L es relations entre les TMS et les contraintes organisationnelles et psychosociales sont probablement plus complexes que ce que la plupart des études épidémiologiques ont réussi à montrer jusqu’à maintenant. Malgré l’existence de données probantes sur les liens entre les TMS et plusieurs contraintes psychosociales, les interrelations entre les contraintes physiques, les différentes contraintes organisationnelles et psychosociales et les TMS sont encore méconnues. Le rôle de la détresse psychologique dans ces interrelations est également mal connu. La nature des interrelations complexes entre les TMS, les contraintes physiques, les divers risques psychosociaux et la détresse psychologique doit être mieux explicitée. Presque toutes les études qui en tiennent compte montrent une forte relation entre la détresse psychologique et les TMS. Il apparaît probable que dans certains cas, la détresse psychologique est un médiateur de la relation entre certaines contraintes psychosociales du travail et les TMS alors que dans d’autres cas, les relations sont plus directes ou passent par un autre mécanisme. Par exemple, certaines exigences quantitatives (ex : quantité de travail, contraintes temporelles) ou cognitives, peuvent influencer les contraintes physiques directement et ainsi contribuer aux TMS. Dans d’autres cas, il y a une interaction entre une contrainte physique et une contrainte psychologique ou relationnelle et cette interaction influence ainsi les TMS. La marge de manœuvre ou le soutien social au travail (ou d’autres facteurs relationnels) peuvent également modérer la relation entre les contraintes physiques et les TMS. Même chose pour certains facteurs personnels. Cette conférence vous proposera un modèle conceptuel et des nouvelles hypothèses à tester pour concevoir des études qui nous aideront à mieux évaluer ces interrelations et permettre une compréhension plus complète des relations entre le travail et les TMS. Une bonne proportion des études épidémiologiques qui étudient la relation entre des TMS et des facteurs psychosociaux, se limite à l’étude de la demande psychologique, la latitude décisionnelle et le soutien social au travail tels que proposés par Karasek ou les mesures de reconnaissance et d’effort du modèle de Siegrist. Cependant ces relations semblent plutôt modestes. La considération de ces seules variables est probablement trop simpliste pour bien caractériser l’environnement de travail et sa relation avec les TMS. L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail, réalisée en 2007-2008 auprès de 5 000 travailleurs a étudié les relations entre les TMS et un grand nombre de contraintes physiques et psychosociales incluant des exigences quantitatives, des contraintes psychologiques et relationnelles, le manque d’autonomie ainsi que l’insécurité et la précarité du travail. Elle montre que la prévalence des TMS augmente considérablement chez les travailleurs exposés à une combinaison de contraintes physiques et psychosociales du travail. Des analyses multivariées des données de cette enquête concernant les TMS au dos et aux membres supérieurs confirment la contribution des risques associés d’une part, au cumul de contraintes physiques et d’autre part, à la demande psychologique élevée, à la faible reconnaissance et au faible soutien social au travail. De plus, ces analyses montrent la contribution du travail émotionnellement exigeant, des situations de tension avec le public, du harcèlement sexuel, de la précarité du travail ainsi que de l’impossibilité de modifier la cadence du travail. 32 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’évaluation des hypothèses associées au modèle proposé permettra de mieux comprendre les mécanismes par lesquels certaines contraintes du travail peuvent influencer les TMS, de mieux préciser la contribution de chacune et de mieux orienter les interventions de prévention des TMS. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Atelier 1 L’organisation de la prévention des TMS et des RPS velyne Escriva É Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) (France) arie Saint-Vincent M Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (Canada) L a prévention des risques professionnels, quels qu’ils soient, repose selon nous sur plusieurs principes d’analyse et d’action génériques : • Comprendre l’entreprise et le milieu de travail, situer l’activité de travail dans un fonctionnement collectif. • Identifier ce qui influence la santé au travail (les exigences du travail et son organisation, la qualité des relations de travail notamment avec l’encadrement, les changements du travail, les valeurs et attentes des travailleurs). • Tenir compte des dimensions physiques, mentales et sociales comme le propose le modèle de la situation de travail centré sur la personne en activité de Vézina (2001). • Mener des actions de prévention qui ne relèvent pas exclusivement des acteurs de santé au travail mais qui soient intégrées plus largement dans le fonctionnement de l’entreprise. Par ailleurs, nous savons que la façon de structurer la prévention, de mobiliser les acteurs et les modalités d’action retenues sont autant d’éléments qui vont influencer l’efficacité de la prévention en santé au travail. Dans les faits, cette structuration dépend certainement de l’histoire et du contexte de l’entreprise, de l’état de santé du personnel, de la maturité sur les sujets de prévention. Les entreprises, les branches professionnelles quant à elles, se mobilisent sur la prévention des TMS, et plus récemment au sujet des risques dits psychosociaux (RPS), notamment en lien avec la transposition de l’accord interprofessionnel sur le « stress » au travail en Europe. Ce développement des approches RPS présente certainement des opportunités, mais aussi des risques, dans la façon de traiter de la santé au travail. Si l’approche des RPS valorise une dimension plus subjective et qualitative mobilisée par les hommes et les femmes en situation de travail, nous identifions alors plusieurs opportunités : l’enrichissement du modèle de compréhension et l’élargissement des registres d’action (applicables à toute question de santé au travail et aux TMS en particulier), la possibilité de mieux traiter les situations de cumul d’exposition (par exemple, pour les métiers de caissières, de services aux personnes…) et la consolidation des préventeurs et de la fonction ressources humaines… À l’inverse, la tentation de découper la santé au travail par les symptômes (dans l’organisation et les approches), en distinguant des questions d’ordre physique d’une part, et des questions d’ordre mental d’autre part, nous semble présenter certains risques. Il peut s’agir de survaloriser les facteurs personnels et de soutenir une approche comportementaliste, de se concentrer sur les RPS tandis que les contraintes physiques restent très présentes, de limiter les actions de prévention des TMS par une approche trop mécanique de l’investissement d’une personne au travail, alors que la mobilisation physique est toujours sous-tendue par des mécanismes cognitifs et psychiques… 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Nous en débattrons à partir de pratiques variées — points de vue de préventeurs institutionnels, consultants, conseillers syndicaux, chercheurs intervenants — traitant des TMS et/ou des RPS afin d’en tirer des enseignements en termes d’organisation et de mise en œuvre de la prévention. 33 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Organiser la prévention des TMS et RPS : proximités et différences. Une réflexion à partir des pratiques d’entreprises velyne Escriva, Philippe Douillet E Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT), département Santé et travail, Lyon (France) E n France, si la question des risques psycho-sociaux (RPS) a émergé avec retard par rapport à d’autres pays européens, elle a surgi brutalement dans l’actualité à l’occasion d’évènements dramatiques survenus en entreprise, tels que des suicides. Poussés par les pouvoirs publics, les partenaires sociaux et les acteurs d’entreprise en ont fait rapidement un sujet prioritaire, en s’appuyant notamment sur l’accord européen sur le stress traduit, en juillet 2008, par un accord national. Dans un premier temps, cet « engouement » pour les RPS a paru occulter toutes les autres préoccupations de santé au travail, en particulier les TMS qui représentent pourtant la majorité des maladies professionnelles. Nous avons globalement constaté, dans les demandes d’entreprises, une approche scindée des questions de santé au travail, entre celles relatives à la santé physique et celles relatives à la santé mentale. Ainsi, peu de liens étaient faits entre les pathologies ou les modes d’action en prévention alors que les éléments de proximité sont nombreux entre les TMS et les RPS. Il s’agit alors de mieux comprendre les raisons de cette difficulté de faire le lien entre les pathologies à partir du point de vue des acteurs d’entreprises rencontrés lors des interventions du Réseau ANACT, mais aussi de mesurer les évolutions en cours qui semblent, aujourd’hui, infléchir la tendance au profit d’une approche plus globale de la santé au travail. TMS, RPS : des sollicitations d’entreprises séparées Dans un premier temps, en effet, les demandes d’appui des entreprises au Réseau ANACT sur les thèmes RPS et TMS ont été nettement séparées. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce phénomène : En premier lieu, la pression du contexte environnant pour traiter des RPS 34 ISBN : 978-2-913488-68-4 À la suite de divers évènements dramatiques très médiatisés (cf. les suicides chez Renault, PSA, France Télécom notamment) et d’une évolution significative de la jurisprudence reconnaissant des pathologies psychiques comme accidents ou maladies professionnelles, l’ensemble des acteurs de prévention se sont progressivement et fortement mobilisés sur le sujet des RPS. Ainsi, on a vu, à partir des années 2000, massivement apparaître le sujet à l’ordre du jour des CHSCT, à l’initiative des élus du personnel ou, très souvent, des médecins du travail qui constataient la montée de signes de détresse psychique au sein des salariés. L’inspection du travail a évidemment poussé également à cette prise en compte des RPS par les entreprises, même en l’absence de réglementation nouvelle, autre que celle de l’évaluation des risques ou, plus tardivement, d’une incitation à négocier pour les grandes entreprises. Plus ou moins sous la pression, les directions d’entreprises se sont aussi mobilisées fortement ; le Réseau ANACT a été ainsi appelé, à de nombreuses reprises entre 2008 et 2010, pour animer des temps de formation de comités de direction sur le stress au travail, ce qui n’avait jamais été le cas sur d’autres sujets de prévention. Les réunions, conférences, groupes de travail sur le sujet ont été très nombreux, y compris au sein des instances ou associations dirigeantes. Ainsi, à propos des RPS, on voit à quel point le contexte environnant, dans ses différentes composantes – médiatiques, juridiques, sociologiques – peut être porteur d’actions, et audelà de l’existence d’une réglementation spécifique. Il convenait alors, pour les directions d’entreprises, de traiter des RPS, sujet devenu prioritaire dans leur environnement et correspondant, par ailleurs, à la demande sociale qui a trouvé, via les concepts de stress et de RPS, socialement plus reconnus que tous les autres, à exprimer les difficultés à vivre les conditions actuelles de travail (Bouffartigues, 2010 ; Lhuillier & al., 2010). 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) En second lieu, la différence des secteurs d’activité concernés par les demandes peuvent aussi expliquer la séparation RPS/TMS En effet, jusqu’en 2010, les demandes RPS adressées au Réseau ANACT émanaient très majoritairement du secteur des services, secteur dans lesquels la préoccupation « santé / sécurité » était traditionnellement moins forte, et dans lesquelles les pathologies TMS étaient plus beaucoup faibles, plus diffuses même si non absentes (cf. services sociaux, santé, etc.). En réalité, dans ces secteurs, compte tenu de leur évolution (Ughetto, 2007 ; Gainsburger, 2008 ; Buscatto & al., 2008), le sujet du stress, des RPS a permis de cristalliser toutes les difficultés liées à de nouvelles formes d’intensification du travail. Les salariés et leurs représentants ont trouvé alors, par ces termes, le moyen d’exprimer leurs difficultés, quelles qu’en soient, ensuite, les formes de manifestations dans leur corps. À l’inverse, les demandes sur le sujet TMS adressées au Réseau ANACT ont massivement concerné le milieu industriel. Il convient sans doute ici de tempérer cette dichotomie. Si les entreprises qui nous ont sollicités sur les RPS faisaient peu de lien avec des données de santé physique, comme les TMS, à l’inverse, on a vu progresser l’intérêt pour la prise en compte des facteurs psychosociaux dans les actions de prévention TMS. Après une phase d’appréhension du sujet sous l’angle essentiellement biomécanique, les entreprises observées au travers des accompagnements par le Réseau ANACT ont progressivement intégré des éléments de compréhension liés au vécu du travail, à la question du sens du geste, à la dimension collective de l’activité, éléments fortement portés par tous les préventeurs institutionnels (réseau ANACT, INRS, CARSAT, médecins du travail…). Le lien entre pathologies périarticulaires et facteurs psychosociaux est devenu plus évident dans de nombreuses entreprises, permettant une approche élargie du problème et des actions de prévention. Ainsi, dans une entreprise de logistique aéroportuaire, l’intervention ANACT a permis de mettre en évidence les liens entre les TMS et douleurs lombaires avec des questions de régulation de charge et de l’urgence, de management d’équipe, de vécu des parcours professionnels, permettant des actions de prévention bien au-delà des aménagements matériels. TMS, RPS : des similitudes dans les questions posées aux acteurs de prévention Au travers de l’analyse des demandes d’accompagnement des entreprises par le réseau ANACT, soit sur les RPS et soit sur les TMS, on a constaté beaucoup de similitudes. Ainsi, plusieurs points de convergence peuvent être mis en évidence. Les conditions d’émergence et de développement du sujet Aussi bien sur TMS que sur RPS, les entreprises ont, le plus souvent, décidé d’engager des actions en situation de crise. En ce qui concerne les TMS, nous avons été généralement sollicités lorsque les pathologies étaient déjà avérées et présentes en grand nombre conduisant à des situations de blocage, par exemple, lorsque le nombre de restrictions d’aptitude gênait la production. En ce qui concerne les RPS, les demandes, au moins dans un premier temps, ont été également exprimées en situation de crise : évènements dramatiques (suicides ou tentatives), relations entre salariés très dégradées, conflits, absentéisme significatif… bref, dans tous les cas, c’est la situation de crise, avec impact fort sur les conditions de la performance, qui a justifié l’action… Des situations qui rendent les acteurs démunis tant pour l’analyse que pour les moyens d’action. Des difficultés d’objectivation 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Une des raisons majeures de l’embarras des acteurs tient aux difficultés d’objectiver le problème. Même si sur le sujet TMS, contrairement aux RPS, les indicateurs en termes de maladies professionnelles existent ; les acteurs de prévention voient rapidement les limites de tels indicateurs, leur aspect peu prédictif et, surtout, ils comprennent la complexité du sujet et des processus d’objectivation qui seront nécessaires : 35 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) causes et effets multiples, sans lien univoque, et souvent à effet différé, liens avec l’organisation… Pour des acteurs de prévention habitués à des approches plus univoques, à des critères simples d’évaluation des effets, se référant à des seuils d’exposition, les « phénomènes » RPS et TMS bousculent leurs modes de pensée et leur processus d’objectivation des pathologies. Une représentation partielle de la santé du personnel Tant pour TMS que pour RPS, on a constaté un renvoi, au moins dans une première période, vers des causes issues de la sphère individuelle des salariés et hors travail. Sur les deux sujets, les acteurs de prévention ont d’abord fortement mis en évidence les fragilités individuelles, les activités ou préoccupations privées, toutes formes de causes issues de la sphère personnelle des salariés, en dehors de leur activité professionnelle. Les deux sujets méritent donc une attention particulière, pour construire la prévention, sur la question de la représentation de la santé au travail et des mécanismes d’engagement professionnel. Ils nécessitent aussi de replacer les situations singulières des personnes dans un contexte plus large et plus collectif de travail. Des processus d’évolution de la prévention En relation avec la forte appréhension des causes du côté de la sphère personnelle des salariés, beaucoup d’entreprises ont développé, en première étape, des actions de prévention de type tertiaire ou secondaire, en ciblant les individus : techniques de relaxation, massages, coaching, formation aux bons gestes ou aux bons comportements. Dans un premier temps, les liens avec l’organisation ont été peu appréhendés. Il convient de noter ici que, tant sur TMS que RPS, se sont alors développés un nouveau marché de la prévention et de nouveaux acteurs proposant une offre de services aux entreprises : là plutôt des kinésithérapeutes, ici plutôt des psychologues, des médiateurs, etc. Dans beaucoup de cas d’entreprises, on peut dessiner une histoire de la prévention qui passe d’abord par des actions de prévention tertiaire – correspondant d’ailleurs aux phases de crise à chaud – puis des actions de prévention secondaire pour, enfin, aborder des actions plus tournées vers la prévention en amont sur des causes plus organisationnelles et collectives. Il n’est cependant pas rare d’observer des entreprises pratiquant simultanément les divers niveaux de prévention, avec recours à des intervenants différents en même temps, au risque de donner dans la confusion. Des difficultés d’appréhender l’organisation du travail Sur les deux sujets, on constate une difficulté à remonter aux causes liées à l’organisation du travail, pourtant bien évidentes lors de l’analyse. En lien avec ce qui a été dit sur la représentation de la santé au travail, les acteurs de prévention ont du mal à dépasser un niveau d’actions limité et portant sur le seul aménagement des situations locales. La remise en cause de principes et modalités d’organisation du travail, l’action sur des sphères plus lointaines, pourtant en relation avec les pathologies observées (parcours professionnel, formation, régulation de la charge, nouveaux modes opératoires, changements de modes de relations entre services…) restent difficiles et ne sont souvent réalisées que partiellement et après prise de conscience, par les acteurs internes, des limites de leurs actions en prévention secondaire et tertiaire. Des difficultés à pérenniser la prévention 36 ISBN : 978-2-913488-68-4 Sur les deux sujets, TMS et RPS, les acteurs expriment souvent leurs difficultés à pérenniser la prévention et à mesurer les résultats de leurs actions (Daniellou & al., La prévention durable des TMS, 2008). Compte tenu des spécificités des ces questions de santé au travail, de la multiplicité de leurs causes, il est en effet plus difficile de mesurer l’effet des actions engagées. Dans beaucoup d’interventions, il est noté, au moins dans un premier temps, une recrudescence des phénomènes pathologiques, notamment des 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) plaintes, l’action ouverte ayant permis l’expression et la reconnaissance des problèmes jusqu’alors sousjacents. Même si l’action ensuite peut conduire à réduire des troubles de santé ou leur gravité, le résultat reste toujours précaire, au gré de décisions sur d’autres registres dans l’entreprise à fort impact sur la santé des salariés, comme des restructurations, mutations… La prévention doit donc, sur TMS comme sur RPS, penser fortement cette question de l’évaluation des actions et valoriser les processus mis en place et stabilisés pour penser ensemble organisation et santé au détriment d’indicateurs mesurant des effets à court terme. RPS : des difficultés de prévention exacerbées… qui peuvent faciliter la prévention Au-delà de ces proximités, l’analyse des demandes et pratiques d’entreprises met en évidence cependant des spécificités du sujet RPS dans les pratiques des entreprises. Le sujet RPS paraît d’emblée plus complexe à traiter : des indicateurs de troubles encore plus diffus, une dimension subjective exacerbée, des effets plus fréquents sur les relations sociales, des champs d’emblée d’actions plus ouverts… pourtant, ces difficultés conduisent aussi à mobiliser plus facilement les acteurs stratégiques de l’entreprise. Ainsi, notre expérience d’accompagnement des entreprises nous a amené à constater des faits significatifs suivants. Un repositionnement des acteurs des ressources Humaines Sur le sujet des RPS, compte tenu de son lien immédiat avec le climat social, avec l’état des relations sociales et avec les enjeux stratégiques de l’entreprise (ex. situations de mutations, conduite du changement…), on a assisté à une reprise en main de l’action par des acteurs issus des services des Ressources Humaines, au détriment des acteurs habituels de la santé au travail ; ceux-ci exprimant le fait qu’ils ne se sentaient pas légitimes pour conduire des projets dont le cadre dépassait leur mode habituel d’action, leur champ de compétences. Ainsi, sur le sujet des RPS, le Réseau ANACT a été, la plupart du temps, en contact direct avec les DRH, voire les directions d’entreprises, pour conduire le processus de prévention ou avec des acteurs nouveaux positionnés spécialement sur le sujet (ex. fonction nouvelle de chef de projet de prévention de RPS présent dans la plupart des grandes entreprises), issus généralement des services RH ; les services HSE, interlocuteurs habituels sur les sujets de santé au travail, étant clairement en retrait dans le processus. Selon les contextes, les services de santé au travail ont été mobilisés de façon variable dans l’action. Cette spécificité relative à la place des DRH peut s’avérer comme un atout puisque l’action est engagée plus près des centres de décision et, d’emblée, avec une compréhension plus globale des facteurs en cause et des zones de transformation potentielles. Une implication d’emblée plus forte des directions 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Sur le sujet RPS, au-delà des services RH impliqués, on a généralement constaté une mobilisation plus forte des directions d’entreprise, même si leur appréhension du sujet restait souvent très individuelle. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cela. Tout d’abord, la proximité de la question du stress ou des RPS pour les dirigeants eux-mêmes, qu’ils peuvent éprouver dans leur propre vie ou celle de leurs proches, ce qui n’est généralement pas le cas des TMS, dont les symptômes pouvaient apparaître plus lointains et « réservés » à des catégories bien particulières de travailleurs en production. Par ailleurs, beaucoup d’interventions du Réseau ANACT avaient pour origine un malaise de l’encadrement, accentuant là aussi la proximité des problèmes des lieux de décision et augmentant la sensibilité des dirigeants. Enfin, les liens avec le climat social, l’engagement des salariés, l’image sociale de l’entreprise sont faits plus rapidement sur le sujet RPS suggérant un côté éminemment stratégique à l’action de prévention des RPS. Là aussi, ces aspects constituent un atout, au moins dans la phase de mobilisation des directions des entreprises. Il reste ensuite à vérifier que celle-ci se traduise par une approche globale et du côté de l’organisation, et pas seulement sur le plan d’actions d’accompagnement des personnes. 37 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Santé mentale et santé physique : la difficulté à faire des liens Dans tous les cas, les acteurs de prévention (responsables de la prévention, membres élus du CHSCT…) ou responsables d’entreprises paraissent avoir du mal à faire le lien entre les différentes dimensions de la santé. Au travers de notre expérience, on peut envisager plusieurs hypothèses d’explication : • La gestion par crise ou thème de préoccupation de la prévention ; nous avons déjà développé la prééminence de la pression pour traiter des RPS qui a paru occulter tous les autres sujets de santé au travail et qui a fait focaliser exagérément les acteurs sur les questions de santé mentale. • La spécialisation des acteurs sur les sujets RPS et TMS (plutôt Ressources Humaines ou plutôt services HSE) comme il a été indiqué et qui renvoie à des approches différentes des conditions de travail portant l’analyse avec des indicateurs qui appartiennent à des champs différents : indicateurs climat social, absentéisme, etc. issus du champ RH ou indicateurs AT/MP issus du champ classique de la prévention. • Une certaine approche de l’évaluation des risques (notamment au travers du DU) qui favorise une approche par risque et un cloisonnement des questions. Dans un certain nombre d’entreprises rencontrées, notamment industrielles, l’obligation de prévenir les RPS entraîne un sentiment de « surplus », notamment de l’encadrement, qui exprime qu’il a à traiter un risque « de plus », au-delà des risques classiques liées à l’industrie, sans voir l’enrichissement possible des approches de ces risques en prenant mieux en compte les facteurs pychosociaux. Vers une appréhension plus globale de la santé ? La situation semble évoluer positivement. Au travers des accompagnements récents d’entreprises, des signes apparaissent dans le sens d’une approche plus globale de la santé. Plusieurs peuvent être mis en évidence par notre expérience : • La maturité des acteurs des entreprises tant sur le sujet RPS que sur TMS progresse indéniablement, avec l’appui des préventeurs institutionnels notamment. Les actions de formation nombreuses, les travaux sur les indicateurs largement diffusés favorisent une culture de la prévention plus globale. Sur les RPS en particulier, la recherche d’indicateurs pertinents amène à élargir le point de vue et à mieux prendre en compte toutes les pathologies pouvant être significatives pour approcher le sujet. • Les pratiques de prévention évoluent vers la création de groupes pluridisciplinaires en relation avec les CHSCT pour piloter des actions qui intègrent mieux les différentes fonctions de l’entreprise, notamment RH et HSE, favorisant un dialogue sur les indicateurs disponibles. L’obligation d’évaluation des risques — si l’approche n’est pas centrée risque par risque — peut alors être une opportunité pour rassembler les approches. • La montée de la préoccupation RPS dans tous les secteurs d’activités, et notamment industriels, oblige, malgré les réserves mentionnées précédemment, à faire des liens, et cette dichotomie « TMS-RPS » commence à s’effacer. Des pratiques d’entreprises semblent évoluer vers une vue enfin cohérente de la santé au travail, interrogeant, quel que soit le sujet, les formes d’organisation du travail qui permettent de dégager ou non des marges de manœuvre dans l’activité et de construire du sens dans les gestes professionnels. 38 ISBN : 978-2-913488-68-4 En définitive, il nous semble que l’approche globale de la santé sera d’autant plus facilitée que l’entreprise favorisera des lieux d’échanges entre divers acteurs, d’origine différente, pour construire et piloter la prévention : les différentes sources d’information pourront alors se recomposer pour donner un sens plus complet aux questions du travail et de la santé. Par ailleurs, l’approche qui favorise l’analyse du travail, des conditions pour « bien faire son travail » et « s’y reconnaître » au détriment d’une entrée par les effets sur la santé favorise également une approche globale. Enfin, la question actuelle de la pénibilité ouvre aussi des possibilités pour appréhender plus globalement les questions de santé. Il y a là tout un champ d’évolution des approches pour les acteurs d’entreprises ; mais aussi, bien entendu, pour ceux qui interviennent auprès de ces acteurs et qui, dans une posture moins experte mais plus d’accompagnement de processus de prévention, peuvent favoriser une approche holistique de la santé au travail. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Des TMS aux RPS, vers une approche globale du travail écile Briec, Yannice Clochard C Alternatives Ergonomiques (France) Introduction L es demandes adressées par les entreprises aux consultants sont souvent marquées par la volonté de traiter chaque risque de manière cloisonnée, suivant en tendance l’actualité et la médiatisation des questions de santé. Ainsi, après la vague des TMS, sont venues celles des RPS ou de la pénibilité en lien avec l’avancée en âge des salariés. Les approches centrées sur le travail s’accordent pour porter un regard plus global sur les questions de santé au travail en essayant de reconstituer les liens entre les déterminants des situations et leurs multiples effets sur l’efficacité et la santé. Cependant, si le bien-fondé théorique de l’approche globale est acquis, sa mise en œuvre concrète et durable dans les entreprises reste une difficulté sur laquelle butte la prévention des risques. Cette intervention dans une PME de 100 salariés qui appartient à un grand groupe industriel donne l’occasion de mettre en discussion quelques conditions pour tenter de la dépasser. L’entreprise formule une demande d’approche globale 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Fin 2009, le responsable de production sollicite une étude ergonomique dans un atelier de fabrication de petites pièces métalliques de précision qui compte une trentaine de salariés. Dans le cahier des charges, il souligne que le risque de TMS est important compte tenu de la nature du travail effectué. La fragilité des pièces à fabriquer et l’exigence élevée en termes de qualité limitent l’automatisation de la production ; c’est donc un travail manuel très répétitif qui est effectué. Mais le demandeur insiste sur l’aspect « global » du diagnostic attendu pour plusieurs raisons. D’une part, il identifie au titre de sa fonction de responsable de production que des modifications successives pour améliorer le process, les coûts et les conditions de travail ont généré des flux compliqués et des aménagements de poste insatisfaisants. D’autre part, différents interlocuteurs attirent son attention sur une dégradation sensible des conditions de réalisation du travail : • Depuis la mise en place du Lean, les salariés et leurs représentants (notamment le CHSCT), évoquent une augmentation des douleurs périarticulaires ; le médecin du travail fait le même constat. • Le technicien méthodes qui travaille pour cet atelier constate que certaines améliorations n’ont pas significativement réduit la pénibilité et que l’ambiance au sein de l’atelier se tend. • Le directeur et la directrice des ressources humaines — qui n’ont intégré l’entreprise que depuis quelques mois — sont porteurs d’une culture et d’attentes spécifiques : la DRH est particulièrement sensible au climat social dans l’atelier et plaide en faveur d’un management plus respectueux et plus participatif des salariés ; le directeur identifie que l’atout majeur de l’entreprise réside dans sa haute maîtrise de la technicité et de la qualité dans le processus de fabrication, que cette maîtrise repose sur des équipes expérimentées sur lesquelles il devra pouvoir compter pour développer de nouvelles productions. Il s’interroge néanmoins sur le bien-fondé des plaintes qu’il entend sur la charge de travail alors qu’il constate en passant dans l’atelier que les opératrices ont terminé leur production trente minutes en avance. • Le chef d’atelier perçoit au-delà de la pénibilité physique, que le travail est assez pauvre dans son contenu et que des tensions au sein des équipes sont palpables. 39 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Pour l’encadrement de l’atelier, la situation est déconcertante compte tenu de l’attention particulière qu’il porte aux problèmes des salariés et des projets engagés qui auraient dû améliorer conditions de réalisation du travail et relations avec les équipes : • Une organisation du travail a été mise en place essayant d’offrir des marges de manœuvre pour répondre aux difficultés des salariés. On peut citer notamment les horaires variables de prise de poste, la possibilité de moduler la durée de la journée de travail, les affectations de poste au regard des restrictions d’aptitude (le médecin du travail n’a jamais eu besoin de déclarer des inaptitudes pour que les salariés soient réaffectés sur des postes plus doux), même si ces choix viennent compliquer l’organisation du travail au quotidien. • De même, l’encadrement n’hésite pas à revenir en arrière quand des modifications réalisées créent du mécontentement. • Une réflexion sur les TMS a été engagée il y a quelques années. Un diagnostic court a été réalisé par un chargé de mission de l’ARACT. S’en est suivie une formation aux repères normatifs pour concevoir des postes de travail, à laquelle ont participé quelques acteurs de l’entreprise, en particulier le technicien méthodes de cet atelier. Un groupe de travail associant le médecin du travail et des personnels de l’atelier avait été constitué. De nombreuses transformations des postes de travail et des outils ont été réalisées. Mais cette démarche a fini par s’essouffler, personne ne sachant en reconstituer les raisons. • Puis l’entreprise a connu la mise en place du Lean, démarche imposée par ses clients. Avant sa mise en œuvre, le responsable de production s’est rapproché d’un club d’entreprises, auquel participe l’ARACT, et qui tente de promouvoir une application judicieuse de ce mode d’organisation. Des gains de productivité ont été recherchés en priorité par le biais d’innovations techniques astucieuses et d’investissements réalisés pour automatiser certaines tâches répétitives et reconnues comme pénibles. • Cette démarche a cherché à associer les salariés à la réflexion : à titre d’exemple, les opérateurs ont été sollicités pour répertorier les temps d’arrêts machines. Cela a permis de révéler l’importance des temps d’attente aux moments où la maintenance n’est pas présente. Pour les limiter, une nouvelle organisation a été mise en place : des coordonatrices ont été désignées parmi les opératrices et formées par la maintenance au dépannage des machines. Elles ont également appris à gérer les plannings pour réorganiser les affectations de poste en cas de problèmes de production. Enfin, des groupes ont été constitués pour améliorer l’esprit d’équipe. Pour les responsables, c’était une manière de développer les compétences et l’autonomie des opératrices. Malgré toutes ces tentatives, l’ambiance au sein de l’atelier se dégrade. La volonté des acteurs de comprendre le processus qui les a conduits dans ces impasses va constituer le fil conducteur de toute l’intervention. Quelques éléments du diagnostic Il ne s’agit pas ici de présenter l’ensemble des analyses effectuées mais celles qui permettent d’éclairer les relations entre les risques de TMS et de RPS. La mise en place du Lean ou l’intensification du travail et l’isolement 40 ISBN : 978-2-913488-68-4 Sur les postes déjà équipés de machines, la fiabilisation par la maintenance et le développement des compétences des coordonatrices pour dépanner ont diminué les temps d’arrêt qui étaient aussi des temps de récupération. Lorsque des mécanisations ont été développées, elles cherchaient à remplacer des manutentions répétitives et jugées sans valeur ajoutée. Mais les opérations supprimées s’effectuaient en position assise et offraient aux opératrices un moment de respiration et une possibilité d’alterner les sollicitations. L’automatisation a entraîné une densification de l’activité tout en augmentant la dépendance des opérateurs au rythme de la machine. Un autre effet induit par la mécanisation est la multiplication des postes sur lesquels le travail se fait désormais seul, là où un travail en binôme voire en trinôme était requis auparavant. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Ces différents éléments permettent d’expliquer pourquoi les opératrices ont associé au projet Lean une augmentation des cadences, alors que l’encadrement n’y voyait que des gains de productivité permis par les améliorations et la fiabilisation techniques. La mise en place des coordonatrices ou le gel de l’expérience Ce choix d’organisation a été très mal vécu par les équipes et a produit des effets délétères sur le collectif. S’il a été pour les coordonatrices un moyen de reconnaître leur expérience et de développer leurs compétences, il a produit l’effet contraire du côté des autres opératrices : dotées d’une forte expérience (cet atelier regroupe des opératrices qui ont une grande ancienneté), la nomination des coordonatrices (dont certaines qui étaient récemment arrivées dans l’entreprise) a été perçue comme une disqualification des savoir-faire acquis, de l’initiative et de l’autonomie dont elles faisaient preuve. Certaines ont adopté une posture de repli, attendant dorénavant les consignes des coordonatrices ou leur intervention sur les machines. On imagine aisément la difficulté éprouvée par les coordonatrices pour assurer leur fonction face à cette situation. La mise en place des groupes ou l’introduction de la concurrence L’objectif de gain de productivité a été perçu comme une condition du maintien de la production et de l’activité sur le site et a marqué les esprits. La mise en place des groupes a favorisé le développement d’une forme de compétition et de course à l’atteinte des quotas de production. Face à l’apparition de tensions, l’encadrement a renoncé à cette modalité d’organisation. Si, depuis, le fonctionnement en équipe est réinstauré, des traces de cette histoire demeurent. Mais les deux équipes ne l’ont pas vécu de la même façon : dans l’une, l’atteinte des objectifs de production est primordiale au prix parfois d’un sur-engagement du corps. Dans l’autre équipe, d’autres dimensions guident le travail quotidien : la perspective de pouvoir tenir dans le temps ; la qualité du travail réalisé. Ces écarts sont sources de tension au sein des équipes et entre elles, certaines tâches non directement productives (comme le nettoyage des machines, l’approvisionnement en matières premières, la formation des intérimaires…) étant régulièrement mises de côté lorsque le souci de productivité est premier, ce qui a des répercussions sur le travail des collègues. Ils peuvent être mis en lien avec leurs différences de composition : dans une équipe, la proportion d’intérimaires qui complète les effectifs est plus importante, du coup l’âge moyen des salariés et leur ancienneté sont moindres, on comprend que les équilibres individuels et collectifs s’y construisent autrement. Les feuilles de relevé de la production ou devoir écrire son incapacité à tenir les cadences 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Afin de détecter les incidents survenant sur les machines, un dispositif de relevé horaire de production a été mis en place. Chaque opératrice doit indiquer toutes les heures la quantité de pièces qu’elle a réalisées et les motifs des éventuels retards pris. L’encadrement n’est pas censé utiliser ces données pour mesurer la performance individuelle (et l’a expliqué à plusieurs reprises). Mais les opératrices (ou du moins certaines d’entre elles) ont refusé de se plier à l’exercice. Elles ne remplissent les feuilles au mieux qu’en milieu de poste, voire en fin de poste. Il s’agit pour elles d’une manière de préserver leur capacité à moduler leur rythme de travail. Ainsi, elles travaillent plus vite que la cadence attendue lorsque le fonctionnement des machines ou que leur propre état interne le permettent (prise d’avance), ce qui offre la possibilité de compenser un retard lié à une panne, ou le besoin de souffler. Cette modulation du rythme est un enjeu de santé. Sur un plan plus subjectif, indiquer sur le relevé que l’on n’a pas atteint son quota et devoir s’en « justifier » les affectent profondément : elles sont traversées par des sentiments mêlés, atteintes dans leur propre image parce qu’elles se voient incapables de tenir les cadences demandées, et en colère contre ce travail qui les a usées mais qu’elles aiment malgré tout. 41 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) La fragilisation du collectif ou le risque d’une perte d’efficacité L’un des points marquants des analyses a été de constater des écarts dans la richesse des gestuelles développées par les salariés. Les plus expérimentés disposent d’une palette de gestes qui leur permet de varier les sollicitations. Pour les plus récents, apparaît en tendance un enfermement dans une manière de faire unique, celle que la formatrice leur a enseignée au moment de leur intégration. Les différentes transformations du travail citées précédemment (l’isolement sur les postes, la pression pour atteindre les quotas, une ambiance tendue…), auxquelles s’ajoute la rareté des occasions et des temps d’échanges, ont fragilisé l’apprentissage et la transmission de gestuelles variées pourtant facteur de santé. Il en est de même pour les critères de qualité des pièces fabriquées. Les espaces nécessaires à l’élaboration de critères collectifs (et pas seulement individuels) manquent. Cette fragilisation de la dimension collective de l’activité rend les salariés plus vulnérables face aux risques de TMS et pourrait compromettre, si rien n’est fait, la qualité de la production, pourtant un enjeu majeur de cet atelier. Il s’agit d’un sujet de préoccupation dans l’entreprise. Ces éléments d’analyse tentent d’éclairer des situations de travail très concernées par un risque de TMS (même s’il n’y a pas de maladies professionnelles déclarées, les douleurs identifiées par le médecin du travail sont nombreuses) et par un risque « psychosocial » si tant est que ce mot puisse désigner les tensions dans les équipes, ou les relations grippées avec l’encadrement. Ils montrent selon nous l’entremêlement des différents facteurs qui concourent à l’émergence de ces risques. Au-delà du diagnostic, la naissance d’une dynamique Au moment où nous écrivons cet article, bien que le diagnostic soit terminé depuis sept mois, la collaboration avec l’entreprise se poursuit, ce qui nous permet d’assister à la dynamique que l’entreprise a décidé d’engager. Du diagnostic au plan d’actions Sur la base du document formalisant le diagnostic, deux séances de travail avec un groupe d’acteurs– ceux qui avaient été des interlocuteurs privilégiés durant l’intervention, le responsable de production, le chef d’atelier, le technicien méthodes et deux opératrices – et les intervenants, leur ont permis de s’approprier les analyses et de clarifier les points qu’ils ne comprenaient pas. Puis ces acteurs se sont réunis entre eux pour bâtir un plan d’actions. Le diagnostic et ce plan d’actions ont été présentés à l’occasion d’un comité de direction (préparation à la restitution au comité de pilotage). Les discussions qui se sont engagées avec les différents cadres ont été essentielles dans la mesure où elles ont été l’occasion de revenir aux interrogations que chacun avait pu énoncer au début de l’intervention (directeur du site, DRH, responsable production, chef d’atelier…). Elles leur ont permis de vivre l’expérience étrange de pouvoir trouver, par l’entremise de l’analyse du travail, des réponses à leurs questions, pourtant de natures très différentes au regard de leurs fonctions. Elles ont aussi révélé quelques désaccords entre eux qui ont commencé à faire l’objet de débats. Une présentation en comité de pilotage (associant le médecin du travail, l’ARACT, le CHSCT et deux opératrices de l’atelier) a entériné la décision d’engager une démarche articulant plusieurs chantiers devant aboutir à des transformations et dans la perspective générale de « reconstruire une dynamique collective ». 42 ISBN : 978-2-913488-68-4 Touchant à tous les domaines (technique, organisationnel, humain…) et élargi à d’autres ateliers, ce plan ambitieux va bien au-delà de ce que les intervenants auraient pu inscrire dans leurs préconisations. La volonté de l’entreprise d’engager de front l’ensemble des actions nous fait même craindre qu’elle sousestime les moyens à dégager et les difficultés d’une telle démarche. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Du plan d’actions à la mise en place de chantiers Non seulement l’entreprise a mis les moyens nécessaires, mais elle a assumé le pilotage et la mise en œuvre du plan d’actions, ne nous demandant de l’accompagner que sur quelques chantiers spécifiques. • Une première action visait la mise en discussion du diagnostic et du plan d’actions au sein de l’atelier, premier pas pour la recherche de volontaires pour les chantiers. Cela a pris la forme de deux réunions de restitution à destination de l’ensemble des opérateurs des deux équipes (titulaires, intérimaires, coordonatrices), en présence du chef d’atelier, du responsable production, du technicien méthodes, de la DRH et du directeur du site, qui ont affirmé à cette occasion leur volonté de travailler différemment et se sont engagés à mettre les moyens nécessaires pour y parvenir. • Différents groupes de travail ont été constitués. Chacun, sur la base du diagnostic, a pour mission d’identifier des actions d’amélioration immédiatement réalisables et des propositions de transformations à plus long terme. Un groupe plus transversal a été mis en place pour réfléchir au réaménagement global de l’atelier et des différents postes. Au-delà de cet atelier, des réflexions sont confiées aux opérateurs pour transformer d’autres postes de travail. • L’un des axes retenus dans le plan d’actions était de permettre à tous les opérateurs d’accroître leurs compétences à l’occasion de la démarche. Pour cela, il a été décidé d’associer l’ensemble du personnel de l’atelier aux transformations, chaque salarié participant à au moins l’un des groupes de travail mis en place. De plus, deux formations ont été proposées aux opérateurs volontaires, l’une à l’ergonomie, l’autre à l’animation de groupe, permettant d’outiller un « référent ergonomie » et un « animateur » intégrés à chacun des groupes de travail. Chaque groupe est par ailleurs parrainé par un encadrant : responsable de production, chef d’atelier ou technicien méthodes. Pour notre part, nous avons accompagné le groupe chargé de l’implantation de l’atelier et déployé la formation-action à l’approche ergonomique. Toutes ces actions sont encore en cours. Nous ne savons prédire leur destin car elles ne se déploient pas sans que des obstacles viennent les contrarier. Mais la capacité des interlocuteurs à les dépasser traduit le chemin qu’ils ont parcouru depuis le début de l’intervention et révèle ce qui, à notre sens, permet d’installer une dynamique de prévention au sein de l’entreprise. L’organisation d’une démarche de prévention ou une nouvelle manière de penser globalement le travail ? Un premier mouvement : des déplacements individuels S’il a fallu tempérer l’impatience de nos interlocuteurs à déboucher trop rapidement sur des solutions concrètes et ciblées, rappeler l’intérêt (et la demande) de construire un diagnostic global et partagé, prendre le temps de discuter des analyse en cours, ce temps pour penser, gagné sur l’action, a eu des effets. De nombreux temps d’échange ont eu lieu avec les salariés de l’atelier, ce qui est somme toute habituel dans notre méthodologie, même s’il a fallu dépasser les premières réticences à l’égard de l’intervention. Les discussions, menées sur les postes et axées sur la compréhension de l’activité de travail, ont permis progressivement de mettre des mots sur des problématiques « psychosociales » enkystées qui ne se disaient pas et favorisaient ainsi le développement des tensions et des conflits entre les équipes et en leur sein. Ces difficultés qui faisaient obstacle au dialogue seraient restées inaccessibles à une investigation trop rapide ou concentrée sur des aspects biomécaniques. Cette mise en mot constitue en soi un premier déplacement. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Plus inhabituels sont les temps d’échange que nous avons eus, de manière formelle ou informelle, avec plusieurs membres de l’encadrement (directeur, responsable de production, DRH, chef d’atelier, technicien méthodes…). La taille de l’entreprise a été incontestablement un facteur facilitant (les intervenants sont identifiés, on se croise au café, à la cantine…) de même que la culture de l’écoute et du débat qui existe dans cette PME. Toutes ces discussions, engagées sur la base des analyses en cours de réalisation dans l’atelier, permettaient à chaque interlocuteur d’exposer sa lecture de la situation, de préciser les interrogations qu’il 43 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) avait ; en retour nous pouvions faire part de notre analyse, discuter de nos écarts de points de vue. Parfois, les discussions étaient tendues, notamment lorsque les analyses pointaient le contre-effet d’une action destinée, à l’origine, à améliorer la situation. Mais le déplacement de ces différents acteurs a été sensible au fil de l’intervention. En interpelant leur propre activité et les effets de celle-ci sur le travail des opérateurs, les échanges ont permis d’éclairer les impasses dans lesquelles ils pouvaient se trouver. Ce premier mouvement est donc celui qui a permis à chaque acteur de progresser dans la compréhension de la situation. Chacun se reconnaît dans l’éclairage apporté par le diagnostic en ce qu’il permet d’établir des liens entre des éléments jusque-là pensés de manière cloisonnée et, pour chacun, de situer sa propre activité dans cette compréhension globale. Un second mouvement : l’investissement d’un espace collectif de débats entre pairs Ces mouvements individuels ont été la condition pour pouvoir engager des réflexions collectives à plusieurs niveaux. • Entre les opératrices : des réunions de travail ont été organisées, dans un premier temps par équipe, puis dans un second temps entre les deux équipes. Elles cherchaient notamment à dépasser les tensions pour réengager le dialogue sur le travail. Ces réunions n’ont pas toujours été faciles (l’histoire ne s’efface pas aussi rapidement) mais quelques signes donnent à penser que le fonctionnement collectif s’est dégrippé. Tous les salariés sont aujourd’hui engagés dans des chantiers et l’on perçoit dans les rapports qu’ils entretiennent entre eux et avec leur hiérarchie une moins grande réticence à énoncer leurs points de vue. • Entre les cadres : au-delà de la réunion du comité de direction évoquée précédemment, des moments plus informels, telle que la restitution des analyses et du plan d’actions aux équipes, ont aussi été importants. Par exemple, à cette occasion, l’encadrement de l’atelier va se rendre compte en direct d’un problème de coordination entre les différents services. Un des postes de travail de l’atelier est concerné par un projet d’automatisation. Le plan d’actions ergonomique prévoit la participation des opératrices à la définition du cahier des charges de la future machine, mais celui-ci est déjà transmis au concepteur par le service Méthodes. La production (encadrement comme opérateurs) s’apprête à réceptionner une machine sur laquelle elle n’a pas donné son avis. Après un instant d’abattement, le responsable production prend l’initiative d’aller discuter avec le responsable Méthodes. Il réalise que la charge de travail aux Méthodes est importante dans la mesure où le directeur du site veut développer de nouvelles productions dans d’autres ateliers (faire seul le cahier des charges est d’abord un moyen de gagner du temps). Les deux responsables décident d’en faire un objet de débat en comité de direction. De nouveaux compromis s’établissent : nouvel arbitrage sur les priorités et les délais proposé par le directeur, négociation avec le concepteur, moyens humains complémentaires mis à disposition par la DRH… De la même manière, le plan d’actions qu’ils ont convenu d’engager les amène à se coordonner et à s’accorder sur la mise en place des chantiers. Chaque salarié, quelle que soit la fonction qu’il occupe, fait l’épreuve que travailler de manière décloisonnée, c’est d’abord faire l’expérience des contraintes des autres et de la nécessité des ajustements mutuels. Cela rajoute de la complexité et des contraintes dans l’activité de chacun, mais la découverte de nouvelles marges de manœuvre et la satisfaction d’obtenir un résultat plus satisfaisant soutient cette nouvelle manière de travailler. Troisième mouvement : des espaces de travail collectifs entre différentes fonctions 44 ISBN : 978-2-913488-68-4 En tendance, les différents chantiers qui s’engagent s’appuient désormais sur un travail collectif où les toutes fonctions de l’entreprise sont représentées (production, maintenance, méthodes…) et ont leur mot à dire. Pour reprendre l’exemple de la nouvelle machine, des réunions de travail associant quelques salariés de l’atelier ont été organisées pour que le concepteur présente son projet de machine et intègre des modifications. Les opératrices ont soulevé des problèmes de conception qui vont faire l’objet de changements. Ainsi, l’expérience des salariés (opérateurs de production, de maintenance, de logistique) a dorénavant une place à occuper dans les transformations. Les responsables s’étonnent d’ailleurs de leurs 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) capacités de réflexion et de créativité dès lors qu’on leur offre l’espace et la légitimité de le faire. Notre participation à l’un des chantiers nous permet de vivre ce processus de construction collective d’une solution qui intègre les différentes logiques. Il est complexe, parfois décourageant mais finalement exaltant. L’approche globale du travail : le meilleur vecteur d’une prévention durable ? Ces mouvements décrits constituent d’une certaine manière des repères de méthodes quant à la mise en place d’une dynamique de prévention au sein de l’entreprise. Mais ils permettent également de discuter de repères plus « théoriques ». Au cours des séances de travail des groupes chargés de transformer les installations, les différents acteurs ont pris la mesure de l’importance du point de vue des uns et des autres. Mais le point de vue des utilisateurs de ces installations a souvent fait basculer les compromis de leur côté. Parce que ce point de vue particulier vient lester les réflexions d’une certaine réalité, celle du quotidien, de la pratique, de l’activité. Il ne s’agit pas d’une préoccupation parmi les autres. Ce point de vue établit de fait une synthèse entre les différentes logiques à l’œuvre qui contribuent chacune à déterminer la situation de travail. Il renvoie à chacun des porteurs d’une logique l’impact que produit son activité sur celles des utilisateurs ainsi que l’effet que produit l’interaction des logiques. Il constitue la corde de rappel, en même temps que le trait d’union entre les différents acteurs. Il dégrise les concepteurs qui ne peuvent plus continuer à concevoir des organisations ou des installations en solitaire, dans la certitude d’avoir pensé les choses de manière optimale. Il produit de l’intelligence collective qui vient en soutien des activités individuelles et, par là même, il est facteur de santé. Il nous semble que la réussite de cette expérience tient dans le fait qu’elle a su déborder le cadre strict d’une démarche de prévention focalisée sur tel ou tel risque. L’invitation à laquelle ont répondu les acteurs de cette entreprise, c’est celle d’une nouvelle manière de penser ensemble le travail. Même lorsqu’elles préconisent de porter un regard global sur le travail, les démarches de prévention des risques découpent dans la réalité de l’entreprise un objet particulier, qui sera éventuellement pris en charge par des acteurs identifiés dont c’est la fonction. Or le projet perd, de fait, de son sens puisque c’est un objet désincarné, déréalisé. Au mieux, ce type de projet contribue à créer de nouvelles prescriptions qui viennent s’ajouter aux mille-feuilles des autres prescriptions. En visant l’amélioration des capacités collectives à concevoir un travail en santé, et pas seulement la prévention d’un risque, le projet se donne l’opportunité de fédérer plus largement la diversité des acteurs de l’entreprise, et d’installer durablement de nouvelles manières de penser le travail. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Apparaît en filigrane dans cette façon d’aborder la prévention une certaine conception de la santé au travail : elle s’inscrit dans la perspective de G. Canguilhem pour qui la santé se définit comme un processus développemental où chaque individu, pour être en santé, ressent la nécessité de pouvoir construire du lien entre les choses, de reconfigurer son milieu, d’être acteur. N’est-ce pas finalement ce que cette intervention a permis de faire auprès des différents participants ? 45 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Traiter de « surcharge de travail », une intégration des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux icheline Boucher M Confédération des syndicats nationaux (CSN), Montréal (Canada) D epuis quelques années, des syndicats acheminent des demandes sur la question de la surcharge de travail et de ses effets sur la santé physique et mentale des salariés(es) à divers paliers de la structure de la CSN. Un mandat explicite est confié à une équipe de trois professionnels en prévention de la santé et de la sécurité du travail. Cette équipe, dont je fais partie, doit produire des outils pour aider les syndicats locaux et leurs conseillers à ouvrir un espace de discussion et de négociation avec les employeurs sur la question de la surcharge de travail. L’équipe se compose d’un ingénieur industriel junior, d’une spécialiste des questions de santé psychologique au travail et d’une ergonome. Depuis 2009, nous sommes en contact avec M. Pierre- Sébastien Fournier, professeur en management à l’Université Laval de Québec et chercheur principal d’une recherche-action sur la question de la surcharge de travail. Une entente de collaboration nous permet d’utiliser le modèle développé par cette équipe et de partager les questions et les résultats de nos travaux respectifs. L’approche privilégiée veut : • tenir compte des aspects physiques, cognitifs et émotionnels de la charge de travail ; • documenter la charge prescrite, la charge réelle et la charge subjective de travail et les ressources de l’entreprise ; • documenter le contexte organisationnel dans lequel l’entreprise et les travailleurs se situent ; • utiliser les impacts et conséquences sur la santé des salariés-es et sur la production de l’entreprise comme déclencheurs d’une démarche de redéfinition de la charge de travail. Plusieurs outils sont élaborés. Présentement, ils sont utilisés sur le terrain dans au moins un milieu de travail : une grande entreprise de communication. Les questions suivantes seront discutées. Aborder de façon intégrée les impacts physiques et psychologiques du travail sur les individus induit un changement de paradigme dans notre compréhension de la prévention. Soit celui de passer d’une conception linéaire et unicausale de la SST (dose x toxicité = effets sur la santé) à une conception holistique de la santé au travail influencée par de multiples facteurs de risque autant physiques, physiologiques que psychologiques, sociaux ou organisationnels. Ce passage est très difficile à faire car la conception de la santé et de la sécurité du travail au Québec est encore campée sur l’approche traditionnelle. Dans le même sens, au Québec, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) n’intervient pas sur l’organisation du travail. Cela relève du droit de gérance et des relations de travail. Notre approche sur la surcharge de travail interpellant directement l’organisation du travail revendique par le fait même le droit pour les salariés(es) et leurs représentants syndicaux de prendre part à la définition du travail, et ce, au nom de la protection de leur santé, de leur sécurité et de leur intégrité physique et mentale. 46 ISBN : 978-2-913488-68-4 Finalement, le fait que la proposition d’analyser et de discuter de surcharge de travail vienne d’une organisation syndicale et non de l’intervention d’un tiers (consultants, Association sectorielle paritaire, Inspection du travail) impose d’avoir ou de créer des conditions favorables (ouverture de l’employeur, perception du rôle d’un syndicat, etc.) et force la vigilance afin d’éviter une série d’écueils relatifs à notre position dans l’entreprise (rapport de force, chevauchement d’enjeux syndicaux, réactions à la conjoncture économique, etc.). 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Les pratiques de management : un incontournable dans la prévention des risques psychosociaux au travail ichel Vézina M Conseiller médical en santé au travail, Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ) Carole Chénard Responsable du projet promotion de la santé au travail (INSPQ) (Canada) L es résultats de l’enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et sécurité du travail (EQCOTESST) montrent bien que la prévalence des TMS est beaucoup plus importante chez les travailleurs exposés à des contraintes organisationnelles et psychosociales du travail (ex : tension au travail (job strain), tension au travail avec faible soutien (iso-strain), déséquilibre effortreconnaissance, travail émotionnellement exigeant, situations de tension avec le public, harcèlement psychologique, harcèlement sexuel, etc.) que chez ceux qui ne sont pas exposés à ces contraintes. Des modèles ont d’ailleurs déjà été proposés pour décrire les liens importants et bidirectionnels entre les problèmes de santé mentale, les douleurs musculo-squelettiques et les contraintes organisationnelles du travail (Cnockaert 2000 ; Fawcett 2005 ; Karsh 2006 ; Moon et Sauter 1996 ; NRC 2001 ; Stock et al 2006). Dans ce contexte, la réduction des facteurs de risque psychosociaux en intervenant au niveau des pratiques de gestion (management) apparaît comme une priorité en santé publique. C’est dans cette perspective que l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ) a développé un outil permettant d’identifier les risques psychosociaux en entreprise [.http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/930_ GrilleRisquePsychoTravail.pdf ] De façon plus spécifique, la grille d’identification des risques psychosociaux a été développée pour aider les intervenants du milieu à asseoir leur jugement professionnel sur des repères communs objectivables, qui permettent d’avoir une certaine cohérence dans l’appréciation de l’importance des risques psychosociaux dans une entreprise. Cet outil repose sur l’information recueillie auprès de représentants à la fois des travailleurs et de la direction. Ces informateurs-clés peuvent être rencontrés séparément ou ensemble, ce qui est déjà un bon indice du climat dans l’entreprise. L’outil permet l’identification d’un indice chiffré du risque psychosocial dans l’entreprise. Cet indice va de 0 à 3 pour chacun des 12 indicateurs (0 = aucun risque, et 3 = le risque le plus élevé). Pour chacun de ces niveaux de risque, il existe des définitions opérationnelles, définitions basées sur des exemples concrets de pratiques de management qui existent ou non dans le milieu. La grille est divisée en deux parties et chaque partie comprend 6 indicateurs. La première partie porte sur des données de base : des données factuelles sur le contexte et les activités préventives dans l’entreprise et les six autres indicateurs concernent les composantes-clés de l’organisation du travail. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Pour la première partie, l’outil aborde les sujets suivants : • D’abord, le contexte de l’emploi permet de connaître l’importance de l’insécurité d’emploi et des changements organisationnels en cours ou prévus, soit parce que le secteur est actuellement en décroissance ou soit encore parce qu’un plan de réduction des effectifs est en train de se faire ou est anticipé. • L’absence maladie est évaluée en fonction de la fréquence et de la durée des absences dans l’entreprise. Selon le niveau, si par exemple plus de 50% des absences sont dus à des problèmes de santé psychologique, l’entreprise pourra avoir 3 points. Elle a 2 points si elle a mis en place un programme depuis quelque temps, etc. Le présentéisme est également utilisé, comme indicateur complémentaire. • Existe-t-il une politique de santé au travail dans l’entreprise ? Cette politique concerne-t-elle uniquement les risques physiques et les risques d’accidents de travail ? Ou concerne-t-elle également les risques psychosociaux. Peu d’entreprises ont des politiques articulées qui concernent les risques psychosociaux, donc peu d’entreprises ont un risque 0. Mais si elles ont beaucoup d’activités préventives dont certaines concernent les risques psychosociaux du travail, elles peuvent avoir de 1 à 2 points, par exemple. 47 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) • Existe-t-il une politique contre le harcèlement psychologique au travail ? Est-elle appliquée ? Est-elle évaluée ? Plusieurs sous-questions permettent de statuer sur le niveau 0 à 3. • Existe-t-il dans l’entreprise un programme pour favoriser le retour au travail suite à un problème de santé psychologique ? • Y a-t-il des activités ou une approche pour favoriser la conciliation travail-vie personnelle ? Les six autres indicateurs concernent les composantes-clés de l’organisation du travail, c’est-à-dire des dimensions reconnues pathogènes en lien avec le modèle de « demande-autonomie-soutien » (Karasek et Theorel, 1990), qui rend compte d’un vécu d’aliénation au travail et avec le modèle de «déséquilibre : effort/reconnaissance» (Siegrist, 1996), qui permet de caractériser un vécu d’exploitation au travail. La grille permet également de prendre en compte des dimensions du modèle de justice organisationnelle, qui comporte une composante procédurale (l’impartialité dans les processus de prise de décision) et une composante relationnelle (capacité du supérieur à prendre en considération le point de vue de l’employé et à le traiter de façon juste et équitable) (Elovenio et al, 2002, Kivimaki et al, 2003). Les 6 indicateurs retenus à titre de composantes-clés de l’organisation concernent la charge de travail, la reconnaissance, le soutien social des supérieures, le soutien social des collègues, la latitude décisionnelle, l’autonomie et l’information et la communication dans l’entreprise. Pour chacun de ces indicateurs, le score varie également de 0 à 3 en fonction de l’existence ou non dans l’entreprise de pratiques managériales qui sont favorables à ces dimensions critiques de l’organisation du travail. Un des intérêts de la grille réside dans le caractère objectif de la mesure de 0 à 3. Mais ce n’est pas automatique. Ce n’est pas un indice qu’on calcule en faisant l’addition des réponses. C’est vraiment un jugement appuyé sur l’existence ou non de faits, de pratiques de management précises, mais également sur l’importance du subjectif, verbal ou non verbal. À la fin de l’exercice, un rapport synthèse est remis à l’entreprise, rapport qui permet d’éclairer les zones à risque dans le milieu et de positionner l’entreprise par rapport à un groupe de référence. De plus, des orientations à privilégier sont identifiées pour chacune des problématiques les plus importantes. En partant d’un langage commun, cet outil permet une meilleure transparence et une meilleure coopération entre les acteurs du milieu, ce qui améliore le dialogue social dans l’entreprise. L’outil comporte également une dimension pédagogique, car il permet d’indiquer aux entreprises les pratiques de management à mettre en place pour améliorer leur niveau de risque psychosocial. À l’usage, on s’aperçoit que le recours à cet outil va bien au-delà de l’objectif visé au départ, soit d’identifier des risques psychosociaux dans l’entreprise. Il permet en effet de créer dans le milieu un « momentum », un espace de parole, pour favoriser le dialogue et l’action concertée des partenaires du milieu sur le sujet particulièrement sensible que constituent les pratiques managériales. Il peut en résulter ainsi la mise en place d’actions préventives concrètes, autour de un ou de quelques indicateurs problématiques. 48 ISBN : 978-2-913488-68-4 Pour en arriver à cet objectif, une analyse plus approfondie des facteurs de risque peut être requise avant de procéder à l’élaboration du plan d’action (St-Arnaud et al, 2010) [ http://www.pistes.uqam.ca/v12n3/articles/ v12n3a4.htm ]. Le milieu peut en effet avoir recours à une démarche qualitative de type «focus group» où les membres du groupe sont invités dans un premier temps à identifier les situations dans le milieu de travail qui actualisent le facteur de risque repéré dans l’entreprise. L’objectif de la discussion libre est de comprendre les dynamiques organisationnelles et relationnelles qui sont à l’origine des éléments pathogènes identifiés par la grille et de donner ainsi un sens à l’évaluation. Par la suite, les participants sont invités à proposer des solutions afin d’éliminer ou de réduire les problèmes identifiés. La hiérarchisation des correctifs à apporter peut se faire par la technique du groupe nominal, en fonction de critères telle la faisabilité de l’intervention (ex. : ressources requises, acceptabilité des changements par le milieu, etc.) ou encore en fonction de l’importance des problèmes vécus (ex. : le nombre de travailleurs exposés, la gravité des problèmes, etc.). Le résultat final de cette étape de la démarche doit permettre l’identification d’un ensemble d’activités structurées pour des unités ciblées dans l’entreprise dans le but d’améliorer la situation en regard de l’un ou l’autre des indicateurs considérés problématiques. Ainsi, le contenu du plan d’action doit préciser dans un langage clair : la nature du problème en lien avec les variables ciblées, le type d’actions à réaliser, la personne responsable, l’échéancier et les critères d’évaluation. Trois à quatre rencontres de deux à trois heures avec le groupe sont habituellement nécessaires pour la réalisation de ce plan d’action. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Le groupe peut également s’inspirer des actions réalisées dans d’autres milieux et dont l’efficacité a été démontrée. Ainsi, à titre d’exemple, le groupe interdisciplinaire de recherche sur l’organisation et la santé au travail (GIROST) a publié un guide de pratiques organisationnelles favorables à la santé à la suite des résultats probants d’un projet de recherche-intervention évaluative sur l’organisation de travail réalisé dans une entreprise du secteur de l’assurance au Québec (Gilbert-Ouimet, Baril-Gingras, Brisson, Vézina, 2009). Ce guide s’appuie sur des pratiques implantées au sein de cette entreprise et qui ont été reconnues efficaces à réduire les problèmes de santé mentale, cardio-vasculaires et musculo-squelettiques. Ainsi pour favoriser un meilleur équilibre entre la charge de travail (demandes psychologiques) et la latitude décisionnelle, le guide montre bien l’importance d’un style de management participatif, lequel peut se traduire par la mise en œuvre de pratiques favorisant la contribution des employés à la conception des tâches, au fonctionnement de l’organisation et au processus décisionnel. De façon plus spécifique, deux pratiques sont à mentionner : la création de comités et la tenue d’ateliers de travail ou de rencontres d’équipe (afin de participer à la conception et à la prise de décisions) et des rencontres individuelles de suivi de dossiers (afin d’ajuster la charge de travail, la nature des mandats et de discuter des difficultés au travail). Cette façon de faire permet également de reconnaître l’expertise et le jugement du personnel. Quant à la charge de travail, l’ajout transitoire ou permanent de personnel ou encore le remplacement de personnel lors des absences sont autant de moyens permettant de réduire la surcharge de travail. Il en va de même pour le « coaching » ou le mentorat qui met en relation un employé et un « coach » (qui peut être un supérieur immédiat, un consultant extérieur ou un collègue de travail), permettant ainsi à l’employé d’être confronté à une demande psychologique moindre que s’il était laissé à lui-même. Quant à l’équilibre entre les efforts et la reconnaissance, la mise en place d’un contexte de travail permettant de combler les besoins d’estime des individus est à privilégier ; ce qui peut être réalisé grâce à des activités permettant de reconnaître tant la qualité des résultats que les efforts fournis par le personnel pour les atteindre. Ces réalisations peuvent être soulignées lors de rencontres avec un supérieur ou lors de rencontres d’équipes ou inter-équipes. La reconnaissance peut se manifester également par des pratiques visant à accorder plus de responsabilités, plus d’autonomie ainsi qu’à accroître la diversité des tâches des employés. Cet enrichissement des tâches peut requérir une formation préalable qui constitue également une forme de reconnaissance du potentiel des travailleurs et une façon d’accroitre son autonomie à plus long terme. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Bien que nous n’ayons pas encore de donnée montrant que l’utilisation de cet outil a mené à une réduction des LMS, il importe de mentionner, en terminant, que nous avons par ailleurs plusieurs exemples d’entreprises qui, à la suite de l’utilisation de la grille, ont mis en place des interventions visant à réduire certaines situations considérées comme problématiques. C’est ainsi que certains milieux de travail ont entrepris des démarches participatives visant notamment la mise en œuvre d’un programme de reconnaissance ou encore de prévention du harcèlement psychologique (ou moral) au travail. Aussi, le lien entre réduction des contraintes psychosociales et réduction des LMS étant bien établi, nous avons tout lieu de croire que les interventions implantées pourront avoir également un effet bénéfique sur les LMS. 49 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Bibliographie : Cnockaert J.-C. (2000) Influence du stress sur les TMS dans Prévenir les TMS du membre supérieur – de la réflexion à l’action. INRS, Paris. p. 19-22. Elovainio M, Kivimaki M, Vahtera J. Organizational justice : evidence of a new psychosocial predictor of health. American Journal of Public Health 2002 ; 92 :105–8. Fawcett J. (2005). Integrating “psychosocial” Factors into a Theoretical Model for Work-Related Musculoskeletal Disorders, Theoretical Issues in Ergonomics Science, 6 (6) : 531-50. Gilbert-Ouimet, M, Baril-Gingras, G, Brisson, C, Vézina, M,, 2009, « Guide de pratiques organisationnelles favorables à la santé », Unité de recherche en santé des populations, Centre hospitalier affilié à l’université Laval, Québec. Karasek, R.A., Theorell, T. (1990) Healthy work : stress, productivity and the reconstruction of working life. New-York : Basic Books. Karsh B. Theories of work-related musculoskeletal disorders : implications for ergonomic interventions. Theoretical Issues in Ergonomics Science 2006 ; 7(1) :71-88. Kivimaki M, Elovainio M, Vahtera J, Ferrie J E. Organisational justice and health of employees : prospective cohort study, Occupational Environmental Medicine, 2003 ; 60 :27–34. Moon D, Sauter S. Beyond biomechanics : psychological aspects of musculoskeletal disorders in office work. London (UK) : Taylor & Francis ; 1996. National Research Council. Musculoskeletal disorders and the workplace : low back and upper extremities. Washington DC : National Academy Press ; 2001. Siegrist J. Adverse health effects of high effort low-reward conditions. Journal of Occupational Health Psychology 1996 ; 1 : 27-41. St-Arnaud, L, Gignac, S, Gourdeau, P, Pelletier, M. et VÉZINA, M, (2010), « Démarche d’intervention sur l’organisation du travail afin d’agir sur les problèmes de santé mentale au travail », PISTES, Vol 12, # 3, novembre 2010, http://www.pistes.uqam.ca/v12n3/articles/v12n3a4.htm 50 ISBN : 978-2-913488-68-4 Stock S, Vézina N, Seifert AM, Tissot F, Messing K. Les troubles musculo-squelettiques au Québec, la détresse psychologique et les conditions de travail : relations complexes dans un monde du travail en mutation. Santé, Société et Solidarité 2006, 2 :45-58. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) De l’intérêt de lier « TMS » et « RPS » : quelles implications pour l’organisation de l’action de prévention ? abien Coutarel F Clermont Université, Université Blaise Pascal, EA 4281, PAEDI (France) L es retours des praticiens comme les travaux scientifiques récents dans le champ des troubles musculo-squelletiques et/ou des risques psychosociaux liés au travail soulignent l’intérêt de ne pas trop dissocier les deux risques dans les démarches de prévention. Ceci nous conduit finalement à considérer que les démarches collectives de prévention gagnent en efficacité lorsque le risque, quel qu’il soit (TMS ou RPS), est appréhendé comme une occasion (un prétexte ?) pour interroger le travail. Les TMS et RPS relèvent tous deux d’une catégorisation par risques des atteintes à la santé. La littérature parle aujourd’hui de risques professionnels, de facteurs de risques, de risques toxiques, de risques physiques, de risques psychosociaux, de risques liés au stress, de risques psychiques… Ces catégories de risques liés au travail sont reprises régulièrement deci delà en ne réinterrogeant précisément que trop rarement ce qu’elles embrassent respectivement, et ce qui les distingue. En ce qui concerne les TMS, les définitions varient selon les auteurs. Soit elles renvoient à une localisation anatomique des symptômes, soit à un facteur de risque particulier. Le terme Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) s’inscrit dans le premier cas. Cette catégorie comprend selon les auteurs des pathologies des membres supérieurs, de la nuque, parfois du dos, voire même des membres inférieurs. Les symptômes peuvent concerner des entités anatomiques différentes, impliquées dans la mobilisation spatiale du corps humain : essentiellement des muscles, des tendons, et des os. La littérature parlera également de lésions ostéoarticulaires ou périarticulaires, de lésions des tissus mous. Certaines dénominations insistent explicitement sur le lien au travail : troubles musculo-squelettiques liés au travail. La dénomination « TMS du membre supérieur (TMS-MS) » est la plus restrictive. Elle inclut néanmoins des pathologies très différentes de l’épaule, du coude, du poignet, de la main, et dont les tableaux étiologiques diffèrent également (par exemple, Toomingas et al, 1997). D’autres dénominations insistent sur un facteur de risque : pathologies d’hypersollicitation, Lésions attribuables au travail répétitif, pathologies d’usure ou syndrome de surutilisation, sont les plus fréquentes… Elles regroupent une très grande diversité d’atteintes, dont les différences sont gommées, de fait. En insistant sur une cause a priori, ces dénominations contribuent aussi à véhiculer une représentation simpliste des atteintes en totale divergence avec les tableaux étiologiques les plus récents, dont nous verrons que l’évolution tend à la complexification. De par leur flou, leurs imprécisions ou leur caractère simpliste, les différentes dénominations de ce que nous appelons TMS rendent délicate toute perception du périmètre des atteintes concernées. En parlant de TMS, on ne dit à la fois pas grand-chose des symptômes et pas grand-chose du travail. D’un point de vue médical, chaque symptôme disposera après diagnostic d’une dénomination précise et spécifique. Mais la singularité des cas d’une part, et le lexique médical complexe orienté vers le patient et non vers le travail, d’autre part, rendent difficile l’accès à un cadre de définition satisfaisant pour l’acteur de la prévention. On constatera sans le détailler le même flou ambiant autour de la notion de « RPS ». Stress, latitude décisionnelle, soutien social, exigences du travail, reconnaissance, monotonie, etc. sont des concepts convoqués dans et autour de la thématique RPS, dont les frontières varient une fois encore selon les auteurs, et qui se recouvrent plus ou moins les uns les autres. Des travaux de clarifications existent pourtant (Molinier, 2009). 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Que l’on parle de TMS ou de RPS, la logique simpliste de type cause-effet n’est plus d’actualité dans cette approche par risques : il s’agit de mettre en œuvre une logique systémique en termes de facteur. Différents facteurs de risque interagissent selon des configurations particulières et la présence des facteurs en 51 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) cause n’entraîne pas de facto la survenue de l’effet (Molinier, 2009). La description au niveau des populations de travailleurs des configurations pathogènes les plus fréquentes est utile aux connaissances et à l’action à un niveau populationnel. L’épidémiologie, en particulier, porte ce projet de surveillance populationnelle, qui établit des relations statistiquement significatives entre des variables et notamment, dans le champ de la santé au travail, entre des facteurs de risque et des symptômes. Les démarches de prévention, pour une grande partie d’entre elles, se sont adossées à ces modèles et ont conduit aux approches par risque de la prévention. Ces approches isolent les déterminants les uns des autres dans l’analyse et la transformation des situations de travail. Les partisans de l’ergonomie de l’activité en connaissent les impasses : solutions très locales qui, au mieux, ne font que déplacer le problème ; réponses successives dans le temps sans cohérence générale ; investissements déçus… Les TMS et les RPS sont dits « aspécifiques » : une même situation peut causer des symptômes différents et des symptômes identiques peuvent être générés par des situations différentes. L’entrée par les symptômes et les risques ne dit rien de la situation de travail à transformer. Renouer des liens entre les « facteurs de risque TMS et RPS » La thématique des TMS est marquée d’une évolution progressive des modèles étiologiques vers une complexification des relations entre des facteurs de risques et des symptômes. Cette évolution a essentiellement été portée par l’approche épidémiologique et le nombre très conséquent de travaux conduits depuis 30 ans (selon cette approche-là), qui ont par ailleurs mené à des avancées sociales majeures pour les travailleurs. Les modèles produits se sont d’abord concentrés sur la mise en évidence des contraintes biomécaniques associées au mouvement humain au travail et concernant les tissus, en lien avec les facteurs de susceptibilité individuelle (caractéristiques individuelles). Au fil des travaux et des années, et probablement face aux échecs de ces premiers modèles à prédire de manière satisfaisante l’évolution des situations (modèles exagérant, par exemple, souvent la probabilité d’apparition des symptômes), le spectre des déterminants (facteurs de risques) identifiés s’est progressivement élargi. Les plus récents modèles intègrent le stress, les risques psychosociaux et les risques organisationnels. L’analyse des contenus des travaux présentés au congrès international faisant référence dans le champ des TMS (PREMUS) depuis 2004 témoigne de cette évolution. Les travaux de Bongers et coll. en 1993 font actuellement office d’étude princeps sur ce point. Malgré les difficultés auxquelles conduisent cette évolution (définition des facteurs, indépendance des variables, catégorisations très différentes selon les auteurs…), ces résultats nous invitent à reconstruire des liens entres TMS et lombalgies, entre TMS et stress, entre TMS et risques psychosociaux et organisationnels. Le projet de la recherche épidémiologique est d’opérer une surveillance populationnelle qui établit des relations statistiquement significatives entre des variables et notamment, dans le champ de la santé au travail, entre des facteurs de risque et des symptômes. Les démarches de prévention, pour une grande partie d’entre elles, et alors même que leur projet est autre (l’action de transformation de situations singulières et complexes), se sont adossées à ces modèles et ont conduit aux approches par risque de la santé au travail. Ces approches isolent les déterminants les uns des autres dans l’analyse et la transformation des situations de travail. Les partisans de l’ergonomie de l’activité en connaissent les impasses : réponses locales qui, au mieux, ne font que déplacer le problème, réponses successives non cohérentes, résultats obtenus insatisfaisants… L’émergence de modèles étiologiques complexes en épidémiologie offre probablement une opportunité pour une attention nouvelle aux propositions des approches globales du travail et des thématiques qui lui sont associées. 52 ISBN : 978-2-913488-68-4 Nous interprétons cette évolution comme une confirmation de la pertinence d’une approche globale et systémique des situations de travail, et donc comme une reconnaissance implicite du potentiel de l’ergonomie de l’activité en matière de prévention. De nombreux praticiens ont eu l’occasion de souligner ces dernières années et à plusieurs reprises la proximité des TMS et des RPS en termes de stratégies d’intervention. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Cette analyse, personnelle et donc probablement pas (encore ?) consensuelle, ne doit-elle pas nous servir d’exemple, pour éviter d’attendre 30 ans que d’autres travaux nous invitent à considérer les RPS comme une simple porte d’entrée (utile commercialement, à la mode, etc.) vers le travail ? L’évolution des travaux épidémiologiques est donc convergente avec les retours des praticiens : elle incite à renouer des liens entre les types de risques. La prévention collective interroge à ce titre l’organisation du travail, autrement dit, la nature et la mise en œuvre des prescriptions et procédures qui tendent à organiser socialement l’expérience humaine du travail. Les TMS et les RPS peuvent alors être appréhendés comme le reflet de l’impossibilité pour le travailleur de négocier partiellement avec son milieu professionnel, à l’aune de ses critères du travail bien fait. Le travail comme expérience : le risque de soi au travail par-delà les risques professionnels Interroger le travail, pour les intervenants de la prévention, c’est prendre le soin d’en respecter au moins deux caractéristiques essentielles : la complexité et l’imprévisibilité partielle du travail. Nous nous référons ici essentiellement aux travaux de Yves Schwartz. Les multiples dimensions de la mobilisation humaine au travail et les différentes formes de prescription portant sur lui, y compris celles du travailleur lui-même, nécessitent en effet « à chaud » des arbitrages situés ; la systématique singularité des situations de travail, où l’interprétation des écarts à la « normalité organisationnelle prescrite» s’avère décisive. Le travail, comme aventure individuelle et collective, ne peut jamais se réduire à une quantité de plusvalue ou de marchandise, qu’elle soit exprimée en termes d’emplois, de volumes horaires ou de résultats productifs. Il ne peut être réduit non plus à sa dimension effectrice, au mouvement, à la posture adoptée. Tout travail suppose une mobilisation physique, cognitive et subjective de celui ou celle qui l’exerce, en lien avec d’autres acteurs, dans un cadre partiellement contraint, mobilisation que les ergonomes appellent activité de travail. Il convient de dénoncer les approches réductrices du travail : l’ignorance dont elles témoignent conduit aujourd’hui, d’une part, à des décisions graves en matière de gestion des ressources humaines et de choix organisationnels, et d’autre part, à des actions inefficaces en matière de prévention. Il est nécessaire de requestionner, la « ressource humaine », autrement dit le statut du travailleur et du travail au sein des organisations contemporaines. L’ergonomie de l’activité est marquée de la distinction fondatrice entre travail réel et travail prescrit (Guérin et al, 1997 ; Falzon, 2004), qui se décline au double niveau de la tâche et de l’activité. Les tâches sont des objectifs à atteindre, dans des conditions déterminées. L’activité est la mobilisation de la personne pour atteindre les objectifs qu’elle se fixe à partir de ceux qu’on lui fixe. L’activité réelle d’une personne est toujours singulière, et ne peut être limitée à la vision théorique qu’en ont en général les concepteurs ou les organisateurs. Dans son activité, l’opérateur ou l’opératrice doit adapter ses modes opératoires pour gérer les variations de son propre état et celles de la situation de production (variabilité des matières premières, des outils, des demandes des clients etc.). Cette activité, dite de régulation, se traduit par une performance (atteinte de résultats conformes aux objectifs) et par un coût plus ou moins élevé pour la personne (fatigue, douleurs, voire accidents, exposition à des toxiques…). Le travail n’est donc jamais la simple exécution d’une tâche prescrite par l’organisation. La « grève du zèle » en est la meilleure démonstration : si les travailleurs, de la direction à la production, ne faisaient strictement que ce qu’on leur demande, aucune production (de bien ou de service) ne satisferait les attentes (explicites et implicites) des clients de ce travail. Les grandes caractéristiques de l’activité sont reprises par Daniellou et Rabardel (2005) : finalisée, médiée, singulière, historique, subjective et intégrative. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Le travail est donc une rencontre entre une personne particulière, porteuse de ses spécificités et de son histoire, et un ensemble de déterminants qu’elle ne peut pas modifier à loisir (règles, outils, matières premières, environnement matériel, etc.), pour atteindre des objectifs (tâches), qui ne dépendent pas que d’elle, dans un cadre toujours collectif, les collaborations et confrontations avec autrui pouvant prendre des formes plus ou moins directes. Cette rencontre constitue toujours une activité de mise en confrontation et d’arbitrage (conscient ou non) entre différentes normes : celles qui sont présentes dans la situation de 53 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) travail, et celles dont l’opérateur ou l’opératrice est porteur (Schwartz, 1994). Ce n’est pas une opposition simple entre une norme qui serait portée par la hiérarchie et une autre qui serait portée par les salariés : • d’un côté, la survie de l’entreprise (ou de tout autre cadre de travail) suppose que tienne ensemble une diversité de logiques hétérogènes et potentiellement contradictoires (quantité, qualité, diversité de l’offre, prix de revient, délais, sécurité, respect de l’environnement, technologies utilisées…), • de l’autre, l’homme au travail est également lui-même porteur de normes et de valeurs potentiellement contradictoires (reconnaissance individuelle et entraide collective, par exemple). Sa conduite, dans une situation donnée, témoigne de l’arbitrage circonstancié opéré. Les orientations stratégiques définies aujourd’hui par les directions sont déclinées par des services spécialisés et doivent faire l’objet d’une intégration au niveau de la production du bien ou du service. Mais les prescriptions descendantes spécialisées n’assurent pas automatiquement la faisabilité de cette intégration dans l’activité de travail de production. La production ne sort finalement de façon acceptable que parce qu’un ensemble de travailleurs (y compris l’encadrement) gèrent au quotidien les écarts par rapport à ce qui a été anticipé. Un écart important et prolongé entre les prescriptions descendantes et la réalité des conditions de production, et l’absence de lieu pour en débattre, peuvent se traduire à la fois par des problèmes d’efficacité économique, et par des atteintes à la santé des travailleurs. Ceci inclut à la fois les TMS et les RPS. Le travail est donc création parce que tout n’est jamais réglé d’avance. L’empêchement du développement d’un rapport sensible au travail (Petit et al., 2009) est un empêchement de travailler. Le travail constitue donc un contrat social légitimant une amputation du pourvoir d’agir (Ricœur, 1998) des individus avec une contrepartie salariale. Le travailleur accepte de fait que l’usage qu’il fera de lui-même est en partie dicté par une organisation, donc hétéro-déterminé. Si cette amputation du pouvoir d’agir individuel est caractéristique de tout milieu social du fait du jeu des normes (Canguilhem, 1966), le milieu professionnel se distingue par son haut niveau de contrainte : sa formalisation nécessaire dans un contrat (le contrat de travail) en est un indicateur. L’équilibre nécessaire entre l’usage de soi par soi et l’usage de soi par les autres (Schwartz, 1994) y est particulièrement mis à l’épreuve. Canguilhem (1947) nous conduit à définir la santé au travail comme la possibilité entretenue de négociation et de transaction avec le milieu professionnel. De nombreux travaux ont depuis assuré la pertinence de cette orientation : être pour quelque chose dans ce qui vous arrive au travail, contribuer aux évolutions concernant son activité professionnelle, à la gestion quotidienne de cette dernière, relève d’une dynamique de construction de sa santé et donc de son développement par le travail. La possibilité d’être pour quelque chose dans ce que le travail fait de soi relève d’une possibilité de renormalisation de ce milieu (Schwartz, 1994). 54 ISBN : 978-2-913488-68-4 Interroger le travail du point de vue de l’activité et des possibilités de renormalisation offre un cadre d’analyse commun aux TMS et RPS, permettant d’argumenter en faveur de l’existence d’un lien entre santé et performance : avoir la possibilité de négocier avec les normes du milieu professionnel est une condition de la construction individuelle du travailleur en tant que sujet mais également une condition pour l’organisation qui se veut toujours plus flexible. S’ajuster les conditions du travail, aux variabilités, aux aléas, aux changements permanents, etc. suppose que l’écart à la norme ne soit plus systématiquement interprété par le milieu comme de l’incompétence ou de l’indiscipline. Le pouvoir d’agir individuel et collectif devient central dans un tel cadre, où les TMS et les RPS constituent des symptômes parmi d’autres possibles d’un dysfonctionnement organisationnel. Cette approche est pour le moins convergente avec les développements de Rabardel (2005), de Clot (2008), de Molinier (2009) par exemple. Au-delà, du type de contrat de travail, du statut ou des formes de rémunération, la précarité des travailleurs se définit précisément par le degré d’amputation du pourvoir normatif de chacun. Sont précaires et donc fragiles dans le monde professionnel, ceux et celles qui n’ont plus voix au chapitre (Le Blanc, 2007a, 2007b), ceux qui ne se débattent plus avec un milieu oppressant. Syndrome du canal carpien, épicondylite, ou lésion de la coiffe des rotateurs, d’une part, dépression, estime de soi, ou encore suicide d’autre part, sont des manifestations d’un pouvoir d’agir amputé, d’une activité empêchée (Clot, 1999) : l’individu ne travaille pas les bras en l’air pour son plaisir, l’inflammation tendineuse ne conduit pas à l’atteinte fonctionnelle simplement parce que le travailler n’écoute pas son corps… Qu’est-ce qui empêche de travailler autrement ? Voilà une bonne question. Modes de gestion de la plainte, des rotations, des projets d’aménagement, du fonctionnement quotidien, des procédures, etc. relèvent d’un questionnement où le pouvoir d’agir des acteurs est central dans l’organisation. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Conclusion : L’organisation de l’action collective de prévention Mais la prévention collective doit aussi elle-même s’interroger sur sa propre organisation. La tendance à la spécialisation par risque des professionnels du champ de la santé au travail s’avère un atout essentiel à condition que la compétence à parler travail soit également présente. Sinon, cela conduira d’observer des actions spécialisées sans cohérence globale (et généralement sans mémoire des expériences antérieures de prévention), parfois contradictoires, déplaçant les problèmes, en créant de nouveaux… À trop vouloir réduire l’objet (pour le simplifier), on finit par le dénaturer. Les actions alors conduites ne traitent plus du problème initial mais de ce qu’il en reste après les filtres spécialisés des uns et des autres, dont les langages techniques respectifs rendent extrêmement coûteuse toute tentative ultérieure de partage. L’enjeu apparaît donc d’intégrer ces spécificités au sein d’une organisation collective de la prévention qui n’oublie pas le travail. Des questions très pratiques se posent alors : Qui impliquer ? Comment et sous quelles formes différenciées ? Comment partager et avancer ensemble avec des spécialisations différentes ? Faut-il faire de l’action en santé au travail un projet spécifique ou un projet intégré ? Quelle place pour les questions de performance ?… Il ne s’agit cependant pas ici de rester sur une vision naïve des contextes d’intervention rencontrés, qui alimenterait alors le « one best way de la prévention » (les « bonnes pratiques »). La diversité des contextes et des acteurs invite davantage à ouvrir des possibles qu’à les restreindre. Par ailleurs, certains milieux ne sont pas prêts à réinterroger le statut du travail et du travailleur dans l’organisation. Il ne faut donc sans doute pas opposer de manière trop caricaturale les approches et prendre les acteurs là où ils en sont. Si le saut apparaît trop grand, le risque perçu fait reculer ; il vaut parfois mieux faire un petit pas en avant qu’un saut en arrière. Mais cela n’est possible qu’avec le souci d’une évaluation sérieuse des résultats aux regards des ressources mobilisées. Références : Bongers, P.M., Winter, C.R., Komper, M.A.J., Hildebrandt, V.H. (1993). Psychosocial factors at work and musculoskeltal problems. Scandinavian Journal of Work Environment and Health, Vol. 19, pp. 297-312. Canguilhem, G. (1947). Milieu et Normes de l’Homme au Travail. Cahiers Internationaux de Sociologie, Vol. 3, pp. 120-136. Canguilhem, G. (1966). 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Lerouge (dir.), Risques psychosociaux au travail, L’Harmattan, pp. 51-72. 55 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Atelier 2 Relations de service, charge émotionnelle et affects George Toulouse Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (Canada) arie Bellemare M Université Laval (Canada) orinne Van de Weerdt C Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) P lusieurs recensions des écrits ont permis de mettre en évidence la contribution des risques psychosociaux à l’apparition des troubles musculosquelettiques (TMS). Ces troubles seraient engendrés par l’état de stress en combinaison avec la présence de contraintes physiques élevées ou de faibles intensités mais statiques et répétitives. C’est ainsi que les facteurs de risque psychosociaux, présents dans de nombreux milieux de travail, se présentent d’une façon spécifique dans le secteur des relations de service. En effet, l’activité de service qui s’organise au sein de la relation à l’usager, sollicite particulièrement les dimensions émotionnelles ou affectives présentes dans toute communication humaine. Toutefois, à notre connaissance, l’impact de ces dimensions sur la présence de TMS n’a pas fait l’objet d’étude distincte puisqu’elles n’ont pas été considérées de façon indépendante dans les questionnaires psychosociaux. Les mesures qui pourraient se rapprocher le plus d’une évaluation des émotions ou des affects sont les indicateurs telles la satisfaction au travail et la détresse psychologique. Les écrits scientifiques concernant les liens entre la faible satisfaction au travail et les TMS indiquent des résultats contradictoires et généralement peu concluants. Par contre, quelques études permettent d’établir clairement une association entre la détresse psychologique élevée et la présence de TMS. L’une d’entre elles montrerait le caractère prédictif d’une détresse psychologique élevée pour les maux de dos (Linton, 2005). De plus, la contribution des risques psychosociaux à la présence d’une détresse psychologique élevée est généralement admise dans les études sur le stress et la santé mentale au travail. Ces résultats confirment l’intérêt de l’étude de la charge émotionnelle ou affective pour intervenir sur la réduction des facteurs de stress et de risques psychosociaux associés au TMS, malgré le manque de données épidémiologiques plus précises. 56 ISBN : 978-2-913488-68-4 Également, l’étude de la charge émotionnelle ou affective semble constituer une voix d’accès à l’intervention sur les facteurs psychosociaux, dans le secteur des relations de service en particulier. En effet, ces derniers, évalués à partir de modèles généraux, doivent être décrits plus précisément lorsqu’il s’agit de proposer des moyens concrets de prévention applicables aux situations et à l’activité de travail. Dans cette perspective, la prise en compte des émotions, ou plus généralement des affects, apparaît l’élément charnière permettant d’effectuer les liens avec le stress et les TMS, d’une part, et les déterminants de l’activité, d’autre part. En effet, les émotions et les affects sont des dimensions verbalisables et mesurables qui peuvent être mises en perspective aussi bien par rapport aux douleurs musculosquelettiques qu’aux descriptions de l’activité. L’atelier se propose d’examiner cette voie en situant l’analyse des émotions et des affects dans le secteur des relations de service, en référence à la qualité de service, aux questions méthodologiques, et à la contribution des émotions à la protection contre les TMS. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Introduction sur la prise en compte des émotions et des affects dans les relations de service orinne Van De Weerdt C Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) L es émotions et les affects constituent une forte valeur ajoutée pour les entreprises de relation de service. Aujourd’hui, toute entreprise a le souci de répondre aux attentes de ses clients et d’apporter une haute qualité de service. Pour les entreprises dont la principale mission repose sur la relation de service, cette préoccupation est majeure. La valeur ajoutée des sociétés est liée à leur capacité à satisfaire la clientèle et à la fidéliser. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les affects et les émotions sont considérés de manière si particulière. Or, il s’agit là d’un phénomène relativement nouveau, si l’on observe le peu de considération dont ces concepts ont fait l’objet pendant longtemps. Les émotions et les affects n’ont pas toujours eu la part du lion En effet, les émotions au travail n’ont pas souvent figuré au premier plan dans les travaux scientifiques et empiriques. Envisagées le plus souvent comme des biais perturbant la cognition, elles ont souvent endossé l’étiquette d’obstacle au bon fonctionnement de la raison. Dans les entreprises, leur image a rarement été plus enviable. Parce qu’elles représentaient la partie irrationnelle, illogique, incontrôlable, subjective de la cognition, elles étaient perçues comme « dérangeantes » pour le travail. La nécessité des émotions pour la cognition a été démontrée De nos jours, on sait que les émotions sont essentielles, ne serait-ce que pour l’adaptation de l’homme à son environnement (qu’il soit privé, social, professionnel, etc.). Dans le processus de prise de décision notamment, les émotions jouent un rôle fondamental. Elles guident le choix grâce à des « marqueurs somatiques », elles aident à choisir une option parmi d’autres en attirant l’attention sur les conséquences négatives ou positives de l’action. De plus, il est reconnu que la charge émotionnelle peut avoir une influence sur l’individu, ses conduites, son activité de travail, sa performance, sa santé, sa sécurité, etc. Ainsi, les affects et les émotions constituent des sujets beaucoup plus investis aujourd’hui, tant sur le plan de la recherche que des entreprises. Cette communication introduit la question des liens entre charge émotionnelle, affects et activité de relation de service Nous proposons de traiter de ces aspects, en abordant les questions suivantes. Qu’entendons-nous par affect et émotion ? Comment les étudier dans le cadre du travail ? Quels sont leurs impacts sur l’activité et la relation de service ? Quelles sont leurs conséquences sur la santé, notamment en termes de stress et de troubles musculo-squelettiques ? 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Après une présentation des notions d’affect et d’émotion, la question de leur prise en compte dans le cadre du travail sera abordée, avec pour illustration, l’exposé d’un exemple pratique d’intervention en entreprise du secteur tertiaire. 57 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Les caractéristiques des émotions et des affects Globalement, l’émotion comporte de multiples facettes : cognitives, comportementales, sociales, etc. Sa définition varie selon la théorie de référence. Les théories behaviouristes, par exemple, mettent l’accent sur l’objet des émotions et les réponses du corps (comportementales et physiologiques). Les théories fonctionnalistes, quant à elles, décrivent l’émotion selon sa fonction adaptative, alors que les théories constructivistes sociales misent davantage sur le caractère partagé des émotions. Ainsi, pour définir une émotion, il convient d’examiner ses cinq caractéristiques : sa fonction, ses indices visuels, ses mécanismes physiologiques, les conséquences du vécu émotionnel, la situation et le rapport entre les acteurs. Il convient également d’examiner les trois composantes de l’émotion : les changements physiologiques qu’elle entraîne, l’expérience subjective de la situation qui lui est rattachée (agréable ou désagréable), et enfin, les comportements observables (au niveau personnel et social). Les émotions les plus courantes et que l’on retrouve dans toutes les cultures, sont les émotions primaires : la joie, la tristesse, la peur, le dégoût, la colère et la surprise. Elles s’opposent aux émotions secondaires, plus complexes, qui sont des combinaisons d’émotions plus simples, comme la jalousie, la culpabilité, etc. Lorsque l’on cherche à délimiter les frontières avec d’autres notions proches de l’émotion, on peut voir que les chercheurs ne s’accordent pas tous sur la même démarcation. La distinction présentée ici repose sur les théories les plus largement admises. Par exemple, l’humeur se distingue de l’émotion du fait qu’elle est moins vive, sans objet et qu’elle dure plus longtemps. Elle désigne une disposition de l’esprit, un état qui perdure. Le sentiment, quant à lui, n’entraîne pas de modifications physiologiques ni somatiques comme l’émotion ; il renvoie à une évaluation cognitive vis-à-vis d’un besoin (par exemple, le sentiment de plaisir lorsqu’un objectif est atteint). La motivation renverrait davantage à l’activation subordonnée à un objectif d’un point de vue comportemental. Elle est donc orientée vers un but, contrairement à l’émotion qui ne l’est pas nécessairement. Par ailleurs, l’affect s’applique aussi bien à des états spécifiés, déclenchés par des situations ou des objets déterminés, qu’à des états vagues, indéterminés. Il n’est pas limité à des états intenses comme l’émotion, mais inclut aussi une « tonalité émotionnelle » (de type agréable ou désagréable, par exemple). L’ensemble des recherches visant à délimiter la notion d’émotion présentent l’avantage de constituer une base pour les travaux méthodologiques d’analyse des émotions. Plusieurs méthodes existent ; plusieurs d’entre elles seront abordées au cours de cet atelier. L’impact des émotions et des affects sur l’activité de relation de service Beaucoup de travaux sur la dimension émotionnelle du travail en situation réelle ont été menés dans le secteur tertiaire. Hochschild (1983) a été la première à montrer en quoi consistait le « travail émotionnel » dans la relation de service. Ceci revient pour les salariés à exprimer des émotions exclusivement positives, et à dissimuler les émotions négatives, pour se conformer aux prescriptions des entreprises. En cas d’écart entre les émotions prescrites par l’organisation et celles éprouvées réellement par les salariés, il se produit alors une dissonance émotionnelle. Cette dissonance est fréquente dans les secteurs où la relation est un élément central (Soares, 2002). 58 ISBN : 978-2-913488-68-4 Plusieurs auteurs ont montré que cette dissonance pouvait, à la longue, être néfaste pour la santé (Morris & Feldman, 1996 ; Pugliesi, 1999 ; Caroly & Weill-Fassina, 2004 ; Mann, 2004 ; Poster, 2007). En effet, les salariés, qui doivent jouer un rôle sur le plan des émotions, réalisent un véritable « jeu d’acteur ». Ce jeu peut prendre deux formes, l’une étant superficielle, et l’autre plus profonde. Dans le cas du « jeu superficiel » (surface acting), le salarié feint des émotions qui ne sont pas réellement ressenties, contrairement au cas du « jeu en profondeur » (deep acting), où le salarié cherche à ressentir l’émotion exprimée (Hochschild, 1983 ; Pugh, 2001 ; Grandey, 2003). Alors que le premier vise à exercer un contrôle volontaire sur des manifestations comportementales (verbales et non verbales tels que les gestes, le ton de la voix, la 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) prosodie), le second repose sur une action cognitive qui consiste à essayer d’éprouver réellement l’émotion souhaitée. Le jeu superficiel est focalisé sur le comportement (l’extérieur) ; le jeu en profondeur est, quant à lui, centré sur les affects (intérieurs). Dans le premier cas, il s’agit de faire comme si l’on éprouvait une émotion en sachant qu’elle n’est pas ressentie réellement ; dans le deuxième cas, on essaye de faire naître une émotion que l’on souhaite ressentir. Les conséquences du travail émotionnel sur la santé Les salariés en situation de dissonance doivent produire des efforts importants pour répondre à ces exigences émotionnelles, ce qui peut avoir pour effet d’augmenter la charge de travail global. De plus, ce jeu d’acteur peut créer à terme une fatigue importante, voire un épuisement professionnel, des symptômes de stress chronique, une perte de motivation, des tensions psychiques, qui sont parfois à l’origine de pathologies plus ou moins aiguës (comme les troubles gastro-intestinaux, les troubles du sommeil, la dépression), et dans certains cas, des troubles psychiques et des perturbations psychologiques de la personnalité. Selon Schaubroeck et Jones (2000), le travail émotionnel est d’autant plus nuisible sur le plan physique que le niveau d’authenticité des émotions exprimées est faible. Concernant les troubles musculo-squelettiques, Lourel (2006) a élaboré un état des lieux de la littérature en ce qui concerne l’organisation du travail ainsi que la santé dans le cadre des centres d’appel téléphoniques. Il rapporte que cette activité professionnelle spécifique produit des effets néfastes sur la santé des téléopérateurs, et cite, entre autres, le stress chronique et les troubles musculo-squelettiques (Halford & Cohen, 2003). Ceci nous amène à l’illustration, au moyen de l’exposé d’un exemple pratique, de la prise en compte des émotions et des affects dans le cadre du travail. Il s’agit d’une intervention menée dans une entreprise de relation clientèle. Exposé d’un cas pratique en entreprise du secteur tertiaire Dans cette entreprise de service à distance, d’environ 400 personnes, spécialisée en téléphonie mobile, la situation devenait alarmante : le taux de turn-over était de 22%, celui d’absentéisme de 13%, dont 5% d’absences de longue durée. Un mal-être général y régnait, et des symptômes physiques étaient rapportés par le personnel. Le but de l’intervention était d’identifier les éléments sur lesquels il était important et urgent d’agir pour améliorer les conditions de travail (Ribert-Van De Weerdt, 2008a). Pour cela, nous avons évalué les contraintes de travail et leurs effets en termes de charge, essentiellement mentale et émotionnelle. Nous avons examiné les régulations mises en œuvre par les salariés pour faire face aux contraintes et pour soulager la charge de travail. La méthode a consisté à récolter les verbalisations d’une personne ayant vécu des émotions dans une situation de travail réelle préalablement filmée, et à faire évaluer par cette personne le niveau d’intensité et la valence des émotions ressenties. Cette méthode présente l’avantage de valider avec le salarié la charge mentale et émotionnelle liée à chaque séquence de travail. Elle a permis de faire le lien entre l’activité cognitive et l’activité émotionnelle et de tenir compte des éléments (de l’environnement, de la situation) ayant suscité des émotions. Les résultats montrent que la dimension affective peut constituer un moteur et une source positive de satisfaction au travail. En effet, la tâche des salariés est basée sur l’objectif d’atteindre un haut niveau de qualité de services et de fidéliser la clientèle. Pour atteindre ce but, ils réalisent une activité qui demande non seulement des compétences techniques, mais aussi relationnelles et commerciales. Cet aspect est vécu plutôt positivement par les chargés de clientèle, qui perçoivent un caractère intéressant et valorisant. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 En outre, les résultats montrent dans quelles conditions la charge émotionnelle peut devenir trop lourde à gérer, au point d’entraîner des effets négatifs sur la santé. Elles sont liées à l’augmentation toujours 59 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) plus forte des exigences au travail. Les chargés de clientèle sont en effet évalués sur des statistiques — de temps en communication par exemple — et sur la forme du discours à tenir, comme l’interdiction de prononcer certains mots, le respect des phrases imposées de début et de clôture d’appel, etc. Ceci est vécu comme une contrainte majeure. De même, le travail émotionnel qu’ils réalisent pour être en accord avec les prescriptions de l’entreprise, crée une usure dans le temps, accompagnée d’un sentiment « d’être vidé ». Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les salariés pour faire face aux contraintes. Par exemple, la stratégie de « mise à distance », par rapport aux situations rencontrées dans le travail, a pour but de ne pas s’impliquer personnellement et de se protéger, émotionnellement parlant. D’autres stratégies mises en œuvre consistent à optimiser les rapports relationnels avec les clients pour éviter au maximum d’avoir à gérer des relations conflictuelles. D’autres encore consistent à éviter l’apparition du phénomène de « contagion émotionnelle », entre soi et l’autre, ou entre une situation à traiter et la suivante. Pour gérer cet aspect de contagion émotionnelle et limiter ses effets néfastes — lorsque les émotions transmises sont négatives — les salariés tentent de « faire le vide » entre deux situations (c’est-à-dire entre deux appels), comme pour oublier ce qui vient de se passer, se mettre à distance par rapport à la situation traitée, pour éviter qu’un état émotionnel négatif ressenti au moment d’un appel perdure tout au long de la journée. Ces stratégies leur permettent de limiter les contraintes de travail, et leurs effets négatifs à court terme, mais augmentent, en contrepartie, la charge de travail globale et les effets sur la santé à plus long terme. Des mesures de prévention ont été discutées et mises en place au sein de cette entreprise. Par exemple, l’une d’elles a consisté à reconsidérer les critères de contrôle du travail des salariés. Une autre piste débattue avec un ensemble d’acteurs de l’entreprise concerne la révision des modes de management de proximité. Elle a conduit à une meilleure mise en cohérence des modalités d’action du management avec les critères de qualité, qui constitue un axe important pour l’entreprise. Une piste supplémentaire porte sur le développement des collectifs de travail au moyen de groupes, disposant d’un espace-temps réservé, pour échanger sur les stratégies d’adaptation, leurs conditions de réussite et d’échec et, surtout, partager les expériences. La création de groupes pour débattre précisément de l’activité réalisée, des modes de contrôle, de l’organisation du travail, des contraintes de travail ressenties comme étant pesantes, en plus des autres pistes avancées, a été perçue comme un moyen efficace de repenser le changement. Ainsi, l’application de ces pistes confirme l’intérêt que peut représenter une démarche de prévention, dans ce domaine relatif aux affects et aux émotions. Perspectives L’étude des émotions au travail et des affects permet d’apporter une meilleure connaissance des liens entre émotions et activité, notamment dans le cadre de la relation de service. Elle permet aussi de mieux saisir les effets des stratégies mises en place pour faire face aux difficultés et aux contraintes. En cela, elle conduit à évaluer l’impact de la charge émotionnelle en termes de régulation, d’efficacité, de motivation, de bien-être et de santé. Les investigations — actuelles et futures — menées dans ce champ visent à affiner ces phénomènes, dans le but de fournir des pistes pour l’amélioration des conditions de travail, et de prévenir les situations à risques, notamment psychosociaux. Bibliographie Barsade S.G. & Gibson D. E. (2007). “Why does affect matter in organization”, Academy of Management Perspectives, February, 36-59. Buscatto, M., Loriol, M., Weller, J.M. (Dir.) (2008). Au-delà du stress au travail. Une sociologie des agents publics au contact des usagers. Edition Erès, collection cliniques du travail, Ramonville Saint Ague. 60 ISBN : 978-2-913488-68-4 Cahour, B., & Van De Weerdt, C. (2008). Relations émotion-activité en ergonomie. Communication présentée aux 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Journées d’automne du GDR, Télécom Paris Tech, 20-21 novembre 2008, Paris. Disponible à l’adresse : http://www.gdr-psychoergo.org/IMG/ppt/ppt08_Cahour_VdWeerdt.ppt Caroly, S., & Weill-Fassina, A. (2004). Evolutions des régulations de situations critiques au cours de la vie professionnelle dans les relations de service. Travail humain, 67, 4, 305-332. Grandey, A.A. (2003). When ”the show must go on” : Surface acting and deep acting as determinants of emotional exhaustion and peer-rated service delivery. Academy of Management Journal, 46(1), 86-96. Grosjean, V., & Ribert-Van De Weerdt, C. (2010). Travail émotionnel et identité dans la relation de service : le cas particulier des centres d’appels téléphoniques. In M.E. Bobiller-Chaumon, M. Dubois, & D. Retour (Dir.), La relation de service : nouveaux usages, nouveaux acteurs (pp.101-122). Bruxelles, Editions De Boeck Université. Grosjean V., & Ribert-Van De Weerdt, C. (2005). Vers une psychologie ergonomique du bien-être et des émotions : les effets du contrôle dans les centres d’appels. Le Travail humain, 69, 4, 355-378. Halford, V., & Cohen, H.H. (2003). Technology use and psychosocial factors in the self-reporting of musculoskeletal disorder symptoms in call center worker. Journal of Safety Research 34, 167–173. Herrbach, O., & Lérat-Pytlak, J. (2004). Implication et émotions au travail, une étude empirique. Actes du congrès AGRH, Montréal (Canada), vol.2, septembre, pp. 985-1009. Hochschild, A.R. (1983). 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Presses de l’Université du Québec. 61 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Approche ergonomique des risques psychosociaux associés aux TMS : l’étude de la charge émotionnelle des préposés au service d’urgence de la sécurité publique George Toulouse Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (Canada) Louise St-Arnaud, Anne Marché-Paillé Université Laval (Canada) Denis Duhalde, Alain-Steve Comtois Université du Québec à Montréal (Uqam) (Canada) Alain Delisle Université de Sherbrooke (Canada) Introduction L a reconnaissance de la contribution des facteurs de risques psychosociaux associés à la présence de troubles musculo-squelettiques (TMS) est de mieux en mieux démontrée et comprise. Dès lors se pose la question des méthodes d’intervention visant à réduire leurs effets nocifs. Ces effets sur le plan psychologique se manifestent avec l’apparition d’émotions ou affects traduisant un déséquilibre, un mal-être, une souffrance. Pour Hagberg et coll. (1995), les risques psychosociaux «désignent les caractéristiques perçues de l’environnement de travail qui ont une connotation émotionnelle pour les travailleurs et les managers et pour lesquels il peut en résulter du stress ou une charge». Le rôle de régulation des émotions en rapport avec l’activité de travail et la santé psychologique devient un objet d’étude (Ribert-Van de Weerdt, 2002) et de considération dans les pratiques de management (Thévenet, 2000). Dans le secteur des relations de service, il revêt un caractère particulier. En effet, dans ce secteur, le rôle de régulation des émotions se déroule au centre même de la relation avec les usagers. Dans ces situations, la confrontation du travailleur aux difficultés de régulation des imprévus et des variations à la tâche prescrite est décrite par Hochschild (1983) comme le travail émotionnel. 62 ISBN : 978-2-913488-68-4 Pour aborder ce sujet, le cadre d’analyse d’ergonomie de l’activité offre un modèle pouvant servir de base à l’étude des émotions au travail. De plus, l’ergonomie dispose de certains outils, tels que les échelles subjectives et les entrevues d’autoconfrontation, qui peuvent servir à l’étude des émotions. Une intervention dans les centres d’appels montre à ce sujet l’intérêt d’associer l’utilisation d’échelles subjectives avec les entrevues d’autoconfrontation (Grosjean et Ribert-Van de Weerdt, 2005). Toutefois, les recherches en ergonomie dans ce domaine sont encore peu nombreuses, et l’analyse de la dimension émotionnelle par les échelles subjectives et l’autoconfrontation comportent certaines limites. Cahour (2006) souligne les difficultés d’accès aux affects ou émotions non-conscientes. Ainsi, Sznelwar et coll. (2003) complètent l’analyse ergonomique du travail par des entrevues de psychodynamique pour donner une visibilité aux dimensions subjectives et symboliques de l’activité. Par ailleurs, les émotions ressenties ont un impact sur l’activité du rythme cardiaque, et le stress peut être à l’origine de maladies cardiovasculaires (Landsbergis, 2001). L’impact des émotions sur les TMS est moins étudié, si ce n’est au travers de mesures plus générales concernant l’état de santé psychologique telle que la détresse psychologique. Il existe peu d’études ergonomiques mesurant directement l’impact des émotions sur les TMS. Ainsi, il apparaît nécessaire d’examiner les éléments méthodologiques d’analyse des émotions dans un contexte d’intervention pour réduire les risques psychosociaux associés au TMS. Dans cette perspective, l’objet de ce texte est de présenter un bref résumé d’une étude ergonomique de l’activité, complétée par des mesures physiologiques et des entrevues de groupe de psychodynamique du travail. Cette étude a été réalisée dans les centres d’appels d’urgence 911 de la sécurité publique municipale (CAU-SPM) du Québec. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Terrain d’étude : les centres d’appel d’urgence 911 de la sécurité publique municipale (CAU-SPM) Les CAU-SPM ont pour tâches principales de prendre et répartir les appels d’urgence 911. D’autres tâches sont rajoutées aux préposés aux télécommunications d’urgence à l’exception des grands centres urbains. Ces tâches sont les suivantes : la prise des appels au service de police municipal, l’accueil au comptoir des citoyens se présentant au service de police, la surveillance vidéo, etc. Dans les CAU-SPM de plus grande taille, l’augmentation du nombre de postes permet une division de plus en plus marquée des tâches. Ainsi, les appels entrants au 911 arrivent en priorité à un poste, les autres étant dédiés aux tâches de répartition police, incendie et travaux publics. Celles-ci peuvent, elles-mêmes, être scindées entre différents postes. Les préposés sont des employés col blanc de la municipalité. Les pré-requis à l’embauche pour l’ensemble des CAU-SPM sont de détenir un diplôme d’études secondaires et maîtriser le français et l’anglais. La formation principale s’effectue dans chacun des CAU-SPM et dure quatre semaines. Celle-ci porte essentiellement sur les dimensions techniques et procédurales du travail. Une première étude épidémiologique (Toulouse et coll., 2006) réalisée dans cinq CAU-SPM indique des taux élevés de prévalence des troubles musculo-squelettiques (TMS), des troubles de santé psychologique (TSPsy) mesurés par le niveau de détresse psychologique, des risques physiques et des risques psychosociaux tels que la demande psychologique élevée, la faible latitude décisionnelle, le manque de soutien ou de reconnaissance. La présence de TMS est associée à un taux élevé de détresse psychologique. Méthodologie L’étude s’est déroulée dans les cinq CAU-SPM ayant participé à l’étude épidémiologique. L’étude d’ergonomie et de physiologie comprend la participation de 11 préposés, six hommes et cinq femmes dont neuf employés expérimentés et deux débutants. Les préposés ont été observés et les données enregistrées durant la durée du quart de travail au complet. Ils occupent des postes de généralistes (prise d’appels, répartition police, incendie et autre), des postes de prise d’appels ou de répartition police. Les données recueillies sont les suivantes : - description du travail et de l’aménagement des bureaux, - observation des postures de travail, - utilisation des réglages des bureaux assis-debout, - communications téléphoniques, - évaluations subjectives de la charge mentale, des douleurs musculo-squelettiques et de la fatigue, - électromyographie (EMG) des muscles du trapèze, - activité cardiaque (ECG) enregistrée durant 24h - entrevues d’autoconfrontation. La réalisation de l’étude de psychodynamique a donné lieu à l’organisation de quatre entrevues de groupe dans quatre CAU-SPM. Les groupes sont composés de quatre à six préposés, femmes et hommes de 2 à 25 ans d’expérience. Le contenu des entrevues a été analysé à partir du cadre de référence de la psychodynamique du travail conformément à la méthodologie en vigueur (Dejours, 2000 ; Institut de psychodynamique du travail du Québec, 2006). Résultats La prise et la répartition des appels d’urgence 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 La prise d’appel d’urgence comporte les étapes de communication suivantes : l’ouverture de l’appel, la vérification de l’adresse de l’appelant, l’analyse de la demande du citoyen pour en déterminer la nature et la priorité, le questionnement pour obtenir les informations nécessaires à l’intervention et à la sécurité des intervenants, la réponse à l’appelant et la fermeture de l’appel. Ces étapes varient selon la nature de l’appel et le contexte de travail. Pour les demandes non urgentes ou qui peuvent être résolues sans une intervention policière, le préposé peut orienter l’appelant vers d’autres services. Parfois, le questionnement du préposé aide l’appelant à trouver lui-même la solution à son problème. Également, le préposé peut consulter les banques de données pour situer la demande relativement à des faits antérieurs ou vérifier 63 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) le contenu de certains dossiers, consulter ou transférer l’appel à un intervenant. Selon l’urgence, la demande est acheminée à un ou plusieurs des intervenants pompiers ou policiers patrouilleurs. D’autres personnels peuvent également être mis à contribution tels que les employés des travaux publics, de compagnies d’électricité, de gaz ou de téléphone. L’appel pour un service ambulancier est transféré à un centre secondaire spécialisé dans ce domaine, tandis que pour les autres cas, le préposé doit obtenir les informations qui seront transmises aux intervenants. Chaque préposé de la répartition police s’occupe d’un secteur géographique de la municipalité. Le travail consiste à envoyer les policiers patrouilleurs sur les lieux de l’évènement selon la priorité de l’urgence et à les soutenir en répondant à leurs demandes d’information. Le préposé dispose d’un logiciel tenant à jour les informations concernant la disponibilité des policiers patrouilleurs selon les secteurs de la municipalité. Également, le préposé a accès à la banque de données du Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ) pour aider les policiers patrouilleurs dans leur recherche. Le travail de communication des préposés consiste à traiter le plus rapidement possible la demande d’aide. Les demandes faites aux préposés ne sont pas toujours formulées de façon explicite et claire. Elles nécessitent parfois d’être reformulées pour correspondre aux règles d’engagement des intervenants des services d’urgence. Elles font souvent l’objet d’une co-construction entre l’usager et l’agent de service (Pochat et Falzon, 2000). Pour les préposés au 911, cette co-construction se poursuit afin d’obtenir l’information sur l’évènement qui va permettre de contribuer à l’efficacité et à la sécurité des intervenants sur le terrain. Pour cela, le préposé doit prendre le contrôle de la communication et interroger l’appelant sur des sujets aussi variés que des affaires criminelles (ex. : vol, menace, harcèlement, agression), les incendies, les risques d’explosion, les urgences santé, les problèmes concernant les travaux publics, les règlements municipaux, etc. L’activité des préposés et la charge émotionnelle Durant les observations, le nombre d’appels 911 reçus par les préposés se chiffre à 506 sur un total de 1409 appels, soit 36% environ. Les autres appels entrants proviennent de la ligne du service de police de la municipalité 434 appels (31%) et d’autres lignes des travaux publics ou internes 469 appels (33%). En plus des appels téléphoniques, les préposés reçoivent les appels radio qui n’ont pas été comptabilisés. Le niveau général d’activité durant les journées d’observation est plus faible que d’habitude pour huit préposés, comme d’habitude pour deux préposés, et plus élevé que d’habitude pour un seul préposé. Les scores concernant l’évaluation de la charge de travail, la complexité des appels et les émotions indiquent des moyennes sur le quart de travail de faibles ou modérées. Plus précisément, la moyenne des émotions négatives ou du contrôle des émotions se situe au niveau faible pour neuf préposés et modéré pour deux ; la moyenne des émotions positives est au niveau faible pour sept préposés et modéré pour les quatre autres. Bien que de faible intensité, les émotions négatives et l’effort de contrôle des émotions sont associés significativement à la présence de douleurs musculo-squelettiques au bas du dos, cou-épaules et haut du dos, ainsi qu’aux coudes-poignets-doigts. La comparaison avec les mesures de l’EMG des muscles du trapèze n’indique pas de correspondance avec l’intensité des émotions. La mesure de l’ECG indique une perte de la variabilité du rythme cardiaque (VRC) qui atteint le seuil critique pour la SDNN (écart-type des temps inter-battements pour les battements normaux) de 50 ms, chez les préposés expérimentés par rapport aux débutants. La perte de VRC est présente avant le début du quart de travail et se maintient durant toute sa durée. À la fin du quart de travail, la perte de VRC disparaît pour revenir à un niveau normal. Ces résultats révèlent la mobilisation importante du système cardiaque des préposés expérimentés anticipant la présence de fortes contraintes. Cette perte de variabilité du rythme cardiaque est associée significativement à la présence des émotions négatives et aux efforts de contrôle des émotions. Les situations de travail associées aux émotions 64 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les appels comportant des difficultés de communication (problèmes cognitifs ou relationnels) observables lors de l’écoute des appels représentent 20,5% des appels. Les situations décrites par les préposés comme occasionnant une charge de travail, une complexité, le contrôle des émotions, des émotions négatives ou positives sont décrites dans le tableau 1. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Tableau 1 Situations décrites par les préposés comme occasionnant une charge de travail, une complexité, le contrôle des émotions et des émotions négatives ou positives Relations avec les citoyens : demande confuse de l’appelant, problèmes de langage, incivilité, difficultés d’obtenir l’information (localisation, témoignage, non coopération de l’appelant, etc.) Relations avec les policiers : frustration de se sentir considéré à leur service par certains policiers, sentiment de responsabilité envers la mise en danger des policiers Situations d’urgence complexes : difficulté de déterminer dans certains cas la nécessité d’envoyer ou non les policiers (code civil /code criminel), servir d’intermédiaire dans une situation dramatique entre l’appelant et les policiers, garder la ligne lors de menace de suicide Variation du flux des appels, trop ou trop peu Problèmes de reconnaissance : trop fréquemment la contribution du préposé à la résolution de la situation d’urgence est ignorée, tendance à porter l’attention sur les erreurs du préposé sans reconnaître également ses bons coups Émotions positives : satisfaction d’aider, reconnaissance de la qualité du travail par les intervenants, les managers Les émotions négatives dans le travail proviennent de la nécessité de contrôler ses émotions, des incertitudes provenant de la complexité et des difficultés du traitement des appels et du manque de reconnaissance. Le contrôle des émotions est présent lors du traitement des appels dramatiques, et lorsque surviennent des problèmes relationnels avec les usagers ou les intervenants. Par ailleurs, les préposés sont confrontés aux incertitudes dans les prises de décision pour établir la priorité des urgences. Les compétences des préposés concernant le travail d’analyse de la demande, l’obtention de l’information sur l’évènement pour assurer la sécurité et l’efficacité de l’intervention ou l’activité de communication pour rester en ligne avec l’appelant suicidaire ou témoin d’une situation dramatique ne sont pas reconnues. L’apprentissage s’effectue sur le tas. Devant ces contraintes, les entrevues de groupe de psychodynamique ont permis de mettre en évidence différentes particularités complémentaires aux observations et entrevues d’autoconfrontation. Elles ne peuvent pas être décrites en détail dans ce résumé. Il sera simplement souligné les points les plus importants permettant aux préposés de tenter avec plus ou moins de succès de faire face à ces contraintes. Le fait de surmonter ces contraintes constitue une source de plaisir relativement à l’aide apportée pour secourir ou assurer la sécurité des citoyens ou des intervenants, aux fortes émotions que procure l’urgence des situations et à la satisfaction du travail d’enquête. Par ailleurs, les préposés déploient des stratégies défensives permettant à la fois de transmettre collectivement des savoirs de métier et de mettre à distance les contraintes émotionnelles. Le récit des situations et l’usage de l’humour y jouent un rôle essentiel (StArnaud et coll., 2010). Les pistes d’action 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 La présentation des résultats et les discussions avec le comité de suivi ont permis de faire émerger une prise de conscience des managers de première ligne sur les dimensions cognitives et émotionnelles reliées à la prise et à la répartition des appels d’urgence, ainsi que sur la nécessité de développer et d’implanter des pistes d’action pour soutenir les préposés. Les principales pistes d’action portent sur la production d’une vidéo illustrant la réalité du travail des préposés et sur une activité de recherche visant à faciliter les échanges et la transmission des savoirs de métiers, à combler les besoins de soutien des préposés relatifs aux appels difficiles et exigeants émotionnellement, ainsi qu’à mettre en place les changements organisationnels nécessaires. 65 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Discussion – conclusion L’intervention à partir d’une notion empreinte de subjectivité, longtemps perçue comme échappant à toute rationalité, doit s’appuyer sur des descriptions de la réalité permettant de relier les problèmes de santé à ceux du travail. Dans cette perspective, le cadre d’analyse de l’activité s’appuyant sur des méthodes utilisées en ergonomie susceptibles d’être complétées par des mesures physiologiques et l’analyse de psychodynamique donnent des résultats prometteurs, mais qui comportent également certaines limites. L’utilisation des échelles subjectives constitue un élément méthodologique important de la démarche, permettant, d’une part, de faire le lien entre les émotions et les douleurs musculo-squelettiques, et d’autre part, de décrire les problèmes de travail dans lesquels elles surviennent. La démonstration de ces liens avec la description des problèmes de travail est à la base du développement des pistes d’action. Le résultat est plus contrasté pour l’apport des mesures physiologiques effectuées dans une perspective de recherche exploratoire. Contrairement aux études en laboratoire, il n’a pas été possible d’établir de correspondance entre l’activité des muscles du trapèze et la charge cognitive ou émotionnelle. Les niveaux de charge mesurés sont relativement faibles. La mesure de la variabilité du rythme cardiaque révèle une mobilisation extrêmement élevée des préposés, insoupçonnée à partir de la simple observation du comportement ou des réponses aux échelles subjectives. Même dans les périodes les plus calmes, les préposés sont fortement mobilisés. 66 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’analyse de psychodynamique, outre la compréhension des processus d’adaptation des préposés aux contraintes du travail, a permis notamment de mettre en évidence l’importance et le rôle du récit dans la constitution des savoirs de métier et la mise à distance des contraintes émotionnelles. L’importance du récit va être reprise lors du développement des pistes d’action concernant les échanges et la transmission des savoirs de métier. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Références Cahour, B., 2006, Les affects en situation d’interaction coopérative : proposition méthodologique, Le travail Humain, t. 69, no 4, 379-400. Dejours, C., 2000, Travail et usure mentale : essai de psychopathologie du travail. (Nouv. Augmn. Ed.), Paris, Éditions Bayard. Grosjean, V., Ribert-Van de Weerdt, C., 2005, Vers une psychologie ergonomique du bien-être et des émotions : les effets du contrôle dans les centres d’appels, Le travail Humain, t. 68, no 4, 355-378. Hagberg, M., Silverstein, B., Wells, R., et al., 1995, Work related musculoskeletal disorders (WMSDs) : a reference book for prevention. London, Taylor &Francis. Hochschild, A. R., 1983, The managed heart. Commercialization of Human Feeling. Berkeley : University of California Press. Institut de psychodynamique du travail du Québec, 2006, Espace de réflexion espace d’action en santé mentale au travail, Québec, Presses de l’Université Laval. Landsbergis, P. A., et al., 2001, ”Work stressors and cardiovascular disease.” Work, V.17, no 3, 191-208. Pochat, A., Falzon, P., 2000, Quand faire, c’est dire, ou la reconnaissance du travail verbal dans l’activité d’accueil, Toulouse, Actes du 35e Congrès de la SELF, Communication et Travail, pp. 293-303. Ribert-Van de Weerdt, 2002, Apports de la psychologie des émotions à la compréhension du travail, in Nebois, M., Vézina, M. (Éds), Stress au travail et santé psychique, Éditions Octarès, Toulouse, pp.79-98. St-Arnaud, L., Marché-Paillé, A., Toulouse, G., Moore, M., 2010, Le travail des préposés aux appels d’urgence 9-1-1 : un travail de sentinelle au cœur de la sécurité publique, Travailler, no 23. Sznelwar, L.I., Lancamn, S., Wu, M.J., Alvarinho, E., 2003, Analyse du travail dans un service de nettoyage : contribution de l’analyse ergonomique du travail et d’un groupe de réflexion inspiré de l’approche de psychodynamique du travail, Paris, Actes du 38e Congrès de la SELF, Modèles et pratiques de l’analyse du travail 1988-2003 15 ans d’évolution, 423-430. Thévenet, M., 2000, Le plaisir de travailler. Favoriser l’implication des personnes, Paris, Ed. d’Organisation, 270p 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Toulouse, G., St-Arnaud, L., Bourbonnais, R., Damasse, J., Chicoine, D., Delisle, A., 2006, Étude de prévalence des troubles musculo-squelettiques et psychologiques, des facteurs de risques physiques et psychosociaux chez les préposés des centres d’urgence 9-1-1, Études et recherches, Rapport R- 472, Institut de recherche Robert Sauvé en santé et en sécurité du travail, Montréal. 67 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) La qualité du travail : un enjeu majeur pour le développement de la santé Johann Petit, Bernard Dugué Département d’ergonomie, ENSC/IPB, Université de Bordeaux (France) U ne des particularités des situations de services concerne la « présence » du client au cœur de l’activité des opérateurs. Pour ces derniers, la manière dont ils réalisent leur travail constitue un enjeu majeur car elle a des conséquences pour d’autres personnes. Nous pouvons considérer que l’activité humaine est « tirée par des buts » et « poussée par des mobiles » (Leontiev & Lomov, 1963 ; Nosulenko & Rabardel, 1998). Au départ, les buts dans le travail sont pour l’essentiel ceux fixés par l’organisation (délais, procédures). Avec l’expérience, la découverte par l’opérateur des rapports qui se nouent avec autrui à travers la réalisation du travail va entraîner une modification des buts : à partir de ses mobiles personnels, de ses valeurs, le sujet va se fixer dans son travail de nouveaux buts, correspondant à son idée du « travail bien fait », par exemple pour améliorer le service au client ou traiter une situation sociale difficile. Dans le travail, la subjectivité de l’opérateur, marquée par ce qu’il a déjà vécu, va le conduire à percevoir, sentir et agir de façon singulière. Il développe avec le temps un rapport sensible au travail (Böhle & Milkau, 1998 ; Davezies, 1995) et va élaborer de nouveaux savoir-faire dans ce sens. Le rapport sensible au travail reflète l’impossibilité d’un contrôle complet du travail par l’organisation, tout en assurant une forme incontournable de réponse à la variabilité. Il est source de productivité et de fiabilité, mais peut être nié voire combattu par l’organisation. Les buts en termes de « travail bien fait » que l’opérateur a construits, vont entrer en consonance ou en dissonance avec les prescriptions de l’organisation. La dégradation du rapport des salariés à leur travail résulte souvent du sentiment de ne pas avoir les moyens de « faire bien son travail », et dans la contradiction entre la vision de la qualité portée par les agents et celle qui est évaluée par l’organisation. Le problème, pour la santé des opérateurs, n’est pas l’existence d’une contradiction entre les buts, qui est une composante normale du fonctionnement de l’entreprise. C’est le fait que ces conflits de buts ne sont ni reconnus, ni à plus forte raison débattus. En l’absence de débat sur le travail, il n’existe plus de recherche de buts communs entre les opérateurs et l’organisation. La gestion convenable des variabilités va devenir difficile, voire impossible, et ces situations répétées vont entrer en dissonance avec les mobiles de l’opérateur. Or, le rapport sensible au travail permet à l’opérateur de donner du sens à son action et au résultat de son travail. Se trouver dans une situation de travail où l’engagement du rapport sensible au travail n’est plus possible revient à lutter contre soi-même. Les conflits intrapsychiques qui se développent alors sont l’intériorisation des débats sociaux qui n’ont pas lieu entre différentes visions du travail et de sa qualité. À la longue, cette situation va générer des phénomènes de stress, qui auront des conséquences négatives sur la santé des opérateurs. 68 ISBN : 978-2-913488-68-4 À partir d’exemples de situations de service, nous examinerons dans un premier temps, comment les salariés investissent cette relation et se forgent une idée du travail bien fait et du service « juste ». Nous montrerons ensuite comment l’organisation, à travers sa structuration, ses règles, ses modes de management, peut constituer une cause majeure d’empêchement du travail « bien fait », un frein au développement du rapport sensible et donc une cause des atteintes à la santé, dont les TMS peuvent être une forme parmi d’autres. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’induction d’émotions positives au cours des soins aux patients désorientés comme facteur de protection des TMS chez les soignants ierre Poulin, Julie Bleau P Conseillers, Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS), Montréal, Québec (Canada) L ’ASSTSAS a pour mission de promouvoir la prévention en santé et sécurité du travail et de soutenir, dans un cadre paritaire, la clientèle de son secteur. Elle offre des services conseils et des activités d’information, de formation, de recherche et de développement, tout en favorisant l’efficience des processus de travail et en tenant compte de la sécurité de la clientèle des établissements. Le but de ce texte est de présenter comment des émotions positives vécues par les soignants lors de relations de soins avec des clients désorientés permettent de réduire leur risque de TMS. Nous présentons d’abord les difficultés vécues par les soignants lorsqu’ils prennent soin de personnes désorientées. Les fondements, les principes ainsi que le déroulement de la formation Approche relationnelle de soins (ARS) seront ensuite présentés en accentuant sur le processus d’induction d’émotions positives chez les participants-soignants. Puis sera décrite la perception des impacts de la formation telle que recueillie auprès des participants à la suite de 40 projets de formation. État de situation des TMS chez les soignants au Québec En 2006, en chiffre absolu, le secteur de la santé cumule le plus grand nombre de TMS au Québec et se classe 2e après le secteur de l’entreposage pour ce qui est du taux d’incidence (1). Mentionnons qu’en 2000, alors que les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) représentent moins de 15% de la main-d’œuvre, ils comptent environ le tiers (34,4%) des évènements indemnisés dans le secteur de la santé et des services sociaux (2). C’est en (CHSLD) qu’est concentré le travail auprès des personnes désorientées. Selon les données les plus récentes disponibles (2008), il y a eu 3342 accidents indemnisés en CHSLD. La majorité (42%) de ces événements est reliée à des efforts excessifs et le client en cause dans 34% de ces accidents. Le dos est le siège de lésions le plus fréquent avec 43% des événements. Les professions les plus touchées sont les préposés au bénéficiaire (54%), les infirmières auxiliaires (14%), puis les infirmières avec 6%. Déjà en 1995, dans une étude sur les accidents du travail dans des établissements de santé, St-Vincent (3) indiquait pour les accidents de transfert « …dans la majorité des cas on associe le problème au patient manutentionné : soit il a faibli, soit il était agité ou a fait un mouvement imprévu, soit il a résisté au déplacement. » De même, elle indiquait pour les accidents de manutention sur place, « le problème le plus souvent cité est que le patient a résisté en cours de manutention (41,2%). » L’énigme des personnes désorientées 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Nous utilisons ici le terme « personnes désorientées » afin de regrouper les personnes souffrant de différents troubles cognitifs ou de démences (de type Alzheimer ou autres). À l’occasion, nous utilisons aussi le terme « client » pour désigner ces personnes. Cette désignation ajoute alors une connotation relationnelle. La démence est une altération de la mémoire avec une ou plusieurs atteintes des fonctions supérieures du cerveau (atteintes cognitives) : trouble du langage ; incapacité de réaliser une activité motrice, malgré des fonctions motrices intactes ; impossibilité de reconnaître des objets, malgré des fonctions sensorielles 69 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) intactes ; trouble des fonctions exécutives de planification, d’organisation ou de régulation de l’activité et capacité d’abstraction. Cela chez une personne qui jouit d’un état de conscience normal (4). Toutes ces difficultés sont suffisamment graves pour nuire aux activités quotidiennes, professionnelles, sociales ou aux relations avec autrui (5). Nous sommes ici, quel que soit le diagnostic, face à des personnes dont on doit prendre soin et qui présentent des énigmes au plan de la communication. Ceci rend les activités de travail complexes pour les soignants. Un ouvrage récent dessine, du point de vue de la personne désorientée, les contours de cette énigme à laquelle font face les soignants : « Ces troubles qui nous troublent » (6). Du point de vue du soignant, on dira que le client ne comprend pas les consignes, qu’il est agressif (crie, crache, frappe, agrippe, etc.), qu’il résiste aux soins. Le lien entre l’énigme des personnes désorientées et les TMS Prendre soin des personnes désorientées et en perte d’autonomie constitue un défi quotidien pour les soignants, particulièrement lors de l’assistance à la toilette. Cette activité implique de l’aide au déplacement, déshabillage, gestes de soins, habillage et selon le cas, installation au fauteuil avec ou sans aide mécanique. Elle se déroule au lit, au lavabo, au bain, à la douche selon le client. Aider un client qui n’est pas désorienté mais dont certaines capacités motrices sont déficientes requiert déjà des efforts et l’adoption de postures contraignantes. Selon les particularités de la situation de travail, on peut noter une augmentation des risques de TMS (7). C’est d’ailleurs le cas lors des interventions auprès des personnes désorientées. Par exemple, lorsque le soignant peine à se faire comprendre par le client, il peut en résulter une escalade d’agitation verbale et physique jusqu’à la réaction catastrophique. Le soignant ressent alors impuissance, frustration, colère, démobilisation et perte de sens en regard de la tâche à effectuer. Il est reconnu que les soignants œuvrant auprès de clients atteints de démence sont davantage stressés et fatigués (8). Il est aussi reconnu qu’au stress négatif est associé une augmentation du risque de TMS (7). Les interventions de formation de l’ASSTSAS en regard des TMS chez les soignants L’ASSTSAS a développé en 1983, et révisé régulièrement depuis, une formation sur le déplacement des personnes : Principes pour le déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB). C’est une formation de deux jours qui se donne en laboratoire tant pour la théorie que pour la pratique. Cette formation enseigne des principes de préparation, de positionnement, de prise et de mouvements pour l’exécution des manœuvres d’aide au déplacement ou à la mobilisation des clients. En plus de proposer des méthodes d’exécution de la tâche, elle vise aussi à permettre au participant de reconnaître les risques provenant des autres éléments de la situation de travail (personnes, équipement, environnement, organisation du travail et du temps). Cependant, dans les situations où le client présente une démence, la problématique de la relation avec le client émerge. Pour répondre au besoin des milieux de soins à l’égard des clients désorientés, l’ASSTSAS en collaboration avec des neuropsychologues spécialisés en psychogériatrie, a élaboré une formation sur la prévention des comportements agressifs et perturbateurs (5). Cette formation de deux jours se donne en classe. Elle vise à améliorer les connaissances sur les démences ainsi que sur certaines stratégies d’intervention. Elle est appréciée des participants. Cependant les nouvelles stratégies intégrées par les soignants dans leur travail ne sont pas contrôlées. Le besoin d’outils supplémentaires continue d’être exprimé par les soignants. 70 ISBN : 978-2-913488-68-4 En 2001, l’ASSTSAS s’engage dans une collaboration avec Yves Gineste et Rosette Marescotti (9) qui ont élaboré une formation sur la communication avec les personnes désorientées qui s’intègre à l’aide au déplacement : « La manutention relationnelle ». Une adaptation des concepts de cette formation est crée pour le contexte québécois. La formation s’inspire aussi du travail d’une chercheuse québécoise (10). Ainsi en 2003, un nouveau service est offert aux établissements : la formation de formateurs à l’Approche relationnelle de soins (ARS). 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) La formation ARS Voici les éléments du contenu théorique de la formation ARS : la performance du soignant et l’adaptabilité ; les difficultés rencontrées avec les clients ; les règles de base de l’approche auprès d’un client : notions utiles de fonctionnement du système nerveux (voies afférentes et voies efférentes, traitement des informations tactiles, schéma corporel et perception des émotions, traitement des informations et mémoire affective) ; « ne pas faire à la place » ; l’approche relationnelle de soins ; la reconnaissance des feed-back ; le regard, la communication verbale, le toucher (incluant une méthode pour faire relâcher les rétractions), les effets psychologiques dans la communication avec le client (la communication paradoxale, l’effet Pygmalion) ; la philosophie de soins de « l’humanitude » ; le concept « Vivre et mourir debout » : maintenir debout, remettre debout et l’aide à la marche ; la méthode d’attribution du soin. Afin que le soignant intègre de nouveaux outils de communication et d’intervention dans son activité de travail, on mise sur l’émotion positive qu’il ressent d’abord en observant le formateur qui applique concrètement la théorie puis dans un deuxième temps lorsqu’il applique lui-même ses nouveaux savoir-faire. Pour ce faire, le cadre est le suivant. La formation est constituée d’un premier bloc théorique d’une demijournée au cours duquel les participants identifient leurs clients qui présentent des difficultés particulières. Dans la deuxième demi-journée, le formateur exécute, en compagnie d’un soignant qui connaît le client, une démonstration d’un soin devant le groupe silencieux. C’est le formateur qui dirige le soin. Les participants assistent alors à l’application des principes de l’ARS. L’activité de la toilette est choisie parce qu’elle constitue la plus longue période de temps ininterrompue qu’un soignant passe en compagnie d’un client et parce que c’est habituellement l’activité de soin identifiée comme étant la plus difficile. Une discussion en groupe permet au participant qui a exécuté la toilette avec le formateur de commenter le déroulement du soin. Puis le groupe analyse les résultats observés. Deux ou trois démonstrations sont ainsi vécues par le groupe. Le processus se poursuit par une demi-journée de théorie suivie d’une autre demi-journée de démonstration en soin d’hygiène. Puis une pause d’une ou deux semaines permet aux participants d’expérimenter les façons de faire dans leur travail. À la suite de cette période, le formateur accompagne individuellement chaque participant pour l’exécution de deux soins d’hygiène : c’est le compagnonnage. Ils exécutent ensemble la tâche mais c’est le participant qui guide le soin. À la suite de chaque toilette, le formateur et le participant discutent de l’intégration des principes de la formation. Lorsque tous les participants ont été accompagnés par le formateur, une rencontre de consolidation d’une demi-journée est planifiée. Lors de cette rencontre, les participants partagent les « bons coups » vécus depuis le début du processus de formation, des témoignages généralement remplis d’émotions positives. De plus, ils suggèrent à la direction les changements souhaitables à tous les niveaux : organisation du travail, équipement, environnement, etc. dans le cadre du projet de changement organisationnel. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Une anecdote illustre comment l’induction d’émotions positives chez le soignant transforme son activité de travail par la suite. Le soignant a reçu la théorie et assisté aux démonstrations en formation : il a déjà apprécié ce qu’il a vécu jusqu’ici en l’exprimant comme ceci à des collègues qui n’assistent pas (encore) à la formation. « C’est bien…c’est comme un rappel d’une foule de choses qu’on savait mais qu’on a fini par oublier de faire en devenant trop mécanique et puis il y a certains trucs nouveaux… ». Cependant, ce qui « convaincra » définitivement ce soignant est encore à venir. Lors du compagnonnage, le formateur et le soignant font la toilette d’une dame réputée difficile, qui ne comprend pas les consignes, crie et frappe à l’occasion. C’est le participant qui prend le leadership de la relation. Il est très attentif à tous les feedback non verbaux que renvoie la dame pour exprimer qu’elle n’aime pas tel ou tel geste. Ainsi le soin se déroule très bien, sans cri ni geste agressif, cela à l’intérieur du temps normalement dévolu à cette activité de travail. Une fois la dame installée à son fauteuil, le soignant s’approche d’elle avec la brosse à cheveux en indiquant verbalement et par geste que c’est le moment de se peigner. Lorsqu’il s’approche, la dame lève le bras pour attraper la brosse à cheveux. Le soignant appliquant le principe « de ne pas faire à la place » lui dit : « Vous voulez vous peigner, allez-y… », en lui tendant la brosse à cheveux. Surprise ! Ce n’est pas ses cheveux que la dame veut peigner. Elle approche la brosse de la tête du soignant. Celui-ci, comprenant ce qu’elle veut faire s’accroupit devant elle. Elle lui peigne les cheveux durant quelques minutes. L’émotion joue son rôle. Le soignant reçoit le message qu’il a exécuté un soin d’hygiène de la dame dans des conditions que celle-ci a appréciées. Aphasique, elle n’a d’autres moyens de s’exprimer. Le soignant est « sur un nuage ». 71 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Impacts de la formation ARS L’anecdote précédente montre qu’on a évité des situations difficiles, voire une réaction catastrophique, néfastes au plan émotif et potentiellement contraignantes en termes d’efforts ou de postures. Plusieurs établissements où l’ARS est implantée expriment son impact par la réduction des réactions catastrophiques. Par ailleurs, une enquête par questionnaire auprès des participants à la fin du processus de formation fournit une appréciation quantitative et qualitative de la perception des participants. Ce questionnaire a été administré à la suite de 40 projets de formation. Au total, 392 participants ont répondu au questionnaire, soit un taux de réponse de 93%. Le questionnaire comprenait des questions fermées avec échelle de réponse (fortement en désaccord, en désaccord, d’accord, fortement d’accord). Il comprenait aussi des questions ouvertes où le participant pouvait exprimer librement son opinion. Ces questions portaient notamment sur le contenu de la formation qui est le plus utile pour le travail, ce qui est le plus facile à intégrer. L’analyse des réponses porte ici sur les questions ou les informations permettant le mieux de faire le lien entre l’expérience d’émotions positives par les soignants et l’effet sur les facteurs de risque de TMS. Les répondants sont unanimes dans leurs perceptions à la suite du processus de formation, à savoir que : la formation leur a apporté des outils pour faire les gestes de soins avec encore plus de douceur (99% d’accord et fortement d’accord) ; la formation permet de rendre plus harmonieuse la relation avec les clients (99% d’accord et fortement d’accord) ; l’amélioration de l’autonomie des clients permet de rendre le travail plus sécuritaire (95% d’accord et fortement d’accord) ; l’amélioration de la communication avec le client permet d’améliorer la satisfaction au travail (98% d’accord et fortement d’accord). Au plan qualitatif, voici une sélection de commentaires témoignant de l’influence de l’expérience d’émotions positives sur la perception des soignants de leur travail : « Je souhaite qu’ils comprennent que nous avons aussi des sentiments pour les résidents et qu’il est normal d’avoir des émotions, d’avoir de l’affection pour eux qui est saine (…) » « (…) Quand on prend le temps d’appliquer certaines choses avec des clients considérés difficiles et qu’on réussi, on se sent tellement bien et c’est plaisant. » « Le toucher en douceur me permet de constater que les clients aiment ce contact de plus en plus et que je ne pourrais plus m’en passer. » « Décrire tout ce que je fais prépare bien le patient. Aller chercher son regard stimule la personne à participer. Le contact des yeux est très nourrissant. » « Éviter de faire les gestes à la place du client, dire et décrire nos actions, le toucher sont des choses simples qui ne demandent pas plus de temps et qui améliorent la qualité de vie des résidents et des intervenants. » « (…) ils nous apportent aussi qu’on peut travailler dans un milieu où la douceur et notre attitude vont faire que nous serons heureux et heureuses au travail. » « (…) avec cette pratique globale, je force moins à faire les soins, je suis plus détendue, je résiste moins (…). » « C’est l’autonomie des patients, ainsi que l’approche (qui) nous facilite l’ouvrage et nous fait sauver du temps. Le tout fait que le patient est satisfait et nous, on est fier de notre ouvrage. » « J’ai réussi à habiller une dame qui avait été agressive pendant 2 jours (coup de poing) ; après elle m’a remercié en me regardant dans les yeux. » « Avec certains malades que je ne nommerai pas, j’ai amélioré ma patience, mon écoute. » « (…) Surtout, cette approche diminuera l’agressivité des deux parties. Chacun s’en trouvera plus content ayant le sentiment du devoir accompli. » « Le toucher en douceur, la communication, l’humanitude. C’est beaucoup plus agréable d’y aller selon ce que le client désire que de forcer à faire les choses. L’adaptabilité est super importante. » 72 ISBN : 978-2-913488-68-4 « Ce que j’ai aimé de cette formation, c’est que ma vision de mes tâches quotidiennes est différente. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’approche relationnelle est si souple et rassure énormément le client. C’est une formation qui ne peut qu’être positive à l’ensemble des travailleurs où je travaille ». « Formation réaliste, pas de grande théorie qu’on ne peut appliquer mais basée sur la réalité et très applicable. Ce qui est fantastique c’est qu’on voit tout de suite les résultats en appliquant cette approche relationnelle de soins. » Conclusion Aller au cœur de l’activité de travail des soignants pour agir sur les risques de TMS, c’est s’intéresser à la relation entre le soignant et le client en plus des efforts et des postures, notamment en raison des difficultés particulières reliées aux soins aux personnes désorientées. Nous croyons, à la lumière de la perception des participants à l’ARS que cette formation contribue à réduire les risques de TMS. Au-delà des perceptions des participants, des évaluations avec d’autres indicateurs d’impacts seront nécessaires. Il sera aussi intéressant d’analyser les facteurs facilitants ou nuisibles à son implantation dans les établissements. Références 1. Institut National de Santé Publique du Québec. Portrait national des troubles musculo-squelettiques (TMS) 19982007. Septembre 2010 2. BÉDARD, S., Lésions professionnelles en CHSLD. Objectif Prévention, vol.26, no.2, p.30-31, 2003. 3. ST-VINCENT, Marie, Analyse des accidents survenus durant une année dans trois centres hospitaliers, IRSST Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, rapport R-093, mars 1995. 4. ARCAND, M., HÉBERT, R., Précis pratique de gériatrie. 2e éd. Edisem, 1997. 5. BIGAOUETTE, Michel, Prévention des comportements agressifs perturbateurs en milieu d’hébergement gériatrique, Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales. 2001. 6. PELLISSIER, Jérôme, Ces troubles qui nous troublent. Les troubles du comportement dans la maladie d’Alzheimer et les autres syndromes démentiels. Éditions Érès, 2010. 7. KUORINKA, I., FORCIER, L., Les lésions attribuables au travail répétitif, Éditions MultiMondes, 1995. 8. BOURQUE, M., VOYER, P., La gestion des symptômes psychologiques et comportementaux de la démence, dans Philippe Voyer (sous la direction de), Soins infirmiers aux aînés en perte d’autonomie, Éditions du renouveau pédagogique, 2006. 9. Site internet : cec-formation.net 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 10. LÉVESQUE, Louise. L’approche relationnelle d’accompagnement de la personne atteinte de troubles cognitifs, L’infirmière du Québec, janvier-février 2001, p.29-38. 73 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Atelier 3 Environnement psychosocial du travail : définitions et outils pour le caractériser Susan Stock Institut national de santé publique au Québec (INSPQ) et Université de Montréal (Canada) Fabienne Kern Institut universitaire romand de santé au travail (IST) (Suisse) L ’environnement psychosocial du travail intègre plusieurs éléments organisationnels, psychologiques, interrelationnels et cognitifs. Cet atelier présentera un cadre conceptuel et décrira différents éléments et contraintes psychosociales du travail qui peuvent être considérés en lien avec la genèse des TMS. Il explorera différents outils et méthodes utilisés pour caractériser ces facteurs et décrira les qualités psychométriques à considérer en choisissant un outil. Des exemples de l’utilisation de quelques outils en milieu de travail seront également présentés. 74 ISBN : 978-2-913488-68-4 Des échanges avec les participants auront lieu concernant : • La nature des éléments ou contraintes psychosociaux du travail rencontrés par les participants en prévention des TMS. • Les besoins des participants d’outils ou de méthodes pour caractériser l’environnement psychosocial. • Les expériences des participants en caractérisation de l’environnemental psychosocial dans le contexte de la prévention des TMS. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Environnement psychosocial du travail : définitions et concepts usan Stock S Institut national de santé publique au Québec (INSPQ) et Université de Montréal (Canada) I l n’existe pas de consensus sur la classification des dimensions de l’environnement psychosocial du travail. Au cours des derniers 35 ans, des chercheurs, des experts et des intervenants œuvrant en santé au travail, en sociologie et psychologie du travail, en relations industrielles et en gestion, ont proposé différentes façons de concevoir et de caractériser l’environnement psychosocial du travail. Ces approches varient selon le pays, la discipline et le contexte de recherche ou de pratique d’intervention. Malgré ces disparités, il y avait un intérêt à décortiquer les aspects de l’organisation du travail et les exigences du travail psychologiques et interrelationnelles qui peuvent influencer l’état psychologique de la personne et/ou avoir des effets néfastes sur d’autres aspects de la santé tels que la santé cardiovasculaire, et plus récemment, les TMS. Plusieurs chercheurs et instituts nationaux de santé au travail ont proposé diverses modalités de classement de ces risques et différents modèles conceptuels (Huang et coll. 2002 ; Kristensen et coll. 2005, Lindstrom et coll. 2002). Tabanelli et coll. (2008) ont répertorié 33 outils de mesure des facteurs psychosociaux au travail (26 questionnaires et 7 outils d’observation) publiés dans la littérature scientifique. Récemment, en France, le ministre en charge du Travail a mandaté un collège d’expertise pour formuler des propositions en vue d’un suivi statistique des risques psychosociaux au travail. En octobre 2009, ce collège d’expertise a proposé un cadre de référence des risques psychosociaux avec 6 axes et a identifié une batterie provisoire d’indicateurs existants pour mesurer différents éléments de ces axes. Les 6 axes proposés incluent : (1) les exigences au travail (ex : quantité de travail, pression temporelle, complexité du travail, difficultés de conciliation entre travail et vie personnelle) ; (2) les exigences émotionnelles (ex : épuisement émotionnel, relation au public, empathie et souffrance, tensions avec le public, devoir cacher ses émotions, peur au travail) ; (3) l’autonomie et les marges de manœuvre (ex : autonomie procédurale, autorité décisionnelle, utilisation des compétences) ; (4) les rapports sociaux, relations au travail (ex : soutien social au travail, reconnaissance, violence) ; (5) le conflit de valeur ; (6) l’insécurité d’emploi. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Le choix des indicateurs psychosociaux dépend des objectifs du chercheur ou de l’intervenant et des éléments du travail qu’on veut caractériser. Il est important également de tenir compte des caractéristiques psychométriques des indicateurs : leur validité, reproductibilité et sensibilité au changement. L’outil mesure-t-il le phénomène que l’on veut caractériser de façon précise ? A-t-il la capacité à recueillir les mêmes résultats chaque fois que les mêmes phénomènes se manifestent dans un contexte semblable ? Est-il capable de montrer une augmentation ou une baisse du phénomène étudié quand un vrai changement a eu lieu ? Par conséquent, les utilisateurs d’indicateurs devraient s’informer au préalable si ces caractéristiques ont été étudiées et si oui, de vérifier si l’indicateur retenu est valide, fiable et sensible au changement dans le contexte de l’utilisation prévue. 75 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Revue de la littérature sur les contraintes psychosociales au travail évaluées en épidémiologie comme facteurs de risque des TMS : intérêt et limites ominique Chouanière D Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) Département Homme au travail, Centre de Lorraine Isabelle Niedhammer INSERM, U1018, Hôpital Paul Brousse (France) L es liens entre contraintes psychosociales au travail et troubles musculo-squelettiques (TMS) ont été étudiés en épidémiologie depuis une quinzaine d’années, donnant lieu à un corpus de connaissances conséquent. Avant de détailler ces différentes contraintes, un rappel des définitions sur les différents concepts est incontournable. Concepts et définitions Le terme « risques psychosociaux au travail » fait débat en France, comme le précise M. Gollac et coll dans un rapport d’expertise récent [Gollac], et le concept même est pour certains chercheurs français sans objet. Pour autant, l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao en donne une vision pragmatique : les risques psychosociaux au travail incluent les facteurs liés au stress, violences externes (venant du public, patients, usagers, clients, etc.) et violences internes (harcèlement moral ou sexuel, conflits, etc.). Ces facteurs de stress représentent, selon les enquêtes européennes sur les conditions de travail menées par la Fondation européenne de Dublin, les risques professionnels les plus fréquents chez les travailleurs européens, sachant que les violences externes ou internes peuvent générer du stress. À l’origine du stress chronique au travail, se trouvent les « stresseurs » ou « sources du stress » schématisés ci-dessous. On distingue deux types de sources de stress : • les contraintes qui correspondent à la perception subjective des conditions de travail (souvent dénommées « facteurs psychosociaux ») ; • les facteurs organisationnels qui sont les conditions objectives de travail factuelles et identifiables dans la documentation de l’entreprise. Le stress chronique peut avoir sur la santé différentes conséquences dont les TMS représentent un aspect, à côté d’autres maladies dont les plus étudiées sont les atteintes cardio-vasculaires ou psychopathologiques. Facteurs organisationnels et contraintes au travail Depuis les années 1960, la façon de considérer les dimensions du travail dans le champ de l’épidémiologie psychosociale professionnelle a beaucoup évolué. Avant les années 1970, ces études épidémiologiques se référaient à des listes de facteurs organisationnels ou « stresseurs » potentiels : horaires, formation, polyvalence, etc. et étudiaient les relations de ces facteurs avec des aspects de santé. Le nombre et la diversité des facteurs étudiés rendaient difficiles l’interprétation globale des résultats et leur transférabilité en termes de prévention. 76 ISBN : 978-2-913488-68-4 Durant les années 1970-1990, deux modèles basés sur les déséquilibres de deux dimensions du travail perçu se sont imposés : ceux de Karasek et de Siegrist. Le modèle de Karasek définit le « job strain » comme un déséquilibre entre la perception d’une forte exigence psychologique de l’activité et un manque de latitude décisionnelle pour réaliser cette activité. Le modèle de Siegrist repose sur le déséquilibre entre la perception des efforts consentis pour son travail et les bénéfices que l’on en retire, que ceux-ci soient monétaires ou symboliques. Les deux modèles ont introduit une troisième dimension qui modulerait les 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) déséquilibres : le soutien social des collègues et de la hiérarchie qui pourrait réduire la perception du job strain dans le modèle de Karasek et le surinvestissement dans le travail qui aggraverait la perception du déséquilibre efforts/récompenses dans le modèle de Siegrist (voir en annexe les définitions précises des dimensions). Ces modèles très intéressants pour l’épidémiologie psychosociale ont montré, sur la base d’études étiologiques bien faites, qu’ils étaient prédictifs de différents problèmes de santé, la quantification de leurs effets sur la santé mentale ou cardiovasculaire, par exemple, étant bien approchée. Dans les années 2000, de nouveaux modèles sont venus compléter les outils d’évaluation des facteurs psychosociaux. Ils se sont intéressés à l’injustice organisationnelle, la qualité du leadership, l’insécurité de l’emploi, les violences internes (de la part des collègues, supérieurs, etc.) et externes (de la part des usagers, clients, patients, etc.), les exigences ou la dissonance émotionnelles, les conflits éthiques, etc. (voir en annexe les définitions précises des dimensions). Néanmoins, les preuves épidémiologiques actuelles de leur nocivité sont moins nombreuses. Des outils d’évaluation des facteurs psychosociaux apparus depuis les années 70 explorent des dimensions du travail beaucoup plus étendues comme le WOCCQ en Belgique (Working Conditions and Control Questionnaire) ou le COPSOQ (Copenhagen Psychological Questionnaire) au Danemark ou le QPSNordic (General Nordic Questionnaire for Psychological and Social Factors at Work). Par ailleurs, ils ont fait l’objet d’un très faible nombre d’études épidémiologiques. Les facteurs organisationnels qui peuvent être à l’origine de contraintes font l’objet de classifications multiples et évoluent au rythme des changements organisationnels du travail. Ils peuvent être regroupés en quatre grandes catégories : • le contenu du travail : activités monotones ou répétitives, activités exigeant de traiter un très grand nombre d’informations, exposition permanente à la clientèle, confrontation à la mort ou à la souffrance, activité impliquant une responsabilité sur la vie d’autrui, etc. ; • l’organisation du travail ou la gestion des ressources humaines : changements organisationnels fréquents, horaires de travail incompatibles avec la vie sociale et familiale, temps de travail prolongé, interruption fréquente dans le déroulement du travail, flux tendu, inexistence ou caractère aléatoire des plans de carrière, sous ou surqualification des agents, mauvaise ou absence de définition des postes de travail, etc. ; • la qualité des relations de travail : isolement social ou physique, management peu participatif, faible communication dans l’entreprise, absence d’évaluation du travail ou évaluation inadaptée, etc. ; • l’environnement physique : bruit, mauvaise conception des lieux de travail, open space, etc. ; À ces facteurs propres à l’entreprise se surajoutent des facteurs liés au contexte sociologique et économique du monde du travail : • les évolutions sociologiques : utilisation croissante des techniques de communication à distance, individualisation de l’activité professionnelle avec sur-responsabilisation, exigence ou agressivité de la clientèle, etc. ; • la situation macroéconomique : intensification du travail, instabilité de l’emploi, importance de la concurrence nationale et internationale, difficultés économiques conjoncturelles, etc. Certains facteurs organisationnels peuvent avoir un rôle direct sur la santé quelles que soient la présence ou l’importance des contraintes : c’est le cas, par exemple, d’une activité professionnelle hebdomadaire prolongée qui semble affecter directement la santé (via le stress chronique) sans qu’il y ait de consensus sur le nombre d’heures à ne pas dépasser (45, 50, 55 heures ?) ou encore la précarité à travers les contrats de travail non permanents. Ces facteurs organisationnels explorés plus récemment en épidémiologie ne bénéficient pas d’un nombre de données suffisant et les résultats les concernant ne sont pas encore stabilisés. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Ces contraintes et facteurs organisationnels ont été regroupés par le collège d’expertise francophone mis en place en 2008 par M. Gollac en six dimensions : intensité et temps de travail, exigences émotionnelles, autonomie et marges de manœuvre, rapports sociaux et relations dans le travail, conflits de valeur, insécurité de la situation de travail. Cette classification qui a fait l’objet d’un travail substantiel de nombreux experts et dont un récent rapport conséquent pourrait devenir une référence [Gollac]. 77 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Relations entre les facteurs psychosociaux « classiques » et la santé Selon une revue de la littérature menée par C. Cohidon [INSERM], « trois revues de la littérature épidémiologique publiées en 2008 et fondées exclusivement sur des études longitudinales concluent toutes à l’existence de liens entre les différentes dimensions des modèles de Karasek ou de Siegrist et certains troubles de santé mentale tels que des troubles dépressifs et anxio-dépressifs. L’exposition au job strain, combinant fortes exigences et faible latitude décisionnelle, multiplierait par 2 le risque de développer des troubles dépressifs. En cas d’efforts importants associés à de faibles récompenses les liens avec les troubles dépressifs semblent plus constants et le risque augmenterait de 2 à 4 fois selon les auteurs et la méthodologie adoptée ». En ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires, F. Kittel dans la même revue de la littérature [INSERM], précise que « sur la base de résultats issus de méta-analyses, l’exposition au job strain du modèle de Karasek augmenterait le risque de maladies cardio-vasculaires de 16 à 45%. Le risque serait accru de 58 à 152% en cas d’exposition au déséquilibre efforts-récompenses du modèle de Siegrist. Toutefois, une certaine prudence s’impose pour le modèle de Siegrist du fait du faible nombre d’études prospectives ». Pour les TMS, Annette Leclerc amène les conclusions suivantes [INSERM] : « Pour la plupart des sites de douleur, de nombreuses études montrent des liens avec les expositions aux facteurs de risques psychosociaux, mais les associations sont souvent d’intensité modeste, et globalement moins fortes dans les études dont la qualité méthodologique est la meilleure (études longitudinales). Le niveau de preuve varie également selon le site de douleur. Pour les douleurs cervicales et les douleurs d’épaules, les associations avec la « demande » au travail, le manque de latitude, et le manque de soutien social, sont retrouvées de façon assez constante. Pour les troubles portant sur le cou et le membre supérieur, les facteurs psychosociaux sont liés de façon modeste aux troubles, sans qu’il y ait d’association spécifique. Les relations sont moins évidentes pour des pathologies spécifiques, syndrome du canal carpien ou pathologies du coude. Concernant les lombalgies, les associations, habituellement observées dans des études transversales, deviennent moins nettes, voire inexistantes, dès lors qu’on se limite à l’examen d’études longitudinales, a priori plus solides du point de vue méthodologique. Au niveau du membre inférieur, les conclusions sont plutôt négatives. Il est possible que certaines des pathologies en cause, dont l’arthrose (arthrose du genou…), ne soient pas liées de façon étroite à ces facteurs de risque. » Intérêts et limites des principaux outils d’évaluation des facteurs psychosociaux Les différents instruments ont fait l’objet d’évaluation psychométrique dont les résultats sont largement publiés [Langevin, Niedhammer, Siegrist]. Ils ne seront pas détaillés ici. 78 ISBN : 978-2-913488-68-4 La principale limite de chacun des instruments tient au fait qu’ils n’explorent que quelques dimensions du travail car élaboré à des fins de recherche, ils cherchent à vérifier si les dimensions du travail qu’ils explorent ou les déséquilibres sont prédictifs de problèmes de santé. Dans ce contexte, ils sont souvent difficiles à utiliser en prévention comme outil d’évaluation des risques psychosociaux car les situations de travail sont complexes et les contraintes peuvent y être multiples et diversifiées. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Bibliographie 1. INSERM. Stress au travail et santé, situation chez les indépendants. Editions Inserm, Collection Expertise collective, 2011 2. Gollac M, Bodier M. Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Rapport du Collège d’expertise sur le suivie des risques psychosociaux au travail faisant suite à la demande du Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, 2011, 223 pages 3. Karasek R, Theorell T. Healthy work : stress, productivity, and the reconstruction of working life. New York, NY : Basic Books ; 1990. 4. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Déséquilibre ”efforts/récompenses”. Documents pour le médecin du travail, 125, 111-115 5. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Job content questionnaire. Documents pour le médecin du travail, 2011, 125, 105-110 6. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Les questionnaires dans la démarche de prévention du stress au travail. Documents pour le médecin du travail, 2011, 125, 23-36 7. Leymann H. Mobbing : la persécution au travail. Paris : Editions du Seuil ; 1996. 8. Niedhammer I, Chastang JF, Gendrey L, David S, Degioanni S. Propriétés psychométriques de la version française des échelles de la demande psychologique, de la latitude décisionnelle et du soutien social du ”Job Content Questionnaire” de Karasek : résultats de l’enquête nationale SUMER. Santé Publique 2006 ; 18(3) :413-427. 9. Niedhammer I, David S, Degioanni S, 143 médecins du travail. La version française du questionnaire de Leymann sur la violence psychologique au travail : le « Leymann Inventory of Psychological Terror » (LIPT). Rev Epidemiol Sante Publique 2006 ; 54(3) :245-262. 10. Niedhammer I, Siegrist J, Landre MF, Goldberg M, Leclerc A. Etude des qualités psychométriques de la version française du modèle du Déséquilibre Efforts/Récompenses. Rev Epidemiol Sante Publique 2000 ; 48(5) :419-437. 11. Siegrist J, Starke D, Chandola T, Godin I, Marmot M, Niedhammer I et al. The measurement of effortreward imbalance at work : European comparisons. Soc Sci Med 2004 ; 58(8) :1483-1499. Annexe : Définition des contraintes et des facteurs organisationnels CONTRAINTES DU MODÈLE DE KARASEK Demande psychologique Elle correspond à une évaluation de la perception de la charge de travail et de sa vitesse d’exécution ainsi que celle des interruptions dans le travail. Latitude décisionnelle Elle évalue la perception de la marge de manœuvre pour organiser et réaliser son travail, de la créativité ou répétitivité des tâches menées dans le travail et la possibilité de faire valoir ses compétences. Soutien social Elle évalue la perception de l’aide apportée par les collègues et l’encadrement de proximité pour réaliser son travail. Job strain 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Il apprécie la coexistence d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle 79 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) (en dénombrant les personnes qui ont à la fois une forte demande psychologique et une faible latitude décisionnelle sur la base de la médiane des 2 scores). CONTRAINTES DU MODÈLE DE SIEGRIST Efforts Cette dimension évalue comme la demande psychologique de Karasek la perception de la charge de travail et des interruptions dans le travail. Récompenses Elles mesurent la perception des « retours » sur le travail fourni qu’ils soient monétaires ou symboliques et les perspectives de l’emploi et de la carrière. Surinvestissement Il s’intéresse à l’implication de la personne dans son travail et à l’anxiété que celui-ci peut générer chez elle. Déséquilibre Efforts/Récompenses Il apprécie la coexistence entre des efforts importants et des faibles récompenses par le rapport entre les 2 dimensions pondérées pour le nombre d’items. CONTRAINTES APPARUES PLUS RÉCEMMENT EN ÉPIDÉMIOLOGIE PSYCHOSOCIALE Conflits éthiques Cette contrainte est explorée par quelques questions non standardisées du type : « est-ce que votre métier vous met en contradiction avec vos valeurs personnelles ? » ou encore « Est-ce que dans votre travail vous devez faire des choses que vous désapprouvez ? ». Injustice organisationnelle Cette contrainte est explorée récemment dans les études épidémiologiques. Elle intègre 3 composantes de la justice perçue au travail : la justice distributive, celle qui concerne les ressources (salaire, protection sociale, perspectives professionnelles, etc.), la justice procédurale qui concerne les procédures, les méthodes et les mécanismes utilisés pour obtenir les résultats et la justice relationnelle qui concerne l’équité dans les relations sociales (considération, politesse, respect, dignité, etc.). Différents instruments sont disponibles pour mesurer la justice au travail. Mauvaise qualité du leadership Il s’agit également d’une contrainte nouvellement apparue dans les études épidémiologiques. Elle est évaluée par un questionnaire portant sur les différents aspects d’un comportement managérial : intégrité, motivation, capacité à intégrer, autocratisme et auto-centrage. Insécurité de l’emploi et du salaire et précarité L’insécurité correspond à une situation quotidienne impliquant une incertitude prolongée sur son devenir professionnel. Elle a pris une dimension particulière du fait des changements intervenus dans le marché du travail : restructurations, fusions, plans de licenciement, etc. Elle est évaluée par des outils très variés allant de l’item unique à un auto-questionnaire de 50 items rendant la comparaison entre les études difficiles. 80 ISBN : 978-2-913488-68-4 La précarité est une thématique connexe de la précédente puisqu’elle fait référence aux contrats précaires/ temporaire (CDD, intérim, contrats aidés, etc.) mais il n’y a pas de consensus sur sa définition qui donne lieu à des déclinaisons très hétérogènes. Elle est évaluée par des questions non standardisées. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Forte charge émotionnelle Elle concerne plus particulièrement les métiers d’aide ou de soins : travailleurs sociaux, personnel soignant travaillant dans des services d’oncologie pédiatrique, d’accompagnement de patients en fin de vie mais aussi des métiers commerciaux qui exposent les salariés à un contact prolongé avec une clientèle volontiers agressive comme par exemple le métier de téléopérateurs. A notre connaissance, il n’y a pas d’outil de mesure standardisé pour cette contrainte. Dissonance émotionnelle Il s’agit de la contrainte évoquée plus haut, également dans les centres d’appels téléphoniques, quand il est demandé aux salariés d’afficher des émotions contraires à leur état comme ne pas réagir par la colère alors qu’un client les agresse, insulte, etc. Il n’y a pas d’outil de mesure standardisé pour cette contrainte mais des outils sont disponibles comme le FEWS (Francfort Emotion Work Scales). Violence interne La violence interne désigne l’ensemble des attitudes, comportements, actes agressifs qui se manifeste sur le lieu de travail entre des acteurs internes de l’organisation (salariés, employés, agents, quels que soient les niveaux hiérarchiques). De tels agissements sont particulièrement délétères du fait de leur répétitivité et durée. La violence physique est explorée par des questions non standardisées alors que la violence psychologique fait l’objet de plusieurs questionnaires dont le plus utilisé est le « Leymann Inventory of Psychological Terror » (LIPT) qui explore l’exposition à 45 agissements hostiles. La violence interne peut se manifester par du harcèlement moral (ou « bullying », « mobbying », etc.) ou sexuel qui se traduisent par des comportements délibérés et réitérés d’atteinte à la dignité de la personne. Il existe des outils standardisés d’exploration du « bullying » ou« mobbying ». Violence externe La violence externe désigne l’ensemble des attitudes, comportements, actes agressifs qui se manifeste sur le lieu de travail par des acteurs externes (clients, usagers, bénéficiaires, administrés). Elle est explorée par des questions non standardisées. FACTEURS ORGANISATIONNELS Changements organisationnels récurrents Cette thématique très émergente fait référence aux changements permanents auxquels sont soumis les salariés : changements technologiques, d’objectifs, d’équipes, de locaux, etc. Ils sont explorés par des questions non standardisées. Temps de travail prolongé Il correspond, dans les études épidémiologiques, à deux concepts différents : l’excès de travail (plus de 45, 50 heures hebdomadaires) et les horaires atypiques (soirée, nuit, week-end, etc.), ces derniers exposant à une désynchronisation des rythmes biologiques. Cet aspect est exploré dans les études épidémiologiques par des questions non standardisées. Remerciements 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les auteurs remercient Christine Cohidon, France Kittel et Annette Leclerc pour leur expertise et leur accord à faire figurer leurs contributions. 81 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’intérêt de l’analyse de l’activité en complément de tout outil d’évaluation de l’environnement psychosocial Fabienne Kern Institut de santé au travail, Lausanne (Suisse) Introduction P lusieurs modèles permettent d’appréhender certaines dimensions de l’environnement psychosocial. Les échelles issues du modèle de Karasek (Demand-Control Model, puis Demand-Control-Support Model) ont été et restent très largement utilisées lors d’études épidémiologiques sur l’environnement psychosocial du travail. De même ces échelles sont souvent utilisées lors d’études d’envergure plus restreinte et dans des contextes d’activités spécifiques avec un but de diagnostic. Karasek distingue la demande psychologique (quantité de travail à accomplir, exigences mentales et contraintes de temps) de l’autonomie décisionnelle (prise de décision, créativité, développement des compétences). Une situation de « tension au travail » définie par l’association d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle représente un risque pour la santé physique et mentale (Karasek, 1979). Ce modèle a ensuite été enrichi du soutien social, un manque de soutien étant un facteur aggravant. Cet outil d’évaluation de l’environnement psychosocial, bien que validé dans de nombreuses populations de travailleurs, peut-il être utilisé en toutes circonstances ? Contexte et méthode Une demande d’évaluation des conditions de travail des 70 collaborateurs d’un organe de contrôle des véhicules nous a été confiée. En effet, plusieurs des inspecteurs de ce service ont dénoncé la pénibilité de leur activité. Des plaintes pour troubles musculosquelettiques ont en outre été relayées par des structures syndicales. L’évaluation a été menée par 2 approches complémentaires : d’une part, la perception des inspecteurs en ce qui concerne leurs conditions de travail et leur santé, perception appréhendée au travers d’un questionnaire ; et d’autre part, une analyse ergonomique de l’activité des inspecteurs qui a permis d’objectiver les facteurs de risques. Questionnaire 82 ISBN : 978-2-913488-68-4 Un « focus group » composé d’inspecteurs a été constitué afin de cibler le questionnaire sur l’activité spécifique de cet organe de contrôle. Plusieurs dimensions ont été abordées dans ce questionnaire : • description du poste ; données personnelles ; équilibre vie professionnelle-vie privée ; • conditions de travail ambiantes, charge physique et risques d’accidents ; • facteurs de stress et facteurs protecteurs dont les échelles de Karasek (modèle initial à 2 dimensions) ; • échelle de santé mentale : test TST (Test de Santé Total) ; • soutien et reconnaissance de la part de l’entreprise : questionnaire issu du modèle Déséquilibre Effort/ Récompense de Siegrist. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Analyse de l’activité L’analyse ergonomique de l’activité des inspecteurs s’est déroulée sur 3 jours et sur 3 sites différents. L’activité des inspecteurs a été analysée lors de l’inspection de voitures et camions. Des vidéos et photos ont été prises et analysées. Cette approche visait à évaluer les contraintes spécifiques des activités de travail et à dégager les principaux facteurs de pénibilité associés à ces tâches ainsi que les ressources à disposition. Résultats Compte tenu du sujet de cette communication, nous aborderons ici uniquement les résultats des échelles de Karasek (en particulier de l’autonomie décisionnelle) ainsi que de la marge de manœuvre et des possibilités d’ajustement. Analyse de l’activité L’activité des inspecteurs (mécaniciens) consiste à contrôler les véhicules en 4 étapes successives, chaque étape étant associée à des outils de contrôle spécifiques. Étape 1 : identification du véhicule et expertise du groupe au sol (poids, suspensions et freins). Étape 2 : expertise des phares et des sécurités. Étape 3 : expertise du soubassement. Étape 4 : e ssais dynamiques (freinage, comportement routier, embrayage et étalonnage) et expertise des gaz d’échappement. Étape 1 Etape 2 Etape 3 Etape 4 Les inspecteurs disposent de 5 minutes par étape et doivent prendre en charge un nouveau véhicule toutes les 20 minutes. Les propriétaires de véhicules sont donc convoqués sur la base d’un planning très serré. Un retard de 1-9 minutes est cependant accepté et l’expertise doit alors être effectuée en moins des 20 minutes réglementaires. Si le propriétaire a plus de 10 minutes de retard, un nouveau rendez-vous sera fixé et l’inspecteur dispose alors de quelques minutes de marge. La variabilité grandissante des véhicules, leur informatique spécifique et le moindre retard des propriétaires ne sont pas pris en compte par l’organisation du travail. Les inspecteurs doivent libérer les postes de travail et les appareils de mesure toutes les 5 minutes pour ne pas retarder leurs collègues, ce qui accentue la pression temporelle et limite les possibilités d’ajustement déjà minimes de par l’organisation de cette activité d’expertise. L’analyse de l’activité met clairement en évidence une très faible marge de manœuvre dans un cadre très rigide. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Questionnaire L’analyse du questionnaire s’est faite à l’aide du logiciel d’analyses statistiques SPSS. Le taux de réponses a atteint les 88% (n=61). Les échelles de Karasek ont montré que, par rapport à la population suisse, une proportion importante 83 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) de répondants a rapporté un niveau élevé d’autonomie (Ramaciotti et al, 2001), contrairement aux résultats de l’analyse de l’activité. Contradictions 84 ISBN : 978-2-913488-68-4 En analysant plus précisément les réponses des participants, il est apparu que le libellé de certaines questions sur la latitude décisionnelle semblaient se contredire et influençaient ainsi le résultat. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’analyse de l’activité a permis de donner sens à ces contradictions. En effet, l’activité d’expertise de véhicules est à la fois répétitive (cycle de 20 minutes, véhicules à la chaîne) mais variée de par les différents modèles de véhicules examinés et les différents aspects contrôlés. De même, les mécaniciens sont amenés à prendre des décisions de façon autonome (autorisation ou interdiction de circuler à l’issue de l’expertise) mais sont particulièrement limités dans la planification de leur activité, au vu de l’organisation rigide du travail. Les échelles de Karasek ne nous ont pas permis ici de corroborer nos résultats de terrain. Se baser uniquement sur cet outil d’évaluation de l’environnement de travail n’aurait pas permis de faire un bon diagnostic de la situation et ainsi une prévention adéquate des problèmes rencontrés dans cette entreprise. Conclusion L’analyse de l’activité reste le principal garant d’une bonne évaluation de la situation de travail et de l’environnement psychosocial. Elle permet en outre de donner du contenu, de la substance et ainsi d’expliquer les données récoltées par questionnaire. Lors d’études à petite échelle et dans un contexte d’activité spécifique, l’analyse de l’activité devrait toujours accompagner l’utilisation d’autres outils d’évaluation. En effet, on voit ici que les échelles de Karasek ne traduisent pas toujours la réalité des diverses situations de travail, et l’autonomie décisionnelle de Karasek n’est ici pas un bon révélateur des possibilités d’ajustement et de la marge de manœuvre. Ces échelles ont été initialement conçues pour être utilisées lors d’études épidémiologiques et donc sur de grandes populations où la spécificité de certaines activités influencerait ainsi moins le résultat global. Leur utilisation de façon plus ou moins abusive sur d’autres types de populations doit être questionnée. Bibliographie R. Karasek. Job demands, job decision latitude, and mental strain : implication for job redesign. Administrative Science Quarterly, 1979 ; 24(2) :285-308. R.Karasek, T. Theorell. Health Work : Stress, Productivity and Reconstruction of working life New York Basic Books 1990. D. Ramaciotti, J. Perriard. Les coûts du stress en Suisse : Etude réalisée sur mandat du seco, 2001. B. Fetcher, F. Jones. A refutation of Karasek’s demand-discretion model of occupational stress with a range of dependent mesures. Journal of Organizational Behavior 1993 ; 14 ;4 :319-330. T. Theorell, R. Karasek. Current issues relating to psychosocial job strain and cardiovascular disease research. Journal of Occupational Psychology 1996 ; 1 :9-26. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 V. Arnaudo. Analyse critique du questionnaire, du chiffre et des indicateurs de santé au travail. Le journal des professionnels de la Santé au Travail 2. 85 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Outils pour apprécier les aspects socio-organisationnels lors d’une intervention de prévention : l’expérience des praticiens Marie Bellemare, Geneviève Baril-Gingras Département des relations industrielles, Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du travail, Université Laval (Canada) L es facteurs de risque de TMS que l’on peut identifier dans les différentes situations de travail sont le résultat de la présence de déterminants pouvant relever de la formation, du système technique et de l’organisation du travail. Lors des interventions à visées préventives, la démarche consiste à rechercher les déterminants en cause et à les transformer en implantant des changements concrets dans les situations de travail. Les connaissances « techniques » dont on dispose pour identifier les déterminants qui contribuent aux TMS sont fondées sur des recherches en épidémiologie, biomécanique et ergonomie ; de nombreux milieux de pratique ont pu se les approprier grâce au transfert des connaissances. Or, les intervenants mettent en œuvre non seulement des connaissances techniques mais aussi des savoirs d’expérience leur permettant de déployer des stratégies adaptées au contexte dans lequel ils interviennent ; l’étude de leur pratique confirme l’importance de cette dimension socio-organisationnelle pour la réussite des interventions. Selon Vézina et Baril (2009), qui ont analysé les échanges entre enseignants et étudiants dans un programme de formation à l’intervention ergonomique, cette dimension est celle sur laquelle portent majoritairement les interrogations des novices. Certains auteurs (Theberge et al., 2009 ; Broberg et Hermund, 2004) décrivent cette portion du travail des intervenants comme étant de la « navigation politique », ce qui traduit bien deux dimensions de la pratique d’intervention en milieu de travail : 1) le déroulement d’une intervention peut en effet s’apparenter à une expédition où le chemin à parcourir pour arriver à transformer les situations de travail n’est pas tracé d’avance ; 2) le contexte dans lequel se déroule ce voyage est un milieu de travail, terrain de relations complexes entre une diversité d’acteurs qu’il faut savoir décoder et utiliser pour arriver à bon port. Par ailleurs, des études récentes (par exemple, Caroly et al. 2009) montrent bien que le contexte joue un rôle dans la pérennité de la prévention des TMS. Un modèle pour penser la production de changements lors des interventions 86 ISBN : 978-2-913488-68-4 En analysant de manière approfondie des interventions en santé et en sécurité du travail (SST) de natures diverses et menées dans contextes variés par des praticiens appartenant à des organismes différents, nous avons élaboré un modèle conceptuel (Baril-Gingras et al. 2004, Baril-Gingras et al. 2010a :14) permettant de rendre compte de la production de changements lors de telles interventions. Ainsi, une intervention peut être décrite comme portant sur un objet particulier (défini dans des interactions), à partir duquel l’intervenant se fixe des objectifs (plus ou moins formels), met en place un dispositif de participation dans le milieu, réalise certaines activités desquelles émergent des propositions de changement qui seront acceptées ou non, implantées ou non. La manière de conduire l’intervention dépend, d’une part, des caractéristiques de l’intervenant et de l’organisme auquel il est attaché et, d’autre part, du contexte propre à l’établissement. Les stratégies déployées par les praticiens expérimentés s’appuient justement sur la lecture qu’ils font du contexte : en repérant les facteurs favorables de celui-ci, ils peuvent en tirer profit pour faire avancer leurs interventions ; en identifiant les obstacles réels ou potentiels qu’il recèle, ils peuvent déployer des moyens de les atténuer ou de les transcender pour mener à bien leur mission. Construit pour rendre compte des aspects socio-organisationnels des interventions analysées, le modèle offre une assise pour comparer des interventions et ainsi éclairer les liens entre les processus mis en œuvre et les résultats en termes de changements implantés (Baril-Gingras et al., 2011). Enfin, le modèle suggère que toute intervention en SST se situe dans un cadre légal que l’on doit caractériser, particulièrement lorsque l’on souhaite comparer des interventions se déroulant dans des sociétés différentes. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Des outils construits avec les praticiens pour soutenir la pratique réflexive Ce modèle a permis d’élaborer des outils destinés aux praticiens. C’est ainsi que quatre outils ont été créés. Chacun d’eux reprend les termes du modèle et est conçu pour soutenir la réflexion sur la dimension socio-organisationnelle, tout au long de l’intervention : l’outil d’analyse du contexte sert à caractériser un établissement, et plus particulièrement, les capacités et les dispositions des acteurs, de manière à mettre en évidence les facteurs favorables et défavorables à l’intervention ; la feuille de route se veut un outil pour planifier le déroulement de l’intervention et faire le point à des moments-clés ; le journal de bord permet le suivi au jour le jour alors que l’outil de bilan propose une réflexion sur les leçons à tirer de l’intervention terminée. Grâce à la contribution d’un groupe de quatorze intervenants, provenant de trois associations sectorielles paritaires en SST et de trois équipes de santé au travail du réseau de la santé publique québécois, qui ont expérimenté ces outils dans 26 interventions, un cinquième outil a pu être élaboré : il s’agit d’un référentiel (Baril-Gingras et al., 2010b) où sont exposées diverses stratégies développées avec l’expérience. À partir d’éléments tirés des interventions étudiées et grâce à l’analyse des échanges au sein du groupe de praticiens, des « principes d’intervention » ont été formalisés. Ils se veulent des réponses possibles à des questions que les praticiens se posent dans la construction d’une intervention. Ils ont été recensés à partir de la pratique même de ces intervenants et ont aussi puisé dans le Code international d’éthique pour les professionnels de la santé au travail (CIST, 2002). Organisé autour de différentes composantes de l’intervention (tableau 1), le référentiel rassemble donc différentes questions qui se posent tout au long d’une intervention, des réponses possibles à celles-ci, accompagnées de trucs du métier et d’exemples de dilemmes auxquels les intervenants peuvent être confrontés. Tableau 1 Exemples de questions et principes associés aux différentes composantes d’une intervention de prévention des TMS Exemples de questions soulevées Exemples de principes d’intervention L’objet de l’intervention Qu’est-ce qui explique que ce problème de TMS ne soit pas reconnu, n’ait pas été prévenu, ou pas adéquatement à ce jour ? Considérer non seulement la dimension technique du problème mais également ses dimensions sociale et organisationnelle. Les objectifs et la stratégie générale de l’intervention Quelle devrait être la situation attendue à la fin de l’intervention ? Un ensemble d’activités doit être mis en place pour atteindre les objectifs. La stratégie doit être cohérente avec les capacités et les dispositions des acteurs, en les utilisant ou les développant. Le dispositif de participation Est-il souhaitable de faire participer : des représentants des travailleurs ? des cadres ? des superviseurs ? les travailleurs concernés ? une personne qui coordonnera l’intervention ? Résoudre de manière pérenne une problématique de TMS suppose que des acteurs internes comprennent des notions comme « facteurs de risques », « déterminants » et qu’ils voient les changements de toutes sortes dans l’entreprise comme des opportunités en prévention. Les activités à réaliser Quelles activités sont pertinentes, compte tenu du contexte : diagnostic d’expert ? formation sur les TMS ? apprentissage d’une démarche d’analyse des risques de TMS ? implantation rapide de changements simples ? (etc.) « Une attention particulière doit être portée à l’application rapide de mesures simples de prévention qui sont valables du point de vue techniques (…) » (Code international d’éthique pour les professionnels de la santé au travail, no 4). La définition de proposition de changements Quels sont les enjeux, favorables et défavorables, associés aux différentes propositions de changement ? Formuler des propositions qui concernent l’ensemble des déterminants de la situation de travail et y associer les acteurs concernés. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Composantes de l’intervention 87 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Pour donner un aperçu de ce référentiel, nous abordons ici deux composantes de l’intervention soit 1) la détermination de l’objet de l’intervention ; 2) la création d’un dispositif d’intervention. La définition de l’objet de l’intervention En début de parcours, dès le moment où il cerne l’objet de son intervention, le praticien expérimenté est amené à dépasser la dimension technique du problème qui lui est soumis pour recadrer le problème dans sa dimension socio-organisationnelle. Il se demande alors : pour quelles raisons on fait appel à lui à ce moment précis ? Qu’est-ce qui explique que ce problème de TMS ne soit pas reconnu, n’ait pas été prévenu, ou pas adéquatement à ce jour ? En cherchant des réponses à ces questions, le praticien est amené à réaliser une description du contexte du milieu, qui se décline autour des thèmes suivants : les caractéristiques structurelles d’un établissement ; les dispositions et les capacités des acteurs à agir ; les relations entre les acteurs autour de l’objet de l’intervention ; les changements en cours dans le milieu de travail. Ces thèmes permettent de guider l’analyse du contexte et d’orienter une stratégie globale à mettre en place. Ainsi, prendre en compte la dimension socio-organisationnelle dans l’intervention revient en quelque sorte à s’intéresser aux déficits de capacités (le manque de formation, le manque de pouvoir d’agir), aux dispositions absentes ou contradictoires avec la prévention des TMS, aux relations inégales entre les acteurs. Cette analyse amènera également le praticien à vérifier si des tentatives ont déjà été faites pour résoudre le problème, et avec quels résultats. Si des actions ont déjà été entreprises, comme par exemple des formations, des modifications aux équipements et aux outils, et que le problème persiste, le praticien s’interrogera sur le fait que des causes plus fondamentales, reliées à l’organisation du travail qui définit notamment les cadences, les normes de production à respecter, n’aient pas été touchées. La question pour l’intervenant devient alors de savoir comment agir sur l’organisation de la production et du travail, et de penser son intervention en ce sens, particulièrement en termes d’acteurs à recruter pour l’intervention. Il se peut que certains acteurs-clés ne reconnaissent tout simplement pas le problème de TMS ou son lien avec le travail. Il peut arriver aussi que le problème de TMS se traduise par des conséquences insoupçonnées sur la production. Le fait de réunir alors acteurs de la production et acteurs de la prévention peut constituer un pas important pour faire face au problème à l’origine de la demande d’intervention. La stratégie retenue suppose une action sur les dispositions des uns et des autres de manière à faire converger certains enjeux. Établir un dispositif d’intervention : questions, principes, difficultés 88 ISBN : 978-2-913488-68-4 Dès le moment où les praticiens s’engagent dans une intervention – rappelons que celle-ci fait suite soit à une demande, à une offre ou à une obligation (Baril-Gingras et al., 2004) – il cherche à mettre en place les conditions qui seront favorables à la production de changements. Un des éléments importants de cette négociation consiste à déterminer à quels acteurs l’intervenant aura accès et comment seront organisées les relations entre eux, ce qu’il est convenu d’appeler la « construction sociale » des interventions (Daniellou, 1995). Pour reprendre les termes du modèle, définir le dispositif de l’intervention, c’est prévoir l’organisation des relations entre l’intervenant et les acteurs de l’établissement et déterminer quelles personnes auront un rôle à jouer dans la définition et l’analyse du problème à résoudre, puis dans la recherche de solutions et l’implantation des mesures retenues. Il s’agit donc pour l’intervenant de recruter des acteurs-clés et d’organiser les relations entre eux. La question se pose alors de savoir quels acteurs recruter. En ergonomie centrée sur l’activité, la participation des travailleurs va de soi. En effet, par leur connaissance des situations de travail, les travailleurs directement touchés par les TMS contribuent à la pertinence des propositions de changement et à la cohérence de celles-ci vis-à-vis du contexte. Cette participation peut être directe, individuelle ou collective, et peut aussi être représentative, par exemple via un représentant syndical ou un représentant des travailleurs au comité de SST. Est-il pertinent et possible d’organiser la participation de tous ou de plusieurs travailleurs concernés, plutôt qu’un seul représentant ? La participation collective des travailleurs crée des occasions d’échange entre eux qui sont utiles, non seulement pour la résolution de la dimension « technique » du problème mais aussi pour renforcer la volonté d’agir en prévention. La participation collective des travailleurs peut également être l’occasion d’échanges avec le superviseur qui n’ont pas lieu autrement. L’intervenant doit négocier cette participation, 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) ce qui l’amène à prévoir : Quels sont les moments de l’intervention où la présence de ces représentants des travailleurs sera nécessaire ? De quelle durée ? et à demander que du temps de travail payé soit accordé par l’employeur aux travailleurs pour participer à l’intervention. Bien que le principe de la participation des travailleurs fasse partie intégrante des orientations des organismes de prévention créés en vertu de la Loi québécoise sur la santé et la sécurité du travail, il y a parfois des résistances ou des obstacles à son application : certains employeurs n’accordent pas une période de temps suffisante pour les rencontres avec les travailleurs ; dans les établissements non syndiqués, il peut être plus difficile d’avoir accès aux travailleurs concernés ; dans certains établissements, le type de production ou d’organisation du travail est évoqué par les employeurs comme rendant difficile la libération de travailleurs pour les rencontres d’intervention ; enfin, bien que l’accès aux travailleurs soit accepté, il arrive qu’ils ne soient pas libérés au moment prévu. Face à ces difficultés, les praticiens ont recours à plusieurs « trucs de métiers » : avant de se rendre dans l’établissement pour réaliser les activités prévues, vérifier que les travailleurs seront bien libérés tel que convenu ; faire valoir qu’en organisant la participation de travailleurs et de représentants de l’employeur aux activités qui mènent à un diagnostic puis à identifier des solutions, il y a de meilleures chances que ces conclusions soient partagées, puisque leurs fondements seront connus, etc. Perspectives pour la pratique et pour la recherche L’intérêt de formaliser ces stratégies n’est pas de standardiser les pratiques d’intervention mais plutôt d’alimenter la pratique réflexive. Ces « principes » représentent des règles explicites ou implicites qui sont apparues comme guidant l’action des intervenants participant au groupe de travail. Ils ne sont donc pas des absolus, mais des fils conducteurs, qui sont parfois adaptés (et éventuellement modifiés, mis de côté) en fonction du contexte. Il reste des variations importantes entre les individus, selon leur expérience et leurs orientations personnelles et selon leur appartenance à un organisme ou à un autre. D’ailleurs, le référentiel est présenté en distinguant ce qui est « à l’échelle de l’intervenant » et ce qui est plutôt « à l’échelle de l’organisme de prévention ». Dans ce dernier cas, les principes exposés relèvent en effet d’orientations, de décisions, de moyens pris ou à prendre par l’organisme de prévention qui emploie l’intervenant, plutôt que de la seule initiative individuelle. Enfin, il demeure, malgré ces questions, ces principes et ces trucs de métier, des situations problématiques et d’autres où se posent des dilemmes éthiques. Certains de ceux-ci sont également présentés dans le référentiel. La richesse de ce référentiel, avec ses principes, ses questions, ses trucs de métiers, tient dans la diversité à la fois des pratiques recensées et des contextes de leur mise en œuvre. Nous n’en avons évoqué ici que de courts exemples. L’outil se présente d’ailleurs dans une forme ouverte où les intervenants sont invités à l’enrichir de leur propre expérience. On peut souhaiter que ce référentiel contribue à la mise en discussion des pratiques. Ainsi, à travers les échanges entre intervenants, où la controverse n’est pas exclue, des développements intéressants peuvent se faire jour avec d’autres principes d’action, de nouveaux trucs de métier. De plus, ces discussions sur la pratique peuvent être des occasions de définir ou revoir les orientations à l’échelle des organismes de prévention. Il faut espérer que le présent référentiel aidera à de tels échanges dans le futur et contribuera à l’évolution des politiques publiques en matière de prévention des TMS. Remerciements 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Les auteures remercient les praticiens ayant participé à l’étude et les membres du comité de suivi de la recherche. Elles expriment également leur gratitude aux personnes qui ont contribué au déroulement de la recherche : Julie Ross, Pierre Poulin et Catherine Le Capitaine. Enfin, elles tiennent à souligner le soutien financier accordé par l’IRSST à la recherche et à la valorisation de ses résultats. 89 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Références Baril-Gingras, G., Bellemare, M., Brisson, C.2011 (sous presse). “How can qualitative studies help understand the role of context and process of interventions on occupational safety and health and on mental health at work ?” in Biron, C., Karanika-Murray, M., & Cooper, C. L., Organizational stress and well-being interventions : Addressing process and context. Londres : Psychology Press. Baril-Gingras, G., Bellemare, M., Poulin, P., Ross, J. 2010a. Conditions et processus de changement lors d’interventions externes en SST - Élaboration d’outils pour les praticiens. Études et recherches / Rapport R-647, Montréal, IRSST, 139 pages. [En ligne] http://www.irsst.qc.ca/-publication-irsst-conditions-et-processus-de-changement-lorsd-interventions-externes-en-sst-elaboration-d-outils- pour-les-praticiens-r-647.html Baril-Gingras, G., Bellemare, M. Poulin, P., Ross, J. 2010b. Études et recherches / Annexe RA6-647 : Recueil d’outils sur les aspects sociaux et organisationnels des interventions externes en SST Partie 6 - Référentiel. Études et recherches / Annexe RA6-647 Montréal : IRSST [En ligne] http://www.irsst.qc.ca/-publicationirsst-recueil-d-outils-sur-les-aspects-sociaux-et-organisationnels-des-interventions-externes-en-sstpartie-6-referentiel-ra6-647.html Baril-Gingras G., Bellemare M. et Brun J.-P. 2004. Intervention externe en santé et en sécurité du travail : un modèle pour comprendre la production de transformations à partir de l’analyse d’interventions d’associations sectorielles paritaires. Études et recherches, Rapport R-367, Montréal : IRSST. 287 p. [En ligne] http://www.irsst. qc.ca/-publication-irsst-intervention-externe-en-sante-et-en-securite-du-travail-un-modele-pourcomprendre-la- production-de-transformations-a-partir-de-l-analyse-d-r-367.html Broberg O. and Hermund I. 2004. The OHS Consultant as a « Political reflective Navigator » in Technological Change Processes. International Journal of Industrial Ergonomics, 33 :315-326 Caroly, S., Courel, F. Landry, A. Mary-Cheray, I. 2010. “Sustainable MSD prevention : management for continuous improvement between prevention and production. Ergonomic intervention in two assembly line companies” Applied Ergonomics, 10 (4), 591-599. CIST, Commission internationale de la santé au travail. 2002. Code international d’éthique pour les professionnels de la santé au travail. [En ligne] http://www.icohweb.org/core_docs/code_ethics_fr.pdf Daniellou, F. 1995. « La construction sociale de et par l’analyse du travail » Performances humaines et techniques. Hors série, 25-29 Theberge N., Wells R., Tizneem Nagdee T. and P. Neumann. 2009. “Doing “Organizational Work” : Expanding the Conception of Professional Practice in Ergonomics. In Penser et agir avec l’ergonomie. Actes du 40e congrès de l’Association canadienne d’ergonomie, Québec 14 au 17 septembre 2009. [cédérom] ISBN 978-0-9732384-8-8. 90 ISBN : 978-2-913488-68-4 Vézina, N., et R. Baril. 2009. « Apprendre à intervenir : difficultés rencontrées par de jeunes ergonomes et stratégies ». In Penser et agir avec l’ergonomie. Actes du 40e congrès de l’Association canadienne d’ergonomie, Québec 14 au 17 septembre 2009. [cédérom] ISBN 978-0-9732384-8-8. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Atelier 4 Les conditions physiques et psychosociales de retour au travail suite aux TMS lexis Descatha A Laboratoire Université de Versailles Saint-Quentinen-Yvelines Institut national de la santé et de la recherche médicale (UVSQ-Inserm) (France) Marie-José Durand Université de Sherbrooke (Canada) L es troubles musculosquelettiques ou TMS sont en constante augmentation depuis les 20 dernières années. La situation est à ce point urgente que le retour au travail est devenu une priorité des politiques de Santé au Travail. Sur le terrain, le médecin du travail tout comme le préventeur sont régulièrement amenés à déterminer et à intervenir pour faciliter le retour à l’emploi du salarié présentant un TMS. Les facteurs pronostiques sont étudiés de longue date, notamment sur les facteurs médicaux. Néanmoins, depuis quelques années, les facteurs liés au travail (biomécaniques, psychosociaux) émergent et leur appropriation par le médecin ou le préventeur autour de modèles complexes de types bio-psychosociaux est toujours un défi. Celui-ci est si important qu’il existe une modification du travail au niveau mondial avec intensification, et une évolution des différentes pratiques. Tout ceci nous a incités à proposer un atelier résumant à travers différents regards (spécialités et pays différents) les facteurs pronostiques qui doivent être connus par le praticien du terrain afin de dépister précocement, voire d’intervenir, sur des facteurs modifiables. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 À partir de points de vue différents, illustrer les facteurs pronostiques physiques et psychosociaux. 91 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Quand la recherche s’impose au présent Marie-José Durand École de réadaptation, Université de Sherbrooke Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT) (Canada) Introduction L ’incapacité au travail en raison d’un trouble musculosquelettique (TMS) est un problème important qui sévit principalement dans les sociétés industrialisées et en voie d’industrialisation. Cette problématique à multiples composantes engendre des souffrances humaines pouvant aller jusqu’à l’exclusion du travail et impose des coûts importants directs et indirects au système de santé, aux compagnies d’assurances, aux employeurs et aux gouvernements. L’incapacité au travail est un problème complexe se produisant lorsqu’un salarié est incapable de maintenir ou de réintégrer son travail. En 2001, suite à l’analyse des évidences scientifiques récentes dans le domaine et de discussions au sein d’une équipe de recherche interdisciplinaire, le paradigme d’incapacité au travail a été proposé (Loisel et al., 2001). Pour aider un salarié à retourner au travail en santé et de façon durable, ce paradigme propose de prendre en considération un ensemble de facteurs non seulement propres à l’individu absent du travail en raison d’un TMS, mais également en lien avec son environnement qui est composé de trois principaux systèmes, à savoir le système de soins de santé, l’environnement de travail et le système de compensation financière (Loisel et al., 2001). Ainsi, cette transformation majeure de la compréhension des causes de l’incapacité au travail a permis de passer d’un modèle conceptuel dit « biomédical », mettant l’accent sur la compréhension et le traitement de la lésion physique, à un modèle de type biopsychosocial, où il importe surtout de considérer la complexité de l’être humain et de son environnement (Engel, 1977 ; Waddell, 1987). Depuis une dizaine d’années, le Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT), une organisation québécoise à but non lucratif du Centre de recherche de l’Hôpital Charles LeMoyne de Longueuil et affilié à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke, a développé et évalué divers outils et programmes d’intervention pour favoriser le retour au travail des salariés. Son laboratoire de recherche clinique a reçu des salariés absents du travail depuis en moyenne 10 mois en raison d’un TMS. Entre 1997 et 2010, une équipe clinique interdisciplinaire a offert le programme PRÉVICAP. L’objectif de ce programme est le retour au travail au poste occupé lors de l’accident ou de la déclaration d’inaptitude. Outre la douleur qui est un symptôme commun chez les salariés ayant un TMS, les études au CAPRIT ont clairement démontré que les participants au programme PREVICAP avaient des troubles anxieux et un haut niveau de détresse. De fait, 50% présentaient un trouble d’anxiété généralisé à l’admission au programme PREVICAP (Coutu et al., soumis) alors que 64% avaient de la détresse élevée à extrême (Coutu, Durand, Loisel, Goulet, & Gauthier, 2007). En fait, seulement 16,6% des salariés admis au programme avaient un score plus faible sur l’échelle de détresse que le score moyen de la population générale québécoise (Coutu et al., 2007). Les principes du programme PRÉVICAP soulignent l’importance d’une intervention de réactivation rapide centrée sur le développement des capacités de l’individu en tenant compte des exigences de son environnement de travail, tout en mettant l’emphase sur la coordination efficace assurant une collaboration entre les différents partenaires (salarié, médecin traitant, employeur, syndicat, assureur, famille) et faisant usage dès que possible du milieu de travail réel pour réaliser la réadaptation. 92 ISBN : 978-2-913488-68-4 Dans le cadre d’une approche individualisée en réadaptation au travail, les cliniciens se doivent de reconnaître les facteurs psychosociaux et liés au travail et agir efficacement sur ces éléments ou encore orienter le patient vers des ressources spécialisées à la suite de leur évaluation. Afin d’aider les cliniciens à identifier ces facteurs, une approche d’évaluation systématique de dépistage des cas à risque d’absence prolongée du travail en identifiant les obstacles et les facilitateurs au retour au travail a été développée à 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) la fin des années 90, l’outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT) (Durand, Loisel, Hong, & Charpentier, 2002). Cet outil, utilisé au début du programme PRÉVICAP, a été développé afin de standardiser la pratique de détection des facteurs de risque de maintien de l’incapacité au travail. Le développement de cet outil respecte le paradigme d’incapacité au travail décrit plus tôt et recense des facteurs biopsychosociaux non seulement propres au salarié, mais également à son environnement de travail, son système de compensation et son système de santé. Dans ce qui suit, des informations sur le développement de cet outil, sa description et son implantation seront présentées. Développement de l’outil L’OISHT a été développé en 1997 par un comité d’experts constitué de médecins généralistes, d’un orthopédiste, d’un ergonome, d’un ergothérapeute et d’un biostatisticien. L’OISHT a été élaboré en se basant sur l’analyse des données récentes de la littérature et sur l’expertise des membres du comité. Son développement a suivi quatre étapes : 1) choix d’un cadre conceptuel approprié, 2) revue critique de la littérature et consultation de spécialistes, 3) élaboration d’une version préliminaire de l’outil et 4) pré-test dans un contexte réel avec des cliniciens et des salariés et révision et retests subséquents (Durand et al., 2002). Le cadre conceptuel retenu pour le développement de cet outil est le Processus de production de handicap (PPH) (Fougeyrollas, 1991). Ce modèle, développé par le Comité québécois sur la Classification internationale des déficiences, incapacités et handicaps (CQCIDIH), considère le handicap comme le résultat situationnel d’un processus interactif entre les caractéristiques de la personne et celles de l’environnement. Le cadre conceptuel du PPH définit la situation de handicap en utilisant la définition du CQCIDIH selon laquelle la réalisation ou non d’une habitude de vie, c’est-à-dire une activité courante ou un rôle social qui assure la survie et l’épanouissement d’une personne dans la société tout au long de son existence, résulte de l’interaction entre l’atteinte de systèmes organiques et des aptitudes (capacités et incapacités) de la personne, d’une part, et des facteurs environnementaux, d’autre part (Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Côté, & St-Michel, 1998). Ainsi, dans le cadre de la réadaptation, la situation de handicap au travail se définit comme le résultat d’une interaction défavorable entre les facteurs personnels et les obstacles environnementaux, incluant le milieu de travail, le système administratif de compensation et le système de soins de santé. Cette situation empêche la réalisation d’une habitude de vie, importante chez l’adulte, soit le travail. À partir de la littérature scientifique et de l’expertise clinique, des indicateurs de gravité (signal rouge) et des indicateurs de situation de handicap au travail (ISHT) ont été identifiés. Les signaux rouges sont des indices qui laissent suspecter une pathologie grave requérant des soins médicaux spécifiques. Les ISHT sont des indicateurs sur les causes de la prolongation d’une situation de handicap au travail et peuvent être d’origine physique, psychosociale, ergonomique ou administrative. Ces indicateurs ont été intégrés dans une structure d’entrevue semi-dirigée par le médecin et le clinicien dont le contenu porte sur les caractéristiques sociodémographiques, l’histoire au travail, le syndrome douloureux, l’état de santé général, les antécédents médicaux, l’histoire familiale et sociale, l’environnement de travail et la perception du salarié de son incapacité (Durand et al., 2002). En plus des entrevues, des questionnaires autoadministrés présentant de bonnes qualités métrologiques ont été identifiés dans la littérature et sont administrés aux salariés. Description de l’outil 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’OISHT est un guide développé spécifiquement pour aider les cliniciens à identifier de façon systématique les facteurs de situation de handicap au travail et ainsi permettre de formuler un diagnostic de la situation de handicap au travail de la personne évaluée. Son but principal est d’éliminer un diagnostic de gravité et de formuler un diagnostic sur la ou les causes de la prolongation d’une incapacité au travail régulier ou sur un état rendant difficile la réalisation du travail. Ceci permet par la suite d’établir un plan personnalisé adressant dans un ordre prioritaire les cibles d’intervention. Outre une meilleure compréhension de la situation de la personne, d’autres objectifs sont visés tels que l’amorce d’une relation d’aide avec le salarié, l’explication au salarié de l’approche adoptée par les intervenants du programme PRÉVICAP ainsi que 93 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) l’initiation d’une intervention éducative concernant les différentes facettes de son problème de santé afin de le rassurer. L’OISHT comporte des questions ouvertes sur les facteurs physiques, psychosociaux, occupationnels et administratifs afin d’aider les cliniciens à détecter les ISHT et les signaux rouges. Les ISHT ont été classés en trois catégories : personnel, administratif et ergonomique. L’OISHT est divisé en 10 sections : 1) histoire de la maladie actuelle, 2) syndrome douloureux, 3) conditions de santé antérieure et actuelle, 4) examen physique, 5) habitudes de vie, 6) histoire socio-familiale, 7) situation financière, 8) environnement de travail, 9) perception et attentes du salarié et 10) analyse des résultats et recommandations. L’OISHT est administré le plus tôt possible par un intervenant formé à cet effet. Suite à l’entretien semistructuré et à la passation des questionnaires pour confirmer le diagnostic et/ou préciser certains ISHT, une pondération est effectuée. La pondération est un processus de raisonnement clinique sur la probabilité qu’un ISHT représente un facteur de risque ou un obstacle à la reprise du travail de l’individu. Aussi, il importe de distinguer les facteurs non modifiables (ex. : âge ou sexe) des facteurs de risque ou obstacles modifiables (ex. : craintes, déconditionnement physique ou encore perception que le travail est trop exigeant). Les facteurs et obstacles modifiables deviennent donc des cibles d’action ou des éléments à surveiller de près. Par conséquent, les ISHT sont ordonnés et seuls les plus déterminants et modifiables sont conservés et rapportés à la section 10 sur l’analyse et les recommandations. Également, dans cette section, sont rapportés les atouts, c’est-à-dire les facteurs favorables à un éventuel retour au travail. Cette analyse permettra d’élaborer un plan d’intervention personnalisée pour le salarié. Dans certains cas, une évaluation approfondie pourrait être requise. Il s’agit d’un complément d’évaluation personnalisée, et recommandée au besoin afin d’explorer une ou plusieurs sphères spécifiques (ex. : évaluation ergonomique ou psychologique). Implantation de l’outil 94 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’implantation de l’OISHT a été réalisée entre 2001 et 2003 dans le cadre du Réseau de réadaptation au travail du Québec (RRTQ), consortium composé de onze établissements publics de santé au Québec. Le RRTQ avait pour mission de prévenir l’absence prolongée du travail par le développement et la mise en œuvre de programmes de prévention et de réadaptation basés sur les évidences et s’adressant aux personnes et aux entreprises ainsi que de promouvoir le développement des nouvelles connaissances et des pratiques en réadaptation au travail par la recherche et la formation (Loisel & Labelle, 2003). Quatre équipes interdisciplinaires provenant de différentes régions au Québec ont été formées au programme PRÉVICAP. Ce travail a permis d’outiller les cliniciens à évaluer de façon systématique les différents facteurs biopsychosociaux impliqués dans le maintien de l’incapacité au travail. De plus, le suivi d’une cohorte de 222 salariés absents du travail en raison de TMS et ayant été pris en charge au programme PRÉVICAP par une des équipes formées, a permis de réaliser que ce type d’évaluation permettait aux cliniciens de mieux prioriser les obstacles au travail et d’ainsi favoriser le retour au travail en santé (Marois & Durand, 2009). Cette étude souligne les relations entre la détection des facteurs de risque, l’approche individualisée et le retour au travail. En effet, une des hypothèses des auteures était que le repérage précoce des obstacles à l’entrée d’un programme de réadaptation permettait aux cliniciens d’intervenir plus intensivement et donc de réduire au minimum la durée de l’incapacité. Par conséquent, pour un salarié, un programme pourrait être axé vers la réduction des craintes de se blesser à nouveau alors que, pour un autre, le programme pourrait se concentrer sur la réduction des contraintes du milieu de travail, soit en améliorant le soutien social provenant des collègues ou en réduisant les exigences de travail lorsqu’elles sont trop élevées. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Conclusion En fonction des évidences actuelles, il semble clair que l’évaluation des salariés en absence prolongée doit aller bien au-delà des facteurs dits cliniques. Dans les phases subaiguë et chronique, une attention particulière devrait être portée aux facteurs psychosociaux et à ceux qui sont liés au travail. De plus, il faut non seulement dépister les facteurs de risque et les obstacles au retour au travail, mais également les pondérer afin de formuler des actions à poser ou encore de diriger le patient vers des ressources compétentes qui pourront agir. L’adoption plus étendue de l’OISHT pourrait également contribuer à réduire les écarts de discours et à coordonner les actions avec plus d’efficacité. Enfin, l’utilisation de cet outil permet de s’arrimer au paradigme d’incapacité en adoptant une approche à la fois plus globale (reconnaissant l’importance des interactions entre le salarié et son environnement), plus complexe (parce qu’elle nécessite des compétences nouvelles et une collaboration interprofessionnelle) et mieux adaptée à la réalité actuelle (puisque l’incapacité au travail est à la fois un phénomène physique, psychologique, économique et social). Bibliographie Coutu, M. F., Durand, M. J., Loisel, P., Goulet, C., & Gauthier, N. (2007). Level of distress among workers undergoing work rehabilitation for musculoskeletal disorders. Journal of Occupational Rehabilitation, 17(2), 289303. Coutu, M. F., Durand, M. J., Marchand, A., Labrecque, M. E., Berbiche, D., & Cadieux, G. (soumis). Documenter la présence et la variation dans le temps des facteurs de maintien du trouble de l’anxiété généralisée auprès de travailleurs en réadaptation au travail pour une douleur persistante d’origine musculo-squelettique. Montréal, QC : Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité au travail. Durand, M. J., Loisel, P., Hong, Q. N., & Charpentier, N. (2002). Helping clinicians in Work Disability Prevention : The Work Disability Diagnosis Interview. Journal of Occupational Rehabilitation, 12(3), 191-204. Engel, G. L. (1977). The need for a new medical model : a challenge for biomedicine. Science, 196(4286), 129136. Fougeyrollas, P. (1991). The handicap creation process. ICIDH International Network, 4, 1-2. 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Does participation in interdisciplinary work rehabilitation programme influence return to work obstacles and predictive factors ? Disability and Rehabilitation, 31(12), 994-1007. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Waddell, G. (1987). 1987 Volvo award in clinical sciences. A new clinical model for the treatment of low-back pain. Spine, 12(7), 632-644. 95 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Approche bio-psycho-sociologique des troubles musculosquelettiques (TMS) en médecine physique et réadaptation : influence des facteurs professionnels sur le processus de réadaptation Bernard Fouquet Fédération universitaire inter-hospitalière de médecine physique et de réadaptation Hôpital de Château-Renault, CHU Tours (France) Introduction C lassiquement classés en deux catégories, TMS spécifiques et TMS non spécifiques, les TMS posent différents problèmes par leurs localisations anatomiques multiples, par leurs mécanismes non univoques, par le terrain sur lequel ils surviennent [2,25,30]. Surtout les TMS sont caractérisées par deux dimensions : la douleur et l’incapacité ressentie. La douleur est une expérience multidimensionnelle influencée par des interactions complexes entre des facteurs physiques, psychologiques, sociaux et culturels [23,26,]. S’il existe une évidence forte entre des expositions biomécaniques, répétées et prolongées, et la survenue de tableaux spécifiques tendineux ou tunnelaires, il n’en est pas moins démontré que des facteurs psychosociaux peuvent intervenir à différents stades de l’évolution des TMS. Ces facteurs agissent à la fois comme cofacteurs dans leur causalité, comme cofacteurs dans l’expression symptomatique et comme cofacteurs dans la modification symptomatique au cours du temps [3,6,14,29,32]. Les TMS spécifiques répondent bien à l’approche bio-médicale classique dans l’immense majorité des cas. Ces situations correspondent à la coexistence d’une affection facile à diagnostiquer et d’une gestion de la douleur gérée correctement par la majorité des salariés qui sont dans des stratégies d’ajustement adaptées. À l’inverse, les TMS non spécifiques, le plus souvent musculaires, semblent avoir une évolution spontanée beaucoup moins favorable avec le temps. Leur histoire naturelle semble être beaucoup plus marquée par la chronicité douloureuse, l’aggravation clinique et fonctionnelle [12,28]. Apparaissent alors comme facteurs de mauvais pronostic : la déficience en capacité aérobique, le niveau socio-culturel faible, la perception d’incapacité élevée, l’âge avancé et le fait d’être une femme. L’influence de facteurs de stress liés au travail est évoquée en outre par de multiples travaux. En conséquence, à partir du moment où l’on considère que les dysfonctionnements musculaires, donc les TMS non spécifiques, peuvent être à l’origine de TMS spécifiques, notamment de syndromes tunnellaires, la première cause d’échec du traitement « biomédical » d’un TMS spécifique peut être liée à la coexistence d’un TMS spécifique avec un TMS non spécifique (par exemple, syndrome de la traversée thoraco-brachiale et canal carpien). Le deuxième facteur d’échec de la prise en charge « biomédicale » est lié à la présence d’un processus d’hypersensibilisation centrale. Ce phénomène, classiquement décrit dans les atteintes neuropathiques périphériques (donc observable dans les neuropathies canalaires) a été aussi rapporté dans les processus nociceptifs périphériques (musculaires, tendineux, articulaires). Ce processus d’hypersensibilisation centrale induit des réactions musculaires inadaptées et un processus d’hyperpathie voire d’allodynie locorégionaux. Le processus d’hypersensibilisation admet pour origine aussi bien des facteurs physiques que des facteurs psychoaffectifs et émotionnels ; l’ensemble correspondant à des mécanismes médullaires et corticaux cérébraux dysfonctionnels. 96 ISBN : 978-2-913488-68-4 Ainsi, chez les salariés souffrant de TMS incapacitants, en situation d’échec thérapeutique soit médical ou chirurgical, le modèle bio-médical classique ne permet pas de comprendre parfaitement les interactions sous-jacentes conduisant à de multiples consultations médicales, parfois d’avis chirurgicaux multiples et d’échecs thérapeutiques répétitifs. Plus le temps s’écoule en inactivité, plus les éléments cognitifs et 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) comportementaux maladaptatifs face à la douleur et à l’incapacité augmentent, réalisant un véritable cercle vicieux dont le salarié n’arrive plus à s’extraire. À ce stade, la réinsertion sans préparation est vouée à l’échec. L’échec de la prise en charge de ces salariés est pour grande partie lié à la méconnaissance ou à la sousestimation des facteurs impliqués dans la gestion de la douleur, dans la sous-estimation des facteurs contextuels associés aux processus douloureux chroniques. En effet, le modèle bio-médical fait la part belle à la dimension sensori-discriminative du processus douloureux, focalisée sur la lésion et à une sous-estimation des dimensions affectives, émotionnelles, cognitives, motivationnelles et comportementales associées au processus douloureux. Contrairement à une idée largement répandue, le modèle bio-psycho-sociologique ne nie pas la dimension physique, mais il admet pour principe que le mécanisme d’adaptation d’un individu face à des conditions nouvelles est à la fois physique et psychologique, en particulier lorsque ces conditions nouvelles sont environnementales [8]. Dans la situation d’un individu ayant un TMS incapacitant, le contexte objectif de la douleur est la partie émergée d’un « iceberg » où des interactions complexes subjectives et environnementales interviennent. La motivation influe sur la gestion de l’incapacité et de la douleur, des éléments indissociables dans le processus thérapeutiques. La motivation au processus thérapeutique fait partie d’un réseau complexe dans le processus de la douleur sous tendue par la neurophysiologie de la douleur [22]. La stratégie d’ajustement à la douleur dépend des espérances de l’individu dans la nouvelle situation induite par la douleur et surtout de l’espoir concernant l’évolution, et de la récupération. Cette stratégie d’ajustement dépend des ressources cognitives et émotionnelles de l’individu, donc d’une évolution globalement positive à la situation. Par extension, la stratégie d’ajustement d’un individu face à la douleur est une fonction cognitive qui peut aussi être en lien avec les capacités cognitives d’adaptation de l’individu dans son environnement de travail. On sait, par ailleurs, que l’environnement de travail est caractérisé par des fluctuations dans la demande, dans les tâches, dans l’organisation, dans les rapports humains avec les collègues de travail et la hiérarchie. L’environnement personnel du salarié est lui aussi un espace dynamique en particulier dans la dimension affective (évènements stressants personnels et familiaux). Les situations d’échec individuel d’ajustement qui conduisent à une incapacité et à une douleur chroniques peuvent donc être associées à des échecs situationnels multiples qui retentissent sur le comportement et la dimension affective du salarié. Cette complexité affective, cognitive, comportementale a un impact sur la dimension physique mais aussi sociale de l’individu. L’analyse de la littérature montre la multiplicité des facteurs impliqués dans le retour au travail, qu’il s’agisse des facteurs individuels et de facteurs environnementaux [21]. Face à cette complexité admise scientifiquement, justifiant une approche interdisciplinaire, le modèle médical classique avec soit une approche linéaire (traiter puis réinsérer), soit une approche séquencée (médecin généraliste, puis spécialistes, puis médecin de la douleur, puis réadaptation, puis réinsertion) n’apporte qu’une vision morcelée en mosaïque de l’état de santé. La résistance aux changements du comportement des acteurs de santé face à ce qu’implique la douleur rebelle et incapacitante peut être liée à la fois à une méconnaissance des processus douloureux chroniques et incapacitants, à une résistance émotionnelle face aux dimensions subjectives de la douleur, impliquant fortement les thérapeutes. Modèle d’évaluation des TMS en médecine physique et de réadaptation Approche bio-psycho-sociologique de la douleur chronique au cours des TMS Le stade auquel sont pris les patients dans une phase de réadaptation tertiaire est un stade de chronicité douloureuse et, surtout, un stade d’incapacité sévère. La démarche évaluative est de préciser les mécanismes des incapacités qui pourraient faire l’objet d’une démarche thérapeutique. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 L’examen physique standardisé permet de préciser les déficiences objectives musculaires, les états allodyniques locorégionaux qui traduisent l’hypersensibilité médullaire. Les tests physiques permettent d’apprécier les incapacités aérobiques générales et locorégionales. 97 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) En revanche, l’évaluation fondamentale du salarié à ce stade comprend l’évaluation des modes de fonctionnement de l’individu face au processus douloureux, puis l’intégration de ce dispositif dans les caractéristiques de l’état de santé de l’individu. L’objectif est d’avoir une vision la plus globale possible d’une situation « en mosaïque ». La gestion cognitive de la douleur est l’élément-clé de la compréhension du processus douloureux chronique [26]. Le modèle que nous utilisons est celui de l’évitement lié à la peur de la douleur musculosquelettique. Le stade auquel nous recevons les salariés est issu majoritairement d’une stratégie cognitivo-comportementale inadaptée et caractérisée par le catastrophisme, favorisée par la présence de troubles de l’humeur préexistant à l’atteinte douloureuse ou induits par celle-ci (diathèse psychoémotionnelle). Le catastrophisme est inducteur ou associé à la peur du mouvement (kinésiophobie) à la croyance en l’évitement anxieux vis-à-vis de l’activité physique en général et de l’activité professionnelle en particulier (fig.1). Ceci est démontrable aussi bien au cours des TMS du membre supérieur que chez les patients lombalgiques [9]. Nous avons montré qu’il existait une faible corrélation entre la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension physique et dans la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension professionnelle. Figure 1 98 ISBN : 978-2-913488-68-4 Corrélation entre les paramètres biologiques, psychologiques et socio-professionnels dans une population de 312 salariés ayant un TMS chronique 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Il existe donc une différence fondamentale entre la peur de réaliser une activité physique et la mise en situation professionnelle. Tout le danger vient d’une mauvaise compréhension de ce paradoxe. L’évitement « anxieux » dans la dimension travail est une dimension qui fait appel à d’autres facteurs comme la satisfaction au travail et la perception du stress au travail (fig.1). Par ailleurs, il a été montré que les croyances en l évitement anxieux dans la dimension « travail » étaient significativement associées à l’état d’incapacité et d’autant plus que le niveau social était faible [27]. Ce système de croyance conduit à réduire les activités physiques, à modifier les équilibres biologiques (perception et gestion du stress, équilibre alimentaire, équilibre du sommeil…). Nous avons montré dans un travail récent que les stratégies d’ajustement inadaptées étaient associées d’une part à des variations importantes des performances objectives des membres supérieurs et étaient associées au statut affectif et émotionnel des salariés [10]. Ainsi, la situation d’incapacité chronique socio-professionnelle d’un salarié souffrant de TMS est associée à des modifications comportementales nettes en lien avec le travail, sous tendues indirectement et partiellement à des perturbations cognitives associées à la douleur, à une modification significative des niveaux de performance physique. La situation d’incapacité chronique est faiblement corrélée avec l’intensité de la douleur. De plus, par ailleurs, nous avons montré qu’il existait une corrélation nette entre la durée d’arrêt de travail et l’existence d’une obésité morbide cependant que la croyance en l’évitement anxieux augmente avec la durée d’arrêt de travail de même que la perception d’incapacité ressentie par le salarié (fig. 2). Figure 2 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 ISBN : 978-2-913488-68-4 Valeurs moyennes de la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail (FABQ « W »), du score de DASH « travail » en fonction de la durée d’arrêt de travail Modèle de la Classification Internationale Fonctionnelle des états de santé (C.I.F.). 99 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Dans le modèle de la C.I.F., l’évaluation consiste à analyser 3 dimensions de santé qui sont non corrélées mais qui évoluent en parallèle : les structures et fonctions du corps, les capacités, la participation sociale et professionnelle. Sur ces 3 dimensions de santé interviennent des facteurs contextuels qu’ils soient personnels (âge, personnalité, psycho-pathologie antérieure, co-morbidités…) et des facteurs contextuels environnementaux, familiaux, contextes assurantiels, contextes de travail. Ces facteurs contextuels peuvent influer sur les 3 dimensions de santé soit comme des facilitateurs, soit comme des obstacles à la récupération, dans chacune des dimensions de l’état de santé « fonctionnelle » du salarié. Dans notre service, le modèle de la CIF a conduit à proposer une démarche évaluative des états de santé à partir de différents outils qui explorent chacune des dimensions et facteurs contextuels (fig. 3). Figure 3 Évaluation des états de santé des TMS en Médecine Physique et de Réadaptation État de Santé Les scores évaluant la capacité physique sont tous corrélés entre eux (Tableau 1). Ils sont significativement liés à la perception d’incapacité subjective et plus faiblement avec l’intensité de la douleur. En revanche, ils ne sont pas significativement associés ni avec la durée d’arrêt de travail, ni avec la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail. ISBN : 978-2-913488-68-4 100 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Tableau 1 Corrélations entre les valeurs des tests physiques et les scores du DASH, de l’intensité de la douleur (EVA) et le catastrophisme chez 302 TMS chroniques et incapacitants Scores des tests physiques Endurance des membres supérieurs DASH (AQV) EVA (douleur) Catastrophisme Endurance de membres supérieurs 1 -0.32 -0.21 NS PILE (% du poids du corps) 0.62 -0.37 -0.26 NS PILE (masse mobilisée) 0.52 -0.33 -0.24 NS EEF (%FMT) 0.17 NS -0.14 NS EEF (puissance) 0.46 NS -0.18 NS Évaluation pré-réadaptative en pratique L’évaluation pré-réadaptative du salarié douloureux chronique et en situation d’incapacité impose une démarche hiérarchisée des facteurs lésionnels ou dysfonctionnels structurels sous jacents, des atteintes fonctionnelles des membres supérieurs en particulier des capacités gestuelles et évaluer le projet participatif. Ceci nous a amenés à développer une démarche évaluative mettant en perspective la prise en charge multi-disciplinaire qu’imposent le phénomène douloureux, l’incapacité chronique et le projet participatif du patient. Le projet participatif du salarié représente la dimension cognitive motivationnelle de toute la démarche de soins. Parmi les facteurs d’environnement agissant potentiellement comme des « barrières » intervient le système de santé. Comme cela a été montré dans la lombalgie chronique, l’influence du discours médical face au salarié en situation d’échec peut conduire à modifier négativement le projet participatif du salarié en mettant en avant les incapacités qu’il a. Le salarié est alors à la recherche d’une correction des incapacités et déficiences dans le domaine du soin alors que le projet participatif repose sur la reconnaissance des incapacités (changement de travail, changement d’entreprise…). Prise en charge multi-disciplinaire Le consensus scientifique actuel met en avant le principe de la prise en charge multi-disciplinaire [13,24]. Les principes sont d’obtenir : une meilleure gestion des phénomènes douloureux, une réduction des incapacités objectives, une réduction de la perception d’incapacité subjective, une restauration des activités physiques afin de faciliter le retour à l’emploi avec un salarié ayant repris confiance en lui. Toutefois, le retour au travail est une donnée complexe : elle est liée à la perception de l’aptitude physique et psychologique du salarié à pouvoir reprendre son travail dans son environnement (soutien du collectif et de la hiérarchie), à la perception qu’a le salarié sur le fait que le retour au travail aggravera sa douleur [1]. L’approche multidisciplinaire comprend : la mise en œuvre d’une thérapie de désensibilisation à la douleur, une prise en charge rééducative masso-kinésithérapique et ergothérapique, une réadaptation à l’effort, une correction des modifications nutritionnelles voire des troubles du comportement alimentaire, un rééquilibre des rythmes biologiques en particulier du sommeil. Le problème de l’évaluation des programmes de reconditionnement dans les TMS comme dans les lombalgies est que plus le temps d’évaluation augmente plus le pourcentage de retour au travail augmente, 101 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) mais sous l’influence de la correction des obstacles socioprofessionnels, donnant des résultats de l’ordre de 52 à 65%. Le retour au travail dépend alors plutôt des organisations sociales que des corrections des peurs et croyances, des corrections physiques et psychologiques obtenues par la réadaptation. Depuis nos premiers résultats [11], nous avons poursuivi le même type de prise en charge. Sur une série de 540 patients hospitalisés dans le service pour réadaptation, nous avons trouvé que tous les paramètres s’amélioraient selon ce modèle de prise en charge, qu’il s’agisse du niveau de performance en endurance des membres supérieurs, en capacité aérobique, associé à une diminution des scores de catastrophisme, des scores de la douleur, de la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension physique. Globalement, le nombre de patients satisfaits par la prise en charge est de 66%. Il est certes inférieur aux données de la littérature pour ce qui concerne les prises en charge au stade aigu, comme, par exemple, les défilés thoraco-brachiaux purs qui sont des TMS non spécifiques[16], où chez 119 patients dont 48% étaient en arrêt maladie, un taux de satisfaction de 88% et un retour au travail de 73%, en particulier si les patients avaient un travail sédentaire, avait été observé, ces résultats étant très proches de ceux observés par Landry [15]. En revanche, nos résultats sont superposables à ceux d’autres équipes, montrant que le retour direct à l’emploi est de 50% après un programme de restauration fonctionnelle du membre supérieur. Pour Mayer, les résultats sont moins bons que dans la prise en charge des lombalgies chroniques, et cela d’autant plus que les patients ont un trouble neurogène [19] : chez 59 patients souffrant de TMS neurogènes, il a été observé 65% de retour dans l’entreprise, 49% de retour au même poste, 16% sur un poste adapté. Ces troubles neurogènes au cours de TMS étaient de mauvais pronostic avec la persistance de douleurs et d’une incapacité dans 33% des cas à un an. L’évolution favorable dans notre série était liée à 3 facteurs : l’intensité de la douleur, la satisfaction au travail, l’âge moyen. Le problème de l’âge est apparu dans notre étude comme déterminant sur l’aptitude à retourner sur le poste de travail précédent alors qu’il n’est pas associé à la satisfaction au travail. C’est la perception de l’inaptitude physique, peut être favorisée par des comorbidités (plus fréquentes dans cette tranche d’âge, pathologies métaboliques, hypertension artérielle, obésité, syndrome métabolique) qui semble jouer un rôle. La participation professionnelle influe directement sur la correction des différents paramètres décrits précédemment. Dans la population étudiée, nous avons trouvé que les scores de croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail étaient prédictifs de l’évolution fonctionnelle et du gain des performances objectives comme dans la lombalgie chronique. Comme dans tous les processus musculo-squelettiques douloureux, l’insatisfaction au travail est un élément déterminant sur le devenir de même que l’intensité de la douleur [7]. La durée d’arrêt de travail avant la prise en charge multidisciplinaire est un élément clef de la réussite. Marhold [18], avait montré que la prise en charge multidisciplinaire était peu efficace chez des patients ayant des TMS associés à une incapacité supérieure à 12 mois contrairement à ceux qui étaient en arrêt de travail entre 6 et 12 mois et par Ekberg [5] pour qui cette durée de l’incapacité préalable à la prise en charge était associée aussi à une perception de la contrainte physique et mentale au travail trop élevée. Compte tenu du fait que la croyance en l’évitement anxieux, dans la dimension travail, est associée à une durée d’arrêt de travail plus longue, on peut s’interroger sur l’origine de cette durée d’arrêt de travail avant la prise en charge multidisciplinaire : est-ce la durée de travail qui impacte directement sur la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail ou est-ce le fait que le patient a une croyance en l’évitement anxieux élevée dans la dimension travail qui fait que le parcours de soins de ce patient, associé à un nomadisme médical, est beaucoup plus erratique, le nomadisme médical intervenant alors comme un partenariat inconscient entre le salarié et les acteurs de santé dans une stratégie d’évitement par rapport à la dimension participative. On sait que les croyances négatives des médecins influent directement sur les croyances des salariés [26]. Dans notre expérience, les patients ayant des arrêts de travail très longs sont souvent des ceux qui ont eu de multiples avis parfois contradictoires quant à leur prise en charge sociale et professionnelle, mais sans que des décisions aient été prises définitivement. Ainsi, il apparaît évident que le facteur pronostic-clé du retour au travail de cette stratégie multidisciplinaire ISBN : 978-2-913488-68-4 102 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) est la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail. Cette croyance en l’évitement anxieux, dans la dimension travail, est associée à la perception de stress au travail, à la satisfaction au travail, au stade de préparation de l’individu au retour au travail. Ceci traduit le fait que nous sommes encore dans une situation où la complexité de l’organisation du système de santé ne permet pas toujours de mettre en cohérence à un stade précoce l’objectif « participatif » du retour à un travail et l’objectif de correction des incapacités. Conclusion Les TMS chroniques et incapacitants imposent une approche évaluative et thérapeutique multidisciplinaire intégrant les dimensions médicales et sociales de ces affections. Les résultats d’une prise en charge pluridisciplinaire dans les syndromes douloureux du membre supérieur, diffus, sont superposables à ceux de la prise en charge des lombalgies chroniques et incapacitantes quant à la satisfaction des salariés. Il nous est apparu que les problèmes de retour au travail sont plus importants que dans la lombalgie et posent le problème des modalités de ce retour au travail. Tout ceci rejoint les développements les plus récents concernant la prise en charge des troubles musculosquelettiques chroniques et incapacitants, à savoir que la réadaptation professionnelle doit être entreprise précocement et que les longues périodes de repos ou d’arrêts de travail sont contre-productifs pour l’individu [4,20,23,31,33]. Ceci rejoint l’idée que le repos prolongé et l’inactivité prolongée retardent la récupération. Ceci impose donc que le retour au travail soit envisagé très précocement dès la phase des soins initiaux, habituels, pour les TMS. Très tôt, le travail en partenariat pour l’aménagement de l’activité doit être envisagé avec les acteurs de santé au travail. À l’heure actuelle, dans notre expérience, la démarche parallèle mise en perspective de la participation du salarié dans le domaine professionnel et de la démarche de soins est peu développée. Dans la majorité des cas, nous sommes encore confrontés à une démarche linéaire visant à faire d’abord la démarche thérapeutique multi-disciplinaire puis, ensuite, à se poser la question du retour au travail. Dans ce domaine, il apparaît que les politiques publiques visant à un retour précoce sont peu efficaces contrairement à celles visant à instaurer un retour précoce sur un poste aménagé [17]. Ne paraissent pas ou peu efficaces, les stratégies visant à modifier les comportements et moyens des acteurs de santé pour favoriser un tel retour, contrairement à celles visant à mieux informer les praticiens. Références 1. A DAMS J, DE WILLIAMS C.A, What affects return to work for graduates of a pain management program with chronic upper limb pain, J Occup Rehabil 2003 ; 13 (2) :91-106 2. BOOCOCK MG, COLLIER JMK, MC NAIR PJ, SIMMONDS M, LARMER PJ, ARMSTRONG B ? 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ISBN : 978-2-913488-68-4 104 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Les indicateurs de situation de handicap au travail : la perspective du clinicien Nicole Charpentier Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail (CAPRIT) Université de Sherbrooke (Canada) E ntre 1997 et 2010, nous avons offert le programme PRÉVICAP à environ 450 travailleurs, dans le cadre de la clinique associée au Centre de recherche de l’Hôpital Charles LeMoyne qui est affilié à l’Université de Sherbrooke (Canada). Le programme offert est une adaptation du Modèle de Sherbrooke qui a été montré efficace sur la vitesse du retour au travail ainsi que coût-efficace pour des travailleurs ayant des lombalgies (Loisel et al., 1997 ; Loisel et al., 2002). Le programme PRÉVICAP est réalisé par une équipe interdisciplinaire et a comme objectif principal la reprise du rôle social de travailleur en intervenant sur les obstacles au retour au travail. Ce programme est basé sur l’utilisation du milieu de travail ordinaire comme modalité thérapeutique avec une approche concertée de l’ensemble des partenaires sociaux et du travailleur absent du travail. Les travailleurs admis au programme se caractérisaient par 1) une durée moyenne d’absence du travail de 10 mois, 2) une majorité d’hommes, 3) des exigences de travail lourdes aux postes prélésionnels, et 4) la présence de douleur et d’incapacités importantes. Les travailleurs étaient référés au programme par leurs représentants de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST, assurance publique couvrant les problèmes de santé reliés au travail) qui jugeaient de la pertinence de référer les travailleurs à une équipe interdisciplinaire de réadaptation au travail. Intégrée dans une structure de recherche, notre équipe a appliquée l’Outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT) (Durand, Loisel, Hong & Charpentier, 2002). Cet outil a été développé afin de standardiser la pratique de détection des facteurs de risque de maintien de l’incapacité au travail. Le développement de cet outil correspond au paradigme d’incapacité au travail décrit par Loisel et al. (2001) et recense des facteurs biopsychosociaux non seulement propres au salarié, mais également à son environnement de travail, au système de compensation et au système de santé. L’outil est administré par des professionnels de réadaptation maîtrisant le concept de l’incapacité au travail et connaissant les facteurs de risque à l’absence prolongée du travail. Ainsi dans notre équipe, divers professionnels de la santé (ergonome, ergothérapeute, médecin omnipraticien) ont réalisé cette évaluation. La plupart du temps en tandem, les intervenants s’appliquent à comprendre les facteurs qui font obstacle au retour au travail et les interactions. Pour être en mesure de réaliser l’OISHT, les professionnels doivent d’une part, avoir une maîtrise approfondie des facteurs de risque d’incapacité prolongée, et d’autre part, une connaissance détaillée du modèle théorique du retour au travail développé par Durand et al. (2003). Ce modèle intègre les différents mécanismes en lien avec l’individu (les capacités physiques, la perception de l’état de santé, la kinésiophobie et le sentiment d’efficacité personnelle au travail), avec l’environnement de travail et également avec l’interface entre l’individu et l’environnement (action concertée). Chaque travailleur est évalué systématiquement à l’aide de l’OISHT avant le début du programme PRÉVICAP. Les divers facteurs de risque sont alors identifiés, hiérarchisés et pondérés afin d’élaborer un plan d’intervention cohérent et ciblé. Pendant le programme, l’évaluation des facteurs de risque et obstacles au retour au travail se réalise de façon continue. Chaque semaine, les résultats de l’évaluation sont partagés dans l’équipe interdisciplinaire et cela permet d’ajuster continuellement le plan de traitement aux facteurs qui entravent la progression des travailleurs. Également, ce suivi hebdomadaire permet de favoriser l’action concertée entre les intervenants. Selon les analyses de dossiers de 220 travailleurs qui ont reçu le programme PRÉVICAP, 87 facteurs (personnel, clinique, occupationnel, administratif) ont été étudiés. Cette analyse a permis de dégager que les facteurs psychosociaux et occupationnels sont ceux qui expliquent le mieux le maintien de l’incapacité par rapport aux facteurs cliniques et administratifs (Marois & Durand, 2009). Toutefois, l’analyse révèle que sur l’ensemble des travailleurs de l’échantillon, le premier facteur clinique qui prédit le mieux est la méconnaissance du travailleur de son pronostic de récupération. Les deux facteurs occupationnels qui se distinguent sont les exigences du travail jugées trop élevées par le travailleur et la présence de postures contraignantes selon ce dernier. De la même façon, les deux facteurs personnels les plus importants sont des 105 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) craintes élevées d’aggravation et le peu de stratégies actives de gestion de la douleur. Cette analyse souligne bien que les facteurs expliquant le mieux le maintien de l’incapacité sont liés à l’incompréhension de la maladie et à son pronostic. Ce constat ne peut que questionner la prise en charge médicale des travailleurs au Québec sachant que la majorité des travailleurs blessés consulteront à l’urgence des hôpitaux et verront un médecin qui ne les reverra pas par la suite. Ce constat invite à une réflexion plus approfondie. Cette analyse permet également de souligner qu’il existe une différence associée aux genres des individus. En effet, chez la femme, la détresse, la crainte d’aggravation, la présence d’événement personnel récent, les équipements jugés inadéquats, l’absence de projection en faveur d’un retour au travail, les tentatives de retour au travail interrompues et la perception d’un échec thérapeutique sont des facteurs qui prédisent l’incapacité prolongée. Chez l’homme, les facteurs liés à la maladie (l’étiquetage diagnostic, la présence d’antécédent, la perception de lésion grave, la durée du programme, la durée de l’arrêt de travail, la perception d’échec thérapeutique) et les facteurs occupationnels (l’ancienneté au poste, l’absence de travaux légers au poste de travail pré-lésionnel) sont les facteurs de risque les plus déterminants d’une absence prolongée du travail. De plus, notre expérience révèle qu’environ 50% des travailleurs admis au programme PRÉVICAP présentaient un trouble d’anxiété généralisée (Coutu et al., soumis) alors que 64% avaient de la détresse élevée à extrême (Coutu, Durand, Loisel, Goulet, & Gauthier, 2007). Ainsi, dès le début du programme, on observe une importante comorbidité (troubles mentaux). Conclusion Notre expérience de plus de 10 ans auprès de travailleurs qui sont absents en moyenne de 10 mois du travail montre clairement que les facteurs psychosociaux sont les obstacles les plus contributifs au développement et au maintien de l’incapacité prolongée. Avec ce constat et afin d’offrir des services de qualité, il apparaît essentiel de favoriser une approche interdisciplinaire pour aborder cette problématique rendue complexe. Dans la même réflexion, il est nécessaire que les intervenants s’approprient les différents facteurs explicatifs et sachent comment intervenir de façon efficace auprès des travailleurs. Bibiographie Coutu, M. F., Durand, M. J., Loisel, P., Goulet, C., & Gauthier, N. (2007). Level of distress among workers undergoing work rehabilitation for musculoskeletal disorders. Journal of Occupational Rehabilitation, 17(2), 289-303. Coutu, M. F., Durand, M. J., Marchand, A., Labrecque, M. E., Berbiche, D., & Cadieux, G. (soumis). Documenter la présence et la variation dans le temps des facteurs de maintien du trouble de l’anxiété généralisée auprès de travailleurs en réadaptation au travail pour une douleur persistante d’origine musculo-squelettique. Montréal, QC : Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité au travail. Durand, M. J., Loisel, P., Hong, Q. N., & Charpentier, N. (2002). Helping clinicians in Work Disability Prevention : The Work Disability Diagnosis Interview. Journal of Occupational Rehabilitation, 12(3), 191-204. Durand, M. J., Vachon, B., Loisel, P., & Berthelette, D. (2003). Constructing the program impact theory for an evidence-based work rehabilitation program for workers with low back pain. Work : a Journal of Prevention, Assessment and Rehabilitation, 21(3), 233-242. Loisel, P., Abenhaim, L., Durand, P., Esdaile, J. M., Suissa, S., Gosselin, L., Simard, R., Turcotte, J., & Lemaire, J. (1997). A population-based, randomized clinical trial on back pain management. 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Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Point de vue du médecin du travail en France Jacques Lapierre, Martine Soulatzky Service de santé au travail Smieve-Metrazif (France) À partir de la pratique quotidienne du médecin du travail, nous essaierons de mettre en lumière les facteurs pronostiques de « bonne reprise » de travail des salariés atteints de TMS qui doivent être connus des praticiens de terrain. Par « bonne reprise », nous entendons une reprise de travail la plus précoce possible et dans des conditions n’entraînant pas de rechute de la pathologie initiale. Nous évoquerons 3 types de facteurs : • facteurs dépendants de la pathologie causale • facteurs liés au salarié • facteurs liés au poste de travail Facteurs dépendant de la pathologie causale • la pathologie elle-même (une rupture de coiffe est d’un moins bon pronostic médico-professionnel qu’un canal carpien) • la qualité et la précocité de la prise en charge médicale • le statut de la pathologie (AT, MP ou maladie ordinaire) • la durée de l’arrêt de travail et le moment de la visite de pré-reprise Facteurs liés au salarié • l’âge du salarié • l’état psychologique du salarié et ses motivations • le niveau de formation et de qualification professionnelle • l’état socio-familial Facteurs liés au poste de travail • le secteur d’activité et le métier • la taille de l’entreprise • le poste de travail • les autres postes de travail • le collectif de travail • la motivation de la direction de l’entreprise Nous illustrerons notre propos de cas cliniques issus de notre pratique quotidienne. 107 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Atelier 5 La fonction du geste dans la reconquête du sens au travail : une question de reconnaissance Pascal Simonet Chaire de psychologie du travail, Conservatoire national des arts et métiers, Paris, (France) Sandrine Caroly Laboratoire Pacte, Université de Grenoble (France) L a prévention des pathologies professionnelles s’organise souvent autour d’un volet sur l’amélioration du « bien-être au travail » (thématique de la reconnaissance) et d’un volet sur le « bien faire son travail » (thématique de la formation aux bons gestes). Le bien-être au travail est associé à la reconnaissance professionnelle entendue comme ce qui est reconnu au salarié comme qualités personnelles par sa hiérarchie. Cette question de la reconnaissance fait d’ailleurs partie des facteurs des situations de stress depuis longtemps établis. La limite essentielle de ce modèle de la reconnaissance par les managers est qu’il exclut du champ de l’analyse, l’activité réelle de travail et l’examen des conditions de développement des gestes professionnels qui permettent de la réaliser. Par conséquent, si ce modèle est – peut-être – un outil de travail efficace du point de vue de l’activité managériale et de la gestion des ressources humaines, en revanche, il ne peut pas être envisagé comme modèle de la reconnaissance du point de vue de l’activité dans une perspective de prévention des pathologies professionnelles. Au nom de cette prévention, les formations aux « bons gestes », qui se multiplient à mesure que les pathologies progressent, éloignent, quant à elles, les professionnels du réel de leur activité. Pourtant la prévention des TMS et des RPS peut passer par une autre dynamique des conditions indispensables à l’amélioration du bien-être au travail et à la réalisation d’un travail bien fait. Pour être autre, cette dynamique doit commencer par être ancrée dans les situations concrètes de travail sans dissocier ces deux faces d’une même médaille au travail : le bien-être au travail a pour corollaire le bien faire son travail dans le cadre d’une activité toujours adressée à d’autres qu’à soi-même. C’est donc par l’examen de la fonction du geste concret de travail que nous souhaitons examiner la manière dont chacun peut : • se reconnaître, avec les autres, dans ce qu’il parvient à faire et à ne pas faire dans son activité ; • reprendre la main sur le sens qu’il peut donner à son activité propre quand il est confronté aux difficultés de sa réalisation. La dynamique de la reconnaissance est donc pour partie liée aux possibilités qu’ont les professionnels de développer, entre eux, des ressources nouvelles et d’élaborer des marges de manœuvre pour être efficaces dans le travail tout en préservant leur santé. L’ingéniosité du geste professionnel peut en être le garant quand ce dernier a les moyens de se réorganiser par un travail collectif qui transforme le collectif de travail en ressource pour son développement. ISBN : 978-2-913488-68-4 108 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Développement du geste et prévention des TMS Gabriel Fernandez Équipe clinique de l’activité, CRTD-CNAM Paris, AP-HP (France) L a prévention durable des TMS est désormais un objectif prioritaire de santé au travail pour la plupart des institutions françaises et européennes s’occupant d’hygiène et de sécurité du travail. Le grand nombre d’études et d’articles consacrés au sujet témoigne de la grande difficulté d’une telle prévention. Il est aujourd’hui reconnu que cela est dû à la multitude des facteurs pathogènes et à l’abondance des interactions entre facteurs qui compliquent l’analyse des situations dangereuses pour les opérateurs. Il ressort de ces études que s’il est important d’adapter aussi bien l’ordonnancement des tâches, les machines et outillages que d’agir sur les paramètres biomécaniques des gestes, il est tout aussi primordial d’agir simultanément sur des paramètres plus globaux. Parmi ceux ci, l’existence d’un collectif de travail semble être une condition indispensable à la pérennité des effets d’une prévention bien construite. L’existence d’un tel collectif a partie liée avec la dynamique de la reconnaissance du travail et par là, participe à la conquête du sens de l’activité. En clinique de l’activité, le concept de collectif est utilisé dans une acception précise. Nous souhaitons dans cette communication spécifier cette acception afin d’expliciter les liens qui unissent un tel collectif à la dynamique de la reconnaissance et à la prévention des TMS. Milieux et groupes Au plan psychologique, l’expérience collective ne se transmet pas comme on le fait d’un objet. On doit, pour y parvenir, la faire durer et perdurer sous la forme d’une évolution ininterrompue dans un milieu bâti pour agir. Autrement dit, nul ne reçoit en partage une expérience prête à l’usage, mais doit pour cela prendre place dans le courant des activités et des gestes propres à ce milieu. Le geste personnel se construit dans et contre ce courant, en ajustant les gestes d’autrui qui participe à la même tâche. C’est parce qu’il existe un groupe dans un milieu spécifique, que chacun de ses membres peut trouver matière à personnaliser ses gestes. Avec Wallon nous pourrions dire que la similitude des obligations et des habitudes désigne le milieu, tandis que la similitude des buts que s’assignent les sujets définit le groupe, à condition d’ajouter qu’entre milieu et groupe les liens sont des rapports de détermination réciproque : même si le milieu pose des obligations, ce sont les sujets qui le fabriquent pour agir ; bien que ce soient les sujets qui assignent des buts à leurs actions, le milieu ne délimite pas moins le champ des actions possibles. Du coup, il est possible de soutenir que les rapports entre les sujets et leur milieu professionnel ne sont pas seulement d’appropriation mais de transformation mutuelle. Plusieurs milieux se recoupant chez le même individu, et même s’y trouvant en conflit, il est conduit à s’opposer au chaos de la succession de ses expériences par une activité d’intégration qui lui confère son identité. Le milieu commence par commander les habitudes avant que de rendre possibles les choix que le sujet pourra s’imposer pour résoudre des discordances, et cela par comparaison de ses propres milieux à d’autres. Les rapports entre les sujets et leur groupe sont d’une autre nature. Chacun est mis par le groupe entre deux exigences opposées. D’une part, affiliation au groupe dans son ensemble, ce qui le pousse à assimiler son cas à celui de tous les autres participants. D’autre part, l’agrégation au groupe n’est possible qu’en s’y différenciant des autres, en acceptant chacun de ses membres comme arbitres des défaillances ou des exploits individuels. Ces deux tendances, subjectivation ou esprit collectif, s’affrontent en chacun des sujets. Elles sont les deux moments complémentaires d’un même processus, aussi bien à l’échelle 109 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) individuelle qu’à l’échelle collective. Pas de groupe sans individu dans l’obligation d’harmoniser ses activités propres avec les buts du groupe ; mais pour l’individu pas de connaissance objective de soi sans groupes de référence (Wallon, 1954/1971). Collectif de travail Cependant, si le travail collectif suppose l’existence de milieux et de groupes, il n’implique pas nécessairement l’existence d’un collectif de travail. Damien Cru (1995) le voit comme la réunion de «plusieurs travailleurs, d’une œuvre commune, d’un langage commun, de règles de métier, d’un respect durable de la règle par chacun, ce qui impose un cheminement individuel qui va de la connaissance des règles à leur intériorisation ». L’internalisation, dont il est ici question, marque l’existence du collectif dans son acception psychologique. Il a pour corollaire l’exercice d’un travail sur le travail collectivement organisé, véritable travail d’organisation du groupe professionnel (Caroly et Clot, 2004) que, pour cette raison, l’on peut désormais qualifier de collectif. Autrement dit, le collectif assure sa fonction psychologique lorsque sont réunis simultanément un milieu professionnel, un groupe d’opérateurs, une histoire commune de réorganisation du travail ouverte aux stylisations génériques. Ces dernières étant indispensables pour maintenir vivante une capacité d’agir ensemble face au réel. A contrario, l’absence de production patiente et collective d’obligations partagées entre professionnels pour se mesurer aux épreuves du réel peut conduire chacun des membres du groupe à transgresser les règles prescrites. Mais, la transgression de la procédure dans l’activité individuelle risque fort pour son auteur, dans l’ombre et l’inquiétude, de faire le lit de la pathologie, et cela d’autant plus que l’organisation officielle du travail trouve à s’en accommoder. Ainsi, dans un milieu de travail où existe un collectif, tout nouvel arrivant, incité à prendre part à l’histoire de transformation du genre professionnel commencée de longue date, est confronté à l’inconfort inévitable de s’approprier la subjectivité générique du collectif. Ce faisant, il peut transformer cet inconfort en ressource interne pour l’action à force d’identifications aux membres du groupe et de différenciations. Dès lors, le collectif de travail est une source majeure de l’activité du sujet avant que celle ci ne le métamorphose en simple ressource singulière de l’activité individuelle. Cette métamorphose, qui transforme la source en ressource, rend possible le développement de l’activité personnelle. En définitive, le collectif est simultanément à l’extérieur du sujet dans les échanges dont est fait le travail collectif et à l’intérieur de l’individu comme instrument psychologique où il s’y développe en fonction de ces échanges. On le voit, dans son acception psychologique le concept de collectif renvoie à la fois aux échanges sociaux dans lesquels est engagé le sujet et aux ressources personnelles qu’il a développées avec autrui au contact du réel. Les échanges dont il est ici question sont ceux que l’on peut repérer dans un groupe professionnel et qui portent sur les critères d’évaluation de la qualité du travail. Ces derniers concernent aussi bien la qualité des services ou des produits, que celle des façons de faire ou encore celle des effets sur le corps. Nous retenons que ces critères sont multiples et que pour cette raison ils sont en concurrence en chacun des membres du groupe pour gouverner les actions individuelles et collectives. D’où la nécessité pour le groupe d’en discuter afin de stabiliser dans son milieu, au moins temporairement, un accord sur les critères les plus opérants. Stabilisation toujours transitoire car le réel est une source permanente de renouvellement des désaccords. On peut alors dire du collectif qu’il est aussi un instrument psychologique pour supporter et développer les désaccords portant sur les critères. La reconnaissance : une demande à double tranchant On comprend dès lors comment, privés de leur facteur de cohésion qu’est le développement créatif des conflits portant sur les critères du travail, les collectifs deviennent de simples regroupements d’opérateurs au sein desquels ces conflits avancent masqués sous forme de querelles entre personnes. Il est alors fréquent que la difficulté à supporter, malgré tout, ces différends personnels, parce qu’elle tourne le dos à la dispute sur la performance et la qualité du travail, se mue en une demande ambiguë de reconnaissance. ISBN : 978-2-913488-68-4 110 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’ambiguïté de la demande résulte d’un double mouvement. D’un côté, faute de collectif, l’activité, réduite à la pratique, est l’objet d’une tentative de normalisation dans l’intention de trouver et de prescrire la «bonne pratique », c’est à dire en réalité, d’obtenir des opérateurs le comportement supposé exempt de pouvoir pathogène. D’un autre côté, les échecs de ce procédé laissant des opérateurs démunis, il est complété par des dispositifs d’écoute de la souffrance au travail pour le moins problématiques. En effet, si l’écoute n’a pas pour but de rendre visibles à l’intéressé les obstacles de son activité, le risque est grand de voir la souffrance s’installer durablement. On assiste alors à ce paradoxe qu’il devient préférable pour certains d’être reconnus comme souffrants que d’être ignorés comme travailleurs. On voit comment cette forme de reconnaissance par autrui, que nous qualifions de passive en référence à la forme grammaticale utilisée pour la désigner, enferme celui qu’elle prend pour objet dans une identité de victime. C’est que, ne trouvant plus dans son groupe professionnel les ressorts qui l’en feraient sortir, il trouve encore un avantage subjectif à recouvrir d’un voile compassionnel l’impuissance collective dont est faite la souffrance individuelle. On a affaire ici à un affaiblissement du social au profit de l’interpersonnel, secondaire à une dissipation en soi du collectif. C’est donc un contresens que de qualifier de social le danger pour la santé qu’encourent les travailleurs concernés. C’est tout autant un paradoxe que de le baptiser de psychologique, car la diminution de la conflictualité sociale autour d’objets communs transpersonnels que sont la performance et la qualité du travail entrave la dynamique psychique des sujets impliqués (Clot, 2010). Cependant, cette demande de reconnaissance possède un second tranchant. Qualifiée d’active, elle est reconnaissance de soi en quelque chose. En autoconfrontation croisée, une instrumentiste dans un bloc opératoire, voyant sa collègue préparer sa table avant l’opération, lui dit : « Cette table, c’est pas toi» (Bonnefond & Tomas, 2009). Elle ne reconnaît pas sa collègue dans ce qu’elle fait. Il est clair qu’ici la table n’est que la représentation métonymique non seulement de ce qui est fait, mais aussi de ce qui est à faire, de ce qu’il est souhaitable de faire selon les critères du métier et qu’éventuellement on ne peut plus faire. Autrement dit, le «quelque chose » qui sert d’objet à la reconnaissance de soi est intimement lié à l’histoire transpersonnelle des épreuves dont est fait le genre professionnel. On peut donc répondre à la demande de reconnaissance en favorisant la possibilité de se reconnaître dans quelque chose, ce quelque chose pouvant parfois prendre une signification littérale. C’est pourquoi, les propriétés physiques d’un objet matériel s’y prêtant mieux que celles d’un service, les opérateurs des services éprouvent davantage le besoin de se reconnaître dans le métier (Clot, 2008). Un modèle du développement du geste De quelle manière le collectif influence-t-il le développement du geste ? Celui-ci est toujours supporté par des contractions, le plus souvent isométriques, des muscles principalement antigravitaires, dont le contrôle échappe à la conscience, et dont certaines sont en avance sur les déplacements corporels, réalisant des anticipations posturales (Latash, 2002). Ainsi, la posture supporte le geste, lui fournissant la base pour la précision, la puissance, la dextérité. Mais surtout, les contractions posturales ne sont jamais isolées des composantes neurovégétatives qui participent à sa réalisation et qui composent la décharge émotionnelle. Les sentiments dérivant de ces émotions sont, dans la posture, en compétition avec les contractions volontaires pour s’emparer du tonus musculaire. Nous réservons le mot de «mouvement» à la synthèse du geste et de son support postural pour le distinguer du geste, bien qu’en réalité geste et mouvement soient donnés ensemble, car nous reconnaissons des propriétés psychologiques différentes au geste et au mouvement. En particulier, le mouvement possède une valeur signifiante du fait de ses rapports intimes avec les émotions, s’exprimant dans l’attitude. C’est en imitant l’attitude d’autrui qui a valeur de modèle pour le sujet, qu’il peut s’y opposer puis s’en détacher. Se faisant d’abord l’instrument du geste de l’autre, le sujet dispose ensuite du geste en soi comme instrument de ses mouvements (Wallon, 1970). Si la posture supporte le geste, les automatismes le réalisent. Reprenant les travaux classiques de Bernstein (1996), et ceux plus contemporains de Edelman et Tononi (2000), à l’opposé du caractère routinier que d’ordinaire on lui prête, nous voyons dans l’automatisme un système fonctionnel dynamique échappant au contrôle conscient. Ce système fonctionne par rentrées massives entre différents regroupements 111 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) neuronaux, physiquement connectés entre eux par un réseau très dense de fibres réciproques et massivement parallèles. Elles associent des afférences sensitivo sensorielles, au premier plan desquelles les afférences kinésthésiques, au résultat d’une simulation des afférences attendues. L’automatisme, en transformant les écarts entre afférences réelles et simulées en corrections motrices, assure l’adaptation du geste en cours d’exécution au contexte auquel il prend part. Les répétitions, qui pour Wallon permettent au sujet d’entrer dans l’esprit du mouvement, sont pour Bernstein la base du développement des automatismes, ce dernier entendu davantage comme une restructuration des liens interfonctionnels que comme un élargissement de la gamme gestuelle qu’il est aussi. C’est donc auprès d’autrui, dans ses groupes d’appartenance, qu’on prend les gestes par un double processus d’assimilation et de différenciation. Ce sont les échanges avec autrui et les conflits qu’ils font naître, posant entre autres au sujet des problèmes moteurs nouveaux, qui sont la source du développement des gestes. Ces processus sont rendus possibles par le fait que le contrôle d’un automatisme qui achoppe peut devenir conscient, passant de cette manière au plan du geste, et qu’un même geste peut être pris dans divers contextes posturaux, réalisant autant de mouvements différents. Ce sont ces passages d’un plan à l’autre que nous voyons comme le mécanisme du développement. L’objectivation du geste pour développer le collectif Nous disons du geste de métier qu’il est une façon de faire, elle même validée par l’histoire d’un milieu professionnel donné (Tomas, Simonet & al., 2009). Il n’en reste pas moins que le geste possède en lui même une existence objective. Dans sa manifestation visible, il est un déplacement du corps et/ou de segments corporels que réalisent des contractions musculaires volontaires coordonnées et contrôlées par les centres nerveux. Il devient donc possible de produire diverses objectivations du geste auquel on s’intéresse. Nous avons produit des indicateurs de sollicitation musculaire lors de la production d’un geste de retournement dans un atelier de blanchisserie, à partir de l’enregistrement d’électromyogrammes au poste de travail, sur des opérateurs volontaires exécutant leurs tâches ordinaires. D’emblée conçus comme un instrument favorisant les controverses professionnelles dans le groupe professionnel afin de remettre au travail le répertoire générique des gestes professionnels (Clot & Fernandez, 2005 ; Simonet, Caroly & Clot, 2011), ces indicateurs visent aussi à prendre la mesure de ce qu’il faut changer dans l’activité et dans l’organisation du travail. L’ambition est donc d’utiliser l’objectivation du geste, dont la qualité s’avère alors décisive, pour favoriser les controverses gestuelles entre les membres du groupe professionnel, puis la subjectivation en chacun d’eux, par comparaison et expérimentation des gestes d’autrui sous l’effet de la dynamique argumentative débutée lors des séances d’autoconfrontation. Lorsque l’on parvient à un tel résultat, on peut dire que les opérateurs disposent de ressources personnelles qu’ils tirent des différences et de la comparaison entre eux et en eux. Comme nous l’avons noté, on peut alors parler de collectif de travail. Le collectif prévient les TMS en développant le genre, le geste et l’activité Cependant, on observe souvent que le geste se libère du geste des autres non pas en lui tournant le dos mais par la voie de son perfectionnement. Il ne sera réellement développé que reconçu, et seulement s’il est évalué comme une contribution au développement du geste des autres, stabilisé dans l’histoire du collectif. Le genre professionnel du milieu de travail est ainsi défini non seulement par des mots et des sous entendus, mais aussi par des gestes communs pourtant personnalisés par chacun. Le développement du geste en milieu de travail est donc simultanément une contribution au développement du genre professionnel. Le rôle du collectif est totalement déterminant, au point qu’il faille, comme c’est notre cas ici, chercher à le remettre en fonction pour faire repartir le processus de développement. Du coup, l’activité des membres du collectif s’en trouvera affectée au point que la sollicitation de l’activité réduira le niveau de l’hypersollicitation musculotendineuse. Car cette affectation offrira des ressources nouvelles ISBN : 978-2-913488-68-4 112 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) aux opérateurs pour reprendre le système fonctionnel des automatismes, permettant leur restructuration. Nous postulons que l’effet de cette restructuration sur l’organisme est bénéfique aux structures musculo tendineuses et constitue l’effet préventif visé. Bibliographie Bernstein, N. A., (1996). On Dexterity and its Development, in Dexterity and its Development, Latash & Turvey Eds, Lawrence Erlbaum Associates. Bonnefond, J. Y. & Tomas J. L. (2009). Le travail des instrumentistes et des chirurgiens du bloc 12 sources et ressources du développement de l’organisation du travail. Caroly, S, & Clot, Y. (2004). Du travail collectif au collectif de travail. Des conditions de développement des stratégies d’expérience. Comparaison de deux bureaux de Poste. Formation et Emploi, n°88, 43 55. Clot, Y. (2010). Le travail à cœur. La Découverte. Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. PUF. Clot, Y., & Fernandez, G. (2005). Analyse psychologique du mouvement : apport à la compréhension des TMS. Activités, 2 (2), 69 78, http://www.activites.org/v2n2 /fernandez.pdf Cru, D. (1995). Règles de métier, langue de métier dimension symbolique au travail et démarche participative de prévention, mémoire EPHE, Paris. Edelman, G. M., Tononi, G. (2000). Comment la matière devient conscience. Odile Jacob. Latash, M. (2002). Bases neurophysiologiques du mouvement. De Boeck Editions. Simonet, P., Caroly, S., Clot, Y., (2011). Méthodes d’observation de l’activité de travail et prévention durable des TMS action et discussion interdisciplinaire entre clinique de l’activité et ergonomie. Activités, 8(1), http://www.activites.org/v8n1/ Tomas, J. L., Simonet, P., Clot, Y., & Fernandez, G., (2009). Le corps : l’œuvre du collectif de travail. Corps, 2009/1, n° 6, p. 23 30. Wallon, H. (1942/1970). De l’acte à la pensée. Flammarion. Wallon, H. (1954/1971). Les milieux, les groupes et la psychogenèse de l’enfant. Enfance, numéro spécial, 287 297. 113 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’analyse des gestes professionnels et de leurs dilemmes dans différentes instances au sein de l’entreprise : question de reconnaissance ? Edwige Quillerou-Grivot (CNAM, équipe Clinique de l’activité Institut national de recherche et de sécurité (INRS) Laboratoire Organisation, changement et prévention) N ous vous proposons une réflexion autour du cadre d’intervention que nous menons sur des questions de santé en général, et sur des problèmes de TMS en particulier. En clinique de l’activité (Clot, 2004, 2008), la manière dont nous allons construire ce cadre fait souvent l’objet de recherches du côté de la co-analyse avec les professionnels mais nous communiquons peu sur ce que nous tentons de faire du côté des personnes de l’entreprise qui nous font intervenir et qui nous prescrivent en quelque sorte notre périmètre d’intervention, ceux que nous nommons « commanditaires » (ex : membres de direction, concepteurs, CHSCT, etc.). Même si notre travail auprès de ces commanditaires dans l’intervention est une préoccupation aussi importante que le travail de co-analyse avec les professionnels, la formalisation de ce que nous tentons de faire n’est qu’à ces débuts. Lorsque nous intervenons, nous avons très souvent comme règle de créer une instance de pilotage constituée de ces personnes porteuses d’une demande, ou plus précisément d’une commande qui nous a été faite, c’est-à-dire le « pourquoi nous fait-on intervenir et quelle est notre prescription ? ». Ce que nous nommons « instance » dans l’intervention regroupe l’ensemble des personnes de l’entreprise participant de près ou de loin à l’analyse du travail. Même si cette règle est grandement partagée, avec notamment les travaux en ergonomie comme référence (Guérin & al., 1991), il paraît intéressant de regarder de plus près l’instance de pilotage de l’intervention qui est mise en place pour soutenir l’instance d’analyse du travail réalisé avec les travailleurs sur lesquels portent directement les questions de santé. À partir d’une intervention menée chez un logisticien automobile, il sera alors question d’interroger ces deux instances à la suite d’une commande du responsable des méthodes de l’entreprise concernant le travail d’opérateurs de montage de pièces automobiles. Nous centrerons notre propos sur les déplacements de l’analyse des gestes professionnels des opérateurs à travers ces instances durant l’intervention, notamment au sein de l’instance de pilotage regroupant des membres de la direction opérationnelle et des services fonctionnels puis intégrant opérateurs et chefs d’équipe. L’intervention et son évolution Même s’il est difficile de résumer en quelques lignes l’histoire d’une intervention, nous nous arrêterons sur quelques données permettant d’étayer les changements et les déplacements dans le discours, dans les actes sur l’analyse des gestes professionnels, de leur sens et de leur reconnaissance dans le travail. L’histoire d’une commande en développement… Cette intervention a débuté en 2006, avec une approche ergonomique à la suite d’une demande de diagnostic en conception reposant sur la question « à partir de combien de gestes les opérateurs vont-ils avoir des TMS ? ». La situation de travail en question portait sur le travail d’opérateurs de montage de parechocs. Cette commande faisait suite à l’apparition de restrictions médicales et d’arrêts maladies pour des douleurs lombaires, aux membres supérieurs et parfois même aux membres inférieurs, mais l’entreprise n’enregistrait aucune déclaration de TMS. La commande, portée par le responsable des méthodes, était orientée vers l’intégration de connaissances du travail et de la prévention des risques professionnels dès la conception de nouveaux projets. Après cette première intervention, commanditaire principal (responsables des méthodes) comme intervenant, avons émis le souhait quelques temps plus tard de continuer. Une autre proposition a permis d’engager un travail de co-analyse en clinique de l’activité. Ainsi depuis 2008, nous ISBN : 978-2-913488-68-4 114 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) avons élaboré une autre perspective d’analyse du travail (Quillerou-Grivot, Clot & Morvan, 2010) et tenté d’ouvrir des questions autour de la santé, des gestes professionnels et de l’organisation du travail afin de repérer plusieurs leviers d’action pour la prévention tant en conception qu’en production. Au fil de l’intervention, la commande a alors été progressivement réorientée vers d’autres préoccupations : « comment peut-on travailler autrement ? » en conception, notamment « comment intégrer les opérateurs ? » et comment mettre en place des instances d’analyse du travail à différents niveaux dans l’entreprise pour faire progresser leur organisation du travail au quotidien ? Ce processus de transformation de la commande a pu être possible grâce aux ressources déployées du côté des opérateurs dans un premier temps – lors de la co-analyse du travail – puis du côté des concepteurs-décideurs – lors des séances en comité de pilotage. En effet, nous postulons que la recherche d’alternatives aux transformations du travail doit se faire autant du côté opérateurs que du côté concepteurs. Nous nous efforçons alors dans nos interventions de poser la question indirectement – en passant par le travail quotidien – à différents niveaux hiérarchiques, afin d’y développer une prévention durable des risques professionnels. Le travail des opérateurs au centre des préoccupations La tâche principale des opérateurs consiste à réaliser le montage et l’assemblage de composants sur des pare-chocs automobiles, destinés à être livrés en « synchrone » chez le constructeur automobile, situé à quelques kilomètres. L’entreprise de logistique en question est le dernier maillon de la chaîne de sous-traitance et représente pour le constructeur un « magasin avancé fournisseur » (MAF) mis à sa disposition par les équipementiers. Le travail de montage et d’assemblage sur les pare-chocs automobiles ne se réalise pas à la chaîne, comme c’est le cas chez la plupart des constructeurs automobiles, mais en îlots de production. Ce principe de production permet une flexibilité à différents niveaux : sur l’espace disponible, sur le nombre d’opérateurs et leur polyvalence à tous les postes, sur la place et le nombre de machines, sur la non-mécanisation des déplacements du produit qui se fait par les opérateurs euxmêmes, etc. Jusqu’à aujourd’hui, la conception des moyens de travail n’est pas « à la main » du logisticien mais divisée entre l’équipementier – qui conçoivent les machines, les conteneurs – et le constructeur – qui conçoit les conteneurs finaux adaptés à sa propre utilisation – et l’entreprise de logistique – qui adapte la disposition spatiale nécessaire et qui tente d’engager des actions correctives sur les machines et les supports de stocks tampons et de contrôle des pare-chocs. On observe un cumul d’exigences, liées d’une part à des délais rigides (risque d’arrêt de chaîne chez le constructeur avec pénalité financière importante), à une grande diversité des produits (combinaison d’options, pièce « d’aspect » nécessitant de nombreux critères de qualité et d’esthétisme, etc.), aux impératifs de réactivité aux aléas et à la flexibilité (polyvalence à tous les postes, apprentissage sur le montage de nouveaux modèles, de nouvelles machines, turn-over important d’intérimaires, etc.). Cette description du travail laisse à penser que les exigences sont si fortes que les opérateurs n’auraient alors pas ou peu de marges de manœuvre. Mais nous savons bien que ces questions de cumul d’exigences ou d’intensification du travail auxquelles renvoie cette description ne suffisent pas à comprendre le travail et ses enjeux (Hubault & Bourgeois, 2004). L’intensification est un phénomène complexe (Volkoff, 2008) et ambivalent (Clot, 2005) qui ne se résume pas aux exigences de la tâche et aux conditions de travail mais nécessite d’aborder les ressources que les opérateurs ont et développent afin de répondre à ces exigences tout en n’y laissant pas leur santé. Mais alors la question qui nous anime en intervention est la suivante : quelles peuvent être ces ressources ? Dispositif d’intervention multi-niveaux En clinique de l’activité, on a coutume d’aborder cette question des ressources en passant par les conflits ou dilemmes de l’activité, qui vivent en chacun des professionnels mais qui sont souvent empêchés d’être réinvestis dans le travail. C’est pourquoi, nous avons proposé aux opérateurs une co-analyse de leur travail afin d’instruire cette question des dilemmes qu’ils vivent dans leur activité de travail quotidienne, en confrontant leurs gestes aux autres gestes des collègues (Clot & Fernandez, 2005). Mais cette analyse des dilemmes d’activité doit également faire l’objet de discussion entre membres du comité de pilotage, 115 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) sur la dimension prescriptive du travail des opérateurs, concernant les choix à envisager à l’issue de l’intervention. Méthodologie et méthodes d’intervention C’est pourquoi un cadre d’intervention a été construit à travers deux instances : collectif d’opérateurs et comité de pilotage. Nous nous sommes évertués à construire une co-analyse avec une dizaine d’opérateurs, majoritairement intérimaires. La méthodologie d’analyse du travail a été déployée en plusieurs phases : une phase d’observations (papier-crayon) afin d’amener les opérateurs à percevoir leurs manières de faire intra et interindividuelles qui étaient souvent non conscientisées (exemple de verbatim en début d’intervention : « mais c’est facile ce qu’on fait », « on fait tous pareil », « notre travail c’est la fiche de poste ») et à susciter des demandes pour réaliser une analyse du travail ; une deuxième phase afin de commencer le travail de co-analyse hors situation de travail quotidienne avec une réunion de préparation et de constitution du groupe d’analyse pour déterminer ensemble les situations de travail qui feront l’objet de la co-analyse ; une troisième phase d’observations avec caméra pour constituer des outils d’analyse concernant quatre situations de travail retenues par le groupe ; une quatrième phase pour les séances en auto-confrontations simples puis en auto-confrontations croisées ; une dernière phase de synthèse afin de constituer un montage vidéo des situations de travail et des dialogues en auto-confrontations croisées, destiné à l’ensemble de leurs collègues puis aux membres du comité de pilotage. La co-analyse, telle que nous la concevons, permet alors à l’opérateur d’être en position réflexive sur son travail afin d’y percevoir la richesse de ses différentes manières de faire et de celles de ses collègues. C’est ainsi qu’en séance d’auto-confrontation croisée, il peut parvenir à re-découvrir soit des conflits empêchés, contrariés qu’il est nécessaire de remettre en question pour pouvoir continuer à travailler sans y laisser sa santé, soit – et on suppose là un moyen de dépasser ces conflits – d’autres alternatives possibles en situation de travail, de par la mise à distance avec ses propres gestes professionnels, d’une part, et par le regard du collègue qui participe à la reconnaissance de soi dans son geste, d’autre part. La reconnaissance de soi (Le Blanc, 2001) passe par cette question abordée indirectement en séance d’auto-confrontation : « qu’est ce qui fait sens pour moi dans mon travail ? », même si les mots ne sont pas toujours là pour le dire, les corps parlent aussi et le regard que porte le collègue sur son travail, ses gestes, sa « technique » parvient à être une aide pour y trouver un sens nouveau. Ainsi certaines de ces images, issues de cette coanalyse, ont été exposées lors du comité de pilotage. Afin de se faire une idée du type de discussion qui s’est réalisée entre opérateurs et qui a fait l’objet de diffusion auprès des commanditaires, voici un court extrait de dialogue entre une opératrice (C), un opérateur (S) et l’intervenante (I) sur la manière de contrôler le pare-choc en début de ligne, face aux images vidéo de S en train de contrôler : I : « et les endroits de contrôle, le chemin de contrôle est le même ? » C : « non, non on contrôle pas pareil (en chuchotant) ». S : « non » I « c’est-à-dire ? » S : « on va pas commencer au même endroit, on va peutêtre pas passer par les mêmes… ». C : « t’as plus tendance (pointage du doigt vers S puis vers vidéo avec regard vers vidéo) par finir par le plastron ». S : « ouais ». C : « alors que moi je finis par le… ». S : « ouais moi je commence par le côté (geste à blanc – côté gauche), ouais ». I : « toujours le même côté ? ». C : « c’est… c’est différent (regard vers vidéo) ». S : « humm, non, ça peut changer… là c’est vrai (désignation vidéo), je commence toujours à gauche ». C : « ouais, moi aussi je commence toujours à gauche mais tu vois tu finis par le plastron, on a l’impression que tu l’as même pas regardé, en fait (rires)… alors que moi je vais commencer (geste à blanc) sur le côté et je vais reprendre, enfin, non…je sais plus. C’est… ». I : « on regardera » C « ouais, ça fait pas du tout la même impression ». En parallèle de ce travail de co-analyse avec les opérateurs, il a donc été instauré un comité de pilotage. Des réunions de travail ont été programmées à différents moments-clés de l’intervention : une première réunion permettant de constituer le comité et de négocier des conditions d’intervention ; une deuxième réunion pour faire un point sur l’avancée de l’analyse et engager les discussions autour de la santé, la prévention et les procédures – qui ont d’ailleurs engagé une nouvelle commande sur le travail des chefs d’équipe ; une troisième réunion afin de restituer le travail de co-analyse sous forme d’un montage vidéo ISBN : 978-2-913488-68-4 116 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) construit avec les opérateurs et de négocier l’invitation des opérateurs pour une dernière réunion ; ainsi la dernière réunion, non prévue au départ, a permis d’engager une réflexion collective sur l’élaboration d’une démarche d’intégration des opérateurs dans leurs projets de conception et de convier les opérateurs à la discussion sur la poursuite de ce travail. Au fil des réunions, de plus en plus de personnes, tant au niveau opérationnel que fonctionnel (services qualité, études, commerce…), étaient invitées ou avaient demandé à y assister. Ce qui pourrait faire penser a priori comme un risque de dispersion du travail engagé a été au contraire un moyen de diffuser les questionnements abordés, avec précision et sans détour sur les alternatives possibles, notamment avec des membres de la direction locale et nationale. Les changements au cours de l’intervention au sein de l’instance de pilotage Après ces actions auprès de cette entreprise, nous pouvons désormais tenter d’analyser ce qui a pu se produire pour que cette dynamique se réalise tant chez les opérateurs que chez les membres de l’instance de pilotage. Du côté de l’instance de pilotage, nous retenons notamment deux résultats importants : l’appel à une nouvelle commande sur le travail des chefs d’équipe, qui eux-mêmes souhaitent s’engager dans une coanalyse de leur métier ; puis la décision d’organiser une autre réunion du comité en invitant des opérateurs et des chefs d’équipes. Ainsi, le déplacement qu’opèrent les membres du comité de pilotage grâce au travail accompli par les opérateurs permet de faire migrer la discussion de ces membres sur les gestes précis du travail quotidien des opérateurs, sujet qui leur était étranger jusque-là, notamment comme le dit la directrice du site lors de l’avant-dernier comité en réaction au montage vidéo : « On voit qu’il y a eu du travail et c’est super intéressant de voir qu’en final les gens, ils ont différentes techniques, entre ce qu’on avait prévu sur les modes opératoires, les chemins de contrôle etc. Que finalement, les gens ne font pas pareil, mais le résultat au final, est que on a un résultat final en termes de qualité clients qui est vraiment bon. ». Puis, à la fin de la réunion, elle se voit alors proposer à ses collègues concepteurs : « Je me dis aussi des fois, est-ce que ça vaut pas le coup de proposer (au client… qu’) on souhaite faire avec les gens qui ont conçu les machines un retour d’expérience avec les opérateurs. Et nous, on leur propose ça, en leur disant ben voilà (…), on vous a fait un certain nombre de remarques mais maintenant, on en a d’autres avec l’expérience, et c’est aussi l’occasion de repasser… ben voilà des messages, en disant ben voilà, on a besoin d’opérateurs, enfin avec les recherches que vous faites… ben voilà les gens ils ont besoin de pas avoir toujours le….la…les mêmes rythmes, de pouvoir faire les opérations… sur un autre puis… je pense que ça peut être constructif dans les autres projets quoi. ». Nous remarquons alors que notre première intervention en 2006, centrée sur notre interprétation des différences entre le prescrit et le réel et la nécessité de marges de manœuvre, n’avait pas permis de surprendre autant les décideurs, comme l’exprime ci-dessus cette directrice. Il y a donc là un autre processus en jeu, un déplacement spécifique qui s’opère et sur lequel nous proposons de nous concentrer. Pour ce faire, nous nous pencherons sur un extrait des échanges de la dernière réunion de l’instance de pilotage où les opérateurs ont été invités à s’exprimer devant l’incertitude des concepteurs-décideurs (au sens large du terme) pour améliorer leur façon de concevoir le travail des opérateurs. Lors de cet échange, le responsable des méthodes, un opérateur (S), le responsable de production, une opératrice (C), un opérateur (J), la directrice et un chef d’équipe interviennent pour discuter de la procédure concernant le chemin de contrôle visuel du pare-choc (qui prévoit un parcours précis du haut – ce qu’ils nomment le plastron – aux côtés du pare-choc) : Resp. méthodes : « Je voudrais rebondir sur ce point-là, car moi il y a avait une question qu’on avait déjà évoquée la dernière fois mais qui m’interpelle, c’est moi avec la casquette projet ; [les fiches de poste] définissent un moyen, ben définissent une procédure, un fonctionnement, on commence par le côté gauche, on fait ça et ainsi de suite et on se rend compte par rapport à ce qu’on vient de voir et ce que vous évoquez, au-delà, il y a des petits, des grands, des moyens, et ainsi de suite il y a quand même des façons différentes de fonctionner entre individus et moi je voulais profiter justement, parce que c’est pas forcément toujours le cas, de vous écouter… vous qu’on avait vus sur l’écran il y a quelques minutes, vous pensez quoi de ces manuels, de ces instructions qu’on vous amène un peu toute faite, et quelque part vous interprétez, vous… qu’est-ce que vous en pensez de ça ? » 117 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Opérateur S : « […] On va dire que c’est une base, comment eux ils veulent qu’on fonctionne mais après avec les critères des personnes qu’on a ici, ça peut marcher et avec d’autres ça peut pas marcher. Après c’est là l’interprétation qu’il faut avoir, il faudrait mettre en commun comme on a dit là pour voir la manière de faire… on va dire… parce que entre moi et C, on a pas la même façon et c’est… on va dire c’est la même chose en fait ». Resp. prod : « Est-ce qu’on peut dire que le résultat est le même au final ? » Opérateur S : « Voilà, le résultat… on peut se baser sur les classeurs mais on a du mal à respecter à la lettre ». Opératrice C : « Ce serait plus dans le sens qu’il faudrait pas imposer le chemin, plus je pense… dans le sens… on va dire… identifier chaque partie du pare-choc, le plastron, les arrêtes, la cross… je veux dire que les pare-chocs sont tous faits de la même manière, ils ont tous un plastron, des cross, des grilles, donc… après je pense que pour l’opérateur le fait d’avoir, lui dire ben voilà t’as le plastron, t’as le plastron à contrôler, t’as la cross, les arrêtes, bon… lui simplifier la tâche quoi entre guillemets, en disant il y a tel point, tel point à contrôler, t’as tous ses points à contrôler après tu t’arranges pour le faire dans le sens où tu le sens le mieux pour toi… que… ça laisse la personne libre du chemin qu’elle doit prendre et ce qu’elle a à regarder ». Directrice : « C’est plutôt donner une mission en disant voilà t’as ça, ça, ça à contrôler et c’est vous qui… la manière de… ». Opératrice C : « voilà, comme ça, ça reste… ». Opérateur S : « Peut-être les débuts… non, les formations on montre comment ça doit être fait à la lettre, après petit à petit la personne va nous voir comment nous on fait et elle inconsciemment elle va faire comme nous et au bout du compte ça marchera aussi bien que ce qui est demandé… et ça de savoir s’il y a possibilité si malgré les [fiches de poste], essayer d’avoir des petits changements comme ça, des petites solutions ». Opérateur J : « ou de le faire en partenariat avec un opérateur ». Opérateur S : « voilà par exemple ». Directrice : « si chacun fait différemment il faut revoir [la fiche de poste] ». Chef d’équipe N : « Moi je pense le contraire… moi j’ai 2 formateurs de nuit, on doit avoir une base commune, parce que chez certains, j’ai déjà remarqué, c’est pas méchant mais si on les laisse travailler de la façon dont il le pense, il pense d’une certaine manière et ils sont pas toujours dans le vrai… parce que quand on est pris dans le travail et ben on n’a pas un regard objectif toujours sur ce qu’on fait et justement je trouve qu’on arrive vite à tout et n’importe quoi. Moi j’essaie surtout de fuir ça et de garder… parce que je pense que le chemin il est bien fait dans le sens où on commence par le plastron, c’est la zone principale et si on commence par les côtés et que le plastron n’est pas bon, ben le pare-choc on peut l’ôter. Donc je pense qu’on gagne vachement de temps. Après les gens à un moment donné, on l’apprend pas de la même façon, c’est sûr que physiquement on a pas tous les mêmes bras (rires) ; c’est pas tout le monde qui est comme S, on dirait qu’il prend une feuille, voilà. Mais c’est vrai que sur les manières de prendre et de tout ça. Je comprends on a des tailles différentes, on essaie de faire des postes ergonomiques et tout mais moi je pense que sur les chemins de contrôle, les trucs comme ça, ça doit être hyper carré… ». Il y a alors ici, dans l’instance de pilotage, une poursuite de la discussion entre opérateurs puis avec un chef d’équipe sur la question des procédures, de la formation. La manière dont les opérateurs et les chefs continuent à développer le débat sur leur travail est en même temps un moyen d’adresser leurs soucis, non pas seulement aux gens du métier, mais aux concepteurs et dirigeants. Cet échange a d’ailleurs été entendu et par la suite des discussions entre membres de l’encadrement opérationnel et fonctionnel ont eu lieu, où chacun a tenté dans sa fonction de poursuivre plusieurs pistes. Pour nous, intervenants, la question n’était pas de savoir qui a raison ou qui a tord, mais plutôt d’accompagner la continuité de ce dialogue pour qu’il puisse trouver de nouvelles façons de concevoir le travail et de le réaliser, sans contourner le réel et les problèmes qu’il pose. ISBN : 978-2-913488-68-4 118 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Ainsi au sein du comité de pilotage, les opérateurs présents et préparés par ce travail collectif font autorité sur leur travail et du coup dans celui des autres. Faire autorité n’est pas avoir le pouvoir de décider, bien sûr, mais permet de réinstruire le processus de décision. Les déplacements, qui se produisent tout au long de cette intervention, transforment alors le dispositif et amènent à faire perdurer cette dynamique d’analyse du travail, à différents niveaux dans l’entreprise, afin d’y trouver quotidiennement des solutions participant à la qualité comme à la santé du travail, même si jamais rien n’est joué d’avance. En effet, dans ces discussions sur le contrôle du pare-choc, il se réalise seulement une ouverture du déni sur un conflit des critères de la qualité du travail ; mais sans certitude qu’ils continueront à faire vivre cette instance d’élaboration de nouveaux compromis dynamiques sur le travail. Conclusion À travers ces données d’intervention, dans cette situation précise de travail, nous tentons de montrer que du point de vue de l’activité de travail, « se reconnaître soi dans ce que l’on fait, dans son geste », qui place alors le travailleur en position d’acteur, comme nous l’invitons à le faire, serait un levier puissant pour développer durablement la santé au travail. Dans un premier temps, pour eux-mêmes dans l’accomplissement de leur travail quotidien et dans un second temps, pour permettre aux instances dirigeantes de soutenir ces initiatives dont ils font preuve. Ce renversement de la reconnaissance de la forme passive (être reconnu par autrui) à la forme active (se reconnaitre soi-même) que les opérateurs ont opéré lors de la co-analyse, a permis d’agir sur l’activité des membres du comité de pilotage. Ces derniers ont ainsi pu rediscuter de leurs propres règles de travail concernant la conception et les choix d’organisation réalisés jusqu’à présent ; on pourrait même dire de leurs propres gestes de concepteur. En retour, leurs discussions en présence des opérateurs auront eu également des retentissements sur ces derniers, sur leur manière de concevoir leur engagement dans la transformation de leur propre travail, garantissant ainsi des effets favorables au développement potentiel de l’activité des opérateurs dans la réalisation de leurs gestes professionnels. La généralisation de ce type de débats sur le travail et ses critères précis de qualité à différents niveaux hiérarchiques ou fonctionnels, comme dans cette entreprise, est alors envisagée comme un instrument puissant de prévention durable des pathologies professionnelles, à condition de prendre le temps d’y installer des instances le permettant. Cependant, l’action clinique dans l’instance de pilotage et l’organisation de sa continuité dans l’entreprise restent une question ouverte, tant en intervention qu’en recherche. 119 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Bibliographie Clot, Y. (2005). Une intensification du travail peut-elle en cacher une autre ? In P. Askenasy, D. Cartron, F. De Coninck & M. Gollac (coord.), Organisation et intensité du travail (pp. 313-317). Toulouse, Octarès. Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. Paris, PUF. Clot, Y. (2004). Action et connaissance en clinique de l’activité. @ctivités, 1 (1) pp. 23-33, http://www.activites. org/v1n1/vol1num1.book.pdf Clot, Y., & Fernandez, G. (2005). Analyse psychologique du mouvement : apport à la compréhension des TMS. @ctivités, 2 (2), 69-78, http://www.activites.org/v2n2/fernandez.pdf Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., Kerguelen, A. (1991). Comprendre le travail pour le transformer. Lyon : Editions ANACT. Hubault, F. & Bourgeois, F. (2004). Disputes sur l’ergonomie de la tâche et de l’activité, ou la finalité de l’ergonomie en question. @ctivités, 1 (1) pp. 34-53, http://www.activites.org/v1n1/vol1num1.book.pdf Le Blanc, G. (2001). Reconnaissance, travail et psychologie. Kairos, n°17, pp. 199-214. Quillerou-Grivot, E., Clot, Y. & Morvan, E. (2010). Construction de cadres dialogiques sur le travail : Intervention en Clinique de l’activité auprès d’opérateurs de montage en îlot de production (poster). I Coloquio Internacional de Clinica da Actividade, 20 au 22 octobre 2010, Sao Joao Del Rey, Brésil. Volkoff, S. (2008). L’intensification du travail ”disperse” les problèmes de santé. In G. de Terssac, C. StMartin & C. Thebault (Eds.), La précarité : une relation entre travail, organisation et santé (pp. 29-40). Toulouse : Octares. ISBN : 978-2-913488-68-4 120 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) L’examen du geste professionnel en situation de formation, clé de compréhension pour la prévention durable des TMS ertrand Poete B ARACT de Franche-Comté (France) L e modèle du geste, dans ses dimensions biomécaniques et psychosociales a été développé par l’ANACT (Bourgeois, 2000) et son réseau depuis une dizaine d’années et constitue le socle directeur des interventions conduites sur le terrain. Il n’en demeure pas moins que son opérationnalité et sa pertinence tardent à s’implanter durablement dans les entreprises et à atteindre les résultats escomptés. Contexte général Les constats du réseau ANACT Les conclusions du rapport 1 de recherche-action DGT-ANACT (Daniellou, 2008) mettent en évidence un certain nombre de difficultés dans la mise en œuvre de la prévention durable des TMS. Ce rapport cite, entre autres, une grande diversité des représentations des facteurs de risques à l’origine des TMS, une absence de modèle partagé par les acteurs de l’entreprise, une faiblesse de l’évaluation du risque TMS, comme du risque RPS, intégré dans le Document Unique et une absence de connaissance du travail réel des salariés, et ce malgré des formes de participation sous-tendues par les démarches d’amélioration continue. Le même rapport dégage divers ingrédients ou leviers à mobiliser. Parmi de nombreux items, les auteurs constatent la nécessité d’enrichir la compréhension du geste professionnel. L’apport d’une approche pluridisciplinaire (psychologie, ergonomie et physiologie) doit permettre de mieux analyser les gestes dans les activités professionnelles et améliorer les connaissances sur les facteurs de risques biomécaniques et psychologiques. Les auteurs du rapport poursuivent en indiquant que le geste efficient résulte d’un compromis construit individuellement et collectivement, il questionne les marges de manœuvre individuelles et collectives comme enjeu de prévention des TMS. Si le geste est ingénieux, rendre compte de sa complexité, c’est tenir compte des conditions organisationnelles pour que les membres du collectif de travail puissent échanger sur ces « ficelles de métiers » (des espaces de confrontation sur les pratiques, formes de polyvalence, etc.). Le texte se termine par une remarque à l’attention des experts en santé au travail qui devraient davantage intégrer dans leur dispositif d’intervention des temps visant à favoriser les débats entre professionnels à partir des pratiques de réalisation du travail, de mobilisation du geste et de ses effets sur la santé. L’intégration des dimensions du geste dans la formation ANACT révisée En 2009, dans la suite des conclusions du rapport et dans le cadre de la mission de transfert du réseau, une remise à plat du contenu de la formation ANACT sur les TMS est initiée. Dans le cadre de cette refonte des différents modules, nous avons cherché entre autres à donner davantage de contenance à ce modèle du geste — tout particulièrement dans sa dimension psychosociale, en utilisant comme « cas d’école » des séquences filmées d’une situation de travail. Rapport financé par la direction générale du Travail (DGT), impliquant tous les laboratoires de recherche et le réseau ANACT. Le rapport rend compte d’une recherche sur la prévention durable des TMS d’une durée de trois ans. L’objectif de cette recherche était d’identifier les leviers et les freins à la prévention des TMS à travers le suivi d’interventions en entreprise. 1. 121 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Le cas présenté ici constitue une illustration de la mise en visibilité de la problématique TMS dans son rapport à l’exécution du geste professionnel. Cet outil visuel s’insère dans l’un des modules de formation destiné aux acteurs de la prévention des risques et de la santé au travail, dont l’objectif est d’appréhender les composantes du geste. Cette démarche vise à favoriser une plus grande participation des stagiaires dans le processus d’apprentissage (Martin et Savary, 2003). L’analyse de cette situation de travail est présentée devant les participants de la formation, puis discutée, décortiquée, et débattue avec eux. Dans le cas présent, il s’agit de comprendre les dimensions du geste, en cherchant à en saisir le sens, puis l’intentionnalité. La situation de travail présentée en formation L’entreprise où est tournée la vidéo Équipementier automobile de 200 salariés, cette entreprise est spécialisée dans les domaines de la découpe, de l’emboutissage et de l’assemblage d’éléments de la structure automobile. Elle est confrontée à une double problématique, d’une part, la crise du secteur et, d’autre part, une main-d’œuvre directe vieillissante dont 1/3 de celle-ci est touchée par des restrictions d’aptitude au poste avec de nombreux TMS déclarés. Les développements suivants nous permettront de comprendre les raisons de cet état. Le travail des opératrices sur presse La tâche réalisée par les deux opératrices consiste à partir d’une plaque de tôle, appelée « flanc », pesant 1,126 kg, de lui faire subir différentes opérations de transformation de sa forme, par des opérations d’emboutissage, de détourage et de séparation. L’objectif de production est de 240 pièces par heure. Le film retrace les différentes opérations liées au procès dans un temps de cycle de 15 secondes. Il montre également de manière sous-jacente les ingrédients qui vont augmenter les astreintes de l’opératrice. Présentant dans un premier temps les différentes opérations de prise, de dépose du flanc sur le moule et du déplacement des pièces embouties, le film fait ensuite une focale, au ralenti, sur une action particulière, celle qui conduit une opératrice à jeter une chute de métal dans un bac de récupération placé face à elle, de l’autre côté de l’outil de presse. L’approche du sens du geste à travers une opération dite « sans valeur ajoutée » De voir à regarder : une approche différente Lors de la présentation de cette séquence vidéo, le formateur cherche à aiguiser le regard des stagiaires en les amenant à comprendre le « pourquoi » de chacune des opérations. Lorsqu’arrive la séquence du geste consistant à évacuer le déchet métallique, les stagiaires constatent à la fois l’ampleur du mouvement effectué par l’opératrice et son extrême précision : il semble que ce geste soit particulièrement « travaillé » par la salariée, car à chacun des cycles elle effectue la même rotation du buste, la même adduction du bras et libère une énergie particulièrement mesurée. À ce moment-là de l’analyse de la vidéo, l’objectif est d’amener le groupe à comprendre les déterminants d’une telle astreinte biomécanique pour la salariée. Pourquoi tant d’efforts et de précision pour un geste dont la valeur économique semble nulle (lancer un déchet dans une poubelle) ? Une deuxième projection de la séquence vidéo permet au groupe de dégager des pistes de compréhension. On constate en effet que l’opératrice intervient à la suite d’un arrêt machine pour dégager certains déchets ISBN : 978-2-913488-68-4 122 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) qui, mal placés dans le bac, déclenchent le dispositif de sécurité de la presse. Ainsi, apparaît le lien entre la qualité du geste de ”lancé du déchet” et le bon fonctionnement de la machine. On comprend alors toute l’intentionnalité de ce geste du lancé, si adroit et si appliqué : cette chute doit en effet tomber correctement, bien à plat, au fond de la benne pour éviter que des éléments ou des parties viennent couper le faisceau de la cellule de sécurité entraînant la mise en arrêt de la presse. L’impulsion et la trajectoire calibrées que donne l’opératrice fait alors en sorte que cette chute qui est longue et légère tombe dans « un certain sens » dans la benne. Ainsi, de la qualité du geste de lancement de la chute dans la benne de récupération va dépendre, en quelque sorte, la fluidité du procès. Ce geste, coûteux dans ses astreintes biomécaniques, se trouve alors valorisé par le gain de temps et de qualité qu’il induit. Mais, bien entendu, il n’apparaît à aucun moment dans la prescription du travail ni dans la reconnaissance des performances « techniques » de l’opératrice. Or cette opératrice « prend sur elle » (principe de la régulation : on prend d’abord sur soi pour ne pas pénaliser l’objectif à atteindre) pour jeter ainsi cette chute. Elle a arbitré entre réaliser un geste sollicitant et se déplacer régulièrement pour dégager les déchets qui bloquent le fonctionnement de sa presse. Cette forme de régulation lui permet de pouvoir continuer à travailler. En arbitrant ainsi, elle répond au but qu’on lui fixe et qu’elle se fixe : « répondre aux objectifs de production » de façon singulière en s’appuyant peut-être sur l’idée qu’elle se fait du travail bien fait. Ce geste n’apparaît plus comme quelque chose de banal. Il n’est pas fait n’importe comment, il est encadré par une réflexion de l’opératrice qui se donne de nouvelles règles pour, semble-t¬-il, combler un manque. Il résulte bien d’un compromis. Approfondissement et élargissement de l’analyse La poursuite de la réflexion avec les stagiaires nous conduit à dépasser la dimension du simple mouvement dans l’espace, de pointer que ce geste est porté par une finalité. À ce stade apparaissent des questions centrales : En quoi cette compréhension du geste peut-elle être pertinente pour la prévention des TMS ? En quoi réinterroge-t-elle l’organisation du travail ? Dans la situation présentée, et dans le cadre d’une démarche ergonomique classique, l’entretien permet de compléter la compréhension et de faire le lien avec les composantes organisationnelles en présence. L’explication tombe alors : «… auparavant les chutes étaient découpées par la presse et tombaient d’elles-mêmes dans un bac au-dessous… mais l’outil s’est détérioré, on a tardé à le réparer, on a placé temporairement la benne de l’autre côté de la machine et comme plus personne n’a évoqué ce problème… la réparation est tombée aux oubliettes… » Voilà comment, sans que cela ne soit exprimé, ni vu, ni pris en compte, une situation de travail se dégrade progressivement et génère un geste de compensation. L’opératrice supplée aux « trous de normes » (Schwartz-2003) d’une organisation défaillante : défaut de maintenance, défaut de suivi du process, défaut de communication… Ce geste chargé de sens, d’intentionnalité, de savoir-faire et d’intelligence interpelle également le collectif de travail, dans la mesure où personne ne semble s’être préoccupé de cette contrainte et de ce mode dégradé de fonctionnement. 123 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Mise en perspective En décortiquant les actions réalisées par l’opératrice grâce à l’utilisation de l’outil vidéo, le groupe en formation a mis en évidence d’autres facettes du geste : • bien sûr, sa dimension biomécanique, relative au mouvement effectué, avec les sollicitations articulaires convoquées ; • sa dimension cognitive, avec l’intégration opérative de la trajectoire idéale qu’il convient de donner au jet de cette pièce et qui va faire « que la chute va se ranger comme il faut » ; • sa dimension psycho-affective, qui apparaît lorsqu’on comprend l’engagement corporel de la salariée qui « prend sur soi » au bénéfice d’une production plus performante, même si cela lui « coûte » un risque de TMS. Montrer un geste de travail, en chercher les intentions et les explications, remonter le fil de son histoire, conduit les stagiaires à pointer du doigt la dimension organisationnelle et psycho-sociale des TMS et les amène par là même à dégager les pistes d’actions nécessaires à une prévention durable de cette pathologie professionnelle. Conclusion Cette manière pédagogique de questionner les différentes dimensions du geste, pour des intervenants spécialistes de la prévention des TMS, permet de sortir de la logique trop souvent entendue du « bon geste » et du « mauvais geste » et d’amener l’entreprise à aborder concrètement la question de l’organisation du travail, responsable des mécanismes de survenue des TMS. Références BOURGEOIS F., LEMARCHAND C., HUBAULT F., BRUN C., POLIN A., FAUCHEUX JM. (2000) Troubles musculosquelettiques et travail, quand la santé interroge l’organisation. Éditions de l’ANACT, Lyon. DANIELLOU, F., CAROLY, S., COUTAREL F., ESCRIVA E., ROQUELAURE Y., SCHWEITZER J.M. (sous la direction de), (2008). La prévention durable des TMS : Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport d’étude pour la Direction Générale du Travail. MARTIN JP., SAVARY E. (2003). Des pratiques en réflexion. Éditions Octarès Toulouse. SCHWARTZ Y., DURRIVE L., (2003). Travail & Ergologie - Entretien sur l’activité humaine. Collection travail et activité humaine dirigée par François Daniellou, Gilbert de Terssac et Yves Schwartz, Octarès. ISBN : 978-2-913488-68-4 124 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Former pour faire de la qualité : quelle reconnaissance pour les gestes professionnels ? Un exemple dans le secteur de l’industrie automobile Karine Chassaing École nationale supérieure de cognitique (ENSC) Institut national polytechnique de Bordeaux (France) Introduction L e geste technique a été étudié, en France, surtout par les sciences de l’homme avec notamment l’anthropologie puis l’ergonomie, alors que dans le monde anglo-saxon, il fut surtout l’objet d’étude des sciences du mouvement, du comportement avec la physiologie et la biomécanique (Dubois, Klumpp et Morel 2002). Ceci peut expliquer en partie les ambiguïtés que soulève aujourd’hui la définition du concept de « geste », bien souvent utilisé au même titre que celui de mouvement. La distinction entre ces deux notions ne va pas de soi. Dans les travaux de Bourgeois et al. (2000) sur la prévention des TMS, le terme de « mouvement » renvoie à la description du comportement, c’est-à-dire celle qui réduit le travail à un système d’opérations. Les auteurs proposent une hiérarchie entre les termes. Ils accordent au geste une signification plus globale, plus riche, plus intégratrice que celle que propose le mouvement dans le sens commun. « Le geste ouvre sur la singularité (un geste bien à soi…), la subjectivité (un geste étonnant ou incohérent, un beau geste…), la création et la réalisation (un geste d’acteur…). Il ouvre aussi sur autrui (un geste de compréhension…), et permet d’être plus proche de la réalité du travail. (…) Le mouvement fait partie du geste dans la mesure où il est sa partie visible. Il représente un élément de description, mais lorsqu’il est coupé du geste, il n’a que peu de valeur interprétative. » (p.105). C’est cette acception du geste que nous adoptons nous-mêmes assez largement. Il ne s’agit pas non plus de réduire par cette distinction faite entre le geste et le mouvement, la complexité de ce dernier. Le mouvement n’est pas qu’une affaire de muscles. Selon Berthoz (1998, 1997) qui parle de mouvement et peu de geste, le mouvement est au fondement de l’évolution du cerveau et ne peut être déconnecté de son activité. Les gestes participent ainsi à la construction identitaire de la personne au travail mais, dans leurs réalisations, ils visent aussi d’autres intentions. Ils sont le résultat combiné de plusieurs intentions : être performant et atteindre une certaine quantité et qualité de travail ; préserver sa santé et se préserver de l’effort ; appartenir à un groupe, à un métier (Chassaing, 2006 ; 2010). Il n’est pas sûr que dans bon nombre d’entreprises ces fonctions du geste soient reconnues. Le développement de politiques industrielles basées sur la standardisation du travail ne favorise pas ces considérations. Les choix opérés en matière d’organisation du travail, les outils de gestions mis en place pour améliorer la qualité et la productivité jouent un rôle sur les possibilités qu’auront les opérateurs de développer leurs gestes, de faire face par leurs gestes aux aléas inhérents à toute situation de travail. Il s’agit ici de reconnaître la contribution des opérateurs à la réalisation d’un travail de qualité. L’objet de cette communication dans le cadre de cet atelier est de montrer la reconnaissance des gestes professionnels dans une entreprise du secteur de l’automobile à partir de la mise en place de formations aux bons gestes et de feuilles d’opérations standard destinées à améliorer la qualité. Ce travail permet d’interroger la prise en compte et la reconnaissance au niveau de l’organisation du travail, des gestes professionnels dans la conception d’outils de gestion. 125 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Rationaliser des gestes : un enjeu de qualité pour l’entreprise automobile Le secteur où s’est menée cette recherche (la construction automobile), avec les tâches de montage, de chargement de pièces, de soudure, assigne un rôle essentiel au développement d’habiletés sensori-motrices qui permettent d’accomplir le travail avec une certaine dextérité. Ces types de tâches font appel à une grande diversité de modes opératoires en raison de la diversité des véhicules et des pièces à monter dans un contexte fortement concurrentiel. Dans l’organisation de ces activités à fortes composantes sensorimotrices, l’idée d’enseigner et de faire pratiquer le « bon geste » est persistante. Cette idée que sous-tend une volonté d’homogénéisation des façons de faire devient un gage de performance pour l’entreprise. Elle la renvoie à l’assurance d’un meilleur contrôle de la production pour améliorer la qualité, la productivité et la réactivité. De nouveaux outils sont mis au service de cette orientation, à savoir : une formation à des gestes de base et la conception de gammes opératoires (fiches d’opérations), faisant référence au « bon geste » à pratiquer sur chaque poste et à chaque étape du travail. Dans les secteurs de fabrication, ce sont les gestes qui font d’abord l’objet de cette volonté de contrôle. Les habiletés sensori-motrices, dans les différentes tâches réalisées dans ce type d’organisation, prennent une place particulière dans l’efficacité au travail, les gestes de travail sont importants et sont au centre de préoccupations pour les gestionnaires. En les considérant comme une simple exécution, il devient plus aisé de les qualifier, de les ordonner. Le geste est visible et se prête à ce titre au contrôle. Il paraît plus facile de décrire « comment faire » que « comment réfléchir », et d’en surveiller la scrupuleuse exécution. L’origine de cette recherche sur un plan pratique, est la mise en place de ces outils sur deux sites de fabrication différents. Ces outils, dont la réintroduction est d’origine japonaise, s’appuient sur le point de vue que la qualité passe par l’homogénéisation des pratiques, c’est¬-à-dire l’homogénéisation de l’ordre des opérations et de la manière de les exécuter. L’entreprise japonaise a développé cette idée il y a plusieurs années en vue de standardiser les pratiques et d’améliorer la qualité. Il se trouve que cette entreprise est plus performante du point de vue de la qualité ; c’est donc ce qui motive l’entreprise française à adopter ce modèle d’organisation basé sur la standardisation. Le contenu de la formation et des fiches renvoie par conséquent au standard japonais. Malgré cette volonté de la hiérarchie de réduire la part de l’autonomie des opérateurs, notre hypothèse, ici, est que ceux-ci s’efforcent cependant de mettre en œuvre différentes stratégies gestuelles. Dans cette situation fortement contrainte, l’expérience des gestes est déniée par les gestionnaires mais se manifeste et évolue. Si, dans une perspective ergonomique, on accepte l’importance des gestes et de la diversité des modes opératoires possibles, le problème est de déterminer la place que laissent ces nouveaux outils de standardisation à cette diversité. Il s’agit ici de montrer en quoi le geste est irréductible à des procédures, quel est l’impact de ces nouveaux outils sur l’activité des opérateurs, et quels enseignements en tirer du point de vue de la conception des procédures de travail ? Construire des gestes : un enjeu pour se développer et prendre soin de la variabilité des situations pour les opérateurs Le geste comprend un volet créatif. C’est dans cette fonction créatrice qu’il permet à l’opérateur de se développer, de s’épanouir et de se construire une identité. Celle-ciconstitue l’armature de la santé mentale et physique (Bourgeois et al., 2000). Pour établir ce lien, il faut considérer la santé non seulement dans une approche conservatrice mais aussi dans une approche constructive. En référence à plusieurs auteurs dans le domaine (Canguilhem, 1984 ; Dejours, 1995 ; Clot, 1999a, 1999b), la santé n’est pas uniquement l’absence de maladie. Selon Canguilhem (1984), Ce n’est qu’une fois que les individus sont malades qu’ils essaient d’éviter d’aggraver les atteintes de certains organes. Cependant l’auteur ajoute, et c’est en cela que son point de vue nous est utile, que la santé renvoie tout autant à des dimensions de construction : « Être sain c’est non seulement être normal dans une situation donnée, mais aussi être normatif dans cette situation et dans d’autres situations éventuelles ». « Être normatif » renverrait à la capacité de l’individu de promouvoir de nouvelles normes dans de nouvelles situations. La dimension constructive apparaît clairement à travers cette idée de création de nouvelles normes, mais aussi à travers une autre idée présentée par Canguilhem, celle de la capacité de l’individu à faire face aux variations du milieu ; autrement dit, sa capacité de s’adapter, de se réguler dans un milieu toujours changeant. Clot (1999a ; 1999b ; 2001), dans la lignée de Canguilhem, ISBN : 978-2-913488-68-4 126 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) évoque aussi la dimension créative de la santé, qu’il met en rapport avec le pouvoir d’agir c’est-à-dire les possibilités pour l’opérateur d’exercer des responsabilités : « Cela veut dire se mobiliser intellectuellement, subjectivement, corporellement. Cela signifie penser à ce qu’on fait, aux objectifs que l’on pourrait poursuivre, et éventuellement avoir une idée sur d’autres objectifs que l’on pourrait poursuivre. Cela veut dire juger aussi (jugements d’arbitrage) ce qui suppose de délibérer dans les situations professionnelles » (p.49, 2001). Il introduit l’idée de la création de nouveaux objectifs, qu’il rapproche de celle de nouvelles normes pour Canguilhem, et à propos de laquelle il réutilise la distinction classique faite notamment en ergonomie entre efficacité et efficience. Selon Clot, cette distinction permet de comprendre comment l’individu est capable, lorsqu’il est efficace dans une tâche, non seulement d’atteindre les objectifs qualité et quantité qui lui ont été fixés et qu’il s’est fixés, mais aussi de promouvoir de nouveaux objectifs qui lui permettent d’être créatif. Penser le travail comme un opérateur de construction de la santé nécessite de « prêter une attention particulière aux conditions et aux formes de la mobilisation de l’intelligence et de la personnalité dans le travail » (Davezies, 1993). L’intelligence et la créativité du sujet sont à l’œuvre dans le travail réel, et c’est ainsi que le sujet va contribuer à le transformer. Mais bien souvent les acteurs de l’organisation du travail méconnaissent les processus ainsi mobilisés. Cette méconnaissance peut avoir un effet sur les marges de manœuvre que va exploiter l’opérateur pour être créatif et pour se développer. Pour en revenir plus précisément au geste, cette conception de la santé et sa dimension constructive ne sont pas sans rapport avec le geste au travail. Ce dernier comprend un volet créatif : « Le geste peut être un moyen de ruser contre la contrainte, la panne, la monotonie » (Bourgeois & al., 2000). La réalisation d’un geste peut procurer du plaisir. Toutes ces réflexions vont dans le sens d’une intelligence pratique, d’une utilisation du corps dans le travail comme ressource pour s’adapter, se développer, faire face ainsi à la variabilité des situations et donc à l’impossibilité de tout prévoir. Aller dans le sens de l’existence d’une intelligence pratique justifie l’idée de la fonction développementale, et pas seulement économique, du geste. L’intelligence pratique a recours à la ruse et s’enracine dans le corps. Elle ruse pour contourner les difficultés et les obstacles qui surviennent dans la pratique, elle vise l’efficacité pratique. Si elle a recours à la ruse, c’est qu’elle est créative, et pas seulement réactive aux exigences du travail manuel (Détienne et Vernant, 1989). Ce développement personnel n’est possible que si les conditions le permettent. Et l’existence même d’une pathologie du geste, les TMS, est la preuve que cette condition n’est pas toujours remplie. Or, le volet créatif du geste et son rôle dans la construction de la santé au travail sont à notre avis spécialement délaissés dans les métiers manuels peu qualifiés. Une organisation du travail trop restrictive qui implique de recourir à des gestes vides de sens, donne une image de soi terne, enlaidie. Dans ce cas le geste est coupé de sa dimension créatrice et développementale, il ne sert qu’à tenir, il ne procure pas de plaisir et ne permet pas un épanouissement personnel. Pezé (2002) qualifie ces gestes de mortifères. La fatigue en est le premier symptôme et cela peut aller jusqu’au développement d’un TMS. Outre cette dimension créatrice des gestes, pour « être en santé », tout individu éprouve le besoin de voir son travail, et en l’occurrence ses gestes, reconnus comme beaux, utiles, singuliers, par ses pairs (Pezé, 2002). La reconnaissance de la qualité du travail, de la beauté du geste, participe à l’accomplissement de soi. Autrement dit, cette reconnaissance contribue à l’épanouissement personnel, à la mobilisation créatrice. Dejours (1995) souligne le rôle décisif des pairs et du collectif à travers la nature, la qualité, la dynamique des relations à l’intérieur de ces collectifs, dans la construction de la santé au travail. L’opérateur s’engage dans l’organisation du travail et c’est ainsi qu’il contribue à le transformer ; mais Dejours précise qu’en contrepartie de cet engagement, il doit y avoir une « rétribution ». Cette rétribution est la « reconnaissance », reconnaissance selon deux dimensions : « Une reconnaissance au sens de constat par autrui de la réalité de l’apport du sujet à l’organisation réelle du travail ; une reconnaissance au sens de gratitude » (p. 9). Cette reconnaissance suggère d’une part, une visibilité du travail de chacun au sein des collectifs. Sans cette visibilité, il ne peut y avoir de jugement de la part des pairs. Ce jugement porte sur le travail accompli, sur son utilité à la fois économique, sociale et technique ; mais aussi sur sa beauté avec la conformité aux règles du travail et au-delà l’originalité du style. D’autre part, cette reconnaissance suggère aussi, selon Dejours, une qualité des relations avec les pairs. Résultats Des analyses gestuelles menées à partir d’observations et d’entretiens dans le cadre de la mise en place de ces outils mettent en évidence que ces deniers ne tiennent pas compte du bien-être des opérateurs : ils ont été conçus sur des conditions idéales de fabrication sans prise en compte des réalités concrètes 127 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) d’exécution du travail. Dans la situation de formation à l’école de dextérité, les gestes des opérateurs sont mis à l’écart. Les opérateurs transfèrent des gestes élaborés à leur poste de travail durant la formation, mais qu’ils doivent inhiber parce que non requis par le prescrit. Quant à la seconde situation de mise en place des fiches d’opérations standard, les opérateurs élaborent des gestes guidés par un objectif de recherche d’équilibre entre bien-être et production qui sont remis en cause par les procédures prescrites, comme c’est le cas dans l’exemple de la manipulation d’une tôle. Dans les deux situations, les opérateurs résistent en élaborant des gestes de travail parfois en désaccord avec les procédures prescrites. Situation 1 : la formation aux gestes de base dans un atelier mécanique La formation L’objectif de cette formation est d’apprendre aux opérateurs les gestes de base, transférables à tous les postes de travail de l’usine, comme le vissage, la manipulation de vis ; ou encore des préoccupations comme de respecter la propreté et la sécurité. La session de formation se déroule hors poste de travail, dans une zone prévue à cet effet dans l’atelier. L’apprentissage porte sur des procédures basiques et passe par une forme d’inculcation du « bon geste ». Il y a donc une volonté d’imposer l’habitude de suivre une fiche opératoire47 et par là même le respect du prescrit. La formation se déroule sur une demi-journée pendant quatre heures environ. Elle se décompose selon deux principales étapes : une partie théorique de quarante minutes et une partie pratique de trois heures. Celle-ci consiste en un entraînement sur trois pupitres. Sur le pupitre 1 « plaques », le stagiaire doit visser douze vis sur quatre plaques avec une visseuse à air comprimé, dans un temps requis et en suivant l’ordre des opérations cité par la fiche opératoire. Sur le pupitre 2 « languettes », le stagiaire doit visser 10 écrous sur un triangle incliné et non fixé, pour assembler 10 languettes, là aussi en un temps requis et en suivant l’ordre de la fiche cité par la fiche d’opérations. Enfin sur le pupitre 3 « common rail », les opérateurs doivent monter une rampe d’injection sur un moteur. Dans cette situation les opérateurs ne disposent d’aucune autonomie. Des observations réalisées au poste de travail avant, pendant et après la formation ont permis de procéder, complétées par des entretiens, à des analyses gestuelles. Les analyses gestuelles réalisées lors de la phase pratique de la formation ont permis de relever la « nature » des gestes mobilisés en formation. Certains sont issus de la pratique antérieure de postes ; d’autres doivent être élaborés pour la formation, avec un coût variable pour les opérateurs. Les gestes transférés Nous avons identifié un certain nombre de gestes requis par le prescrit de la formation, mais que les opérateurs réalisent déjà à leurs postes de travail. En voici un exemple : La manipulation de la visseuse – Lors de la partie théorique de la formation, les formateurs expliquent que les opérateurs doivent amener la vis au bout de la visseuse et non l’inverse, afin d’éviter, d’une part, de perdre du temps en déplaçant la visseuse et, d’autre part, de manipuler une visseuse qui pèse plusieurs kilos. Cette consigne est reprise dans les feuilles d’opérations sous forme d’ordonnancement des gestes : la visseuse doit être maintenue face à l’emplacement où le vissage doit avoir lieu et c’est l’autre main qui approvisionne la vis sur la douille de l’outil ; le déplacement de la main qui porte la visseuse est ainsi réduit. L’opérateur déplace l’outil d’un point de vissage à l’autre en réduisant au maximum l’amplitude de ce déplacement par rapport à ces points de vissage, et c’est au cours de ce déplacement qu’il doit charger la vis sur la douille de l’outil à l’aide de son autre main. Les opérateurs procèdent déjà de cette manière sur leur poste de travail pour les mêmes motifs : aller plus vite, mais aussi et surtout minimiser les efforts en raison du poids de l’outil – « je tiens la visseuse dans la main et après l’autre amène les vis, y a le poids de la visseuse, y a moins d’effort à faire d’amener la vis à la visseuse que la visseuse à la vis ». Ainsi, les gestes transférés de la formation aux postes de travail sont ceux qui étaient déjà pratiqués en situation réelle et ceux qui permettent d’allier la qualité demandée par l’entreprise à des stratégies de préservation, ici d’économie de mouvements. 14. ISBN : 978-2-913488-68-4 128 Rapport financé par la Direction générale du Travail, impliquant trois laboratoires de recherche et le réseau ANACT. Le rapport rend compte des résultats d’une 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Les gestes à inhiber Nous avons aussi identifié des gestes réalisés au poste de travail qui « surgissent » lors de la réalisation de la tâche sur les pupitres de formation mais qui, cette fois, ne sont pas requis dans les prescriptions. Ils viennent alors pénaliser les opérateurs en termes de temps et de respect des procédures. En voici quelques exemples : • Préparer le prochain vissage en positionnant la vis sur l’embout de la visseuse – il s’agit d’Op 24C, observé à son poste de travail, avant la situation de formation : il monte des carters qu’il visse à l’aide d’une visseuse suspendue ; à chaque fin de cycle, il prépare une vis dans l’embout aimanté de la visseuse puis la relâche, prête pour le prochain cycle. Cette façon de faire lui permet de gagner du temps : « je prépare une vis pour prendre de l’avance quand il m’en reste une dans la main ». Mais en situation de formation, ce geste, effectué pendant l’évaluation à deux reprises aux pupitres 1 et 2 le pénalise. Il s’en est aperçu, et s’est corrigé en reprenant la visseuse et en ôtant la vis. Le formateur lui a attribué un « malus » de point pour non respect de la procédure et temps perdu. • La pose de la rampe d’injection (pupitre 3) – Le prescrit mentionne de tenir la rampe dans la main, de la placer ensuite sur le moteur, puis de prévisser les deux vis pour la maintenir. Or, en situation réelle, l’opérateur procède différemment pour « s’avancer » : le temps que le cycle s’enclenche, il prépare la rampe avec les deux vis et la pose sur la table avant de la placer sur le moteur, ce qui est strictement interdit en formation pour des raisons de qualité. C’est l’opérateur le plus âgé (50 ans) qui réalise ce geste. Toutefois, de manière étonnante ¬le formateur ne lui signale rien pendant la formation. • Sur ce même pupitre, reprenons le cas du jeune intérimaire effectuant le prévissage des tuyaux. À son poste de travail, il pose un des tuyaux sur le pupitre, pendant qu’il visse l’autre sur le moteur. Il procède ainsi car s’il tient le second tuyau dans sa main pendant le prévissage du premier comme le veut la prescription, cela le gêne. Le formateur le reprend lors de l’entraînement et lui donne les explications en termes de qualité et de poussière ; ce que ce stagiaire comprend et, à son retour au poste, il a conservé cette nouvelle façon de faire. Toutefois, tous les conflits ne se résolvent pas. Ainsi, au sujet du prévissage de la rampe d’injection (pupitre 3), la feuille mentionne de visser à fond à la main puis de réaliser un quart de tour arrière. Cette façon de faire génère un désaccord entre le formateur et le stagiaire qui préfère réaliser directement un prévissage léger à la main. Il précise qu’il procède ainsi à son poste de travail, pour laisser du jeu à la rampe néanmoins tenue, et de la sorte pouvoir l’écarter ensuite et laisser la place pour prévisser les tuyaux à la main. Le formateur lui explique alors que la procédure prescrite permet aussi de laisser du jeu. Mais l’intérimaire décide de passer outre et maintient sa méthode. Du point de vue de la conception même de la formation, les risques de conflits de modes opératoires, de stratégies gestuelles, sont d’autant plus grands que le pupitre de formation se rapproche du poste de travail, dans les tâches ou la manipulation des outils. C’est ce qu’on observe sur le pupitre 3 « commonrail », qui pose essentiellement des problèmes aux deux opérateurs qui travaillent en situation réelle sur ce poste. Et désapprendre des automatismes pour réapprendre s’avère d’autant plus coûteux que l’opérateur cumule ancienneté et activité fortement répétitive à son poste. Plus globalement, on observe des conflits entre les stratégies développées aux postes de travail et les prescriptions requises par la formation. L’école de dextérité, une mise à l’épreuve Au final, les gestuelles ont été « mises à l’épreuve » par cette situation de formation, au triple sens du terme « épreuve », une situation pénible, un test et un essai : • au sens « éprouvant » : Un opérateur observé a ressenti beaucoup de difficultés, d’énervement dans l’exécution de la tâche d’un pupitre, allant même jusqu’à des manifestations physiques (sueur, gestes de colère…). Pour tous les opérateurs, nous avons relevé à un moment donné des signes d’agacement (prise d’une pause, soupir de lassitude…). Ces sentiments se sont révélés plus importants sur les pupitres les plus éloignés des situations de travail réelles des opérateurs, quand des savoir-faire antérieurs n’ont pu être utilisés ; • au sens de « test » : L’expérience du travail à la chaîne des opérateurs est testée par une formation aux bons gestes qui attribue une note et un niveau à des savoir-faire techniques qu’un opérateur expérimenté possède déjà. Le niveau obtenu renverrait à un niveau de savoir-faire de l’opérateur pour l’entreprise ; • au sens d’un « essai » : L’expérience a été mise à l’essai par une formation à la dextérité, permettant ainsi à l’opérateur de faire le point sur l’état de ses savoir-faire acquis avec la pratique. Pour les opérateurs les plus expérimentés, la formation a permis de prendre conscience de certains gestes. Mais, il existe certainement bien d’autres moyens d’aboutir à cette prise de conscience. 129 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) Dans cette situation, les marges de manœuvre pour la diversité des gestes sont quasiment nulles. La réalisation des gestes « familiers » est même parfois pénalisée et il n’y a guère de place pour réinvestir l’expérience des gestes. Les savoirs gestuels sont mis à l’écart. Toutefois, cette formation a été aussi l’occasion de pratiques réflexives pour conforter certaines façons de faire ou pour en élaborer de nouvelles. Elles se sont développées suite à l’injonction de produire le « bon geste » qui pouvait être déjà celui pratiqué ou un autre. Dans ce dernier cas, les opérateurs s’entraînent et répètent l’opération prescrite, et cet entraînement peut s’avérer éprouvant. Dans cette situation, l’expérience sert davantage à réaliser l’opération prescrite lors de l’entraînement – comment s’y prendre pour apprendre ? –, alors que selon l’idée initiale de l’entreprise, c’est l’entraînement qui devrait servir à construire des gestes efficients. Situation 2 : les feuilles d’opérations standards dans un atelier tôlerie Dans cette deuxième situation, toujours dans la même entreprise, mais dans un atelier tôlerie cette foisci, les opérateurs disposent d’une plus large autonomie. Cependant, celle-ci reste limitée par la mise en place de feuilles d’opérations standard visant à homogénéiser les pratiques. Même dans cette situation où les marges de manœuvre sont plutôt réduites pour l’élaboration des gestes, l’expérience des gestes se manifeste et se développe. À travers la compréhension, ici, de la construction des façons de manipuler une tôle en lien avec l’expérience de l’opérateur, nous souhaitons montrer son investissement dans la réalisation de ce geste. Les analyses gestuelles ont été menées à partir d’observations et d’entretiens de confrontation basés sur des films de l’activité. La manipulation de la doublure Sur ce poste, les opérateurs chargent une doublure d’un côté de caisse sur un des trois montages d’un tourniquet à trois faces. Ils identifient à chaque cycle la sorte de doublure à charger (quatre possibles), grâce à un afficheur qui indique le type de modèle à assembler. Ils vont chercher la doublure dans un des quatre containers, la portent et la tournent à bout de bras, tout en marchant vers le tourniquet pour la positionner dans le sens du montage. Ce denier comporte trois pilotes auxquels les opérateurs font correspondre trois orifices de la doublure. Les sept opérateurs observés sur ce poste enclenchent la doublure dans le pilote situé en haut à gauche, puis dans les deux autres. Une fois la doublure placée, l’opérateur charge d’autres pièces et appuie sur un bouton pour valider le cycle. Il arrive souvent que le cycle ne s’active pas en raison d’une doublure mal plaquée contre le montage. Sachant cela, les opérateurs observés développent des façons de faire pour réduire le risque de mal plaquer une doublure, mais aussi pour faciliter sa mise en place dans le montage. Ils réalisent des modes opératoires qui leur permettent de réduire le risque de perdre du temps, avec une non-activation du cycle qui les obligerait à en rechercher la cause et rétablir la situation. Nous analysons ici les gestes de trois opérateurs âgés de 23, 32 et 35 ans avec respectivement 5, 5 et 15 années d’ancienneté dans l’usine. On l’a dit, tous commencent par faire correspondre la doublure avec le pilote du haut à gauche puis ajustent avec les deux autres. Ils nous disent qu’ils choisissent cet ordre pour s’assurer que la doublure soit bien collée : « Le pilote du haut à gauche et celui du bas sont les principaux ; c’est des aimants, si la doublure n’est pas bien collée sur ces pilotes et qu’on ne s’en rend pas compte, une lampe clignote et on vérifie les deux pilotes ». Le pilote du haut à gauche semble être l’élément-clé. Bien enclencher la doublure dans ces pilotes grâce à des modes opératoires appropriés leur permet de s’assurer du bon positionnement et d’éviter des ralentissements du flux. D’autres gestes s’associent à ce choix d’ordre, qui sont eux, davantage propres à chaque opérateur, mais qui ont aussi un objectif commun, de s’assurer que la doublure soit bien collée. Par exemple, un des opérateurs parmi les sept observés, exerce une légère pression sur la partie centrale de la doublure avec son genou pour être sûr qu’elle soit bien plaquée et avoir une meilleure maîtrise de la pièce qui est encombrante. Une fois la doublure chargée sur le montage, d’autres, toujours parmi les sept opérateurs observés, utilisent leur main gauche en la posant à plat au niveau du pilote gauche en haut, pour exercer une pression. Les sept opérateurs utilisent aussi des repères visuels pour contrôler la bonne mise en place de la doublure. Certains regardent systématiquement le pilote du haut à gauche. S’ils le voient en entier, c’est un bon indice ; mais s’ils ne le voient qu’à moitié, il faut appuyer davantage. Les opérateurs ont mis en avant l’importance de bien positionner les mains sur la doublure dès le moment de sa prise sur le container pour la déposer ensuite sur le montage. Ce positionnement contribue aussi au ISBN : 978-2-913488-68-4 130 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) « bon collage » de la doublure. Il est source de diversité entre les opérateurs et fait l’objet d’une prescription dans les fiches mentionnant un seul emplacement possible par diversité de pièces. Les opérateurs positionnent leurs mains à des endroits précis sur la pièce pour moins se fatiguer (surtout les bras), pour éviter de se faire mal aux doigts, pour éviter un accident comme la chute de la doublure, et pour faciliter et assurer le chargement de la pièce. Pour atteindre ces objectifs, ils positionnent leurs mains de façon à : • réduire l’écart des bras : «… moi je mets ma main à l’intérieur, je mets pas ma main à l’extérieur. Je n’écarte pas les bras, disons qu’à la longue de la journée… au point de vue ergonomie, c’est quand même plus fatigant d’avoir les bras fort écartés » ; • rechercher l’équilibre de la pièce : « J’ai trouvé l’équilibre des pièces…On prend la pièce, on l’a bien en main,… elle bouge pas, elle part pas dans tous les sens… » ; « le tout c’est de trouver à prendre la pièce d’une façon pas fatigante et puis à trouver l’équilibre » ; • trouver les guides (pilotes) du premier coup « … ben au début, c’est vrai que j’ai eu du mal, la façon de trouver les pièces, trouver les guides et tout ça, ça c’est ce qui a été le plus dur à faire. • trouver les guides, ça veut dire quoi ? • la mettre du premier coup, les pilotes et tout ça. » ; • éviter de se cogner les doigts : « on la prend d’une certaine façon qui nous convient mais quand on arrive dans le montage, il y a aussi, il y a toutes sortes de serrages et de pilotes et si la main est mal placée, on tape la main dans le pilote, donc c’est un risque derrière ; donc à la longue on essaie de trouver une place pour que quand on met la pièce, c’est dégagé ». Bien entendu ces objectifs supposent aussi de dégager des possibilités d’autocontrôle, comme l’utilisation de repères visuels : les guides (pilotes) pour s’assurer du bon chargement de la doublure : « … maintenant je regarde toujours, je mets d’abord mon premier, je regarde toujours mon premier pilote en haut pour voir s’il est bien placé pour s’assurer qu’elle soit bien tenue ». Différents éléments jouent dans le choix d’un positionnement des mains : • La connaissance de son propre corps, de sa force, de sa morphologie : « on connaît sa force physiquement, on sait à peu près, même quand on travaille on sait si on est capable de le porter ou pas » ; « on n’est pas tous de même morphologie… peut-être que lui ça lui va mieux de la prendre comme ça aussi ».. • L’expérience d’un geste qui fatigue, d’un geste perte de temps : « avant je prenais le bras droit en haut et le bras gauche…au passage de roue…je voyais que c’était « chiant » parce qu’on avait les bras tout écartés et après j’ai pris ce système là…ça devenait fatigant ». • La survenue d’un choc ou d’une blessure : « mais après le montage on commence à connaître et c’est là qu’on commence à… c’est vrai que quand vous vous mettez dans un…dans le montage et que vous vous cognez les doigts dans un serrage ou un pilote… ça va pas et donc après on commence à regarder… » ; « c’est toujours avec des petits incidents qui arrivent au fur et à mesure qu’on commence à trouver”. • La chute des doublures : « … la doublure on croyait qu’elle était mise dedans et en fait elle était mise à côté puis elle glissait toujours alors du coup… ». • Un accident arrivé à un collègue : « Ouais parce que F.… malheureusement une fois il a eu la doublure qui a glissé et il a eu des tendons coupés à son pied. (…) C’est comme des lames de rasoirs, si on les prend mal… Parce que moi la façon dont je la prends, elle ne peut pas tomber, je la prends par en dessous et sur le côté tandis que P. quand il la prend, il la prend comme ça (mime), un jour ça va glisser. Comme je fais au moins on est sûr d’avoir une bonne prise pour pas que la pièce elle glisse puis pour bien la manipuler ». Les opérateurs utilisent des gants qui au bout d’un moment sont imbibés d’huile qui recouvre les pièces, le risque au bout d’un moment est que les pièces glissent entre leurs mains. • La découverte d’une façon de faire d’un collègue qui remet en cause sa pratique : « au début je vais chercher quand même à moins me fatiguer et si jamais ça marche pas ma tactique, je regarde par rapport à d’autres » ; «(par rapport à son changement de positionnement des mains)… en copiant je crois… je crois que c’était XXX qui devait le faire, eux ils sont déjà plus petits que nous donc… ils ont déjà les premiers gestes tout de suite eux » ; « on s’est vu comment on prenait (la doublure) quoi et c’est comme ça que c’est venu quoi ». 131 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) • L’expérience professionnelle, au sens de parcours : il s’agit de métiers antérieurs, en l’occurrence celui de déménageur, activité qui a permis à un opérateur de transférer certains conseils quant aux ports de charges : « ils m’ont donné des bons conseils pour pas avoir mal au dos et tout ça » tels que : -- éviter de chercher le gros effort tout de suite ; -- « si on porte une charge et puis qu’on se courbe, tôt ou tard on se casse les reins, on peut avoir un claquage, et des hernies peuvent se mettre entre deux vertèbres et puis le corps lâche et ben ça fait mal » ; -- répartir la force en fonction de la charge à porter : « Ils répartissent mal leur force », précise un opérateur au sujet de la façon de porter la doublure, parce qu’il pense qu’il faut répartir la force dans le corps quand il y a beaucoup d’effort à faire, mais qu’il ne faut pas la répartir quand il n’y a que peu d’effort. Il évalue la charge de la doublure comme légère. Dans cette situation, les marges de manœuvre pour la diversité des gestes existent mais sont restreintes. Le travail est répétitif et la production organisée en flux tendu. L’organisation du travail offre peu de place au contrôle de l’opérateur sur sa situation. La mise en place des fiches renforce cette volonté de réduire la diversité des pratiques sur les postes de travail. Cependant, nos observations montrent que même fortement contrainte, la diversité gestuelle perdure. Les fiches prescrivant un seul « bon geste », ne sont pas respectées (si ce n’est lors des audits). Les opérateurs manifestent leur autonomie car la hiérarchie de proximité jugerait contre-productif d’exercer un contrôle scrupuleux du respect des fiches. Nos analyses montrent qu’il y a élaboration des gestes. L’expérience sert, dans ce contexte, à maintenir son activité en atténuant les douleurs, la fatigue. La répétitivité de l’action conduit l’opérateur à réfléchir, à créer des stratégies gestuelles pour augmenter son champ des modalités possibles d’action, dans lequel la protection de la santé prend une place importante. Dans ce contexte de marges de manœuvre réduites, les pratiques réflexives sur l’élaboration des gestes portent majoritairement sur la préservation de la santé, l’atténuation de la douleur et de l’usure. Mais leur mise en œuvre n’a lieu qu’à certains moments. En effet, nous avons constaté des entraves à la construction des gestes et à la réflexion sur la pratique. En particulier, les contraintes de rythme laissent peu d’occasions de « faire autrement », de rechercher d’autres gestes. Cette dépendance empêche la mise en œuvre de certains principes de base relatifs à l’atténuation de la douleur comme « répartir la force dans tout le corps » et « rechercher divers points d’appui ». Cela génère d’une part, des douleurs et des fatigues musculaires notamment dans les bras et, d’autre part, de l’énervement et de la démotivation parce que l’opérateur a conscience de se faire mal et qu’il n’a pas d’emprise sur sa façon d’agir. Discussion : l’impossible transcription des gestes dans les procédures Ce travail contribue à remettre en cause les outils prescripteurs dans leur conception. Ils sont éloignés de la réalité du travail, car il s’agit de situations de travail où l’articulation entre les connaissances générales (scientifiques, technologiques, organisationnelles) détenues notamment par les organisateurs du travail qui permettent d’anticiper les situations de travail par le calcul (qui conduisent à la conception des outils prescripteurs en question) et les connaissances spécifiques, c’est-à-dire les compétences (notamment gestuelles) détenues et élaborées par les travailleurs pour faire face dans la réalité du travail, aux aléas, à la variabilité et prendre soin des situations, est largement déséquilibrée en faveur des connaissances générales. Autrement dit, le fait que la variabilité, et les ajustements construits par les travailleurs pour y faire face, soient méconnus ou sous-estimés, conduit classiquement à des difficultés de réalisation du travail avec des conséquences en termes d’efficacité productive, de qualité et de santé (Daniellou, 2010). À partir de ce décalage observé dans cette recherche, deux axes peuvent être mis en discussion et en perspective : le premier concerne le sens de la prescription des gestes et le second, le rôle de la maitrise de proximité dans ce dispositif prescripteur pour faire remonter les informations de la réalité, autrement dit les connaissances spécifiques. Le sens de la prescription des gestes ? Dans les deux situations les opérateurs résistent en élaborant des gestes de travail parfois en désaccord avec les procédures prescrites. Mais la question qui demeure est le coût en termes de santé de cette résistance et la durée pendant laquelle ils pourront encore résister, si au sein de l’entreprise un débat ISBN : 978-2-913488-68-4 132 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) sur les marges de manœuvre et le sens de la prescription gestuelle n’a pas lieu. Ce débat s’est enclenché avec, notamment cette recherche, sur le thème : « où placer le curseur de la prescription ?», en ayant à l’esprit toute la complexité des gestes mis en œuvre par les opérateurs et exposés suite à nos analyses. Ce travail a permis de discuter ouvertement des méfaits d’une standardisation à outrance, auprès de divers interlocuteurs de l’entreprise. Ces réflexions se poursuivent. Une veille attentive d’un certains nombres d’acteurs — au sein même de l’entreprise, dans le champ de l’ergonomie et de l’ingénierie — des conséquences des évolutions du travail et de son organisation sur les opérateurs et leur santé est à l’œuvre. Ce dispositif prescripteur ne tient guère compte du bien-être de l’opérateur. Il a pour but d’assurer de meilleures performances en matière de temps de production et de qualité, ce que nous n’avons pas pu vérifier. Nous avons indiqué quelles modalités de mise en œuvre d’un dispositif de prescription pourraient, selon nos observations, contribuer, sinon à améliorer la prise en compte des enjeux de santé, au moins à détériorer le moins possible la situation dans ce domaine. La question qui se pose est de ne pas renforcer malencontreusement les restrictions à la diversité des modes opératoires possibles et donc : • de fournir aux prescripteurs les moyens, en temps et en formation, qui leur permettent de comprendre les causes de diversité dans l’activité des opérateurs sur un même poste, pour respecter, au moins partiellement et de façon pertinente, cette diversité ; • de privilégier les prescriptions « justifiées », celles pour lesquelles un enjeu de qualité ou de sécurité est bien établi et explicable aux opérateurs ; • de ne pas, dans ce double but, et de façon générale, inciter à la rédaction de fiches détaillées en tous points, ni ensuite au respect absolu de tous ces points sans référence à leur importance : dans l’usage des fiches également, une certaine hiérarchisation des obligations semblerait légitime. Ce travail confirme le rôle actif des opérateurs dans la construction des gestes et permet d’amorcer une compréhension de leur rationalité dans cette construction. Cette rationalité est propre à chacun, mais certains résultats constituent une première ébauche dans l’identification de principes sous-jacents aux gestes, communs à plusieurs opérateurs et transversaux à plusieurs situations (Vézina et al, 1999). La mise à jour de cette rationalité (celle de l’opérateur) permet de discuter celle de la sur-prescription. En recherchant les conditions de construction de ces gestes, en particulier ceux qui peuvent être communs aux opérateurs expérimentés et transversaux d’une situation à l’autre, il deviendrait possible de les « mutualiser » parmi les opérateurs, et de les enseigner aux moins expérimentés. Considérer ainsi la construction des gestes pourrait encourager les entreprises à envisager la diversité des procédures comme une ressource pour la prévention du bien-être voire de la santé au travail, et en particulier celle des TMS. Elles pourraient mieux apprécier les risques pour la santé que paraît comporter une limitation forcée des procédures, avec le recours à la standardisation des pratiques centrée sur les techniques de travail. Lors de la restitution de ces résultats au sein d’un groupe de travail constitué au niveau du site, mais aussi auprès de gestionnaires en direction centrale, nous avons pu débattre de la notion de « marges de manœuvre », et du degré de prescription des gestes : « Où placer le curseur de la prescription ? », tout en ayant à l’esprit la complexité des gestes mis en œuvre par les opérateurs et telle qu’exposée à travers la genèse de certains gestes des tôliers. Le rôle de la maitrise de proximité dans la prescription des gestes Une autre partie de notre travail a consisté à réaliser des analyses de l’activité de conception des fiches d’opérations par les chefs d’équipe qui ont à charge cette tâche. Nous souhaitons mettre en perspective cet élément qui ne fait pas l’objet directement de cet atelier mais qui, selon nous, contribue à porter la question de l’action et de la transformation. La question qui peut être posée est de savoir si les chefs d’équipe, au cœur du dispositif pour concevoir les fiches d’opérations, qui théoriquement partent de l’observation des opérateurs pour prescrire le meilleur mode opératoire qu’il faut ensuite enseigner et faire respecter à tous les opérateurs, peuvent constituer des leviers pour faire remonter des éléments de la réalité du travail. La compréhension de leur activité de travail et de l’activité de conception des fiches met en évidence un contexte qui ne facilite pas et ne permet pas cette remontée d’informations. Du coup, l’écart entre la réalité du travail et les outils de gestion se creuse. Plusieurs éléments explicatifs à ce fait et non exhaustifs : Tout d’abord, les chefs d’équipe font face à des injonctions descendantes en matière de conception des fiches qui méconnaissent la réalité du travail et qui ne laissent pas de marge à la maîtrise pour tenir compte et adapter les outils à la réalité. Par exemple, ils 133 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 4 Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS) n’ont pas le droit de mettre des « ou » dans la rédaction d’un mode opératoire. De même la formation des chefs à la standardisation du travail est centrée sur cette inculcation à l’esprit de la bonne façon de faire, l’idée que le bon geste existe… des principes que les chefs ne peuvent pas remettre en cause. Un second élément qui ne facilite pas la remontée d’information issue de la réalité du terrain relève de la méfiance des opérateurs à révéler leur savoir-faire. Les opérateurs cachent leur geste, leur truc de métier dès qu’ils sont observés, par crainte d’une intensification du travail qui se traduirait par un ajout d’opération. Un dernier élément explicatif concerne la difficulté à mettre en mot les gestes professionnels. Lors de la restitution, certains acteurs de l’entreprise ont pris conscience de la charge de travail des chefs d’équipe ; ils ont aussi admis les difficultés à choisir un seul mode opératoire et à arbitrer sur le degré de détail et de précision dans la formulation de la procédure. Et surtout, ils ont pris connaissance, et pris acte pour certains, de l’écart entre le prescrit de la standardisation, dans sa conception japonaise, et la réalité de son application sur le terrain. Cet écart concerne tant la méthode de conception des fiches que les effets escomptés. Bibliographie Berthoz, A. (1997). Le sens du mouvement. Ed. Odile Jacob. Paris. 345p. Berthoz, A. (1998). Le secret du geste : l’anticipation. Sciences et Vie (Hors Série). Le cerveau et le mouvement. 68-76. Bourgeois F., Lemarchand C., Hubault F., Brun C., Polin A., Faucheux J.M. (2000). Troubles musculosquelettiques et travail -quand la santé interroge l’organisation. Collection Outils et Méthodes. Ed. ANACT. Chassaing, K. (2006). Elaboration, structuration et réalisation des gestuelles de travail : les gestes dans l’assemblage automobile, et dans le coffrage des ponts d’autoroute. Thèse, Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris. Chassaing, K. (2010). Les « gestuelles » à l’épreuve de l’organisation du travail : du contexte de l’industrie automobile à celui du génie civil. Le travail Humain, 73, 163-192. Canguilhem, G. (1984/1966) Le normal et le pathologique. In la connaissance de la vie. Vrin, Paris. Clot, Y (1999a). Expérience et développement de l’expérience. In Age, expérience, et efficacité au travail. Actes du séminaire Vieillissement-Travail. CREAPT / EPHE. Paris. Clot, Y. (1999b). La fonction psychologique du travail. Paris : PUF. Clot, Y. (2001). La santé à l’épreuve du travail. In Journées d’études Isères – CGT : Intensité du travail et santé quelles recherches, quelles actions ? L’Harmattan. pp.43-53. Daniellou, F. (2010). Davezies, P. (1993) Eléments de psychodynamique du travail. Education Permanente, n°116. Dejours, C. (1995). Comment formuler une problématique de la santé en ergonomie et en médecine du travail ? Le travail humain. n°58-1. Détienne, M. ; Vernant, J.P. (1989). Les ruses de l’intelligence, La métis chez les grecs. Paris. Flammarion. Dubois, D., Klumpp, N., Morel, M-A. (2002). « Geste, mouvement, action. Analyse lexicale et sémantique des concepts ». In Bril, B., Roux, V. (Dir.) Le geste technique. Réflexions méthodologiques et anthropologiques. Erès Editions. Pezé, M. (2002). Le deuxième corps. La Découverte. Vézina N., Prévost J., Lajoie A., Beauchamp Y. (1999). Elaboration d’une formation à l’affilage des couteaux : le travail d’un collectif, travailleurs et ergonomes. PISTES, Vol. 1, n°1, Novembre--Recherche. ISBN : 978-2-913488-68-4 134 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 5 Synthèses Session 5 Synthèses 135 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 5 Synthèses Synthèse 7e Congrès international sur la prévention des troubles musculosquelettiques liés au travail (Premus 2010) Yves Roquelaure Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en santé au travail (Leest, EA 4336) Université et CHU d’Angers (France) Annette Leclerc Institut national de la santé et de la recherche médicale 1018 (Inserm) (France) L e congrès Premus 2010 (Seventh International Scientific Conference on Prevention of Work-Related Musculoskeletal Disorders) s’est déroulé, après Boston en 2007, à Angers du 29 août au 2 septembre 2010. Il s’agit du principal congrès international sur les TMS qui regroupe tous les trois ans, sous l’égide de l’International Commission of Occupational Health (ICOH – CIST), les meilleurs spécialistes mondiaux du sujet (biomécaniciens, physiologistes, épidémiologistes, médecins du travail, ergonomes, préventeurs, cliniciens, psychologues, sociologues, spécialistes de gestion, etc.). Plus de 650 chercheurs et préventeurs de 40 pays ont participé à ce congrès scientifique de haut niveau qui tient aussi lieu de forum international pour les acteurs de la prévention des TMS des membres et du rachis. Premus 2010 a fait le point sur les connaissances scientifiques les plus récentes, sur la physiopathologie, l’épidémiologie et la prévention des TMS lors de 22 symposiums, 25 sessions ouvertes et 7 présentations invitées. Cette année, l’accent a été mis sur les interventions en entreprise et les stratégies de maintien en emploi et de retour au travail compte tenu des retombées pratiques envisageables en termes de santé publique et pour les entreprises. Plusieurs membres du groupe de recherche francophone sur les TMS ont présenté des conférences introductives (Nicole Vézina, François Daniellou) et animé des sessions thématiques axées sur l’intervention de prévention. Des mécanismes mieux connus Les communications ont présenté les avancées sur les mécanismes physiologiques en jeu dans la survenue du syndrome du canal carpien (David Rempel) et des principaux TMS, ainsi que les mécanismes de la douleur, de la fatigue musculaire et le rôle du stress dans la survenue des douleurs musculaires. Une étude américaine a montré, grâce à un modèle animal du syndrome du canal carpien, que la réduction de l’hypersollicitation réduit les anomalies morphologiques et fonctionnelles des cellules nerveuses. Cet « essai thérapeutique » chez l’animal apporte une preuve importante de l’efficacité possible des interventions de prévention. Eira Viikari-Juntera a montré, sur la base des travaux épidémiologiques de l’Institut finlandais pour la santé au travail (FIOH), le rôle conjoint des facteurs de risque individuels et des facteurs de risque professionnels de lombalgie. Plusieurs revues de synthèse de la littérature scientifique ont montré que des facteurs individuels interviennent dans les TMS du cou, des membres supérieurs et du rachis, mais que la plupart des facteurs modifiables par la prévention sont des facteurs liés aux conditions de travail. Il s’agit donc de l’axe principal d’action pour prévenir les TMS. Le rôle des facteurs génétiques qui prédisposent aux TMS a également été discuté lors du congrès. Les effets du travail sur écran et de l’usage intensif de l’ordinateur ont été rappelés, avec un développement important sur l’usage des « nouvelles technologies », y compris leur usage par les jeunes et les enfants. Les TMS, un phénomène mondial Les communications émanaient de près de 37 pays, ce qui montre la mondialisation du « phénomène TMS » qui affecte maintenant les pays asiatiques, sud-américain ou maghrébins récemment industrialisés ou en voie de développement. Citons des travaux portant sur des métiers ou secteurs aussi variés que l’industrie du vêtement en Indonésie, du tapis en Tunisie, les travailleurs du métro en Corée, les musiciens ISBN : 978-2-913488-68-4 136 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 5 Synthèses de musique classique au Danemark et les joueurs d’instruments à percussion, les travailleurs de « call centers » au Brésil, les travailleuses du nettoyage des chambres dans les hôtels américains ou les ouvriers du conditionnement des crabes au Canada. Des méthodes et des approches comparables entre pays Les communications sur l’évaluation des expositions professionnelles de la population permettant une surveillance adaptée ont montré la convergence des approches, sur le plan de la méthodologie et des résultats, conduites dans la plupart des pays. L’évaluation des expositions professionnelles et les liens avec les TMS dans des professions et secteurs particulièrement touchés par les TMS, comme la construction, la santé, l’industrie textile et l’agriculture, a fait l’objet de présentations montrant que les mêmes métiers et les mêmes expositions sont « causes » de TMS dans différents pays. Premus 2010 confirme la dimension mondiale des TMS et la convergence des approches préventives. Des stratégies d’intervention mieux codifiées et mieux évaluées De nombreuses présentations portaient sur les interventions et les actions susceptibles de réduire les expositions professionnelles et d’améliorer la santé. Ceci recouvre des « visions » d’ensemble et des bilans sur « ce qui marche », et aussi des expériences originales, à l’échelle d’une entreprise ou d’un secteur spécifique, expériences qui pourraient être reproduites ailleurs. Concernant des approches globales ou synthétiques, Babara Silverstein, s’appuyant à la fois sur l’expérience du comté de Washington (USA) et sur une connaissance large de ce secteur de recherche, a été invitée à développer une question importante, « comment passer de la théorie à la pratique », et comment et en quoi les connaissances issues de la recherche sur les effets des expositions professionnelles se traduisent en actions de prévention. Birgit Blatter a présenté l’état d’avancement d’un projet européen portant sur l’intérêt et la faisabilité de modifications de la législation européenne concernant les expositions à des facteurs de risque de TMS ; d’autres communications portaient sur les stratégies nationales de prévention dans des pays aussi différents que la Corée, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis. Une conférence invitée (Benjamin Amick, US) et plusieurs interventions ont été consacrées aux dimensions économiques de la prévention des TMS, ce qui souligne l’importance croissante des approches de type coût – efficacité de la prévention et, plus généralement, de l’évaluation des actions de prévention. Des salariés acteurs de la prévention Les approches participatives, où les salariés sont aussi les acteurs de la prévention plutôt que de se voir imposer des « bonnes solutions » par des experts, ont fait l’objet d’une synthèse générale avec la participation de nombreux chercheurs francophones. Les conférences de Nicole Vezina et François Daniellou ont montré les liens entre l’organisation du travail et les TMS et l’importance que jouent dans leur prévention les marges de manœuvre dont pourraient disposer les travailleurs pour faire face aux contraintes de leur travail. Des expériences assez nombreuses et originales conduites en France et au Québec ont été positivement accueillies, ce qui souligne la vitalité et la reconnaissance croissante au niveau international de l’approche organisationnelle et participative des TMS. Des interventions « à petite échelle » qui peuvent servir de modèles Concernant des interventions d’ergonomie de correction menées dans des entreprises ou des secteurs professionnels spécifiques, un congrès tel que Premus est l’occasion, pour de nombreux acteurs de terrain, de présenter une action « qui marche » ou de réfléchir sur leur bilan, ce qui ne peut qu’encourager d’autres acteurs de terrain à se lancer dans l’action. Les initiatives sont nombreuses et variées : utilisation 137 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 5 Synthèses de chariots adaptables pour la manutention dans le secteur de l’épicerie à Porto Rico, râteau ergonomique pour le ramassage des myrtilles aux États-Unis, lunettes facilitant le travail des dentistes, prévention des TMS dans la construction automobile en France, etc. En complément, la question de l’évaluation des interventions de prévention des TMS en milieu de travail a fait l’objet d’assez nombreuses présentations. En effet, cette question « ne va pas de soi » car toute intervention n’est pas « automatiquement bénéfique », et il est nécessaire de comprendre ce qui fait qu’une intervention marche bien ou non (Fabien Coutarel, Diane Berthelette), notamment l’implication des différents acteurs dans et autour de l’entreprise (Sandrine Caroly). Il ressort qu’au fil des années les stratégies d’intervention et d’évaluation s’améliorent et que dans certains domaines, on « sait ce qu’il faut faire » pour réduire les expositions professionnelles, et « ce qu’il faut faire » pour qu’une intervention marche bien. La prise en charge de personnes souffrant de TMS et les conditions favorables au retour au travail ont été un autre grand thème du congrès Premus, conjointement avec son congrès satellite WDPI consacré à la prévention et au retour au travail des personnes souffrant de handicap. La conférence invitée de Philippe Mairiaux a fait le point sur ce que les services de santé au travail peuvent (ou devraient pouvoir) proposer aux lombalgiques chroniques identifiés dans la population en activité. Revenir au travail, rester au travail, ne dépend pas que de l’état de santé Plusieurs revues de synthèse ont montré que les interventions multidimensionnelles, associant réadaptation et modification des conditions de travail, sont les plus efficaces pour favoriser le retour au travail des salariés souffrant de TMS ou de lombalgies. Ces actions favorisant le retour précoce au travail sont de plus en plus fréquentes en Amérique du Nord et en Europe. Les travaux montrent que leur efficacité ne dépend pas seulement du contenu de la réadaptation et de l’intervention ergonomique, mais aussi de l’environnement socio-économique et réglementaire. Ainsi, Jean-Baptiste Fassier a évoqué le contexte institutionnel qui facilite ou non une prise en charge adéquate de lombalgiques chroniques et l’application en France des modèles de retour thérapeutique au travail mis au point au Québec par Patrick Loisel et des collègues. Que la conférence Premus se soit tenue cette année à Angers est une reconnaissance de la qualité des travaux francophones sur les TMS qui, depuis de nombreuses années, développent une approche pluridisciplinaire et participative de la recherche et de la prévention des TMS. Ce congrès est une opportunité pour la prévention des TMS en France, grâce au renforcement des liens des chercheurs et préventeurs avec des équipes étrangères, la coordination avec des projets internationaux ainsi que les encouragements à conduire et à faire connaître des expériences locales innovantes. ISBN : 978-2-913488-68-4 138 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention 139 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Normes, législation, outils, valeurs limites, mesures… Pour mieux prévenir les TMS ? Influence de la réglementation, des normes, des valeurs limites, des outils, des chiffres… Pour mieux prévenir les TMS ? Alain Piette Service public fédéral Emploi, travail et concertation sociale DG Humanisation du travail Direction de la recherche sur l’amélioration des conditions de travail (Belgique) Introduction A u cours de ces 20 dernières années, la problématique des troubles musculosquelettiques (TMS) a continué à se développer dans les entreprises. Les résultats récents de la dernière enquête sur les conditions de travail en Europe (Eurofound, 2010) montrent que les travailleurs sont exposés en nombre très important et croissant à des contraintes physiques : pendant plus d’un quart du temps de travail, 63% sont exposés à des mouvements répétitifs des mains et des bras (pour 56% en 2000 et 62% en 2005), 47% sont exposés à des postures fatigantes et douloureuses, 33% portent des charges lourdes et 23% sont exposés à des vibrations. La publication des résultats complets est en cours au niveau de l’Europe mais les données brutes disponibles pour la Belgique montrent que 44% des 4000 travailleurs belges ont eu des maux de dos durant les 12 derniers mois, 40% des douleurs musculaires dans les membres supérieurs et 27% dans les membres inférieurs. Vu l’évolution des TMS et leur importance, il n’est donc pas étonnant que la Commission européenne ait inscrit dans sa stratégie communautaire 2007-2012 la prévention des TMS tout comme celle des risques psychosociaux (RPS) parmi les principaux défis en matière de santé et de sécurité au travail. En parallèle, les trois premiers objectifs en matière de stratégie concernent la législation. Ils se déclinent ainsi : garantir la bonne mise en œuvre de la législation de l’UE, soutenir les PME dans la mise en œuvre de la législation en vigueur ; adapter le cadre juridique à l’évolution du monde du travail et le simplifier, en ayant notamment à l’esprit les PME. La stratégie communautaire insiste également sur le coût économique en matière de santé et de sécurité qui inhibe la croissance économique et affecte la compétitivité des entreprises. Confrontés à l’importance de ces problèmes de TMS mais aussi de RPS, les décideurs de l’entreprise recherchent des solutions ”toutes faites” et se tournent en premier lieu vers la législation pour d’une part, vérifier qu’ils respectent bien leurs obligations légales et, d’autre part, initier des pistes de solutions. Ensuite, ils recherchent des outils et des normes pour les aider à faire de la prévention, assortis de critères et de valeurs limites leur permettant de se situer face à cette problématique. Enfin, ils veulent savoir jusqu’où aller dans la prévention par rapport à ce que la législation exige. L’objectif du présent article est de porter un regard critique sur le rôle et l’impact de la NORME au sens le plus large (législation, normes, procédures, valeurs limites…) sur la prévention des TMS mais aussi des RPS puisque ces deux problématiques ont de nombreux points communs qui remettent en question la façon dont la prévention est pensée et organisée dans nos entreprises. Dans cette réflexion, il faut naturellement englober la discussion sur les méthodes et les outils développés pour aider les acteurs des entreprises à se mettre en conformité et respecter cette norme. La prise en compte du rôle des différents acteurs dans l’appropriation de ces outils est primordiale. ISBN : 978-2-913488-68-4 140 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le cadre réglementaire : l’analyse des risques Le cadre réglementaire européen en matière de prévention des risques professionnels se base sur la directive-cadre du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Les principes fondamentaux de celle-ci sont notamment de déterminer la prévention sur la base de l’analyse des risques et de fixer des objectifs à atteindre par les employeurs et non plus des moyens humains ou méthodologiques à mettre en place. Cette directive-cadre sert de base à des directives particulières dont celle sur la manutention des charges (90/269/CE) et celle sur le travail avec écran (90/270/CE) qui composent la base légale en matière de prévention des TMS dans la plupart des États membres de l’Union Européenne. Les directives économiques sur la libre circulation des produits ont aussi un impact sur les risques professionnels. Ainsi, la directive machine 2006/42/CE impose des exigences essentielles de sécurité de portée générale lors de la conception et de la construction de machines et renvoie le fabricant vers une multitude de normes harmonisées pour l’aider à faire la preuve de la conformité de sa machine. On retrouve ainsi plus de 650 normes dont de plus en plus de normes ayant un impact sur les TMS : vibrations, performances physiques (manutention, postures, forces…). En marge des discussions et des conférences sur la nouvelle directive machine 2006/42/CE, un groupe de travail international s’est d’ailleurs constitué pour pallier le manque de communication entre les ergonomes et les fabricants de machine. Un des objectifs principaux est le développement d’explications sur les principes ergonomiques repris au point 1.1.6 de l’annexe de la directive, annexe portant sur les exigences essentielles en matière de santé et de sécurité. Une plateforme d’information et d’échange, ERGOMACH (www.ergomach.eu), a ainsi vu le jour en 2010. La réglementation fixe donc des objectifs à atteindre et renvoie régulièrement vers des normes pour aider les entreprises à les atteindre. Cependant, l’utilisation des normes pose plusieurs problèmes dont le premier est leur accessibilité. Toutes les normes sont payantes, ce qui est une contrainte importante, notamment pour les PME. C’est, par exemple, une des principales raisons en Belgique pour lesquelles les partenaires sociaux émettent des avis négatifs sur des nouveaux textes de loi faisant référence à des normes. Par ailleurs, les normes ne sont pas compréhensibles par tout un chacun et requièrent souvent l‘appui d’un spécialiste, rarement présent dans les PME. Mon expérience et les échanges avec mes collègues ergonomes Belges et Européens confortent l’impression que les normes sont souvent méconnues des spécialistes eux-mêmes et sont donc très peu utilisées, alors qu’elles contiennent des informations et des outils utiles pour les acteurs de la prévention. En 2004, la Commission européenne a publié un rapport sur la mise en œuvre de la directive-cadre et de directives particulières dont la directive sur la manutention des charges (90/269/CE) et la directive sur le travail avec écran (90/270/CE) mentionnées plus haut. Ce rapport souligne les difficultés à mettre en place la réglementation en matière de santé et de sécurité dans les PME en raison de certaines caractéristiques dont la forte rotation du personnel, la variabilité des conditions de travail et une structure organisationnelle informelle impliquant que le responsable et le gérant prennent en charge tous les aspects de la gestion : ventes, commercialisation, finances, production, ressources humaines, contrôle des stocks et aussi la santé et la sécurité qui sont fréquemment perçues davantage comme de coûteuses obligations plutôt que comme des aspects d’une saine gestion. Contrairement aux grandes entreprises, leur histoire est moins longue et comprend de rares antécédents en matière d’accidents du travail. Mais si un accident survient, il touche souvent un travailleur qui est un ami, un parent ou un maillon indispensable au bon fonctionnement de la PME. Cet accident peut donc aussi compromettre la survie même de l’entreprise. Ces caractéristiques des PME expliquent que l’analyse des risques y est peu réalisée : elle concerne seulement 25% des entreprises en Belgique et en France. Il existe donc une énorme différence entre la théorie (cadre et structures légales) et la pratique du terrain. Dans ce même rapport de 2004 de la CE, des propositions ont été émises pour aider les entreprises et notamment les PME : simplifier la législation (directives obsolètes), mieux faire appliquer les directives dans les PME, donner accès à l’information et à une aide aux employeurs et aux travailleurs, faciliter l’accès (coût) et la collaboration avec les services de prévention externes, mettre en place une stratégie de prévention efficace avec la participation de tous et notamment des travailleurs, intégrer la gestion de la santé et de la sécurité dans la gestion globale des entreprises. 141 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Une nouvelle directive européenne sur les TMS ? Dans le cadre de la simplification de la législation européenne, la Commission européenne souhaite élaborer une nouvelle directive TMS qui engloberait les directives « manutention manuelle » et « travail sur écran » déjà citées. Le débat de l’impact de la réglementation sur la prévention des TMS est donc bien d’actualité. À la suite des résultats de l’étude d’impact demandée par la Commission européenne (TNO rapport 2009), celle-ci a réuni en 2009 un groupe tripartite avec des représentants des employeurs, des travailleurs et des gouvernements et un groupe d’experts. Ces deux groupes se sont rencontrés plusieurs fois pour aider la Commission européenne à développer un projet de directive qui a été soumis au comité consultatif pour la sécurité et la santé au travail fin 2009. Le comité a demandé à la Commission européenne de poursuivre ses travaux. En 2011, une seconde étude d’impact sera menée et les deux groupes se sont à nouveau réunis. Au-delà du développement de cette nouvelle directive, les discussions au sein de ces deux groupes montrent, au travers des divergences entre experts, toute la difficulté mais aussi l’ampleur du travail à accomplir pour mener à bien une prévention efficace des TMS. Alors que tous les experts ont le même objectif de réduire les TMS, les modalités proposées pour y parvenir, notamment au moyen d’un nouveau texte législatif, sont multiples et souvent contradictoires. C’est pourtant de cette diversité et de la richesse des débats que la réflexion doit se nourrir pour proposer des pistes de prévention. Voici quelques éléments de réflexion abordés dans le cadre de cette nouvelle directive : • La simplification législative ne signifie pas seulement la fusion de deux directives mais doit aussi se traduire par des définitions précises, une structure limpide et une clarification des dispositions. • Beaucoup d’acteurs, internes ou externes à l’entreprise, spécialistes ou non en matière de prévention, parlent d’ergonomie mais avec des définitions ou une prise en compte qui différent d’un État membre à l’autre. Pour les Pays anglo-saxons du nord de l’Europe, l’ergonomie concerne plutôt la prise en compte des dimensions physiques et de la manutention des charges dans l’adaptation d’un poste de travail. Pour les Pays francophones et du sud de l’Europe, l’ergonomie est plus axée sur les aspects cognitifs et l’organisation du travail. En Belgique, on retrouve cette distinction entre le nord et le sud du Pays. Or l’ergonomie est bien l’adaptation de toutes les composantes du travail (physiques, cognitives, organisationnelles) au travailleur. Et pour une prévention efficace des TMS, seule une approche ergonomique globale, participative et structurée peut être réellement efficace. Les annexes 1 et 2 du projet de directive traduisent très bien cette approche. Il est donc important de ne plus parler de ”risques ergonomiques” qui n’ont pas de sens au regard de la définition de l’ergonomie et de réserver le terme « ergonomique » à la démarche de prévention. C’est la raison pour laquelle la nouvelle directive TMS aura un titre en lien avec les TMS et non avec les risques ergonomiques comme proposé au départ. • Cette vision globale de la prévention des TMS entraîne logiquement la prise en compte notamment des risques psychosociaux qui jouent un rôle important dans l’apparition, le développement et le passage à la chronicité des TMS. Mais cela explique aussi les réticences du groupe d’intérêt « employeur ». Aucune directive sur les facteurs psychosociaux ne figure à l’agenda et seul un accord-cadre européen sur le stress et le harcèlement moral a été conclu. Les employeurs craignent donc qu’on ne fasse entrer, via la directive TMS, des facteurs de risque psychosociaux qui n’ont pas été introduits dans la législation par ailleurs. • Il existe une forte demande des entreprises et notamment des PME pour disposer d’un outil ou d’une méthode leur permettant de réaliser l’analyse des risques de TMS. Initialement, la Commission européenne a voulu imposer une analyse des risques à deux niveaux, dont une simplifiée pour d’abord dépister les entreprises à risque de TMS. Elle souhaitait aussi développer avec le groupe d’experts un outil européen pour ce dépistage qui aurait figuré dans une annexe de la future directive. Ces deux projets d’analyse simplifiée et d’outil imposé par la législation ont rapidement été abandonnés pour les raisons suivantes : -- que signifie réellement, et notamment au niveau juridique, une analyse des risques simplifiée par rapport à une analyse complète ? ISBN : 978-2-913488-68-4 142 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention -- imposer un outil européen revient à « tuer » tous les outils développés dans tous les États membres car les entreprises voudront utiliser le seul outil repris dans la directive de façon à être en conformité avec la loi. Une tendance semblable s’est dessinée lorsque les inspecteurs du travail ont mené des campagnes de prévention des TMS dans les entreprises avec leur outil européen. Pour être en ordre avec l’inspection et donc la législation, les entreprises ont voulu utiliser cet outil européen avec lequel elles avaient été inspectées. Mais un outil d’inspection n’est pas forcément l’outil dont a besoin l’entreprise pour réaliser son analyse des risques et surtout pour rechercher et mettre en place des mesures de prévention ; -- proposer un outil européen unique ne constitue pas une réponse adéquate pour les entreprises qui ont plutôt besoin, pour lutter contre les TMS, d’un ensemble d’outils adaptés notamment à la culture de prévention du pays, à la taille de l’entreprise et au secteur d’activité de celle-ci. Tous ces outils doivent aider à mettre en place une véritable démarche ergonomique en s’intégrant dans une réelle stratégie de prévention des TMS à long terme. C’est ainsi qu’il existe des outils pour dépister les facteurs de risque (check-lists), des outils pour évaluer l’ampleur des conséquences (questionnaires), des outils pour rechercher des solutions, avec la participation des travailleurs… ; -- lorsqu’une check-list de dépistage des TMS a été proposée, très rapidement, tous les autres experts ont indiqué que tous les travailleurs étaient concernés par les critères de cette check-list, compte tenu de l’origine multifactorielle des TMS. Il a donc été conclu qu’il était inutile de vouloir dépister les travailleurs à risque compte tenu de l’ubiquité du risque de TMS. • Il a été admis que des valeurs limites ne feraient pas partie de la directive proposée, étant donné qu’il n’existe aucun consensus sur les valeurs limites pour les facteurs de risque des TMS. Le problème de la valeur limite, par exemple dans la manutention de charge, est que le poids de la charge, même s’il est très important, n’est pas le seul critère à prendre en compte pour évaluer le risque pour la santé du travailleur. La norme internationale ISO 11228-1 relative à la manutention manuelle de charge spécifie ainsi des valeurs limites en fonction de la fréquence de manutention par minute et en fonction de la durée de la manutention. Ces valeurs limites varient de 5 à 25 kg. Par conséquent, il s’avère difficile d’imposer des valeurs limites absolues qui laisseraient entendre, à tort, que par exemple en dessous de 25kg, tout est en ordre et qu’aucune prévention n’est nécessaire. Il convient donc que chaque employeur prenne des mesures de prévention en fonction de l’analyse des risques auxquels sont exposés ses travailleurs. Cependant, l’absence de valeurs limites peut rendre plus difficile la gestion du risque de TMS par les acteurs de la prévention. En matière de bruit ou de vibrations, des valeurs limites claires ont été définies et permettent à l’employeur d’évaluer sa situation par rapport aux exigences législatives, à partir de mesures d’exposition. De même, l’inspecteur peut contrôler plus facilement la conformité de l’entreprise vis-à-vis de la loi et le dialogue social avec les représentants des travailleurs peut être arbitré sur la base de ces valeurs limites. Bien entendu, il faut tenir compte du coût des mesurages, du faible nombre de spécialistes disponibles, de la représentativité de ces mesurages en marge de l’évolution et de la fluctuation des conditions de travail et d’exposition…Trop souvent l’entreprise passe plus de temps et dépense plus de moyens humains et financiers pour la mesure que pour la recherche et la mise en place d’actions améliorant les conditions de travail. Des outils mais dans quel but ? Que ce soit par obligation réglementaire ou dans le but d’agir efficacement pour prévenir les TMS dans l’entreprise, l’employeur et les acteurs de la prévention sont demandeurs d’outils, ou plutôt d’un outil simple et rapide à mettre en œuvre. Mais il n’existe pas d’outil miracle unique permettant de lutter contre les TMS ; une panoplie d’outils est disponible avec des objectifs, des intérêts et des limites propres à chacun. A la fin des années 1990, les entreprises sensibilisées à la problématique des TMS ont voulu agir et se sont tournées vers le monde scientifique et sa littérature pour trouver des outils. Ainsi, elles ont commencé par des outils utilisés dans des recherches épidémiologiques. On peut comprendre, pour un scientifique, toute l’importance de mesurer finement l’exposition aux facteurs de risque et de les mettre en relation avec les effets sur la santé du travailleur et celle de l’entreprise. Mais après identification des facteurs de risque, il n’est plus nécessaire à chaque entreprise de prouver ces relations. L’entreprise a besoin de méthodes 143 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention et d’outils qui lui permettent d’identifier les facteurs de risque présents dans son propre contexte et de déterminer les moyens à mettre en œuvre pour les éviter ou en réduire l’exposition. Bien entendu, les études scientifiques sont indispensables au développement de telles méthodes. La littérature sur les TMS est suffisamment abondante à ce sujet pour permettre l’action sur le terrain. A nouveau, l’analogie pourrait être faite avec la prévention des RPS qui conduit de nombreuses entreprises à se lancer dans de longues enquêtes par questionnaire pour déterminer les causes et les effets. Après un ou deux ans d’enquête, lorsque les résultats sont présentés à l’entreprise, à l’employeur, à la ligne hiérarchique, aux représentants des travailleurs, au comité de prévention, aux acteurs de la prévention, la première remarque émise est du type : « on savait bien que des gens souffraient et on savait aussi quelles en étaient les causes, ce qu’on veut savoir c’est que faire pour lutter contre ». Il serait trop long ici de citer ou de décrire les nombreux outils existants en matière de prévention des TMS. Pour plus d’informations, les documents de synthèse suivants peuvent être consultés : • Inventory of Tools for Ergonomic Evaluation, Patrick Neumann • http://www.ttl.fi/en/ergonomics/methods/workload_exposure_methods/Pages/default.aspx • Systematic evaluation of observational methods assessing biomechanical exposures at work, by Takala et al (2010) • Piette A. (2000), Validation d’une stratégie de prévention en 4 niveaux des troubles musculosquelettiques (TMS) du membre supérieur et de la nuque • INRS (2000), Méthode de prévention des troubles musculosquelettiques du membre supérieur et outils simples • SLIC en 2008, campagne européenne d’inspection et d’information sur la manutention manuelle de charges, http://www.handlingloads.eu/fr/site/ • Anon, (2008), MSD Prevention Toolbox • … Face aux très nombreux outils disponibles, les utilisateurs potentiels doivent tout d’abord se poser certaines questions avant de choisir le ou plus probablement les outils qui pourront les aider dans leur lutte sur le terrain contre les TMS : • Quel est l’objectif de leur intervention ? Autrement dit, à quel usage destinent-ils leurs outils ou méthodes ? -- pour évaluer le risque. Dans ce cas, il faut tenir compte du fait que le risque est défini par la probabilité de survenue d’un effet, variable en fonction de l’exposition au facteur de risque (ou danger) ; -- pour montrer l’importance du problème, en évaluant par exemple la prévalence des TMS par un questionnaire ou un examen clinique comportant des tests spécifiques ; -- pour évaluer l’exposition à un ou des facteur(s) de risque, par exemple par des mesurages biomécaniques ; -- pour trouver des solutions, par exemple par une méthode axée sur la prévention, avec la participation des personnes de l’entreprise ; -- pour vérifier l’efficacité de la gestion des risques mise en place, par exemple par un audit interne ou externe. • Combien de temps cela va-t-il prendre ? • L’entreprise possède-t-elle en interne ou en externe les compétences nécessaires pour l’utilisation adéquate de l’outil ? Autrement dit, qui seront les utilisateurs de l’outil ? • Quel en sera le coût financier, mais aussi en termes de ressources temporelles ? • Dans quelle mesure les résultats de l’outil permettront-ils d’améliorer la situation de travail, et comment les évaluer ? • L’outil est-il validé et sur quels critères ? Il est important de préciser que si le terme « validé » est associé à un outil, pour l’utilisateur du terrain, cela signifie que l’outil mesure effectivement ce qu’il est censé mesurer, qu’il est applicable à différents contextes, avec des résultats reproductibles qui peuvent être comparés à d’autres données issues d’un recueil avec le même outil. Mais si la validation d’un questionnaire ou d’un outil de mesurage d’une exposition est bien balisée, il est par contre plus difficile de valider un outil de prévention. Les critères de validité suivants devraient être pris en compte pour les méthodes de prévention : -- validité en termes d’objectifs : la méthode doit permettre effectivement de déterminer les mesures de prévention de TMS ; -- validité de construction : l’hypothèse de base est que les facteurs de risque sont connus et toute ISBN : 978-2-913488-68-4 144 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention amélioration de ces facteurs diminuera le risque ; -- validité interne : simplicité, clarté, forme de la méthode, information, aides ; -- validité externe : la méthode doit pouvoir être utilisée quelle que soit la situation de travail rencontrée. En se posant toutes ces questions, les acteurs de la prévention jouent un rôle important dans le choix de l’outil qui va leur permettre de réaliser au mieux leur mission. Plutôt que d’imposer un outil, il est vital que les acteurs du terrain s’approprient ces outils en les adaptant aux spécificités du secteur d’activité, de l’entreprise, du métier, avec l’adhésion de tous les partenaires (employeur, travailleurs, ligne hiérarchique, conseiller en prévention interne et ou externe…) pour en assurer l’appropriation par l’entreprise. Conclusion : vers une nouvelle approche de la prévention des risques professionnels ? La prévention des risques dits « classiques » (sécurité, agents physiques, incendie, électricité…) a suivi par le passé et suit encore de nos jours un schéma assez traditionnel que l’on peut résumer comme suit : identification des risques et des facteurs de risque, évaluation de l’exposition par des mesurages, comparaison aux valeurs limites reprises dans la réglementation et, si dépassement de ces valeurs limites, recherche et mise en œuvre d’actions de prévention. L’entreprise va donc investir durant un temps limité pour supprimer ou réduire ces risques et se conformer à la législation. Souvent, elle confie ces actions de prévention à des spécialistes internes et / ou externes. Quel que soit le risque considéré, cette démarche est difficile à mettre en pratique, notamment dans les PME, car le mesurage de l’exposition aux facteurs de risque présents nécessite de disposer à la fois des outils et des personnes compétentes. Ces mesurages ont un coût financier important et ne peuvent pas être généralisés à toutes les entreprises en raison du trop faible nombre de spécialistes. Cette vision selon laquelle la prévention doit d’abord passer par des mesurages, ”mesurer c’est savoir”, est donc fort limitative et soulève de nombreuses difficultés concernant les PME, particulièrement en ce qui concerne les risques émergents que sont les troubles musculosquelettiques (TMS) et les risques psychosociaux (RPS) : • Les mesurages peuvent s’avérer plus coûteux pour ces risques que pour d’autres dits classiques, du fait de leur origine multifactorielle, et nécessiter beaucoup de temps avant d’en obtenir des résultats. • Il n’existe pas une valeur limite unique de référence prenant en compte les multiples facteurs de risque à l’origine des troubles. Une fois qu’on a les résultats des mesurages, il est donc difficile de comparer et de déterminer si l’on respecte la législation ou non. Que veut donc dire « être en ordre avec la loi » pour ces risques émergents ? • Il ne sera jamais possible de se reposer entièrement sur un spécialiste interne ou externe pour résoudre les problèmes à la place de l’entreprise. Il est utopique de croire qu’un conseiller en prévention, ergonome ou en charge des aspects psychosociaux, puisse passer quelques jours voire quelques semaines dans l’entreprise et résolve une fois pour toutes tous les problèmes de l’entreprise en ce qui concerne les TMS ou les RPS. • L’effet de la prévention est peu visible à court terme pour l’entreprise. La personne souffrant de TMS ou en état de détresse psychologique peut continuer à souffrir même en l’absence de facteurs de risque. Il faudra un certain temps pour la réhabilitation si celle-ci est encore possible. • L’effet de l’absence de prévention est aussi moins visible car elle se traduit le plus souvent par un absentéisme augmentant de manière constante et régulière. Les conséquences économiques sont aussi moins visibles pour l’entreprise elle-même qui n’est pas toujours consciente des coûts importants que ces problèmes engendrent (absentéisme, présentéisme, coût direct mais surtout indirect du remplacement des travailleurs absents, rotation du personnel…). Par rapport à la difficulté que représente une analyse des risques pour toute entreprise mais aussi la prise en compte de ces risques émergents (TMS et RPS), il est logique que les PME demandent comment faire et cherchent des outils simples pour le faire. Mais les réponses apportées sont souvent inappropriées car basées sur ce qui est fait dans des grandes 145 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention entreprises. Ainsi la sensibilisation des acteurs du terrain, la formation des spécialistes, le développement des outils et des normes suivent ce schéma classique de prévention ; par exemple, on essayera de former des non spécialistes à utiliser des méthodes de mesurage des facteurs biomécaniques pour intervenir dans un premier temps dans leur entreprise. On passera beaucoup plus de temps à former un spécialiste à bien mesurer et beaucoup moins à le former et à rechercher des solutions techniques. On établira des normes et des valeurs limites, par exemple en vibrations, mais pour lesquelles il existe très peu de spécialistes capables de les utiliser. Dans cette vision traditionnelle de la prévention, les connaissances pratiques qu’ont les acteurs de l’entreprise sont trop souvent négligées, notamment celles des travailleurs sur leurs propres conditions de travail. Sans l’utilisation de ces connaissances, toute prévention ne peut être efficace et ne peut être durable dans l’entreprise. Par exemple, après une action ponctuelle d’un spécialiste pour un problème de sécurité, l’entreprise peut considérer qu’elle a résolu ce problème. Mais si personne en interne ne le gère, à moyen ou à long terme, ce problème va ressurgir. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les TMS et les RPS, pour lesquels une prévention durable est la seule solution envisageable. Dans cette perspective, il est indispensable que la prévention soit totalement intégrée dans la gestion quotidienne de l’entreprise grâce à la participation aussi bien des travailleurs que de la ligne hiérarchique, et à l’intégration à d’autres projets de l’entreprise. En Belgique, nous sommes parmi les premiers pays de l’Europe à s’être préoccupé des RPS et sommes souvent cités en exemple avec notamment la notion de « Bien-être au travail » qui reprend la charge psychosociale et une réglementation forte sur les conflits (violence, harcèlement…). Depuis le début des années 2000, de nombreux outils ont été développés et sont disponibles sur notre site www.respectautravail.be Mais en ce qui concerne la prévention des RPS dans les entreprises, nous n’en sommes cependant qu’au tout début pour toutes les raisons citées ci-dessus et dont la principale est que les entreprises essayent d’appliquer tel quel le modèle de prévention traditionnel qu’elles appliquent toujours en matière de sécurité. Pour lutter efficacement contre les TMS et les RPS mais aussi les risques dits classiques, la prévention doit être intégrée au quotidien dans la vie de l’entreprise. Elle doit débuter et perdurer grâce aux connaissances qu’ont les personnes de l’entreprise et de leurs conditions de travail. Enfin, elle doit se baser sur une démarche globale de prévention de tous les risques dans le but d’adapter au mieux toutes les conditions de travail aux travailleurs. On retrouve ici toute la définition encore trop méconnue de l’ergonomie qui, sur la base de la connaissance de l’activité du travail, a pour but d’adapter les conditions de travail pour un meilleur bien-être du travailleur mais aussi pour un travail de meilleure qualité et réalisé de manière plus efficace. C’est à ce modèle de prévention, basé sur une démarche ergonomique, qu’il est important de sensibiliser toutes les entreprises, et en particulier les PME, car ce modèle est le seul efficace à long terme tout en permettant de répondre aussi, en partie, au problème du manque de temps, de moyens financiers et de spécialistes. L’objectif de cet article n’était pas d’apporter des réponses toutes faites face à la problématique de la NORME et de son utilisation. Il était surtout de faire réfléchir, au travers de différents points, tous les acteurs de la prévention, spécialistes ou non, aux difficultés et aux limites de cette NORME dont l’influence peut être décisive sur la prévention ou la non prévention des TMS et des RPS dans l’entreprise. ISBN : 978-2-913488-68-4 146 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Bibliographie Anon, (2008), MSD Prevention Toolbox - More on In-depth Risk Assessment Methods OHSCO’s Musculoskeletal Disorders Prevention Series, Part 3C : MSD Prevention Toolbox – More on In-depth Risk Assessment Methods. Commission des Communautés Européennes, COM(2004) 62 final, Communication de la Commission au Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social Européen et au Comité des Régions relative à la mise en œuvre pratique des dispositions des directives sur la santé et la sécurité au travail n° 89/391 (directive cadre), 89/654 (lieux de travail), 89/655 (équipements de travail), 89/656 (équipements de protection individuelle), 90/269 (manutention manuelle de charges) et 90/270 (équipements à écran de visualisation). Commission des Communautés Européennes, COM (2007) 62 final, Améliorer la qualité et la productivité au travail : stratégie communautaire 2007-2012 pour la santé et la sécurité au travail. Directive 2006/42/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 mai 2006 relative aux machines et modifiant la directive 95/16/CE (refonte), Journal officiel n° L157/24 du 09/06/2006. Directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, Journal officiel L 183 du 29.06.1989. Directive 90/269/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à la manutention manuelle de charges comportant des risques, notamment dorsolombaires, pour les travailleurs, Journal officiel n° L 156 du 21/06/1990 p. 0009 – 0013. Directive 90/270/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives au travail sur des équipements à écran de visualisation, Journal officiel n° L 156 du 21/06/1990 p. 0014 – 0018. Eurofound, Dublin, 2010, 5ème Enquête européenne sur les conditions de travail. Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound), Dublin http://www.eurofound.europa.eu. ERGOMACH, 2010, Ergonomics and construction, ordering and using of Machinery, www.ergomach.eu. INRS (2000), Méthode de prévention des troubles musculosquelettiques du membre supérieur et outils simples, TC 78, Dossier médico-technique, Documents pour le médecin du travail, n°83, 3ème trimestre 2000. ISO 11228-1 :2003 Ergonomie — Manutention manuelle — Partie 1 : Manutention verticale et manutention horizontale, International Organization for Standardization, Zurich, 2003 Neumann P. (2010), Inventory of Tools for Ergonomic Evaluation, http://www.ttl.fi/en/ergonomics/methods/ workload_exposure_methods/Pages/default.aspx Piette A. (2000), Validation d’une stratégie de prévention en 4 niveaux des troubles musculosquelettiques (TMS) du membre supérieur et de la nuque, Mémoire présenté en vue de l’obtention du DES en Sécurité et Hygiène du Travail, UCL. SLIC (2008), campagne européenne d’inspection et d’information sur la manutention manuelle de charges, http://www.handlingloads.eu/fr/site/ Takala E-P, Pehkonen I, Forsman M, Hansson G-Å, Mathiassen SE, Neumann WP, Sjøgaard G, Veiersted KB, Westgaard RH, Winkel J, Systematic evaluation of observational methods assessing biomechanical exposures at work, Scand J Work Environ Health 2010 ;36(1) :3-24. TNO report R08-878, 031.12980-def.GB, Impact study of community initiatives on WRMSDs in Europe, 2009. 147 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Doit-on parler d’outil ou de démarche ? Pas de prévention des TMS sans une réinterrogation des hypothèses managériales François Daniellou École nationale supérieure de cognitique (ENSC), Institut national polytechnique de Bordeaux (France) L ors du congrès de Montréal, en 2008, nous rappelions que toute situation de travail dépend des formes de la confrontation entre : • des connaissances générales, qui servent à anticiper ce qui va s’y passer et à fournir les ressources correspondantes ; • des connaissances d’expériences, individuelles et collectives, qui permettent de gérer les écarts entre ce que l’organisation a anticipé et ce qui se passe réellement. Depuis, les ergonomes ont dû faire face : • d’une part, au déferlement des « risques psychosociaux » qu’ils ont attribué à l’absence de possibilité de débat entre le travail bien fait vu par l’opérateur, et la vision de la qualité portée par l’organisation, et à l’intériorisation par les salariés des contradictions non débattues ; • d’autre part, au renforcement du recours aux organisations représentant des variantes de la « lean production » instaurée par Toyota. Ces organisations « lean », dans la version constatée en France, comportent un caractère contradictoire, dans la mesure où : • d’une part, elles développent un discours sur l’intelligence ouvrière et la nécessité de l’associer aux réflexions d’amélioration continue ; • d’autre part, elles se structurent comme des perfectionnements du taylorisme. Force est de constater que cette situation contribue au développement des TMS, mais divise la communauté des intervenants. Sur cet arrière-fond idéologique et managérial, il importe de recentrer la prévention des TMS sur les acquis suivants : • le travail implique une mobilisation subjective compétente, le développement d’un geste professionnel dont l’opérateur soit largement l’auteur ; • on ne peut pas baser une organisation performante sur le fait de diminuer la compétence de contributeur de chaque opérateur ; • cette contribution peut prendre des formes différentes, le « bricolage tacite contre les limites de l’organisation » n’étant évidemment pas la seule : on peut chercher à réduire la variabilité incidentelle, à condition que les opérateurs puissent constamment exercer leur intelligence dans la détection de l’adaptation/inadaptation de ce qui est produit ou de la manière de produire, en termes d’effets sur les personnes (soi-même, clients, collègues…), qu’ils aient la possibilité d’en débattre et d’influencer les changements ; • on ne peut pas raisonner seulement sur la performance instantanée, il importe de comprendre toutes les formes de coûts induits ; • il y a nécessité de développer une culture de la contradiction normale et du débat. Ce contexte conduit à renforcer l’enjeu de situer les interventions de prévention des TMS au niveau du questionnement sur les formes de rencontres et de débats entre les différentes formes de connaissances et d’initiatives nécessaires au fonctionnement de l’entreprise. ISBN : 978-2-913488-68-4 148 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Atelier 6 Réglementation et directives sont-elles des leviers de prévention ? Alain Piette Service public fédéral emploi, travail et concertation sociale (Belgique) Nicolas Hatzfeld Université d’Evry (France) L ’objectif de cet atelier est d’examiner les rapports entre les acteurs de la prévention et les règles et normes qui encadrent leur action. Des rapports seront examinés dans des cadres nationaux, en visant à comparer certains systèmes appartenant à des espaces régionaux distincts (Europe, Amérique du nord, Maghreb). Ils seront également vus à l’échelle européenne. Dans ces différents espaces de réglementation, il s’agira d’examiner l’intervention de multiples acteurs dans l’élaboration des règles et leur point de vue sur ces processus d’élaboration. L’atelier étudiera également leur mise en œuvre, notamment les façons distinctes dont les entreprises, les syndicats de salariés ou les fonctionnaires chargés de la mise en œuvre se saisissent de ces normes et règles, les adaptent ou les esquivent. 149 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Vers un nouveau cadre réglementaire au niveau européen. L’initiative de la Commission en matière d’ergonomie et de troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle : état de lieu et discussion ntonio Cammarota A European Commission, DG EMPL/F4, OSH Committees and International Relations EUFO (Luxembourg) L es problèmes ergonomiques, et en particulier les troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle, constituent l’un des principaux problèmes de sécurité et de santé rencontrés aujourd’hui dans l’Union européenne. Ils sont de loin le problème de santé lié au travail le plus fréquent et représentent un coût très élevé pour les entreprises et les sociétés européennes en général. D’ailleurs, la nécessité de combattre les risques ergonomiques gagne en acuité dans un scénario où les changements démographiques sont destinés à accroître le nombre de travailleurs âgés dans l’UE. L’allongement de la vie active et l’augmentation du taux de participation des travailleurs âgés au processus de production constituent des défis essentiels, dans le contexte de la nouvelle stratégie européenne 2020. Il convient, par conséquent, d’affiner le principe de l’adaptation du travail à l’individu et de prendre davantage en considération les risques ergonomiques. La Commission travaille depuis un certain nombre d’années à une nouvelle initiative en matière d’ergonomie et de prévention des troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle. Cette initiative pourrait être finalisée en 2011 par l’adoption de la part du Collège d’une proposition de nouvelle directive sur les prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’ergonomie au travail, particulièrement en vue de la prévention des troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle et des problèmes visuels liés à l’utilisation des écrans de visualisation sur le lieu de travail. Cette nouvelle initiative législative devrait prendre la forme d’une directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE1 du Conseil portant sur tous les facteurs de risque importants d’origine professionnelle, et établissant les exigences minimales de santé et de sécurité en vue de protéger les travailleurs contre l’exposition à ces facteurs de risque sur tous les lieux de travail. La nouvelle initiative devrait offrir une valeur ajoutée en rendant l’application de la législation plus simple (par la réduction du nombre de textes de référence), moins lourde (en simplifiant les obligations techniques et administratives) et plus efficace (en facilitant la mise en œuvre de la législation et le contrôle de son application par rapport à la situation actuelle). La présentation permettra de dresser un bilan de l’état d’avancement des travaux de préparation de cette initiative et de faire le point sur la discussion en cours. ISBN : 978-2-913488-68-4 150 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Regard comparé sur la prévention des TMS dans les pays francophones (France, Belgique, Suisse, Québec, Algérie) Loïc Lerouge Comptrasec, Umr Cnrs 5114, Université Montesquieu-Bordeaux IV (France) L es TMS font l’objet d’importantes campagnes d’information et de sensibilisation et sont devenus un risque professionnel bien connu et, malheureusement, aujourd’hui incontournables dès que l’on parle d’intensification du travail, de charge de travail ou tout simplement de conditions de travail. Or, concernant un phénomène aussi important que les TMS, le faible nombre de textes juridiques s’y rapportant directement est frappant, et ce, dans tous les pays étudiés en l’espèce. S’il existe des définitions des TMS, comme celle de l’Agence de Bilbao qui décrit les TMS notamment comme « une large gamme de maladies inflammatoires et dégénératives de l’appareil locomoteur » (inflammation des tendons, myalgies, compression des nerfs, dégénérescences de la colonne vertébrale découlant d’une exposition prolongée à des facteurs de risques liés au travail tels que postures incommodes, tâches monotones et répétitives, organisation et méthodes de travail inadaptées, et levage de charges lourdes), aucun des différents systèmes juridiques francophones étudiés ne comporte de définition légale de ces troubles. Pour autant, est-il bien nécessaire de les définir juridiquement ? Cette question sous-tend celle relative à l’application de l’arsenal juridique existant aux TMS, à savoir s’il est suffisant pour les appréhender d’une manière ou d’une autre. À ce titre, le volet prévention (en droit du travail) et le volet réparation (en droit de la sécurité sociale) doivent être considérés. Il ne s’agira donc pas d’arrêter une définition juridique des TMS, mais plutôt de procéder à une étude exploratoire de la manière dont le système légal s’applique aux troubles musculosquelettiques et quel en est le degré d’application suivant le système francophone étudié, notamment en termes de prévention (I) et de réparation (II). En outre, les droits français, belge, suisse, québécois et algérien seront évoqués, mais seulement de manière parcellaire compte tenu du nombre de systèmes à rendre compte. L’objectif est d’évaluer la portée des systèmes légaux francophones concernant la prise en compte et la prise en charge des TMS. Le droit de la prévention des TMS au sein des pays francophones À la suite de la transposition en 1991 de la directive-cadre du 13 juin 1989 relative à l’amélioration des conditions de travail, la France a reconnu à la charge de l’employeur une obligation générale de prévention. À cela depuis les affaires dites « amiante » en 2002, une obligation de sécurité de résultat à la charge de l’employeur a été dégagée. Au sein des pays étudiés, la France est d’ailleurs le seul pays à avoir envisagé une interprétation aussi restreinte de l’obligation de sécurité et dont la portée est considérable. En effet, le risque ne doit pas se réaliser dans l’entreprise ; s’il survient, alors l’employeur est responsable, même s’il a pris toutes les mesures possibles pour l’éviter. Seule la force majeure peut l’exonérer de sa responsabilité, ce que ne permet pas la faute de la victime. En vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail (depuis la loi de réforme des retraites du 9 novembre 2010), des actions d’information et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. L’employeur doit aussi mettre en œuvre ces mesures sur le fondement de principes généraux tels qu’éviter les risques, évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, les combattre à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue 151 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé, et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé, tenir compte de l’état d’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l’est pas ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et enfin donner les instructions appropriées aux travailleurs. L’employeur est aidé en cela par le Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), mais aussi par le service de santé au travail. Dans le cadre de la conception et de l’aménagement des postes de travail, l’ergonomie a ici un rôle central à jouer, mais aussi concernant le respect des normes plus spécifiques notamment de manutention, de port de charges lourdes et de vibrations (art. R. 4541-1 suiv., R. 4441-1 suiv. du Code du travail) qui peuvent s’appliquer aux TMS 64. Les troubles musculo-squelettiques sont également d’une grande actualité en Belgique concernant la politique de prévention des risques professionnels, notamment au sein du plan 2008-2012 pour améliorer la santé, la sécurité et le bien-être des personnes au travail. En effet, l’objectif est principalement de développer des méthodes d’identification et d’évaluation des nouveaux risques dont les risques psychosociaux et ceux associés à la nanotechnologie, les risques pour la reproduction, les troubles musculo-squelettiques. Cependant, il n’existe pas non plus en Belgique de réglementation spécifique relative aux TMS d’origine professionnelle. Ces derniers sont cependant de la compétence de la loi du 4 août 1996 relative au bienêtre des travailleurs lors de l’exécution de leur travail qui impose à l’employeur de promouvoir le bienêtre de ses travailleurs lors de l’exécution de leurs tâches 1. L’employeur doit veiller à ce que le travail soit adapté aux capacités physiques des personnes et à ce que tout excès de fatigue professionnelle (physique ou mentale) soit évité. Pour ce faire, il doit tenir compte de l’organisation du travail et des méthodes de travail et de production, de la conception des lieux et du poste de travail, du choix et de l’utilisation des équipements de travail et de protection individuelle, de la charge dite « psychosociale ». Par ailleurs, plus spécifiquement, le Code sur le bien-être au travail belge contient des chapitres qui traitent en particulier des vibrations, de la manutention manuelle de charges, des équipements de travail, du travail sur écran et des sièges de travail et de repos. La Sécurité au travail présente la particularité en Suisse d’être réglementée par la loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA) du 20 mars 1981 2. L’obligation de prévention des maladies et accidents professionnels oblige l’employeur à prendre les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité et que l’état de la technique permet d’appliquer, et qui sont adaptées aux conditions de travail. L’obligation de sécurité est davantage ici de moyens car elle se fonde sur la nécessité du moment ou l’état de la technique (art. 82). Néanmoins, les partenaires sociaux peuvent aussi agir dans une certaines mesure sur la réglementation liée aux conditions de travail car ils sont consultés par le Conseil fédéral pour ensuite édicter des prescriptions sur les mesures techniques, médicales et autres destinées à prévenir les accidents et maladies professionnelles (art. 83). Enfin, les organes de contrôle (notamment assurantiels) sont aussi concernés en ce qu’ils peuvent ordonner certaines mesures visant à prévenir les accidents et maladies professionnels. L’employeur doit permettre à ces organes d’accéder à tous les locaux et emplacements de travail de l’entreprise et les autoriser à effectuer des vérifications et à prélever des échantillons (art. 84). Comme le souligne Isabelle Probst, la responsabilité de l’employeur ne se limite toutefois pas aux accidents et maladies professionnels reconnus, mais concerne plus largement la santé des travailleurs, comme l’énoncent l’article 6 de la loi sur le travail qui oblige l’employeur à prendre toutes les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptées aux conditions d’exploitation de l’entreprise pour protéger la santé des travailleurs 3 et l’article 328 du Code des obligations selon lequel l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité du travailleur. Il doit manifester les égards voulus pour sa santé et doit veiller au maintien de la moralité. En particulier, il veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas, le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. Plus spécifiquement aux TMS, une réglementation existe pour certains facteurs. Ainsi, l’article 41 de l’ordonnance sur la prévention des accidents et maladies professionnels contient un article qui concerne le port de charges lourdes et énonce que : « Des équipements de travail appropriés doivent être mis à disposition et utilisés pour lever, porter et déplacer des charges lourdes ou encombrantes ». On peut aussi penser à l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail (OLT3) qui contient deux dispositions relatives aux facteurs de risques de TMS (art. 24 et aménagement des postes de 1. 2. 3. ISBN : 978-2-913488-68-4 152 Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail http://www.emploi.belgique.be/WorkArea/showcontent.aspx ?id=1896. Loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA) du 20 mars 1981, http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/832.20.fr.pdf. Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce http://www.admin.ch/ch/f/rs/822_11/index.html. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention travail, art. 25 qui réglemente le port de charges). Seul un principe très général énoncé dans l’article 2 de l’OLT3 permet d’éviter « des efforts excessifs ou trop répétitifs » 4. La législation vise donc surtout le port de charges et l’aménagement des postes, mais ne cible pas spécifiquement d’autres facteurs de risques, comme la répétitivité des tâches, des contraintes posturales ou psychosociales 5. Si l’on quitte le continent européen et que l’on regarde du côté de l’Afrique du Nord, l’Algérie présente un système de prévention des risques professionnels développé susceptible de prendre en compte les TMS, sans pour autant les évoquer expressément. La loi du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail 6 a en effet pour but d’assurer aux travailleurs les meilleures conditions en matière d’hygiène, de sécurité et de médecine du travail (art. 1er). L’employeur est tenu d’assurer l’hygiène et la sécurité aux travailleurs (art. 2), mais aussi d’intégrer la sécurité des travailleurs dans le choix des techniques et technologies et dans l’organisation du travail. Ainsi, les installations, les machines, mécanismes, appareils, outils et engins, matériels et tous moyens de travail doivent être appropriés aux travaux à effectuer et à la prévention des risques auxquels les travailleurs peuvent être exposés (art. 7). Le règlement intérieur vient fixer les mesures appropriées en matière d’hygiène et de sécurité 7. La loi du 26 janvier 1988 met l’accent sur la médecine du travail qui a pour rôle de « promouvoir et de maintenir le plus haut degré de bien-être physique et mental », mais aussi et notamment « d’identifier et de surveiller, en vue de réduire ou d’éliminer tous les facteurs qui, sur les lieux de travail, peuvent affecter la santé des travailleurs », « de placer et maintenir les travailleurs dans un emploi convenant à leurs aptitudes physiologiques et psychologiques et, en règle générale, adapter le travail à l’homme et chaque homme à sa tâche, d’évaluer le niveau de santé des travailleurs en milieu de travail » 8. La médecine du travail a aussi pour rôle d’identifier et de surveiller tous les indicateurs pouvant affecter sur le lieu de travail la santé des travailleurs afin de les réduire, d’adapter le travail à l’homme et chaque homme à sa tâche (art. 12). Enfin, même si l’on s’éloigne un peu du juridique, il doit être souligné que les TMS sont à l’ordre du jour des formations de l’Institut national de la prévention des risques professionnels destinées aux cadres et ayant pour objectif d’identifier les troubles musculo-squelettiques liés à des situations de travail bien précises. Il s’agit de reconnaître les facteurs de risque conduisant aux troubles musculo-squelettiques liés au travail, de proposer une démarche de prévention pour la maîtrise de ces risques afin de réduire la prévalence de ces troubles, de conseiller et de donner des recommandations à l’entreprise dans le domaine de la prévention de ces troubles 9. Les TMS retiennent donc l’attention juridique en Algérie ; cependant, ce constat doit être relativisé en raison de l’existence d’un important secteur informel au sein duquel le droit de la santé-sécurité au travail est quasi inopérant. Enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, au Québec, la réglementation applicable à la prévention des TMS comprend le devoir général de prévention issu de la loi sur la santé et la sécurité au travail 10 (LSST, art. 51) et les dispositions réglementaires sur les mesures ergonomiques (Règlement sur la santé et la sécurité du travail, art. 166 à 171) 11. Précisément, l’employeur doit notamment s’assurer que les établissements sur lesquels il a autorité sont équipés et aménagés de façon à assurer la protection du travailleur. Il doit s’assurer aussi que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir soient sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur. L’employeur doit fournir un matériel sécurisé et assurer son maintien en bon état, informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés à son travail et lui assurer une formation en conséquence, l’entraînement et la supervision appropriés afin de faire en sorte que le travailleur ait l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon sécuritaire le travail qui lui est confié. Tous les moyens et équipements individuels choisis par le Comité de santé et de sécurité doivent être fournis au travailleur et l’employeur doit s’assurer que le travailleur les utilise à l’occasion de son travail. Par ailleurs, le droit québécois insiste sur la mise à la disposition des travailleurs de moyens et d’équipements de protection individuels ou collectifs qui ne doit diminuer en rien les efforts requis pour éliminer les dangers à la source. Ordonnance 3 relative à la loi sur le travail du 18 août 1993, http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/822.113.fr.pdf. Merci à Isabelle Probst, Institut de psychologie, Université de Lausanne, Haute École de travail social et de la santé - École d’Etudes sociales et pédagogiques, pour son aide et ses éclairages. 6. Loi n° 88-07 du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail, J/O. De la République algérienne, n° 4/1988. 7. Art. 77 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail. 8. V. aussi Koriche M., Les transformations du droit algérien du travail entre statut et contrat . Détermination des conditions de travail, une déréglementation sélective, Office des Publications Universitaires, 2009, 187 p. 9. Cf. http://www.inprp-dz.com/index.php ?option=com_content&view=article&id=60 :formation5&catid=15 :formation&Itemid=82. 10. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=2&file=/S_2_1/S2_1.html. 11. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=3&file=/S_2_1/S2_1R19_01.htm. 4. 5. 153 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le droit de la réparation des TMS au sein des pays francophones Ce deuxième point du développement sera beaucoup plus bref que le précédent en raison de la faible prise en compte expresse des TMS par le droit de la Sécurité sociale concernant la réparation des effets de la survenance de cette catégorie de risques professionnels. Autrement dit, le droit de la Sécurité sociale ne définit pas les TMS. Il est d’ailleurs souvent nécessaire de se référer au « droit commun » de la Sécurité sociale, notamment applicable aux accidents du travail et maladies professionnelles, aucun des pays étudiés ne mentionnant directement les TMS au sein de sa législation professionnelle. Toutefois, si l’on travaille sur le droit de la prévention des TMS, il est aussi essentiel de considérer les questions de leur réparation quand le risque s’est hélas réalisé, et l’on sait combien les victimes sont nombreuses Le système français doit cependant être mentionné en premier lieu car les listes de maladies professionnelles reconnaissent les troubles musculo-squelettiques à travers la prise en compte des atteintes tendineuses, des atteintes nerveuses, des bursites, des douleurs dorsales et des atteintes vasculaires. Réparer les TMS en invoquant le régime des maladies professionnelles semble plus adapté que la législation des accidents du travail. En effet, ces derniers sont définis depuis un arrêt rendu le 2 avril 2003 par la chambre sociale de la Cour de cassation comme « un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci »12. Or la notion de « maladie » convient mieux à la notion de TMS car elle se caractérise par une altération progressive de la santé. Ainsi, en vertu de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale, le système d’indemnisation repose sur l’établissement d’une liste de maladies professionnelles fermée qui fondent une présomption d’origine professionnelle de la maladie. Or, la liste française reconnaît les affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail, les affections provoquées par les vibrations et chocs transmis par certains machines-outils, outils et objets, et par les chocs itératifs du talon de la main sur des éléments fixes, les lésions chroniques du ménisque et les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps entier, les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention de charges lourdes. Toutefois, quand une maladie est en lien avec le travail, mais qu’elle n’est pas reconnue au sein de la liste (fermée) des maladies professionnelles, une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle est possible devant le Comité régional des reconnaissances des maladies professionnelles (CRRMP). Concernant les autres pays étudiés, on retrouve la distinction « accident du travail » et « maladies professionnelles ». Ainsi en Belgique, la réparation des risques professionnels se limite à un système d’indemnisation selon le cas de figure (accident ou maladie). L’employeur doit contracter une assurance contre les accidents du travail auprès d’une entreprise agréée. Le Fonds des accidents du travail (FAT) a pour rôle de verser les allocations et les rentes d’invalidité ; il assure aussi une mission de contrôle (contrôle des employeurs sur le plan du respect de l’obligation d’assurance et de la déclaration d’accident, contrôle des assureurs sur les plans technique et médical, entérinement des accords intervenus entre les entreprises d’assurances et les victimes). Le système belge de reconnaissance des maladies professionnelles offre la particularité de reposer sur une liste fermée et une liste ouverte et sur le Fonds des maladies professionnelles (FMP) qui est une institution publique de Sécurité sociale dont le rôle est de réparer ou d’indemniser le dommage résultant d’une maladie professionnelle. La liste fermée a l’avantage de faire bénéficier à la victime d’une présomption de causalité entre la maladie et l’exposition. Sont reconnus sur cette liste certaines maladies ostéoarticulaires, des bursites, des lésions méniscales, le syndrome du canal carpien, etc., c’est-à-dire des pathologies reconnues comme des TMS. Pour des troubles musculosquelettiques qui ne seraient pas répertoriés dans la liste fermée, l’assuré doit alors recourir à la liste ouverte, mais dans ce cas, il doit prouver que la cause déterminante de l’apparition de la maladie est en rapport direct avec sa profession, ce qui parfois peut être difficile en pratique. 12. ISBN : 978-2-913488-68-4 154 Cass. soc. 2 avril 2003, RJS, 6/03, n° 801 ; D., 2003, p. 1724, note Kobina Gaba ; Dr. soc., 2003, p. 673, obs. Milet. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention En Suisse, la responsabilité de l’accident est susceptible de constituer un enjeu financier pour l’employeur, notamment depuis l’adoption de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales qui a aboli en 2003 toute forme d’immunité civile de l’employeur. S’il a une responsabilité dans la survenue de l’accident, il peut désormais être amené, directement ou par le biais de son assurance responsabilité civile, à indemniser la victime pour des coûts non couverts par l’assurance (par exemple, la part du salaire non assurée, le tort moral…). En outre, en cas de faute grave de sa part, il peut être obligé de rembourser à l’assurance une partie des prestations que celle-ci a versées à la victime. Les accidents du travail ont pour autre enjeu financier celui des primes d’assurances. La reconnaissance d’une atteinte à la santé comme découlant d’un accident du travail se répercute sur le montant des primes à sa charge 13. Concernant les maladies professionnelles le droit de la Sécurité sociale procède aussi par un système de liste, mais selon un système ouvert. Comme en France et en Belgique, on ne retrouve pas directement la notion « troubles musculo-squelettiques », mais certaines pathologies sont à repérer, notamment celles regroupées sous l’expression de « maladies de l’appareil locomoteur ». Trois de ces maladies figurent sur la liste des affections : les bursites chroniques par pression constante, les paralysies nerveuses périphériques et les tendovaginites 14. De plus, un certain nombre de maladies de l’appareil locomoteur hors liste sont reconnues chaque année. Le système suisse reconnaît toutefois très peu de maladies professionnelles. Or, faire reconnaître les TMS comme maladies professionnelles nécessite des démarches longues et compliquées : il faut parvenir à établir une relation de causalité de 50%-75% entre les conditions de travail et la pathologie. Et, paradoxalement, il appartient souvent aux médecins des assurances d’apporter ces preuves. Or, toute la prise en charge va découler de cette reconnaissance 15. Le Québec en revanche regroupe sous le terme « lésion professionnelle » l’accident et la maladie professionnelle. Depuis la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) adoptée en 1985 16, la lésion professionnelle est « une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou l’aggravation » (art. 2 LATMP). La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a notamment pour rôle de déterminer si la réclamation du travailleur porte bien sur une lésion professionnelle. Toutes les possibilités doivent être évaluées, ainsi, une réclamation pour maladie professionnelle peut être acceptée comme accident du travail et réciproquement. L’annexe 1 de la LATMP contient dans les maladies présumées reliées au travail les lésions musculo-squelettiques se manifestant par des signes objectifs et qui impliquent des répétitions de mouvement ou de pressions sur des périodes de temps prolongées. Le droit québécois est ainsi le premier qui reconnaît aussi expressément les TMS au sein de son système d’indemnisation et de réparation des affections professionnelles. Par ailleurs, il n’est pas exigé que la maladie soit inscrite au sein de la liste des maladies professionnelles dès lors que le travailleur prouve que la maladie dont il est atteint a été contractée par le fait ou à l’occasion d’un travail et qui est caractéristique du travail qu’il a exercé ou qui est reliée directement aux risques particuliers de ce travail (art. 30 LATMP)17. Enfin, en conclusion de ce rapide panorama de différents systèmes francophones de réparation des TMS faute de la réalisation de l’obligation de prévention de ce type de risque professionnel, un constat : autant pour l’Algérie, le droit du travail en matière de santé-sécurité offre des perspectives, notamment dans le cadre de la prévention des troubles musculo-squelettiques, autant le droit de la Sécurité sociale semble plus limité. Comme en France, l’Algérie distingue l’accident du travail et la maladie professionnelle. La responsabilité de l’employeur est présumée et le travailleur victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle a droit à la réparation du préjudice 18. En revanche, l’application de ce régime juridique au TMS présente en pratique des difficultés liées notamment à la sous-déclaration de ce type de pathologie et à la non-reconnaissance en tant que maladies professionnelles. Néanmoins certains médecins du travail les déclarent en tant qu’accidents du travail en soulignant le caractère brutal de leur survenance permettant ainsi au patient en cas de complications futures de bénéficier d’une rente 19. Tabin J.-P., Probst I., Waardenburg G., « Accidents du travail : la régularité de l’improbable », Interrogations, n° 6, juin 2008. p. 131- 149. Probst I., « Genre et TMS : quand les différences biologiques masquent les effets de la division sexuelle du travail », 2ème Congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques : de la recherche à l’action, Montréal, 2008, http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/2-1-Probst.pdf. 15. Ibid. 16. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=2&file=/A_3_001/A3_001.html. 17. Cf. les développements de Katherzine Lippel, « Le droit québécois et les troubles musculo-squelettiques : règles relatives à l’indemnisation et à la prévention », PISTES, Vol. 11, n° 2, nov. 2009, http://www.pistes.uqam.ca/v11n2/pdf/v11n2a3.pdf. 18. Koriche M., Les transformations du droit algérien du travail entre statut et contrat (…), op. cit. 19. Entretien avec Mahammed Koriche, Docteur en droit, Chargé de cours, Université d’Alger le 25 mars 2011 : « cette pratique dépend de l’appréciation du médecin du travail et est considérée comme étant un contournement de la loi. C’est ainsi que la Caisse de sécurité sociale a eu à rejeter des déclarations de ce type portant, par exemple, sur les traumatismes du poignet chez les dentistes ou les lombalgies des hernies discales chez les travailleurs du bâtiment ». 13. 14. 155 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Normes et règlementations, des outils au sein des entreprises ? Roland Gauthy Institut syndical européen (ETUI), Bruxelles (Belgique) L a question de savoir si « les normes et réglementations sont des outils au sein des entreprises » ou si « les normes et réglementations sont des leviers de prévention pour les entreprises » revêt une importance essentielle dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte législatif auquel sont – quasi unanimement – soumis les 27 pays membres de l’Union européenne (UE), les pays associés (AELE) et les pays candidats (dont, par exemple, la Turquie) et, de ce fait, par la réalisation d’objectif(s) et aussi par les impacts qui en sont attendus. Cette question ne peut être débattue sans en définir les termes et en délimiter le champ : une norme estelle une règlementation, sinon où et comment s’inscrit-elle dans une règlementation ? Qu’entendons-nous par levier pour les entreprises ? Quel est l’intérêt pour une entreprise de mener une politique de prévention et quels sont les résultats qu’elle pourrait attendre d’actions menées en ce sens ? Enfin, qu’entend-on par « les entreprises » : celles-ci sont-elles toutes uniformément concernées dans le vaste territoire formé par l’UE, malgré la variabilité de leurs formes juridiques, de leur taille et de leur développement technologique ou encore malgré les différences de leur production et des modes de production voire malgré leur typologie « human ou capital intensives » ou leur statut d’entreprise privée, publique, mixte ou sui generis ? Nous pouvons sans nous tromper affirmer que la logique entrepreneuriale première et dominante est fondée sur la réalisation d’un profit : c’est sans doute quelque peu abrupt car ce « cœur de métier » est de plus en plus édulcoré par des concepts relevant de la« responsabilité sociale des entreprises » ou de « développement durable » déclinés de multiples façons. Cette donnée fondamentale posée, nous devrions nous interroger sur les mille et une manières de faire fructifier une entreprise, sachant que certaines voies suivies par des entrepreneurs conviennent mieux aux travailleurs et aux préventeurs que nous sommes alors que d’autres sont totalement affligeantes. Nous nous intéressons à une forme particulière de l’instrumentalisation de moyens légaux de prévention à la lumière de leur efficacité dans un univers qui – a priori – n’est pas préparé à les accueillir voire leur est hostile : en effet, nous citerons, à titre d’exemple, la récurrence d’une petite phrase sibylline sur l’absence de charge supplémentaire que doivent avoir les réglementations nouvelles à l’égard des PME et TPE (ferments de croissance et d’emploi) alors que ces mêmes entreprises se doivent d’appliquer les généraux principes de précaution à l’égard des facteurs de risques (directive-cadre sur la santé et la sécurité au travail de n° 381 de 1989) ! Nous n’avons pas pour intention de décourager quiconque ni de stigmatiser les entrepreneurs qui seraient source de nos soucis en matière de santé et sécurité au travail : notre propos est de souligner, particulièrement dans le domaines des TMS, l’importance des réglementations comme levier de la prévention sous réserve qu’elles soient applicables et appliquées, qu’elles fassent l’objet d’une volonté largement partagée – au travers de stratégies plus offensives à l’égard des facteurs de risque relevés au cours d’études sérieuses et répétées sur le terrain – et, enfin, qu’elles puissent prouver leur efficacité. Par efficacité, nous entendons une diminution observable et quantifiable des facteurs de risque assortie d’une chute proportionnelle des prévalences, incidences et taux d’absence spécifiques, c’est-à-dire des répercussions salariales, entrepreneuriales et sociétales qui encouragent réellement la poursuite des efforts et la dissémination des bons résultats comme instrument d’incitation à l’égard des entités qui n’ont pas encore franchi le pas… Nous devons, à cet égard, admettre qu’en matière de réduction des TMS, des résultats marquants se font toujours attendre malgré l’existence de réglementations, de normes et aussi, malgré les efforts consentis, ISBN : 978-2-913488-68-4 156 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention le plus souvent sous la contrainte des directives du type « manutention manuelles de charges lourdes » et « travail sur écran de visualisation ». Cette inefficacité relative mais affligeante des mesures qui prévalent nous donne à penser que, conjuguée au futur, la prévention des TMS est pessimiste car l’économique, le chantage à l’emploi qui l’accompagne, la perte des avantages compétitifs de la vieille Europe condamnent les initiatives préventives du fait de leur coût initial et de l’inexistence de réglementations similaires au niveau des filiales ou des sous-traitants des continents émergents où les accroissements de rentabilité sont à deux chiffres. L’ergonomie, souvenons-nous en, fut d’abord biomécanique et « below de belt » ou, plus exactement, sous les cervicales : elle s’est intéressée aux hauteurs et distances d’atteinte, aux conséquences posturales et à la mesure des angles et aux calculs de fréquences et autres répétitivités. Après quelques années, nous avons imaginé pouvoir relever le défi des prévalences galopantes en nous attaquant aux manières d’organiser, de répartir, d’enrichir ou de faire varier le travail, en nous préoccupant des motivations, des contextes, des écologies au sens large : les plaintes quant à elles demeurent ! Que faire ? Synchroniser l’ensemble – sans aucun doute – mais comment ? Automatiser à outrance pour éviter l’interposition de l’humain et de la machine, exporter les « dirty jobs » vers le tiers-monde, c’est-à-dire là où la santé du travailleur n’est pas encore (trop) interrogée, là où les besoins sur l’échelle de Maslow demeurent encore au niveau des besoins physiologiques et alimentaires de base ? Comment concilier notre avantage compétitif et nos besoins d’accomplissement de soi ? Nous devons produire les meilleurs produits du monde, les plus avancés technologiquement, les plus adaptés aux demandes des consommateurs, les plus qualitatifs, les plus… au moindre prix. Ces interrogations sont celles d’entrepreneurs pour qui les stratégies d’élimination-réduction de risques de TMS « pris-en-charge-par-tiers » sont absconses parce qu’ils n’ont ni été éduqués, ni préparés à cette approche : la prévention des TMS ne peut passer que par des mesures contraignantes et la vérification sur le terrain de la mise en place de celles-ci assortie, par défaut, de prévention caractérisée de pénalités « suffisamment pénalisantes » ; sachant que le but n’est pas de pénaliser ni d’obérer l’efficacité ou la volonté de produire (ce serait contre-productif à long terme par absence de postes de travail), nous nous devons de prévoir des mécanismes participatifs du type « feux clignotants » qui permettent le dépistage précoce de terrain en vue de l’élimination-réduction des facteurs de risque. Simultanément, la démonstration d’un atout compétitif en matière de santé-sécurité et financière, au moins, doit être établie : ce n’est pas par hasard que les entreprises qui vont bien sont aussi celles qui souvent ont effectué des progrès plus sensibles en élimination-réduction des risques et, a contrario, les entreprises qui sont sur le fil du rasoir sont aussi celles qui se préoccupent le moins, faute de moyens évidemment et aussi de compétences, du bien-être des travailleurs ; ce sont aussi ces entreprises-là qui tentent d’éviter systématiquement l’engagement de moyens de dépistage et de remédiation par recours aux pratiques douteuses de la sous-traitance en cascade ou de l’externalisation des risques. Il ne faudrait pas oublier dans cette discussion sur les leviers de la prévention en entreprise que les travailleurs européens ont obtenu, en échange de l’ouverture du marché, la garantie d’un haut degré de santé et sécurité au travers d’une série de directives et de mécanismes dont celui dit de la « nouvelle approche » qui octroie une présomption de conformité à la directive « machines » lorsque les normes en vigueur sont respectées. Nous voudrions en terminant aborder le fait que de nombreux ergonomes sont réfractaires à la normalisation – non seulement parce qu’elle est complexe voire hermétique – mais surtout parce qu’ils voudraient y opposer la singularité de chaque situation de travail. Ce sont aussi les mêmes ergonomes – dont nous faisons partie – qui identifient les incongruités des interfaces homme-machine. Suite à ce double constat d’une normalisation mal comprise/peu adéquate et de l’importante insatisfaction à l’égard d’interfaces, des ergonomes, ingénieurs, préventeurs et concepteurs issus du monde du travail, de la régulation ou de l’entrepreneuriat se sont réunis à l’occasion de la parution de la nouvelle directive « machines » lors d’une conférence organisée par l’organisme allemand KAN. Depuis deux ans, ce groupe travaille au sein de la plateforme ErgoMach – ergonomie & machines – afin de sensibiliser les différents acteurs aux principes de base de l’ergonomie tels qu’ils se déclinent notamment dans l’annexe 1.1.6 de la directive et au travers des normes « ergonomiques » établies par les groupes de travail du CEN ou Comité Européen de Normalisation dont le Comité Technique TC 122 – Ergonomie. 157 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Les premiers résultats du travail de la plateforme ErgoMach sont accessibles en ligne sur le site www. ergomach.eu qui donne aussi accès au guide de la directive « machines », aux normes qui permettront aux concepteurs de faire correspondre leurs produits aux prescriptions essentielles de la directive et à l’explication en clair des termes du paragraphe consacré à l’ergonomie. L’équipe ErgoMach présentera son travail et ses réflexions au cours du congrès international de santé-sécurité lors d’une journée entière consacrée à l’ergonomie, à laquelle vous êtes bien entendu cordialement conviés (voir site). Nous conclurons cette réflexion en reformulant notre doute quant à un intérêt spontané de la part des entreprises à l’égard des stratégies de prévention qui ne constituent – sauf exception (pour les entreprises du secteur de la santé-sécurité) – pas leur cœur de métier mais qui, bien sûr, tentent de mieux produire en évitant tout désagrément de production dont les accidents de travail ou les altérations de santé parce qu’elles sont tout simplement contre-productives. Cela étant établi, tout se passe comme en matière de circulation et sécurité routières : rien n’est vraiment intégré, accepté ou librement consenti par tous ; pour éviter les incidents, les perturbations et les dangers, pour fluidifier et augmenter l’efficacité du trafic, il faut mettre en place des guidances faites de feux rouges et de clignotants qui sont autant des que des balises. Ce sont des outils efficaces mais qui ne sont pas perçus comme tels. Les directives et les normes revêtent des qualités identiques mais provoquent concomitamment les mêmes réactions négatives au point que, répétons-le, il soit nécessaire d’écrire trop souvent qu’elles ne peuvent impacter les TPE/PME, et au point aussi qu’au nom de la simplification administrative, il soit très difficile de faire évoluer les règles parallèlement avec l’émergence de nouveaux risques liés, eux, aux évolutions techniques et sociétales. Exemple et illustration : Directive 2006/42 – directive « machines » Annexe 1 Exigences essentielles de santé et de sécurité relatives à la conception et à la construction des machines Principes généraux 1.1.6. Ergonomie Dans les conditions prévues d’utilisation, la gêne, la fatigue et les contraintes physiques et psychiques de l’opérateur doivent être réduites au minimum compte tenu des principes ergonomiques suivants : • tenir compte de la variabilité des opérateurs en ce qui concerne leurs données morphologiques, leur force et leur résistance ; • offrir assez d’espace pour les mouvements des différentes parties du corps de l’opérateur ; • éviter un rythme de travail déterminé par la machine ; • éviter une surveillance qui nécessite une concentration prolongée ; • adapter l’interface homme-machine aux caractéristiques prévisibles des opérateurs. ISBN : 978-2-913488-68-4 158 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Fiches explicatives – Facteurs ergonomiques : « Rythme de travail » BASICS : The WORK RATE is a flow that describes the number of pieces per time unit measured at one operator’s working station. When non adjustable by the operator(s), the work rate imposed by the machine could cause problems. The designer should also consider two other WORK RATES in order to assess the total work rate : 1. TheMENTAL work rate which refers to the number and the complexity of the mental operations to perform. 2. TheSENSORIAL work rate that is present when one or several sensory systems are involved in repetitive demands in order to execute visual, acoustic or haptic (sense of touch) requiring tasks. E.g. perception (sensorial task) of / responses from signals, controls, forms and surfaces, pressure, dosage of acceleration, etc. assessed in order to understand and take a decision. 159 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention EXPLANATION : The individual should be allowed full control of his work rate. During machine operation, the operator should be able to activate and deactivate the machinery at any instant“ (EN 1005-3). The work rate is perceived by the operator as a work demand. Each simple work demand added to the other ones, of different nature, result into the total workload put on the worker. The work rate is often multidimensional : seldom of a single nature, combining physical, mental and/or sensorial dimensions. This combination can result in a balanced work rate or an imbalanced one : when it is balanced, it is then perceived by the worker as an acceptable demand. A negative perception can effectively be avoided, if each operator has the possibility to adapt the work rate to its own perception and, even, to his/her varying abilities and feelings under a working shift. Letting a machinery impose its rate to an operator is a common mistake that often brings lots of consequences for the human being and for the company. Each single component of the work rates is easily measurable, the final work rate is sometimes more complex when it results of the three combined work rates. The work rates are a part of the different job demands put on the worker. When these demands are perceived as too high they will provoke at the operator’s level negative reactions such as physical or psychological ; they will then impact the production. The most common complaints when the work rate is too high and/or not controllable by the operator and if recovery periods are absent or too rare, are (1) neck-shoulder and arm-hand pain, (2) low back pain, (3) pain in lower limbs, (4) psychological distress associated to low back pain and/or neck and shoulder pain when higher demands, lower job control and poor social support are combined. Such disorders and complaints can effectively be minimized by design if special attention is paid from the earliest designing stage to ergonomics : in the daily practice, this means leaving to the operator higher degrees of choices and of freedom in order to adjust personally the system for rate or pace, range of motion, posture, height, reaching distance, starting and stopping easily the machine when needed, etc. and by avoiding systematically to load the operator with demands that could be done mechanically or electronically. Even organisational consequences of a too high work rate can be effectively reduced through ergonomics’ principles application at the earliest designing stage. STANDARDS : EN 614-1+A1 : 2006 Safety of machinery - Ergonomic design principles - Part 1 : Terminology and general principles EN 614-2+A2 : 2000 Safety of machinery - Ergonomic design principles - Part 2 : Interactions between the design of machinery and work tasks EN 1005-1+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 1 : Terms and definitions EN 1005-2+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 2 : Manual handling of machinery and component parts of machinery EN 1005-3+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 3 : Recommended force limits for machinery operation EN 1005-4+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 4 : Evaluation of working postures and movements in relation to machinery EN 1005-5 : 2007 Safety of machinery - Human physical performance - Part 5 : Risk assessment for repetitive handling at high frequency ISO/FDIS 12100 : 2010-07Safety of machinery — General principles for design — Risk assessment and risk reduction EXAMPLES : High work rate : repetitive work on a conveyer belt (fruits’ packaging) ISBN : 978-2-913488-68-4 160 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’entreprise face aux obligations légales en matière de prévention des TMS. L’environnement législatif français, carcan ou ressort dans le domaine de la prévention des TMS ? Dr François Becker Médecin spécialiste en santé au travail, Hager Group (France) Introduction P our tenter de répondre à cette question, nous avons, après une revue des dispositions réglementaires et de la jurisprudence, interviewé des acteurs de la prévention au sein du groupe Hager : directeurs d’usine, responsables HSE, secrétaires de CHSCT, ergonomes et membres de l’équipe de santé au travail pour confronter leurs opinions sur la pertinence du cadre réglementaire en matière de prévention des TMS et tracer les contours d’une réglementation « idéale ». Panorama de la réglementation en vigueur Le code du travail français a ceci de particulier que le salarié y est considéré comme un « mineur ». En effet, en raison du lien de subordination à son employeur, il abandonne sa « souveraineté » dès la porte de l’entreprise franchie. En contrepartie, l’employeur endosse la quasi-totalité des responsabilités ; dans le domaine de la santé et de la sécurité, il a même une obligation de résultat. Dispositions générales Le code de la Sécurité sociale L. 461-4 précise que tout employeur qui utilise des procédés de travail susceptibles de provoquer les maladies professionnelles mentionnées à l’article L. 461-2 est tenu, dans les conditions prévues par décret en Conseil d’État, d’en faire la déclaration à la Caisse primaire d’assurance maladie et à l’inspecteur du travail ou au fonctionnaire qui en exerce les attributions en vertu d’une législation spéciale. La loi N° 91-1414 du 31 décembre 1991 portant transposition de la directive-cadre européenne n° 89-391 du 12 juin 1989 visant à l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail oblige l’employeur à évaluer les risques qui ne peuvent être évités ; cette évaluation doit faire l’objet d’un écrit : le Document unique. Dispositions spécifiques concernant la manutention manuelle de charges • Article R231-72, créé par décret n°92-958 du 3 septembre 1992 - art. 1 JORF 9 septembre 1992 en vigueur le 1er janvier 1993 Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que les aides mécaniques prévues au 2° du premier alinéa de l’article R. 231-68 ne peuvent pas être mises en œuvre, un travailleur ne peut être admis à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes. • Article D4153-39, créé par décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V) Il est interdit de laisser les jeunes travailleurs âgés de moins de dix-huit ans porter, traîner ou pousser des charges pesant plus de : 161 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention 1.15 kg pour un travailleur masculin de quatorze ou quinze ans 2. 20 kg pour un travailleur masculin de seize ou dix-sept ans 3. 8 kg pour un travailleur féminin de quatorze ou quinze ans 4. 10 kg pour un travailleur féminin de seize ou dix-sept ans Le transport sur brouettes est également interdit aux travailleurs de moins de dix-huit ans pour les charges supérieures à 40 kg, brouette comprise. La norme française X35 109 remplace depuis 2009 la norme expérimentale éponyme, elle n’a pas de valeur réglementaire. Jurisprudence Une recherche sur le site de Légifrance avec les mot-clés « tableau 57 » et « faute inexcusable » nous a permis de trouver 8 arrêts de la cour de cassation. Il ressort de l’analyse de ces arrêts que l’employeur est, en vertu du contrat le liant à son salarié, tenu envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Cette absence de conscience du danger peut avoir pour origine une évaluation des risques incomplète, l’absence de mesures prises pour prévenir un danger mentionné dans le Document unique d’évaluation des risques, enfin la non prise en compte des réserves quant à l’aptitude émises par le médecin du travail. Synthèse de la réglementation Les dispositions réglementaires sont, soit très générales et ne fournissent pas les outils pour la prévention, soit carrément obsolètes lorsqu’il s’agit des manutentions de charges. Contrairement aux dispositions concernant le risque de surdité lié au bruit, qui fournissent une véritable boîte à outils pour la prévention, les textes en vigueur sont de peu de secours pour prévenir les TMS. La jurisprudence qui impose une obligation de résultat en matière de sécurité, d’une part, et facilite la reconnaissance de la faute inexcusable, d’autre part, augmente le risque juridique et ses conséquences financières pour l’entreprise. Enfin le coût de l’assurance AT/MP qui obéit pour les entreprises de grande taille à un système de bonus-malus incite fortement à la prévention des pathologies liées au travail. Les lacunes de la réglementation ont incité Hager à se rapprocher des organismes de prévention (CRAM, ANACT), à se référer aux normes en vigueur et à inventer ses propres outils que nous allons décrire à présent. Prévention primaire Le référentiel ergonomique a été créé en 2007 par la cellule ergonomique de l’entreprise en collaboration avec le SST en s’appuyant sur la réglementation, les normes en vigueur, les recommandations de l’INRS et le savoir-faire industriel de l’entreprise. Régulièrement mis à jour, c’est un outil pour les concepteurs internes des postes de travail : méthodes, industrialisation, ergonomes, productique. Concernant la prévention des TMS, sont abordés la posture de travail, les gestes à proscrire, les efforts maximaux par segment de membre et les manutentions. La cartographie TMS mise au point en 2006 est un outil d’analyse ergonomique des postes de travail. Partie intégrante de l’évaluation des risques, tous les postes sont cartographiés, les critères analysés sont les angles de confort du cou et des articulations du membre supérieur ainsi que les efforts à exercer. La ISBN : 978-2-913488-68-4 162 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention synthèse de l’observation est une note qui permet de classer les postes en 6 catégories de favorable à défavorable. La réalisation et la mise à jour de la cartographie sont assurées conjointement par la cellule ergonomique et le service de santé au travail. Chaque responsable a pour objectif annuel une amélioration du score des postes de son secteur. Les limites de cet outil sont les postes multitâches, d’une part, la faible prise en compte des facteurs organisationnels et de la répétitivité, d’autre part. Cette lacune sera comblée par deux nouveaux outils permettant d’estimer respectivement les contraintes des postes comprenant des tâches très différentes et la qualité des polyvalences notamment du point de vue de la répétitivité. Prévention secondaire Plainte TMS : La précocité de la prise en charge d’un TMS est la clé d’une guérison sans séquelles. Les collaborateurs sont incités à consulter au service de santé au travail dès que « le geste professionnel fait mal ». Infirmiers et médecins concourent à la prise en charge de la personne : diagnostic, soins et en particulier réduction des contraintes du poste : baisse de la cadence par des réductions d’allure, demande de changement temporaire ou définitif de poste. Le SST fournit chaque mois aux managers et aux ergonomes la liste anonyme des plaintes TMS par secteur. Si l’analyse de la plainte TMS met en évidence un dysfonctionnement au niveau du poste, une alerte ergonomique est lancée. Alerte ergonomique : Chaque collaborateur peut déclencher une alerte ergonomique ; un document relate le dysfonctionnement, les risques pour la santé, les dispositions à prendre, immédiates et à plus long terme pour résoudre le problème. La prise en compte des alertes ergonomiques est un des critères d’évaluation des managers. Prévention tertiaire Le reclassement des salariés atteints de séquelles de TMS, notamment de lésions de la coiffe des rotateurs de l’épaule, passe par des aménagements de poste généraux qui bénéficient également aux autres membres de son équipe, ou des aménagements individuels : baisse du rendement. Résultats et conclusion Évaluer l’impact de la politique de prévention menée par Hager s’avère particulièrement difficile, aucun indicateur à lui seul n’étant suffisant : les salariés ne déclarent pas systématiquement leur pathologie professionnelle à l’assurance maladie, souvent lorsqu’un arrêt de travail est nécessaire celui-ci est prescrit en rechute. Le signalement précoce des « plaintes TMS » au service de santé au travail ou le diagnostic lors des visites médicales donnent par contre une vision presque exhaustive de l’incidence et de la prévalence des TMS. Seule l’analyse simultanée de ces différents indices : MP déclarées, rechutes, taux de gravité lié aux MP, données du SST permettra de construire un tableau de bord pertinent. Passé ce premier obstacle, les évolutions observées ne sont pas le reflet des seules améliorations apportées à l’environnement de travail, de nombreux autres facteurs interviennent dans la genèse des TMS : le vieillissement des salariés, les facteurs extra-professionnels, malgré de gros investissements, la décrue des TMS est illusoire et le retour sur investissement peut paraitre décevant. À la question sur l’évolution réglementaire souhaitable en matière de prévention des TMS, les acteurs ont été unanimes à souhaiter une définition plus précise des différents facteurs de risque de TMS et notamment la prise en compte de la répétitivité, ce souhait est également partagé par les organismes de Sécurité sociale. 163 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’inspection du travail au Québec : parfois un levier pour la prévention des TMS arie Saint-Vincent, M Maud Gonella, Denys Denis Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (Canada) Daniel Imbeau, Karine Aubry École Polytechnique de Montréal (Canada) Introduction D ans la plupart des pays industrialisés, les TMS sont un problème majeur de santé et sécurité. Au Québec, les TMS représentent près de 40% des lésions compensées et entraînent des coûts économiques, sociaux et humais considérables. Pour enrayer ce fléau, des interventions ergonomiques ont été menées en entreprise. S’est alors posée la question de l’efficacité de ces interventions. Quelques recensions d’écrits ont été réalisées pour en évaluer l’efficience (Karsh et al., 2001; Kilbom, 1988; Snook, 1988; Goldenhar et Schulte, 1994; Grant et Habes, 1995; Westgaard et Winkel, 1997). Les résultats ne sont pas toujours concluants, mais une tendance se dégage à l’effet que ces interventions ont souvent des impacts positifs et que les interventions les plus prometteuses sont celles à composantes multiples (Karsh et al., 2001; Westgaard et Winkel, 1997), c’est-à-dire qui comportent diverses opérations, par exemple : transformations au niveau des aménagements physiques, modifications de l’organisation du travail, actions sur la formation aux travailleurs. Outre la seule description des effets de l’intervention, pour avancer dans la question et améliorer nos pratiques, une tendance plus récente vise à approfondir son processus pour mieux en comprendre les impacts (Champagne et Denis, 1992; Contandriopoulos et al., 2000; Karsh et al., 2001; Shannon et al., 1999; Westgaard et Winkel, 1997). Plusieurs s’intéressent donc à l’évaluation du processus de l’intervention ergonomique (Denis et al., 2008; Karsh et al., 2001; Van Eerd et al., 2007). On croit qu’en comprenant mieux le processus de l’intervention et les facteurs qui l’influencent, il sera possible d’améliorer nos pratiques. Pour approfondir ces questions, une opportunité intéressante et unique s’est présentée au Québec à partir des années 2005. La CSST a initié un plan d’action pour contrer ce fléau des TMS. Selon ce plan, des entreprises sont ciblées sur la base des TMS compensés. Un inspecteur se présente en entreprise et, à l’aide de l’outil QEC (Quick Exposure Check, Li et Buckel, 1999), doit faire la démonstration qu’il y a présence de facteurs de risque sur le ou les postes pour lesquels des réclamations ont été acceptées. Dans le cas où il y a présence de risque, l’inspecteur somme l’entreprise de corriger la situation (il émet une dérogation selon l’article 52). L’entreprise est libre d’utiliser l’intervenant de son choix et l’approche d’intervention qu’elle souhaite. Il y avait donc au Québec dans les années récentes plusieurs interventions de prévention initiées en entreprise. Il a d’abord été décidé de faire un projet pilote sur un petit échantillon dont les buts étaient de faire le suivi des interventions de prévention menées en entreprise et d’étudier la faisabilité de mener un projet de plus grande envergure. Ce papier présente les principaux résultats du suivi des interventions. Méthodologie Le projet a été réalisé en collaboration avec six inspecteurs et un suivi a été effectué sur huit situations de travail, réparties dans sept entreprises. On peut noter deux grands types de données recueillies : • Premièrement, des mesures avant et après l’implantation de correctifs sur les facteurs de risques présents aux situations de travail ciblées ont été réalisées à l’aide de dix méthodes reconnues et selon la perception d’un expert en ergonomie. ISBN : 978-2-913488-68-4 164 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • Deuxièmement, des études de cas pour décrire l’intervention et ses résultats ont été réalisées. Un ou deux ergonomes visitaient l’entreprise après l’implantation des transformations et interrogeaient un ou deux travailleurs impliqués, un représentant patronal et syndical, de même que la personne en charge de l’intervention. Les inspecteurs impliqués étaient aussi interrogés par téléphone. Les entretiens permettaient de décrire : le contexte de l’entreprise (caractéristiques de l’entreprise et de sa population, culture et organisation de la SST); l’intervenant en charge de l’implantation des correctifs; le processus d’intervention; la situation de travail analysée et ses principales difficultés; les transformations implantées et les résultats obtenus. Les résultats étaient décrits quant aux impacts sur la situation de travail, mais également quant à ceux plus généraux sur l’entreprise et les représentations des acteurs. Sur les huit cas, il y en a eu six où il y a eu implantation de correctifs pendant la durée du projet. Une entreprise a décidé de revoir tous ses postes et n’avait pas encore implanté de transformations à la fin du projet alors que le contact a été perdu entre l’équipe projet et une autre entreprise. Les résultats portent donc sur six cas. Résultats Pour chaque cas, un résumé d’étude de cas était produit qui contenait toutes les données recueillies sur l’intervention décrite. À partir de ces résumés, une synthèse des études de cas a été produite sous forme de tableaux. Nous présentons dans cette section les faits saillants de cette synthèse. Le tableau 1 présente les caractéristiques des entreprises et des postes de travail, alors que le tableau 2 présente les transformations mises en place et leurs impacts pour les six cas où il y a eu implantation de transformations dans les délais du projet. Caractéristiques des entreprises et des postes étudiés Deux entreprises comptent moins de 100 employées, deux ont 300 employés ou moins alors que les trois autres ont entre 300 et 600 employés. Selon les inspecteurs impliqués, la prise en charge en SST peut être qualifiée d’excellente dans une entreprise, de bonne dans 4 entreprises et de faible à moyenne dans les deux autres entreprises. Les sept entreprises ont un comité SST, dont les membres disposent de temps pour faire de la prévention dans cinq cas. Toutes les entreprises ont implanté des actions de prévention en SST, leur nombre varie selon le cas. Les situations de travail analysées portent toutes sur des tâches manuelles. Les tâches analysées sont résumées au tableau 1 ; il y a trois tâches d’accrochage de poulets. Tel qu’attendu, des facteurs de risque ont été notés pour les huit situations de travail avant l’implantation des transformations. Dans les huit cas, des risques reliés à la posture ont été observés. La cadence est aussi un facteur de risque très présent, observé dans sept des huit cas. La force est mentionnée dans trois cas et des risques relatifs à la manutention dans quatre cas. 165 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Tableau 1 : Situations de travail analysées Un risque lié à la durée a été noté dans deux cas de même qu’un risque associé au froid. Les difficultés liées à la situation de travail avant l’implantation de correctifs sont résumées pour les six cas où il y a eu implantation de correctifs pendant la durée du projet. Les difficultés identifiées par les travailleurs varient selon les cas. Les transformations et leurs impacts Les transformations et leurs impacts sont résumés au tableau 2. Dans la plupart des cas, les transformations touchent à l’aménagement ou aux équipements. Les solutions sur l’organisation du travail impliquent surtout des actions au niveau de la rotation des postes, observées dans trois cas. Dans le cas 4, il y a ajout d’un travailleur pour accomplir la tâche. Dans deux cas, les cas 1 et 5, on intervient sur les méthodes de travail et la formation des travailleurs. Dans trois cas, on a amélioré l’éclairage. Dans tous les cas, plusieurs éléments de correction ont été implantés. On retient que les transformations portent souvent sur les aménagements et les machines ou outils, mais la formation et l’organisation du travail sont aussi des avenues de correction. Dans deux cas, les acteurs de l’entreprise qualifient les transformations comme étant très importantes, dans deux cas, comme étant notables et dans deux autres cas comme étant moyennes. Il s’agit donc d’interventions de correction qui sont significatives. L’impact des transformations a été évalué selon différentes perspectives, la plupart par des données de perception. Dans la majorité des cas, on juge les transformations comme étant assez satisfaisantes alors que dans le cas 1 on les qualifie de très satisfaisantes. Les éléments du travail perçus par les travailleurs comme étant les plus améliorés sont décrits. Tel qu’expliqué dans la méthodologie, nous avons demandé aux divers acteurs s’il y avait des impacts plus généraux au-delà de la situation de travail. Ces impacts sont importants car on peut penser qu’il s’agit d’impacts plus durables que les seules modifications au poste. Il y a des retombées plus générales dans les six cas. Il y a amélioration des relations de travail (entre les travailleurs, la supervision et/ou les ISBN : 978-2-913488-68-4 166 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention gestionnaires) dans trois cas. Dans le cas 3, où on a implanté la rotation, cette transformation a contribué à beaucoup améliorer la qualité des relations entre les travailleurs. Dans le cas 4, à la suite de l’intervention, les travailleurs ont développé une approche plus réflexive, ils se questionnent davantage sur les problèmes rencontrés dans le travail. Dans le cas 6, on note que les travailleurs se sentent maintenant plus écoutés. On est ici davantage dans l’univers des facteurs psycho-sociaux. On peut penser aussi que dans certains cas l’intervention aura un impact sur le regard ou l’approche de l’entreprise en prévention. Dans trois cas, on rapporte une meilleure conscience ou compréhension des problèmes de TMS (cas 1, cas 3, cas 4). Dans le cas 2, on compte poursuivre en réutilisant le QEC pour d’autres situations de travail. Nous avons demandé aux personnes impliquées leur perception de l’impact des transformations sur la productivité et la qualité. Dans tous les cas, il y a un impact positif sur la productivité et, dans cinq cas sur 6, un impact positif sur la qualité. Dans le cas 1 la qualité était déjà optimale. Tableau 2 : Transformations et leurs impacts Dans quatre cas, il y a un impact sur les facteurs de risque selon l’expert et selon les méthodes d’évaluation. Dans les cas 1 et 5 plusieurs facteurs de risque ont diminué. Pour le cas 3, risque important, la durée d’exposition a été réduite alors que pour le cas 6 il y a une nette amélioration de la posture. Dans le cas 2, il n’y a pas d’impact noté par l’ergonome expert sur les facteurs mécaniques, quant aux méthodes, seules certaines ont pu détecter une amélioration. Dans ce cas, où une opération exigeante est éliminée, il s’agit surtout d’une réduction des contraintes cognitives. Enfin dans le cas 4, ni l’expert ni les méthodes n’ont pu détecter une baisse du risque. Il semble donc que l’impact des transformations ait été trop faible pour être capté par la procédure de l’expert ou par les méthodes d’évaluation. 167 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le processus de l’intervention Quant au processus de l’intervention, un premier constat se dégage : les entreprises n’ont fait appel à un expert en ergonomie que dans un seul cas. Un inspecteur a agi deux fois comme intervenant principal de l’intervention. Dans les cas 1, 3 et 5, des démarches systématiques d’identification de problèmes et de recherche de solutions semblent avoir été menées, accompagnées de groupes de travail. Dans deux de ces situations, l’intervention était menée par un inspecteur. Dans les trois autres cas, des démarches moins systématiques semblent avoir été menées. Dans le cas 2, le QEC a été le point de départ de discussions entre des acteurs de l’interne et l’inspecteur pour trouver des idées de solutions. Dans le cas 5, le responsable de la maintenance a utilisé ses compétences techniques pour modifier le convoyeur. Finalement, dans le cas 6, des solutions ont été trouvées après discussion entre le directeur de la production et l’inspecteur. Soulignons que les délais d’implantation sont relativement longs ; il s’agit de la durée entre la première analyse de l’inspecteur et l’implantation de correctifs. Dans deux cas, ce délai est de huit mois, dans trois cas, de 11 mois et dans le dernier cas, de 12 mois. Nous avons demandé aux acteurs comment était perçue cette approche de prévention de la CSST. Bien qu’une dérogation ait été imposée, l’approche de la CSST a été rapportée comme étant bien perçue dans cinq des six cas. Dans une entreprise (cas 3 et 5), on trouve même que les demandes ne vont pas assez loin. Dans deux entreprises, on souligne qu’il serait apprécié d’avoir plus d’informations de sensibilisation. Une entreprise relève que l’information donnée n’est pas toujours assez claire. Dans cinq interventions, les relations avec l’inspecteur sont positives, on montre par exemple une contribution importante, une attitude compréhensive, une bonne sensibilité face aux TMS. Dans un seul cas, il y a un commentaire à l’effet que l’inspecteur devrait consulter avant d’imposer des délais, on réfère aussi dans ce cas à des problèmes liés à la sécurité des machines. En bref, il y a une bonne perception de l’approche mise en avant par la CSST et du rôle de l’inspecteur. Discussion Discutons des impacts de l’approche CSST et résumons les points forts et limites de l’étude. Impacts de l’approche CSST Tout semble indiquer, du moins à partir des cas suivis, que l’approche de la CSST a des impacts positifs. Sur les huit cas, dans un seul cas, il n’a pas été possible d’entrer dans l’entreprise. Dans le cas 7, il n’y a pas eu de suivi d’implantation car l’entreprise a décidé de revoir l’ensemble de ses postes avec l’intervenant externe, ce qui est plutôt positif. Ainsi, dans les six cas où il y a eu suivi, des transformations variées ont été implantées. Il s’agit de transformations significatives. C’est donc des interventions sérieuses qui ont été menées, il ne s’agissait pas uniquement de « cosmétiques » ou de « quick fix ». Il faut souligner qu’il y a eu implantation de différents types de transformation ; les outils et les équipements sont touchés, mais la formation, les méthodes de travail et l’organisation du travail sont aussi revues. Un bémol toutefois, les délais d’implantation sont plus longs que prévus : de 8 à 12 mois. Il est un fait constaté dans nos études antérieures : la phase de recherche et d’implantation des solutions est la plus longue dans des interventions de correction (St-Vincent et al., 1993). Les impacts sur le poste de travail ont été évalués par des données de perception (degré de satisfaction face aux transformations) et par l’évaluation des facteurs de risque, d’une part, par le jugement d’expert, et d’autre part, selon les 10 méthodes d’évaluation des risques. Dans quatre cas sur six, il y a concordance entre les données de perception et les impacts sur les facteurs de risque. Dans deux cas, il y a un impact positif selon les données de perception, mais un impact plus mitigé si l’on considère le risque. ISBN : 978-2-913488-68-4 168 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Des données de perception ont été recueillies sur la productivité et la qualité. Il apparaît que dans tous les cas la productivité est améliorée et, sauf un cas où la qualité était déjà optimale, celle-ci est toujours améliorée. Ainsi les transformations, outre leur impact sur le risque, améliorent le travail. Des données de perception ont été recueillies pour évaluer l’impact sur les représentations ou les dispositions en prévention. Des résultats intéressants ressortent. Il y a tout lieu de croire qu’il y a un impact sur les représentations. On dit que la façon de voir les TMS a été changée dans trois cas et une amélioration des dispositions en prévention apparaît dans deux cas. Il s’agit là de facteurs favorables à des effets durables sur la prévention des TMS. En effet, les représentations sont à la base des actions de transformation (Guérin et al., 1997; Teiger, 1993). Par ailleurs, des effets sur les relations entre les différents acteurs sont notés dans la majorité des cas. Dans un cas, il ressort nettement que le processus de transformation a induit chez les travailleurs une approche plus réflexive : ils discutent plus, réfléchissent davantage aux problèmes. Ces résultats suggèrent que les interventions des inspecteurs ont eu des répercussions profondes et plus macro que les impacts observés au niveau du poste. Points forts et limites de l’étude Le point fort de cette étude est la diversité des données recueillies pour faire le suivi des interventions. D’une part, des données de perception sur les impacts aux postes et, d’autre part, des données plus quantitatives issues de méthodes connues d’évaluation du risque ont été prises. Il faut mettre en perspective les résultats plutôt positifs qui ont été obtenus en fonction de certaines limites de l’étude. Trois facteurs ont pu contribuer à surestimer les résultats. Un, il s’agit d’entreprises de grande taille au contexte plutôt favorable. Deux, il s’agit d’inspecteurs sélectionnés et, trois, les tâches analysées étaient de nature répétitive, donc moins complexes à analyser que des tâches variées. Conclusion Le suivi d’interventions sur un échantillon de huit situations de travail suggère fortement que les interventions de prévention des inspecteurs de la CSST ont des impacts positifs dans les entreprises. Des transformations variées et de bonne ampleur ont été implantées, lesquelles réduisent généralement les facteurs de risque auxquels sont exposés les travailleurs tout en améliorant la production. De plus, l’étude suggère que les interventions des inspecteurs ont des impacts plus généraux sur l’entreprise. Dans certains cas, la prévention est stimulée et souvent la façon de voir les TMS est changée. Une amélioration des relations entre les différents acteurs est observée dans la majorité des cas. Tout semble indiquer que, selon le contexte, les interventions des inspecteurs constituent un levier pour la prévention des TMS. Pour conclure de façon plus ferme, une étude de plus grande envergure est requise. Références Champagne, F. et Denis, J.L. (1992). Pour une évaluation sensible à l’environnement des interventions : l’analyse de l’implantation. Service Social, 41(1), 143-163. Contandriopoulos, A.P., Champagne, F., Denis, J.L., Avargues, M.C. (2000). L’évaluation dans le domaine de la santé: concepts et méthodes. Revue d’épidémiologie et de Santé Publique, 48(6), 517-539. DENIS, D., ST-VINCENT, M, IMBEAU, D., JETTÉ, C., NASTASIA, I. (2008). Intervention practices in musculoskeletal disorder prevention: a Critical Literature Review, Applied Ergonomics, 30, 1-14. Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Durrafourg, J., Kerguelen, A. (1997). Comprendre le travail pour le transformer, la pratique de l’ergonomie. ANACT, Collection Outils et Méthodes, 2ème édition. 169 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Karsh, B.T., Moro, F.B.P., Smith, M.J. (2001). The efficacity of workplace ergonomic interventions to control musculoskeletal disorders: a critical analysis of the peer-reviewed literature. Theoretical issues in ergonomic science, 2(1), 23-96. LI, G., BUCKLE, P. (1999). Evaluating change in exposure to risk for musculoskeletal disorders - a practical tool. [En ligne] Suffolk: HSE Books, 74 p. CRR251. Shannon, H.S., Robson, L.S., Guastello, S.J. (1999). Methodological criteria for evaluating occupational safety intervention research. Safety Science, 31, 161-179. ST-VINCENT, M., CHICOINE, D., BEAUGRAND, S. (1993). Atteintes musculo-squelettiques reliées au travail répétitif dans le secteur électrique. Rapport de recherche, IRSST, R-071, 400 p. Teiger, C. (1993). Représentation du travail, travail de la représentation. In Weill-Fassina, A., Rabardel, P., Dubois, D. Représentations pour l’action. Octarès Éditions, Toulouse, France. Van Eerd, D., Cole D., Village, J., Theberge, N., St-Vincent, M., Clarke, J., Keown, K., Mahood, Q., Irvin, E., Cullen, K., Widdrington, H. (2007). Process and Implementation of Participatory Ergonomics: A review of the peer-reviewed literature. 42ème conférence de l’ACE, Toronto, Canada, Octobre. Westgaard, R.H., Winkel, J. (1997). Ergonomic intervention research for improved musculoskeletal health: A critical review. International Journal of Industrial Ergonomics, 20, 463-500. ISBN : 978-2-913488-68-4 170 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Atelier 7 Adaptation et appropriation des outils au service de la prévention des TMS Agnès Aublet-Cuvelier Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France Sylvie Ouellet Cinbiose, Université du Québec à Montréal (Uqam) (Canada) Introduction L ’appropriation/adaptation des outils au service de la prévention des TMS par les chercheurs et par les acteurs de la prévention internes et externes à l’entreprise, est à l’origine de nombreux débats au sein de la communauté scientifique et entre les praticiens à différents niveaux. Les conditions de l’appropriation et les pratiques d’adaptation varient selon : • la nature des outils mis en œuvre (cliniques, ergonomiques…), • les compétences des concepteurs et celles des utilisateurs de ces outils, • les objectifs poursuivis par les uns et par les autres (amélioration de la connaissance, évaluation de l’exposition, compréhension et transformation des situations de travail, transmission de savoirs, de compétences…), • les conditions internes et externes du transfert, • la durabilité de l’appropriation et de l’utilisation dans les organisations, • l’utilité scientifique, stratégique et sociale de leur usage. Objectifs Cet atelier a pour objectifs d’éclairer chercheurs et praticiens sur les conditions de l’appropriation des outils dans une perspective de prévention durable des TMS et d’explorer les avantages et limites de leur adaptation dans différents contextes, à partir des témoignages de chercheurs et de praticiens, médecins du travail, ergonomes et acteurs institutionnels de la prévention. Déroulement de l’atelier Quatre présentations autour de l’appropriation d’outils de prévention des TMS divers seront suivies de temps d’échanges avec l’auditoire sur : • les expériences vécues avec les outils présentés ou avec d’autres outils (contexte d’utilisation, difficultés rencontrées, résultats attendus et effectifs…), • les éléments pertinents à prendre en compte pour adapter ou s’approprier des outils existants, • les besoins des praticiens en matière d’outils pour la prévention des TMS, • les besoins de recherche pour soutenir les actions des praticiens. 171 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’outil SALTSA dans un service interentreprises de santé au travail : un exemple d’utilisation D. Leclerc, J.-P. Brion AST Lor’N 1 (France) Introduction L a véritable explosion de l’incidence des troubles musculosquelettiques dans les années 1990 a généré une forte demande de moyens préventifs pour tenter d’enrayer cette épidémie. Parmi les différents outils à visée ergonomique ou clinique émanant de la recherche, le dispositif SALTSA, outil de repérage précoce des TMS du membre supérieur dans des populations de travailleurs, s’est imposé comme une excellente méthode de dépistage clinique précoce des TMS du membre supérieur (TMSMS). L’outil clinique SALTSA, fruit d’une recherche et d’un consensus européen, est validé et utilisable en application de routine en milieu de travail. Il exige une formation spécifique des utilisateurs, garante d’une standardisation des manœuvres permettant comparabilité et reproductibilité. Les données recueillies sont ainsi exploitables au bénéfice d’ateliers, d’entreprises, de branches professionnelles, de services de santé au travail (SST) sous forme d’enquêtes spécifiques, de surveillance épidémiologique ou de recensement simple de fréquences. Après la découverte de cet outil à l’occasion d’une étude scientifique et la formation progressive de plusieurs médecins du service interentreprises de santé au travail (5 au total), l’outil SALTSA a été utilisé à titre individuel par les médecins du travail avec des participations très variables et des recueils de données peu exploitables et peu exploitées au plan individuel par manque d’intérêt, de suite à donner ou de valeurs comparatives. Par ailleurs, le très grand nombre de situations de travail limite grandement les possibilités d’utilisation des outils ergonomiques de diagnostic des postes à haute pathogénicité de TMS par l’impossibilité d’étudier en amont toutes ces situations de travail en un temps raisonnable. C’est ainsi que les actions correctrices, bien qu’indispensables, interviennent tardivement puisque l’identification du dysfonctionnement passe par l’observation de pathologies déjà déclarées. Or, les trois degrés de gravité des TMS observables grâce à SALTSA permettent d’envisager des actions correctrices à un stade précoce. Dans ce contexte, il semblait judicieux d’utiliser les qualités du dispositif dans le cadre d’un plan d’activité du service (utilisant déjà un protocole de recueil de fréquence d’expositions et de pathologies par l’approche clinique) pour le recensement des TMS et des expositions professionnelles lors des entretiens médicoprofessionnels (visites médicales périodiques). Méthodes et matériels Le dispositif utilisé est le protocole d’examen clinique du consensus européen SALTSA. Les critères diagnostiques du consensus SALTSA se rapportent à la présence de symptômes, aux résultats de manœuvres cliniques codifiées et parfaitement reproductibles et à la présence de critères temporels. Leur combinaison permet d’établir trois niveaux de sévérité : • latent, s’il existe des symptômes mais pas de critères temporels (plainte seulement) ; • symptomatique infra clinique ou forme appelée plus simplement symptomatique, s’il existe des symptômes (symptômes présents actuellement, ou au moins 4 jours au cours des 7 derniers jours, ou au moins 4 jours pendant au moins 1 semaine au cours des 12 derniers mois) mais pas de signes cliniques à l’examen (plainte et décours temporel) ; ISBN : 978-2-913488-68-4 172 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention - symptomatique avec signes cliniques ou forme dite avérée, s’il existe des signes positifs à l’examen et des symptômes présents actuellement ou au moins 4 jours au cours des 7 derniers jours. Les fréquences des troubles peuvent ainsi être estimées, une évaluation des actions préventives entreprises est possible et ceci, de façon standardisée sur plusieurs sites. C’est en pratique une recherche des signes infra cliniques et cliniques précoces pour prévenir, le plus en amont possible, le développement de ces pathologies. Protocole de recueil des données cliniques pour la surveillance des salariés en entreprise Le logiciel utilisé par les médecins du service pour le dossier médical informatisé est le logiciel STETHO®. En utilisant le thésaurus et ses rubriques, nous l’avons adapté à la saisie des items spécifiques de 10 pathologies des membres supérieurs ciblées par le dispositif SALTSA : • les cervicalgies avec irradiation, • le syndrome de la coiffe des rotateurs, • l’épicondylite, • l’épitrochléite, • le syndrome du tunnel cubital (compression du nerf cubital dans la gouttière épitrochléo-olécranienne), • la tendinite des extenseurs de la main et des doigts, • la tendinite des fléchisseurs de la main et des doigts, • la ténosynovite de De Quervain, • le syndrome du canal carpien, • le syndrome du canal de Guyon. Ainsi, lors de la saisie des observations cliniques de chaque patient, les items de localisation sont enregistrés, le cas échéant, dans un chapitre intitulé « enquête TMSMS ». La saisie est donc facilitée par l’utilisation du logiciel habituel (pas de saisie supplémentaire, facteur très séduisant pour les praticiens toujours très comptables de leur temps) Chaque affection périarticulaire saisie est accompagnée d’un motclé précisant le degré de gravité de la lésion, selon la graduation du protocole : TMS latent, symptomatique ou avéré. L’examen clinique et les manœuvres sont précédés du questionnaire Nordique (4) administré oralement lors de la consultation et chez des patients considérés comme exposés (la durée d’un examen SALTSA rendant impossible la passation à tous les patients). L’exposition au risque de contracter un TMSMS est ainsi définie : « tout salarié appartenant à un métier reconnu comme exposant (activité manuelle), appartenant à un atelier à forte prévalence de TMSMS, occupé à un ou des postes de travail dont le diagnostic ergonomique (ergonome, référent TMSMS, bureau des méthodes) atteste d’une exposition (OREGE…) ». Parallèlement à la saisie des conclusions cliniques, des facteurs de risque sont enregistrés selon une notice de consignes proposant des critères précis. Cet enregistrement repose sur la connaissance qu’a le médecin du travail des entreprises, ateliers et postes de travail liés au salarié observé. Concernant les facteurs physiques, les critères portent sur : Définitions retenues Vibrations des membres supérieurs exposition aux outils vibrants à main (perforateur à béton, marteau piqueur, meuleuse, visseuse, taille haie, débroussailleuse, outil haute pression, très haute pression…) plus de 1 heure par jour manutention répétitive exposition à un tonnage quotidien supérieur à 14 – (0,4 x la charge unitaire en kg) pour les hommes et supérieur à 14 - (0,8 x la charge unitaire en kg) pour les femmes (abaque INRS) geste avec force exposition à une manipulation de charges de plus de 4 kg pendant plus de 4 heures par jour ou traction d’objet en force 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 173 ISBN : 978-2-913488-68-4 Facteurs de risque Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention gestes répétés exposition dans la tâche principale, à des mouvements très répétitifs du membre supérieur plus de 4 heures par jour (répétition d’une même action toutes les 3 minutes pendant plus de 4 heures par jour ou à un temps de cycle inférieur à 30 secondes plus de 4 heures par jour) amplitudes maximales des poignets, coudes, épaules exposition à des amplitudes fortes prolongées (2 minutes) et/ou répétées plusieurs fois par heure, plus de 2 heures par jour, des articulations des membres supérieurs (travail mains au-dessus des épaules plus de 2 heures par jour, mouvement de flexion/extension du coude plus de 2 heures par jour, mouvement de pronation ou supination plus de 2 heures par jour). amplitude maximale du rachis mouvements de flexion du cou plus de 4 heures par jour, mouvements d’extension du cou plus de 4 heures par jour Concernant les facteurs psychosociaux, les caractéristiques suivantes sont recensées : Facteurs de risque Définitions retenues marge de manœuvre réduite exposition a une faible latitude décisionnelle dans le process (peu de choix dans la façon de procéder, travail en ligne) forte exigence psychologique exposition à une exigence de résultat, (quotas, chiffres d’affaires imposés, prime de résultat…) charge affective élevée exposition à un impact émotionnel lié à l’activité (travail au contact fréquent avec des situations difficiles telles que des décès (pompes funèbres), travail avec des populations en souffrance comme dans certains services hospitaliers, ou dans la petite enfance…) exposition à une pression temporelle forte exigence ressentie, nombreuses tâches à accomplir en un temps court, forte sensation de manque de temps pour accomplir une tâche complexe… rapports sociaux exposition à une absence de soutien, de consignes claires, de reconnaissance des efforts, situation conflictuelle vis-à-vis de la hiérarchie ou des collègues amplitude maximale du rachis mouvements de flexion du cou plus de 4 heures par jour, mouvements d’extension du cou plus de 4 heures par jour Méthode d’analyse des données Les bases de données ainsi alimentées sont rendues anonymes et transmises toutes les semaines à notre service d’études statistiques. Le traitement des données est effectué par une statisticienne du service interentreprises. Les données sont alors traitées selon des règles précises et analysées par cycle de 4 mois (pour plus de réactivité). Les analyses statistiques consistent à calculer des taux de prévalence des TMSMS et des fréquences d’exposition à différents facteurs de risque, selon le secteur d’activité et la profession. Pour chaque salarié, des scores de pathologies et d’exposition sont établis. Les scores de pathologies sont obtenus en fonction du nombre d’affections saisies, pondérés par des coefficients liés à la probabilité d’inaptitude selon le site touché (épaule = 3, coude = 2, poignet et cervicalgie = 1). Les scores d’exposition sont calculés par sommation des facteurs d’exposition enregistrés par salarié. Les données sont ensuite croisées (scores d’exposition / scores de pathologies) pour rechercher des associations statistiques et conduisent à la création de diagrammes très visuels nous permettant un repérage immédiat des priorités d’action. Dans notre plan d’activité, la saisie des données est continue, à visée longitudinale, destinée à repérer précocement des situations dont le danger n’est pas maîtrisé (fort score d’exposition associé à un fort score de pathologie) pour une action correctrice prioritaire versus des situations à fort score d’exposition avec peu de pathologies (risque maîtrisé à priori) La rigueur du protocole SALTSA permet aussi des comparaisons avec d’autres sources de données recensées par ailleurs dans STETHO® ISBN : 978-2-913488-68-4 174 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Exploitation des résultats Les données recueillies sont restituées aux médecins concernés pour une éventuelle exploitation sur leur secteur et/ou leurs entreprises. Cependant, l’objet premier de ces recensements est bien dans l’utilisation collective. La cellule pluridisciplinaire de notre service rassemble les compétences techniques principales à l’examen des situations de travail avec pour objet, l’évaluation des risques et les propositions de corrections éventuelles des dysfonctionnements. Composée d’ergonomes, de toxicologues, de psychologues du travail et de techniciens en métrologie, elle intervient sur le terrain après sollicitation par les médecins du travail qui ont identifié une ou des situations à risque. Notre protocole permet de hiérarchiser ses priorités d’interventions en fonction des scores croisés obtenus et d’argumenter sereinement auprès des demandeurs le planning des interventions. Les actions de terrain ainsi programmées ont plusieurs objectifs : • confirmer ou infirmer les expositions aux dangers identifiés par les observations cliniques ; • entreprendre des actions correctrices précoces ; • expliquer si possible les différences de scores face à des situations sensées être semblables ; • être à l’origine d’enquêtes spécifiques afin de confirmer des hypothèses émises lors des observations de terrain ; • alimenter en retour nos paramètres d’exposition en les affinant. Conclusion Les apports d’un tel dispositif sont donc multiples : • observations instantanées des fréquences de pathologies observées par entreprises, branches professionnelles, pour chaque médecin ; • alerte précoce grâce à l’identification des cas latents et symptomatiques de TMSMS; • hiérarchisation des actions à mener sur le terrain par la création d’un indicateur spécifique en croisant les scores d’expositions et de pathologies ; • comparaison temporelle pour l’évaluation des actions entreprises en étudiant l’évolution des scores ; • travail collectif favorisant la dynamique pluridisciplinaire du service de santé au travail. Parmi les perspectives figurent d’une part la création d’un lien direct entre résultats statistiques et actions des services techniques pour plus de réactivité dans la programmation centralisée des actions de terrain à mener et d’autre part la formation d’un plus grand nombre de médecins à l’utilisation de ce dispositif pour optimiser la gestion des TMS au niveau du service (recensement des données à un niveau macro par secteur du service, par bassin d’emplois voire sur le département complet). Références bibliographiques 1. Roquelaure Y, Ha C, Touranchet A, Imbernon E, Goldberg M, Leclerc A, Sauteron M, Mariot C, Chiron E, Humeau C et 83 médecins du travail des Pays de la Loire. Réseau pilote de surveillance épidémiologique des troubles musculo-squelettiques dans les entreprises des Pays de la Loire. Juin 2006. Disponible sur http://www.invs.sante.fr/surveillance/tms 2. Affections péri-articulaires des membres supérieurs et organisation du travail. Protocole d’enquête épidémiologique et questionnaire. Documents pour le médecin du travail, 1994;58:171-9. 3. A . Aublet-Cuvelier, J. Gauter C. H,a, A. D’Escatha, D. Leclerc, Y. Roquelaure Formation INRS au protocole d’examen clinique SALTSA juin 2010 4. Kuorinka I., Jonsson B., Kilbom A., Vinterberg H., Biering-Sorensen F., Andersson G., Jorgensen K., Questionnaire scandinave. DMT INRS, 1994, 58, 167-179 175 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le procès cadre vert : comment le travail peut aider à rester actif Jean-Pierre Meyer Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) Jean-Luc Mochel CARSAT (France) Introduction L e passé récent montre que l’amélioration de la santé au travail reste à bâtir. L’edxemple de la durée moyenne des arrêts suite à accident du travail (AT) est à ce titre édifiant. De 25 jours d’arrêt en 1970, elle est passée à 55 jours en 2006. Comparées à des statistiques anglo-saxonnes (Waddell 1998) ces durées d’arrêt conduisent 10% de la population arrêtée en 1970 à ne plus jamais retravailler alors que ce taux est de 20% en 2006. En clair, aux coûts initiaux, s’ajoute entre 1970 et 2006 un risque multiplié par 2 de passage à la chronicité en cas de lombalgie. Si l’augmentation de la durée des arrêts est fondée, des consensus de soins récents montrent que ce n’est pas toujours la meilleure façon de soigner les lombalgiques. Par ailleurs, le vieillissement des salariés, leur perception d’une intensification du travail ou d’une dégradation de leurs conditions de travail comme le développement des démarches de qualité, des organisations du travail en flux tendus ou des mécanisations inadaptées expliquent, au moins en partie, l’augmentation de la durée des arrêts en cas d’AT. Dans ces réalités de travail qui pourraient impacter des plaintes variées, les fatigues musculaires et les lombalgies sont rapportées en premier lieu (Eurostat 2005). En France, le nombre d’AT diminue mais les AT touchant le dos augmentent en proportion pour représenter près d’un quart des AT actuellement. Le total des arrêts de travail pour lombalgies en AT et en maladies professionnelles (MP) est de 9 millions de journées. Les arrêts pour lombalgie en maladie sont de 20 millions environ. Tout n’est pas lié au travail, mais les conditions de travail et leur perception sont des facteurs déterminants dans la prolongation des arrêts pour lombalgie. En effet, à la simple question « avez-vous souffert de douleurs dorsales ? », environ 2/3 de la population salariée répond oui alors que si l’on affine le niveau de gêne, ils sont six fois plus nombreux à s’arrêter au travail lorsqu’ils sont exposés à une contrainte (manutention ou vibrations du corps entier) qu’une population de référence non exposée (Meyer et al., 1998). Dans ce contexte, l’amélioration de l’environnement physique et psychique du travail est déterminante pour permettre au lombalgique de rester ou de revenir le plus vite au travail. Savoirs nouveaux En parallèle aux évolutions des répercussions du travail sur la santé et en particulier sur les lombalgies, se sont développés depuis près de 30 ans des savoirs de soins et des démarches argumentées pour promouvoir un retour rapide à l’activité des lombalgiques (Loisel et al. 2007, Linton et al. 2008). Les évolutions relatives aux soins peuvent se résumer en 4 périodes : • Le début des années 1980 et les démarches de réadaptation active ont montré que bouger améliorait même des lombalgiques chroniques (Mayer et al., 1985). Simultanément étaient publiées de nombreuses données physiologiques issues de l’exploration de l’espace et des récupérations de traumatismes musculaires chez les sportifs. Ces études montraient : a) qu’au cours de vols en apesanteur brefs (1 à 2 jours), les capacités proprioceptives de la colonne vertébrale étaient perturbées (Narici et de Boer, 2011) et b) qu’un muscle ou un tendon devaient être mis sous tension au plus vite pour récupérer au mieux (Kamps et al. 1994, Jarvinen et al., 2007). • Au cours des années 1990, le développement de la médecine par les preuves a appuyé des consensus de soins basés sur des données épidémiologiques qui montraient que le repos au lit était néfaste à une bonne guérison des lombalgiques (Waddell 1998). Des études épidémiologiques plus récentes ont montré qu’il n’existait pas d’activité spécifique mais que l’activité de la vie de tous les jours était la plus bénéfique. ISBN : 978-2-913488-68-4 176 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • Au début des années 2000 s’est confirmé le peu d’intérêt de l’exploration radiologique systématique chez le lombalgique (Deyo et Weinstein, 2000). Le caractère nocif de l’exploitation de ces données est même avancé car elles ne montrent que des anomalies qui souvent n’ont rien à voir avec la pathologie et aggravent la perception d’une éventuelle gravité de celle-ci (Waddell, 1998 ; Deyo et Weinstein, 2000 ; Henrotin et al., 2006). Plus de 60% des plus de 60 ans sans antécédents lombaires ont des images radiologiques anormales. De ces conclusions, il ressort que la majorité des lombalgies ont pour origine une lésion des tissus mous, non visibles à l’imagerie actuelle. Ces lésions doivent être traitées par le mouvement. L’examen radiologique ne s’impose qu’en cas de signes cliniques spécifiques dits « drapeaux rouges » (Henrotin et al., 2006). • Depuis les années 2000 s’est aussi confirmée l’importance de l’environnement psychologique (croyances, locus du contrôle, confiance…) autant dans la prise en charge thérapeutique du lombalgique que dans la composante sociale et de confiance qu’apporte le retour au travail (Loisel et al., 2007). À noter que le stress est un facteur de risque démontré de lombalgie depuis plus de 150 ans (Keller et Chappell, 1996). La publication en 1992 d’une large étude sur les facteurs de risque de lombalgie chez l’avionneur Boeing avait solidement démontré l’influence des facteurs psychosociaux. En effet, dans cette étude, « l’APGAR » de travail était le facteur prédictif de lombalgie le plus fort alors qu’il ne quantifie que les relations entre collègues et avec la hiérarchie (Bigos et al., 1992). Les six items de « l’APGAR » ont été ajoutés au questionnaire original de Karasek pour aboutir à sa version actuelle. Ces acquis de soins et de prévention mettent en évidence la nécessité d’action pour réduire les lombalgies qui associe le monde du travail et le monde des soins. Si le premier est en capacité de développer des postes de travail qui répondent aux caractéristiques du « cadre vert », les seconds pourront sereinement expliquer aux lombalgiques pourquoi et comment il faut bouger et que ceci est possible et bénéfique au travail. Une entreprise qui adopte la démarche « cadre vert » en informe ses salariés. Le salarié lombalgique qui consulte pourra se faire confirmer l’intérêt thérapeutique par son médecin traitant. Le cadre vert À partir de données qui font consensus, il est possible de définir un cadre de prévention général pour les items manutention, travail répétitif, travail lourd, posture et vibrations du corps entier (INRS, 2011). En effet, des données correspondantes pour une population générale sont disponibles pour tous ces champs de la contrainte physique. Les propositions du « cadre vert » s’adressent à un salarié lombalgique, elles sont tirées des mêmes documents que pour la population générale mais en adoptent les limites basses. manutention charge (kg) tonnage (t/j) poids déplacé (kg) travail répétitif travail lourd posture vibrations corps entier chutes psychosocial 5 3 100 (4 roues) 40 ”gestes”/min FC < 30 bpm <1h pics FC < 0,85 (220-âge) ”0” penché important (20°) ”0” posture prolongée (pauses) 0,5 m.s-2 < 1 h par jour ”0” obstacle, dénivelé, course + informations 8-21 j ”accueil” accueil, accompagnement progression du volume vitesse de travail, pauses organisation, entraide ….propositions du salarié Figure 1 : Le « cadre vert » : valeurs limites de contraintes physiques (manutention, travail général, postures, vibrations corps entier et risques de chutes.) et indications pour réduire la contrainte psychosociale. 177 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le « cadre vert » comporte une série de limites pour différents éléments qui sont considérés comme étant des facteurs de risques de lombalgie. Ces limites sont issues de normes, de décrets, de directives, de règles de bonne conduite ou de prévention. L’application de ces limites ne demande aucune mesure. Les limites de travail dur ou de pics d’activité excessive peuvent être déterminées à l’aide d’une échelle RPE de 6 à 20 de Borg (INRS 2011). Un accord doit être trouvé pour que l’activité habituelle ne soit pas cotée plus de 11 et qu’à aucun moment le poste « cadre vert » n’impose d’activité cotée 15 sur l’échelle de Borg. Pour les chutes, qui représentent 1/4 des lombalgies causées par un accident du travail, il s’agit des règles le plus communément reprises dans les documents de prévention. L’application de l’encart psychosocial impose une démarche globale à l’entreprise qui doit être appuyée par sa direction. En effet, il n’est pas possible de mettre en place la démarche et les conditions de ce qui est appelé accueil sans un accord de tous et après discussion dans les différentes instances de l’entreprise. La démarche n’est pas un poste doux, c’est un poste transitoire qui doit permettre un retour à une activité normale en 8 à 21 jours. La durée de cet accueil peut être rediscutée au cas par cas, mais elle doit être bornée. Il ne s’agit pas d’une activité pérenne pour le lombalgique ; les postes « cadre vert » eux le sont. Ils doivent pouvoir accueillir successivement et à tout moment des salariés lombalgiques qui peuvent bénéficier de la démarche. Le « cadre vert » est défini pour permettre à un salarié lombalgique de travailler sans difficultés excessives si au respect de ces limites s’ajoute une démarche d’accueil qui permette d’adapter ces conditions en continu. Le « cadre vert » n’est pas un outil ergonomique de plus, ce n’est pas une check-list de limites de contrainte, un score de poste à établir, des critères de poste doux ou encore le support pour une passade de prévention. Il s’agit d’un cadre incitatif, compréhensible, réalisable. Il sous-tend une démarche de prévention et ne peut se mettre en place en dehors d’une action concertée dans l’entreprise avec les partenaires sociaux. C’est une construction de l’entreprise, idée adoptée, adaptée, acceptée, évolutive. La réflexion pour construire des postes « cadre vert » doit être très ouverte. Souvent, ils n’existent pas. Cependant, des assemblages de tâches qui, elles existent, parfois de façon informelle, peuvent se structurer en poste « cadre vert ». On peut apparemment être loin des activités de l’entreprise mais des postes « cadre vert » peuvent être constitués à partir de tâches cachées/ignorées ou fondues dans les activités habituelles qu’elles peuvent même gêner. Regrouper ses tâches peut améliorer l’organisation du travail. La construction de postes « cadre vert » peut être envisagée au travers de collaborations entre entreprises, de temps partagé ou de politiques de bassin d’emploi. Les idées des entreprises seront surprenantes. La démarche « cadre vert » impose à l’entreprise une information en interne pour avoir l’accord de tous et une campagne d’information vers les soignants. La première insistera principalement sur l’intérêt pour le lombalgique (70% des salariés) et les répercussions envisagées sur l’ensemble des conditions de travail. L’information vers les soignants est fondamentale et va impliquer en premier lieu le service de santé de l’entreprise. Cette information doit aboutir à une prise en charge plus volontaire du lombalgique par son médecin traitant et d’une collaboration naturelle et simplifiée entre celui-ci et le médecin du travail du patient. Cette approche, souvent préconisée, mais rarement pratiquée est indispensable pour donner à la démarche « cadre vert » toute son efficacité. Il s’agit d’une démarche globale de prévention de la santé des salariés. Mise en place Il est encore trop tôt pour exposer des situations pratiques dans lesquelles la démarche « cadre vert » aurait été mise en place ; elle est encore très récente. Cependant dans leurs interventions les quatre services prévention des caisses régionales de sécurité sociale impliqués ont été questionnés en particulier par des grandes entreprises pour lesquelles la prise en charge d’un accord au sujet de la santé des salariés appartient à leur culture d’entreprise. Celles-ci ont souvent une organisation et des outils qui leur permettent de communiquer dans et hors de l’entreprise et d’évaluer le suivi et de corriger les écarts de telles actions. Elles comprennent en général l’intérêt en termes de relations humaines que comporte la démarche. Quelques grandes entreprises ont enclenché la démarche, un bilan n’est pas encore possible. Cependant, le recul même bref permet déjà de dégager les freins et leviers perçus de la démarche. ISBN : 978-2-913488-68-4 178 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Freins et leviers Pour le lombalgique • Les freins sont ceux de : -- sa conviction que bouger c’est guérir, il s’agit d’un paradigme encore peu répandu et pas explicité auquel est lié celui de retravailler en « phase douloureuse » ; -- sa représentation du lien entre travail et lombalgie lorsque celle-ci est consécutive à un événement au travail (droit de s’éloigner, éviter les causes…) ; -- sa crainte d’être un sujet d’expérience pour son médecin, son employeur, la sécurité sociale… • Les leviers seront en symétrique : -- l’adhésion à l’idée que sa lombalgie, même très invalidante, est bénigne et que bouger c’est se prendre en charge pour guérir ; -- les critères auxquels répond son retour sont basés sur des connaissances scientifiques définies hors de la sphère de l’entreprise ; -- l’effort de l’entreprise pour faciliter son retour et témoigner de l’intérêt pour lui. Freins et leviers, souvent complémentaires, montrent l’importance de l’action d’information en interne et en externe. Cette dernière est essentielle pour renforcer l’utilisation des consensus de soins par les soignants. Pour l’entreprise • Les freins : -- l’expérience passée de la gestion des arrêts pour lombalgie et la faible influence sur les activités de soins ; -- la démarche semble innovante. Elle peut être perçue compliquée (cadre vert et informations) et l’entreprise peut refuser d’être un acteur de soins ; -- faire travailler des salariés « pas guéris » avec une incertitude initiale sur les résultats, le risque accru d’AT et les conséquences financières… • Les leviers : -- l’approche RH pour aborder la gestion de la santé des salariés ; -- les intérêts financiers (coûts, baisse des cotisations, baisse de l’absentéisme…) ; -- la gestion facilitée des incapacités. Afin de répondre à ces inquiétudes et confirmer la facilitation de la gestion du personnel, il est important d’évaluer les actions qui démarrent. Le médecin du travail et le service de santé au travail sont ici considérés comme faisant partie de l’entreprise. Ils ont des freins précis : aptitude particulière, risque de rechute, surcharge de travail (informations vers l’extérieur, explications aux salariés lombalgiques…), confiance dans les capacités de l’entreprise à mener une démarche « cadre vert » pérenne. Leurs leviers seront la mise en pratique de savoirs établis, l’amélioration des situations de reprise, l’engagement de l’entreprise vers la prise en compte affirmée de la santé de ses salariés, l’efficacité des relations avec le médecin traitant… Personnage central de la démarche dans l’entreprise, le médecin du travail devra bénéficier des résultats des premières actions pour renforcer sa conviction et comprendre les éventuels échecs de la démarche. Ceux-ci ne doivent pas faire renoncer et il sera souvent le soutien de l’action. Pour les médecins traitants Les médecins traitants sont les oubliés de la prévention. Pourtant, dans le cas des lombalgies, leur rôle est fondamental (Waddell, 1998 ; Loisel et al., 2006 ; Henrotin et al., 2006 ; Shaw et al., 2008 ; Chou et al., 2009). Leurs freins sont l’ignorance de la réalité du travail du patient qu’il connaît comme manutentionnaire, chauffeur, stressé par son travail. Il doit être convaincu de la réalité du « cadre vert ». La crainte de l’échec reste un frein fort. Les leviers pour lui sont la meilleure opportunité d’appliquer des consensus de soins, de convaincre du bien-fondé d’une reprise du travail en connaissant celui-ci, la mise en place effective de relations avec les médecins du travail, la prise en compte du travail de ses patients. 179 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La démarche « cadre vert » fait obligation de relations fonctionnelles rapides entre médecins de soins et du travail. Ce n’est qu’à cette condition que le patient-salarié lombalgique pourra bénéficier des soins les plus efficaces, que le monde du travail pourra être récompensé de sa démarche et que les soignants pourront voir plus sereinement l’avenir socioprofessionnel de leurs patients. Conclusion Les conséquences des pathologies lombaires sont importantes et l’augmentation continue de la durée des arrêts de travail en AT touchant la colonne témoigne d’une prise en charge inadaptée. La mise en pratique simultanée d’une possibilité de retour précoce au travail et des savoirs cliniques nouveaux qui tous préconisent un nouveau paradigme de soins qui promeut avant tout le mouvement ; lent et progressif mais très précoce. Pourquoi le travail ? Parce que le travail est pour le salarié un lieu d’échanges, de reconnaissance qui donne des moyens économiques. C’est au travail également qu’ont été mises en valeur des démarches de restauration rapide (Roland et al., 2002 ; Staal et al., 2003 ; Shaw et al., 2008). De nombreux préventeurs, impliqués dans des actions conjointes entre soins et prévention, ont des arguments solides pour faire en sorte que les lombalgies guérissent bien et n’entraînent pas de formes chroniques particulièrement invalidantes. Dans ce contexte, la prévention primaire reste essentielle. Cependant, elle ne suffit plus à réduire les formes les plus lourdes de lombalgies qui se chronicisent. L’action demande alors une volonté forte de l’entreprise pour construire un « cadre vert » d’activités possibles pour un lombalgique et une interaction étroite avec les médecins traitants et plus globalement les soignants exerçant dans la zone géographique de l’entreprise pour que les messages aux lombalgiques changent. L’entreprise peut être aidée par les CARSAT, CRAM ou CGSS de son secteur pour disposer de compétences techniques et d’aides financières. Bibliographie Bigos S., Battié M.C., Spengler D.M., Fisher L.D., Fordyce W.E., Hansson T., Nachemson A.L., Zeh J. A longitudinal, prospective study of industrial back injury reporting. Clin. Orthop. Relat. Res., 1992, 279, 21-34. Chou R., Loeser J.D., Owens D.K. et al.. Interventional therapies, surgery, and interdisciplinary rehabilitation for low back pain. An evidence based clinical practice guideline from the american pain society. Spine, 2009, 34/10, 1066-1077. Deyo R.A., Weinstein J.N. Low back pain. New England J of Medicine, 2001, 344, 363-370. EUROSTAT, 5ième enquête sur les conditions de travail. Luxembourg, Office des Publications Officielles, 2005. http//www.eurofound.eu.in.publications Henrotin Y., Rozenberg S., Balagué F., Leclerc A., Roux E., Cedrashi C. 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Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Linton S.J., Boersma K., Jansson M., Overmeer T., Lindblom K., Vlaeyen J.W.S. A randomized controlled trial of exposure in vivo for patients with spinal pain reporting fear of work-related activities. European J of Pain, 2008, 12, 722-730. Loisel P., Buchbinder R., Hazard R., Keller R., Scheel I., van Tuldr M., Webster B. Prevention of work disability due to musculoskeletal disorders: The challenge of implementing evidence. J. Occup. Rehabil., 2005, 15/4, 507 – 524. Mairiaux P., Mazina D. Lombalgie au travail. Un guide pour l’employeur et les partenaires sociaux. Service public fédéral emploi, travail et concertation sociale. Direction générale humanisation au travail. 19 pp, sept 2008. www.emploi.Belgique.be. 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Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Une formation-action comme outil de prévention des TMS dans le secteur viticole : leviers et freins identifiés par le biais de la recherche évaluative Rachel Barbet-Detraye Caisse Centrale de Mutualité Sociale Agricole (CCMSA) (France) Aurélie Landry Université Pierre Mendès France (France) rnaud Tran Van A ANCOE (France) T ransfert de la démarche du « couteau qui coupe » à la viticulture, quels sont les effets sur le terrain d’une formation-action à la prévention des Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) ? La recherche évaluative tente de répondre à cette question en identifiant les leviers et freins à la mise en œuvre de la démarche et à l’obtention de résultats. Elle montre, qu’au-delà du processus même de l’action, les marges de manœuvre des formateurs sont en interaction avec les effets produits en matière de prévention. De la démarche du « couteau qui coupe » à la prévention des TMS en viticulture Le module de prévention TMS en viticulture Élaborée dans le cadre de « l’approche participative par branche » par la CNAMTS, l’INRS et la MSA, en collaboration avec les fédérations professionnelles et les syndicats de salariés de la filière viande de boucherie, la démarche du « couteau qui coupe » a permis d’aider les entreprises à s’engager dans une conduite de projet visant à améliorer les conditions de travail et à diminuer les TMS. En effet, l’augmentation du pouvoir de coupe du couteau a non seulement donné lieu à une amélioration de la qualité du travail mais a également constitué un facteur important de lutte contre les TMS du membre supérieur. Forte de son savoir-faire dans la mise en œuvre de cette action, la Mutualité Sociale Agricole (MSA) a décidé d’adapter ses connaissances au transfert de cette action en viticulture. Premier secteur d’activité touché par les TMS depuis 2006, la viticulture est une filière où le geste de taille de la vigne avec le sécateur signe le savoir-faire du viticulteur et détermine aussi le devenir de la vigne. Au-delà, du désir de « bien accomplir son métier », l’approche formative sur le choix et l’entretien de l’outil de coupe, devait donc permettre, comme dans la filière viande, d’agir sur les TMS. L’architecture de cette formation repose sur le triangle dynamique « pouvoir débattre – pouvoir penser – pouvoir agir », développé par François Daniellou (1999), idée clé dans la prévention des TMS. L’objectif est de sensibiliser les viticulteurs – vignerons (salariés, exploitants et personnes en formation) à la prévention des TMS en s’appuyant sur cette accroche technique qu’est l’affilage du sécateur. Les préventeurs, conseillers en prévention (ci-après dénommés CP) et médecins du travail (ci-après dénommés MT), du réseau MSA ainsi que des relais professionnels ont assisté à des sessions de transfert concernant l’utilisation de ce module de formation. Ils se sont appropriés le contenu et la pédagogie d’animation proposés par les concepteurs et, par la suite, ont pu mettre en œuvre, en trinôme, des formations sur le terrain auprès des viticulteurs. Demande d’évaluation : Projet IMPACT TMS en viti Suite à ce transfert, on comptait fin 2007, 29 MSA (sur 49) pour lesquelles les acteurs de prévention avaient été formés et parmi elles, 11 MSA avaient déjà mis en place des actions de formation. La CCMSA a alors souhaité évaluer ce dispositif de formation mis en œuvre pour la prévention des TMS dans le milieu viticole. Consciente des différentes conditions d’utilisation du module par les acteurs de la prévention, elle désirait, à travers une démarche d’évaluation, identifier les effets du module de formation sur les déterminants des situations de travail considérés comme générateurs de TMS et capitaliser des expériences et des connaissances pour évaluer l’efficacité et la pertinence de ce dispositif. ISBN : 978-2-913488-68-4 182 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Les principaux enjeux, en lien avec ce projet, étaient d’appréhender une nouvelle démarche d’évaluation prenant en compte l’activité des préventeurs et le contexte de l’action, et aussi d’assurer une continuité dans l’action de prévention des TMS en viticulture. De la recherche évaluative à une démarche d’évaluation Bases théoriques de la recherche évaluative Toute démarche d’évaluation participe à la mise à plat des objectifs d’une action, des pratiques utilisées et de leur finalité (Hudson, 1982). Toute action peut alors faire l’objet de deux types d’évaluation (Chen, 1990): une évaluation soit centrée sur les connaissances, les modèles théoriques : l’évaluation normative, soit centrée sur les pratiques et leurs liens avec les résultats observés : la recherche évaluative. Ainsi lors de l’évaluation d’un programme, d’une formation, d’une action en milieu de travail, l’évaluateur va devoir choisir entre ces deux démarches (Rondot, et al. 2003) en s’appuyant non seulement sur les enjeux de l’évaluation, mais aussi sur les contraintes concrètes liées à la mise en place de cette évaluation Ce choix reflète le point de vue de l’évaluateur sur le phénomène à évaluer et oriente ensuite les méthodes de recueils de données et les analyses réalisées sur ces données. De plus, les données recueillies ne portent pas sur l’ensemble de l’action (Hudson, 1982), mais seulement sur les dimensions les plus pertinentes et les méthodes de recueil de ces données choisies doivent respecter des critères de validité interne et externe (Contrandriopoulos et al., 1990). La validité interne de l’évaluation se caractérise par la capacité de bien mesurer le phénomène à travers les dimensions retenues. Ainsi l’étude de cas a une grande validité interne, puisqu’elle permet d’aborder des phénomènes fortement dépendant du contexte dans lequel ils se produisent (Yin, 1992). La validité externe, quant à elle, indique si le protocole d’évaluation répond à certains critères qui vont permettre la généralisation des résultats mesurés à d’autres cas (Rutman, 1984). Un moyen de créer de la validité externe est la répétition des mesures. Cette répétition peut être artificielle comme le propose Falzon (1997), c’est à dire prévue méthodologiquement, comme par exemple l’analyse de cas multiples. Ces deux aspects de la validité expliquent que dans le cadre d’évaluation de programme de prévention comprenant une formation, il est intéressant de travailler par étude de cas. Puisque, pour accroître la comparaison entre cas, il faut utiliser les mêmes dimensions, nous avons suivi la recommandation de Muller (1999) de travailler à partir de monographies. Méthodologie du projet IMPACT TMS en viti : octobre 2008 à avril 2010 L’objectif principal de ce projet était certes d’évaluer les effets du module de formation sur les situations de travail, mais les résultats obtenus devaient aussi être mis en lien avec les objectifs poursuivis par les ”formateurs” (CP, MT et relais professionnels), les conditions de réalisation de leurs actions de prévention compte tenu de leurs marges de manœuvre (politiques des MSA, entreprises visées, positionnement des intervenants, actions précédentes et à venir…). Pour ce faire, le type d’évaluation choisie a été la recherche évaluative au sein de laquelle l’ensemble du dispositif de formation a été étudié, depuis les caractéristiques des intervenants jusqu’aux résultats sur les situations de travail, comme ainsi modélisé dans le schéma ci-après. 183 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Modèle de l’intervention, des facteurs qui l’influencent et des résultats produits (tiré de St Vincent, Gonella, Beauvais, Vézina, Laberge, Lévesque et al., 2008). Afin de limiter l’évaluation aux facteurs essentiels, Hudson (1982) propose de focaliser l’évaluation sur le dispositif de la formation déployée (figure 1). Lecomte et al. (1982) et Patton (1987) proposent d’étudier l’ensemble de la démarche selon l’analyse de l’activité des intervenants à travers de l’observation directe, des analyses de documents, des prises de note des intervenants pendant le déroulement de la formation, des entretiens… Les outils proposés par ces auteurs, ainsi que les précautions de leur usage sont très proches de ceux mobilisés par les ergonomes lors d’une analyse de l’activité (Guérin et al., 1997). Ainsi les méthodes de recueil de données en ergonomie étant appropriées pour réaliser la recherche évaluative (Landry, 2008), nous avons donc mis en place le recueil de données suivant : • analyse de l’activité et entretiens afin de déterminer les pratiques des formateurs : 35 personnes ont été associées, soit 28% des utilisateurs du module de formation ; • réalisation de monographies puis mise en débat de ces monographies en groupes de travail (confrontation collective) afin de contribuer à la répétition artificielle et étudier les conditions de généralisation : 4 monographies ont été réalisées et 94 personnes, soit 76% des utilisateurs du module ont participé à la confrontation collective ; • implication des acteurs à la réalisation de leurs propres diagnostics (monographies, confrontations collectives) afin d’étudier les effets d’interaction (contexte – pratiques - résultats). La difficulté méthodologique résidait ensuite dans l’identification des effets produits par l’intervention, une partie de ces effets étant attendus et d’autres non attendus (Berthelette, 2006 ; Daniellou, 2006). Nous avons donc choisi de mesurer les effets produits sur les situations de travail des viticulteurs, mais également les effets produits sur l’évolution des connaissances, des représentations des viticulteurs (figure 1) selon le principe d’attribution (Berthelette, 1996). Ceci nous a donc conduit à réaliser des analyses de l’activité et des entretiens avec les viticulteurs formés : 35 viticulteurs - vignerons répartis dans plusieurs terroirs viticoles ont été observés dont 5 chefs de cultures, 8 vignerons exploitants et 22 salariés. ISBN : 978-2-913488-68-4 184 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Leviers et freins identifiés par la recherche évaluative Bien que cette démarche ne permette pas de quantifier exactement les évolutions des déterminants des situations de travail générateurs de TMS, l’analyse des données recueillies a permis d’identifier les leviers et les freins d’une part à la prise en compte des messages de prévention par les viticulteurs vignerons, et d’autre part, à la mise en place de la démarche dans les divers terroirs viticoles. Prise en compte des messages de prévention Les caractéristiques du terroir viticole vont influencer l’intégration dans les situations de travail des conseils de prévention présentés en formation. Les caractéristiques qui semblent avoir le plus d’influence sont les suivantes : • les contraintes AOC du terroir telles que, entre autres, la hauteur, le type de cépage, le type de taille qui ont un effet sur les possibilités d’organiser le travail, sur les postures de travail, sur le matériel utilisé ; • le contexte économique du terroir viticole qui joue, dans un premier temps, sur la possibilité pour les viticulteurs de se dégager du temps pour assister à la formation et sur leur disponibilité cognitive pour écouter et assimiler les messages de prévention. Dans un second temps, il influence aussi les possibilités d’organiser le travail et d’investir financièrement dans des outils et / ou du matériel appropriés. Les caractéristiques des vignerons (apprenants) qui influencent le plus la mise en place de conseils en situations de travail sont : • l’âge et l’ancienneté des apprenants : en effet, les jeunes formés dans les lycées agricoles ou les personnes en reconversion professionnelle ont tendance à mettre plus en place de conseils que les expérimentés pour lesquels des défenses de métier plus « ancrées » vont limiter l’impact des messages de prévention ; • l’état pathologique des apprenants : ceux qui ont déjà mal ont plus tendance à mettre en œuvre les conseils pour diminuer leurs douleurs. Cependant la caractéristique qui semble largement favoriser la mise en œuvre de conseils de prévention en situations de travail est la présence d’un encadrant lui-même formé qui va pouvoir organiser le travail en intégrant les conseils de formation. Et c’est généralement dans les terroirs viticoles au contexte économique le plus favorable qu’on va retrouver des exploitations de tailles suffisamment importantes pour qu’elles soient organisées avec des encadrants intermédiaires. C’est également dans ce type d’exploitations que nous avons pu observer des résultats de la démarche sur du long terme. En outre, les analyses qualitatives ont montré que les caractéristiques de l’animation de la formation vont fortement influencer la prise en compte des messages de prévention sur les situations de travail : • la présence du relais professionnel permet d’adapter le discours à la réalité du travail, sa proximité avec les participants crédibilise son discours et, par là même, la formation ; • tous les ajouts (films, photos) au module de formation initial mettant en scène le travail dans le terroir viticole concerné est un levier pour la compréhension des messages ; • les animateurs qui favorisent un feed-back sensori-moteur (par exemple en faisant tester la qualité de l’affilage du sécateur sur des sarments) favorisent la transmission du message ; • l’animation du tour de table initial, la place laissée aux échanges et l’entente professionnelle entre les différents formateurs favorisent la compréhension des messages de prévention. Enfin, la stratégie d’action locale et notamment la possibilité de retourner dans l’exploitation ou le rappel en visite médicale des conseils de prévention sont des leviers à la mise en place de messages en situation de taille. Au-delà des conseils acquis suite à la formation, il a surtout été mis en évidence que l’une des plus grandes difficultés résidait dans la mise en place elle-même de formations, voire de stratégies d’intervention dans le terroir. La recherche évaluative s’est alors intéressée aux caractéristiques qui pouvaient limiter ou favoriser la mise en place de démarches dans les différents secteurs viticoles. 185 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Mise en place de la démarche Tout d’abord, le transfert vers le réseau du module de formation conçu par un groupe de travail animé par la CCMSA a agi comme un catalyseur auprès des CP et des MT pour traiter des questions de prévention des TMS en viticulture. Les préventeurs se sont appropriés et ont adapté le contenu de la formation pour se sentir plus à l’aise dans son animation et tenir compte des caractéristiques des apprenants de leur secteur viticole. Les transferts internes, entre préventeurs entre eux, au sein d’une caisse de MSA favorisent, quant à eux, la mise en place de formations directement adaptées aux particularités du terroir. Ensuite, ce sont les caractéristiques de la stratégie développée au niveau de l’organisation de l’action qui semblent le plus influencer la mise en place de formation : • les MSA qui ont constitué des « groupes de pilotages », ou qui s’appuient sur des structures collectives (caves coopératives, réseau des élus, structures professionnelles, syndicats, groupes de pilotage ad hoc) pour organiser la formation sont celles qui en font le plus. A contrario, les MSA dans lesquelles ces structures n’existent pas ou ne sont pas impliquées, doivent s’appuyer sur l’envoi de courrier et l’affichage pour informer et recruter des participants, ce qui semble être moins efficace ; • inclure ces formations dans des sessions finançables par des fonds de formation est également un levier pour la mise en place de démarches. Du côté des caractéristiques de la stratégie développée au sein des services SST des MSA, c’est-à-dire des marges de manœuvre des formateurs pour mettre en œuvre des démarches de prévention, il ressort que : • la prise en charge collective de l’organisation des actions (par plusieurs CP et MT) favorise l’organisation de formations, et ceci d’autant plus que le ou les chefs de services sont sensibilisés à la démarche ; • l’identification de la prévention des TMS comme une priorité de la caisse de MSA légitime les actions mises en œuvre par les CP et les MT, et ceci d’autant plus qu’une véritable stratégie d’intervention en matière de SST est définie et est mise en œuvre sur le terrain en pluridisciplinarité entre CP et MT ; • les outils favorisant cette pluridisciplinarité (entre CP, MT et relais professionnels), permettant par exemple de croiser les agendas, facilitent aussi l’organisation de formations. Enfin, les caractéristiques des formateurs jouent également un rôle sur la mise en place de formations. Les facteurs favorables à l’organisation de formations puis à leur animation sont : • la connaissance préalable des métiers de la vigne ; • une compétence en pédagogie de formation pour adultes. Utilité scientifique et stratégique de la recherche-action Retour d’expérience sur la collaboration Cette recherche évaluative a nécessité la mise en place d’une collaboration pluridisciplinaire entre chercheurs et préventeurs de la MSA. Or, le caractère novateur de cette démarche a amené les acteurs à travailler avec des connaissances non stabilisées dont les effets ne pouvaient être prédits avec certitude. La référence étant plutôt la recherche normative qui vise à comparer des résultats à une norme, introduire un nouveau paradigme de l’évaluation au sein d’une institution n’est pas toujours chose aisée. Toutefois, chercheurs comme acteurs institutionnels retiennent, de cette expérience, la richesse des analyses produites et l’utilité scientifique et stratégique de ce projet. Ils seront plus attentifs, dans les futures collaborations recherche/institution, à la compréhension des objectifs de l’action comme aux pratiques ”culturelles” de chacun dans la conduite de l’action. ISBN : 978-2-913488-68-4 186 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Utilité scientifique La mise en place d’une recherche évaluative s’appuyant sur les outils ergonomiques d’analyse de l’activité et de confrontation collective a été une opportunité pour tester les conditions pragmatiques à la réalisation d’une telle démarche. Il en ressort que l’analyse de l’activité peut effectivement permettre d’identifier des dimensions pertinentes d’évaluation dans les situations complexes. Les confrontations collectives ont permis de tester les conditions de généralisation des analyses d’activité et de préciser si les caractéristiques identifiées étaient facilitatrices ou « freinantes ». De plus, ces réunions ont permis le développement de l’activité des participants (Clot, 1999), puisqu’ils se sont saisis de ces espaces de discussion pour échanger et mutualiser des stratégies permettant de faire face aux difficultés rencontrées pour organiser des formations au regard de leurs pratiques. Concernant les travaux en cours sur l’identification de caractéristiques de contexte, cette recherche évaluative montre l’importance de considérer les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre les démarches pour mieux comprendre les résultats produits sur les situations de travail (Baril-Gingras, en rédaction). Utilité stratégique Pour la CCMSA, cette recherche évaluative a permis de reconduire, dans le cadre du nouveau plan Santé Sécurité au Travail 2011-2015, la mise en œuvre d’un groupe projet sur la prévention des TMS en viticulture et de mobiliser les ressources et les moyens nécessaires à sa mise en place. Grâce à cette étude, le module de formation initialement construit pourra être complété, modifié, tout comme le transfert qui pourrait, par exemple, s’axer plus sur la construction d’une stratégie d’intervention sur la thématique des TMS auprès des viticulteurs. Pour le réseau des MSA, cette étude a surtout permis d’échanger sur leurs pratiques, d’établir des référentiels communs, ce qui va dans le sens de la construction d’une représentation opérative commune, élément favorable à la réalisation des actions futures. L’appropriation de ces résultats va également aider les préventeurs à mieux comprendre les influences des caractéristiques du dispositif de formation les unes sur les autres, à transformer les freins en des leviers potentiels et à poursuivre ainsi cette action de prévention sur le terrain en supportant diverses actions. Conclusion L’analyse des données recueillies a permis d’identifier les leviers et les freins, d’une part, à la prise en compte des messages de prévention par les viticulteurs vignerons et, d’autre part, à la mise en place de la démarche dans les divers terroirs viticoles. Au-delà de l’identification de ces caractéristiques, leur influence sur les résultats mis en œuvre doit encore être étudiée. En effet, réaliser cette évaluation peu de temps après la formation n’est peut être pas le moment le plus approprié. Il faut du temps pour, d’abord, comprendre les messages de prévention puis ensuite les mettre en œuvre concrètement dans le travail. Aussi serait-il nécessaire dans des démarches d’évaluation futures de graduer les effets de la formation : depuis la transmission du message, la compréhension de ce message, jusqu’à la réflexion sur sa mise en œuvre et enfin la mise en place réelle en situation de travail. La méthode d’évaluation utilisée ici a atteint ses objectifs formatifs et stratégiques tout en contribuant à la production de connaissances sur les interactions entre contexte et action en milieu de travail. 187 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Références Baril-Gingras, G. (1999). Des théories implicites (et explicites) du changement chez des ergonomes français et québécois. In Actes des journées de Bordeaux sur la pratique de l’ergonomie. L’ergonome et les compétences, les compétences de l’ergonome. 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Dans le cadre d’une démarche de prévention globale, cet outil permet de disposer de données quantifiées issues d’observations de l’activité de travail dans le but de faciliter l’objectivation de l’exposition aux TMS, la recherche et l’appropriation de solutions. Développé et expérimenté en Aquitaine, la diffusion au niveau national de MUSKA par l’ANACT répond à la nécessité d’aider les entreprises à évaluer le risque de survenue de TMS, et à mettre en œuvre des démarches de prévention durable. Cette communication se centre sur la comparaison de deux exemples d’appropriation de MUSKA dans des contextes différents : une grande entreprise manufacturière du secteur automobile et une PME du secteur pharmaceutique. Dans un premier temps, nous rappellerons les raisons qui ont amené l’ARACT Aquitaine et le réseau ANACT à développer un nouvel outil, ainsi que ses principes de fonctionnement. Ensuite, nous aborderons les caractéristiques des deux entreprises et leurs conséquences en termes d’adaptation du dispositif de transfert. Comment la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, le système de management de la santé et sécurité, les compétences internes et leurs disponibilités vont influer sur les objectifs poursuivis et les moyens mis en œuvre, à la fois par l’entreprise et par l’intervenant ? Dans un troisième temps, nous comparerons l’appropriation de MUSKA par ces deux entreprises au travers de quatre critères identifiés comme nécessaires pour favoriser une prévention durable des TMS : • la démarche de prévention mise en œuvre sous forme de conduite de projet, • les connaissances et compétences d’analyse du travail et en particulier de l’activité, • l’utilisation de l’outil MUSKA pour mesurer et évaluer les risques de TMS, • l’évolution du projet de prévention des TMS dans le temps. Ces quatre critères posent les questions de la participation et de la formation des acteurs de la démarche mais également du transfert de compétences aux organisateurs et concepteurs des situations de travail afin que ceux-ci tiennent compte de la prévention de la santé au-delà de la performance de l’entreprise. Nous conclurons sur le rôle de MUSKA dans la pérennisation des démarches de prévention des TMS : Quels avantages ? Quelles limites ? L’usage de la mesure dans les démarches de prévention des TMS Historiquement, la réflexion sur l’articulation entre des mesures de l’activité de travail, des mesures physiologiques et une démarche globale de prévention des TMS a fait l’objet de nombreuses propositions scientifiques (Garrigou et al., 2005) pour, entre autres, aboutir à un développement de l’ergotoxicologie comme une contribution de l’ergonomie à la santé au travail (Garrigou, 2011). De plus, le rapport de la rechercheaction (Caroly et al., 2007) menée par des laboratoires de recherche et le réseau ANACT sur le thème des conditions de la prévention durable des TMS note, entre autres, une faible utilisation d’indicateurs précoces permettant une alerte avant que les pathologies soient installées, et notamment des indicateurs d’exposition aux facteurs de risques. Elle propose également de mieux intégrer les conditions réelles d’exécution du travail et l’anticipation des situations futures dans les processus de conception et de décision. 189 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention En Aquitaine, dans le cadre du Plan régional santé travail (PRST 2005-2009) coordonné par la Direction régionale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle, le groupe de réflexion pluridisciplinaire sur la prévention des TMS a fait part des difficultés d’évaluation du risque TMS. Or, tout comme les autres risques professionnels, celui des TMS doit être retranscrit par l’entreprise dans son document unique d’évaluation des risques. Ce groupe a donc proposé de travailler en priorité sur les moyens de faciliter l’évaluation des TMS, en particulier en « outillant » les entreprises. De la conjonction d’une réflexion scientifique associée à des interventions pragmatiques en entreprises est né l’outil MUSKA d’évaluation du risque TMS et de simulation de solutions techniques et organisationnelles (Thibault et al., 2005 ; Brunet et al., 2006 ; Thibault et al., 2006 ; Merlin et al., 2009). Ce travail a d’ailleurs été retenu par la Direction générale du travail dans le cadre du concours des bonnes pratiques de la Semaine européenne de la sécurité et de la santé au travail 2008 organisé par l’Agence européenne de santé sécurité de Bilbao. Depuis, l’outil MUSKA a largement été mis en œuvre (Merlin et al., 2010 ; Escriva et al., 2010) et a fait l’objet d’évolutions afin de l’adapter en particulier aux PME et TPE et aussi à un ensemble de secteurs d’activité (industrie, tertiaire, fonction publique, etc.). Il est aujourd’hui diffusé par le réseau ANACT. Dans le cadre d’une démarche de prévention globale impliquant différents acteurs de l’entreprise, MUSKA permet de disposer de données quantifiées issues d’observations de l’activité de travail dans le but de faciliter l’objectivation de l’exposition au risque TMS, la recherche et l’appropriation de solutions. Les données dont le traitement est informatisé, sont recueillies à partir d’enregistrements vidéo en situation de travail sur la base d’un protocole de description des opérations réalisées sur un cycle de travail, sous forme de chronologies d’activité (dans la lignée des travaux de Kerguelen, 1995). L’évaluation résulte de la quantification des sollicitations biomécaniques en fonction de différents critères : caractéristiques biomécaniques (positions articulaires, efforts), facteurs aggravants (froid, vibrations, stress…), temps d’exposition (durée et fréquence des sollicitations, phases de récupération) en référence aux très nombreux travaux scientifiques (à titre indicatif, voir les Actes du dernier Congrès international, 2010 PREMUS sur le sujet). Un score synthétique déduit indique un niveau de risque sur une échelle de 1 à 4 pour l’ensemble des membres supérieurs et le dos. L’usage de cet outil s’inscrit dans les principales étapes de prévention : • évaluer le risque de TMS à partir de l’analyse des situations de travail, • simuler l’impact de différentes solutions techniques et organisationnelles afin de retenir celles qui exposent le moins les travailleurs, • évaluer a posteriori les risques après transformation. L’utilisateur doit être un acteur de la prévention maîtrisant l’analyse du travail. La pertinence du protocole, la qualité d’interprétation et d’appropriation des résultats en dépendent. Le bénéfice des résultats issus de MUSKA est tributaire de la mise en œuvre d’une démarche plus globale de prévention des TMS permettant des interprétations socialement négociées et des investigations complémentaires (identification des déterminants, élaboration de gestes professionnels, indicateurs de santé du personnel). La mise à jour des variabilités interindividuelles constitue un support pour discuter des intentions et compromis qui conduisent les travailleurs, d’une même unité ou réunis dans le cadre d’une action collective, à adopter des gestuelles différenciées. Ce matériau aide à formaliser des modes opératoires et supports de formation adaptés à chaque contexte. Ainsi notre expérience montre que, par exemple, le choix d’une combinaison de rotation ou d’enchaînements des tâches à partir de la simulation requiert un consensus sur la cotation finale des postes, des aménagements éventuels, l’identification des temps d’apprentissage nécessaires, la faisabilité de la mise en œuvre, etc. Comme tout outil de mesure, il réclame une vigilance quant à ses modalités d’usage et d’intégration dans l’entreprise, afin de développer pleinement sa qualité d’interface entre les diverses parties prenantes (opérateurs, acteurs de prévention, partenaires sociaux, production, conception et décideurs) et favoriser la mise en place d’une démarche de prévention des TMS durable (Caroly et al., op.cit.). ISBN : 978-2-913488-68-4 190 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Contextes de la démarche de prévention des TMS en fonction du type d’entreprises Le dispositif de transfert d’une démarche de prévention durable des TMS doit pouvoir s’adapter aux différents contextes d’entreprise. Pour faciliter la comparaison des deux cas d’entreprises, nous nous appuyons sur le recensement proposé par St Vincent et al. (2008) des facteurs qui peuvent influencer le choix des méthodes d’intervention. À ce titre, les caractéristiques des deux entreprises sont synthétisées dans le tableau 1. Tableau 1 Principales caractéristiques des entreprises Entreprise A B Secteur Automobile Pharmaceutique Effectif 3 000 salariés 220 salariés Type de structure Site appartenant à un groupe international Site appartenant à un groupe international. Situation économique • Crise conjoncturelle • Concurrentielle • Production en baisse • Rachat par un autre groupe • Recherche de gains pour rattraper les autres sites du groupe. Culture de participation Participative Participative État des relations du travail Secteur en tension Dialogues centrés sur la productivité. Amélioration continue Démarche spécifique portée par le groupe au niveau mondial. Lean Manufacturing porté par le site Structuration santé / sécurité • Système de management santé • Prévention portée par l’infirmière (mi-temps). • Équipe pluridisciplinaire de santé au travail : médecin, infirmiers, ergonome, psychologue, métrologue. • Pas de compétences en ergonomie. Pour l’entreprise A Face à une augmentation des TMS, la direction générale décide d’impulser en 2003 une démarche globale et pluridisciplinaire dont la maîtrise d’œuvre est confiée au service de santé au travail du site. Des améliorations des situations de travail avaient déjà été mises en œuvre, principalement techniques. Cependant, elles n’ont pas suffi à éliminer les TMS et dans un contexte de recherche de flexibilité organisationnelle liée à des variations importantes du marché, l’hypothèse de la rotation aux postes de travail est apparue comme une issue organisationnelle à investiguer. Dans cette démarche globale investiguant à la fois les champs épidémiologique, cognitif, psychosocial et biomécanique, le développement de MUSKA a permis d’objectiver les différentes combinaisons de rotation en intégrant les données temporelles issues des situations de travail réelles. L’appropriation de MUSKA s’est faite en deux temps. Tout d’abord, lors des phases de faisabilité sociale et technique (développement informatique) par la constitution d’une équipe pluridisciplinaire intégrant différentes logiques de l’entreprise : service de santé au travail, production, méthodes, ressources humaines (Benoist et al., 2006). Ensuite par l’intégration de MUSKA dans le système de management de la santé et sécurité de l’entreprise. À cet effet, la direction pose la prévention des TMS comme une priorité, et positionne MUSKA comme un point d’étape obligatoire, notamment lors des projets de conception. Dans ce cas, le dispositif de transfert concerne principalement la transmission de compétences pour l’utilisation de MUSKA, ainsi qu’un appui à son intégration dans la démarche de prévention des TMS portée par l’entreprise A. 191 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Pour l’entreprise B Dans le cadre de sa démarche Lean Manufacturing, l’entreprise souhaite acquérir des compétences ergonomiques pour améliorer les postes de travail. La direction est également soucieuse de problèmes engendrés par des premiers cas de déclaration de maladies professionnelles pour troubles musculosquelettiques. Dans un contexte de vieillissement de la population et sur un bassin d’emploi sinistré, la direction souhaite être accompagnée dans la mise en place d’une démarche de prévention des TMS. Il est donc proposé à l’entreprise B de : • mettre en place un dispositif d’alerte, avec une information à l’ensemble des salariés, • faire réaliser un état des lieux des pathologies par le médecin du travail et l’infirmière, puis de suivre son évolution, • créer un groupe « ergonomie », composé des différentes « logiques » de l’entreprise : infirmière, opératrice, élu CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), technicien méthode, animateur Lean, • suivre une formation-action pour utiliser MUSKA et transformer des situations de travail, • faire effectuer une intervention ergonomique par un consultant pour aider à la structuration de la démarche d’intervention par l’exemple. Pour l’entreprise B, le dispositif de transfert doit de prendre en compte la taille de l’entreprise, les ressources disponibles pour la démarche de prévention, le système de management de la santé sécurité limitée à des actions d’informations par l’infirmière et à un suivi médical ainsi que l’absence de compétences internes en ergonomie. Une appropriation différenciée de l’outil MUSKA en fonction du type d’entreprises Pour comparer l’appropriation de MUSKA par ces deux entreprises, nous avons retenu quatre compétences identifiées comme nécessaires pour favoriser une prévention durable des TMS, à savoir être en capacité : • de structurer une démarche de prévention des TMS durable ; • de réaliser une intervention ergonomique sous forme de conduite de projet ;d’analyser les situations de travail et, en particulier, l’activité de travail ; • d’utiliser in fine MUSKA pour évaluer le risque de TMS et simuler des solutions techniques et organisationnelles. Le tableau 2 ci-dessous résume les différentes formes d’appropriation d’une démarche de prévention des TMS en utilisant l’outil MUSKA. Tableau 2 Comparaison des formes d’appropriation de MUSKA et des démarches de prévention des TMS associées Entreprise A B Démarche de prévention • Positionnement de MUSKA dans le système de management • Structuration en cours. de la santé. • Facilite la pérennisation de la démarche d’intervention, les échanges entre le s différentes • Pose la question de l’organisation d’un mode de management de la santé sécurité adapté à l’entreprise. logiques (élaboration d’un référentiel commun). ISBN : 978-2-913488-68-4 192 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Projet de prévention des TMS en phase avec les actions d’amélioration continue et les projets de conception (ex. inscription dans les cahiers des charges). • Projet de prévention des TMS structuré à partir de l’intervention ergonomique. Analyse du travail Compétences internes préexistantes Transfert de notions d’ergonomie (connaissances TMS, prescrit/ réel, variabilités inter individuelles, etc.) mais pas suffisantes pour une autonomie dans l’analyse des situations de travail. Utilisation MUSKA • Personne en interne formée à l’analyse des situations de travail avec MUSKA. • En binôme « entreprise » avec l’appui de l’ARACT Aquitaine et d’un consultant ergonome. • Sensibilisation de l’ensemble des parties prenantes à MUSKA. • Présentation en CHSCT + suivi par les partenaires sociaux. Conduite de projet • Questionne le lien entre démarche Lean et intervention ergonomique. • Présentation en CHSCT et CE (comité d’entreprise) + suivi par les partenaires sociaux. D’une manière générale, quel que soit le type d’entreprises, l’appropriation en interne de l’outil MUSKA n’a pas posé de problème et a permis de disposer d’un outil commun permettant de débattre autour des questions de risques TMS et d’intégration de ces questions de santé dans les projets de l’entreprise (Thibault et al., 2008 ; Buschmann et Landry, 2010). Par contre, la mise en œuvre de l’outil MUSKA a nécessité des compétences en « analyse du travail » qui, en fonction des compétences présentes dans l’entreprise, engendre ou non le recours à un appui externe. Nous retrouvons la même problématique avec la question d’intégration d’une véritable conduite de projet dans une démarche générale de prévention des TMS. Ainsi pour l’entreprise B se sont posées les questions des ressources nécessaires à la démarche de prévention et la démarche d’intervention : Quels moyens l’entreprise peut-elle allouer ? Comment faire face à des compétences en ergonomie limitées ? Doit-on systématiser un appui par consultant ergonome à la carte ? Doit-on mettre en œuvre des formations complémentaires à celle réalisée dans l’entreprise ? Enfin, l’intégration dans un système de management santé sécurité de la démarche globale de prévention des TMS a permis pour l’entreprise A, d’une part, d’affecter des ressources dans le cadre de l’amélioration continue de l’entreprise (démarche plutôt curative) et, d’autre part, d’éviter de concevoir des organisations et/ou d’acheter des équipements dont les simulations avec MUSKA ont montré des risques TMS importants. Ainsi, malgré une crise conjoncturelle très grave (vente de l’entreprise, plan de licenciement…), l’entreprise B utilise toujours, depuis cinq ans, une démarche globale de prévention des TMS intégrant l’outil MUSKA. Conclusion Le retour d’expérience de l’utilisation de l’outil MUSKA au-delà des deux exemples précités nous amène à poser la question suivante : Dans quelle mesure un outil peut-il devenir un objet intermédiaire favorisant la pérennisation des démarches de prévention ? Aujourd’hui, nous percevons plusieurs rôles de pérennisation introduits par l’utilisation d’outils de mesure (en l’occurrence MUSKA dans notre cas) comme : • une porte d’entrée a priori « classique » par la gestuelle et la biomécanique qui permet d’accéder aux questions d’organisation du travail, en particulier par la simulation d’organisations du travail et leurs impacts d’un point de vue santé ; • un vecteur de transfert de compétences sur la prévention des TMS aux différentes logiques de l’entreprise, notamment aux concepteurs et organisateurs ; 193 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • un facilitateur d’échanges sur les questions du travail réel entre les services, CHSCT et direction constituant ainsi un objet du dialogue social ; • un support d’évaluation des TMS qui permet à l’entreprise d’être proactive au sein d’une démarche participative (identifier les situations à risque, coter l’effort, identifier les déterminants du travail…) et d’intégrer les TMS dans son Document Unique ; • un pronostiqueur via les fonctions de simulation afin d’intervenir en conception (Garrigou et al., 2001) avant que les pathologies ne soient installées. Vis-à-vis de l’utilisation de MUSKA, plusieurs limites sont apparues comme le fait de vouloir réduire les situations de travail uniquement aux aspects biomécaniques ou d’aborder la prévention des TMS exclusivement par le risque. Ces limites posent la question de l’importance de la formation des préventeurs, des concepteurs, des partenaires sociaux et des directions à une démarche de prévention durable des TMS (Schweitzer et al., 2011). En conclusion, autant l’utilisation de l’outil MUSKA peut apparaître dans nos exemples comme une condition nécessaire à la démarche d’intervention, autant cette condition n’est pas suffisante à elle seule pour la mise en œuvre d’une démarche globale de prévention des TMS. Bibliographie Benoist C., Dayre B., Leconte S., Le Trequesser R., Mange C., Pomarède S., Thibault J.F. (2004). Les déterminants de la mise en place d’une équipe pluridisciplinaire dans une entreprise de la métallurgie, XXVIIIe Congrès national de médecine et santé au travail, Bordeaux, in Archives des maladies professionnelles, 65,2-3, p. 254. Brunet M., Riff J., Le Trequesser R., Thibault J.F. (2006). La diversité gestuelle comme ressource à la préservation collective de la santé : regard sur les situations méthodologiques, in Ergonomie et santé au travail, 41e Congrès de la SELF à Caen, Éditions Octarès, p.433-438. Buchmann W., Landry A. (2010). Intervenir sur les TMS. Un modèle des Troubles Musculo-squelettiques comme objet intermédiaire entre ergonomes et acteurs de l’entreprise ? in Activités, vol. 7 n°2, http://www. activites.org/sommaires/v7n2.html, 20 p. Caroly, S., Coutarel, F., Escriva, E., Roquelaure, Y., Schweitzer, J.M. (2007). La prévention durable des TMS. Quels freins? Quels leviers d’action? Sous la direction de Daniellou, F., Rapport DGT de la recherche-action 20042007. Escriva E., Merlin X., Thibault J.-F. (2010). The development of MUSKA as tool to support a long lasting MSD prevention in the workplace, in open sessions of PREMUS 2010, seventh International Conference on prevention of workrelated musculoskeletal disorders, Angers, p.396. Garrigou A., Thibault J.F., Jackson M., Mascia F. (2001). Contributions et démarche de l’ergonomie dans les processus de conception, in PISTES, vol.3 n°2, http://www.unites.uqam.ca/pistes/, 16 p. Garrigou A., Thibault J.F., Pasquereau P. (2005). Point de vue de l’ergonome sur la place de la métrologie biomécanique dans l’intervention ergonomique, in Actes du 1er congrès francophone sur les TMS du membre supérieur, Nancy. Garrigou A. (2011). Le développement de l’ergotoxicologie : une contribution de l’ergonomie à la santé au travail, Habilitation à diriger des Recherches - Université de Bordeaux, 141 p. Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J. & Kerguelen, A. (1991). Comprendre le travail pour le transformer. La pratique de l’ergonomie. Paris, Éditions ANACT. Kerguelen, A. (1995). Description et quantification en analyse ergonomique du travail : le cas de l’observation systématique. In L’usage des méthodes statistiques dans l’étude du travail, Cahiers Travail/Emploi, p.131-139. Paris, La Documentation française. Merlin X., Thibault J.-F. (2009). La prévention des risques professionnels chez les artisans shaper : démarche d’intervention et outils de simulation organisationnelle, in Ergonomie et organisation du travail, Actes du 44e congrès de la SELF, Toulouse, p. 39-46. ISBN : 978-2-913488-68-4 194 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Merlin X., Thibault J.F., Le Trequesser R. (2010). MUSKA : de l’évaluation du risque TMS à la simulation de solutions techniques et organisationnelles, XXXIème Congrès national de médecine et santé au travail, Toulouse, in Archives des maladies professionnelles. Saint-Vincent M., Gonella M., Beauvais A., Vézina N., Laberge M., Lévesque J., Coulome T., Dubé J., Lévesque S., Cole D. (2008). L’intervention ergonomique participative pour prévenir les TMS : ce qu’en dit la littérature francophone, in Actes du 43ème congrès de la SELF, Ajaccio, p. 449-457 Schweitzer J.M., Escriva E., Bernon J. (2011). Comprendre et agir pour une démarche de prévention durable des TMS. Lyon, Éditions ANACT. Thibault J.F., Le Trequesser R., Guglielmina J., Leconte S., Labrot N. (2005). Développement de l’outil ”MUSKA” dans le cadre d’une démarche pluridisciplinaire de gestion du risque TMS par la rotation, in Actes du 1er congrès francophone sur les TMS du membre supérieur, Nancy. Thibault J.F., Le Trequesser R. (2006). Prévenir les risques TMS dans des ateliers d’assemblage automobile, in Ergonomie et santé au travail , 41e Congrès de la SELF à Caen, Éditions Octarès, p.533-538. Thibault J.F, Garrigou A., Carballeda G., Pasquereau P. (2008). De la production de la mesure à la construction sociale de son usage : exemples de pratiques relatives aux TMS, in Actes du 2r congrès francophone sur les TMS du membre supérieur, Montréal. 195 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Atelier 8 Méthode et outils de mobilisation des entreprises Michel Aptel Centre hospitalier régional et universitairede Besançon (France) René Brunet Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en santé au travail (Leest) (France) hislaine Tougas G Institut national de santé publique au Québec (INSPQ) (Canada) Nicole Vézina Université du Québec à Montréal (Uqam) (Canada) L ’objet de cet atelier est de rendre visible pour en discuter, les enjeux ou difficultés de mobiliser les acteurs de l’entreprise pour la conduire à s’engager dans la prévention des TMS. Dans ce cadre, la place des outils et des méthodes qui ont été créés, à cet effet, conçus et mis en œuvre par les praticiens ou pour les praticiens intervenants en prévention des TMS, sera débattue. Nous discuterons plus particulièrement des outils et des méthodes qui génèrent la mobilisation des entreprises au stade initial de l’action. Les organisateurs de l’atelier font l’hypothèse que la mobilisation est l’une des dimensions de l’intervention qu’il convient de formaliser pour gagner le pouvoir d’agir. Elle est aussi un levier pour assurer une meilleure fluidité et durabilité de l’action. Si les outils et les méthodes propres à la genèse sont au centre des objectifs de l’atelier, il n’en demeure pas moins que la question de la mobilisation apparaît comme une dimension transversale à l’intervention Les trois exemples présentés dans cet atelier, comme le propos introductif, visent à donner des points de repère pour penser cette dimension et pouvoir en débattre. ISBN : 978-2-913488-68-4 196 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Introduction : mobilisation et intervention, des relations à élucider René Brunet Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en santé au travail (Leest) (France) Introduction P oser la question des outils et des méthodes de mobilisation des entreprises pour la prévention des TMS à ce congrès, est-ce encore utile et que peut nous apporter la recherche? Pour ceux qui doutent quant à l’intérêt de se préoccuper de cette dimension, prenons un instant le soin de poser les questions suivantes : • Peut-on envisager une intervention sans mobilisation ? • Est-il possible que les acteurs de l’entreprise s’investissent ou se mobilisent suite à l’action concernée d’un intervenant ayant un statut de contrôleur ou de conseil ? Intervenir dans un collectif n’est pas neutre, c’est rejoindre une histoire faite de relations, d’évènements, de décisions. Tout événement provoque du sens, précise Philippe Zarifian (2008). La rencontre crée une opportunité ; elle peut engager un processus dans lequel les protagonistes se mobilisent, mais ils peuvent aussi se démobiliser. Peut-on envisager des interventions qui démobilisent ? Sans aucun doute. Tout intervenant est confronté à des acteurs qui dénient la réalité des TMS et des RPS. L’explication causale peut, selon les points de vue, privilégier la dimension personnelle, la fatalité, ou dévoiler une idéologie défensive de métier (1999, Cru). Par ailleurs, il arrive que l’on recherche la démobilisation pour favoriser l’exclusion ; la démission n’est donc pas à écarter de certaines situations, certains contextes. La démobilisation comme la mobilisation peuvent s’imposer comme un objectif prioritaire à l’intervention suivant les contextes et les situations. Elles peuvent venir soutenir le processus de transformation du travail. L’hypothèse que la mobilisation soit aussi une modalité utilisée à des fins de non intervention vient interroger en creux le statut de cette fonction de mobilisation dans la conception des interventions en prévention des TMS. Cet atelier traitera de la mobilisation comme une dimension structurante de l’intervention et plus particulièrement, celle privilégiant la construction sociale à l’expertise technico-réglementaire et normative. La mobilisation, une fonction et/ou une finalité de l’intervention ? Le choix de la prévention et la mobilisation sociale Le cours de pré-congrès à Premus 2011 avait permis de discuter la nécessaire place des institutions et des lois pour promouvoir la prévention des TMS auprès des entreprises. Les échanges ont abouti à cette idée essentielle que, sans obligations ni institutions de recherche, d’enseignement et d’intervention pour les promouvoir, le choix de la prévention n’est pas une priorité qui s’impose naturellement comme un déterminant de gestion pour les entreprises. L’histoire de la prévention des risques et son inscription comme obligation pour les entreprises dévoilent un premier mouvement de mobilisation sociale. La lente construction du système français de prévention décrit par Viet (Viet, 1999) témoigne de cette construction sociale. Sans doute faut-il voir dans cette difficulté de reconnaître les risques dus au travail, celle historiquement inscrite d’un risque socialement inégalitaire (A. Leclerc et co, 2008). 197 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Ainsi, influencer la décision d’associer la prévention des TMS à la conduite des entreprises et promouvoir cette fonction dans les missions et les responsabilités des acteurs des entreprises deviennent des préoccupations majeures. Dans ce contexte, le souci de mobilisation détermine en partie les pratiques des intervenants en charge de promouvoir la prévention des TMS. L’idée que la mobilisation peut devenir un objectif prépondérant de l’intervention à un certain moment du processus d’intervention est à discuter. On pense naturellement à l’intérêt de mobiliser les acteurs dans les situations où il n’y a pas de demande. La mobilisation n’est-elle pas aussi cruciale en aval de l’intervention pour que la prévention puisse se poursuivre et se développer ? Suivant les situations des entreprises et le rapport à leur demande de prévenir les TMS (Brunet, 2009) la mobilisation peut être appréhendée, dans le cas de la réponse à la demande, comme l’une des dimensions de l’intervention de transformation ou bien, dans les situations de non demande, comme une condition nécessaire à l’intervention. Dans ce dernier cas, elle devient la principale finalité de l’intervention. Ainsi nous rendrons mieux compte des pratiques d’intervention en interrogeant la priorité des objectifs assignés à l’intervention, qu’ils soient orientés vers la mobilisation ou bien la transformation. On peut s’interroger notamment sur leur poids respectif suivant qu’ils visent à faire advenir une demande, une réponse, ou une évolution. Nous regarderons, prioritairement, les pratiques et les stratégies d’intervention mises en œuvre, pour faire advenir une demande, car en général, les entreprises qui sont indifférentes à l’idée de prévenir les TMS, ne sont pas en mesure d’accepter spontanément l’idée de transformer les situations de travail. Les offres de service institutionnelles peuvent conduire à des impasses si elles ne prennent pas en considération le niveau de mobilisation des entreprises. Dans ces cas, l’intervention basée sur le conseil doit rechercher les leviers pour mobiliser les acteurs et rendre possible la formulation d’une demande. À ce stade, poser la mobilisation des entreprises comme un objectif à part entière de l’intervention en prévention des TMS ouvre les perspectives des objectifs de transformations qui sont assignés à l’intervention. Mobilisation et transformation : deux finalités au service de l’intervention Deux finalités distinctes et complémentaires : intervenir pour mobiliser et intervenir pour transformer Mobiliser pour se préparer à intervenir Si l’on fait référence à l’origine des mots et leur usage, la mobilisation et l’intervention ont été utilisées pour illustrer l’action militaire. On mobilise les ressources d’une nation pour mieux intervenir sur le terrain des opérations. Ici, la mobilisation et l’intervention représentent deux fonctions complémentaires au service d’un même but : celui de pouvoir s’immiscer de l’extérieur dans les affaires intérieures d’un pays, d’une organisation. Les institutions ayant cette prérogative de contrôle définissent des orientations et des plans pour intervenir et orientent leurs ressources à cette fin. Les ressources institutionnelles puisent leur légitimité dans le texte de loi. Ce découpage de l’action de contrôle en deux temps, de mobilisation et de transformation peut aussi permettre de mieux comprendre les interventions basées sur le conseil. Les institutions et les intervenants institutionnels qui agissent à partir du conseil doivent trouver les ressources légitimes pour agir et influencer la décision de ceux qui dirigent l’entreprise. La commande institutionnelle est souvent traduite en offre de services. Sans pouvoir de contrôle, l’intervenant est conduit à rechercher les conditions pour que l’offre de service devienne une proposition acceptable et acceptée et puisse, in fine, aboutir à une formulation d’une demande. ISBN : 978-2-913488-68-4 198 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention En effet, les intervenants institutionnels, assis sur le conseil, font face la plupart du temps, à des situations spécifiques. Celles-ci peuvent se caractériser par une absence de demande de l’entreprise et l’impossibilité ou l’interdiction de mobiliser la force du contrôle pour y parvenir. Dans ces conditions, pouvoir intéresser les entreprises et les acteurs nécessite de préparer les offres de service sur les conditions de la mobilisation des acteurs. Il s’agit de transformer les offres de service pour rejoindre les attentes des interlocuteurs et les aider à formuler la demande. C’est précisément dans cette interface entre l’absence de demande et le pouvoir du conseil que se pose avec acuité la construction de l’intervention de mobilisation, car il ne s’agit plus de mobiliser pour se préparer à intervenir, mais d’intervenir pour mobiliser. Mobiliser comme une dimension de l’intervention de transformation La notion de mobilisation n’est pas nouvelle ; elle est polysémique. Elle fut utilisée dans des contextes historiques et sociaux puis psychologiques. Cette idée de transformation prévaut dans l’approche ergonomique. En promouvant l’approche participative dans les processus de transformation du travail, la démarche ergonomique considère, de façon implicite, la mobilisation comme l’une des dimensions de la méthode. La mobilisation est vue comme une fonction intrinsèque de la démarche d’intervention. La mobilisation n’est pas appréhendée comme un objectif prioritaire à l’intervention, mais participe à l’intervention. On comprend bien qu’il existe des proximités fonctionnelles entre les démarches participatives, les niveaux de mobilisation des acteurs et la production des transformations du travail plus favorables au rapport santé /travail. Mais avec la démarche participative, la mobilisation des acteurs d’un système social est au service de la transformation de ce même système. Elle témoigne, de la part des entreprises, une capacité à accepter l’objectif et la démarche et cette volonté de mettre tout en œuvre pour que cette démarche s’y déploie. En présence d’une demande des entreprises, la mobilisation devient un moyen au service de l’intervention de transformation. Mais qu’en est-il des entreprises qui n’acceptent pas la démarche de transformation du travail ? En l’absence de demande, mobiliser devient un objectif prioritaire à l’intervention En l’absence de demande, le travail de mobilisation revient prioritairement aux institutions de prévention en charge de promouvoir la santé et la sécurité au travail. La question à laquelle l’intervention institutionnelle est confrontée n’est plus de répondre à la demande mais de la faire advenir. L’application de la loi qui est dévolue au ministère du travail et aux institutions en charge du contrôle des textes et des normes traduit ce potentiel de ressources qui peut se mobiliser pour contraindre et informer. Ici, la mobilisation des acteurs institutionnels est au service d’une mobilisation en marche forcée, sous contraintes. Dans ce cas, l’accord des deux parties n’est pas requis, seul compte le légitime pouvoir d’immixtion de l’un au regard de la liberté gestionnaire de l’autre. Cet acte d’ingérence révèle qu’intervenir pour mobiliser est préalable à intervenir pour transformer. La menace de la sanction et du contrôle est un levier important de la mobilisation. Mais la voie de la menace ne recouvre pas toutes les possibilités de mobiliser. D’autres voies sont possibles, comme celles développées par la santé publique du Québec, où l’intervention est assise sur l’obligation de négociation d’un plan de prévention. Les stratégies de mobilisation peuvent prendre les formes de campagnes de communication (DIRRECTE), de plans d’action incitant les entreprises visées à s’inscrire dans une démarche d’interventions (CARSAT Rhône-Alpes). Dans ces situations, les acteurs institutionnels doivent faire face aux différentes attitudes plus ou moins favorables de la prévention de la santé des salariés exposés aux TMS dans leur organisation. La définition des offres de services visant la mobilisation peut devenir un objectif prioritaire à l’action suivant le niveau des attentes et des prédispositions des entreprises à l’égard de la santé au travail et des offres auxquelles elle est confrontée. (G. Tougas) 199 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Conclusions Comprendre pour transformer, comprendre pour mobiliser Au terme de cette première analyse, l’articulation entre mobilisation et transformation peut, selon les attentes des entreprises, constituer deux points de repères pour élaborer l’intervention. Nous avons tenté de dégager les articulations en repérant les trois moments de l’intervention. La première pose la question de la mobilisation comme objectif prioritaire, quand il s’agit d’intervenir avant la demande. Nous avons évoqué la deuxième figure de l’intervention où la mobilisation apparaît comme moyen au service de la transformation. Enfin nous avons abordé cette idée qu’il est possible d’intégrer la mobilisation comme un levier pour développer la demande. Il peut être fécond de penser les modulations de la mobilisation des acteurs comme objectif et comme moyen selon les différentes temporalités de l’accompagnement avant, pendant et après la demande en relation avec le stade de développement de l’entreprise. Perspective de recherche sur l’intervention en prévention des TMS Dans le cas des interventions prenant appui sur une logique de conseil, la possibilité d’un ajustement entre ce qui est proposé par les institutions et ce qui paraît acceptable et possible pour l’entreprise se révèle déterminante. L’efficacité d’une intervention tient à cette relation. En effet, la construction d’une demande et la mise en place d’une organisation de type « conduite de projet » mobilisent les ressources des institutions comme des entreprises et ce, dans la durée… On peut supposer que l’acceptation de toute proposition visant la transformation du travail est le résultat d’étapes intermédiaires qui la facilitent et autorisent la mise en œuvre de l’intervention. Il y aurait comme une didactique des situations d’intervention qui opérerait dans l’ombre de l’intervention de transformation. En 2008, l’atelier n° 8 du congrès de Montréal, interrogeait l’intervention sur l’écart entre la demande et la commande. En 2011, à Grenoble, l’atelier N° 8 élucide mieux les relations entre l’intervention de mobilisation et l’intervention de transformation. Pour être transmises et évaluer, les conditions d’acceptabilité doivent devenir un objet de connaissance. Reste à interroger et approfondir les ressorts de la mobilisation au regard des disciplines non encore sollicitées, comme la psychologie, la sociologie des territoires et des organisations, la communication, le marketing relationnel… et prendre appui sur les nombreuses expériences de mobilisation. Autant de regards qui pourraient être utiles de mobiliser pour mieux comprendre les pratiques existantes, interroger les réflexions scientifiques et les pratiques institutionnelles, éclairer les organisations à mieux prendre en compte l’utilité d’intégrer la prévention dans leur organisation. Le travail d’élucidation n’est donc pas clos. Que la réflexion se poursuive… Références Zarifian (P.). 2008. Intervention au club stratégie : les soubassements philosophiques de la compétence. Cru (D). 1995. Idéologique défensive de métier et ses manifestations symboliques, mémoire de l’École pratique des hautes études sciences de la vie et de la terre. Ruffat (M.) et Viet (V). 1999. Le choix de la prévention, Editions Économica. Leclerc (A.), Kaminski (M), Lang (T) : 2008 : Inégaux face à la santé. Chapitre : travail et emploi p 164. Éditions La Découverte. Brunet (R.). 2009 article : les pratiques des organismes de prévention et prévention des TMS : Terrain de recherche et chercheur de terrain revue Pistes. Brunet (R.), Presselin (J), Viel (M), SEE (N). 2008. Le risque et la parole, Éditions Octarès. ISBN : 978-2-913488-68-4 200 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Quel bilan de la campagne de communication TMS 2008-2010 Lionel Groléas Inspection du travail Rhône-Alpes (France) Agnès Lebret, Pascal Étienne Direction générale du travail (France) O bjet de la communication : A l’issue de trois années de campagne de communication sur les TMS, quelles actions conjointes ou complémentaires des préventeurs et spécialistes de la santé ces campagnes ont induites ? Quels impacts pour les institutions (DGT, inspection du travail, partenaires sociaux… et pour les entreprises ? Quelles perspectives et quelles leçons en tirer ? À l’occasion de la conférence tripartite du 4 octobre 2007 sur les conditions de travail, le ministre chargé du travail a annoncé aux partenaires sociaux le lancement d’une vaste campagne nationale de communication sur les troubles musculo-squelettiques. Cette campagne de communication triennale (2008-2010) était destinée au grand public, aux entreprises, aux organisations professionnelles et également aux acteurs de la prévention et de la santé au travail. Initiée par les ministères en charge du travail et de la santé, cette campagne a, en outre, mobilisé le ministère de l’Agriculture et les partenaires institutionnels spécialistes en matière de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail : la CNAMTS, l’INRS, la CCMSA, l’ANACT, l’OPPBTP. La volonté affichée était de créer une synergie entre les actions de communication des divers partenaires institutionnels en matière de prévention des TMS. Les troubles musculo-squelettiques constituent la première cause de maladies professionnelles (84%) et sont responsables de pertes de performances pour l’entreprise. Au-delà des souffrances et des risques d’inaptitude et de désinsertion professionnelle que les TMS peuvent induire pour les salariés, les conséquences humaines et économiques ne sont pas négligeables pour les entreprises. Ils sont ainsi, de fait, devenus un enjeu majeur de santé au travail. La prévention des TMS doit également s’entendre en lien avec les actions de maintien dans l’emploi et de retour au travail avec des partenaires institutionnels comme l’AGEFIPH (en cas de reconnaissance COTOREP) ainsi que des acteurs de terrain (médecin du travail, chargés de mission des ARACT…) qui apporttent un appui à l’aménagement des postes de travail, aux adaptations organisationnelles, à l’implication des collectifs de travail… Cette campagne, intitulée « TMS, parlons-en pour les faire reculer », avait pour objectif pédagogique premier de mieux faire connaître les TMS et de sensibiliser en profondeur et dans la durée sur l’importance de la prévention en la matière. L’objectif final était d’inciter les entreprises à passer à des démarches actives de prévention des TMS et cela grâce à la mobilisation de tous les acteurs de la prévention en matière de santé au travail. En 2008, première année, la campagne s’est déclinée selon trois volets : • Une campagne télévisée avec un film « choc », destiné à faire réagir et mettant en scène un ouvrier de chantier, une ouvrière à la chaîne dans une usine et une caissière de supermarché. • Une campagne en presse écrite grand public et professionnelle avec quatre visuels : un ouvrier de chantier, une ouvrière d’usine, une caissière de supermarché, avec un employé de bureau et deux signatures : « Au travail, il y a des petites douleurs qui deviennent insupportables », pour la presse grand public et « il y a de petites douleurs qui deviennent insupportables pour l’entreprise », pour la presse professionnelle. • Deux affichettes diffusées via, notamment, les médecins généralistes, les pharmacies, les services de santé au travail, les chambres de commerce et d’industrie, les caisses primaires d’assurance maladie. 201 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Dès cette première année, un principe créatif fort est retenu pour faire réagir : la bouche ouverte qui crie sa douleur. Principe créatif qui sera repris la seconde année et décliné sur différents supports et des situations variées. Le bilan de cette première phase de la campagne de communication, réalisé par l’institut CSA, s’est avéré particulièrement positif : • L’étude du CSA confirme le déficit d’information sur les TMS avant le lancement de la campagne. En effet, six salariés interrogés sur dix (61%) et plus d’un tiers (34%) des dirigeants affirment n’avoir jamais entendu parler des TMS auparavant. À l’inverse, seuls 22% des salariés et 37% des dirigeants déclarent qu’ils savaient déjà ce qu’étaient les troubles musculo-squelettiques avant la campagne. Pourtant, plus de 8 salariés sur 10 seraient exposés aux TMS, selon l’étude du CSA. • La campagne a reçu un accueil globalement favorable auprès de 68% de l’échantillon grand public, 65% des salariés et 74% des dirigeants interrogés. Le lancement de la deuxième phase, début mai 2009, avait pour signature : « Troubles musculo-squelettiques, la prévention, on s’y met tous ». Elle s’est déclinée en trois annonces presse : « Quand un salarié souffre, c’est toute l’entreprise qui est affaiblie », autour de trois visuels : le port et la superposition de cartons, la mise en rayon d’un pack d’eau, une jeune femme souffrant de l’épaule dans un vestiaire. Une brochure de 8 pages a été diffusée à 673 000 exemplaires et une affichette à 13000 exemplaires. Les pouvoirs publics ont souhaité, dans cette seconde phase, inciter les employeurs, les cadres dirigeants et tous les acteurs de l’entreprise à envisager des actions de prévention des risques de survenue de TMS. Le post-test de 2009 a ainsi révélé à nouveau que, bien que susceptibles de toucher une majorité de salariés, les troubles musculo-squelettiques demeuraient peu connus. Pour autant, 83% des dirigeants interrogés estimaient que les salariés qui travaillaient dans leur entreprise étaient potentiellement exposés aux TMS, 29% évoquant même une exposition forte (4 à 5 facteurs de risques). L’objectif du dernier volet de la campagne TMS en 2010 était de soutenir et d’accélérer les démarches engagées par les entreprises dans la lutte contre les troubles musculo-squelettiques et de donner aux employeurs toutes les informations utiles pour les guider vers les bons interlocuteurs et les aider à combattre les TMS. Les deux premiers volets avaient permis de sensibiliser le grand public, les salariés et les chefs d’entreprise à l’enjeu économique et humain que représentaient les TMS et d’inciter ces derniers, dans le troisième volet, à engager des actions de prévention. Cette troisième et dernière phase de la campagne TMS avait été annoncée officiellement par le ministre chargé du Travail lors d’une conférence de presse, le 1er avril 2010. La signature retenue pour ce dernier volet était : « Mettre fin aux troubles musculo-squelettiques dans votre entreprise, c’est possible » et l’accroche : « Troubles musculo-squelettiques. La prévention, on s’y met tous ». La campagne en presse professionnelle a conduit à la création de deux nouveaux visuels et l’accent a été mis sur une communication positive. Les visuels rompaient avec l’image de la bouche béante, synonyme de la douleur du salarié, pour laisser place à un poing qui écrasait avec assurance le mot « tendinites » et aux mains d’une femme tordant le mot « lombalgies » jusqu’à le briser. Une campagne radio a été lancée avec la création de deux spots de 30 secondes. Ces spots démontraient que les TMS affectaient aussi bien les salariés dans l’exercice de leur travail que la productivité de l’entreprise. Ils rappelaient que « si vous êtes employeur, vous pouvez prévenir les TMS dans votre entreprise » et incitaient à consulter le nouveau site du ministère www.travailler-mieux.gouv.fr. Des brochures de 8 pages ont été réalisées sur le modèle de celles de 2009 avec actualisation du visuel et des données chiffrées plus récentes. Une affichette reprenant le visuel « tendinites » était également téléchargeable depuis le site www. travailler-mieux.gouv.fr. Ouvert en janvier 2010, le site www.travailler-mieux.gouv.fr regroupe un ensemble considérable d’informations sur la santé, la sécurité et les conditions de travail à destination de tous les acteurs de l’entreprise. Une rubrique y est spécialement consacrée à la prévention des TMS avec un renvoi sur les sites des professionnels de la prévention et de la santé et sécurité au travail. ISBN : 978-2-913488-68-4 202 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le post test a révélé que le niveau d’information concernant les TMS apparaissait meilleur que l’année précédente (+ 6 points) et la connaissance légèrement plus précise (41% déclaraient, en effet, en avoir déjà entendu parler et savoir ce dont il s’agissait, contre 39% en 2009). Néanmoins, 35% des dirigeants d’entreprise déclaraient encore n’avoir jamais entendu parler des troubles musculo-squelettiques ou TMS. Quels enseignements ? C’est le principe même de la campagne qui génère spontanément le plus d’approbation en mettant en scène la réalité des douleurs rencontrées au travail, mais la forme de la campagne recueille, elle aussi, des niveaux d’approbation importants. La seconde année, la campagne a enfin touché son cœur de cible puisque les dirigeants dont les salariés sont les plus exposés aux TMS semblent systématiquement plus réceptifs. Pour autant, si elle permet de faire prendre conscience des risques auxquels les entreprises sont exposées (que ce soit en ce qui concerne la santé des salariés ou les conséquences financières pour l’entreprise), reste à savoir, au-delà du déclaratif, si elle aura dans la réalité un effet incitatif auprès des employeurs pour que ceux-ci s’attèlent à engager des actions de prévention. Le troisième volet de la campagne sur les TMS recueille des résultats en demi-teinte. La campagne semble avoir tout d’abord moins marqué les esprits que les années précédentes. Ce volet est surtout porté par les spots radio, et les annonces presses ont été peu repérées en presse professionnelle. La campagne est à nouveau très bien accueillie par les dirigeants d’entreprise, même si elle apparaît moins appréciée que les précédentes : jugée moins originale sur la forme, elle reste perçue comme légitime et réaliste, même si elle semble moins informative et pédagogique que les volets de 2008 et 2009. Néanmoins, ce troisième volet de la campagne sur les TMS atteint ses principaux objectifs. D’une part, les TMS semblent aujourd’hui être un sujet mieux connu qu’auparavant, et concernent les chefs d’entreprise de manière grandissante. D’ailleurs, ce volet apparaît moins focalisé que les deux précédents sur un cœur de cible très concerné par le sujet, tandis que ceux qui sont moyennement sensibilisés aux TMS semblent au contraire particulièrement impactés. D’autre part, ce troisième volet permet de confirmer la prise de conscience des risques auxquels les entreprises sont exposées (que ce soit en ce qui concerne la santé des salariés ou les conséquences financières pour l’entreprise) et, surtout, de passer le cap du passage à l’acte. En effet, une majorité de dirigeants affirme (contrairement à l’année précédente) que la campagne les a fait réfléchir à la mise en place d’actions de prévention au sein de leur entreprise ou établissement. La campagne de communication a généré des réactions négatives de certaines branches professionnelles qui se sentaient stigmatisées alors même que c’était la situation de travail qui était visée et non le secteur d’activité en cette première phase d’information et de sensibilisation. En outre, les branches professionnelles qui se sont manifestées, soulignaient les efforts qu’elles menaient afin de mettre en place des stratégies de prévention des TMS. La seconde critique formulée à l’encontre de la campagne était une crainte de voir une augmentation significative des déclarations en maladies professionnelles de pathologies aujourd’hui nettement sousdéclarées par méconnaissance. En conclusion Une majorité de dirigeants affirmait que la campagne les avait fait réfléchir à la mise en place d’actions de prévention au sein de leur entreprise ou établissement. La construction de la campagne qui a favorisé les échanges inter-institutionnels tant sur les méthodologies de démarches engagées que sur les marges de manœuvre et les pistes de solutions envisagées a permis de dégager un positionnement consensuel autour des TMS et de leur prévention. 203 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La survenue de ces pathologies en milieu professionnel peut être endiguée si l’entreprise s’engage dans une démarche de prévention durable et globale impliquant tant les acteurs de l’entreprise que ceux de la prévention en matière de santé et sécurité du travail. En effet, au cœur de l’action en entreprise interviennent différents professionnels : les médecins du travail, acteurs pivots; les intervenants en prévention des risques professionnels — IPRP — qui interviennent en appui aux services de santé au travail ; les agents de contrôle ; les agents de prévention CARSAT et OPPBTP ; les consultants, notamment en ergonomie. Toutefois, rappelons que la solution unique et transposable n’existe pas, tant du fait que chaque entreprise a son organisation du travail spécifique que du fait que chaque situation du travail présente ses particularités biomécaniques et chaque travailleur ses caractéristiques physiologiques propres. Le caractère multifactoriel des TMS est désormais reconnu de tous, ce qui complexifie d’autant la recherche de démarches, qu’elles soient curatives ou de prévention. La prévention des TMS doit s’inscrire dans le cadre d’un dialogue social dynamique, d’où la nécessité d’un CHSCT actif lorsqu’il existe. De même, dans les entreprises dépourvues de CHSCT (notamment les moins de 50 salariés), ce sont les délégués du personnel qui ont ces attributions par substitution. Un enjeu majeur dans nos sociétés modernes est d’élaborer, ou mieux de négocier, des organisations du travail moins pathogènes qui favorisent les solidarités inter-personnelles, accroissent les marges de manœuvre dans la réalisation du travail de chacun et visent ainsi à réduire notamment les efforts répétitifs sous contraintes temporelles et de productivité. Un consensus fort reposant désormais sur des avancées scientifiques pose également la nécessaire prise en compte de l’impact des risques psychosociaux comme facteur aggravant de survenue des TMS d’un point de vue tant d’organisations délétères du travail que d’aspects physiologiques. L’une des caractéristiques forte de réussite de cette campagne pluri-annuelle de communication a été qu’elle participait de l’action d’autres intervenants en prévention : Semaine de la Qualité de Vie au Travail de l’ANACT, semaine TMS des CARSAT… Le second plan santé au travail 2010-2014 réaffirme que le risque TMS fait partie des risques prioritaires, et que pour être véritablement contributive d’une mise en mouvement des entreprises, la campagne de communication doit nécessairement être relayée par d’autres actions. Ainsi, l’objectif annoncé du PST2 est de stabiliser le nombre de maladies professionnelles en réduisant les TMS. Le PST2 s’inscrit dans une logique partenariale et réaffirme la nécessaire mobilisation de tous les acteurs de la prévention dans la lutte contre les TMS. Il souligne l’importance, en matière de santé et sécurité au travail, de favoriser une approche sectorielle (BTP, agriculture…) et par type de populations parfois plus vulnérables (intérimaires, séniors…). Différentes mesures spécifiques sont envisagées : incitation des entreprises à réaliser leur plan de prévention, formation renforcée des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), actions de contrôle. L’actualité européenne met également au cœur de ses préoccupations la prévention des risques en matière de TMS. En effet, l’élaboration d’une Directive européenne visant la prévention et la lutte contre ce risque professionnel est en préparation par la Commission européenne, et les représentants des autorités françaises participent à ces travaux. Un groupe d’experts en ergonomie, dans le quel est également impliqué la DGT, a été constitué afin de construire une annexe méthodologique de la Directive qui devrait fusionner les Directives manutention manuelle et travail sur écran. ISBN : 978-2-913488-68-4 204 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Mobilisation de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes Jérôme Chardeyron Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT Rhône-Alpes, France) D ans les CARSAT, CRAM et CGSS, les préventeurs mènent de nombreuses interventions individuelles qui permettent d’accompagner des entreprises dans la prévention des TMS en mobilisant des compétences internes ou parfois externes. Ces actions individuelles sont nécessaires mais ne permettent pas une action de masse de prévention des TMS. Un premier niveau d’agrégat des interventions individuelles permet d’obtenir des effets de synergie appréciable. Pour cela certaines CARSAT, CRAM et CGSS mettent en place des actions avec plusieurs entreprises d’un même métier afin de pouvoir transmettre à l’ensemble d’un secteur d’activité un diagnostic, des pistes de prévention… Cependant ces interventions précieuses restent rares et liées à notre capacité d’action et de pérennisation. Aussi elles doivent être complétées par des actions collectives en partenariat avec des branches professionnelles ou avec des acteurs de territoires (SST, CCI…) afin : • de mobiliser plus d’entreprises pour prévenir les TMS ; • de mobiliser des partenaires, des ressources : porteurs de projets, financeurs, intervenants… ; • de mettre en place des échanges durables entre les entreprises ; • de pérenniser les actions ; • d’obtenir et de concentrer des moyens. L’ensemble des actions individuelles et collectives peut alors permettre d’agir sur les déterminants des entreprises, mais aussi de remonter aux déterminants sur lesquels peuvent agir les filières professionnelles : actions auprès des clients et des fournisseurs, conception, accord de branches… Pour des actions avec les filières professionnelles, il est important d’évaluer la volonté et le niveau d’implication possible de l’organisation professionnelle concernée. Elle peut être : • intéressée : l’organisation professionnelle veut et peut mobiliser des entreprises et doit être accompagnée pour monter le dispositif, formaliser la convention, trouver des compétences pour permettre son déroulement ; • engagée : elle veut et peut mobiliser des entreprises et est en capacité de monter un dispositif, de trouver des compétences ; • experte : elle veut et peut mobiliser des entreprises, a des compétences en interne et peut maintenir la mobilisation des entreprises. Il est également important d’évaluer la capacité de l’organisation professionnelle à piloter l’action. Identification de la filière agroalimentaire : une sinistralité préoccupante, un contexte exigeant mais des opportunités d’action… La filière agroalimentaire présente une sinistralité préoccupante : 1 salarié a de 2 à 3 fois plus de risques d’avoir un accident du travail et 2 fois plus de risques d’avoir un trouble musculo-squelettique, que la moyenne des autres secteurs d’activité. 205 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Ce secteur présente une grande diversité de métiers qui ont tous en commun des enjeux liés à l’hygiène alimentaire et des enjeux socio-économiques très prégnants pour les chefs d’entreprise : • crises très médiatisées : • forte dépendance amont (matières premières) et forte pression aval (grande distribution) : • difficultés de recrutement, de fidélisation, de qualification : • industries très tournées vers le produit et les savoir-faire, parfois très peu automatisées : • fortes contraintes de températures, de gestes répétitifs, de flux tendus… Il a également pour particularité de voir ses activités réparties sur 2 régimes : général et agricole. Pour autant, des opportunités de mobilisation pour appréhender la prévention des risques professionnels dans cette filière restent à saisir, tels que les coûts de cotisation AT-MP élevés, les difficultés liées à l’emploi, les synergies à exploiter avec la méthode HACCP d’analyse des risques sanitaires… En région, les acteurs de l’agroalimentaire sont présents par le biais de représentations professionnelles (Association Régionale des Industries Agroalimentaires, syndicats professionnels…), de centres de formation et écoles spécialisées, de centres techniques de recherche et d’accompagnement (technopôles), des associations… Mobilisation et actions D’une manière générale, lorsqu’on a identifié l’organisation professionnelle et les différents acteurs qui peuvent jouer un rôle dans une action collective, il est nécessaire de : • construire l’action : -- connaître les enjeux, les préoccupations des partenaires, -- partager des objectifs à court, moyen, long terme : choix d’une thématique, de la cible… il peut parfois être pertinent de développer un partenariat pour atteindre des objectifs modestes à court terme afin d’établir des relations pérennes de confiance et donner envie d’aller plus loin, -- structurer l’action : °° constituer le groupe-projet (organisation professionnelle, CARSAT, ARACT, SIST, DIRECCTE, OPPBTP…), °° définir le mode d’action (sensibilisation, formation – action, intervention de consultants…), °° préciser les rôles et les missions de chacun, °° préciser les délais et les moyens (en temps et financiers), °° définir, si nécessaire, le cahier des charges des intervenants; • formaliser l’ensemble du dispositif; • choisir des entreprises bénéficiaires de l’action collective; • choisir les intervenants. • Définir les modalités de l’évaluation : Pour qu’une action collective puisse être déployée, l’étape d’évaluation est capitale. L’évaluation se fait généralement selon 5 critères : la pertinence, la cohérence, l’efficacité, l’efficience et les impacts de l’action réalisée : -- Pertinence : les objectifs de l’action correspondent-ils bien à des besoins identifiés comme prioritaires lors de l’état des lieux préalable, pour les partenaires, pour la cible, pour l’environnement ? -- cohérence : les moyens, ressources, interventions mis en place ont-ils permis de remplir les objectifs ? -- efficacité : quel est le rapport entre les résultats concrets produits et les objectifs initiaux ? -- efficience : quel est le rapport entre les moyes engagés et les résultats obtenus ? -- impact : quels sont les changements provoqués par l’action sur la cible et sur l’environnement ? • Envisager les conditions pour un futur déploiement : Ce déploiement peut être très variable : de la diffusion des résultats de l’action collective aux autres entreprises (guide de bonnes pratiques, communication internet, réunions d’information), jusqu’à un engagement de l’Organisation Professionnelle d’avoir une personne porteuse d’un projet de déploiement. Il est fréquemment nécessaire de mobiliser des financements pour : ISBN : 978-2-913488-68-4 206 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention -- les actions des intervenants en phases collectives et individuelles; -- la prise en charge des coûts liés à la gestion logistique; -- le transfert des acquis vers d’autres entreprises. Dans la plupart des actions, il est intéressant que les entreprises financent elles-mêmes une partie afin de marquer leur engagement. Au delà des entreprises, à titre d’exemples, les financeurs possibles sont : l’ARACT (FACT…), la DIRECCTE (crédits d’appui…), la CARSAT (convention, aides financières simplifiées…), le Département, la Région… ainsi que les OPCA (organismes collecteurs des fonds de formations des entreprises) pour les journées de formations. Dans le cas de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes : en 2008, à partir de plusieurs données d’entrée (la demande émergeante de certaines entreprises, l‘identification des besoins par les préventeurs, notre connaissance des acteurs régionaux, la volonté du représentant de la profession), une action collective expérimentale a été construite pour accompagner un collectif de 8 entreprises : « prévention des TMS dans l’agroalimentaire : concilier santé et productivité dans l’investissement industriel ». Pilotée par l’un des acteurs techniques locaux, et accompagnée par un consultant, elle a conduit à une capitalisation des résultats obtenus sous forme d’un guide méthodologique et de films témoignages. Au-delà, cette action a permis la structuration d’un réseau régional des partenaires concernés, 12 partenaires au total. Ce réseau, aujourd’hui doté d’une identité visuelle (logo) propose une offre d’accompagnement aux entreprises, via différents outils : coordination des plans actions, communication sur les rôles de chacun, partage d’expériences et de compétences, production d’outils… Deux autres dispositifs collectifs expérimentaux ont depuis vu le jour, permettant une capitalisation globale des résultats obtenus. Ils diffèrent par le thème abordé et par le public cible (approche croisée de 3 expertises que sont ergonomie - gestion industrielle - pratiques managériales, conception hygiénique et ergonomique des équipements de l’agroalimentaire) mais restent semblables sur la démarche. Toutefois, force est de constater que peu d’entreprises restent directement impactées par ces dispositifs, lourds et coûteux en temps et en budget. Une réflexion est depuis en cours sur le déploiement auprès du plus grand nombre d’entreprises possible par le biais d’ outils de communication, d’évènements, de formations, de dispositifs collectifs « allégés et reproductibles », qui seraient créés par le réseau de partenaires puis mis en œuvre par des relais. Difficultés rencontrées et perspectives Pour maintenir la mobilisation et des démarches durables de prévention au sein des entreprises et de l’organisation professionnelle, les difficultés peuvent être de 4 ordres : • liées aux acteurs qui étaient présents dans les actions en entreprises et dans la profession et qui peuvent changer de missions… • liées spécifiquement à la filière : diversité des métiers, contradictions hygiène alimentaire/sécurité, représentativité et élan donné par la profession, intérêt à long terme des porteurs de projets… • liées à la mobilisation durable des entreprises : difficultés à pérenniser les démarches et à rendre autonome les entreprises… • liées au financement des actions de prévention des risques : difficultés à trouver des financements pérennes et reproductibles, en dehors des expérimentations… En conclusion, pour mobiliser de manière durable les entreprises : 3 modes d’intervention interagissent continuellement : • l’action directe en entreprise ; • la capitalisation des expériences ; • le déploiement par la valorisation des expériences et la diffusion d’outils pouvant développer l’autonomie des entreprises. 207 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Ce secteur présente une grande diversité de métiers qui ont tous en commun des enjeux liés à l’hygiène alimentaire et des enjeux socio-économiques très prégnants pour les chefs d’entreprise : • crises très médiatisées : • forte dépendance amont (matières premières) et forte pression aval (grande distribution) : • difficultés de recrutement, de fidélisation, de qualification : • industries très tournées vers le produit et les savoir-faire, parfois très peu automatisées : • fortes contraintes de températures, de gestes répétitifs, de flux tendus… Il a également pour particularité de voir ses activités réparties sur 2 régimes : général et agricole. Pour autant, des opportunités de mobilisation pour appréhender la prévention des risques professionnels dans cette filière restent à saisir, tels que les coûts de cotisation AT-MP élevés, les difficultés liées à l’emploi, les synergies à exploiter avec la méthode HACCP d’analyse des risques sanitaires… En région, les acteurs de l’agroalimentaire sont présents par le biais de représentations professionnelles (Association Régionale des Industries Agroalimentaires, syndicats professionnels…), de centres de formation et écoles spécialisées, de centres techniques de recherche et d’accompagnement (technopôles), des associations… Mobilisation et actions D’une manière générale, lorsqu’on a identifié l’organisation professionnelle et les différents acteurs qui peuvent jouer un rôle dans une action collective, il est nécessaire de : • construire l’action : -- connaître les enjeux, les préoccupations des partenaires, -- partager des objectifs à court, moyen, long terme : choix d’une thématique, de la cible… il peut parfois être pertinent de développer un partenariat pour atteindre des objectifs modestes à court terme afin d’établir des relations pérennes de confiance et donner envie d’aller plus loin, -- structurer l’action : °° constituer le groupe-projet (organisation professionnelle, CARSAT, ARACT, SIST, DIRECCTE, OPPBTP…), °° définir le mode d’action (sensibilisation, formation – action, intervention de consultants…), °° préciser les rôles et les missions de chacun, °° préciser les délais et les moyens (en temps et financiers), °° définir, si nécessaire, le cahier des charges des intervenants; • formaliser l’ensemble du dispositif; • choisir des entreprises bénéficiaires de l’action collective; • choisir les intervenants. • Définir les modalités de l’évaluation : Pour qu’une action collective puisse être déployée, l’étape d’évaluation est capitale. L’évaluation se fait généralement selon 5 critères : la pertinence, la cohérence, l’efficacité, l’efficience et les impacts de l’action réalisée : -- Pertinence : les objectifs de l’action correspondent-ils bien à des besoins identifiés comme prioritaires lors de l’état des lieux préalable, pour les partenaires, pour la cible, pour l’environnement ? -- cohérence : les moyens, ressources, interventions mis en place ont-ils permis de remplir les objectifs ? -- efficacité : quel est le rapport entre les résultats concrets produits et les objectifs initiaux ? -- efficience : quel est le rapport entre les moyes engagés et les résultats obtenus ? -- impact : quels sont les changements provoqués par l’action sur la cible et sur l’environnement ? • Envisager les conditions pour un futur déploiement : Ce déploiement peut être très variable : de la diffusion des résultats de l’action collective aux autres entreprises (guide de bonnes pratiques, communication internet, réunions d’information), jusqu’à un engagement de l’Organisation Professionnelle d’avoir une personne porteuse d’un projet de déploiement. Il est fréquemment nécessaire de mobiliser des financements pour : ISBN : 978-2-913488-68-4 208 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention -- les actions des intervenants en phases collectives et individuelles; -- la prise en charge des coûts liés à la gestion logistique; -- le transfert des acquis vers d’autres entreprises. Dans la plupart des actions, il est intéressant que les entreprises financent elles-mêmes une partie afin de marquer leur engagement. Au delà des entreprises, à titre d’exemples, les financeurs possibles sont : l’ARACT (FACT…), la DIRECCTE (crédits d’appui…), la CARSAT (convention, aides financières simplifiées…), le Département, la Région… ainsi que les OPCA (organismes collecteurs des fonds de formations des entreprises) pour les journées de formations. Dans le cas de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes : en 2008, à partir de plusieurs données d’entrée (la demande émergeante de certaines entreprises, l‘identification des besoins par les préventeurs, notre connaissance des acteurs régionaux, la volonté du représentant de la profession), une action collective expérimentale a été construite pour accompagner un collectif de 8 entreprises : « prévention des TMS dans l’agroalimentaire : concilier santé et productivité dans l’investissement industriel ». Pilotée par l’un des acteurs techniques locaux, et accompagnée par un consultant, elle a conduit à une capitalisation des résultats obtenus sous forme d’un guide méthodologique et de films témoignages. Au-delà, cette action a permis la structuration d’un réseau régional des partenaires concernés, 12 partenaires au total. Ce réseau, aujourd’hui doté d’une identité visuelle (logo) propose une offre d’accompagnement aux entreprises, via différents outils : coordination des plans actions, communication sur les rôles de chacun, partage d’expériences et de compétences, production d’outils… Deux autres dispositifs collectifs expérimentaux ont depuis vu le jour, permettant une capitalisation globale des résultats obtenus. Ils diffèrent par le thème abordé et par le public cible (approche croisée de 3 expertises que sont ergonomie - gestion industrielle - pratiques managériales, conception hygiénique et ergonomique des équipements de l’agroalimentaire) mais restent semblables sur la démarche. Toutefois, force est de constater que peu d’entreprises restent directement impactées par ces dispositifs, lourds et coûteux en temps et en budget. Une réflexion est depuis en cours sur le déploiement auprès du plus grand nombre d’entreprises possible par le biais d’ outils de communication, d’évènements, de formations, de dispositifs collectifs « allégés et reproductibles », qui seraient créés par le réseau de partenaires puis mis en œuvre par des relais. Difficultés rencontrées et perspectives Pour maintenir la mobilisation et des démarches durables de prévention au sein des entreprises et de l’organisation professionnelle, les difficultés peuvent être de 4 ordres : • liées aux acteurs qui étaient présents dans les actions en entreprises et dans la profession et qui peuvent changer de missions… • liées spécifiquement à la filière : diversité des métiers, contradictions hygiène alimentaire/sécurité, représentativité et élan donné par la profession, intérêt à long terme des porteurs de projets… • liées à la mobilisation durable des entreprises : difficultés à pérenniser les démarches et à rendre autonome les entreprises… • liées au financement des actions de prévention des risques : difficultés à trouver des financements pérennes et reproductibles, en dehors des expérimentations… En conclusion, pour mobiliser de manière durable les entreprises : 3 modes d’intervention interagissent continuellement : • l’action directe en entreprise ; • la capitalisation des expériences ; • le déploiement par la valorisation des expériences et la diffusion d’outils pouvant développer l’autonomie des entreprises. 209 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Comment amener une entreprise à s’intéresser à la prévention des TMS ? Une démarche de mobilisation à la prévention des TMS Ghislaine Tougas, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal (Canada) L e réseau de santé publique en santé au travail est un des organismes qui œuvre, au Québec, à la prévention des lésions professionnelles. La présentation décrit d’abord l’organisation de ce réseau puis détaille la démarche développée, dans la région de Montréal, pour amener les acteurs-clés d’une entreprise à s’intéresser à la prévention des TMS. Précisons que trois grandes étapes visent à être franchies au cours de cette démarche. La première vise à faire reconnaître, par les acteurs-clés, l’ampleur de la problématique TMS dans l’entreprise. La seconde s’efforce à ce que les acteurs-clés envisagent des moyens de réduire les contraintes musculosquelettiques, et la troisième à les amener à s’engager dans un processus d’amélioration des conditions de travail. Les moyens mis en œuvre, les outils utilisés et les arguments développés pour favoriser la prise en charge des TMS par les entreprises de la région sont présentés. L’articulation des différentes collectes d’information, tout comme les retombées de ces interventions, permettent ainsi de distinguer les interventions de mobilisation qui se situent en amont de la demande de celles qui se font en cours de conduite de projet. La présentation aborde également les contraintes associées à la mise en œuvre de cette démarche et les enjeux qu’elle sous-tend. Cet aspect de la présentation souhaite mettre en lumière le fait que les caractéristiques de l’institution peuvent moduler les moyens utilisés pour mobiliser les entreprises. L’organisation du réseau de santé publique en SAT au Québec Le réseau de santé publique en santé au travail regroupe ses ressources au sein des Agences de la santé et des services sociaux (ASSS) et au sein des Centres de santé et des services sociaux (CSSS) désignés en santé au travail. Ce réseau est lié par contrat à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) qui lui confie le mandat de mettre en place des services de santé au travail dans des secteurs d’activités économiques définis par règlement, appelés secteurs prioritaires. L’équipe régionale en santé au travail de la Direction de santé publique de chaque agence prépare l’offre de service de sa région. Cette équipe régionale a un mandat de gestion et de planification, de connaissancesurveillance du territoire et de soutien-conseil auprès des équipes terrain sises dans les CSSS. En ce qui concerne cette dernière fonction, on y trouve des ressources spécialisées en santé du travail, notamment des médecins, des infirmières, des hygiénistes du travail et de plus en plus d’ergonomes. Les équipes terrain mettent en œuvre l’offre de service dans les entreprises de leur territoire respectif. Le nombre de CSSS qui offrent des services en SAT et le nombre d’intervenants par CSSS varient d’une région à l’autre, selon le territoire à desservir. Ces équipes locales de santé au travail sont également composées de ressources spécialisées en santé au travail. La région de Montréal comprend environ 110 ressources spécialisées réparties entre ses quatre CSSS mandataires. Le territoire montréalais comprend environ 55 500 établissements et un peu plus d’un million de travailleurs. Dans les secteurs prioritaires, le territoire comprend près de 7 000 établissements et 164 000 travailleurs. Ces établissements sont majoritairement de petite taille puisque près de 80% d’entre eux comptent moins de 20 travailleurs. Les actions du réseau de santé publique en santé au travail sont conditionnées par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST L.R.Q, c.S-2-2). La LSST, qui vise l’élimination à la source des dangers, confie au médecin responsable et à son équipe le mandat d’élaborer le programme de santé spécifique à ISBN : 978-2-913488-68-4 210 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention l’établissement (article 113). Le PSSE est un document qui identifie les risques à la santé dans l’entreprise et les mesures à prendre pour les contrôler. Le PSSE, qui fait partie du programme de prévention de l’établissement (LSST article 52), est l’outil privilégié pour favoriser la prise en charge. Il comprend des activités de surveillance environnementale (identification et évaluation des risques), médicale (dépistage si pertinent), de formation/information et celles reliées à l’organisation des premiers secours et soins. Dans la région de Montréal, l’élaboration du PSSE passe habituellement par quatre grandes étapes. La première étape est une collecte d’informations sur l’organisation du milieu de travail, les procédés et les installations. Une visite des lieux complète la collecte d’informations et permet de faire un premier repérage des risques à la santé. L’étape suivante est l’élaboration proprement dite du PSSE, qui consiste à documenter les risques à la santé repérés dans l’investigation préliminaire. La troisième phase est la mise en application du PSSE, soit la réalisation des activités planifiées pour les risques identifiés. La dernière étape du cycle est la mise à jour du PSSE. Cette dernière étape permet d’évaluer les effets des mesures préventives mises en place en cours d’application du PSSE et de vérifier si de nouveaux risques à la santé sont apparus dans l’entreprise. Les interventions réalisées dans le cadre du PSSE se situent donc dans la durée, ce qui permet une approche par étapes avec les entreprises. La démarche de mobilisation à la prévention des TMS Depuis 2005, les équipes terrain de la région de Montréal considèrent systématiquement les contraintes musculosquelettiques dans le cadre de leur démarche d’élaboration du PSSE. Pour ce faire, les équipes réalisent une collecte d’informations générales concernant les risques de TMS et elles réalisent une activité de mobilisation des acteurs-clés en sus de la démarche habituelle d’élaboration du PSSE. La collecte d’informations générales concernant les risques de TMS comporte trois activités pour évaluer l’ampleur de la problématique TMS dans l’entreprise. Elle débute par l’étude des lésions musculosquelettiques indemnisées par la CSST au cours des trois à cinq dernières années. Par la suite, une entrevue des acteursclés est organisée pour discuter du portrait lésionnel et pour documenter la perception des risques de TMS qu’ont ces acteurs-clés. Une attention particulière est portée à la documentation des conséquences des TMS pour l’entreprise. Une observation rapide des travailleurs à leurs postes complète la collecte et permet de repérer les contraintes musculosquelettiques les plus évidentes. La réalisation de ces trois activités fournit des indications précieuses sur le niveau de réceptivité des acteurs-clés du milieu de travail au regard du risque de TMS. L’activité de mobilisation s’organise lorsque que ceux-ci, principalement l’employeur ou son représentant, ne perçoivent pas les risques de TMS ou ne sont pas disposés à agir pour les prévenir. Cette activité de mobilisation tient son importance du fait que les risques de TMS sont peu réglementés au Québec. Nous misons donc sur la mobilisation des acteurs-clés pour amener des transformations en milieu de travail. Les informations de la collecte de base constituent la matière première de l’argumentaire qui sera présenté aux acteurs-clés de l’entreprise. Les informations peuvent être restituées aux acteurs-clés sous la forme d’un feuillet bilan ou sous la forme d’un rapport de documentation lorsque nous jugeons qu’une présentation plus structurée est requise pour soutenir l’argumentaire. D’autres outils, notamment une pochette d’information contenant des documents vulgarisés concernant les TMS, sont également disponibles pour soutenir l’argumentaire. La suite des activités dépend du succès de l’activité de mobilisation. Ainsi des activités de soutien peuvent être planifiées si les acteurs-clés sont disposés à prendre action (ex. : référence à des ressources externes, documentation plus poussée des contraintes musculosquelettiques, formation/information). Lorsque les acteurs-clés ne perçoivent pas l’importance de prendre en charge la prévention des TMS après l’activité de mobilisation, nous avons l’option de recourir au soutien de l’inspecteur. La démarche se termine par une évaluation et un suivi, tout comme les autres étapes du PSSE. Les fondements de la démarche de mobilisation Les trois activités de la collecte de base sont articulées pour faire en sorte que le processus de reconnaissance des risques de TMS par les acteurs-clés de l’entreprise s’amorce au tout début de la 211 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention collecte d’informations et pour que ceux-ci entrevoient rapidement des mesures tangibles pour contrôler les risques de TMS. L’articulation de ces activités prend ses sources dans le modèle de planification d’une intervention éducative (1, 2) et dans les principaux modèles de changement de comportement (3, 6). Selon ces modèles, les messages que l’on destine aux acteurs-clés doivent être en relation avec le stade de changement où ils se trouvent. Nous avons opté pour une classification des acteurs-clés des entreprises s’inspirant de ces modèles de changement de comportement. Ainsi nous considérons qu’un acteur-clé est récalcitrant lorsqu’il se situe au premier échelon du processus de changement de comportement. À ce stade, celui-ci ne sait pas ou il ne reconnaît pas l’existence de contraintes musculosquelettiques dans l’environnement de travail. De plus il ignore, ou il ne reconnaît pas les conséquences des contraintes musculosquelettiques dans son entreprise. Celui-ci doit donc être sensibilisé à la problématique TMS par de l’information visant à lui faire connaître ou reconnaître les risques de TMS et leurs conséquences. Nous considérons qu’un acteur-clé est sceptique lorsqu’il reconnaît les risques de TMS dans son entreprise, mais qu’il ne prévoit pas prendre action dans un avenir rapproché. Certains d’entre eux peuvent entrevoir des mesures de prévention axées sur les individus, telles la formation à la manutention ou les ceintures lombaires. Ces acteurs-clés ont donc besoin de recevoir des messages qui les amèneront à prendre action pour transformer les situations de travail. Finalement, nous considérons qu’un acteur-clé est intéressé lorsqu’il se montre prêt à transformer les situations de travail pour prévenir les TMS. À ce stade, il doit être soutenu dans son action afin d’obtenir des résultats positifs. Les enjeux de la démarche de mobilisation Les retombées de l’application de cette démarche de mobilisation sont présentement suivies dans une vingtaine d’établissements où le PSSE a été débuté ou mis à jour en 2010. Nous constatons que des actions ont été prises pour améliorer les conditions de travail dans près de 70% des entreprises où la démarche a été appliquée. La documentation des risques de TMS, présentée sous forme de rapport, s’est avérée un outil de mobilisation intéressant car elle amène la discussion avec les acteurs-clés sur le sujet des pistes globales de solutions possibles. Parmi les établissements qui n’ont pas encore pris d’engagement à contrôler les risques de TMS, nous retrouvons les conditions suivantes comme facteurs limitant de la portée de la démarche. Il y a d’abord le fait que le processus de changement de comportement au regard du risque de TMS ne s’amorce que dans la mesure où il est possible, dès le début de la collecte d’informations, de créer une relation de confiance avec les acteurs-clés de l’entreprise. Cette relation de confiance est essentielle au succès de la démarche de mobilisation et cet aspect constitue d’emblée un enjeu important compte tenu du fait que nous sommes des intervenants externes à l’entreprise. Il y a ensuite le fait qu’il n’est pas toujours possible de rencontrer les acteurs-clés décisionnels de l’entreprise. Dans ces cas la démarche de mobilisation est plus ardue et plus longue car elle passe par un intermédiaire interne à l’entreprise. Finalement, on ne peut passer sous silence le fait que les changements fréquents d’acteurs-clés dans l’entreprise constituent un frein à la démarche de mobilisation puisqu’il faut reprendre le processus de mobilisation à chaque changement d’acteur-clé. En conclusion, l’élaboration du PSSE d’une entreprise est un mandat institutionnel qui nous permet de susciter une demande au regard des risques de TMS dans des entreprises qui ne perçoivent pas nécessairement ces risques et leurs conséquences. Lorsque cette demande se formalise en un engagement à transformer les situations de travail, le processus de mobilisation se poursuit et ce, dans le cadre de la construction sociale d’une intervention en ergonomie. ISBN : 978-2-913488-68-4 212 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Bibliographie 1. Green, L. W. et Kreuter, M.W.: Health Promotion Planning: An Educational and Environmental Approach, 2ème édition, Mayfield Publishing Company, 1991. 2. Paiement, M., Martin, C. et Fortier, J.: L’intervention éducative pour la promotion de la santé au travail, cahier 4, Santé Société, Collection Promotion de la santé, Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1988. 3. C atania, J.A., Kegeles, S.M. et Coates, T.J.: Towards an understanding of risk behavior: an AIDS risk reduction model (ARRM), Health Education Quaterly, 17(1), pp. 53-72, 1990. 4. P rochaska, J.O., DiClemente, C.C. Transtheoretical therapy: toward a more integrative model of change. Psychotherapy: Therapy, Research and Practice, vol. 19, pp. 276-288, 1982. 5. Prochaska, J.O., DiClemente, C.C., Norcross, J.C.: In search of how people change – Applications to addictive behaviours. American psychologist vol.47, no 9, pp.1102-1114, 1992. 6. Whysall, Z. Haslam, C., Haslam, R.: A staged approach to reducing musculoskeketal disorders (MSDs) in the workplace, Health & Safety Executive, Rapport de recherche 379, 2005. 213 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Atelier 9 Mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans l’analyse des gestes Denys Denis Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) (Canada) Adriana Savescu Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) L a pluridisciplinarité est de plus en plus pratiquée pour répondre à la réalité multifactorielle des TMS. Elle essaye de donner des réponses pertinentes face à cette maladie à composante professionnelle qui touche tous les secteurs d’activité. L’atelier va se centrer plus spécifiquement sur l’analyse des gestes professionnels, dans la perspective où plusieurs disciplines sont amenées à donner et à partager leurs points de vue (leurs compétences et leurs expériences) sur l’analyse des gestes réalisés par les opérateurs dans un objectif de prévention. Objectif Les objectifs de cet atelier sont de donner un aperçu de la mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans l’analyse des gestes professionnels à partir d’exemples et de présenter des approches novatrices en matière de recherche sur la prévention des TMS. Ainsi les exemples présentés se concentreront sur plusieurs aspects de la pluridisciplinarité : • les conditions requises pour et par la pluridisciplinarité, • la place de la pluridisciplinarité dans la prévention des TMS, • les intérêts et les limites de la pluridisciplinarité. Les présentations seront suivies par une synthèse qui soulignera des points importants et orientera les échanges avec les participants sur les questions suivantes : • quelle place la pluridisciplinarité a-t-elle prise dans les exemples présentés (démarche, outil…) ? • quel impact de la pluridisciplinarité sur les différentes dimensions abordées (au sein d’une entreprise, d’un groupe de travail…) ? • comment faciliter la mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans la prévention de TMS ? • etc. Cette synthèse introduira les points de discussion et invitera les participants à lancer un débat autour de la pluridisciplinarité. Ils seront invités à s’exprimer sur leurs expériences, résultats, difficultés, perspectives… ISBN : 978-2-913488-68-4 214 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Démarche pluridisciplinaire pour le développement d’un outil de travail plus approprié Jean-Claude L’Huillier Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) Introduction U ne des missions de l’INRS est d’intervenir en entreprise à la demande des CARSAT 1 et des CRAM 2 sur des équipements de travail où persistent des problèmes de prévention très variés. Dans certains cas, comme celui présenté ci-après, il s’agit de TMS. Après avoir rappelé les principales étapes de la démarche que nous suivons pour répondre à ces demandes, nous présentons un cas d’application dans une conserverie pour améliorer, en agissant sur les outils, les conditions de travail lors des opérations d’étêtage des sardines. Présentation de la démarche Notre démarche a non seulement comme objectif de rechercher des solutions de prévention adaptées au plus près des besoins des utilisateurs, mais également de faire en sorte que ces solutions soient adoptées par l’entreprise [1]. Elle est volontairement basée sur une approche fonctionnelle de l’innovation et ce, afin de se rapprocher des processus cognitifs des « technologues » que sont les ingénieurs, techniciens, opérateurs, fabricants… Ce sont en effet nos principaux interlocuteurs lors de ces actions d’assistance en entreprise. De façon pratique, elle s’apparente à une démarche de (re)conception participative qui peut de se décomposer en 4 étapes : • observation et analyse de la situation de travail, • analyse fonctionnelle des besoins, • innovation, recherche de concepts de solution, • validation et pérennisation de la solution. Étape n° 1 : Observation et analyse de l’activité S’il est bien évident que toute tentative d’amélioration d’une situation de travail ne peut se faire sans observation préalable, l’expérience nous a montré que certaines règles doivent être suivies. En effet, pour obtenir le maximum d’informations utiles à notre action, il faut que l’opérateur entre dans la démarche d’étude de son poste. Il est donc nécessaire de gagner sa confiance. Pour cela, nous observons l’activité de travail avec attention, avec curiosité, les questions les plus anodines pouvant parfois ouvrir sur des pistes de réflexions ou de solutions. Étape n° 2 : Analyse fonctionnelle des besoins En matière de prévention des risques professionnels, l’intérêt des démarches participatives est largement reconnu. Pour cela, nous nous appuyons sur la démarche d’Analyse Fonctionnelle du Besoin (AFB) qui amène à s’interroger sur les réelles attentes des utilisateurs 3 par rapport à l’objet de l’intervention (outil, équipement, poste de travail…) [2]. Cette démarche est basée sur le recensement, la caractérisation et la hiérarchisation des fonctions du futur produit (cf. figure 1). Celles-ci doivent être exprimées en termes de finalités et non pas de solutions techniques afin de préserver toutes les chances d’émergence de l’innovation au moment de la recherche de solution, par exemple on parlera d’un outil pour étêter les sardines et non pas d’un couteau ou d’une paire de ciseaux. Les résultats sont ensuite formalisés dans un cahier des charges fonctionnel du besoin (CdCF). 2. 3. Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Caisse régionale d’assurance maladie Par le terme « utilisateurs », nous entendons non seulement les opérateurs, mais également le personnel de maintenance, les achats… 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 215 ISBN : 978-2-913488-68-4 1. Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Figure 1 : illustration de la démarche d’analyse fonctionnelle du besoin La réussite de cette démarche repose d’abord sur un engagement fort de la direction de l’entreprise dans laquelle s’effectue l’intervention et ensuite sur une implication du personnel, qui doit lui-même se rendre disponible. Les notions de hiérarchie doivent être laissées de côté afin que chacun puisse s’exprimer et faire part de son savoir. Le rôle de l’animateur est primordial car il doit laisser les personnes s’exprimer librement, inciter les plus réservées à s’exprimer, maintenir l’attention du groupe, relancer les échanges si besoin, les recentrer sur les objectifs de l’analyse fonctionnelle… C’est pourquoi, nous privilégions pour ce rôle une personne extérieure à l’entreprise, experte en analyse fonctionnelle et en animation de groupe de travail mais neutre vis-à-vis de la situation à traiter. Bien entendu, nous adaptons la mise en place de cette démarche à la complexité de l’intervention et aux spécificités de l’entreprise (taille, moyens…). Si à ce stade de notre intervention, nous disposons de nombreuses données, issues de l’observation du poste de travail et des attentes exprimées dans le cahier des charges fonctionnel, l’essentiel reste à faire : trouver un ou plusieurs concepts de solutions techniques répondant au problème de prévention posé et les valider en condition réelle d’utilisation. Plutôt que de développer ces deux dernières étapes de façon théorique, nous les présentons au travers du cas d’application retenu : l’étêtage des sardines. APPLICATION CONCRÈTE DE LA DÉMARCHE DANS UNE CONSERVERIE Exemple d’une entreprise en mutation Certaines conserveries françaises emploient encore une méthode artisanale de préparation des sardines. Cette production « haut de gamme » nécessite que toutes les opérations soient réalisées manuellement. Ce savoirfaire est transmis de génération en génération par des saisonniers locaux qui, particulièrement habiles, étêtent puis éviscèrent les sardines au moyen d’un couteau (cf. figure 2). Par la rotation du couteau, la tête est sectionnée partiellement, puis un mouvement de translation de la main retire les viscères restés solidaires de la tête. Ces mouvements sont exécutés jusqu’à 600 fois par heure. Associés à l’hyperflexion du poignet de la main tenant le poisson, ils peuvent, en plus des risques de coupures, engendrer des troubles musculosquelettiques (TMS). Figure 2 : Etêtage et éviscération au couteau ISBN : 978-2-913488-68-4 216 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Face à cette situation de travail, la CARSAT a sollicité l’INRS pour étudier la possibilité d’améliorer les conditions de travail en agissant sur l’outil. La principale question qui nous était alors posée était de remplacer le couteau par un outil permettant cette opération d’étêtage tout en minimisant les mouvements articulaires du poignet. Comme indiqué précédemment, notre intervention a débuté par une analyse de la gestuelle des opérateurs(trices). Une vidéo de cette activité a ensuite servi de support de discussion lors de la démarche d’analyse fonctionnelle du besoin, qui dans le cas présent, a été réalisée par un groupe de travail restreint avec un suivi informel par l’expert INRS. Innovation, recherche de concepts de solution Réflexions et transfert de technologies L’observation de cette activité et les discussions lors de l’analyse fonctionnelle nous ont rapidement amené à faire une analogie entre cette opération d’étêtage et celle de dénudement d’un câble électrique. L’entaille de la peau au niveau de la tête de la sardine, c’est celle pratiquée sur la gaine ; l’œsophage qu’on ne doit pas couper, c’est le fil de cuivre. Si par le passé les électriciens utilisaient un couteau (ou un cutter) pour réaliser ce type d’opération, ils ont aujourd’hui à leur disposition un outil dédié : la pince à dénuder (cf. figure 3). Figure 3 : Pince à dénuder manuelle et automatique De cette analogie, l’idée est venue d’essayer de réaliser un outil spécifique, basé sur le principe de la pince à dénuder, pour l’étêtage des sardines. Le principe général de ce type d’outil est de couper autour d’un élément qu’il faut conserver : les viscères, dans le cas présent, afin de pouvoir les extraire totalement. Le principe des mâchoires en forme de « V » de la pince à dénuder manuelle a été transposé aux lames d’un ciseau (cf. figure 4). 217 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Ciseaux du commerce Avant-projet d’outil d’étêtage Figure 4 : Avant-projet d’un outil d’étêtage et d’éviscération à partir d’une paire de ciseaux du commerce Ce concept de solution imaginé, il reste encore à le transformer en un produit industriel accepté par les futurs utilisateurs. Pour cela, nous suivons une démarche itérative (cf. figure 5) basée sur l’alternance de phase de conception et de mise en situation à l’aide de maquettes numériques ou physiques (prototypes). En effet, ces objets sont accessibles et compréhensibles par tous et de ce fait, ils jouent un rôle de coordination et de médiation entre les acteurs [3]. Le groupe de travail se sent alors impliqué dans la réalisation du produit final et son appropriation en est facilitée. Figure 5 : Processus de développement itératif Validation et pérennisation de la solution Intégration d’un fabricant Pour la réalisation de prototypes fonctionnels de l’outil envisagé, il nous fallait trouver un industriel compétent qui ait le savoir-faire du coutelier et de l’artisan à la fois. Développeur d’outils à main spécifiques, la société EPROSE, située à Thiers (63), le berceau de la coutellerie française, a mis toutes ses compétences et son savoir-faire dans ce projet. Son directeur explique que ce développement s’est fait en plusieurs étapes : « Tout d’abord, la validation d’une conception 3D à partir du principe de l’INRS puis la recherche d’une forme d’anneaux ergonomiques et ambidextres sur un panel de ciseaux du commerce et d’un test sur un panel de personnes. La réalisation d’un premier prototype en frittage de poudre est venue valider la taille et l’ergonomie puis les essais de prototypes hybrides : lames en matière réelles et anneaux en frittage de poudre sur ligne en conserverie. Le groupe a ensuite tenu compte des premières remarques des utilisateurs et des points à améliorer ». ISBN : 978-2-913488-68-4 218 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La version définitive de l’outil d’étêtage répondant au plus près des besoins des utilisateurs comprend (cf. figure 6) : deux branches en inox, avec des anneaux surmoulés, démontables en les séparant au niveau du pivot de l’axe de rotation facilitant le nettoyage et l’affûtage des parties tranchantes ; une section tranchante (1), la plus proche de l’axe de rotation, qui va entamer la partie ventrale de la sardine ; une section micro-dentée (2), à proximité, entamera la peau et la chair des parties latérales, sous les ouïes de la sardine, tout en préservant les viscères ; une zone coupante (3) comme une paire de ciseaux classique sectionnera la partie supérieure la plus charnue ainsi que l’épine dorsale ; une partie surmoulée (4) à l’extrémité de chaque branche, qui forme une pince pour retirer les viscères qui auraient été désolidarisés de la tête lors de l’opération. Figure 6 : Illustrations de l’outil CISARE En accord avec l’INRS, ce partenaire industriel a ensuite réalisé des produits définitifs répondant aux besoins des utilisateurs et aux normes alimentaires. Les essais réalisés en situation réelle de production avec ces outils ont montré que leur emploi permet effectivement de réduire les contraintes biomécaniques au niveau du poignet tenant l’outil et de celui tenant la sardine (cf. figure 7). Seule subsiste une légère rotation du poignet tenant l’outil, au moment de l’extraction de la tête et des viscères. La réalisation d’outillages d’injection plastique pour le surmoulage des anneaux et des becs a finalisé la démarche d’industrialisation de cet outil aujourd’hui dénommé CISARE 4. Figure 7 : Opérations d’étêtage et d’éviscération avec CISARE Conclusion . Marque déposée par l’INRS 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 219 ISBN : 978-2-913488-68-4 4 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention SAVOIR-FAIRE ET CHANGEMENT Comme nous venons de le voir au travers de cet exemple, la démarche que nous suivons dans le cadre de notre activité d’assistance aux entreprises s’apparente à une démarche de conception participative dans laquelle nous impliquons différents acteurs internes et externes à l’entreprise : opérateurs, encadrement, chargés de prévention, fabricant… Notre intervention consiste ensuite à aider ce groupe dans les différentes étapes de cette démarche, de l’analyse des besoins à la mise en œuvre de la solution proposée. Lorsqu’un nouveau concept d’outil est développé, comme ici dans le cas de CISARE, la réussite ne repose pas uniquement sur la qualité et les performances techniques de la solution, mais aussi et surtout sur son acceptation par l’ensemble des acteurs. Dans le cas présent, le groupe de travail a très bien fonctionné et le résultat (CISARE) a été validé par la direction de la conserverie et la CARSAT. En effet, non seulement les contraintes angulaires au niveau des poignets sont réduites, mais les performances en termes de qualité et de productivité sont au moins équivalentes à celles réalisées avec le couteau. De plus, cet outil demande moins d’expertise dans le geste et, de ce fait, les saisonniers novices sont très rapidement opérationnels. Toutefois, comme le rappelle la société EPROSE, et comme nous l’avons également constaté, « les utilisateurs expérimentés, ayant le savoir-faire au couteau, se sont plus difficilement adaptés au changement d’habitudes ». Cette attitude défensive face à la nouveauté est connue. Il est alors nécessaire de mettre en place une stratégie (information/formation, phase d’adaptation, montée en production…) pour accompagner ce changement, faute de quoi l’outil risque d’être rejeté malgré ses qualités. Bien que nous l’accompagnions dans cette étape, la réussite finale dépend là encore essentiellement de l’engagement de l’entreprise. La direction et l’encadrement qui ont été parties prenantes de la démarche doivent être les porteurs de la solution mise en place. Bibliographie 1. L’HUILLIER J.-C., MARSOT J. - Assistance technique en entreprise : retour d’expérience sur une démarche d’intervention centrée sur l’innovation technologique. Hygiène et sécurité du travail, ND 2328, 2ème trimestre 2010, 219, pp. 41-48. 2. A FAV - Exprimer le Besoin - Application de la démarche Fonctionnelle. AFNOR, Paris, 1989, ISBN 2-12476911-1, 372 p. 3. M ARSOT J., CLAUDON L. - Design and Ergonomics - Methods and Tools for integrating ergonomics at the design stage of hand tools. International Journal of Occupational Safety and Ergonomics (JOSE) 2004, vol. 10, No. 1, pp. 11-21. ISBN : 978-2-913488-68-4 220 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La pluridisciplinarité au service de la prévention des TMS : quand l’association entre psychologie du travail et biomécanique devient, pour les professionnels, support d’analyse des gestes de métier Pascal Simonet Équipe clinique de l’activité, CRTD/Conservatoire national des arts et métiers, Paris (France) driana Savescu, Clarisse Gaudez, Agnès A Aublet-Cuvelier Institut national de recherche et de sécurité (INRS) (France) Muriel Van Trier SMPP Ville de Paris (France) C ette contribution revient sur les traces de la construction d’une association pluridisciplinaire entre psychologie du travail et biomécanique mise en œuvre au sein de collectifs de fossoyeurs de la ville de Paris et au contact permanent de leur médecin du travail. Cette coopération entre deux disciplines qui relèvent d’une conceptualisation et d’histoires très éloignées l’une de l’autre a pris place et fait sens dans le cadre d’une intervention clinique de l’activité de prévention durable des TMS ouverte aux échanges interdisciplinaires 1 (Simonet, 2009). En effet, au moment de l’association avec la biomécanique, l’histoire de cette intervention était déjà inscrite dans l’échange interdisciplinaire avec la médecine du travail (Van Trier, 2010) et l’ergonomie de l’activité (Simonet & Caroly, 2008 ; Simonet, Caroly & Clot, 2011). Mais c’est sur l’association entre psychologues du travail cliniciens de l’activité et biomécaniciens de l’INRS que nous concentrerons l’essentiel de ce texte (Savescu et al., 2010 ; Simonet et al., 2010). Le contexte de l’association pluridisciplinaire avec la biomécanique Une action initiée à la demande du service de médecine du travail Le service de médecine préventive et professionnelle (SMPP) de la ville de Paris a entrepris une démarche de prévention durable des TMS sur la base des préconisations du PST 2005-2009 2 et des conclusions scientifiques tirées du rapport remis au ministère du Travail en 2008 sur la prévention durable des TMS 3 (Caroly et al., 2008). Ce service fait le constat d’une recrudescence de plaintes liées à des douleurs ressenties au niveau du bas du dos et des épaules dans le métier de fossoyeur. Pour tenter de comprendre l’augmentation des TMS chez les fossoyeurs, le médecin et l’infirmière du travail ont décidé d’agir en convoquant l’ensemble des agents fossoyeurs en consultation médicale mais aussi en se rendant, sur le tiers-temps, dans les cimetières afin de mieux observer leurs tâches quotidiennes. Un peu moins d’une centaine de fossoyeurs (des hommes d’une moyenne d’âge de 44 ans et d’une ancienneté moyenne dans le métier de 12 ans) : • creusent des fosses, déblayant des milliers de mètres cubes d’une terre parfois friable, grasse, gelée ou encore collante ; • démolissent des monuments funéraires (en pierre de granit, en pierre calcaire ou en marbre) le plus souvent manuellement à l’aide de masses de 3 à 5 kilos et parfois en utilisant un perforateur ; • inhument par portage à la main ou à l’épaule des cercueils atteignant parfois jusqu’à 150 kg et exhument des cercueils en plomb ou en zinc en pleine terre (à 1,50 mètre ou deux mètres de profondeur) ou en caveaux (d’une profondeur qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres) et parfois dans des chapelles. 1. Nous conserverons dans cet article le terme de pluridisciplinarité comme terme générique en cohérence avec l’intitulé de l’atelier du congrès. Cependant, nous nous reconnaissons davantage dans la définition suivante : « l’interdisciplinarité suppose un dialogue, un échange ou une confrontation entre plusieurs disciplines. Il ne s’agit pas d’une simple juxtaposition, mais d’une interaction et d’une interpénétration. Les disciplines en ressortent alors transformées, même si les changements ne sont souvent que périphériques » (D. Vinck, 2002). 2. PST 2005-2009 : Plan Santé au Travail du gouvernement préconisant des actions de prévention des TMS. 3. ”La prévention durable des TMS : quels freins, quels leviers ?” : rapport rédigé en partenariat avec le réseau ANACT et des laboratoires de recherche universitaires, remis à la direction générale du Travail en janvier 2008. 221 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Le médecin du travail réalise une démarche clinique de dépistage des TMS selon les critères du protocole standardisé SALTSA 4 pour les membres supérieurs et recense également les cas de lombalgies : 12% de TMS membres supérieurs (TMS ms) et 24% de lombalgies sont diagnostiqués. Mais devant les difficultés d’interprétations des observations de l’activité concrète de travail des fossoyeurs et d’analyse des écarts entre ce qui se dit et ce qui se fait dans ce métier, le SMPP décide d’inscrire la démarche de prévention durable des TMS des fossoyeurs dans la pluridisciplinarité en faisant appel à la Chaire de psychologie du travail du CNAM. Objectif général et architecture globale de l’intervention en clinique de l’activité Le cadre méthodologique clinique de l’activité (Clot et al., 2001) ambitionne de donner aux professionnels engagés dans la situation l’occasion de développer les conditions de réalisation de leur activité et de participer à la conception de la tâche effectivement accomplie (Clot & Leplat, 2005). Comme nous y invite la distinction entre tâche prescrite et tâche effective (Leplat & Hoc, 1983), nous devons distinguer entre les buts déterminés par les prescripteurs et ceux que poursuivent les opérateurs dans l’effectuation de la tâche prescrite. Cette conceptualisation de la tâche invite à distinguer deux sphères décisionnelles de l’organisation du travail en développant des actions, d’une part, avec les collectifs d’opérateurs et, d’autre part, avec les différents métiers de la ligne hiérarchique. L’intervention s’est organisée dans deux types d’instances d’analyse du travail : • au sein d’un collectif de fossoyeurs associés à l’analyse de leur activité à partir de traces filmées auxquelles ils ont été confrontés individuellement et collectivement en séances d’autoconfrontations simples et croisées ; • au sein d’un comité de pilotage 5 dans lequel l’intervenant chercheur psychologue du travail a mobilisé les analyses conduites par les fossoyeurs avec leur accord, en vue de confronter la hiérarchie aux limites de sa maîtrise et de sa compréhension du réel de l’activité du fossoyeur. Il s’agit d’implanter au sein de ces deux instances - l’une étant pensée comme le support de l’autre - les conditions de l’échange contradictoire entre « pairs » afin d’ouvrir chacun sur de nouvelles potentialités de réalisation de son activité propre. Nous allons voir plus particulièrement comment l’action pluridisciplinaire avec la biomécanique a été l’occasion pour les fossoyeurs d’analyser, d’une manière originale, l’un de leurs gestes de métier : le geste du « jeté arrière » 6. L’action pluridisciplinaire avec la biomécanique comme support du développement du geste 7 Nous souhaitons montrer les conditions concrètes de réalisation de l’action pluridisciplinaire dans ses objectifs, ses hésitations, ses techniques de réalisation, ses résultats, ses limites et ses perspectives pour la prévention durable des TMS au sein de la ville de Paris. La description du ”jeté arrière” Le « jeté arrière » consiste pour un fossoyeur, une fois placé dans la fosse en contrebas par rapport à la surface, à extraire la terre de la fosse en la lançant dos tourné jusqu’à son point de stockage à la surface. Une fois la terre recueillie sur la lame de son outil, il doit le passer par-dessus sa tête ou par-dessus son épaule droite ou gauche, derrière lui, effectuant ainsi un geste de circumduction de l’épaule. Compte tenu 4. SALTSA est un groupement de trois organisations syndicales de salariés suédois dont l’objectif est de favoriser les recherches sur la santé au travail en Europe. Un groupe d’experts européens a développé un outil de recueil des TMSms liés au travail qui permet de recueillir de façon standardisée les altérations du membre supérieur à un stade débutant ou au cours de son évolution. Le but étant de permettre au médecin du travail de promouvoir efficacement les actions de prévention nécessaires. (Meyer et coll., 2002) 5. Un comité de pilotage composé des membres de la hiérarchie de proximité et de la direction, des membres du service de médecine préventive et professionnelle, du service de prévention des risques professionnels ainsi que des chercheurs. 6. Cette demande émane des fossoyeurs eux-mêmes à l’issue d’un premier travail d’analyse de leur activité de creusement des fosses. Pour le médecin du travail, la réalisation de ce geste semble poser des problèmes scapulaires et lombaires. Elle suggère alors d’objectiver les sollicitations musculaires en jeu dans la réalisation de ce ”jeté arrière” qui fait débat entre fossoyeurs. 7. Nous nous référons ici à la conceptualisation du développement du geste par l’analyse psychologique du mouvement (Clot & Fernandez, 2005) ISBN : 978-2-913488-68-4 222 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention des contraintes extérieures entourant la fosse, le fossoyeur est obligé de lancer la terre très loin et très en hauteur derrière lui en supportant le poids de l’outil chargé de la terre extraite. Au cours de son creusement, le fossoyeur n’est pas toujours dans la même position par rapport au lieu de stockage de la terre expulsée. Aussi, pour sortir sa terre, il alterne, généralement le « jeté arrière » avec d’autres types de jetés, comme le « jeté avant » qui consiste à jeter la terre en avant de lui ou le « jeté de côté » quand il peut stocker la terre sur le côté ou qu’il peut utiliser une brouette. Mais quelles que soient les contraintes environnantes et les conditions de sa réalisation, le geste du « jeté arrière » est un geste incontournable en particulier dès que la fosse atteint une profondeur d’environ 1 m et qu’il faut encore creuser à une profondeur de 1,50 m à 2 m. Définition du protocole pluridisciplinaire : objectifs et hésitations Objectifs de l’association pluridisciplinaire avec la biomécanique L’objet de l’association a consisté à faire des outils de la métrologie biomécanique des outils de développement de l’observation des fossoyeurs sur leur propre activité dans le cadre méthodologique des autoconfrontations. L’enjeu consistait à faire en sorte que les fossoyeurs se saisissent de ces méthodes quantitatives dans le cadre méthodologique clinique de l’activité pour se confronter aux détails de leurs réalisations gestuelles et de celles de leurs collègues. L’objectif poursuivi était de soutenir leurs efforts d’élaboration à partir d’une activité d’analyse instrumentée, les conduisant à se comparer et à s’essayer à d’autres manières de concevoir leur gestuelle dans l’exécution du creusement d’une fosse. Le statut de l’analyse biomécanique devait ainsi se déplacer : de source de connaissances pour les chercheurs, ce qu’elle ne devait pas cesser d’être, elle devait devenir technique de développement de la connaissance du geste étudié pour les fossoyeurs. Elle devait participer au développement du geste en alimentant les controverses professionnelles des fossoyeurs durant les autoconfrontations. C’était le pari de cette association. Un chemin semé d’hésitations Plusieurs versions méthodologiques ont été envisagées puis abandonnées, comme par exemple : réaliser les mesures en laboratoire, choisir une autre « unité d’analyse « comme le geste du « coup d’épaule » (geste également discuté), définir un seul « geste étalon » sur la base des analyses quantitatives. Nous ne reviendrons pas ici sur l’ensemble de ces variantes envisagées ni même sur les longues discussions qu’elles ont suscitées. Nous cherchions à répondre à cette question : à quel geste confronter les fossoyeurs ? Les cliniciens de l’activité voyaient dans la coopération avec l’INRS la possibilité de confronter les fossoyeurs à « un seul geste défini » à partir des analyses biomécaniques réalisées. L’idée était de les confronter et de leur faire s’essayer à une sorte de « jeté arrière prototypique » dont le seul avantage que nous lui accordions était d’engager les fossoyeurs à le critiquer pour étayer leurs controverses 8. Ce projet n’a pas été retenu et nous nous sommes orientés vers un autre type de protocole. Le protocole expérimental pluridisciplinaire finalement réalisé Huit fossoyeurs volontaires ont participé à l’étude : quatre étaient débutants dans le métier de fossoyeur (avec une expérience comprise entre quelques mois et un an) et quatre autres étaient des fossoyeurs expérimentés (avec une expérience comprise entre sept et trente-huit ans). Les participants à l’étude étaient préalablement informés du déroulement de l’expérimentation et avaient donné leur consentement pour y participer. Le protocole expérimental de l’enregistrement biomécanique 9 Les conditions expérimentales ont été les suivantes : • l’enregistrement des données biomécaniques en situation réelle de travail de creusement d’une fosse réunissant les caractéristiques suivantes : emplacement de la terre expulsée dos au fossoyeur, présence d’un coffrage pour stocker la terre expulsée, chemin de traverse entre la fosse creusée et le coffrage, choix d’une fosse à terre plutôt grasse, d’une profondeur comprise entre 1.5 m et 2 m; 8. Nous suivions la voie tracée par Wallon pour lequel, c’est quelquefois « en utilisant des milieux factices, de vrais milieux de laboratoire qu’il devient possible de rompre les associations fâcheuses de la vie courante » (Wallon, 1954/ 1976, p. 305). 9. Nous faisons ici le choix de ne pas insister sur la procédure d’enregistrement EMG ainsi que sur la normalisation des signaux EMG. 223 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • l’activité observée : sortir la terre en « jeté arrière », absence de brouette, creusement (re-creusement) effectué seul, cadence libre; • consignes données : « travailler comme d’habitude en sortant la terre en jetés arrières » ; faire usage des outils habituels (louchet, pelle, fourche); • les fossoyeurs étaient instrumentés avec les moyens de mesure de l’activité musculaire de surface (électromyographie). En complément des données biomécaniques, un enregistrement vidéo synchrone a été réalisé. Prenant en compte l’activité musculaire de chaque muscle et la vidéo de l’activité, un geste de « jeté arrière » a été défini par les chercheurs : le début du geste commence au moment où l’outil chargé de terre se prépare à quitter la terre de la fosse ; la fin de ce geste est considérée quand la terre n’est plus en contact avec l’outil. Cette définition a été choisie pour focaliser l’attention des fossoyeurs sur le « jeté arrière » et non pas sur la préparation de la terre, l’exhumation ou encore le nettoyage de l’outil. Une vidéo d’une durée moyenne d’1’30 environ est réalisée pour chaque fossoyeur faisant apparaître à l’image uniquement les « jetés arrière » les moins et les plus sollicitants. L’instrumentation des autoconfrontations L’objectif poursuivi en autoconfrontation simple était d’ouvrir le fossoyeur sur un dialogue intérieur engagé à l’occasion de l’échange avec le chercheur et sur la base des traces filmées de son activité réalisée 10. Pour alimenter cet échange d’une heure, compte tenu de la courte durée de la vidéo transmise par l’INRS, nous décidons alors de confronter le fossoyeur aux vidéos voire aux graphiques illustrant les sollicitations biomécaniques des collègues les plus éloignés de ses propres résultats. Cette décision a induit, à l’étape de l’autoconfrontation simple, une comparaison « à distance » entre fossoyeurs. Pour réaliser les autoconfrontations croisées, nous avons organisé les binômes de fossoyeurs de façon à créer les conditions de la controverse professionnelle sur cette même règle reposant sur les écarts les plus marqués entre membres d’un binôme, tant au niveau des résultats biomécaniques que de leur manière respective d’effectuer le « jeté arrière ». En résumé, la confrontation redoublée du fossoyeur à l’exécution de son « jeté arrière » s’est donc organisée à partir de deux supports : • des vidéos des « jetés arrière » définies en laboratoire (chaque réalisation a été numérotée) : • des graphiques illustrant l’évolution des sollicitations biomécaniques élaborées à partir des « jetés arrière » les moins sollicitants (définissant une gamme verte) et des « jetés arrière » les plus sollicitants (définissant une gamme rouge). La numérotation figurant sur le graphique permet au fossoyeur de retrouver l’exécution de tel « jeté arrière » sur le film support (dans l’exemple présenté, le numéro 15 étant « un jeté arrière » « dans le vert » exécuté à la fourche) : Résultats et discussion de l’apport repéré de l’association pluridisciplinaire Nous devons insister sur un point particulièrement remarquable : les autoconfrontations en simple ou en croisé comportent toutes, à des degrés divers, des simulations et des controverses gestuelles entre fossoyeurs. C’est le cas dans cet extrait d’autoconfrontation croisée entre deux jeunes fossoyeurs qui s’essayent lors de l’autoconfrontation à différentes manières de réaliser leur propre « jeté arrière » dans une controverse à la fois verbale et gestuelle. Extrait d’autoconfrontation croisée Ch 1 : vous trouvez qu’il peine là dans ce que vous lui voyez faire ? (…) DB 2 : on devrait refaire une vidéo je serais dans le vert même des deux côtés maintenant. Ch 3 : ça fait sourire votre collègue La durée de la vidéo retraçant des séquences de l’activité concrète de travail analysée fait rarement moins d’un quart d’heure dans les autoconfrontations en clinique de l’activité et l’activité filmée ne fait pas toujours l’objet de découpage au montage. 10. ISBN : 978-2-913488-68-4 224 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention GD 4 : même comme tu le dis c’est pareil hein (1”) Tu ne serais pas dans le vert quand même. Ch 5 : qu’est ce qui fait qu’il ne serait pas dans le vert avec ce que vous lui voyez faire à votre collègue ? GD 6 : il serait tordu ben même en changeant ses jambes ben je sais pas, il se tord quand même parce que tu te mets comme ça quand tu jettes comme ça ? (pause 3”) Les jambes elles sont bien placées là ? Ch 7 : mettez-vous à côté, là GD 8 : vas-y (DB se lève) tu jettes de ce côté-là quoi ! DB 9 : j’ai l’outil comme ça GD 10: ouais DB 11: hop je fais appui et je le pose GD 12: ouais mais regarde ton épaule (pause 2”) Elle fait carrément ça DB 13: non mon bras il est il, il reste comme ça GD 14: ouais mais tu fais DB 15: il n’est pas GD 16: ça quand même DB 17: il n’est pas en l’air hein GD 18: mais même si tu n’es pas en l’air tu fais ça quand même ! Que quand tu fais comme ça regarde mon épaule elle bouge pas je fais ça et mon bras il coulisse tout simplement / essaye de faire dans l’autre sens comme moi comme ça DB 19: ha non là je fais comme toi je fais tranquille GD 20: ha ben voilà ben moi je trouve que là comme ça tu peines moins que dans l’autre sens je sais pas. (Silence) Nous devons ici renoncer à une analyse exhaustive de ce dialogue. Nous pointerons néanmoins deux marqueurs du développement du geste propre dans l’analyse : • la reprise répétée par les fossoyeurs de la référence à la gamme verte des « jetés arrière » les moins sollicitants comme instrument d’étayage de leurs répétitions gestuelles ; • la comparaison de soi à l’autre comme moyen d’examiner son engagement corporel dans la fosse en revisitant le positionnement de ses mains ou celui de ses jambes, dans ce cas particulier. Nous pouvons nous demander dans quelle mesure la transformation du geste du « jeté arrière » par les analyses biomécaniques et sa circulation chez les fossoyeurs mais aussi au sein de la hiérarchie dans le comité de pilotage ont permis : • aux premiers, de créer un contexte nouveau de mise en circulation des variantes génériques corporelles ; • aux seconds, de s’engager dans une redéfinition de la prévention durable des TMS par l’analyse de l’activité corporelle 11. Dans quelle mesure aussi cette dynamique permet-elle d’étayer le constat fait par le médecin du travail selon lequel les fossoyeurs qui ont participé à l’action orientent davantage qu’auparavant la visite médicale sur la complexité de leurs gestes de métier que sur leurs plaintes ? Perspectives en cours de réalisation Nous avons souligné l’importance de l’action menée avec la hiérarchie au sein du comité de pilotage. Nous pouvons aussi en mesurer les résultats. Ses membres ont en effet décidé la généralisation de l’action 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 225 ISBN : 978-2-913488-68-4 11. Les échanges entre les membres du comité de pilotage alimentés par l’analyse de l’activité des fossoyeurs ont provoqué des déplacements importants en matière de perception des TMS et des liens avec les gestes répétés. Ces gestes perçus comme facteurs de risques au début de l’action sont devenus, dans le cadre de leur analyse par les fossoyeurs, des ressources potentielles de prévention des TMS. De nouvelles actions de prévention ont émergé comme cela est mentionné dans la dernière partie de cette contribution. Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention entreprise avec deux équipes de fossoyeurs à l’ensemble des fossoyeurs de la ville. Ces derniers sont devenus des interlocuteurs possibles de la direction en matière de conception des actions préventives. Une psychologue du travail clinicienne de l’activité a été recrutée par la ville de Paris pour réaliser avec les fossoyeurs un outil de formalisation et de généralisation des analyses conduites sur leurs gestes de métier. Cette démarche doit redéfinir la formation et la transmission aux gestes du métier de fossoyeur. Enfin, une autre action sur les risques biologiques est venue solliciter d’autres fossoyeurs. Ces derniers, s’inspirant de leurs collègues ayant travaillé sur le geste du « jeté arrière » ont su imposer des modalités participatives sur la base de la construction d’un nouveau collectif pour s’engager dans cette action d’un nouveau genre. De nouvelles voies se sont ouvertes à la prévention pérenne des TMS au sein de cette organisation du travail. Bibliographie Caroly S., Coutarel, F., Escriva E., Roquelaure, Y., Schweitzer, JM., & Daniellou, F. (coord.) (2008). La prévention durable des TMS : Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport d’étude pour la Direction Générale du Travail. Disponible sur le site www.anact.fr, dans le dossier thématique TMS. Clot Y., Faïta, D., Fernandez, G., & Scheller, L. (2001). Entretiens en autoconfrontation croisée : une méthode en clinique de l’activité. Éducation Permanente n°146, 17-25. Clot Y. et Leplat, J., (2005). La méthode clinique en ergonomie et en psychologie du travail. Le Travail humain, 68/4, 289-316. Clot Y., & Fernandez, G., (2005). Analyse psychologique du mouvement : apport à la compréhension des TMS. Activités, 2 (2), 69-78, http://www.activites.org/v2n2/ Leplat J. ; Hoc J-M. (1983). Tâche et activité dans l’analyse psychologique des situations in Leplat J. (coord.) L’analyse du travail en psychologie ergonomique. Tome I. Octarès, Toulouse, pp. 47-60. Savescu, A., Gaudez, C., Simonet, P., Fernandez, G., Van Trier, M., Clot, Y. (2010). Biomechanical metrology: a support in occupational controversies. Seventh International Conference on Prevention of work-related musculoskeletal disorders. PREMUS 2010. Angers, France. Simonet, P., Caroly, S., (2008). Développement des gestes et des automatismes professionnels dans la prévention durable des TMS. Actes du 43ième congrès de la SELF, éditions de l’anact, Ajaccio, pp. 575 – 581. Simonet, P., (2009). L’examen méthodique d’un geste de métier pour une prévention durable des TMS : une intervention en clinique de l’activité. PISTES, 11 (2), www.pistes.uqam.ca Simonet, P., Fernandez, G., Clot, Y., Van Trier, M., Savescu, A., Gaudez, C., Aublet-Cuvelier, A., (2010). A multidisciplinary prevention of work-related musculo-skeletal disorders: gravediggers confronted with the biomechanical analyses within the methodology of clinic of activity. Seventh International Conference on Prevention of work-related musculo-skeletal disorders. PREMUS 2010. Angers, France. Simonet, P., Caroly, S., Clot, Y., (2011). Méthodes d’observation de l’activité de travail et prévention durable des TMS : action et discussion interdisciplinaire entre clinique de l’activité et ergonomie. Activités, 8(1), http://www.activites.org/v8n1/ Van Trier, M., Simonet, P., Fernandez, G., Savescu, A. (2010). Prévention durable des TMS chez des fossoyeurs de la Ville de Paris. 31e Congrès National de Médecine et Santé au Travail, Toulouse. Wallon, H., (1954). Journées internationales de psychologie de l’enfant. Lecture d’Henri Wallon, choix de textes, pp. 297-306, éditions sociales, 1976. ISBN : 978-2-913488-68-4 226 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Préparer le Lys des Incas en qualité et en sécurité : une intervention pluridisciplinaire dans le secteur de la floriculture colombienne Nelcy Arevalo Pinilla Fondation Ergoideal (Colombie) Introduction D e façon générale, les entreprises tendent à privilégier les résultats de production et économiques sur les considérations relatives à la protection de la santé et sécurité des travailleurs. En conséquence de quoi la législation colombienne du travail sur les risques professionnels stipule que « les employeurs ont obligation de mettre en œuvre et de maintenir une ambiance de travail présentant les conditions adéquates d’hygiène et de sécurité, ainsi que d’établir des méthodes de travail comportant le minimum de risques pour la santé dans le processus de production »1. Cette observation vaut d’autant plus pour les entreprises du secteur floriculteur qu’une étude épidémiologique réalisée par le ministère de la Protection Sociale 2 en 2004 a montré que cette activité économique concentre à elle seule 9% de l’ensemble des diagnostics de maladies professionnelles du pays, pathologies essentiellement manifestées sous forme de syndromes du canal carpien résultant des travaux de coupe des plants de fleurs. De plus, confronté à la chute tendancielle du dollar, ce même secteur (massivement exportateur de sa production, principalement vers les Etats-Unis et l’Europe) a réagi en privilégiant comme « principal moyen d’améliorer la productivité, l’augmentation des volumes de production en sollicitant toujours plus un rendement maximum de la part de la main-d’œuvre » (Corporation Cactus, 2010). Bien que cette politique d’entreprise se soit accompagnée de la recherche de méthodes de travail susceptibles de protéger la santé des travailleurs, elle se traduit par une grande exigence biomécanique de répétition et des angulations excessives de mouvements. Dans ce contexte économique et social, la demande qui nous a été adressée par quatre entreprises productrices et exportatrices de la variété Alstroemeria (ou Lys du Pérou) de l’un des principaux groupes économiques de ce secteur de la floriculture colombienne a conduit à formuler une proposition visant à mettre en relation les exigences de santé, de qualité et de productivité. En collaboration avec le service de santé au travail du groupe demandeur, nous avons mis en place un collectif de travail pluridisciplinaire et pluri-acteurs. Celui-ci était composé du médecin du travail, de l’ingénieur qualité et de l’ingénieur technique du groupe ainsi que, pour chaque entreprise participante, des responsables des ressources humaines et techniques, des ingénieurs de production et d’exportation, de la maîtrise et d’ouvriers volontaires. Pour illustrer divers problèmes observés, la figure 1 montre quatre exemples de pratiques de travail altérant, d’une part, la qualité des fleurs, feuillages et tiges, et contribuant, d’autre part, à altérer la santé des opérateurs. Ces pratiques ont par conséquent dû être modifiées. 2. Loi 9 de 1979, titre 3 Article 84 (nous mettons en italiques). Homologue colombien du ministère français du Travail, de l’Emploi et de la Santé. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 227 ISBN : 978-2-913488-68-4 1. Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Figure 1 Observations de terrain (1ère série) : exemples de pratiques portant atteinte à la qualité des plants et à la santé des opérateurs Dans le contexte de travail pluridisciplinaire et pluri-acteurs de l’action menée, l’approche de l’ergonomie centrée sur l’activité apparaît déterminante, notamment parce qu’elle est porteuse d’une préconisation d’intervention en cohérence avec les conceptions les plus actuelles en matière de prévention des TMS. Ces dernières énoncent en effet qu’en vue d’aborder une telle problématique, il est nécessaire de prendre en compte, depuis la dimension organisationnelle, le système ou l’activité de travail. Ceci afin d’appréhender correctement la nature des sollicitations biomécaniques du travailleur, dans une configuration d’objectifs économiques donnés par l’entreprise, en vertu desquels le fonctionnement du système de production ou de prestation de services a été pensé, conçu et planifié 3. En accord finalement avec la définition des TMS proposée par Harichaux (Harichaux et alii., 2003), stipulant que « les TMS correspondent à une maladie organisationnelle qui se manifeste symptomatiquement auprès de travailleurs », une finalité de l’analyse ergonomique pour l’intervention présentée revient ainsi à chercher à comprendre et à préciser : • quel est le moment le plus critique de l’activité de coupe de l’astroemeria, • quels sont les dangers qui se maintiennent potentiellement sur la plus importante durée, • quels sont les stratégies et modes opératoires utilisés par les travailleurs pour atténuer ou faire disparaître (notamment par la réduction des durées d’exposition) les dangers. Ces attendus doivent être pris en compte à partir des logiques de travail habituellement mises en œuvre par les intéressés et dans lesquelles sont mises en jeu les variables de santé, sécurité, qualité et productivité. Ces logiques ou stratégies observables peuvent s’exprimer sous la forme de quatre tendances générales couramment observées : 1. C hercher à satisfaire les objectifs de qualité et de productivité établis par l’entreprise, ceci en prenant des risques susceptibles de mettre en péril la santé et la sécurité (situation la plus fréquemment rencontrée dans la population de travail colombienne). 2. Conditionner l’obtention de résultats de qualité et de productivité à la protection de la santé et de la sécurité (stratégie identifiable notamment avec des travailleurs proches de l’âge de départ en retraite). 3. Mettre en œuvre des pratiques de travail qui n’apparaissent favorables ni pour satisfaire aux objectifs de qualité et de productivité, ni pour satisfaire à ceux de la santé et de la sécurité (situation observée avec des travailleurs novices en phase d’établissement et de stabilisation de leurs connaissances professionnelles, ou encore auprès de travailleurs présentant des carences fonctionnelles avérées). 4. Établir des pratiques de travail favorisant ensemble les aspects de qualité, de productivité, de santé et de sécurité (la situation prioritaire à repérer, à analyser et à mettre en œuvre dans une entreprise). 3. ISBN : 978-2-913488-68-4 228 Position conceptuelle et méthodologique revenant à promouvoir une prévention durable. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Mise en place de la démarche L’intervention s’est déroulée entre le second semestre de l’année 2006 et l’année 2011. La demande provenait de l’un des dirigeants-propriétaires des quatre entreprises intéressées. Inspiré par la philosophie comparative du benchmarking, il demanda ainsi que soit réalisée une étude du processus de travail en cours dans chacune des entreprises. La finalité retenue était l’identification et la mise en œuvre des meilleures pratiques de travail, autrement dit celles permettant l’obtention d’un produit de qualité, ceci dans le respect des quantités requises mais avec toutes les garanties d’une protection optimale de la santé des opérateurs. On voit que cette formulation rejoint la quatrième logique présentée en introduction, où il s’agit d’optimiser l’atteinte de résultats satisfaisants en termes de prévention autant que de production. On notera en outre qu’ainsi formulée, la demande exprimée conduit à considérer de fait que les logiques de travail existent non seulement au niveau des individus mais aussi bien au niveau des organisations. Le déroulement de l’intervention mise en place peut être formulé en trois étapes 4. Chacune d’elles fait intervenir une variété de contributeurs, désignés par les responsables des ressources humaines de chaque entreprise participante : 1. Une étape analytique d’analyse et de diagnostic ergonomique : opérateurs, maîtrises, ergonome. 2. U ne étape créative de proposition de solutions d’amélioration de l’existant : opérateurs, ergonome, ingénieur de maintenance, dessinateur industriel, directeur de production. 3. Une étape de mise en application des propositions énoncées : opérateurs, maîtrises, ergonome Étape analytique : analyse et diagnostic ergonomique Le premier contact de terrain s’est effectué depuis le service central de santé au travail du groupe, en présence des directeurs de production de chacune des quatre entreprises, ceci afin de se concerter quant à la méthodologie et la durée de l’intervention. Décision a été prise de mobiliser une série d’analyses qui seraient conduites selon les principes et méthodes de l’ergonomie (d’origine francophone) de l’activité. La démarche consistait à faire usage de diverses techniques d’observations et de verbalisations avec les opérateurs, puis à valider les informations recueillies auprès des maîtrises et des ingénieurs de production, en s’appuyant en tant que de besoin sur la documentation relative aux procédés techniques de l’entreprise. Outre permettre de caractériser l’activité en termes de contenu, du point de vue technique, organisationnel et temporel, la mise en forme de l’information 5 aide à documenter la situation réelle de travail, en mettant en relation les conditions d’exécution du travail avec les conséquences pour les individus (santé et sécurité), ainsi que pour l’organisation (productivité et qualité). Après avoir consolidé les données en provenance des quatre entreprises participantes, nous avons procédé à la formulation du diagnostic ergonomique. Ce dernier prend en considération la situation globale du système formé par les entreprises impliquées, c’est-à-dire les diverses composantes organisationnelles, technologiques et humaine. Les observations de terrain effectuées ont notamment facilité l’observation des angulations excessives de l’épaule et de la main, et des inclinaisons antérieures importantes et répétées de la colonne vertébrale. Les documents photographiques (Figure 2) illustrent de telles situations. Cependant, pour réduire l’exposé de la démarche, nous proposons de regrouper les deux dernières étapes en une seule. Mise en forme effectuée au moyen d’un formulaire d’enregistrement conçu en 2006 par la fondation ergoIDEAL (dont nous sommes la fondatrice et la responsable) et mobilisé depuis à l’occasion d’autres interventions ergonomiques. 4. 5. 229 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Figure 2 Observations de terrain (2ère série) : exemple de contraintes biomécaniques observées durant l’activité horticole En complément de ces observations qualitatives, ajoutons que compte tenu des niveaux de rendement exigés par chacune des entreprises de l’étude, un dépassement significatif des valeurs maximales de répétitivité du mouvement de l’épaule recommandées 6 était systématiquement observé (Figure 3). Figure 3 Rendements exigés et indices de répétitivité associés 6. ISBN : 978-2-913488-68-4 230 Soit 2,5 mouvements / minute (référentiel Kilbom) Å [1994]. Repetitive work of the upper extremity Part II : The scientific basis for the guide. Int J Ind Erg 14 :59-86). 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention À l’observation des données apparaissant à la Figure 3, le risque musculosquelettique résultant de la répétitivité excessive de mouvement de l’épaule, en l’occurrence durant les opérations d’arrachage des plants (ou tiges), apparaît patent (nombre de mouvements observés entre 2 et 3 fois supérieur à la norme NIOSH). L’exposition ainsi identifiée se voit encore aggravée si l’on ajoute cette observation supplémentaire qu’outre la concentration de tels mouvements au-delà des valeurs limites autorisées, ces derniers s’effectuent en dehors de l’angle de sécurité admis (soit entre 145° et 180°). Étape créative-applicative : proposition et mise en application des recommandations Rappelons qu’il était convenu que toutes les propositions et recommandations prennent en compte aussi bien les contraintes technologiques et organisationnelles (pour lesquelles les ingénieurs et responsables techniques ont été plus particulièrement mobilisés) qu’humaines (objet des analyses effectuées). Il convient cependant d’indiquer que pour ces deux dernières étapes, c’est la participation de la maîtrise et des ressources humaines qui a été la plus importante. L’orientation initiale des propositions privilégiait l’élimination de mouvements jugés superflus, la réduction du nombre de mouvements nécessaires ou encore celle de leur amplitude. Établies à partir de la compréhension du comportement opératoire des travailleurs et la validation terrain des possibilités d’amélioration, nous avons en particulier été conduits à recommander et à agir afin : • de réduire tout geste ou mouvement jugé inutilement sollicitant (ex. : en optimisant le mode opératoire de chargement des fleurs sur les chariots de récolte, par le changement d’outillages de taille, en améliorant la direction du regard durant l’opération d’arrachage de la fleur) ; • de diminuer les occurrences de mouvements particulièrement à risque pour un segment corporel donné (ex. : par la modification du circuit d’arrachage des plants) ; • de minimiser les amplitudes articulaires afin d’atténuer d’autres risques de dommages physiques (ex. : en modifiant la hauteur de prise en main du plant en vue de son arrachage). À noter qu’une action favorable à la mise en application des propositions indiquées aura été d’assurer une formation des opérateurs concernant le fonctionnement du système musculosquelettique. La connaissance ainsi acquise contribuait en effet à mieux faire comprendre les enjeux de santé et donc à favoriser les propositions de modifications les plus appropriées aux situations de travail. Cependant, une difficulté aura été l’impossibilité de faire bénéficier de ces informations les opérateurs absents ou nouvellement embauchés. La figure 4 illustre et commente de telles propositions au moyen de 7 champs d’action d’amélioration mis en œuvre. De façon générale, les propositions de modifications présentées découlent de l’observation de l’activité des opérateurs, exception faite de la 5e proposition, directement suggérée par l’ergonome. 231 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention ISBN : 978-2-913488-68-4 232 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Figure 4 Observations de terrain (3ème série) : illustration et commentaire de 7 propositions d’améliorations À noter que jusqu’à présent, la mise en application de ces diverses propositions d’amélioration a pu être conduite auprès de 2 des 4 entreprises impliquées dans l’intervention. Concernant les 2 autres, seule la première des propositions a été appliquée. Conclusion À la suite de l’intervention conduite et venant d’être présentée, on indiquera en conclusion que la préparation des alstroemeria a été simplifiée dans son ensemble : par arrachage individuel des plants, chargement sur les chariots de récolte, déplacement prédéfini dans les zones de plantation, enfin empaquetage des fleurs et évacuation des déchets. Sur le plan de la démarche suivie, nous nous sommes efforcés de montrer que grâce à la méthodologie d’intervention ergonomique, il est possible de redéfinir les activités en intégrant les dimensions de santé, sécurité, qualité et productivité, en mobilisant à la fois un travail pluridisciplinaire et une pluralité d’acteurs (ici internes aux entreprises qui nous ont sollicités). Concernant la mise en œuvre des propositions effectuées, il aura été déterminant que les ingénieurs de productivité voient l’intérêt et donc comprennent et acceptent la conception portée par ce travail, selon laquelle santé, qualité et productivité sont en mesure de s’intégrer sans s’opposer, de façon satisfaisante au sein de la réalisation de l’activité. Bibliographie 1. CORPORACIÓN CACTUS. Informe sobre la floricultura colombiana febrero 2010. Bogotá: 2010, 35 p. 2. KILBOM, Å (1994). Repetitive work of the upper extremity Part II: The scientific basis for the guide. Int J Ind Erg 14:59-86). 3. H ARICHAUX, P., LIBERT, J-P, BRAULT, J-F, TELLIEZ, F, & VIEL, E. (2003). Ergonomie et prévention des risques professionnels : Tome 2, Les contraintes musculosquelettiques et leur prévention. Paris : Chiron. 233 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Du mouvement à la représentation du travail, collaboration pluridisciplinaire dans un CAT Arnaud Désarménien Service Santé au Travail, Le Mans (France) Introduction E n France, depuis une dizaine d’année, la majorité des Services de Santé au Travail mettent en place la « pluridisciplinarité ». Il s’agit d’adjoindre à un dispositif essentiellement centré sur une approche médicale (médecins du travail) depuis sa création, des ressources (tout d’abord humaines) provenant d’autres disciplines contribuant à la prévention des risques professionnels et à la promotion de la santé : ergonomie, hygiène du travail, psychologie du travail, toxicologie industrielle… En parallèle à ce mouvement réalisé en interne, des expériences de collaboration entre les services de santé au travail et d’autres partenaires institutionnels agissant partiellement ou en totalité sur le même champ (ARACT, CARSAT 7, OPPBTP 8…) se sont développées. La conception multidimensionnelle des gestes professionnels Dans le cadre de la pluridisciplinarité, l’apport de différentes disciplines a contribué à développer des approches multidimensionnelles sur différents objets, permettant ainsi d’enrichir le regard et la compréhension des différents acteurs. Dans le cas du geste, traditionnellement, celui-ci est analysé sur ses dimensions physiques (articulations sollicitées, mouvements, force appliquée, postures…) dans le but d’en évaluer les probables conséquences en termes de santé : troubles musculo-squelettiques (TMS), risques accidentels (plaies, coupures, heurts…)… Une fois l’évaluation réalisée, une recherche de solution va être opérée, mais qui va souvent se limiter à une mise en place de solutions techniques ou à viser l’adoption du « bon geste » par l’opérateur. À la fin des années 1990, c’est développé en ergonomie le modèle multidimensionnel du geste entendue comme geste professionnel [1 et 2] : • dimension physique : le geste est un mouvement dans l’espace, le temps et l’effort pour réaliser l’action ; • dimension cognitive : le geste est une construction intellectuelle, une reconstruction finalisée en situation réelle et mouvante ; • dimension psychologique : le geste est une mobilisation de ressources qui permet de faire face aux contraintes ; • dimension sociale : le geste est un signifiant pour soi, pour les autres. L’aspect multidimensionnel du geste est non seulement nécessaire à la compréhension, mais constitue également une ressource pour la transformation de la situation. 7. 8. ISBN : 978-2-913488-68-4 234 Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’apport de la pluridisciplinarité dans l’analyse multidimensionnel : un exemple d’intervention L’entreprise et son activité Il s’agit d’un atelier protégé, sous tutelle de l’ADAPEI 9 de la Sarthe, qui emploie une centaine de personnes. L’atelier, réparti sur trois sites, réalise diverses activités, notamment des travaux d’ébavurage pour des équipementiers automobiles et des activités orientées vers le secteur du bois (pour l’essentiel des travaux de menuiserie et de fabrication de lits). L’activité d’ébavurage consiste à enlever de la matière sur des pièces métalliques en les mettant en contact avec un tour mécanique. Dans l’atelier sont traités des fûts de transmission en deux opérations : ébavurage des gorges, puis ébavurage des paliers. L’opérateur saisit une pièce des deux mains dans un bac (pièces brutes) ou sur une table (pièces avec gorges ébavurées), la met en place auprès du tour en mouvement, puis commence à ébavurer. Des deux mains, il exerce une pression du fût sur le disque de meulage et le déplace (de gauche à droite par section et rotation pour atteinte des différentes faces) au fur et à mesure afin d’enlever la matière aux différents endroits prévus (gorges ou paliers) tout en contrôlant visuellement la bonne réalisation de l’opération (recherche d’un aspect lisse). Une fois la pièce terminée, l’opérateur la « valide » (appui sur un bouton différent selon l’état) et la dépose sur une table (pièces avec gorges ébavurées ou table de contrôle). Figure 1 Opérations d’ébavurage d’un fût de transmission Lors des visites médicales réalisées auprès du personnel réalisant les opérations d’ébavurage, le médecin du travail repère la présence de traces d’usure sur la peau des phalanges des doigts (zones rouges, irritations), voire des plaies pour certains. Les opérateurs expliquent ce phénomène par le fait que leurs mains frottent sur la tablette d’appui positionnée devant le tour. À la suite de ces constatations, ce médecin du travail effectue une visite de l’atelier et remarque que les gants de protection présentent d’importantes traces d’usure au niveau des phalanges, mais pas pour l’ensemble des opérateurs. La gravité des plaies ayant nécessité de retirer un des opérateurs de l’activité, le médecin décide de solliciter l’intervention d’un ergonome afin d’étudier la situation de travail et d’aider à la recherche et à la mise en place de solutions aussi bien sur la question des atteintes à la main (avérées) que sur celle des TMS (anticipées). Il est à remarquer que sur la même période, la CARSAT intervient sur la question de la ventilation au poste et que le directeur de la structure a sollicité l’ARACT pour une aide concernant la mise en place du Document Unique. Consécutivement à une rencontre entre les acteurs des différentes institutions présentes, il est décidé de structurer l’ensemble des interventions autour de l’activité d’ébavurage. Association départementale des amis et parents d’enfants inadaptés 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 235 ISBN : 978-2-913488-68-4 9. Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Premiers enseignements de l’analyse de l’activité : la dimension physique et ses différents niveaux Les observations de l’activité de travail et les échanges avec les opérateurs révèlent différents niveaux de repères dans la réalisation de la gestuelle, dont le croisement permet à la fois de caractériser les gestes et les postures, mais également le risque d’atteinte à la santé (risque TMS, risque de plaies) : • la posture : Posture « décontractée » Le tronc est relevé, les épaules relativement ouvertes. Posture « crispée » Le tronc est penché en avant, les épaules tournées vers l’intérieur. Figure 2 : Types de posture • le type de prise : Prise « serrage » La pièce est maintenue en prise « pince ». Prise « main inversée » La main est retournée et l’ensemble des doigts enserre la pièce. Figure 3 : Types de prise • l’endroit de la prise : Figure 4 : Endroit de la prise ISBN : 978-2-913488-68-4 236 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Prise aux extrémités La pièce est maintenue par les deux extrémités de la pièce. Prise au centre La pièce est tenue au centre par au moins une des mains. • le sens de l’ébavurage : 1 2 3 4 1 Sens « fût entier » Les zones sont traitées les unes après les autres de gauche à droite 3 3 2 Sens « 2 extrémités » Les zones les plus externes sont traitées l’une après l’autre puis le centre 1 2 2 3 Sens « 1 extrémité » L’extrémité de gauche est traitée en premier puis les 2 zones du centre pour terminer par la 2e extrémité. Figure 5 : Sens de l’ébavurage À partir des différents niveaux de repères identifiés, une grille d’observation systématique est construite. L’animatrice hygiène-sécurité de la structure observe alors l’ensemble des opérateurs avec cette grille en notant également pour chacun la présence ou l’absence de signes de frottement (état des gants, présence de traces sur les mains), cette partie étant complétée à partir du retour d’information du médecin du travail. L’analyse de ces données montre une corrélation entre le type de gestuelle et le niveau de frottement. Présence de signes de frottements Absence de signes de frottements Type de posture Posture « crispée » Posture « décontractée » Type de prise Prise « main inversée » Prise « serrage » Endroit de la prise Prise au centre Prise aux extrémités Sens de l’ébavurage Sens « fût entier » Sens « 2 extrémités » Sens « 1 extrémité » Figure 6 Corrélation entre les traces de frottement et les niveaux de repères La présence de traces de frottement est expliquée par le niveau de la force appliquée par la main sur la tablette, la durée du contact entre la main et la tablette qui diffèrent donc en fonction des caractéristiques de la gestuelle. Autres dimensions du geste professionnel L’observation systématique de la gestuelle ayant montré que chaque opérateur combine de manière particulière les différents niveaux de repères, un travail de compréhension des mécanismes de construction et d’adoption de la gestuelle est initié à la suite d’une présentation en entreprise. En collaboration avec une chargée de mission de l’ARACT, nous avons organisé des groupes d’échanges sur la pratique réunissant des opérateurs, le chef ou un animateur d’atelier et l’animatrice hygiène-sécurité. Ces groupes ont pour objectifs de partager le diagnostic sur la gestuelle avec les opérateurs et de les faire échanger sur leur propre gestuelle (critères de construction, adoption de stratégie d’économie et de préservation de la santé). 237 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention À partir des informations recueillies, il apparaît que le type de gestuelle adopté dépend non seulement des capacités physiques, mais également des capacités cognitives des opérateurs. On note également une forte influence de la représentation que les opérateurs se sont construit sur la question du niveau de productivité et du niveau de qualité à obtenir. Ainsi, plusieurs personnes cherchent à atteindre un fort niveau de productivité (le maximum de pièces traitées en un minimum de temps) en négligeant parfois la qualité finale de la pièce et allant au-delà des exigences de production de l’atelier (jusqu’à provoquer la rupture de pièces par un traitement trop rapide des pièces disponibles). L’atteinte de tels niveaux de production se fait par l’adoption de la gestuelle la plus rapide possible (posture crispée, mouvements rapides, peu de changement de prise des mains…) et au détriment de la préservation de la santé. Un phénomène de compétition entre certains opérateurs est également présent, être le plus rapide étant considéré comme valorisant dans le groupe. Au niveau de l’atelier, la construction et l’adoption d’une gestuelle semblent un processus très individuel, peu sujet aux régulations du collectif de travail et peu sous l’influence de l’encadrement. Ainsi, les personnes en apprentissage de l’activité d’ébavurage sont accueillies par le chef ou les moniteurs d’atelier qui leur explique la tâche. Peu d’éléments pouvant contribuer à la construction d’une gestuelle incorporant des stratégies de préservation de la santé sont donnés aux opérateurs. C’est davantage un phénomène de mimétisme (construction d’une gestuelle par imitation totale ou partielle des mouvements des collègues) qu’une élaboration individuelle et pensée. Construction des axes de prévention, une démarche pluridisciplinaire À partir de l’ensemble des éléments recueillis, 2 axes de travail principaux sont dégagés : • Démarche de construction de gestes professionnels intégrant la question de la préservation de la santé : sensibilisation des opérateurs aux risques d’atteinte à la santé et aux facteurs de risque, allongement du temps d’apprentissage avec recherche d’une réflexion de la part de l’apprenti, surveillance plus stricte du rythme de travail des opérateurs de la part des encadrants afin de limiter les accélérations, mise en discussion de la gestuelle au sein du collectif de travail. • Conception de nouveaux postes et de nouvelles zones de travail : mise en place d’îlots de production regroupant des poste d’ébavurage gorge, d’ébavurage palier et de contrôle, réflexion sur les dimensionnements des postes, l’ambiance lumineuse (éviter les postures crispées pour bien voir la pièce), la surface de la tablette, recherche d’une solution adaptée de captation des poussières d’ébavurage. Différentes simulations d’implantation ont été réalisées et un prototype de poste a créé pour validation après essais par les opérateurs. L’ensemble des recherches et de construction de solutions s’est fait dans le cadre d’une démarche participative impliquant aussi bien les acteurs internes à la structure (opérateurs, encadrants, direction, animatrice hygiène-sécurité) que les acteurs des organismes externes (médecin et ergonome du service de santé au travail, chargée de mission de l’ARACT, contrôleur et ingénieur-conseil de la CARSAT). Ceci a permis de construire et de partager collectivement le diagnostic et les axes d’amélioration. Conclusion L’approche pluridisciplinaire, la clé de compréhension de l’aspect pluridimensionnel de la gestuelle professionnelle D’une question au départ tournée vers la survenue de plaies, l’analyse de l’activité a montré la nécessité d’ouvrir non seulement vers d’autres types de risque (TMS), mais également d’aborder l’ensemble des dimensions du geste bien au-delà de celle purement physique initialement incriminée. Cette ouverture vers les autres aspects du geste (cognitif, psychologique, social) est non seulement nécessaire pour la compréhension de la problématique, mais est également source de ressources lors de l’étape de transformation. ISBN : 978-2-913488-68-4 238 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Dans la situation, les acteurs (opérateurs, encadrement, médecin du travail) ont rapidement fait le lien entre la survenue des atteintes à la main et certaines dimensions de la gestuelle (frottements, forcée appliquée sur la tablette), mais sans que se dégagent d’autres pistes d’amélioration qu’un changement de type de gant de protection. Une fois les divers niveaux de la dimension physique identifiés, l’idée que selon le type de gestuelle adopté le niveau de risque est différent a amené à réfléchir sur le gain que pouvait offrir un changement de geste. Cependant, au vu du poids des habitudes prises par les opérateurs, de telles transformations semblaient difficiles à obtenir. L’ouverture de la compréhension vers les autres dimensions a permis non seulement d’appréhender certaines résistances constatées, mais également de comprendre comment contribuer à transformer la situation : mise en place d’échanges sur la question du geste, redéfinition des règles de qualité et de productivité, et des modalités de leur diffusion et de leur maintien. Ainsi, le fait de regrouper les postes d’ébavurage et les postes de contrôle permet de mieux suivre le niveau de qualité et le rythme de travail de chacun. La poursuite d’une telle démarche nécessite à la fois de bénéficier de différentes sources de renseignement (données de santé issues des entretiens médico-professionnels, chroniques d’activité provenant des observations, informations sur les stratégies et les représentations des opérateurs obtenues lors des échanges avec ceux-ci) et de disposer des champs conceptuels afin de mettre l’ensemble des éléments réunis en relation, de les interpréter, de leur donner un sens en vue de la transformation de la situation et de l’amélioration des conditions de travail. Cela a été le cas dans cette intervention où l’action du médecin du travail a été complétée par celle de l’ergonome, ce qui a permis d’aboutir aux résultats escomptés en termes de santé. Bibliographie BOURGEOIS F., HUBAULT F. – Prévenir les TMS. De la biomécanique à la revalorisation du travail, l’analyse du geste dans toutes ses dimensions. @ctivités, volume 2 numéro 1 http://www.activites. org/v2n1/bourgeois.pdf BOURGEOIS F., LEMARCHAND C., HUBAULT F., BRUN C., POLIN A., FAUCHEUX JM. - Tr o ub l e s Musculo-Squelettiques et Travail : quand la santé interroge l’organisation. ANACT, Lyon, 2000, ISBN 2-913488-04-8 CAZAMIAN P., HUBAULT F., NOULIN M. – Traité d’ergonomie. OCTARES, Toulouse, 1996, ISBN 2-906769-29-0 pour 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 239 ISBN : 978-2-913488-68-4 GUÉRIN F., LAVILLE A., DANIELLOU F., DURAFFOURG J., KERGUELEN A. – Comprendre le travail le transformer. La pratique de l’ergonomie. ANACT, Lyon, 1997, ISBN 2-903540-85-3 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’approche du geste dans un groupe aéronautique : construction de la pluridisciplinarité et développement de la prévention des TMS à partir d’un dispositif de formation Michèle Bassargette Air France Cargo (France) Olivier Decourcelle Ergos-Concept (France) Laurent Guisot Groupe Servair et Filiales (France) Sylvie Martin-Boulineau, Sonia Sutter Unité d’Ergonomie Air France (France) Introduction A u sein de la compagnie Air France, en matière de politique de sécurité au travail, la priorité est donnée à la lutte contre les accidents du travail, encore élevés dans de nombreux secteurs. De nombreux accidents avec arrêts sont classés sous l’item « douleurs », pouvant pour certains s’apparenter à des troubles musculo-squelettiques 1 (TMS). Le secteur du fret aérien a été le premier à mettre fin aux démarches « gestes et postures » et à construire un dispositif de prévention des accidents du dos intitulé PRADOS. Genèse du dispositif PRADOS dans le fret aérien Contexte Le nombre de déclarations de lombalgies au sein de la société Air France Cargo au début des années 2000 est une préoccupation importante pour l’entreprise. En 2002, le nombre de jours perdus pour accident du travail ayant pour cible une atteinte du rachis lombaire était de plus de 1500 jours par an pour environ 800 opérateurs de terrain confrontés aux contraintes de manutention. A contrario, le nombre de jours perdus pour maladie professionnelle (tableau 98) restait faible (moins de 50 j/an). Mise en place d’une démarche participative En octobre 2002, la société Air France Cargo fait appel à un cabinet de conseil en ergonomie ayant des compétences en biomécanique appliquée afin de « participer à la mise en place d’une démarche pilote de prévention des lombalgies » comportant 3 phases : l’évaluation ergonomique des postes, la conception d’un programme de formation pour la prévention des TMS et la formation des formateurs pour en faire des relais de terrain. Cette démarche de prévention s’inscrit au sein d’un accord cadre pour le personnel au sol, “global compagnie“, contractualisé avec les partenaires sociaux, pour une durée de trois ans. Cet accord révèle le souhait de l’entreprise Air France de se pencher sur la prévention du problème de TMS. Nous verrons plus loin que malgré cet engagement, il aura fallu plusieurs années pour que cette démarche « s’exporte » du fret de Roissy pour être proposée dans d’autres secteurs de l’entreprise. La démarche est menée en mode projet. Elle regroupe au sein du comité de pilotage des acteurs pluridisciplinaires : médecin du travail, ergonomes, kinésithérapeutes, responsable ressources humaines, responsable sécurité. Cette démarche s’inscrit également dans une dimension participative, grâce à la À noter qu’au sein d’Air France, le nombre des maladies professionnelles (MP) de type TMS est faible, moins de 50 par an pour une population d’environ 52 000 agents. Les accidents du travail de type « douleurs » représentent quant à eux 30% du total des AT avec arrêt. En comparaison, pour Servair SA, 16 MP TMS ont été déclarées en 2010 sur un secteur de plus de 3000 agents. 1. ISBN : 978-2-913488-68-4 240 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention mise en place d’une liaison constante avec les partenaires sociaux et la direction de l’établissement. Une démarche itérative entre les différents acteurs du projet et une stratégie de déploiement se mettent en place : elles vont permettre de définir un cadre de fonctionnement déterminant pour la réussite du projet. Les acteurs-clés du projet et les freins à lever avant la mise en place de la démarche sont identifiés. Les objectifs sont définis collectivement, de même que le protocole de recueil de données à partir de l’activité réelle de travail. Ce dernier inclut notamment la sélection de situations de travail à analyser, la nature des données recueillies et l’ordre de recueil. Si la réussite de la démarche repose sur l’approche pluridisciplinaire et multi-acteurs, elle passe également par des engagements comme : • la restitution des résultats des études de poste auprès de la direction de l’entreprise; • les préconisations de modification des situations accidentogènes (matérielles ou organisationnelles); • la mise en place d’un « fil rouge » d’actions correctives et d’un budget échelonné à court (ex : ajout de genouillères dans les pantalons de travail,) moyen et long termes pour les actions les plus coûteuses (ex : mécanisation progressive des quais de chargement). In fine, il s’agit de construire une formation spécifique et dédiée aux métiers du cargo concernés par la prévention des lombalgies, construite à partir du « bilan 2 » ergonomique initial des postes. Cet outil de formation s’inscrit dans un plan plus global de prévention des TMS. Analyse des situations de travail Le secteur du fret aérien se caractérise par des métiers à forte manutention manuelle, fonctionnant 24h sur 24h, et dépendant des plages de Hub (alternance de pics et de creux d’exploitation) en zone sous douane. Le travail est effectué dans un environnement dont les surfaces sont à l’échelle d’un avion cargo où sont utilisés des engins spécifiques. Les « colis » se caractérisent par de grandes variations de poids et de volume. Des colis « spéciaux » font également partie des envois, comme des réceptions. Á titre d’exemple, il n’est pas rare de trouver des voitures de collections, des œuvres d’art, des cercueils « occupés », des denrées périssables, des animaux vivants, etc. Cette grande diversité de colis à gérer est à l’origine d’une multitude de situations de travail à explorer. Les critères de sélection des situations de travail à analyser sont définis avec le groupe de travail et les partenaires sociaux, en fonction de leur caractère « facile », « difficile » ou « intermédiaire ». Les critères qu’ils ont soulevés sont soit en lien avec une accidentologie présente (statistiques médicales), soit avec une pénibilité exprimée par les opérateurs. L’exploration des pathologies au travail nous fournit également les circonstances de certains accidents, et donc les heures et les services où ils se sont passés. Pour chacune des situations, au moins un opérateur est observé, l’idéal étant d’avoir au moins chacun des trois types d’opérateur pour chacune des situations : novice (jeune embauché ou 4 mois d’ancienneté au plus au poste), intermédiaire (de 4 mois à 3 ans d’ancienneté), expert (opérateur de plus de 3 ans au poste). Les critères d’expertise retenus sont construits sous forme de grille, après échanges avec le groupe de travail, et validés par les partenaires sociaux. Au total, 27 opérateurs ont été observés sur 9 services. Le choix des outils de recueil de données est effectué en considérant qu’ils doivent être les moins invasifs possible de manière à ne pas gêner l’activité des opérateurs. Le choix s’est porté sur la cardiofréquencemétrie (CFM), couplée à la prise d’informations vidéo et photo de l’activité réelle de travail. L’acquisition des données a été réalisée dans tous les services de manutention du fret aérien de Roissy. Á partir des données issues de la cardiofréquencemétrie, des séquences filmées de l’activité réelle de l’opérateur sont sélectionnées : elles correspondent aux pics et aux creux de fréquence cardiaque. L’analyse de ces séquences est ensuite réalisée, notamment à partir d’entretiens réalisés a posteriori avec les opérateurs pour comprendre dans quel contexte elles se sont déroulées. Appelée comme tel dans le cahier des charges de la mission. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 241 ISBN : 978-2-913488-68-4 2. Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Construction de la formation : du geste professionnel à l’« économie posturale (3) » Les analyses décrites plus haut ont pour but de construire une banque de données servant de base à l’élaboration des supports pédagogiques. La cible des supports est en relation avec les sommes de séquences isolées d’expression gestuelle d’opérateurs en activité. Ces séquences choisies représentent plusieurs enchaînements de postures simples et exécutées dans la réalité (Figure 1). Figure 1 Opérateur enlevant un filet (poids mouillé =20 Kg) en utilisant une posture simple : « UN BALANCIER » Ces postures simples isolées sont comme les lettres d’un alphabet (gestuel). On se rend rapidement compte que l’enchaînement de cet alphabet (gestuel) ne s’exprime pas de la même façon en fonction de l’âge, de l’expérience, de la morphologie et de l’environnement dans lequel se trouve l’opérateur. Cette combinaison de postures est aussi le propre de chaque opérateur : c’est son style de mobilité. Néanmoins, cet enchaînement de postures successives, exécuté dans un but à atteindre, est-il toujours le plus économique possible du point de vue de l’effort ? Autrement dit, d’un point de vue de l’astreinte cardiaque ou de l’astreinte articulaire (souvent les deux), les enchaînements de choix de postures simples réalisés par l’opérateur pour accomplir son activité, sont-ils pour lui ceux qui lui coûtent le moins d’effort ? L’économie des ressources (cardiaques et articulaires) de l’opérateur, supportée par un enchaînement de postures simples successives, représente la base du concept de formation à l’ « économie posturale » (3). L’économie posturale (3) repose sur le principe suivant : Avec les mêmes conditions d’organisation et d’activité à réaliser, nous nous rendons compte que les opérateurs ne bougent pas de la même façon. Cette faculté particulière de bouger, dans un système de production spécifique, est dépendante du style de mobilité que connaît ou non l’opérateur. Lorsque l’opérateur s’engage dans son activité, il la régule en fonction de la perception qu’il a de ce qu’on lui demande, de ses ressources disponibles, et des réserves dont il dispose pour accomplir son travail (quand tout va bien). Cette régulation est très dépendante de l’expérience qu’a l’opérateur de son environnement de vie et de travail. En fonction de son expérience, l’opérateur exprime un geste qui est un compromis entre ces différents aspects. Lorsque ce geste impacte le moins possible la ressource de l’opérateur, tout en respectant les critères de production, on parle de geste économique, dont découle la notion d’économie posturale.3 Les différents styles de mobilité expriment donc différents gestes d’économie posturale. Pour la formation, à partir des analyses issues des séquences vidéo sélectionnées, différents styles de mobilité sont ainsi 3. ISBN : 978-2-913488-68-4 242 « Économie Posturale » est une marque d’Ergos-Concept Sarl déposée à l’INPI N° 103704865. 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention identifiés et regroupés par famille. Leurs circonstances organisationnelles d’expression sont précisées. Les séquences des gestes professionnels recueillis sur le terrain serviront de support à la formation, ce qui en facilite l’appropriation par les opérateurs. Vient ensuite la phase de construction du dispositif de formation, qui comprend : • la définition des objectifs de la formation (quantitatif et qualitatif), le programme et le planning de déploiement, la logistique (lieu, matériel, espace de mise en situation) ; • le recrutement des acteurs-clés de la formation (les relais de terrain), le programme de formation de ces acteurs-clés et leur formation proprement dite; • les rendez-vous de points d’avancement par rapport aux objectifs, la nature des attendus compte tenu des objectifs ; • la conception d’un simulateur de la situation de travail (dans ce cas, une soute à bagages d’un avion) afin d’échanger sur les techniques gestuelles utilisées et de porter un regard croisé (figures 2 et 3). Toutes ces étapes ont fait l’objet d’un suivi régulier avec des points d’avancement en référence aux objectifs. Figure 2 Fixation de filet pénible pour le rachis Figure 3 fixations de filet non pénible pour le rachis Illustration : dans la partie théorique comme dans la partie pratique (simulateur d’un conteneur avion), échanges et discussion autour des stratégies de fixation d’un filet, et partage des différentes stratégies mises en œuvre par les opérateurs. Démultiplier, un objectif de transformer le regard sur la prévention des TMS Après presque 10 ans de recul sur le dispositif PRADOS, et dans le cadre de la refonte nécessaire des dispositifs réglementaires existants [par exemple, le dipsositif “Gestes et Postures“ PRAP (prévention des risques liés à l’activité physique)], le moment (2009) nous paraissait opportun pour démultiplier ce type de démarche sur les autres secteurs de l’entreprise (y compris les filiales). Dans un premier temps, la démultiplication est prioritairement mise en place pour les métiers désignés comme subissant de fortes contraintes physiques et physiologiques : travail en horaires décalés ou en horaires postés, environnement contraint lié à la forme de l’avion, en particulier pour les métiers de maintenance et de piste, manque de marges de manœuvre, manutention manuelle (par exemple : bagages, caisse à outils). Il est prévu que dans un deuxième temps soient concernés les autres métiers : travail sur écran dans les activités de type tertiaire, charge cognitive élevée, en particulier en salle d’exploitation… Il fallait trouver un moyen d’adapter le dispositif sans qu’il perde du sens, en conservant les facteurs-clés qui ont fait la réussite de celui déployé au fret et ce, dans un contexte d’augmentation des accidents du travail et de crise économique avec tous ses retentissements sur le transport aérien. L’objectif poursuivi était de faire évoluer la représentation sur la formation à la prévention des TMS, en faire 243 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention autre chose qu’une réponse aux obligations réglementaires, et de s’inscrire dans une réelle démarche de prévention durable des TMS adaptée à l’activité réelle de travail. Pour cela, il a été nécessaire de s’appuyer sur le réseau de formation central. Photo 4 La conception actuelle des « armoires » (position dans le galley avion, emplacement des poignées, etc.) entraîne des contraintes fortes pour les poignets, coudes et épaules. L’analyse du geste et des stratégies d’économie posturale déployées par les agents permet de définir avec précision le besoin, notamment en ce qui concerne le positionnement des poignées sur ces contenants. Le dispositif de formation à la prévention des TMS est le fruit, là encore, d’un travail pluridisciplinaire, incluant ergonomes, kinésithérapeutes, médecins du travail, QSE, formation en central, achats généraux, etc. Plusieurs raisons ont en parallèle poussé la filiale Servair (catering, nettoyage avion, etc.) à démultiplier la démarche au sein de ses différents métiers : • un impact plus ou moins direct de la démarche sur les indicateurs utilisés en santé et sécurité perçu par les décideurs (baisse du taux de fréquence des accidents du travail 4) ; • un secteur caractérisé par une population vieillissante5, devant faire face à l’augmentation des restrictions médicales ; • un intérêt d’intégrer dès la conception les éléments des situations de travail remontés des observations et échanges lors des formations ; • le constat du manque d’efficacité des formations “Gestes et Postures“ actuelles, remonté par les formateurs et les agents : trop théoriques et donc déconnectées des actions sur les postes, des spécificités des métiers (perte de sens par rapport à l’activité de travail), une démarche exclusivement axée sur les individus. Les premiers bilans sont très positifs : • de l’avis des opérateurs, la formation paraît plus proche de la réalité, coordonnée avec les actions sur le poste ; • c’est un moment d’expression collective sur le travail réel, par exemple des regards croisés sur les techniques gestuelles ; • les relais de terrain font vivre la démarche, les agents référents remontent les éléments du réel pour améliorer les situations de travail et partager les bonnes pratiques (qui ne doivent pas être imposés) ; • via le levier des formations « Gestes et Postures », la démarche a amené au sein de l’entreprise une démarche de prise de conscience de la nécessité d’une vision plus globale sur la prévention des TMS, il y a eu un changement de regard de l’entreprise sur le sujet. 4. À partir de statistiques de recensement, issues du service de médecine au travail, ciblant les souffrances déclarées du rachis pour les populations attachées à l’entreprise, il a été constaté que sur une base 100 des résultats de 2004, il y a eu en 2009 une baisse de 59% et en 2010 de 31%) 5. En 2015, plus d’1/3 des salariés auront plus de 55 ans ISBN : 978-2-913488-68-4 244 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Limites et perspectives Il peut paraître risqué pour des ergonomes d’aller sur le terrain des formations réglementaires de type « Gestes et Postures ». En premier lieu, celui d’être instrumentalisé, de laisser croire qu’une « bonne » formation sera LA réponse au risque TMS, en excluant toute analyse systémique permettant de trouver d’autres réponses aux dysfonctionnements matériels et organisationnels. Dans le cas présent, n’était-il pas plus risqué encore de laisser ce terrain à des experts de la sécurité qui n’intègrent que le point de vue réglementaire dans leur démarche ? Mais cette stratégie demande une présence continue, elle requiert de faire bloc pour refuser de dévoyer le dispositif à la demande des managers. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un pilote de la démarche, convaincu qu’une prévention pérenne sur les TMS s’appuie sur des actions en parallèle sur le poste de travail et sur les agents, et ce de manière pluridisciplinaire. Parmi les points de vigilance, il convient de noter la nécessité d’une coordination et d’un pilotage serrés pour éviter toute dérive de la démarche (instrumentalisation). Conclusion Malgré les difficultés rencontrées, nous tenions à témoigner, au travers de l’histoire des formations à la prévention des TMS dans notre entreprise, de la richesse de ces démarches et de leur rôle dans la prévention durable des TMS. Certes, des garde-fous doivent être posés, mais la puissance de ces démarches menées en pluridisciplinarité est indéniable lorsqu’on pose comme postulat qu’elles ne résoudront rien si elles ne s’inscrivent pas dans un dispositif plus global de prévention durable des TMS, incluant notamment un volet organisationnel. Et nous sommes convaincus que notre rôle en tant qu’ergonome est de faciliter cette articulation. Bibliographie Cahour B. et Falzon, P., Intellectica, 1991/2, p. 159-186 Falzon, P., (1984), The analysis and understanding of an operative language. In Proceedings of INTERACT’84, 1st IFIP Conference Human-Computer Interaction, Londres, 4-7 Septembre 1984. Falzon P. (1991), Les activités verbales dans le travail Falzon P., (1989), Ergonomie cognitive du dialogue. Presses Universitaires de Grenoble. Leplat, J. et Cuny, X., (1966), Le codage des communications de travail dans une équipe d’ouvriers. Bulletin du CERP, 15 (2), 119-143 Leplat, J., (1985). Erreur humaine, fiabilité humaine dans le travail In: A. Colin, Éditions Collection Universitaire, p 100-120. Rasmussen, J., (1986), Information processing and human-machine interaction. An approach to cognitive engineering. Amsterdam: North Holland. « Économie Posturale » est une marque déposée d’Ergos-Concept Sarl, enregistrement INPI N° 103704865. 245 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Atelier 10 La surveillance épidémiologique et le suivi des statistiques de santé en entreprise : comment les « chiffres » peuvent-ils aider à la compréhension des TMS ? Catherine Ha Institut de veille sanitaire (InVS) (France) Susan Stock Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et Université de Montréal (Canada) velyne Escriva É Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) (France) Introduction L es résultats de la surveillance épidémiologique et le suivi des statistiques en entreprise permettent de repérer les populations à risques de TMS. La description de l’incidence et de la prévalence des principaux TMS et des facteurs de risque, ainsi que la description du suivi de leur évolution au cours du temps, contribuent à informer les acteurs de la prévention et de la santé au travail. Ces informations peuvent être utiles pour les pouvoirs publics, les professionnels de la santé au travail, les entreprises et les employeurs, les représentants des travailleurs et autres partenaires sociaux, les caisses d’assurance maladie, etc. Elles permettent de rendre le poids des facteurs professionnels plus visible dans le débat social et peuvent par ailleurs être utiles à une meilleure définition des politiques publiques et à l’identification des priorités d’interventions préventives ainsi que des critères de reconnaissance et de réparation. Le traitement des données de santé en entreprise, intégrant une approche populationnelle, donne quant à lui un éclairage sur une situation singulière d’un établissement confronté à la survenue de TMS (étendue, gravité des symptômes et des effets, populations exposées, fragilisées…). Cette source de connaissances peut alimenter la réflexion des acteurs dans leur démarche de prévention de TMS au cours du temps (alerte, suivi) et contribuer ainsi à son efficacité (analyse de la situation, évaluation des actions). Objectifs Cet atelier a pour objectifs de présenter : • des sources de données de surveillance épidémiologique dans plusieurs régions francophones (Québec, Algérie, France) et l’application de certains résultats par des réseaux de préventeurs au niveau national, régional ou local pour favoriser la prévention des TMS ; • des pratiques d’entreprises et d’organismes de prévention dans l’usage des données quantifiées accompagnant les démarches de prévention des TMS. ISBN : 978-2-913488-68-4 246 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Construction d’indicateurs synthétiques à partir des données de surveillance épidémiologique des TMS atherine Ha, Julien Brière, Julie Plaine, C Natacha Fouquet, Ellen Imbernon Département santé travail, InVS, Saint-Maurice (France) Yves Roquelaure, Natacha Fouquet Leest-Unité associée, InVS, Angers (France) Introduction U n programme de surveillance épidémiologique, mis en œuvre depuis 2002 dans la région des Pays de la Loire a, parmi ses objectifs, d’estimer l’incidence et la prévalence des TMS dans la population générale et celle des travailleurs, d’évaluer les niveaux d’exposition aux facteurs de risque professionnels et la proportion de cas attribuables au travail, selon le sexe, l’âge et les caractéristiques professionnelles. Ce programme a largement contribué à mieux décrire la morbidité liée aux TMS, description jusqu’alors essentiellement basée sur les statistiques de reconnaissance en maladie professionnelle. Des travaux sont engagés pour construire des indicateurs synthétiques, couvrant les aspects suivants : (1) impact sur la santé (fréquence des TMS, fractions de risque attribuables au travail) ; (2) exposition aux facteurs de risque ; (3) réparation (reconnaissance en maladie professionnelle, indemnisation). Ces indicateurs se placent au cœur d’une réflexion sur la manière dont on peut élaborer une synthèse compréhensible et fiable des résultats issus de l’épidémiologie afin que les acteurs de la prévention des risques professionnels (pouvoirs publics, partenaires sociaux, professionnels de la santé au travail, entreprises et employeurs, caisses d’assurance maladie…) puissent se les approprier. Méthode Les fractions de risque de syndrome du canal carpien (SCC) attribuables au travail pour une catégorie professionnelle représentent la proportion des cas observés dans l’ensemble de la population qui serait évitée si cette catégorie professionnelle ne présentait pas un excès de risque par rapport aux autres. Leurs fourchettes ont été estimées pour la France métropolitaine en utilisant les intervalles de confiance des risques relatifs observés dans l’étude conduite dans le Maine-et-Loire portant sur 1 168 patients pour lesquels un diagnostic électromyographique de SCC a été porté entre 2002 et 2004. Les indicateurs d’exposition au risque de TMS sont issus, quant à eux, des données d’un échantillon de 3 710 salariés tirés au sort par les 83 médecins du travail des Pays de la Loire participant au programme de surveillance. Des scores ont été construits pour décrire la fréquence des expositions à plusieurs facteurs de risque, biomécaniques et psychosociaux, de TMS. Résultats À titre d’exemple, quelques résultats sont présentés dans ce résumé. Les fractions de risque attribuable au travail en France sont, pour le SCC, comprises entre 16% et 33% pour les femmes employées, entre 8% et 16% pour les ouvrières, entre 30% et 56% pour les ouvriers. Parmi les salariés de la région des Pays de la Loire, 24% des femmes et 19% des hommes sont exposés à la fois à au moins une posture extrême plus de 2 heures par jour et à une répétitivité élevée plus de 4 heures par jour, et 20% des femmes et 17% des hommes sont exposés à la fois à ces deux facteurs et à un travail en force plus de 2 heures par jour. 247 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Discussion Ces indicateurs peuvent aider les entreprises à hiérarchiser, mettre en œuvre et évaluer les actions de prévention. Pour améliorer leur fiabilité et les rendre plus utiles, il est nécessaire de vérifier avec d’autres données la validité des estimations utilisées, de produire ces indicateurs à un niveau plus détaillé des secteurs économiques et des professions, de les produire périodiquement, d’en produire pour d’autres TMS tels que le syndrome de la coiffe des rotateurs et la hernie discale lombaire qui, comme le SCC, peuvent être considérés comme des traceurs épidémiologiques des TMS du membre supérieur et des lombalgies. ISBN : 978-2-913488-68-4 248 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La surveillance épidémiologique des TMS au Québec et son application pour favoriser la prévention des TMS par le Réseau québécois de santé publique en santé au travail Susan Stock Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), Université de Montréal (Canada) Paule Pelletier Direction de santé publique de Montérégie (Canada) Contexte de la santé au travail et de la prévention des TMS au Québec D epuis 30 ans au Québec, la santé au travail (SAT) fait partie de la santé publique. Les activités de la SAT comprennent, notamment, la surveillance de l’état de santé de la population québécoise, inscrite dans la Loi sur la santé publique et d’autres lois de santé et sécurité du travail. La SAT au Québec consiste en un grand réseau, le Réseau de santé publique en santé au travail (RSPSAT), qui a trois paliers : provincial, régional et local ; chacun composé de différents acteurs ayant des mandats qui leur sont propres mais dont les activités sont interdépendantes. Au niveau provincial, ce réseau est sous l’autorité du ministère de la Santé et des services sociaux du Québec (MSSS) et inclut l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), la Table de concertation nationale de santé au travail (TCNSAT) et le Comité provincial des représentants régionaux en ergonomie (CPRE). Chacune des 18 régions sociosanitaires du Québec a une équipe régionale de santé au travail ainsi qu’un à sept centres de santé et des services sociaux locaux désignés en santé au travail avec des équipes locales de SAT composées de médecins, d’infirmiers, de techniciens en hygiène et, occasionnellement, d’ergonomes. Le Réseau travaille de concert avec la Commission de santé et sécurité du travail du Québec (CSST) qui lui confie, par contrat, le mandat de prévention des maladies professionnelles dans certains secteurs et fournit les budgets des équipes régionales et locales de SAT. La complexité de cette structure teinte les défis à relever lors des interventions dans les milieux de travail. La prévention des TMS liés au travail est une priorité du Programme québécois (national) de santé publique 2003-2012, ainsi qu’une priorité d’action du Plan stratégique 2010-2014 de la CSST. Au niveau provincial, l’INSPQ, par le biais de son Groupe scientifique sur les troubles musculosquelettiques liés au travail (GSTMS), mène, depuis 2001, des activités de surveillance épidémiologique et de recherche pour, entre autres, établir l’ampleur de la problématique des TMS et suivre son évolution, mieux comprendre les combinaisons de facteurs de risque associés à différents types de TMS et identifier les groupes de travailleurs les plus à risques qui pourront être ciblés pour des interventions de prévention. Ces activités de surveillance et de recherche s’intègrent également dans une programmation provinciale de la prévention des TMS liés au travail du RSPSAT (Stock et al, 2006). Elles incluent le développement et l’analyse des enquêtes de santé et des conditions de travail, l’analyse des données d’indemnisation de lésions professionnelles et le développement d’outils de surveillance active des TMS ainsi que des études sur la prévention des TMS. Par ailleurs, les équipes locales ont pour mandat l’identification des risques pour la santé des travailleurs et la recommandation d’activités de prévention au sein d’un Programme de santé spécifique à un établissement (PSSE), ceci conformément au mandat confié par la CSST. Depuis deux ans, dans plusieurs régions du Québec, les risques de TMS sont plus rigoureusement identifiés et inscrits aux PSSE. Cependant, présentement, les établissements de seulement 15 des 32 secteurs d’activités économiques du Québec, établis comme « prioritaires » par la CSST il y a 30 ans, bénéficient des services des équipes de santé au travail et possèdent des PSSE. 249 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Sources de données de surveillance Les différentes sources de données de surveillance des TMS permettent l’identification de divers groupes à risques de TMS à cibler pour des interventions de prévention. Par exemple, l’analyse des données annuelles des lésions professionnelles indemnisées par la CSST permet d’estimer le nombre total et le taux d’incidence de cas de TMS indemnisés et leur durée, selon le sexe, l’âge, le sous-secteur et le type de profession, ainsi que leur évolution au cours des années. Mais les cas indemnisés ne représentent que la partie émergée de l’iceberg de la prévalence des TMS. Les données d’enquêtes populationnelles (ex : Enquête québécoise sociale et de santé de 1998 auprès de 11 750 travailleurs, Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail, réalisée en 2007-2008 auprès de 5 000 travailleurs, Enquête québécoise de la santé de la population réalisée en 2008 auprès de plus de 20 000 travailleurs) nous permettent de mieux estimer l’ampleur réelle des TMS et des absences au travail associées, ainsi que d’explorer les liens entre les expositions professionnelles et les TMS. Application des données de surveillance pour cibler les interventions : défi s et perspectives Le RSPSAT cherche à utiliser les données de surveillance disponibles afin de mieux cibler les activités de prévention de TMS, cela dans les limites de son mandat. Ainsi, les méthodes de recherche élaborées par le GS-TMS pour étudier l’ampleur des TMS au niveau provincial ont été adaptées par l’équipe de surveillance en santé au travail de l’INSPQ et un comité de représentants régionaux, pour permettre des estimations de l’ampleur des TMS indemnisés par la CSST et l’identification, dans chacune des régions du Québec, des sous-groupes à risque. Un exemple concret d’utilisation de ces données par une équipe régionale permettra d’illustrer notre propos : la mise sur pied d’un projet pilote de prévention des TMS lors des tâches de manutention dans deux secteurs d’activités. L’identification des sous-groupes à risque de TMS par la surveillance peut favoriser d’autres pistes d’action, nécessitant une réorganisation, du moins partielle, du mode de fonctionnement. Par exemple, la mise sur pied des programmes spécifiques d’intervention dans des secteurs d’activités économiques les plus à risque même s’ils ne sont pas ciblés actuellement par les PSSE. De même, les résultats des enquêtes montrent la contribution des combinaisons de contraintes physiques, organisationnelles et psychosociales à la genèse des TMS et suggèrent que les intervenants des équipes locales doivent agir sur l’ensemble de ces contraintes. Plusieurs idées novatrices pour l’intervention découlent des données de surveillance. Toutes ces perspectives impliquent le développement de nouveaux outils spécifiques pour l’intervention, et de programmes de formation pour les milieux de travail, mais aussi pour les intervenants des équipes locales de santé au travail. De plus, nous devrons surmonter les défis organisationnels et structurels qui empêchent ou ralentissent l’utilisation des données de surveillance par les équipes régionales et locales ou l’implantation des activités de prévention ciblées. Stock S., Caron D., Gilbert L., Gosselin L., Tougas G., Turcot A., La prévention des troubles musculosquelettiques : réflexion sur le rôle du réseau de santé publique et orientations proposées pour la santé au travail, Institut national de santé publique du Québec, 2006. ISBN : 978-2-913488-68-4 250 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Les enjeux de la surveillance des TMS en Algérie thmane Ghomari, Benali Beghdadli, O Abdelkrim Kandouci Laboratoire de recherche en environnement et santé Université Djilali Liabes, Sidi Bel Abbès (Algérie) Introduction L es troubles musculo-squelettiques (TMS) longuement considérés comme une préoccupation majeure en santé au travail des pays industrialisés tendent à s’accroître dans les pays en voie de développement du fait probablement de la délocalisation des entreprises et du développement économique et industriel propre à chaque pays. En Algérie, les TMS n’apparaissent pas comme une préoccupation majeure de santé au travail. Avec un seul régime général pour les salariés, la réparation des maladies professionnelles (MP) est régie par 85 tableaux et aucun d’entre eux ne correspond aux TMS. L’ampleur du phénomène TMS est noyée, du fait probablement de l’absence de système de recueil de données, d’information et une difficulté de traçabilité. Les seules études transversales menées jusqu’à présent (la plus importante a porté sur une population de 1 750 salariés) concernent quelques secteurs fortement exposés [1]. Ces études bien que n’ayant pas les mêmes bases méthodologiques montrent des prévalences élevées en matière de plaintes et de TMS avérés. Cependant, elles n’ont pas eu d’impact en termes de politiques publiques du fait de l’absence de données longitudinales qui mettent en relief l’incidence de la maladie. Ce type d’étude est très difficile à réaliser en absence de financement (fonds de prévention). Là encore l’éventail des acteurs est aussi restreint, se résumant aux universitaires qui s’activent dans des laboratoires ou mènent des projets de recherche avec un financement minime ne permettant pas le renouvellement et la pérennisation d’enquêtes épidémiologiques. Néanmoins, en 2010, le conseiller du ministre du Travail, lors de son allocution aux Journées de santé au travail, a clairement rapporté l’urgence de réviser les tableaux de MP en considérant les TMS comme une priorité. Par ailleurs, la politique d’aide sociale du pays empêche le licenciement des salariés. Ainsi, les répercussions socioprofessionnelles et financières des TMS sont supportées par les entreprises (baisse de productivité, de qualité, et d’absentéisme…) d’une part, et par le système de soins (rhumatologie, rééducation), d’autre part. La surveillance médicale des salariés est une obligation réglementaire en Algérie régie par un système de convention. Il n’existe pas de service interentreprises, les services de santé au travail sont implantés dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU) et les polycliniques du secteur de la santé publique. Les grandes entreprises possèdent leurs propres services. Structuration de l’emploi Au quatrième trimestre 2010, la structure de l’emploi selon le secteur d’activité montre la prépondérance du secteur tertiaire (commerce et services) qui absorbe plus de la moitié des emplois (55.2%), suivi par le BTP (19.4%), l’industrie (13.7%) et enfin l’agriculture (11.7%). En moyenne, deux occupés sur trois travaillent dans le secteur privé ou mixte (68% hommes, 49.5% femmes). Le salariat constitue la forme d’emploi qui concerne deux occupés sur trois (66.3%) ; 33.4% des occupés sont des salariés permanents et 32.9% des salariés non permanents et des apprentis. L’entreprenariat et l’emploi indépendant constituent 29.5% de la main-d’œuvre totale, alors que 4.2% des occupés sont des aides familiaux [2]. 251 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention La population en chômage au sens du BIT, est estimée à 1.076.000 personnes, soit un taux de chômage de 10%, avec des disparités assez significatives selon l’âge, le sexe et le niveau d’instruction ; le taux de chômage s’établit à 8.1% chez les hommes et atteint 19.1% chez les femmes. Il touche principalement les jeunes : le chômage des 16-24 ans atteint 21.5%, soit 1 jeune actif sur 5, alors que celui des adultes (25 ans et plus) s’établit à 7.1%. Matériels et méthodes Nous avons instauré au niveau de notre service un suivi des arrêts de travail en vue d’un recensement de la morbidité des salariés. Ce recueil de données nous a permis de voir qu’en matière de TMS les salariés s’orientent vers les médecins spécialistes en rééducation et en rhumatologie. Une faible proportion est diagnostiquée par les médecins du travail. Ceux-ci récupèrent les salariés à un stade avancé de la pathologie avec ou sans séquelles nécessitant un changement ou un aménagement de poste de travail ou une réorientation professionnelle. Ceci souligne une prise en charge tardive des TMS, en l’absence d’une politique de dépistage et de prévention. Ayant constaté, dans notre service de santé au travail, une augmentation des plaintes et des TMS avec arrêt de travail, nous avons expérimenté, en 2008, la mise en place d’une surveillance épidémiologique des TMS du membre supérieur en adaptant le protocole de surveillance en entreprise des Pays de la Loire en France [3]. Cette surveillance a été menée, grâce à la participation de 11 médecins du travail qui avaient tous reçu une formation à la démarche du consensus européen SALTSA [4]. Une formation qui a porté sur un échantillon de 933 salariés de huit entreprises relevant de secteurs industriels et agroalimentaires [5]. Résultats Les résultats montrent que près d’un salarié sur deux et un salarié sur quatre ont souffert de symptômes musculo-squelettiques respectivement au cours des 12 derniers mois et des sept derniers jours. L’épaule et la nuque étaient les régions les plus marquées par les plaintes sur les 12 derniers mois devant les coudes, poignets et les doigts. Chez un salarié sur cinq les symptômes ressentis ont une tendance à la chronicité (Tableau 1) Tableau 1 Prévalence (%) des symptômes musculo-squelettiques au cours des 12 derniers mois et des 7 derniers jours Symptômes Nuque Epaules Coudes Poignets Doigts Membres supérieurs Au cours des 12 derniers mois 19,7 [17,1-2,3] 31,2 [28,2-4,2] 12,4 [10,3-14,5] 11,6 [9,5-13,7] 6,3 [4,7-7,9] 49,7 [46,5-52,9] Pendant un mois ou plus 6 [4,5-7,5] 10,6 [8,6-12,6] 3,5 [2,3-4,7] 4,9 [3,5-6,3] 3,1 [2,2-4,4] 19,8 [17,2-22,4] Quotidiennement 1,6 [0,8-2,4] 2,3 [1,3-3,3] 0,8 [0,4-1,6] 1,6 [0,8-2,4] 1,5 [0,7-2,3] 5,3 [3,9-6,7] Au cours des7 derniers jours 8,5 [6,7-10,3] 14,9 [12,6-17,2] 6,9 [5,3-8,5] 8,6 [6,8-10,4] 5,9 [4,4-7,4] 25,8 [23-28,6] La prévalence des TMS diagnostiqués était élevée : 12% des salariés avaient au moins une forme unilatérale et/ou bilatérale avérée des six principaux TMS du membre supérieur, inclus dans la surveillance. L’épaule est la région la plus touchée par les TMS, suivie du poignet et du coude. Le syndrome de la coiffe des rotateurs et celui du canal carpien étaient plus fréquents chez les femmes, sans différence pour l’épicondylite latérale au niveau du coude (tableau.2). La prévalence des TMS avérée augmentait avec l’âge et le faible niveau de qualification professionnelle. ISBN : 978-2-913488-68-4 252 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Tableau 2 Prévalence des formes unilatérales et/ou bilatérales des principaux TMS (Les cas sont comptabilisés par sujet n =933) TMS (Pathologies) Prévalence globale (%) IC 95% Prévalence hommes (%) IC 95% Prévalence femmes (%) IC 95% Syndrome de la coiffe des rotateurs 6,3 [4.7 -7.9] 3,8 [2.1-5.5] 9,4 [6.6-12.2] *** Epicondylite latérale 1,6 [0.8-2.4] 2 [0.8-3.2] 1,2 [0.5-2.8] Syndrome du tunnel cubital 0,5 [0.2-1.2] 0,4 [0.1-1.4] 0,7 [0.2-2] Syndrome du canal carpien 2,8 [1.7-3.9] 1,6 [0.8-3.1] 4,2 [2.3-6.1] * Tendinites des extenseurs / fléchisseurs des doigts et du poignet 0,6 [0.3-1.3] 0,6 [0.2-1.7] 0,7 [0.2-2] Ténosynovite de De Quervain 0,8 [0.4-1.6] 0,6 [0.2-1.7] 0,9 [0.3-2.3] Au moins un des six principaux TMS 11,8 [9.7-13.9] 8,7 [6.2-11.2] 15,5 [12.1-15.9]*** p<0, 05, ** p<0, 01, ***P<0,001 Un salarié sur deux était exposé à au moins deux facteurs de risque biomécanique et psychosocial reconnu des TMS du membre supérieur. Les salariés cumulaient en moyenne trois facteurs de risque de TMSms (cou exclu), ce qui est considérable du fait du caractère multiplicatif des modèles de risque de TMS, avec une nette surexposition chez les femmes. L’intensité de l’exposition ne variait pas avec l’âge chez les deux sexes quelle que soit la zone anatomique du membre supérieur. Les salariés les plus jeunes (20-29 ans) étaient autant exposés que ceux plus âgés (50-59 ans). La catégorie « ouvrière qualifiée ou non » était la plus exposée. Discussion Les résultats de cette surveillance expérimentale montrent des prévalences de TMS et une intensité d’exposition aux facteurs de risque similaires à celles rapportées dans d’autres pays [6]. La mise en place d’une surveillance épidémiologique des TMS du membre supérieur dans notre contexte se heurte à certains freins et difficultés : • Condition d’accès à l’entreprise, le système de convention en médecine du travail restreint le champ d’action du médecin en matière d’accès aux entreprises non conventionnées entravant la généralisation de la surveillance à l’ensemble des entreprises. • L’autorisation de l’employeur est souvent difficile. Les chefs d’entreprise ont souvent une perception négative du médecin du travail du fait probablement qu’ils ne sont confrontés à ce dernier qu’en termes d’aménagement et de changement de poste. Ils ne perçoivent pas pour la plus part le bénéfice apporté par ce type d’enquête en matière de prévention, de dépistage et de rentabilité de l’entreprise. De plus la position du médecin du travail en tant qu’acteur de la prévention dans l’entreprise est difficile à tenir dans certains cas, car il est partagé entre les contraintes marchandes de l’entreprise, les doléances des partenaires sociaux et les plaintes des salariés. 253 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • Méthodologie et adaptation des outils de surveillance pour notre population : il n’était pas possible d’utiliser un auto-questionnaire. Au cours des visites médicales périodiques, le médecin du travail interrogeait le salarié sur les différents items du questionnaire en français et en arabe dialectal préalablement homogénéisés pour l’ensemble des médecins du travail du réseau. En moyenne le médecin consacre une heure pour chaque salarié (questionnaire et examen clinique). Ceci constitue d’une part, une charge de travail importante pour le médecin du travail réduisant ainsi l’effectif des salariés inclus dans le temps si l’enquête est menée de manière transversale, et entravant le fonctionnement de l’entreprise, chose qui n’est pas bien perçue par les chefs d’ateliers et par la direction de l’entreprise. • Intégrer la durée des absences des salariés dans les données de l’enquête. • Potentialisation des plaintes au cours de l’interrogatoire (effet blouse blanche) : dans ce type d’enquête, le médecin du travail va servir de passerelle pour la transmission des plaintes et doléances à la direction, ce qui amène le médecin à expliquer les objectifs et les attendus. • Mobilisation des médecins du travail : l’absence d’un programme de prévention et d’évaluation des risques professionnels fait que la collaboration du médecin du travail est souvent du ressort du volontariat ou de l’intéressement à une pathologie donnée. À ceci s’ajoute l’absence de rémunération qui semble être un très fort déterminant, en plus de la dépendance de certains médecins du travail de leurs employeurs. • L’absence de financement : dans notre cas, nous avons obtenu un financement en inscrivant notre projet de surveillance épidémiologique comme projet de recherche à l’Agence nationale de développement et de recherche en santé qui nous a octroyé un financement minime de l’ordre de 5000 euros. • Formation des médecins sur le protocole : la formation nécessite plusieurs séances avec une formation théorique et pratique (examen clinique standardisé) afin de garantir l’homogénéité et l’objectivité des pratiques. Ceci nécessite la disponibilité du médecin du travail qui n’est pas toujours autorisée par son employeur vu qu’elle ne s’inscrit pas dans un programme de prévention et d’évaluation des risques professionnels. Les médecins du travail utilisent souvent leur tiers-temps pour cette disponibilité. • Manque de formation des acteurs de prévention : dans le champ de la santé publique, la prévention du risque TMS concerne en priorité les acteurs de la prévention des risques professionnels que sont les médecins et infirmières du travail, les ergonomes, les responsables hygiènes et sécurité ainsi que les institutionnels de la prévention des risques professionnels (agents des services prévention des Caisses d’assurance maladie , des Agences régionales d’amélioration des conditions de travail , inspecteurs et médecins inspecteurs du travail et de la main-d’œuvre). À l’échelle nationale, il existe une seule structure qui est l’Institut national de la prévention des risques professionnels (INPRP). • Structuration de l’âge où les moins de 30 ans (2/3 de la population) sont souvent en manque de qualification et d’expérience. Ils sont orientés vers des emplois pénibles dans des entreprises privées où existent un turn-over important et une disparité de l’emploi, hommes/femmes. Ceci rend compte de la difficulté inhérente à identifier les populations et les groupes les plus à risque par les dispositifs de surveillance longitudinale, pour avoir une image réelle des plaintes, des TMS, et de l’exposition professionnelle. La surveillance épidémiologique des TMS est un outil de connaissance pour l’entreprise lui permettant de mieux appréhender les risques auxquels elle expose ses salariés et de cibler les interventions ergonomiques sur les situations de travail les plus à risque. Des stratégies de surveillance pertinentes sont disponibles, sous réserve de certaines précautions méthodologiques. Pour cela, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence des indicateurs de santé et des méthodes d’évaluation des risques en fonction de la taille de l’entreprise et de ses spécificités. Le défi est de pouvoir structurer notamment les médecins du travail en réseaux de surveillance locorégionale, afin de disposer de chiffres fiables et actualisés. C’est un préalable indispensable à l’établissement et au pilotage d’une politique de prévention des TMS. Mettre en place des structures de formation et de réorientation professionnelle, pour la prise en charge du retour à l’emploi, souvent problématique, après consolidation des TMS. La surveillance des TMS demeure un dispositif phare dans l’arsenal de la prévention, susceptible d’influencer les politiques de prévention à tous les niveaux. Dès lors, la prévention des TMS doit être conçue et conduite dans un cadre national et/ou institutionnel, organisée dans les branches, les secteurs ou les métiers et réalisée dans les entreprises. ISBN : 978-2-913488-68-4 254 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Bibliographie 1. Boukerma. Z. , Hassad. S., Tebbal F. ,Abbassene S., Hamadouche M. : TMS ou pathologie d’hypersollicitation musculo-squelettique : Etude chez les travailleurs de la région de Sétif. Journal algérien de médecine du travail, 2007 ;12 : 14-20. 2. Office national des statistiques, http://www.ons.dz/ 3. H a C., Roquelaure Y. : Réseau expérimental de surveillance épidémiologique des troubles musculosquelettiques dans les Pays de la Loire. Protocole de la surveillance dans les entreprises (2002-2004). Mai 2007, 84 pages. http://www.invs.sante.fr/publications/2007/protocole_tms_loire/protocole_tms_ loire.pdf 4. Sluiter J., Rest K., Frings-Dresen M.: Criteria document for evaluation of the work relatedness of upper extremity musculoskeletal disorders. Scand J Work Environ Health 2001;27(Suppl. 1):1–102. 5. G homari O., Beghdadli B.,Taleb M., Kandouci A.-B., Descatha A., Roquelaure Y., Fanello S. : Surveillance épidémiologique des troubles musculo-squelettique du membre supérieur en entreprise dans l’Ouest Algérien. Arch Mal,Prof, Envir,2010,71,781-9. 6. Ha C., Roquelaure Y., Leclerc A., Touranchet A., Goldberg M., Imbernon E. : The French Musculoskeletal Disorders Surveillance Program: Pays de la Loire Network. Occup Environ Med 2009;66:471-9. 255 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Stivab, une étude pluridisciplinaire sur la santé et les conditions de travail dans la filière viande bretonne. Quelles difficultés à mettre en débat les résultats et à passer de l’étude à l’action ? Patrick Morisseau Mutualité sociale agricole des Portes de Bretagne (France) Adeline Pornin Caisse centrale de la mutualité sociale agricole (CCMSA) (France) Le contexte et le montage du projet L a filière viande regroupe essentiellement l’abattage et la découpe des gros animaux et des volailles. Les salariés de ces entreprises peuvent dépendre du régime général de Sécurité sociale ou du Régime agricole (MSA). Elle est largement implantée en Bretagne où elle représente près de 30% de l’effectif salarié national de ce secteur. Au début des années 2000, les salariés de cette filière dépendant du Régime agricole étaient au nombre d’environ 6000 en Bretagne, répartis sur 16 entreprises de 40 à plus de 1000 salariés. Cette filière relativement jeune dans son mode actuel d’organisation industrielle devait alors faire face à de graves difficultés dans sa politique d’emploi : problèmes de santé des salariés, absentéisme et turn-over importants, difficultés à recruter et à fidéliser les salariés, mauvaise image de marque. Les salariés de la filière viande étaient connus pour être exposés à de multiples risques professionnels, dont le risque élevé d’accident du travail, spécialement en abattage et découpe des gros animaux, avec des contraintes articulaires et posturales, du bruit, du froid ou de l’humidité, des agents biologiques, ainsi que de fortes contraintes organisationnelles. De nombreuses pathologies professionnelles pouvaient être mises en relation avec ces contraintes multiples, au premier rang desquelles les troubles musculosquelettiques (TMS). Des actions de prévention avaient déjà été réalisées dans cette filière mais, de façon générale, les entreprises partageaient avec les « préventeurs » de la MSA, les médecins du travail et les conseillers en prévention, le sentiment que ces actions, telles qu’elles avaient jusqu’alors été élaborées, répondaient insuffisamment aux problèmes posés. En 1999, le CRPSS1 de Bretagne demande à la MSA de comprendre les facteurs entrant en jeu dans l’apparition et la pérennisation des difficultés dans sa politique d’emploi. Face à cette demande complexe, les caisses de MSA de Bretagne2, mettent en place un groupe de travail régional « santé-sécurité au travail » en 2000, constitué d’un médecin du travail et d’un conseiller en prévention de chaque caisse et de la directrice déléguée de l’AROMSA3. Ce groupe de travail a mené une réflexion sur les modalités de l’action à conduire pour aborder la question de la façon la plus complète possible. Les difficultés identifiées touchant des aspects de santé et d’emploi, la décision prise fut de réaliser une enquête pluridisciplinaire articulant trois approches : l’épidémiologie, la psychodynamique du travail et l’ergonomie. Pour cela, le groupe de travail s’adjoint les compétences d’experts scientifiques de ces différentes disciplines : • l’InVS (Institut de veille sanitaire) et l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) concernant la partie épidémiologie ; • le cabinet OMNIA pour l’ergonomie ; • le laboratoire de psychologie du travail et de l’action du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers). Ce groupe enrichi devient alors le groupe-pilote qui élabore et suit la démarche nommée « Échec et réussite de la fidélisation des salariés aux postes de la filière viande bretonne : interroger le travail et la santé pour agir ». L’objectif de la démarche est alors d’identifier et mesurer les paramètres qui entrent en cause dans l’échec ou la réussite de l’intégration d’un salarié et de la poursuite de sa carrière, afin d’identifier des leviers pour ISBN : 978-2-913488-68-4 256 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention réduire les effets délétères du travail sur la santé physique et mentale des salariés. Cet objectif global a été servi par l’articulation des approches (objectives et subjectives, qualitatives et quantitatives) de chaque discipline dont les apports enrichissaient les autres au fur et à mesure de l’avancée des travaux. À la fin de l’année 2002, l’intégralité de la démarche a été présentée aux directions et instances représentatives des salariés des entreprises de la filière et a reçu un accueil favorable. Méthodes Les approches épidémiologique, ergonomique et de psychodynamique du travail ont été menées parallèlement de 2003 à 2004. L’approche épidémiologique consistait en une enquête transversale, dont une première partie a porté sur l’ensemble des 6000 salariés de la filière agricole bretonne. La santé perçue était mesurée par l’Indicateur de Santé Perçue de Nottingham (ISPN). Les facteurs psychosociaux au travail étaient principalement décrits en utilisant le questionnaire de Karasek (demande, latitude et soutien social au travail). Une seconde partie de l’enquête a porté sur un échantillon représentatif de 1099 salariés de production tirés au sort. Pour ceux-ci, les TMS ont été évalués par le questionnaire dit « nordique » lors d’une visite médicale du travail. Parallèlement, les contraintes physiques et organisationnelles des postes de production ont été expertisées par les médecins du travail et conseillers en prévention de la MSA dans l’objectif de construire une matrice emplois-expositions. Résultats Le taux de participation à l’enquête postale était de 49,5%, et 80% des 3000 salariés constituant l’échantillon analysé travaillent en production, depuis la réception des animaux vivants jusqu’à l’expédition des produits finis. Pour toutes les dimensions du questionnaire de Karasek, les valeurs observées pour les salariés de production traduisent des contraintes plus élevées que pour les salariés hors production (tableau 1), une demande psychologique plus forte, une latitude décisionnelle plus faible, un soutien social au travail plus faible et une tension au travail plus fréquente. Cette différence est très importante pour toutes les dimensions à l’exception de la demande psychologique chez les hommes. Pour toutes les dimensions, ces résultats montrent des contraintes plus élevées chez les femmes que chez les hommes. Tableau 1 Contraintes psychosociales du travail (questionnaire de Karasek), prévalence des salariés exposés à une demande psychologique forte, une latitude décisionnelle faible, un soutien social faible et à une tension au travail selon le sexe et le poste de travail principal (production - hors production) 257 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Sur les 1099 salariés de production prévus à l’inclusion de la seconde partie de l’enquête, 998 ont été enquêtés et retenus pour l’analyse, soit un taux de participation de 90,8%. La prévalence des TMS se révèle particulièrement élevée chez les salariés de production, avec 65% des hommes et 79% des femmes ayant ressenti, au cours des 12 derniers mois, des symptômes au niveau des membres supérieurs (tableau 2). Tableau 2 Salariés de production - Prévalence des TMS dans les 12 derniers mois, répartition selon le sexe (N = 998) Restitution, mise en débat dans les entreprises et passage aux actions de prévention Le parti pris de cette démarche pluridisciplinaire était d’utiliser de façon concomitante des méthodes différentes, quantitative et clinique, afin de s’éclairer mutuellement pour mieux comprendre les problèmes posés et pouvoir ainsi proposer des pistes d’action. Il en est résulté la volonté de présenter l’ensemble des résultats obtenus sous la forme d’un rapport transversal rendant compte de leur complémentarité et servant de support à leur restitution dans les entreprises. Les directions des entreprises et les fédérations professionnelles de la filière, parties prenantes de la démarche dès son début, ont ainsi été destinataires fin 2004 d’un rapport pour chaque discipline mobilisée ainsi que du rapport transversal. Même si une majorité des chefs d’entreprise pouvaient individuellement reconnaître la cohérence des résultats observés avec ce qu’ils vivaient, de vives réactions ont cependant vu le jour de la part des fédérations professionnelles et de certaines entreprises. En effet, alors que le rapport transversal mettait globalement en évidence une concordance des résultats en ce qui concerne les facteurs de risques psychosociaux, quelles que soient les méthodes utilisées, ces réactions se focalisaient essentiellement sur les résultats cliniques, au travers des expressions de ressenti subjectif des salariés ayant participé aux enquêtes. La crainte d’une dévalorisation supplémentaire de l’image de marque de la filière auprès du grand public transparaissait fortement au travers de ces réactions. La mise en place des actions de prévention nécessaires au vu des résultats de l’étude ne pouvait se passer de l’assentiment des directions quant au bien-fondé de ces résultats et des pistes d’action proposées. Des discussions prolongées durant toute l’année 2005 entre le groupe-pilote et les directions et fédérations ont permis de lever les malentendus et d’aboutir à une issue favorable, sous réserve de ne pas diffuser publiquement le rapport transversal. La restitution des résultats, sous la forme qui était prévue, a ainsi pu se faire dans les entreprises de fin 2005 à mi 2006 devant les directions et les CHSCT pour 13 des 16 entreprises. Elle a nécessité l’élaboration préalable par le groupe-pilote d’un argumentaire précis à destination des conseillers en prévention et médecins du travail qui l’ont réalisée dans chacune de leur entreprise. À l’issue de ces restitutions, trois situations ont pu être individualisées dans les entreprises : • des entreprises où aucune action d’envergure n’a pu être envisagée dans les suites de l’étude, mais sans que soient exclues les possibilités de collaboration avec la MSA sur des projets ponctuels ; ISBN : 978-2-913488-68-4 258 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention • des entreprises où un climat propice à des actions de prévention existait et que la présentation des résultats STIVAB a pu dynamiser ; • trois entreprises qui ont résolument décidé de s’engager dans des actions préventives importantes visà-vis des TMS à la suite de la présentation des résultats. Pour ces 3 entreprises, ceci s’est fait dans le cadre de d’une formation-action grâce à l’intervention d’un consultant externe et avec la collaboration des médecins du travail et conseillers en prévention de la MSA. Elles ont toutes les trois abouti à des actions d’amélioration des conditions de travail spécifiques dans certains ateliers. Dans tous les cas, que des actions aient pu être réalisées dans les suites immédiates de cette étude ou non, les conseillers de prévention et médecins du travail ont eu le sentiment de retombées positives. D’une part, cela leur a permis de mieux appréhender la complexité et l’intrication des facteurs de risque de TMS et de RPS, et d’autre part, cela a été une opportunité d’aborder dans les entreprises ces problèmes de santé-sécurité et d’organisation du travail qui n’avaient pu être traités auparavant de cette manière et avec cette authenticité. Quelles pistes de travail ressortent pour les entreprises ? Cette enquête propose un croisement de regards qui permet de comprendre un certain nombre d’impasses dans lesquelles les entreprises se retrouvent malgré les solutions qu’elles cherchent à mettre en place afin de prévenir un certain nombre de difficultés. En effet, les entreprises de la filière viande (comme dans n’importe quel autre secteur) doivent faire face à des problèmes récurrents (turn-over, maladies professionnelles, absentéisme…) et vont chercher à les résoudre par des solutions connues de tous pour y répondre. Prenons, par exemple, le cas de la polyvalence qui va s’envisager comme un moyen de réduire les temps d’exposition à de la pénibilité physique ou à de la monotonie. La mise en œuvre de cette polyvalence va devoir s’articuler à d’autres problèmes qui se présentent classiquement à l’entreprise mais dont on se rend compte que la polyvalence peut aussi être le moyen d’y répondre. Cette solution va donc permettre à un opérateur de remplacer au pied levé un autre opérateur mais sans que soient pris en compte les aspects de pénibilité qui étaient à l’origine de sa mise en œuvre. Nous voyons ici qu’un « cercle vicieux » s’installe qui va potentiellement être la source de problèmes de santé pour les salariés et de perte d’efficacité pour l’entreprise. L’enquête montre aux entreprises, que la majorité des problèmes qui se posent ont une origine multifactorielle et que pour agir efficacement, il est nécessaire d’agir sur plusieurs plans en même temps. Si l’on reprend l’exemple de la polyvalence, l’étude montre que dans les entreprises elle est considérée comme une réponse de prévention, mais : • elle n’est pas réellement organisée et planifiée, • elle s’effectue sur des postes comportant des tâches différentes mais pas des gestes ou contraintes différents ; • le temps d’appropriation pour chaque poste n’est pas ou peu pris en compte ; • elle génère une mobilité imprévisible qui peut nuire aux collectifs de travail… Il apparaît donc qu’organiser la polyvalence implique de la part des entreprises une véritable conduite de projet permettant de prendre en compte différents aspects d’organisation du travail, d’aménagement de poste et de management. Conclusion Cette étude a aider à faire des liens entre conditions de travail, production et état de santé des salariés. Elle n’a pas mis en évidence des éléments inconnus des entreprises, mais elle les a quantifiés et envisagés sous un angle nouveau, ce qui a permis d’en retirer des pistes de réflexion toujours d’actualité aujourd’hui dont les entreprises n’ont plus qu’à se saisir pour les rendre opérationnelles et efficaces. 259 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Les affections périarticulaires et les données « chiffrées » dans l’entreprise Daniel Depincé, Joël Maline ARACT Basse-Normandie (France) L es nombreuses études réalisées par les communautés scientifiques francophones et mondiales, depuis quelques décennies, sur la problématique des affections périarticulaires ont montré que de nombreux facteurs sont à l’origine de ces pathologies. Outre les facteurs biomécaniques et psychosociaux, les différentes analyses ont mis en exergue des dysfonctionnements inhérents à l’organisation du travail en vigueur dans l’entreprise comme causes potentielles de survenue de ces difficultés de santé pour les salariés. Face à l’apparition, en son sein, de ces problématiques santé, les entreprises se retournent généralement vers la passation d’un questionnaire pour avoir des éléments de compréhension sur leurs origines et ainsi pouvoir mettre en œuvre des actions de prévention. Malgré le fait qu’il est difficile dans un questionnaire de cibler de façon précise l’organisation du travail au sein de situations de travail, cet outil peut être intéressant dans les entreprises avec un nombre de salariés conséquent et ayant à sa disposition un acteur interne chargé de le déployer (élaboration, passation, analyse). Par contre, il s’avère peu efficace et difficile à utiliser dans les petites entreprises. Hormis les questionnaires, il existe dans les entreprises de nombreuses sources d’informations qui peuvent renseigner l’organisation du travail et ainsi faire un lien avec la survenue des problématiques santé dont les affections périarticulaires. On peut citer les procès-verbaux des organes institutionnels (CHSCT, CE, réunion des DP…), les indicateurs du climat social…. Les données chiffrées en sont une autre, mais elles sont généralement sous-exploitées alors qu’elles sont partout présentes dans l’entreprise, et qu’elles peuvent servir soit d’outil d’intervention, d’outil de médiation, ou d’outil de suivi. Les données chiffrées dans l’entreprise Les entreprises s’appuient sur des données, des indicateurs qui leur permettent d’avoir une vision sur leurs activités et de définir des priorités. Au niveau des directions, ces indicateurs sont globaux et rassemblent l’ensemble des différentes données concernant le fonctionnement général. On les retrouve en partie dans le bilan social. Quel que soit le domaine ou le secteur de l’entreprise, chaque responsable ou dirigeant, a mis, lui aussi, en place un recueil de données lui permettant de suivre au plus près le fonctionnement de son service. Renseignés par les opérateurs ou l’encadrement de proximité, ces indicateurs d’activité sont collationnés au niveau du service pour être exploités immédiatement (ce qui leur permet de réagir au plus tôt) et être rassemblés pour servir de tableau de bord à l’activité du service. Principales données existantes dans l’entreprise par domaines ISBN : 978-2-913488-68-4 260 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Difficulés lors du recueil et précautions de traitement La première difficulté qui peut apparaître quand il s’agit de recueillir les données en entreprise est d’identifier l’interlocuteur qui gère les données. Si dans les entreprises où existent des services spécialisés (RH, comptabilité…) cela s’avère relativement facile, dans les petites et moyennes entreprises il faut souvent se retourner vers la personne chargée du suivi administratif. L’absence de certaines données et leur niveau de qualité constituent une deuxième difficulté. En effet : • Certaines peuvent être absentes au sein de la structure car l’entreprise n’a jamais eu besoin de s’en servir ou n’a jamais eu l’intérêt de s’en servir (Exemple : lors d’une intervention, il n’existait ni pyramide des âges, ni pyramide de l’ancienneté). Dans ce cas, l’entreprise a dû élaborer ce nouvel indicateur. • Certaines ne sont pas exploitables. Les intervenants peuvent se voir présenter un fichier existant, quelquefois incomplet, non mis à jour mais n’ayant jamais fait l’objet d’un quelconque traitement. • Il est parfois difficile de suivre les données « historisées ». Dans certaines entreprises, les changements fréquents de système d’exploitation informatique entraînent des pertes d’informations; dans ce contexte, il est donc difficile voire impossible de suivre l’évolution au fil des temps de ces indicateurs. • Elles peuvent être globales, et quand l’intervenant souhaite avoir un zoom sur un secteur, il est nécessaire de reconstituer les données pour ce secteur. (Exemple : les données sur le turn-over sont globales (un taux) alors qu’il peut être intéressant en fonction de la thématique travaillée d’avoir cette information par secteur de l’entreprise). • Elles sont de temps à autre hétérogènes au sein de l’entreprise. En effet, chaque service peut n’avoir collationné que les données le concernant et les présenter sous des références différentes. Il est difficile dans ce cas-là de les croiser. Par exemple : lors d’une intervention concernant les accidents du travail, le service sécurité renseignait les individus, le poste de travail, son implantation et le lieu même de l’accident (niveau atelier) alors que les données RH pointaient uniquement un département (celui-ci étant composé de nombreux ateliers). L’élaboration des fichiers de données est souvent chronophage, aussi faut-il des fois patienter avant de les recueillir et les traiter. Par ailleurs, les données doivent être abordées avec précaution, car elles peuvent présenter des incohérences liées au mode de gestion et ne pas s’appuyer sur la réalité du travail. Par exemple : lors d’une intervention sur l’absentéisme dans une entreprise de l’agro-alimentaire, il apparaît qu’une qualification (conducteur) concentre le maximum d’absences par rapport aux autres. L’analyse montre que les salariés incriminés effectuent, en fonction de la charge de travail et des effectifs présents, les tâches relatives au métier mais également de nombreuses activités liées à d’autres métiers (aide-conducteur, agent de production). L’utilité des données « chiffrées » Outil d’intervention (au sens d’élément servant à résoudre un problème) Elles ont un rôle prépondérant pour éclairer la compréhension de la problématique dans l’entreprise si cela repose sur un traitement progressif et ciblé. Elles n’ont pas vocation à être toutes analysées, traitées et au même moment. En fonction de la phase de l’intervention, certaines seront interrogées pour déclencher, quantifier, caractériser ou révéler les phénomènes à l’œuvre dans l’entreprise. 261 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Utilité des données en fonction de l’avancement de la réflexion cc Une donnée seule ne suffit pas à comprendre la genèse des problèmes étudiés. Il est nécessaire, lors des phases de traitement et d’interprétation, de la mettre en relation avec d’autres, de les lier, de les croiser. Deux temps d’analyse sont à effectuer : • un premier temps où l’on croise les données collectées entre elles; • un second temps où l’on relie les données collectées avec celles issues de l’analyse des conditions de réalisation du travail. Ce travail pourra s’effectuer à l’aide d’un seul graphique (histogramme, camembert, diagramme triangulaire…) ou en mettant en parallèle deux ou trois graphiques dédiés à une donnée. En préalable à l’analyse du travail, ce traitement permet de « faire parler » les données et de voir apparaître des premières hypothèses de compréhension. Par exemple, le croisement « âge/ ancienneté/ date d’apparition des pathologies/ secteur » permettra de repérer les populations et secteurs de l’entreprise qui feront l’objet d’une attention soutenue dans l’analyse. Un croisement « accident du travail/ évolution de la production/ évolution de la qualité » éclairera la survenue des accidents du travail et interrogera l’organisation du travail en place à l’époque concernée. Une mise en parallèle « évolution des MP/ évolution des effectifs/ évolution de la production » permettra d’interroger l’organisation du travail en place depuis, par exemple, la période de suppression de postes. Trop souvent, les données fournies par les entreprises sont globales (taux d’absentéisme, nombre de MP…). Pour pouvoir comprendre et mettre en débat la problématique, il est nécessaire que les données soient élaborées à un niveau pertinent par rapport à ce qui doit être analysé (ateliers, services, bureaux…). Par exemple : dans cette entreprise, le travail des données d’absentéisme, par secteur, montre qu’en l’espace de trois années, le secteur laboratoire, qui ne représente que 2% des opérateurs, a vu sa représentation des jours d’arrêt, en pourcentage, passer de 1% à 12%. Ce qui a interpellé l’entreprise lors de la présentation de ces informations en CHSCT. ISBN : 978-2-913488-68-4 262 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention L’analyse des observations du travail produit également des données quantifiées issues des conditions concrètes de réalisation du travail. Le travail des opérateurs peut être transcrit en données chiffrées (longueur des déplacements, nombre de mouvements des membres supérieurs…). Ces informations ne sont pas toujours connues ou prises en compte par les encadrants et ne font pas, au sein des services, l’objet d’un recueil spécifique. Pourtant quand elles sont reliées aux données générales, elles peuvent apporter un supplément de compréhension à la survenue des pathologies. Par exemple : dans une entreprise, la mise en place par le service qualité de la traçabilité des produits nécessite l’apposition sur les produits finis d’une étiquette spécifique. Cette tâche supplémentaire entraîne pour l’opératrice en poste 3600 pincements de doigts en une journée. Depuis quelques temps, il est noté par le service santé une évolution positive des pathologies relevant du tableau de maladie professionnelle numéro 57 au niveau de ce secteur d’activité. L’apport de la donnée issue du travail réel de l’opératrice permet de préciser l’origine de ces pathologies. Outil de médiation (au sens d’élément d’information servant de point de départ à un raisonnement partagé) La présentation des données chiffrées traitées au cours des réunions des instances représentatives du personnel permet de réfléchir ensemble sur les indicateurs. Chaque pic ou creux est décortiqué et sujet à des interprétations de la part des uns et des autres. Souvent le lien avec l’histoire et les changements dans l’entreprise sont inévitables et permettent, à terme, un consensus autour de la table sur l’explication. Il apparaît fréquemment qu’autour de ces éléments révélés, les représentants du personnel détiennent habituellement la mémoire de l’entreprise. Les données deviennent alors un outil du dialogue social. Par exemple : dans cette entreprise, la présentation de l’évolution du nombre de pathologies engendrées depuis 2000 a interpellé les membres du CHSCT. La nouvelle direction, arrivée depuis peu, s’est fait expliquer par les représentants du personnel les évolutions de l’organisation de l’entreprise à cette période. Les données ne fournissent pas « la vérité » mais constituent le point de départ à la mise en place de la réflexion. Elles participent de la médiation sociale dans l’entreprise dans la mesure où elles permettent de construire une représentation partagée d’une situation et jettent les bases d’une action future reposant sur des critères objectivés. L’action future envisagée par l’entreprise peut prendre deux directions. La première qui est, à partir de l’état des lieux constitué par les données chiffrées, d’engager des actions de correction des situations existantes. C’est ce cas d’espèce (entreprise A) qui est le plus souvent rencontré dans les interventions. 263 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Dans d’autres entreprises (B), mais de façon moins automatique, les données chiffrées (état des lieux) sont corrélées avec des modifications prévues dans l’entreprise (organisation, poste de travail…). Elles permettent ainsi d’enrichir la vision prospective des futures situations de travail et des « pathologies futures possibles » et de proposer des actions d’amélioration des situations de travail Dans cette entreprise A, l’analyse des données montre que les pathologies ne sont pas apparues chez les opérateurs en 2010 quand la plus part d’entre eux avaient plus de 50 ans, mais quand ils avaient moins de 45 ans et pour beaucoup plus de 15 ans d’ancienneté. Ce travail sur les données croisant âge, ancienneté et pathologie réinterroge l’entreprise sur la relation de cause à effet entre vieillissement et dégradation de la santé. Dans ce cas, la santé n’est pas dégradée à cause de l’âge des salariés mais bien à cause d’une durée d’exposition à des conditions de travail qui semblent être pénibles. Cela pousse à caractériser la pénibilité et à poser la question des parcours professionnels. Dans cette autre entreprise B, un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) a été déployé. De nombreux emplois ont été supprimés et de nouvelles organisations du travail ont été instituées dans les ateliers de production. A l’initiative du CHSCT, une étude sur les futures conditions de travail a été réalisée. Le traitement des données démographiques, RH, sécurité, santé, qualité et production fait apparaître : • une population vieillissante et avec beaucoup d’ancienneté (en particulier les femmes) dans les secteurs de production (et en particulier dans deux secteurs : coupe et façonnage) ; • un absentéisme « maladie » qui augmente plus vite que l’absentéisme global ; • soixante-dix départs de l’entreprise (dont 33% liés à des licenciements) pour 15 arrivées sur 5 ans ; • une diminution des réclamations clients ; • au niveau des pathologies, deux services particulièrement touchés (coupe et façonnage). 70% des pathologies apparaissent après 10 ans d’ancienneté. ISBN : 978-2-913488-68-4 264 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Certains métiers au façonnage sont plus « pathogènes » que d’autres. Des fonctions (conducteurs) ne présentent plus de pathologies maintenant, alors que d’autres (agents de production) dans le même secteur en voient apparaître de nouvelles. Lors de la présentation de ces indicateurs au CHSCT, le lien a été établi avec le PSE qui va entraîner la suppression de 18 postes d’agents de production et une nouvelle organisation du travail au façonnage. Des craintes d’apparition de nouvelles pathologies chez ce personnel (qui en plus de son travail de conducteur assurera une partie du travail des agents de production) ont été évoquées. Après discussion, la Direction a souhaité qu’une analyse du travail dans ce secteur soit réalisée afin d’envisager le plus tôt possible, et avant l’apparition éventuelle de pathologies, des actions de prévention pertinentes. Outil de suivi (au sens de représentation d’une information en vue d’un traitement automatique) Le travail de mise en forme des données destiné à la présentation pour que celles-ci soient facilement assimilées par les différents acteurs de l’entreprise permet de formaliser, à un moment donné, les « traces » présentes dans l’entreprise. Les graphiques et histogrammes ainsi conçus ne demandent qu’à être complétés année par année afin de suivre l’évolution des éléments qu’ils représentent. Ils deviennent donc des « tableaux de bord » sur lesquels l’entreprise peut s’appuyer pour suivre les résultats de ses actions de prévention et repérer des dérives pouvant générer de nouvelles pathologies. Conclusion Traiter de la santé au travail (et en particulier des affections péri-articulaires) nécessite de traiter des données et surtout dans la durée. S’il est important de posséder des données épidémiologiques pour pouvoir définir des politiques de santé au niveau national ou au niveau des branches professionnelles, il est indispensable de posséder et d’utiliser des données « chiffrées » locales, propres à l’entreprise lorsque celle ci souhaite mettre en place des actions de prévention correctives ou préventives. Pour que l’apport de connaissances nécessaires à la construction de la prévention qu’elles permettent et le débat social qui peut s’engager autour d’elles soient profitables, il apparaît nécessaire que : • Les entreprises se dotent de données homogènes, « historisées », non seulement globales mais également par service. Étant actuellement peu présentes, incomplètes ou hétérogènes il est nécessaire, pour pouvoir les utiliser, de les construire. Cette construction va demander du temps et quelquefois générer des freins de la part de certains. Freins qui pourront avoir pour origine le secret médical, le secret industriel, la charge de travail des acteurs, les cloisonnements inhérents au fonctionnement de l’entreprise… Pour qu’elles puissent disposer de ces outils, les entreprises devraient s’engager dans une conduite de projet sur la mise en place (définition, caractéristiques, éléments à recueillir) et le suivi des indicateurs qu’elles jugent pertinents et nécessaires en leur sein pour « éclairer » leur politique de prévention. • Les intervenants internes (responsable sécurité, infirmière…) et extérieurs (médecin du travail, intervenant en santé au travail, consultant ergonome…) puissent réaliser les analyses adéquates (analyse démographique, des indicateurs RH, santé, etc.) en utilisant les outils dédiés (histogrammes, histogrammes décalés, diagramme triangulaire…) et les croiser ensemble afin d’aider les décideurs de façon rétrospective et/ou prospective. Il est essentiel de clarifier les différents outils utilisés dans les entreprises pour éclairer les problématiques santé. La sur-représentation des questionnaires, que beaucoup d’acteurs utilisent comme outils d’information principaux, a souvent évacué l’analyse globale des données « chiffrées » de la réflexion initiale. Or l’expérience montre que les questionnaires ne sont pas suffisants en eux-mêmes, qu’ils nécessitent un temps d’élaboration, de passation et d’exploitation non négligeable et que les liens avec l’organisation sont difficiles à mettre en évidence. Les données « chiffrées » permettent, par la mise en exergue d’un creux ou d’un pic, de s’interroger sur cet état et de faire rapidement le lien avec les organisations du travail mises en place. 265 ISBN : 978-2-913488-68-4 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011 Session 6 Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention Bibliographie Caroly S., Coutarel F., Escriva E., Roquelaure Y., Schweitzer J.M., et Daniellou F. (coord.) (2008). La prévention durable des TMS : Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport d’étude pour la Direction Générale du Travail. Disponible sur le site www.anact.fr, dans le dossier thématique TMS. Caroly, S., Depincé, D, Lecaille, P. (2008). Organizational Design For Sustainable Prevention Of Musculoskeletal Disorders. Congress ODAM, Sao-Paulo, 19-21 mars 2008. Depincé, D., Escriva, E., Maline, J. (2002) Sur quoi et comment communiquer pour décaler les représentations et permettre une nouvelle approche des risques et de la prévention ? XVI congrès mondial sur la santé et la sécurité au travail Vienne (Autriche). Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., Kerguelen, A. (1997) Comprendre le travail pour le transformer : la pratique de l’ergonomie, éditions ANACT. ISBN : 978-2-913488-68-4 266 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011