Actes du 3e congrès francophone sur les troubles

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Actes du 3e congrès francophone sur les troubles
Actes du 3e congrès
francophone sur les troubles
musculosquelettiques
Éditions du réseau ANACT
Pour retrouver les ouvrages déjà publiés aux Éditions du réseau ANACT :
www.anact.fr
Quatre thématiques majeures :
• Gestion des âges
• Santé au travail et prévention des risques
• Développement des compétences
• Changement technique et organisationnel
Des objectifs communs :
• Améliorer conjointement les conditions de travail et la performance
de l’entreprise
• Impliquer tous les acteurs concernés
Déjà parus :
• Du management des compétences
au management du travail
Bernard devin, Christian Jouvenot
et Florence Loisil (coord.)
306 pages - 2009
• Analyser les usages des systèmes
d’information et des TIC :
quelles démarches, quelles méthodes ?
sous la direction de
Marie Benedetto-Meyer
Romain Chevallet
288 pages - 2008
• Des services publics face aux violences :
concevoir des organisations source
de civilité
Le Réseau ANACT existe depuis plus de 30 ans et couvre l’ensemble du territoire ;
il se compose de :
• l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, établissement
public sous tutelle du ministère en charge du Travail ;
• 26 associations régionales (ARACT), structures de droit privé, administrées
de manière paritaire et financées par l’État (ANACT-DRTEFP) et les Régions.
Francis Ginsbourger
144 pages - 2008
• Le travail, un défi pour la GRH
Rachel Beaujolin-Bellet, Pierre Louart
et Michel Parlier (coord.)
272 pages - 2008
• Prévenir le stress
et les risques psychosociaux
Benjamin Sahler,
en collaboration avec
La loi du 11 mars 1957 n’autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l’article 41, d’une part, que les « copies
ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective »,
et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple d’illustrations, « toute
représentation ou reproduction intégrale, ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa 1er de l’article 40).
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit constituerait donc une contrefaçon
sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
Le code de la propriété intellectuelle du 1 juillet 1992 interdit en effet expressément la photocopie à usage
collectif sans autorisation des ayants droit. Or cette pratique s’est généralisée notamment dans les
établissements d’enseignement, provoquant une baisse brutale des achats de livres, au point que la possibilité
même pour les auteurs de créer des œuvres nouvelles et de les faire éditer correctement est aujourd’hui
menacée.
er
© ANACT, 2012
Conception de la maquette et
mise en page : Double Action
ISBN : 978-2-913488-68-4
ANACT : 192, av. Thiers - CS 800 31 69457 LYON CEDEX 06
Tél. : 04 72 56 13 13 - Fax : 04 78 37 96 90
Michel Berthet, Philippe Douillet,
Isabelle Mary-Cheray
et le groupe projet du réseau ANACT
270 pages - 2007
• Faire face aux exigences
du travail contemporain
Pascal Ughetto
164 pages - 2007
• Dessine-moi une trajectoire
Nicole Raoult (coord.) et al.
(CD Rom de paroles d’experts inclus)
440 pages - 2006
• Réconcilier la stratégie
et l’opérationnel : l’approche
« processus-compétences »
Renée Demeestere, Vincent Genestet,
Philippe Lorino
102 pages - 2006
• Flexi-sécurité : l’intervention
des transitions professionnelles
Danielle Kaisergruber
140 pages - 2006
• Être cadre, quel travail ?
sous la direction de
Yves-Frédéric Livian
288 pages - 2006
• Troubles musculosquelettiques
et travail : quand la santé interroge
l’organisation
Fabrice Bourgeois, Claude Lemarchand,
François Hubault, Catherine Brun,
Alexis Polin, Jean-Marie Faucheux,
Philippe Douillet, Emmanuel Albert
320 pages - 2006
• Comprendre le travail
pour le transformer :
la pratique de l’ergonomie
François Guérin, Antoine Laville,
François Daniellou, Jacques Duraffourg,
Alain Kerguelen
Réimpression de l’édition de 1997
320 pages - 2006
• Développer les capacités des hommes
et des territoires en Europe
sous la direction de
Robert Salais et Robert Villeneuve
(traduction de l’édition anglaise parue
aux Presses de l’Université de Cambridge)
456 pages - 2006
• Élaborer des référentiels
de compétences
sous la direction de
Christian Jouvenot et Michel Parlier
Préface de Daniel Atlan
464 pages - 2005
• Changer le travail…
oui mais ensemble
Henri Rouilleaut, Thierry Rochefort
Préface de Jean Gandois
et postface de Jean-Christophe Le Duigou
512 pages - 2005
L
e congrès 2011 est structuré autour de deux thèmes principaux, traversés par des préoccupations
telles que l’évaluation des interventions et la spécificité des secteurs et des populations : quelle place
accorder aux risques psychosociaux et aux outils pour prévenir les troubles musculosquelettiques (TMS) ?
Les liens entre TMS et risques psychosociaux
La médiatisation du thème des risques psychosociaux conduit à explorer leurs interactions avec la
prévention des TMS. Quelles questions sur l’organisation du travail ? Comment faire un diagnostic
intégrant tous les facteurs de risque ? Comment construire une intervention institutionnelle sans
réelle demande ? Quelles spécificités du secteur des relations de service ? Qu’entend-on par charge
émotionnelle ?
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de la prévention
Les outils et méthodes sont nombreux dans le domaine du diagnostic des TMS. En quoi la production
de données sur les expositions conduit les acteurs à s’engager dans l’action ? Quels sont les outils
pertinents ? Quelle transformation de ces outils dans la pratique des acteurs de la prévention ? Quelles
sont les limites des outils existants ? En quoi les outils permettent-ils de tenir compte de la diversité
des population et de la variabilité des situations de travail ?
Avec tous nos remerciements
• Aux membres du comité scientifique du groupe francophone sur les TMS pour la préparation scientifique
de ce congrès :
Michel Aptel (Chercheur Professeur, CHU Besançon, France), Agnès Aublet-Cuvelier (Chercheur,
INRS, France), Marie Bellemare (Chercheur, Université de Laval, Canada), René Brunet (Chercheur
LEEST, France), Sandrine Caroly (Enseignant-chercheur, PACTE, France), Fabien Coutarel
(Enseignant-chercheur, Université de Clermont-Ferrand, France), Denis Denys (Chercheur, IRSST,
Canada), Alain Delisle (Chercheur, Université de Sherbrooke, Canada), Alexis Descatha (Chercheur,
UVSQ Inserm, France) Marie-José Durand (Chercheur, Université de Sherbrooke, Canada),
Évelyne Escriva (Chargée de mission, ANACT, France), Ohtmane Ghomari (Chercheur, Université
Djilali Liabes, Algérie) Catherine Ha (Chercheur, InVS, France), Nicolas Hatzfeld (EnseignantChercheur, Université d’Évry, France), Taouffi Khalfallah (Médecin du travail, Université de Tunis
Tunisie), Fabienne Kern (Enseignant-Chercheur, IST, Suisse), Annette Leclerc (Chercheur, INSERM,
France), Sylvie Ouellet (Chercheur, IRSST, Canada), Alain Piette (Ergonome attaché au Service public
fédéral, Belgique), Johanne Prévost (Ergonome-Conseillère en prévention, CSST, Canada), Yves
Roquelaure (Professeur, LEEST, France), Marie Saint-Vincent (Chercheur, IRSST, Canada), Adriana
Savescu (Chercheur, INRS, France), Pascal Simonet (Doctorant, CNAM Paris, France), Susan Stock
(Médecin et chercheur, INSPQ, Canada), Ghislaine Tougas (Ergonome, DSP de Montréal, Canada),
Georges Toulouse (Chercheur, IRSST, Canada), Annie Touranchet (Médecin-inspecteur, DIRECCTE,
France), Nicole Vézina (Professeur, UQAM, Canada).
• Aux membres du comité d’organisation pour la préparation logistique du congrès :
Jack Bernon (ANACT, France), Élisabeth Blanc (PACTE, France), Thierry Bontems (PACTE, France),
Frédéric Bottala (UPMF, France), Sandrine Caroly (PACTE, France), Christelle Casse (PACTE,
France), Amélie DePhuoc (Université de Lyon, France), Évelyne Escriva (ANACT, France), Gilles
Heude (ANACT, France), Nicole Geoffray (ANACT, France), Catherine Guibbert (ANACT, France),
Catherine L’Allain (PACTE, France), Delphine Lamborot (ANACT, France), Aurelie Landry (UPMF,
France), Elsa Laneyrie (UPMF, France), Martine Milleret (Ethic Ergonomie, France), Catherine Morel
(PACTE, France), Julie Pavillet (UPMF, France), Agnès Rochette (PACTE, France), Jérémie Schneider
(PACTE, France), Hassan Skaiky (PACTE, France), Véronique Strippoli (PACTE, France), Stéphanie
Tillement (PACTE, France), Tiphanie Viney (PACTE, France), Hedi Zammouri (PACTE, France) • À l’ensemble des intervenants pour la qualité de leur présentation.
La présente édition des ACTES du 3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques a été assurée par
Christian Mahoukou du Département Transfert et Communication (DTC) de l’ANACT.
Sommaire
Introduction générale au congrès 2011 du groupe de recherche francophone sur les tms
Nicole Vézina, Alexis d’Escatha, Sandrine Caroly, Évelyne Escriva
p. 2
Session 1 - Introduction des thèmes transversaux
p. 4
Les enjeux de l’évaluation des interventions pour la prévention des TMS : pourquoi et comment apprécier les effets d’une action de prévention ? » Fabien Coutarel
p. 5
Diversité des populations et TMS : causes, associations ou facteurs de confusion ? Karen Messing
p. 10
Diversité des acteurs : quelles coopérations pour la prévention des TMS ? Sandrine Caroly
p. 16
Session 2 - Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS)
et risques psychosociaux (RPS)
p. 20
Usure physique, usure psychique : entre convergences et décalages, quelques repères historiques. Nicolas Hatzfeld
p. 21
Session 3 - Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ?
p. 27
Souffrance sociale, répression psychique et troubles musculosquelettiques. Philippe Davezies
p. 28
TMS-RPS : l’hypothèse de l’hypo-sollicitation de l’activité. Yves Clot
p. 29
Session 4 - Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS)
et risques psychosociaux (RPS)
p. 30
Facteurs de risque psychosociaux et TMS. Annette Leclerc
p. 31
Les relations entre les TMS et les risques psychosociaux au travail : un modèle conceptuel. Susan Stock
p. 32
Atelier 1 - L’organisation de la prévention des TMS et des RPS - Évelyne Escriva, Marie Saint-Vincent
p. 33
Organiser la prévention des TMS et RPS : proximités et différences. Une réflexion à partir des pratiques d’entreprises.
Evelyne Escriva, Philippe Douillet
p. 34
Des TMS aux RPS, vers une approche globale du travail. Cécile Briec, Yannice Clochard
p. 39
Traiter de « surcharge de travail », une intégration des troubles musculosquelettiques et des risques psychosociaux.
Micheline Boucher
p. 46
Les pratiques de management : un incontournable dans la prévention des risques psychosociaux au travail. Michel Vézina,
Carole Chénard
p. 47
De l’intérêt de lier « TMS » et « RPS » : quelles implications pour l’organisation de l’action de prévention ? Fabien Coutarel
p. 51
Atelier 2 - Relations de service, charge émotionnelle et affects - George Toulouse, Marie Bellemare,
Corinne Van de Weerdt
p. 56
Introduction sur la prise en compte des émotions et des affects dans les relations de service. Corinne Van De Weerdt
p. 57
Approche ergonomique des risques psychosociaux associés aux TMS : l’étude de la charge émotionnelle des préposés au service d’urgence de la sécurité publique. George Toulouse, Louise St-Arnaud, Anne Marché-Paillé, Denis Duhalde,
Alain-Steve Comtois, Alain Delisle p. 62
La qualité du travail : un enjeu majeur pour le développement de la santé. Johann Petit, Bernard Dugué
p. 68
L’induction d’émotions positives au cours des soins aux patients désorientés comme facteur de protection des TMS chez les soignants. Pierre Poulin, Julie Bleau
p. 69
Atelier 3 - Environnement psychosocial du travail : définitions et outils pour le caractériser - Susan Stock , Fabienne Kern
Environnement psychosocial du travail : définitions et concepts - Susan Stock p. 74
p. 75
L’intérêt de l’analyse de l’activité en complément de tout outil d’évaluation de l’environnement psychosocial. Fabienne Kern p. 82
Outils pour apprécier les aspects socio-organisationnels lors d’une intervention de prévention : l’expérience des praticiens. Marie Bellemare, Geneviève Baril-Gingras
p. 86
Atelier 4 - Les conditions physiques et psychosociales de retour au travail suite aux TMS. Alexis Descatha, Marie-José Durand p. 91
Quand la recherche s’impose au présent - Marie-José Durand
p. 92
Approche bio-psycho-sociologique des troubles musculosquelettiques (TMS) en médecine physique et réadaptation Influence
des facteurs professionnels sur le processus de réadaptation. Bernard Fouquet
p. 96
Les indicateurs de situation de handicap au travail : la perspective du clinicien. Nicole Charpentier
p.105
Point de vue du médecin du travail en France. Jacques Lapierre, Martine Soulatzky
p.107
Atelier 5 - La fonction du geste dans la reconquête du sens au travail : Une question de reconnaissance. Pascal Simonet,
Sandrine Caroly
p.108
Développement du geste et prévention des TMS. Gabriel Fernandez
L’analyse des gestes professionnels et de leurs dilemmes dans différentes instances au sein de l’entreprise Question de reconnaissance ? Edwige Quillerou-Grivot
p.114
L’examen du geste professionnel en situation de formation, clé de compréhension pour la prévention durable des TMS.
Bertrand Poete
p.121
Former pour faire de la qualité : quelle reconnaissance pour les gestes professionnels ? Un exemple dans le secteur de l’industrie automobile. Karine Chassaing
p.125
Session 5 - Synthèses
p.135
Synthèse 7 Congrès international sur la prévention des troubles musculosquelettiques liés au travail (Premus 2010).
Yves Roquelaure, Annette Leclerc
p.136
Session 6 - Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
p.139
ormes, législation, outils, valeurs limites, mesures…Pour mieux prévenir les TMS ? Influence de la réglementation, N
des normes, des valeurs limites, les outils, des chiffres… Pour mieux prévenir les TMS ? Alain Piette
p.140
Doit-on parler d’outil ou de démarche ? Pas de prévention des TMS sans une réinterrogation des hypothèses managériales. François Daniellou
p.148
p.109
e
Atelier 6 - Réglementation et directives sont-elles des leviers de prévention ? Alain Piette, Nicolas Hatzfeld
Vers un nouveau cadre réglementaire au niveau européen. L’initiative de la Commission en matière d’ergonomie et de troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle : état de lieu et discussion. Antonio Cammarota
p.149
p.150
Regard comparé sur la prévention des TMS dans les pays francophones (France, Belgique, Suisse, Québec, Algérie). Loïc Lerouge p.151
Normes et règlementations, des outils au sein des entreprises ? Roland Gauthy
p.156
L’entreprise face aux obligations légales en matière de prévention des TMS. L’environnement législatif français, carcan ou ressort dans le domaine de la prévention des TMS ? Dr François Becker
p.161
L’inspection du travail au Québec : parfois un levier pour la prévention des TMS.Marie Saint-Vincent, Maud Gonella,
Denys Denis, Daniel Imbeau, Karine Aubry
p.164
Atelier 7 - Adaptation et appropriation des outils au service de la prévention des TMS. Agnès Aublet-Cuvelier, Sylvie Ouellet
p.171
L’outil SALTSA dans un service interentreprises de santé au travail :un exemple d’utilisation. D. Leclerc, J.-P. Brion
p.172
Le procès cadre vert : comment le travail peut aider à rester actif. Jean-Pierre Meyer, Jean-Luc Mochel
p.176
Une formation-action comme outil de prévention des TMS ,dans le secteur viticole : leviers et freins identifiés par le biais de la recherche évaluative. Rachel Barbet-Detraye, Aurélie Landry, Arnaud Tran Van
p.182
De l’outil Muska à la démarche de prévention des TMS, quelles appropriations ? Comparaison entre une PME et une grande entreprise. Xavier Merlin, Jean-François Thibault, Alain Garrigou
p.189
Méthode et outils de mobilisation des entreprises. Michel Aptel, René Brunet, Ghislaine Tougas, Nicole Vézina
p.196
Atelier 8 - Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de la prévention. Michel Aptel, René Brunet,
Ghislaine Tougas, Nicole Vézina
p.196
Introduction : mobilisation et intervention - des relations à élucider. René Brunet
p.197
Quel bilan de la campagne de communication TMS 2008-2010. Lionel Groléas, Agnès Lebret, Pascal Étienne
p.197
Mobilisation de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes. Jérôme Chardeyron
p.205
Comment amener une entreprise à s’intéresser à la prévention des TMS ? Une démarche de mobilisation à la prévention des TMS. Ghislaine Tougas
p.210
Atelier 9 - Mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans l’analyse des gestes. Denys Denis, Adriana Savescu
p.214
Démarche pluridisciplinaire pour le développement d’un outil de travail plus approprié. Jean-Claude L’Huillier
p.215
La pluridisciplinarité au service de la prévention des TMS : quand l’association entre psychologie du travail et biomécanique devient, pour les professionnels, support d’analyse des gestes de métier. Pascal Simonet,
Adriana Savescu, Clarisse Gaudez, Agnès Aublet-Cuvelier, Muriel Van Trier
p.221
Préparer le Lys des Incas en qualité et en sécurité : une intervention pluridisciplinaire dans le secteur de la floriculture colombienne. Nelcy Arevalo Pinilla
p.227
Du mouvement à la représentation du travail, collaboration pluridisciplinaire dans un CAT. Arnaud Désarménien
p.234
L’approche du geste dans un groupe aéronautique : construction de la pluridisciplinarité et développement de la prévention des TMS à partir d’un dispositif de formation. Michèle Bassargette, Olivier Decourcelle, Laurent Guisot,
Sylvie Martin-Boulineau, Sonia Sutter
p.240
Atelier 10 -La surveillance épidémiologique et le suivi des statistiques de santé en entreprise : comment les « chiffres »
peuvent-ils aider à la compréhension des TMS ? Catherine Ha, Susan Stock, Évelyne Escriva
p.246
Construction d’indicateurs synthétiques à partir des données de surveillance épidémiologique des TMS. Catherine Ha,
Julien Brière, Julie Plaine, Natacha Fouquet, Ellen Imbernon, Yves Roquelaure, Natacha Fouquet
p.247
La surveillance épidémiologique des TMS au Québec et son application pour favoriser la prévention des TMS par le Réseau québécois de santé publique en santé au travail. Susan Stock, Paule Pelletier
p.249
Les enjeux de la surveillance des TMS en Algérie. Othmane Ghomari, Benali Beghdadli, Abdelkrim Kandouci
p.251
Stivab, une étude pluridisciplinaire sur la santé et les conditions de travail dans la filière viande bretonne. Quelles difficultés à mettre en débat les résultats et à passer de l’étude à l’action ? Patrick Morisseau, Adeline Pornin
p.256
Les affections périarticulaires et les données « chiffrées » dans l’entreprise. Daniel Depincé, Joël Maline
p.260
Introduction
Introduction au congrès 2011
du Groupe de recherche francophone
sur les TMS
icole Vézina, Alexis d’Escatha,
N
Sandrine Caroly, Évelyne Escriva
présidents du GRF-TMS
et co-présidentes du congrès 2011
À
l’occasion de ce troisième congrès du GRF-TMS, il apparaît utile de rappeler l’évolution de ce groupe,
ses objectifs et son fonctionnement puisque l’organisation de ce congrès est à son image. Il s’agit en
effet d’une organisation particulière qui se distingue et qu’il importe donc de clarifier. On comprendra
mieux aussi pourquoi le Groupe a orienté le congrès autour de ces deux thèmes principaux : les liens entre
TMS et risques psychosociaux et les méthodes et outils pour la prévention.
Le GRF-TMS existe depuis 1998, alors que l’un des volets d’un projet financé par l’Inserm (1998-2002,
France) visait « la formalisation d’un réseau multidisciplinaire sur les affections périarticulaires en milieu
de travail ». Il s’agissait en fait de la consécration d’un groupe s’étant peu à peu constitué à l’initiative
de l’ANACT qui avait organisé des rencontres de chercheurs de disciplines variées, tous engagés dans
la recherche sur les TMS en milieu de travail1. Dès lors, le groupe s’est élargi à des chercheurs de la
Belgique et du Québec et depuis, avec les années, d’autres chercheurs de pays francophones se sont joints
au Groupe et proviennent de l’Algérie, du Luxembourg, de la Suisse et de la Tunisie.
Le GRF-TMS ne permet pas seulement le rassemblement de chercheurs de différents pays, mais aussi et
peut-être surtout, la réunion de chercheurs de différentes disciplines dont la préoccupation commune est
la mise en place d’une prévention efficace et durable des TMS. Les chercheurs du Groupe proviennent aussi
de diverses institutions, mais portent un point de vue collectif sur la nécessité d’une action concertée. Cette
caractéristique du Groupe est très importante puisque le fait de poursuivre un but commun permet de
rapprocher les disciplines, de montrer l’intérêt tant des approches qualitatives que quantitatives ou mixtes
et de créer une réelle proximité favorisant une plus grande cohésion et un enrichissement des questions
de recherche et des protocoles.
La nécessité pour le GRF-TMS de rapprocher le développement de nouvelles connaissances par la
recherche de l’organisation des actions de prévention dans les milieux de travail, a eu deux effets : d’une
part, l’intégration dans le GRF-TMS de praticiens chercheurs et de praticiens collaborateurs à des projets
de recherche et, d’autre part, l’organisation de congrès ayant comme principal objectif de créer un lieu de
rendez-vous entre les chercheurs et les praticiens. L’intention est de permettre un échange réciproque
de connaissances issues de la recherche et de la pratique. Le premier congrès a eu lieu à Nancy en 2002,
le second à Montréal en 2005 et ce troisième congrès, à Grenoble. À chaque fois, différentes institutions
se sont impliquées dans l’organisation matérielle, tant des instituts de recherche que des organismes de
prévention.
2
ISBN :
978-2-913488-68-4
L’organisation scientifique du congrès se fait de façon particulière. Des discussions ont d’abord lieu entre
les membres pour identifier des thèmes d’intérêt, soit d’un point de vue de partage de connaissances, soit
pour le développement d’actions efficaces de prévention ou de maintien au travail, soit pour susciter un
débat sur des enjeux importants en lien avec la prévention des TMS. Une équipe se forme ensuite autour de
chacun des thèmes. Ces équipes sont constituées de deux ou trois membres du Groupe qui deviennent les
organisateurs d’un atelier portant sur l’un des thèmes identifiés. Ce sont ces organisateurs qui développent
une proposition précisant les objectifs de leur atelier et les intervenants qui pourront être invités à faire
une communication. Ces propositions sont ensuite discutées avec l’ensemble des membres du Groupe à
l’occasion de conférences téléphoniques internationales visant la coordination des différents ateliers entre
eux et la cohérence de l’ensemble du congrès. Un comité central assure l’animation du Groupe.
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
Introduction
Les organisateurs sont invités à favoriser dans leur atelier, la mise en application de trois principes
importants pour le GRF-TMS : les échanges interdisciplinaires, l’implication des praticiens dans les
communications et l’espace de débat avec les participants au congrès. Ces principes sont de mieux en
mieux respectés depuis le premier congrès et en particulier pour ce troisième congrès. C’est ainsi que dix
ateliers ont été organisés, dont cinq au cours d’une première journée qui se consacrera aux liens entre TMS
et risques psychosociaux. Comment en effet ignorer l’appel qui est lancé quant aux impacts des risques
psychosociaux tant au niveau de la santé physique que mentale ? Les préventeurs sont interpelés dans tous
les pays à ce sujet et les membres du GRFTMS veulent souligner l’importance dans ce débat d’un modèle
multidimensionnel de la personne au travail et d’une approche systémique de la prévention.
La deuxième journée regroupe les ateliers dont les thèmes sont en lien avec les méthodes et outils mobilisés
par ou pour les acteurs de la prévention. Plusieurs chercheurs ont été impliqués dans le développement
d’outils, mais répondent-ils vraiment aux besoins des praticiens et sont-ils adaptés au contexte des
entreprises ? Comment les outils, méthodes, moyens, normes ou données de surveillance sont-ils utilisés
ou peuvent-ils être utilisés dans la pratique pour la prévention ? Une particularité du congrès 2011 est le
fait d’avoir proposé trois thèmes transversaux afin de pouvoir réfléchir ensemble à de nouvelles questions
pour la recherche et à des préoccupations pour la pratique : l’évaluation des interventions, la diversité des
populations au travail et les acteurs en entreprise.
Le GRF-TMS compte aujourd’hui 32 membres dont 22 sont des organisateurs des ateliers du congrès 2011.
Ils ont invité à communiquer 56 personnes : des praticiens, des chercheurs, des représentants de différents
organismes. Malgré son ouverture aux apports importants des collègues de pays non-francophones dont
le congrès Premus peut témoigner, le Groupe maintient son qualificatif de francophone puisqu’il y a intérêt
à faciliter l’expression des points de vue propres au monde francophone. Il maintient aussi son caractère
informel et, comme le rapportait Michel Aptel, animateur du GRF-TMS à la suite d’Annette Leclerc, de 2002
à 2008, « le Groupe a un caractère informel qu’il revendique. Ce Groupe est d’abord le moyen d’échanger et
son mode de fonctionnement doit rester souple et peu formalisé »*.
Le congrès proposé pour 2011 se veut aussi une occasion de rappeler publiquement que les TMS dans
les milieux de travail représentent un phénomène complexe, difficile à cerner et à étudier, mais que
l’organisation efficace des actions de prévention doit représenter une priorité de la santé publique et de
la santé au travail. C’est à se demander si le terme congrès est bien approprié ou faudrait-il parler de
rassemblement, de forum ou de manifestation ?
-
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
ISBN :
978-2-913488-68-4
* Voir à ce sujet le texte de Michel Aptel (2006), intitulé : Groupe de recherche francophone sur les TMS : « Une belle histoire de chercheurs ».
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Session 1
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ISBN :
978-2-913488-68-4
Introduction
des thèmes transversaux
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Les enjeux de l’évaluation des interventions
pour la prévention des TMS :
pourquoi et comment apprécier
les effets d’une action de prévention ?
abien Coutarel
F
Clermont Université, Université Blaise Pascal,
EA 4281, PAEDI (France)
L
’amélioration de la performance des interventions conduites en milieu de travail constitue un enjeu
majeur pour la prévention des troubles musculosquelettiques (TMS). Apprendre de ses actions sur la
base de données fiables, là est la plupart du temps situé l’enjeu de l’évaluation des interventions visant
la prévention des TMS.
La prévention ne peut être réduite à une application des modèles étiologiques disponibles. En effet, dans
le cadre de l’intervention ergonomique, la prévention suppose une mobilisation d’acteurs singuliers selon
des formes adaptées non définissables par avance, dans des contextes spécifiques (culturels, sociaux,
économiques…), auxquels il faut également s’adapter. L’amélioration de nos actions nécessite une meilleure
compréhension du passage des connaissances étiologiques générales aux actions dans des contextes
singuliers. L’évaluation des interventions vise précisément à construire une meilleure compréhension des
relations entre le déroulement, le contexte et les effets de ces interventions (Berthelette et coll., 2008 ;
IRSST 2008 ; Landry et coll., 2006). Nous nous proposons ici de centrer nos propos sur l’évaluation des
effets des interventions. Ce faisant, nous souhaiterions souligner ici un autre enjeu essentiel de l’évaluation
des interventions : favoriser l’acceptabilité de démarches de prévention de plus en plus ambitieuses.
L’enjeu : favoriser l’acceptabilité de démarches de plus en plus ambitieuses
De nombreuses entreprises sont aujourd’hui prêtes à s’engager dans des actions de préventions des
troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle. Cet engagement des directions ne se fait jamais
sans craintes. Celles-ci justifient le fait que le périmètre de l’action confiée aux intervenants est très souvent
restreint dans un premier temps. Les actions de prévention les plus ambitieuses et les plus efficaces sont
toujours celles qui succèdent à des actions préalables plus réduites.
Les connaissances existantes et stabilisées concernant les démarches de prévention des TMS les plus
efficaces insistent sur trois caractéristiques essentielles : la transformation de l’organisation du travail,
la mobilisation des acteurs internes, et l’intégration des questions de santé au travail dans les projets
de conception. Cependant, il existe un décalage important entre l’état des connaissances concernant les
actions de prévention les plus efficaces et ce à quoi sont prêtes dans un premier temps les entreprises se
lançant dans la prévention.
L’enjeu du développement de la prévention passe donc selon nous par le développement de notre capacité
à convaincre nos commanditaires de passer d’initiatives réduites dans un premier temps, à des démarches
plus ambitieuses ultérieurement. Ainsi la question de l’évaluation des interventions visant la prévention
des TMS est convoquée, et surtout, si l’on se place du côté du commanditaire, préoccupé par l’évaluation
des effets de ces interventions. Cet enjeu d’évaluation des interventions doit être tenu très tôt dans
l’intervention, dès l’analyse de la demande.
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
ISBN :
978-2-913488-68-4
Il est donc possible (voire nécessaire ?) de répondre favorablement à des demandes d’intervention offrant
un champ réduit d’investigation et de transformation, présageant d’effets limités en termes de prévention, à
condition de positionner précocement l’évaluation de l’action comme un réel enjeu du projet. La compétence
de l’intervenant en matière de prévention des TMS consistera à prévoir et à assurer une cohérence entre ce
qui peut être atteint (résultats), compte tenu des ressources proposées (temps, implications des acteurs de
l’entreprise, périmètre des transformations possibles…), et de comparer cela aux objectifs formulés par le
commanditaire. L’intervenant cherchera aussi à mettre en visibilité les effets non attendus de l’intervention.
5
Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Ceci conduira donc souvent à renégocier les objectifs et/ou les moyens, et à accepter d’intervenir tout
en formalisant des objectifs atteignables. C’est à cette condition, qu’à la fin de l’action, lorsque viendra
le temps du bilan et que le nombre de TMS n’aura pas diminué, mais que l’intervenant aura néanmoins
démontré son efficacité compte tenu du périmètre négocié (sur la base d’indicateurs pertinents), que la
crédibilité et le positionnement de l’intervenant seront renforcés. En ne le faisant pas, il prend le risque
de laisser l’évaluation finale de son action libre de tout cadrage pertinent. Et, le premier réflexe de nos
interlocuteurs sera « naturellement » de regarder l’évolution avant/après des plaintes.
Du suivi des symptômes…
Suivre l’évolution des symptômes de TMS afin d’évaluer une intervention pose de nombreux défis
méthodologiques (Coutarel et coll., 2009). Les études longitudinales sont difficiles à réaliser en milieu de
travail car le suivi dans le temps d’une cohorte de travailleurs exposés, d’un nombre suffisant, avec un
pourcentage de perdus de vue aussi faible que possible, sans variation de l’exposition pendant la période
d’exposition est une action épineuse, tant ces conditions sont difficiles à réunir dans un environnement
économique et technique changeant (Dugué, 2006 ; Aublet-Cuvelier coll., 2006), où la flexibilité des
organisations est perçue comme le principal atout économique.
Les modalités de recueil des symptômes méritent aussi une certaine vigilance : les auto-questionnaires
permettent souvent de suivre un nombre important de travailleurs mais la fiabilité des données est aussi
parfois discutable en fonction de la compréhension et de l’interprétation des questions, du climat social
dans l’entreprise… L’implication du médecin du travail, y compris pour procéder par exemple à un examen
clinique standardisé très utile s’il peut être mobilisé.
Évaluer l’efficacité d’une intervention sur la base du suivi des symptômes pose un autre problème majeur :
si certains déterminants prééminents des TMS-MS sont modifiables par des interventions en entreprise
visant à réduire l’exposition aux contraintes biomécaniques (intensité des efforts, conditions posturales de
réalisation des efforts, répétitivité des efforts, environnement de travail) ou aux contraintes psychologiques
et sociales de réalisation du travail (interruptions de tâches, autonomie dans le travail et marges de
manœuvre, soutien collectif et hiérarchique, etc.), les modèles de risque disponibles montrent que cela
ne porte que sur une fraction du risque de TMS (Roquelaure, 2010). Ceci signifie que, dans l’hypothèse, où
l’intervenant pourrait agir significativement sur l’ensemble des déterminants professionnels identifiés par
son diagnostic initial, demeurerait un certain nombre de cas de TMS. Comme, par ailleurs, cette « situation
idéale » d’intervention n’existe pas, et donc qu’un certain nombre de déterminants des TMS demeure hors
de portée de transformation pour l’intervenant, la probabilité que les symptômes de TMS soient encore
présents après « une intervention réussie » est également assez importante.
Enfin, si la population de travailleurs concernés n’est pas suffisamment importante, il ne sera pas possible
de maîtriser statistiquement les spécificités liées aux acteurs : effet travailleur sain, vicariance des
symptômes, travailleurs très fragilisés moins sensibles aux améliorations… Or l’intervention globale,
systémique et participative – constituant par ailleurs le modèle d’intervention reconnu comme étant le
plus efficace) est souvent conduite sur un périmètre réduit de travail (un atelier, un service, une équipe…).
…aux marges de manœuvre
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Nous venons de le préciser : évaluer sérieusement une intervention sur la base de l’évolution des symptômes
de TMS constitue autant un défi qu’un risque. Ce risque concerne à la fois l’intervenant et sa crédibilité,
et la prévention de manière générale : favoriser l’acceptabilité par les entreprises de démarches de plus
en plus ambitieuses. Ceci ne peut pour autant conduire à dédouaner l’intervenant de toute évaluation des
effets de son action. Mais sur quels critères ?
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
L’ergonomie de l’activité propose un modèle (Guérin et coll., 1997). Les principales caractéristiques que
cette approche retient de l’activité de travail sont les suivantes (Daniellou et Rabardel, 2005) :
1. l’activité de travail est finalisée par un ou plusieurs buts qui ne sont pas toujours évidents ;
2. la relation entre le sujet et l’objet est médiée par les dispositifs techniques, les schèmes individuels et
leur organisation, eux-mêmes marqués du contexte social, culturel et historique du sujet ;
3. l ’activité est toujours singulière ;
4. l ’activité est porteuse de son histoire ;
5. l’activité comporte toujours une dimension collective, autrui pouvant être présent à travers les
instruments, les outils, les règles ou les procédures ;
6. l ’approche de l’activité doit être intrinsèque, c’est-à-dire à même de saisir les rationalités qui motivent
les régulations mises en œuvre par les travailleurs ;
7. enfin, l’activité est intégrative, c’est-à-dire que sa construction répond à un grand nombre de déterminants.
Ainsi, une telle approche du travail tentera d’articuler les dimensions systémiques, dynamiques,
historiques et culturelles de cette activité, en respectant la diversité des individus et leurs rationalités
propres. En mettant l’accent sur les déterminants des facteurs de risque, cibles privilégiées de l’action de
transformation du milieu de travail, l’ergonomie de l’activité définit les TMS comme un symptôme parmi
d’autres possibles d’un dysfonctionnement organisationnel général du système de production de biens
ou de services, où le déficit de marges de manœuvre des différents acteurs de l’organisation apparaît
central (Vézina, 2001 ; Coutarel, 2004). Les marges de manœuvre des travailleurs, pour faire face aux
variabilités du travail, apparaissent centrales du point de vue des déterminants des facteurs de risque
de TMS. Ces marges de manœuvre dépendent de l’expérience, du collectif, des espaces techniques et
outils, de l’organisation… elles sont internes (du côté du sujet) et externes (du côté du milieu). Les marges
de manœuvre constituent donc cette disponibilité du sujet et cette perméabilité du milieu favorisant le
maintien d’un certain niveau de performance tout en tenant compte des aléas d’une situation de travail.
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Face aux difficultés de l’évaluation basée sur le suivi des symptômes, il nous paraît utile de développer des
travaux qui permettraient d’opérationnaliser ces marges de manœuvre comme indicateurs opérationnels
d’évaluation. Ceux-ci pourraient concerner différentes catégories. Voici quelques exemples, repris de
Coutarel et coll. (2009) :
• Concernant l’organisation du travail :
-- Les différentes prescriptions dont les travailleurs sont la cible sont-elles négociables en cas de difficulté ?
Sont-elles compatibles entre elles ?
-- Quelles sont les possibilités pour les travailleurs de réguler le déroulement de leur activité de travail
(procédures, modes opératoires, gestes professionnels, cadence…) ?
• Concernant les capacités individuelles et collectives pour faire face :
-- Le changement s’accompagne-t-il du développement de l’activité des travailleurs (participation des
salariés au projet, formation, possibilité d’entraide, connaissance du système de production dans son
ensemble…) ?
-- Le projet a-t-il contribué à renforcer le collectif de travail afin qu’il se construise en ressource pour
chaque travailleur ?
• Concernant l’amont et l’aval des situations concernées par les transformations :
-- Les transformations réalisées ont-elles des impacts sur d’autres situations de travail situées en amont
ou en aval ? De quelles natures sont ces impacts au sein de la structure ?
-- Le projet a-t-il un impact aussi sur des acteurs externes de l’entreprise (institutionnels, clients,
fournisseurs) ? De quelles natures sont ces impacts à l’extérieur de la structure ?
• Concernant les outils de gestion de la vie de l’entreprise :
-- Le projet a-t-il permis de faire évoluer les outils de gestion en place ?
-- De nouveaux outils et/ou indicateurs issus de l’analyse du travail réel sont-ils implémentés ? De quelles
natures sont ces changements ?
• Concernant la conception des outils et espaces de travail :
-- Comment les variabilités des situations de travail rencontrées sont-elles prises en compte dans la
conception des situations de travail ?
-- Les outils et espaces de travail peuvent-ils être adaptés ou changés facilement ? Sont-ils adaptables ?
7
Session 1
Introduction des thèmes transversaux
• Concernant les concepteurs des organisations :
-- Le projet a-t-il fait, auprès des décideurs et de l’encadrement, la démonstration de l’intérêt de la
participation des travailleurs aux projets de conception ?
-- Le projet a-t-il permis d’améliorer les conditions de travail de ceux qui ont la mission d’organiser le
travail des autres (l’encadrement notamment) ?
-- Le projet a-t-il permis aux décideurs et à l’encadrement de mieux connaître la réalité des contraintes
du travail (changement des représentations) ?
• Concernant l’organisation des projets :
-- Le projet a-t-il permis de transformer les pratiques de l’entreprise en termes de conduite de projet
(structuration sociale et technique des projets, démarche, outils…) ?
-- Les différents acteurs concernés par le projet sont-ils impliqués selon des modalités différenciées et explicites
(missions, modalités, temporalités), fondées sur les connaissances actuelles en termes de conduite de projet ?
• Concernant le pouvoir de décision de la direction du site :
-- Le projet a-t-il contribué à augmenter l’autonomie dont dispose la direction dans les décisions
concernant la gestion du site (la conduite du changement, la conception, les modalités d’organisation
du travail, la gestion de la production), par rapport à ses collaborateurs (actionnaires, groupe auquel
le site appartient, clients, fournisseurs) ?
Conclusion
Si le souci de l’évaluation des interventions n’est pas nouveau dans le champ de la prévention des TMS, la
thématique est émergente dans le monde scientifique. Cette préoccupation grandissante des chercheurs
nous semble s’inscrire dans un paradoxe aujourd’hui assez clair : alors que les connaissances sur
l’intervention et les actions de prévention ont beaucoup progressé ces dernières années (…), que les
intervenants perçoivent de plus en plus l’efficacité et la robustesse de leurs approches dans l’action, les
critères mobilisés classiquement par l’entreprise autour de l’évolution des symptômes et des plaintes pour
en apprécier les effets conduisent dans de nombreux cas à une évaluation négative de l’action. Il s’agit là
selon nous d’un problème majeur pour la prévention des TMS de manière générale, et sans doute au-delà
pour toute action de prévention en entreprise. En effet, les démarches de prévention les plus ambitieuses
(celles qui touchent de manière sensible à l’organisation du travail, par exemple) se réalisent quand les
décideurs de l’entreprise ont pu faire le constat de la relative inefficacité de démarches plus réduites
(aménagement de poste, mise en place de rotations sont deux exemples classiques). Cela suppose la
capacité des décideurs à intégrer le fait que les résultats insatisfaisants puissent être également expliqués
par le caractère limité du champ des transformations possibles. L’évaluation des interventions constitue à
ce titre un aspect majeur de toute démarche et suppose une vraie compétence des acteurs de prévention
sur le sujet : « les modèles et connaissances concernant les TMS nous permettent de dire que le champ
des transformations proposées dans le projet devrait conduire à tels résultats en termes de prévention.
On peut comprendre que vous souhaitiez commencer par une action plus réduite. Il nous est possible de
vous accompagner là-dessus : c’est important d’améliorer à court terme ce qui peut l’être, mais sachez
également que vous ne règlerez par le problème initial à l’origine de votre demande. On vous propose
d’intégrer au projet une dimension évaluative pour être en mesure de faire ensemble un bilan pertinent
de l’action à son terme ». Ce raisonnement initial définit les conditions de l’interprétation ultérieure des
résultats de l’action par les décideurs.
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L’enjeu scientifique de l’évaluation des interventions ergonomiques nous paraît être double :
• D’une part, l’intégration par les acteurs de la prévention de la nécessité de faire de l’évaluation une
préoccupation extrêmement précoce. Il n’y a aucune raison pour qu’un responsable confie spontanément
aux acteurs de la prévention les « clés de son organisation », alors que dans le même temps, les travaux
de recherche montrent l’intérêt de situer l’action de transformation à ce niveau-là. L’évaluation doit
permettre de redistribuer les responsabilités au terme de l’action, pour favoriser l’engagement des
décideurs dans de nouvelles actions plus ambitieuses.
• D’autre part, définir des critères qui puissent rendre compte des bénéfices associés à l’action ergonomique
compte tenu du périmètre négocié des transformations possibles. Les effets d’une intervention
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
ergonomique sur les symptômes de TMS des travailleurs concernés par l’action sont très aléatoires et
non maîtrisables. L’évolution des symptômes des travailleurs est influencée par de nombreuses autres
dimensions que celles sur lesquelles l’intervenant a prise : la fraction de risque attribuable, l’effet
travailleur sain, la fragilisation importante des personnes les plus exposées, des contraintes du travail
sur lesquelles l’intervenant n’est pas autorisé à travailler, des dimensions sociétales comme le chômage…
Ceci doit conduire à relativiser l’importance des symptômes des TMS dans l’évaluation des interventions
ergonomiques et à élaborer de nouveaux indicateurs plus en lien avec ce sur quoi l’ergonome agit.
La question scientifique de l’évaluation des interventions est également un débat épistémologique :
quelle(s) démarche(s) scientifique(s) permet(tent) de tirer des leçons généralisables d’une intervention
ergonomique ? Tous les contextes et démarches d’intervention sont-ils favorables à la mise en place des
mêmes méthodes scientifiques ? Nous avons pu initier, dans le cadre du projet ANR mais également lors du
dernier congrès PREMUS en 2010 avec la communauté scientifique internationale spécialisée sur les TMS,
ce débat scientifique et épistémologique. Les premiers échanges témoignent de la volonté de dépasser
les clivages classiques entre approches qualitatives des sciences humaines et sociales et approches
expérimentales des sciences de la vie ou de l’épidémiologie, pour construire les conditions scientifiques
de leur complémentarité, plutôt que les arguments en faveur de leurs exclusivités respectives. Cette
problématique devrait constituer une perspective scientifique essentielle pour les années à venir, au
bénéfice du développement de démarches rigoureuses d’évaluation des interventions.
Références :
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assembly line factory. International Archives of Environmental Health, 79, 578-84
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Santé publique, 20, sup. 3, 171-179.
Coutarel, F. (2004). La prévention des troubles musculo-squelettiques en conception : quelles marges de manœuvre
pour le déploiement de l’activité ? Laboratoire d’Ergonomie des Systèmes Complexes, Université Bordeaux 2,
Collection Thèses & Mémoires
Coutarel, F., Vézina, N., Berthelette, D., Aublet-Cuvelier, A., Descatha, A., Chassaing, K., Roquelaure, Y.,
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Daniellou, F., & Rabardel, P. (2005). Activity-oriented approaches to ergonomics : some traditions and
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Dugué, B. (2006). La folie du changement. L. Théry (dir), Le travail intenable. La Découverte, 95-118.
Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J. & Kerguelen, A. (1997). Comprendre le travail pour le
transformer. Editions de l’ANACT.
IRSST (2008). Actes du 2ème Congrès Francophone sur les TMS. Montréal.
Landry, A., Mary-Cheray, I., & Tayar, E. (2006). Proposition for evaluations of musculoskeleteal disorders
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Roquelaure Y, Ha C, Fouquet N, Descatha A, Leclerc A, Goldberg M, et Imbernon E. (2009). Attributable
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workplace. Scand J Work Environ Health, 35(5) :342-8.
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Vézina, N. (2001). La pratique de l’ergonomie face aux TMS : ouverture à l’interdisciplinarité. Actes du Congrès
SELF-ACE, 44-60.
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Diversité des populations et TMS :
causes, associations ou facteurs
de confusion ?
aren Messing
K
Centre interdisciplinaire de recherche sur la
biologie, la santé la société et l’environnement
(CINBIOSE), Université du Québec à Montréal
(Canada)
D
epuis 1993, l’équipe de recherche l’Invisible qui fait mal du CINBIOSE fait des recherches sur la santé
des femmes au travail, en partenariat avec les structures en condition des femmes et en santésécurité des trois principales centrales syndicales du Québec, soit la CSN, la CSQ et la FTQ1. Les
chercheures de l’équipe proviennent de plusieurs disciplines, incluant l’ergonomie, le droit, la sociologie,
l’éducation corporelle et les communications. Nos recherches visent entre autres à : rendre visibles les
contraintes et les exigences des tâches habituellement assignées aux femmes, comprendre les obstacles
à l’intégration et le maintien des femmes dans les postes habituellement occupés par des hommes et
comprendre les différences selon le genre observées au niveau des lésions professionnelles. Nous
essayons plus récemment d’incorporer aussi une compréhension du rôle des différences de culture,
d’ethnicité et de langue dans la prévention des lésions. Plusieurs parmi nous faisons partie du comité
technique Gender and Work de l’Association internationale d’ergonomie, qui tient des ateliers réguliers sur
l’ergonomie et le genre au Québec (et en France)2. Pendant nos études et discussions, nous entendons, le
plus souvent, les deux questions suivantes :
1 - En intervention, on tient compte des facteurs sur lesquels on peut agir, mais on ne peut pas (même si on
le voulait) intervenir sur les caractéristiques personnelles des travailleurs/ travailleuses ? Et on tient
déjà compte des différences inter-individuelles dans les interventions. Qu’est-ce que cela ajouterait de
tenir compte des différences de groupe (genre, sexe, âge, ethnicité, langue, catégorie sociale) quand on
veut diminuer les TMS ?
2 - Je fais des analyses quantitatives de la relation entre les expositions aux facteurs de risque et les TMS.
Je traite automatiquement le genre (l’âge, la catégorie socio-professionnelle, l’ethnie….) dans mes
analyses en ajustant pour les facteurs de confusion, donc je n’ai pas besoin de tenir autrement compte
du genre dans les analyses, n’est-ce pas ?
Ce texte tente de répondre rapidement aux deux questions, en donnant des exemples issus de nos études
et interventions. Ces études ont surtout concerné le sexe/le genre3,4, et l’appartenance aux minorités
ethniques ou culturelles5.
Interventions et différences inter-individuelles
Pendant longtemps, les ergonomes hésitaient à considérer des phénomènes relevant des différences de
groupe, en disant que l’ergonomie tient déjà compte des différences inter-individuelles. Ainsi, si les femmes
sont plus petites en moyenne, ce n’est pas la moyenne qui compte, c’est l’ajustement du poste en fonction
de la grandeur. Si les vieilles personnes ne sont plus capables de manipuler des charges, elles ne sont pas
onfédération des syndicats nationaux, Centrale des syndicats du Québec, Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec
C
International Ergonomics Association Technical Committee on Gender and Work. Proposal to create the committee. http://www.iea.cc/upload/technical_genderandwork.pdf ?phpMyAdmin=XPyBrlJQjtrNYKM50fpmCYvGm%2C8&phpMyAdmin=jLDUJrGUIxQ-3p3v5atPhaf1Xo8 consulté le 18 avril 2011.
3. Messing, K. 1999. La pertinence de tenir compte du sexe des ”opérateurs” dans les études ergonomiques : Bilan de recherches. PISTES 1(1). http://www.pistes.uqam.
ca/v1n1/articles/v1n1a5.htm
4. Messing, K., Stock, S.R., Tissot, F. 2009. Should studies of risk factors for MSDs be stratified by gender ? Lessons from analyses of musculoskeletal disorders among
respondents to the 1998 Québec Health Survey. Scandinavian Journal of Work Environment and Healt h 35(2) :96-112.
5. Premji, S., Duguay, P., Messing, K., Lippel, K. 2010. Are immigrants, ethnic and linguistic minorities over-represented in jobs with a high level of compensated risk ?
Results from a Montréal, Canada study using census and workers’compensation data. American Journal of Industrial Medicine 53(9) :875-885.
1.
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
seules à être faibles, et tous et toutes bénéficieront d’appareils de levage. Si les immigrants ou analphabètes
ne sont pas capables de comprendre les consignes de sécurité sur les chantiers, il faut que les consignes
soient claires pour tout le monde. Dans nos études et interventions, nous avons identifié plusieurs contextes
où il est important de parler explicitement des caractéristiques des groupes, surtout s’il s’agit de groupes
défavorisés :
uand les membres d’un groupe sont explicitement assignés à des tâches spécifiques, en
Q
raison de leur appartenance au groupe
Il est connu que les immigrants-es ne sont pas dans les mêmes emplois et secteurs de l’économie que les
natifs, que les hommes et les femmes occupent des emplois spécifiques, que les jeunes et les moins jeunes,
les plus ou les moins nantis, se retrouvent dans des postes différents, avec des conséquences pour
l’incidence des TMS6,7,8,9, Mais même à l’intérieur d’un même titre d’emploi, les risques ne sont pas distribués
de manière égale. L’exemple le plus évident est l’assignation du travail « lourd » aux hommes et du travail
« léger » aux femmes. Nous avons étudié ce phénomène en rapport avec plusieurs emplois au Québec.
Au Québec, les postes de travail « légers » et « lourds » des services de nettoyage des hôpitaux étaient
originalement assignés respectivement aux femmes et aux hommes, de par la convention collective.
Chaque poste comportait ses exigences particulières : les femmes étaient surtout assignées au
dépoussetage, au lavage des toilettes et autres aménagements ; les hommes au lavage du sol et des murs.
Une étude ergonomique a montré que le travailleur assigné au « lourd » levait en moyenne plus de charges
et était parfois sollicité pour manipuler des charges lourdes ou pour entrer dans des situations dangereuses.
La travailleuse assignée au « léger » changeait plus souvent de posture du tronc, faisait des manipulations
plus rapides, et était sollicitée plus fréquemment quand il fallait faire des manipulations de précision ou un
travail de qualité10. Chaque type de poste était associé à son lot de TMS : les hommes au dos, les femmes
aux cou/épaules poignets et aux membres inférieurs. Une première réorganisation de ce travail (années 80)
permettait à chaque groupe de postuler l’emploi traditionnellement assigné à l’autre, et une deuxième
(années 2000) fusionnait les deux postes. Mais une étude a montré que les femmes continuaient à passer
plus de temps à laver les toilettes et que les hommes continuaient à passer plus de temps à laver les
planchers ; les types de TMS demeuraient un peu différents11. Nous avons observé ce genre de division des
tâches selon le genre dans plusieurs emplois. Nous étions surprises de voir que quand les femmes entraient
dans des postes de travail traditionnellement masculins, souvent l’équipe réorganisait le travail pour
donner aux femmes le travail perçu comme plus « léger », laissant le « lourd » aux hommes. Caroly et
collègues ont décrit ce type de phénomène chez les policiers et policières.
Ce genre de division des tâches s’opère aussi en regard de l’âge : il a été démontré que, dans certains
milieux, les vieux hommes (mais pas les vieilles femmes) sont assignés à des tâches légères12. Un
phénomène analogue se retrouve quand on examine la répartition des blessures en fonction du statut
social13. Puisque les équipes de travail ont tendance à organiser le travail selon les aptitudes perçues de
chacun-e, il est probable que les stéréotypes d’ethnie, de couleur et de maîtrise de la langue jouent aussi
dans l’exposition aux risques de TMS.
6.
Eng A, ‘t Mannetje A, Ellison-Loschmann L, McLean D, Cheng S, Pearce N. 2011. Ethnic differences in patterns of occupational exposure in New Zealand. American Journal
of Industrial Medicine 53(9) :875-885.
Asselin S. 2003. Professions : convergence entre les sexes ? Données sociographiques 7(3) :6-8.
Breslin FC, Polzer J, MacEachen E, Morrongiello B, Shannon H. 2007. Workplace injury or ”part of the job” ? : towards a gendered understanding of injuries and complaints among young workers. Soc Sci Med. 64(4) :782-93.
9. d’Errico A, Punnett L, Cifuentes M, et coll. (2007) Hospital injury rates in relation to socioeconomic status and working conditions. Occup Environ Med . 64 (5) : 325-33.
10. Messing, K., Chatigny, C., Courville, J. (1998) “Light” and “heavy” work in the housekeeping service of a hospital . Applied Ergonomics 29 (6) :451-459.
11. Calvet B, Riel J, Couture V, Messing K. (sous presse) Work organization and gender among hospital cleaners in Quebec after the merger of “light” and “heavy” work
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Introduction des thèmes transversaux
Les intervenants-es ont le devoir de promouvoir la santé. Donc ils ne peuvent pas accepter, comme
mécanisme de prévention, l’assignation du risque en fonction des caractéristiques présumées des individus.
Des stéréotypes concernant les capacités et aptitudes pour la manipulation des charges, incitaient certaines
personnes à exiger des hommes qu’ils s’exposent à des risques d’accident ou de violence physique.14,15
Puisqu’il faut plutôt réduire les expositions des hommes et des femmes, cela fait partie de l’intervention de
déconstruire ce type de stéréotypes. Il faut par exemple amener une réflexion sur les définitions de la
difficulté et de la « charge » de travail. Malheureusement, la déconstruction est difficile. Un syndicat
québécois a développé un outil pour ce faire,16 mais a rencontré des difficultés à l’appliquer.
Quand il y a de la discrimination contre un groupe qui affecte sa vie au travail, sa capacité
d’exprimer des problèmes ou de se faire entendre ou d’être représenté dans les instances
de décision
Il existe de nombreux exemples de conditions de travail qui affectent un groupe plus que d’autres : la
ceinture d’outils qui ne sied pas bien aux hanches des femmes ; les meilleurs tissus accordés aux couturières
de même groupe ethnique que le garçon de plancher qui en fait la distribution17 ; des heures ou des jours de
formation qui limitent l’accès à des personnes ayant des responsabilités familiales ou des adhérents d’une
religion minoritaire ; des quarts de travail qui finissent tard le soir, mettant les femmes en danger pour le
chemin de retour à la maison ; l’interdiction d’utiliser son téléphone au travail, ce qui affecte les personnes
ayant des responsabilités familiales. C’est quand le groupe affecté souffre de discrimination, que le
problème risque de ne pas être mentionné spontanément. On hésite de s’identifier à un groupe discriminé.
Une étude canadienne montre que de jeunes hommes sentent une pression de ne pas exprimer leurs
problèmes de santé au travail, de peur d’être mal perçus.7 Des travailleurs/euses peuvent aussi ne pas
s’exprimer à cause d’un problème de langue.16 Des femmes dans des métiers non-traditionnels pourraient
se taire parce qu’elles désirent « se fondre dans la masse ».18 En général, il est plus difficile pour des
employés-es « au bas de l’échelle » de se faire entendre au travail. Dans ce cas les praticiens/nnes auront
à intervenir pour identifier les blocages à l’amélioration des conditions.
Études quantitatives et TMS
Puisque nous essayons de faire en sorte que nos résultats de recherches influencent non seulement les
milieux de travail locaux, mais aussi les politiques gouvernementales, les pratiques de droit et les normes,
nous avons dû mener des études quantitatives, de manière à pouvoir généraliser nos résultats et tirer des
conclusions pour la population. Par exemple, la juriste Katherine Lippel a examiné, avec des ergonomes et
une épidémiologiste, un cas de non-indemnisation de TMS chez des travailleuses qui manipulaient des
poids d’environ 1 kg, avec un cycle de travail de 3 secondes.19 Ce cas l’a incitée à examiner la jurisprudence
entre 1987 et 1996 de manière systématique. Par des analyses quantitatives et qualitatives, elle a constaté
que les femmes souffrant de TMS liés au travail 20 étaient moins souvent compensées que les hommes
souffrant de TMS liés au travail. Ce constat a amené les syndicats et l’organisme qui examine les demandes
à revoir la formation dispensée aux juges et aux plaideurs, entre autres pour leur expliquer la problématique
des lésions attribuables au travail hautement répétitif à faible force. Un réexamen de la jurisprudence en 2006
a montré un changement ; il n’y avait plus d’écart significatif entre les taux de reconnaissance selon le sexe.21
14.
Messing, K, Elabidi, D. (2002) La part des choses : Analyse de la collaboration entre aide-soignants et aide-soignantes dans les tâches impliquant de la force physique.
Cahiers du genre No 32 :5-24.
Augestad, L.B., Vatten L.J., 1994. Five year risk of assault on employees in a psychiatric hospital. Safety Science 18(2) :113-124.
CSN, 2005, Ciel, un hippopotame dans mon milieu de travail ! Guide de sensibilisation aux impacts sur la santé au travail de rapports hommes-femmes difficiles. www.
csn.qc.ca/brochure-hippo.pdf
17. Premji S., Lippel, K., Messing K.,2008. On travaille à la seconde ! Rémunération à la pièce et santé au travail dans une perspective qui tient compte de l’ethnicité et du
genre. PISTES http://www.pistes.uqam.ca/v10n1/articles/v10n1a2.htm
18. Messing, K., Seifert, A.M., Couture, V. 2005. Les femmes dans les métiers non-traditionnels : le général, le particulier et l’ergonomie. Travailler 15 : 131-148.
19. Lippel, K., Messing, K., Stock, S., Vézina, N. (1999). La preuve de la causalité et l’indemnisation des lésions attribuables au travail répétitif : rencontre des sciences de
la santé et du droit. Windsor Yearbook of Access to Justice, volume XVII :35-86.
20. Lippel K., 2003. Compensation for Musculoskeletal Disorders in Quebec : Systemic Discrimination against Women Workers ? Int J Health Serv 33 (2) : 253-281.
e
21. Lippel, K. 2008. Le regard du droit québécois sur les troubles musculo-squelettiques : indemnisation et prévention. Communiqué au 2 Congrès francophone sur les
troubles musculo-squelettiques : de la recherche à l’action. Montréal, 2008. http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/Plen-Lippel-10h40.pdf
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Ainsi, un traitement quantitatif a pu amener un changement de pratique, et celui-ci a probablement amélioré
la prise en charge des personnes atteintes. Ce genre d’exemple nous a persuadées du potentiel de
l’application des méthodes quantitatives pour contrer la discrimination faite aux femmes. Mais, les travaux
de Cox et Lippel 22 ont démontré des biais dans les rapports des lésions professionnelles en ce qui concerne
les femmes, et ceux de Premji et collègues5 ont mis en évidence le même problème en ce qui concerne le
statut d’immigrant, le fait d’appartenir à une minorité visible, et le fait de ne pas parler le français. Il est
possible que les TMS de certains groupes soient cachés par les systèmes de collecte et d’analyse de
données en santé au travail. Nous avons donc procédé à l’analyse de données d’entrevues et questionnaires
pour bien saisir les cas de TMS.
Au Québec en 1998, la majorité des personnes au travail passaient la plupart de leur journée debout, et cinq
sur six ne pouvaient pas s’asseoir à volonté.23 Étonnamment, peu d’études quantitatives avaient établi les
effets physiologiques de cette posture.24 Pour prévenir des TMS, nous avons besoin de démontrer que la
posture debout prolongée endommage la santé, et, éventuellement, d’identifier quelle alternance de
postures assis et debout est souhaitable.25 Nous voulons aussi mieux connaître les effets de la posture
debout statique, rapportée comme particulièrement dommageable par les caissières.26
Nous avons entrepris une série d’analyses de données en collaboration avec des experts-es en épidémiologie
et santé publique.27 À l’époque, quand on traitait le genre dans les analyses en santé au travail, il était
souvent considéré comme un « facteur de confusion» dans les analyses de régressions multiples.28 Ceci
veut dire qu’on concevait que le genre avait une influence indépendante à la fois sur les conditions de travail
et sur les TMS (Schéma 1). Par exemple, si les femmes rapportaient plus de douleurs aux membres
inférieurs, il fallait en quelque sorte soustraire l’effet du genre du total des TMS et, pour les hommes,
l’ajouter, pour comprendre le véritable effet du travail debout sur les TMS aux membres inférieurs. Puisque
qu’une littérature considérable suggère que les deux genres ne se retrouvent pas dans les mêmes emplois,
il paraissait évident qu’il fallait ajuster pour le genre en considérant la relation entre la posture de travail
et les TMS aux membres inférieurs. Mais si la posture debout des femmes est différente de la posture
debout des hommes, et si c’est la différence qui est responsable de l’augmentation des douleurs des
femmes, nous cachons ce phénomène en traitant le genre comme une variable de confusion.
Schéma 1
Le genre, l’âge, etc. sont traités comme des facteurs « de confusion »
22.
Cox R, Lippel K. 2008. Falling through the legal cracks : the pitfalls of using workers’ compensation data as indicators of work-related injuries and illnesses. Policy and
Practice in Health and Safety 6(2) :9-30.
Tissot, F., Messing, K., Stock, S. (2005) Standing, sitting and associated working conditions in the Quebec population in 1998. Ergonomics 48 (3) : 249-269.
Messing, K., Randoin, M., Tissot, F., Rail, G., Fortin, S. (2004). La souffrance inutile : la posture debout statique dans les emplois de service. Travail, Genre et Sociétés
12 :77-104.
25. Laperrière, E., Ngomo, S., Thibault, M-C., Messing K (2006) Indicators for choosing an optimal mix of major working postures. Applied Ergonomics 37(3) : 349-357.
26. Laberge, M. et Vézina, N. 1998. Un banc assis-debout pour les caissières : une solution pour réduire les contraintes de la position debout ? Travail et Santé , 14(2) :42-48.
27. Arcand, R., Labrèche, F., Stock, S., Messing, K., and Tissot, F. 2001, Travail et santé, in Enquête sociale et de santé 1998, 2nd edition (Montréal : Institut de la statistique
du Québec). pp 525-570.
28. Messing, K., L. Punnett, M. Bond, et coll. (2003) Be the fairest of them all : challenges and recommendations for the treatment of gender in occupational health research. American Journal of Industrial Medicine 43 : 618-629.
23.
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Ce que nous avons constaté, en regardant de plus près, était que l’expression « posture debout » comprend
plusieurs types de postures. Par exemple, les postures debout des femmes sont plus souvent statiques.26
Aussi, on a constaté que les femmes et les hommes ayant les mêmes titres d’emploi ne faisaient pas le
même nombre de pas par séquence de pas.24 Nous avons donc conclu que ce serait plus exact de considérer
que les femmes et les hommes ayant les mêmes postes et rapportant les mêmes conditions de travail ne
faisaient pas nécessairement la même activité. En fait, le genre pourrait intervenir à plusieurs endroits
dans la relation entre l’évaluation des risques du travail et les rapports de TMS (Schéma 2)
Schéma 2
Le genre, l’âge, etc. sont considérés dans leur(s) relation(s) aux facteurs causant les TMS
Depuis les dix dernières années, plusieurs groupes de recherche se sont penchés sur la relation entre
le genre, les conditions de travail, l’activité de travail et les TMS.29 D’aucuns trouvent que l’activité de
travail des femmes comporte plus de risques que celle des hommes affectés aux mêmes postes ; d’autres
observent que la même activité cause plus de tort aux hommes., Un nombre croissant d’études montre que
le fait d’ajuster le traitement statistique en fonction du genre peut conduire à une mauvaise compréhension
de la chaîne causale.3,30 Les écueils proviennent du fait que, peu d’études quantitatives puissent réunir à la
fois des observations de tous les aspects pertinents de l’activité physique et mentale pendant une période
de temps assez longue pour être valide, un nombre élevé de femmes et d’hommes qui exercent la même
activité et une caractérisation détaillée des symptômes de santé. De telles études seraient extrêmement
coûteuses, et il n’est pas réaliste de supposer qu’elles verront le jour.
Qu’est-ce qui se passe quand on ajuste pour le genre dans un examen des relations entre le travail et les
TMS ? Une comparaison détaillée des deux méthodes nous montre qu’une telle procédure risque de fausser
la relation entre les facteurs de risque et les effets, qu’il y ait eu ou non une différence de prévalence de
TMS selon le genre.31 Si on stratifie (analysant les données séparément pour les femmes et les hommes),
on peut mieux identifier les facteurs de risque pour les deux genres.
Messing, K., Stellman, J.M. 2006. Sex, gender and health : the importance of considering mechanism. Environmental Research . 101(2) :149-162.
Hooftman WE, van der Beek AJ, Bongers PM, van Mechelen W. 2009.Is there a gender difference in the effect of work-related physical and psychosocial risk factors on
musculoskeletal symptoms and related sickness absence ? Scand J Work Environ Health 35(2) :85-95.
31. Silverstein B, Fan ZJ, Smith CK, et coll. 2009. Gender adjustment or stratification in discerning upper extremity musculoskeletal
disorder risk ? Scand J Work Environ Health. 35(2) :113-26.
32. Leijon O, Härenstam A, Waldenström, Alderling M, Vingard E. 2006. Target groups for prevention of neck/shoulder and low back
disorders : an exploratory cluster analysis of working and living conditions. Work 27(2) :189-204.
29.
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Malheureusement, ce qui est vrai du genre l’est aussi de l’âge, l’ethnie, la langue et la classe sociale. Chaque
paramètre socio-démographique possède ses associations avec la chaîne causale qui lie les expositions aux
TMS. En plus, il n’y a que deux genres, mais les âges, les ethnies, les langues d’expression et les catégories
sociales sont plus nombreux. Nous sommes actuellement en train de réfléchir sur les différentes manières dont
on pourra tenir compte des groupes sociaux dans l’analyse des TMS associés au travail. Nous avons commencé
à examiner des bases de données en utilisant des techniques d’analyse de correspondance ou de grappes.32
Il y a quelques années, nous avons effectué une analyse des articles scientifiques qui traitaient des TMS
dans les emplois de bureau.28 La plupart ne considèrent pas beaucoup les mécanismes potentiels liant les
conditions de travail et les TMS. En effet, une analyse de la littérature montre que le traitement du genre
dans les articles scientifiques sur les TMS laisse à désirer. En attendant de trouver la méthode idéale de
déployer les analyses statistiques, on peut au moins considérer, dans chaque base de données à analyser,
la place des groupes sociaux dans la chaîne causale qui mène entre les expositions en milieu de travail et
les TMS.
Remerciements
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Karen Messing est membre de l’Équipe émergente sur le genre, l’environnement et la santé subventionnée
par les Instituts de recherche en santé du Canada [GTA92108].
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Diversité des acteurs :
quelles coopérations
pour la prévention des TMS ?
andrine Caroly
S
Laboratoire Pacte, Université de Grenoble
(France)
N
ombreux sont les acteurs intervenants dans le domaine de la santé au travail et préoccupés par
les questions de prévention des TMS : médecins du travail, ergonomes, Intervenants en Prévention
des Risques Professionnels (IPRP), ingénieur sécurité, Directions des Ressources Humaines (DRH),
infirmières du travail, ergothérapeutes, kinésithérapeutes, rhumatologues, psychologues du travail, etc.
Autour de ces professionnels gravitent d’autres acteurs qui jouent un rôle important dans les dynamiques de
prévention : les salariés, les responsables d’entreprise, les chefs d’ateliers, les partenaires institutionnels, etc.
Face à cette diversité des acteurs ayant des statuts différents et des compétences variées se pose la
question de comment agir ensemble efficacement pour la prévention des TMS. Malgré les évolutions de la
loi en santé au travail en matière de pluridisciplinarité, le travail collectif ne se décrète pas. Le constat est
plutôt celui d’une difficulté à travailler ensemble, à repérer les zones d’action de chacun avec parfois des
situations conflictuelles. Pourtant la mobilisation collective des acteurs s’avère indispensable aujourd’hui
pour une prévention des TMS.
Nous discuterons ici de deux notions par rapport à la mobilisation des acteurs : celle de « compétences »
et celle d’« activité collective ».
Les acteurs ont des compétences mais n’ont pas toujours les modalités organisationnelles ou techniques
pour pouvoir les mettre en œuvre. Les compétences dépendent non seulement de leurs connaissances
mais aussi des possibilités de leurs mises en œuvre et des moyens disponibles pour faire le travail. Des
prescriptions sont parfois antinomiques dans la tâche et les missions sont parfois floues. Les modalités
organisationnelles ne permettent pas de réguler toutes les perturbations de l’activité. Des coopérations
sont aussi nécessaires avec les autres acteurs pour développer les compétences ainsi que des gestes
professionnels du métier.
Dans le domaine de la prévention des TMS, nous pouvons identifier plusieurs freins à l’action des acteurs
dans la prévention. Au niveau de la politique, le contexte marqué par des réformes (pluridisciplinarité,
prévention secondaire) n’aide pas toujours les acteurs à se positionner. Au niveau de l’entreprise, les
changements permanents dans les modes de production conduisent à des remises en cause des
constructions/adaptations. Au niveau de la population, le vieillissement ainsi que la féminisation des
emplois constituent une diversité, rendant plus complexe la recherche de solution. Ces différents niveaux
de freins traduisent le manque de marges de manœuvre des acteurs pour pouvoir construire leurs
compétences. Quelles que soient les fonctions, il ne faut pas sous-estimer le poids des effets du contexte
et de la législation sur les stratégies des acteurs ainsi que le rôle de la culture de l’entreprise et de la
sensibilité du dirigeant vis-à-vis de la santé-sécurité.
Ainsi, on observe chez les acteurs de la prévention des actions limitées dans la transformation. Par
exemple, l’aménagement du poste comme seul moyen de réparer la maladie et de protéger les salariés.
Les logiques sont souvent cloisonnées dans le fonctionnement de l’entreprise et la prévention se trouve
plus comme un élément ajouté que comme une fonction intégrée. Il apparaît donc nécessaire d’analyser le
travail de chaque acteur pour comprendre les empêchements et les moyens d’un travail collectif. Il semble
difficile d’envisager la coopération si les domaines de compétences ne sont pas identifiés.
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Les acteurs sont en effet en permanence soumis à des dilemmes. Par exemple, entre travailler seul ou en
pluridisciplinarité, entre faire (usage de la loi, des outils) et accompagner (écoute, tolérance, conseil), entre
passer du temps en entreprise et passer du temps au bureau, en cabinet ou en formation. Cela pose des
questions aux acteurs sur l’efficacité, l’efficience et le sens de leur travail.
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
Session 1
Introduction des thèmes transversaux
Une diversité d’acteurs dans le domaine de la prévention
Nous pouvons tenter dans un premier temps de faire une catégorisation selon plusieurs positionnements
des différents acteurs (cf. fig. 1). Les acteurs se répartissent dans le champ de la prévention selon l’approche
individuelle ou collective, selon la prévention primaire ou secondaire/tertiaire et selon l’axe santé-travail.
Certains acteurs travaillent sans demande alors que d’autres interviennent dans le cadre d’une demande.
Certains sont plus du côté clinique, alors que d’autres sont plus du côté de la loi, des normes, etc. Cette
diversité d’acteurs œuvrant pour la prévention et le positionnement des uns et des autres correspond à une
construction sociale. Elle dépend de la manière dont l’entreprise (employeurs et salariés) se représente le
rôle des uns et des autres, ainsi que du contexte institutionnel et politique. Par exemple, un médecin du
travail en France pratique de façons très différentes, comparé à un médecin du travail au Québec. Le
médecin français consulte le salarié dans son cabinet alors que le médecin québécois ne fait que des
programmes de prévention.
Diversité des formes d’engagement dans l’entreprise
Les formes de mobilisation des acteurs dans l’entreprise dépendent du statut donné à l’intervenant. Il
existe des différences dans l’engagement des acteurs et une diversité d’actions de prévention selon que les
intervenants travaillent à l’intérieur ou à l’extérieur de l’entreprise, selon la taille de l’entreprise (petite/
moyenne ou grande entreprise). Le manque de proximité géographique avec des organisations morcelées
et des centres de décision éloignés rend plus difficiles les actions. L’ancienneté dans l’entreprise et
l’expérience des réseaux jouent un rôle dans les possibilités d’actions des intervenants. Il faut du temps
pour tisser des liens, construire des relations de confiance. L’instabilité et la mobilité forte des acteurs
posent des problèmes pour la mobilisation des uns et des autres.
Des logiques non intégrées dans le fonctionnement de l’entreprise
Si l’on reprend les deux axes du 3ème congrès francophone sur les TMS, les liens TMS/RPS et l’articulation
outils/démarche, la prévention dans l’entreprise peut être variée. Par exemple, l’attention n’est portée que
sur la dimension biomécanique sans prise en compte des facteurs psychosociaux. Une autre entreprise ne
regarde la santé que du côté de la souffrance. Les entreprises ne font pas toujours les liens entre les
différents risques. Certaines ne font qu’appliquer des outils alors que d’autres sont plus proches d’une
gestion des risques dans les démarches de conception des lignes de production. L’ergonome aimerait
pouvoir aller sur les questions de RPS et de conduite de changement mais l’entreprise le cantonne à une
approche biomécanique. Le psychologue est situé du côté du stress et de la passation de questionnaire
alors qu’il aimerait bien pouvoir évoluer sur les liens entre perception des risques et douleur du corps et
une prévention touchant l’organisation du travail.
Il existe plusieurs actions mises en œuvre dans l’entreprise. À l’ergonome, par exemple, l’aménagement
des postes de travail, aux kinés la formation gestes et postures, aux psychologues les questionnaires
stress, les entretiens d’écoute. Des outils dans l’organisation comme le kaisen blitz pourraient être
davantage investis, à condition de ne pas trop tirer du côté de la performance. La mise en place de la
rotation pourrait faire l’objet d’une intégration des questions de santé. Il apparaît que la participation des
acteurs à la conduite de projet et plus largement au changement dans l’entreprise pourrait faciliter
l’intégration des logiques. dont le croisement est à rechercher dans l’organisation du travail et de la
production.
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Le cloisonnement des logiques dans le fonctionnement de l’entreprise s’explique par une faiblesse du
débat sur les connaissances de l’activité (les perturbations, les aléas, les variabilités, les conflits de buts,
17
Session 1
Introduction des thèmes transversaux
les collectifs). Les logiques de production, de qualité, de santé-sécurité, du commercial, de maintenance
s’affrontent ou s’excluent avec des difficultés pour trouver des compromis dans l’activité.
Plusieurs motifs peuvent expliquer la séparation des logiques dans le fonctionnement de l’entreprise :
• Des difficultés de coordination entre différents acteurs ou différents départements.
• Des modèles étiologiques et d’action relatifs à la prévention très différents (de l’approche biomécanique
du geste à la prise en compte des facteurs psychosociaux).
• Une référence à la standardisation basée sur les bonnes pratiques.
• Peu d’évaluation de l’efficacité des actions et des retours d’expérience. Le potentiel des données est
souvent sous-utilisé faute de pilote et de compétences internes ou externes.
• Des difficultés dans le pilotage des projets d’entreprise. Souvent la non-prise en compte des connaissances
sur le travail dans les processus de décision et la faible considération de la santé comme une dimension
stratégique de l’efficacité de l’entreprise par la hiérarchie, ainsi que la faiblesse de l’alerte avec un déni
du problème et/ou une position de prise en charge incertaine constituent des freins à la conduite de
projet de prévention. Les changements permanents, la gestion de l’entreprise et le turn-over des acteurs
amènent à une faiblesse d’anticipation et plutôt une gestion au quotidien des difficultés. Ce qui rend
difficiles le suivi des actions dans le temps et la cohérence du dispositif de prévention avec un manque de
participation de tous les acteurs dans les projets d’évolution de leurs conditions de travail.
• La faible coordination des acteurs partenaires extérieurs dans le suivi des entreprises.
• Le manque de ressources en temps, en moyens de travail, en compétences des acteurs des projets de
prévention des TMS.
Une nouvelle façon de concevoir la prévention
Pour une mobilisation plus efficace des acteurs dans la prévention, plusieurs ingrédients sont à réunir :
• Coordonner les Services de prévention SST, institutions & Inspection du Travail.
• Partager des connaissances (partenaires sociaux et observatoire social des TMS).
• Développer une capacité de négociation d’un nouveau modèle industriel, prenant en compte la prévention.
• Accéder à une autre vision du développement de la santé en entreprise, qui ne soit pas seulement du côté
de la préservation mais aussi du côté de la construction de la santé.
• Redonner une place à l’activité dans la conduite de projet de conception, d’amélioration continue, dans la
transformation des conditions de travail.
Pour cela, il est nécessaire de passer de l’expertise des acteurs à la disposition des acteurs à construire
ensemble des projets de prévention. Dans un modèle d’expertise, chaque acteur dispose d’une zone
d’action. Par exemple, en s’appuyant sur le modèle de Bellemare et coll., le médecin du travail pourrait se
situer dans l’alerte, l’ergonome et le psychologue du travail dans l’analyse du travail, et les concepteurs et
organisateurs du travail, ainsi que les directeurs et CHSCT au niveau de la gestion et de la structuration de
la prévention. Il n’est pas suffisant de penser cette répartition des rôles dans le système de la prévention,
car selon le contexte, l’expertise est empêchée et les acteurs cherchent à mettre en œuvre des savoir-faire
qui se situent au-delà de leur zone d’action.
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Selon le modèle de Baril-Gingras, Bellemare et al. (2008), les intervenants pourront en effet développer
des ressources visant à conduire un projet de prévention efficace, si les orientations des organismes de
prévention et des politiques publiques sont claires et s’ils disposent d’un soutien solide de leurs
organisations. Il faut aussi des connaissances, des habilités et de l’expérience des intervenants à « lire » le
contexte et les enjeux, et à définir des stratégies pour utiliser les capacités à résoudre les problèmes avec
un point de vue sur les activités, et à trouver des propositions de changements.
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Session 1
Introduction des thèmes transversaux
De l’émergence de réseau à l’activité collective
Le modèle d’intervention dans la prévention doit pouvoir évoluer vers la construction de réseau pour passer
progressivement à l’élaboration d’une activité collective des acteurs. La notion de réseau correspond à des
opérateurs devant travailler ensemble autour d’un objectif commun qui nécessite la mobilisation de
compétences diverses. Il se construit de manière circonstancielle et il est éphémère (Cau-Bareille).
Plusieurs formes de travail collectif peuvent être observées chez les acteurs de la prévention :
• Des logiques qui s’ignorent : chaque acteur travaille en parallèle, il n’y a pas de travail collectif, ni de
travail en réseau. Par exemple, le médecin du travail et l’IPRP d’un même service de ST ne travaillent pas
ensemble.
• Des logiques qui se succèdent, un travail collectif de co-activité. Par exemple, dans le cadre d’un projet
de maintien dans l’emploi, le médecin du travail délègue au chargé de mission Agefiph qui, à son tour,
délègue à un ergonome consultant la mission d’aménagement du poste.
• Des logiques qui se croisent de temps en temps pour des projets ponctuels. Par exemple, pour un projet
TMS dans la grande distribution.
• Des logiques qui s’intègrent pour l’innovation. Par exemple, une collaboration multiprofessionnelle avec
de nouvelles façons de travailler, comme les clubs TMS, ou des expériences de travail collectif où les
idées, les méthodes et les actions font l’objet de débat et de confrontation.
Les acteurs pourront s’engager dans une activité collective de prévention s’ils ont des moyens de travail
collectif (façon de coopérer et de s’entraider dans l’action) et de collectif de travail (façon de partager des
règles de métier, construction du genre professionnel) et si celle-ci tient compte de la diversité des acteurs.
Cette activité collective pour une autre conception de la prévention vise à la fois des objectifs d’efficacité,
de santé et de construction de valeurs. La vitalité du collectif qui s’en dégage favorise le développement de
l’activité individuelle, des compétences et des actions collectives. Cela pourrait constituer une autre voie à
une prévention pluriprofessionnelle.
Plusieurs conditions sont à réunir pour faciliter une activité collective pluriprofessionnelle :
• Chaque acteur doit reconnaître la nécessité de professionnels différents dans la prévention.
• Les contraintes doivent faire l’objet de négociation.
• Un travail collectif de terrain pourrait faciliter les apprentissages croisés. Par exemple, faire l’expérience
d’un travail en binôme IDE/MDT ou Ergonome/MDT).
• Chaque acteur doit pouvoir disposer de marges de manœuvre pour agir. Par exemple, ne pas aller seul
dans l’entreprise mais être accompagné d’un partenaire, pouvoir appeler un partenaire à tout moment.
• Des espaces de débats sur la délibération des règles doivent être créés. Par exemple, échanger sur les
manières de formuler des restrictions selon le contexte de l’entreprise, le projet du salarié et de
l’entreprise.
• Des objets intermédiaires et/ou des objets frontières devraient davantage circuler entre les acteurs. Par
exemple, l’analyse de la demande.
• Des lieux de pratiques réflexives dans et sur l’action sont à envisager. Par exemple, organiser des
échanges sur la pratique en SST.
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Plusieurs questions se posent pour une meilleure prise en compte de la diversité des acteurs dans la
prévention : Comment travailler ensemble ? Faut-il préalablement établir un langage commun ? Comment
intégrer les différents points de vue ? Comment les acteurs du dispositif de prévention négocient-ils leurs
rôles ? Quelles coopérations s’établissent ? Comment passer du travail collectif à une prévention
pluriprofessionnelle ?
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Session 2
Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Session 2
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Les liens entre
troubles musculosquelettiques (TMS)
et risques psychosociaux (RPS)
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Session 2
Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Usure physique, usure psychique :
entre convergences et décalages,
quelques repères historiques
icolas Hatzfeld
N
Université d’Evry (France)
V
oici plusieurs décennies que dans bien des pays, le développement des troubles musculosquelettiques
et des risques psychosociaux a suscité des réflexions, des débats et des actions. En fait, plusieurs
aspects semblent rapprocher ces deux catégories de maux qui affectent le monde du travail et
conduisent à s’interroger sur les relations qu’elles entretiennent entre elles. De constitution relativement
récente, l’une et l’autre regroupent des pathologies qui ont longtemps été considérées comme distinctes.
Leur essor est lié à une évolution des opinions et des comportements ainsi qu’à des progrès dans leur
reconnaissance administrative. Par ailleurs, leur développement est rattaché à des transformations qui
affectent les conditions de travail et d’emploi et traduit en quelque sorte une maladie des organisations,
pour reprendre une analyse formulée il y a déjà quelques années. Cette concordance de temps et de
corrélation pourrait unir par une sorte d’évidence les deux phénomènes.
Un regard historien incite à nuancer un tel schéma. Les contextes, les connaissances et les représentations
ont considérablement évolué, et les mots comme les imaginaires ne désignent pas les mêmes figures de
pathologies. Les formulations actuelles ont émergé, grosso modo, depuis les années 1970, en migrant
parfois vers le monde du travail à partir d’autres domaines, comme le domaine militaire pour le terme de
stress1. Dans la longue durée cependant, des pathologies comparables à celles d’aujourd’hui sont
survenues, même si elles ont été à maintes périodes moins visibles ou moins nombreuses. Certaines
périodes laissent la trace d’attentions plus marquées que d’autres particulières. Des pathologies
périarticulaires – crampes et autres rhumatismes – sont repérées et interprétées selon des rythmes
divers. C’est sous des noms divers là aussi que l’on trouve, à différents moments, l’accent mis sur des
pathologies psychiques : énervement, usure, fatigue nerveuse, etc. Des analyses associent parfois les
dimensions physiques et psychiques, tandis qu’à d’autres moments, elles sont disjointes, voire opposées,
les secondes servant à nier le poids des premières. Ainsi, les relations entre formes physiques et psychiques
d’usure ont été parfois convergentes et parfois concurrentes. Ces variations passées renvoient à la
définition des pathologies caractérisées et aux facteurs mis en avant. Elles renvoient aux acteurs sociaux
qui les soutiennent, représentants patronaux ou organisations de travailleurs, et aux intentions qui les
sous-tendent. Elles permettent de mettre en perspective l’importance de ce qui se joue à propos des
définitions d’aujourd’hui.
Le texte qui suit abordera quelques-unes des questions, d’inégale importance, que soulève une observation
du passé, tirée de recherches propres sur les TMS et pour l’essentiel de lectures sur la question du stress
et des risques psychosociaux. La première reprend le problème soulevé par l’ambivalence des relations
entre les deux familles de pathologies, tantôt concordantes et tantôt discordantes, selon que la notion de
risques psychosociaux est orientée vers des facteurs internes au travail et tantôt vers des causes extraprofessionnelles. Les questions suivantes examinent des variations d’époque et relèvent des périodes où
les groupes de pathologies physiologiques ou psychologiques semblent, par leur concordance, souligner
des mises en cause et des recompositions dans le monde du travail.
Annette Leclerc et al., « La situation épidémiologique des troubles musculo-squelettiques : des définitions et des méthodes
différentes, mais un même constat », Bulletin épidémiologique hebdomadaire, 44-45, 15 novembre 2005, p. 218 ; Marc Loriol, « La reconnaissance juridique du stress au travail », in Buscatto Marie, Loriol Marc et Weller Jean-Marc (dir.), Au-delà du stress. Une sociologie des agents publics au
contact des usagers , Paris, ERES, 2007.
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Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Facteurs de risque : inhérents au travail ou externes ?
TMS et stress, risques périarticulaires et risques psychosociaux, ces couples ne sont pas toujours
concordants, et leurs prédécesseurs ne l’ont pas toujours été. Leurs relations ont fait débat dès les débuts
de l’époque industrielle, et ont dès lors été liées à la définition donnée à ce qui, plus ou moins, correspondait
aux risques psychosociaux. Très tôt en effet, le choix s’est imposé d’imputer les peines ouvrières à l’activité
exercée ou bien aux conditions de vie. La question découle de l’inquiétude qui s’exprime très tôt, notamment
dans les milieux éclairés de la fin du XIIIe siècle et du début du XIXe siècle, vis-à-vis des manufactures de la
première industrialisation. Des médecins, en particulier, craignent que celle-ci n’entraîne une dégradation
à la fois de la santé ouvrière et de l’environnement des manufactures.
Cependant, très vite à cette époque, dans le réseau des médecins hygiénistes d’alors, un courant
dominant pose le problème dans des termes qui vont s’imposer pendant plus d’un demi-siècle. Dans son
livre célèbre, Villermé, après d’autres, explique que « c’est d’une manière indirecte, médiate, ou par les
conditions de nourriture, de logement, de fatigue, de durée du travail, de mœurs, etc., dans lesquelles
se trouvent les ouvriers, que les professions agissent le plus souvent en bien ou en mal sur la santé ou
sur celle de leur famille. Cette règle, ajoute-t-il, doit être considérée comme générale.2 » L’opposition
entre la primauté accordée à la condition ouvrière au sens large et une analyse des nuisances au travail
stricto sensu ne saurait être plus claire. L’accent mis sur un des deux phénomènes, usure ou maladie,
semble contribuer directement à la négation de l’autre. Plus précisément, ces difficultés sont attribuées
à l’allongement de la durée de travail, permise par la mécanisation et la réduction de l’effort musculaire,
aux contraintes imposées aux femmes et surtout aux enfants et en particulier à la longue durée pendant
laquelle, chaque jour, des postures de travail sont néfastes aux corps jeunes. Villermé dénonce également
la misère salariale et les conditions de vie déplorables qui en découlent (alimentation, logement), ainsi que
la dégradation des mœurs. Il plaide pour une loi réduisant la durée du travail et pour une élévation des
salaires, dont résulterait une amélioration automatique des conditions de vie. Mais il s’oppose à la mise
en cause du travail proprement dit. Certaines des préoccupations exprimées par ce courant donnent lieu
aux premières lois de protection du travail des femmes et des enfants. Au sein du patronat, elles trouvent
des correspondances dans les courants paternalistes qui se forment et dans les réseaux de moralité
que suscitent certains patrons du textile pour recruter leur main-d’œuvre féminine dans des familles
recommandables. Les premiers services de médecine d’usine qui se mettent en place au sein de grandes
entreprises, déjà, se préoccupent à la fois de soigner et de sélectionner le personnel.3
Dès le milieu du XIXe siècle s’esquisse de cette façon une politique patronale mettant l’accent sur les
caractères et le comportement de la main-d’œuvre, comme variables essentielles de gestion de la santé
au travail. Les aptitudes physiques, les bonnes dispositions du tempérament sont examinées à l’embauche,
tandis qu’un environnement social et moral favorable est vu comme les moyens de réduire les risques
de difficultés au travail. Ces missions d’accompagnement de la main-d’œuvre, féminine notamment, font
partie des attributions du corps des surintendantes d’usine dont l’école est créée en 1917 4. Elles sont
développées entre les deux guerres avec la formation des services de la psychologie industrielle et de la
psychotechnique dans de grandes entreprises industrielles et de service public5.
Après la Seconde Guerre mondiale, en France comme dans de nombreux pays industriels, ces fonctions se
renforcent dans les entreprises, avec l’extension légale de la médecine du travail. La réduction des risques
passe par une bonne connaissance des contraintes qu’imposent les postes à pourvoir et des aptitudes
qu’ils exigent, la définition de ces postes étant, de façon générale, guidée par des critères individualisés de
productivité du travail. Dans les banques, où les services de mécanographie connaissent une expansion
considérable, les services médicaux structurent une double pratique de sélection rigoureuse des jeunes
femmes. Ils sont particulièrement attentifs au dos d’un côté, aux ressources psychiques de l’autre, et
procèdent à une sélection rigoureuse suivant ces critères : « Nous insistons à l’examen médical sur les
deux points suivants : résistance nerveuse, état de la colonne vertébrale » 6. Parallèlement, ils tendent
Louis-René Villermé, Tableau de l’état physique et moral des ouvriers , Paris, Renouard, 1840. Réédition Paris, éditions EDI, 1989, p. 509.
Anson Rabinbach, Le moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernité , Paris, éditions La Fabrique, 2004 ; Christophe Capuano, « Le point de vue patronal
sur les accidents professionnels. Le cas des usines Schneider du Creusot des années vingt à la Seconde Guerre mondiale », in Anne-Sophie Bruno et alii (dir.), La santé au
travail, entre savoirs et pouvoirs , Rennes, PUR, 2011.
4. Annie Fourcaut, Femmes à l’usine : ouvrières et surintendantes dans les entreprises françaises de l’entre-deux-guerres , Paris, François Maspero, 1982.
5. Catherine Omnes et Anne-Sophie Bruno (dir.), Les mains inutiles. Inaptitude au travail et emploi en Europe , Paris, Belin, 2004.
6. A. Laporte et Deplanque, « Étude comparée de 2 groupes de travail en commun « groupe dactylos » – « groupe perforeuses » attachées à un atelier mécanographique »,
AMP, tome 27, 1966, p. 87-89.
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Session 2
Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
ensuite à escamoter la part du travail dans les difficultés dont peuvent se plaindre certaines salariées 7.
Face à des plaintes comparables d’employées des Postes, d’autres médecins tendent à mettre en cause
le mode de vie désinvolte à l’égard de leur propre santé dont font preuve les jeunes provinciales étourdies
par la vie parisienne. Au cours des mêmes années d’enthousiasme « rationalisateur », le projet de réaliser
l’adéquation homme / poste traduit l’espoir, passablement utopique, de faire coïncider les spécificités de
chaque salarié avec les exigences de chaque poste. Là encore, l’organisation du travail est considérée
comme une donnée et exonérée des risques périarticulaires ou psychiques par l’accent mis sur les facteurs
extraprofessionnels. Enfin, on peut rappeler qu’en matière de classement de pathologies comme maladie
professionnelle indemnisable, l’accent mis sur les prédispositions individuelles et sur les situations hors
travail des personnes affectées a longtemps joué de façon systématique contre la reconnaissance de ces
pathologies. Les progrès de l’épidémiologie ont joué un rôle important pour sortir de l’alternative exclusive
et faire considérer que les facteurs extra-professionnels n’annulent pas la réalité des facteurs de risque
inhérents au travail. Mais l’ambivalence continue de jouer contre la reconnaissance, particulièrement dans
le domaine des risques psychosociaux.
De l’usure au surmenage, une crise du travail autour de 1900
Si, de façon récurrente, l’appréciation des risques a fait jouer les facteurs psychosociaux contre les facteurs
physiologiques lorsqu’ils étaient principalement situés hors de la zone professionnelle, certaines époques
ont mis en cause cet ordonnancement des débats.
La fin du XIXe et début du XXe siècle est une de ces périodes de remise en cause. Tandis que la dégradation
rapide de la santé des travailleurs est ancienne, ce moment voit monter des protestations ouvrières contre
l’usure ou, pour reprendre un terme plus neuf, contre le surmenage. Plusieurs éléments contribuent à
cet essor des plaintes. L’un réside dans les modifications du marché de l’emploi, moins défavorable aux
demandeurs d’emploi et leur donnant des atouts nouveaux dans les discussions salariales. Un autre tient
à la progression de l’aptitude à protester avec les progrès des organisations ouvrières, des associations
aux syndicats. Toutefois, l’essor revendicatif et contestataire est aussi à rapporter à des modifications du
travail et de son organisation. Jusque-là, les variations d’un travail résultaient essentiellement dans les
modifications de sa durée, au point que l’expression d’accroissement du travail désignait tout simplement
l’allongement de la durée d’activité. Les pathologies étaient par conséquent particulièrement attachées
aux caractéristiques des métiers, aux postures et aux gestes que chacun d’eux exigeait. Lorsque dans la
seconde moitié du XIXe siècle, médecins et chirurgiens s’intéressent aux pathologies des travailleurs, ils
examinent, selon la problématique posée par Ramazzini, l’activité spécifique de chaque profession pour
en dégager les risques particuliers ; les ouvrages élargissent leur répertoire en ajoutant les nouveaux
métiers aux emplois artisanaux traditionnels, pour autant que ceux-ci se perpétuent. Et à la fin du siècle
est formé le dessein de réaliser un dictionnaire médical des métiers mettant à contribution les inspecteurs
du travail et les médecins d’usine.
Dans le même temps, la relation d’emploi se transforme, et la subordination du travailleur par le salariat
s’accentue par palier. Mais les salariés résistent, et le salaire à la tâche connaît une crise qu’illustrent les
cas, un peu limites, des Sublimes, ces grands professionnels de la métallurgie. Ceux-ci freinent leur labeur
pour maintenir les « prix » de leur travail au point que les patrons se plaignent de la flânerie ouvrière. Ils
cherchent à contrecarrer l’entrée en lice des ingénieurs qui, par des techniques d’organisation extérieures
aux règles de métier, entreprennent d’intensifier le travail. En acceptant une réduction de la durée de celuici, ces ingénieurs s’emploient à densifier le temps d’activité. Ils s’appuient sur l’autorité que leur donne
la mise en service des machines toujours plus complexes et coûteuses dont se dotent les patrons et sur
l’agencement des ateliers qui en découle, sur l’observation du travail ouvrier et sur l’autorité prise sur les
contremaîtres, ainsi que sur l’élaboration de nouvelles formules de rémunération destinées à promouvoir
l’effort. Le salaire au rendement prend forme. L’usure change de contenu et se déplace vers l’intensité de
l’activité. Plus récent et plus explicitement porté à exprimer cette densité accrue du temps de travail, le
terme de surmenage fait florès dans le monde syndical 8.
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7. Cédric Neumann, « Rendement et santé au travail des mécanographes (1945-1975 », in Anne-Sophie Bruno et alii (dir), La santé au travail, entre savoirs et pouvoirs , Rennes,
PUR, 2011.
8. Emile Pouget, L’organisation du surmenage (le système Taylor), Paris, Marcel Rivière, 1913
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Session 2
Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Parallèlement aux divers lieux du travail connu comme manuel, certaines activités tertiaires sont touchées.
Les activités d’écriture sont à cet égard significatives. Depuis Ramazzini, les crampes de l’écrivain dont
souffraient les secrétaires et surtout les copistes étaient dûment répertoriées. L’industrialisation, l’essor
des entreprises et le développement d’administrations publiques suscitent l’accroissement des travaux de
copie. L’usage des plumes métalliques, et une standardisation des exigences se combinent pour étendre
les pathologies. L’apparition des machines à écrire apporte quelque temps de répit, avant de transformer
les normes de production et les pathologies. Un temps attirés par ces machines, les hommes les
transmettent vite aux femmes 9, dont les doigts agiles, le dos et l’équilibre nerveux éprouvent vite leurs
désagréments, sous forme de douleurs variées. L’évolution suscite des débats entre médecins. La « crampe
télégraphique », qui se répand à la même époque et pour les mêmes raisons, occasionne des controverses
comparables. Néanmoins, près de 10% des opérateurs de la Poste britannique en sont affectés et elle est
peut-être la première affection provoquée par des gestes de travail à être considérée comme indemnisable,
en 1908, deux ans après le vote dans ce pays de la loi sur l’indemnisation des travailleurs. Les protestations
syndicales ouvrières comme les disputes scientifiques mettent en cause les évolutions techniques et les
transformations du travail. Outre les affections périarticulaires liées à l’activité professionnelle, elles font
parfois intervenir la tension nerveuse. En écho, les recherches sur le travail, qui se développent alors,
suivent plusieurs phases successives10. Un premier temps est plutôt consacré à une étude du rendement
énergétique du corps au travail, du mouvement et de la fatigue (1860-1900). Ensuite vient l’essor d’une
science en laboratoire qui s’emploie à accumuler des données sur le travail industriel (1900-1910), avant
d’effectuer des premières interventions en usine et des efforts pour influencer l’action publique sur la
durée du travail et les accidents. Mais, on le voit, ces préoccupations sont principalement tournées vers
l’activité musculaire du corps vu comme machine humaine.
RPS / TMS : des images différentes au cours des Trente glorieuses ?
La loi de 1919 sur l’indemnisation des maladies professionnelles modifie les données du problème. Les
entreprises se trouvent sous la menace de dépenses d’indemnisation significatives, et la reconnaissance
devient un enjeu d’importance. Elles accentuent la double politique de développement de la sélection à
l’embauche et de dénégation de difficultés provoquées chez les salariés par le travail afin, notamment, de
ne pas donner de prise à des procédures de reconnaissance. Par ailleurs, la distinction entre l’accident du
travail et la maladie professionnelle prend une importance notable tant que les pathologies périarticulaires
et psychiques ne sont pas reconnues comme indemnisables. Dès la loi de 1898 créant l’indemnisation des
accidents du travail, dans certaines branches, des accommodements permettent de déclarer comme
accidents des pathologies périarticulaires, puis, bien plus tard, des affections psychiques. Quelques
maladies de mineurs sont ainsi « passées » en accidents, avec la complaisance d’assurances privées de
l’entre-deux-guerres. Mais la Sécurité sociale d’après 1945, surveillée par le ministère du Travail, devient
intransigeante sur le sujet et refuse de considérer les microtraumatismes comme autant d’accidents dont
l’accumulation mérite l’indemnisation. Par conséquent, durant quelques décennies, des pathologies dont
la plupart des interlocuteurs s’accordent à penser qu’elles sont liées au travail ne peuvent donner lieu à
indemnisation. La reconnaissance interviendra par trois définitions de plus en plus larges du tableau 57, en
1972, 1982 puis 1991. Les premières formes de stress indemnisées sont, à partir de 1982, celles que
développent des employés de banque victimes d’attaques, puis en 1999 ceux qui sont victimes d’une
accumulation d’agressions multiples.
Delphine Gardey, La dactylographe et l’expéditionnaire. Histoire des employés de bureau, 1890-1930, Paris, Belin, 2001 ; –, Écrire, calculer, classer. Comment une révolution de
papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), Paris, La Découverte, 2008.
10. Anson Rabinbach, Le moteur humain…, op. cit.
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Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Entretemps, les risques psychosociaux et les affections périarticulaires font l’objet d’attentions différentes.
Les années qui suivent la Seconde Guerre mondiale sont marquées par un puissant mouvement de
rationalisation du travail. Les méthodes d’organisation d’inspiration taylorienne, qui avaient connu des
développements limités à de grandes entreprises durant l’entre-deux-guerres, se diffusent de façon
systématique dans l’ensemble de l’économie à l’occasion du vaste mouvement de développement de la
productivité soutenu par les États-Unis à l’intention du monde occidental. La formation de l’encadrement,
la simplification du travail, les chronométrages et l’analyse des postes se généralisent 11, les conseils en
organisation multiplient leurs interventions tandis que les entreprises se dotent de services de méthodes.
La rationalisation, on l’a vu, touche l’industrie et les services, les ateliers et les pools tertiaires, les ouvriers
et les employés d’exécution. Simultanément, la sélection à l’embauche se technicise, échappe aux chefs
d’atelier pour passer aux mains des services de main-d’œuvre. Au fur et à mesure que les services
techniques prennent le contrôle du travail, le salaire au rendement est remplacé par un salaire au poste,
coté en fonction des compétences exigées et de la pénibilité qu’il comporte. Au cours des années 1950, la
CGT se montre particulièrement sensible à ces transformations d’organisation. Elle mène des campagnes
contre l’intensification du travail et critique, comme la fédération de la métallurgie, « à la fois la fatigue
physique et la fatigue nerveuse, infiniment plus dangereuse ». C’est en coopération avec la CGT des Postes,
télégraphes et téléphones que sont réalisées, sous la conduite de Louis Le Guillant, quelques études sur
les pathologies psychiques liées à l’organisation du travail des standardistes 12. Elles désignent la fatigue
nerveuse comme maladie de la productivité. Ces préoccupations connaissent une certaine diffusion dans
la médecine du travail, soulignée par Henri Desoille qui fait alors autorité dans cette discipline 13, et
s’appliquent tant à des pathologies périarticulaires qu’à des névroses et états dépressifs traduisant le
surmenage et l’usure professionnelle. En 1960, les sixièmes journées nationales de médecine du travail
sont consacrées à la fatigue. Mais les communications ne marquent pas explicitement le lien entre fatigue
et pathologies ostéo-articulaires. Surtout, il ne semble pas y avoir consensus sur l’analyse, tandis que la
rationalisation et le modernisme suscitent encore un fort engouement. La croissance et les mobilités
professionnelles facilitent les ajustements entre les mutations de l’emploi et du travail.
Les années 1960 voient s’effectuer un double chassé-croisé. Tandis que la CGT atténue sa contestation, la
CFDT s’inquiète de ces évolutions du travail. Soucieuse de mieux les comprendre, telle ou telle fédération,
notamment les métallurgistes, sollicite des chercheurs. Mais elle s’adresse à des ergonomes, avec l’équipe
constituée par Alain Wisner au Cnam. Il en ressort des enquêtes sur les crises de nerfs dans l’électronique
et sur la charge mentale que comportent les formes nouvelles du travail. Les pathologies périarticulaires,
des douleurs lombaires aux syndromes du canal carpien, ne sont pas absentes des observations effectuées
sur les formes nouvelles du travail contraint. Elles restent alors juxtaposées aux affections nerveuses et
psychiques. Après 1968, les années 1970 voient se développer les critiques du travail tandis que s’atténuent
les aspects pathologiques, psychiques et physiologiques, des effets de son organisation. Durant tout ce
temps, des pressions sont régulièrement effectuées pour la reconnaissance d’affections périarticulaires,
mais celles-ci sont encore présentées comme distinctes les unes des autres, spécifiques aux différents
métiers concernés. C’est selon ce principe que sont, très prudemment, engagés les premiers pas de
reconnaissance, en 1972 et 1982.
11.
Jonathan Zeitlin, Gary Herrigel, Americanization and its Limits. Reworking US Technology and Management in Post-war Europe and Japan, Oxford, New-York, Oxford University
Press , 2004
Marc Loriol, « La reconnaissance juridique du stress au travail… », art. cit. ; Louis Le Guillant, Le drame humain du travail. Essai de psychopathologie du travail , Toulouse,
éres, 2006 (chapitres consacrés à la névrose des téléphonistes).
13. H. Desoille, L. Le Guillant, J. Begoin et J. Vacher, « Effets de la fatigue sur la santé des travailleurs », Archives des maladies professionnelles , tome 19, 1958, p. 93 ; M.
Roques, États dépressifs chez des employés des services mécanographiques ou téléphoniques des PTT, Archives des maladies professionnelles , tome 18, 1957, p. 52-53.
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Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Années 1980-2000, une nouvelle crise du travail ?
En guise d’ouverture aux débats, je proposerai quelques pistes de discussion sur les dernières
décennies.
Au cours des années 1980, en effet, plusieurs signes semblent indiquer le développement d’une nouvelle
crise du travail. La diffusion dans toute l’économie de la révolution informatique en est un. À cet égard, le
secteur des banques et assurances a été précurseur et, depuis les années 1970, les syndicats y évoquent
les menaces que fait peser un suivi généralisé du travail et de l’activité. Celui-ci touche des catégories
jusque-là exemptes de surveillance automatique. Il correspond à une modification des systèmes de
rémunération, notamment à une individualisation des salaires, en bonne partie superficielle.
L’informatisation accentue également les possibilités de décentraliser et d’externaliser une partie des
activités des entreprises. Un second élément tient à une transformation des relations travail–emploi, avec
le recul de la régulation par les mobilités professionnelles et la banalisation des situations précaires et
fragiles ou le contournement ou la fragilisation de protections institutionnelles et collectives. En matière
de santé au travail, les pathologies périarticulaires sont d’une certaine façon décloisonnées, en ce que les
facteurs propices à leur développement sont en bonne part transverses aux branches d’activité et liés à
une évolution générale du travail. Les modes d’organisation et plus encore les réformes d’organisation
initiées depuis le début des années 1980 sont en cause dans les mouvements de développement de ces
pathologies. La croissance exponentielle des demandes de reconnaissance et des prises en charge
effectives est à rapporter à l’élargissement des définitions réglementaires donnant droit à indemnisation,
à l’accentuation des contraintes et exigences au travail, rassemblées dans un nouveau mouvement
d’intensification et à un changement d’attitude parmi les salariés. Sur ces différents terrains, des jonctions
s’effectuent avec le stress et les risques psychosociaux d’origine professionnelle. Enfin, la mise en lumière
de ces phénomènes passe pour partie par une coopération, visible dès les années 1980, entre acteurs de
terrain, professionnels de la santé et experts, ainsi qu’entre experts de différentes disciplines.
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Ce sont ces différents éléments, et surtout leur convergence, qui amènent à se demander si l’on n’a pas eu
affaire, pour ces années 1980-2000, à une nouvelle crise du travail. La comparaison internationale
permettrait de nuancer ces interrogations.
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Session 3
Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ?
Session 3
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Les risques psychosociaux,
de quoi s’agit-il ?
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Session 3
Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ?
Souffrance sociale,
répression psychique et
troubles musculosquelettiques
hilippe Davezies
P
Université Claude Bernard Lyon 1
C
omme dans le cas de l’amiante, les risques psychosociaux ont fait irruption sur la scène médiatique lorsqu’il
est apparu que les atteintes à la santé touchaient des couches de salariés traditionnellement privilégiées :
ces catégories de salariés qui disposent, dans leur travail, d’espaces d’expression personnelle et de
développement et qui voient ces espaces attaqués par la pression à l’intensification et à la standardisation. Les
manifestations de souffrance sont alors bruyantes et possèdent une forte visibilité sociale.
Cependant, dès le début des années 1980, Christophe Dejours avait alerté sur une autre forme de
souffrance : celle des salariés exposés à des situations de contrainte sévère, sans grande possibilité
d’investissement personnel, et surtout sans la perspective d’y échapper. Les OS des processus tayloriens
sont la catégorie emblématique de cette situation. Dans ce cas, la souffrance est silencieuse. Pour tenir, les
salariés développent des stratégies de résistance qui passent par la répression de leur propre subjectivité.
Dejours signalait alors qu’en présence de cette souffrance sans expression de détresse psychique, il fallait
s’attendre à voir survenir des pathologies du corps.
Cette proposition a été largement validée par l’épidémiologie du stress. Les ouvriers spécialisés ne
viennent pas en consultation de souffrance au travail, mais font des maladies physiques au premier rang
desquelles figurent les maladies cardio-vasculaires et les troubles musculosquelettiques. Ces constats
sont aujourd’hui éclairés par l’évolution des connaissances biologiques. Il a été repéré depuis longtemps
qu’en situation de stress chronique, les individus exposés pouvaient mettre en œuvre des stratégies de
désengagement psychique qui s’accompagnaient d’une absence de la réponse en cortisol, caractéristiques
des réactions au stress. Ces sujets présentaient plus de symptômes physiques, ce qui était troublant dans
la mesure où la tradition attribuait les pathologies du stress plutôt à l’excès de cortisol.
Au cours de la dernière décennie, il s’est confirmé que les taux de cortisol bas observés chez les sujets
exposés à des situations de stress chronique étaient responsables d’une quantité de phénomènes
pathologiques. Le cortisol est alors apparu comme participant à l’apaisement de la réaction de stress.
Plusieurs découvertes importantes sont venues compléter la compréhension de ces phénomènes :
• En cas de stress, la sécrétion de CRH par l’hypothalamus et la mobilisation du système sympathique
activent les mécanismes de l’inflammation, en particulier par leur interaction avec une classe de
molécules de découverte récente, les cytokines pro-inflammatoires.
• La situation de stress chronique peut se traduire par une dissociation de la réponse biologique, la CRH et
l’activité du système sympathique étant élevées alors que le cortisol reste bas. Cela signifie que, chez les
sujets exposés durablement à l’adversité, le cortisol bas ne tempère plus l’activation des mécanismes
inflammatoires. De plus, la baisse du cortisol est responsable d’un abaissement du seuil de la douleur
qui accroît les phénomènes douloureux.
Les travailleurs voués au travail répétitif sous cadence, qui n’expriment pas de détresse psychique alors
qu’ils sont exposés au stress professionnel, sont donc dans une situation qui cumule des contraintes
biomécaniques locales avec une susceptibilité à l’inflammation et à la douleur. Mais la baisse du cortisol
est aussi observée chez les sujets exposés à un harcèlement chronique.
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Ces données contribuent aussi à expliquer un autre pan de la pathologie qui frappe ces catégories de
travailleurs. Il est en effet démontré que l’athérosclérose responsable des pathologies cardio-vasculaires
est liée à une inflammation au niveau de la paroi des vaisseaux.
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Session 3
Les risques psychosociaux, de quoi s’agit-il ?
TMS-RPS : l’hypothèse
de l’hypo-sollicitation de l’activité
Y ves Clot
Conservatoire National des Arts et Métiers
(CNAM Pari) (France)
O
n rattachera la question mal décrite par l’expression ” RPS ” à des dilemmes fréquents du travail
et, en particulier, à l’existence d’une sorte de déliaison qui se fait jour dans l’activité ; une déliaison
entre les préoccupations réelles des opérateurs -- une certaine idée du travail et d’eux-mêmes dans
le travail -- et des occupations immédiates qui leur tournent le dos. Le sens même de l’action en cours se
perd quand disparaît dans le travail le rapport entre les buts auxquels il faut se plier, les résultats auxquels
il faut s’astreindre et ce qui compte vraiment pour soi et pour les collègues de travail dans la situation.
Ce qui compte vraiment — et parfois de manière vitale dans les tâches de services — dessine d’autres
buts possibles de qualité que la qualité attendue des buts prescrits. Alors, la perte de sens de l’activité la
dévitalise, la désaffecte en rendant psychologiquement factice la poursuite du travail. Alors on est actif mais
sans se sentir actif. Même la performance réalisée et reconnue peut perdre sa fonction psychologique si
on ne s’y reconnaît pas. La visée du travail exigé devient alors psychologiquement étrangère à l’activité des
sujets dont l’objet est ailleurs. Les actions réalisées rivalisent dans leur activité avec celles qui devraient et
surtout pourraient l’être. La réalité psychologique de ces conflits dans l’objet même du travail est la source
de puissants affects qui trouvent de moins en moins un destin favorable.
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Dans ce conflit de buts gît un paradoxe : les buts atteints, désinvestis, perdent leur sens et ceux auxquels
on tient et qui restent en jachère, privés de leur réalisation sociale, sont discrédités aux yeux mêmes de
beaucoup de travailleurs comme des objectifs encombrants. C’est l’imagination même qui devient alors
pour eux un obstacle à surmonter pour travailler ” normalement ”. Bien des drames humains du travail
trouvent là leur origine ou leur matière quand la situation s’installe et interdit de penser, à tort ou à raison,
qu’un changement serait possible. Quand la confrontation sur la qualité du travail est devenue impraticable,
suractivité et sentiment d’insignifiance forment alors un mélange ” psychosocial ” explosif. C’est une sorte
d’activisme désœuvré que la moindre injustice managériale peut transformer en ressentiment durable.
Mais ce dernier est la goutte d’eau qui fait déborder le vase d’une vie professionnelle contrariée. Car la
passivité n’est jamais qu’une activité ” rentrée ”, un développement incarcéré. De ce point de vue, après
avoir rappelé que les TMS peuvent être vus comme une hyper-sollicitation de l’organisme enracinée dans
une hypo-sollicitation de l’activité du corps tout entier, on cherchera à montrer que les ” RPS ” trahissent
aussi — à tous les sens du terme — une hypo-sollicitation de l’activité des sujets au travail.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Session 4
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ISBN :
978-2-913488-68-4
Suite :
Les liens entre
troubles musculosquelettiques (TMS)
et risques psychosociaux (RPS)
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Facteurs de risque psychosociaux
et TMS
nnette Leclerc
A
INSERM : U1018 – Université Paris XI - Paris Sud –
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines
– INED (France)
L
a présentation abordera la question des « risques psychosociaux » en lien avec les TMS principalement
sous un angle épidémiologique, d’où la préférence pour le terme « facteur de risque » ou « facteur de
risque potentiel », qui fait référence à des variables (potentiellement) associées aux TMS, en incluant les
associations effectivement observées mais non causales. La première partie portera sur la thématique ellemême et diverses façons de l’aborder, en montrant qu’il y a plusieurs questions plutôt qu’une seule, avec des
réponses qui peuvent différer. La seconde partie développera des résultats issus de travaux épidémiologiques.
Facteurs de risque psychosociaux et TMS, des questions multiples
Les questions que l’on se pose diffèrent selon ce qui est mis sous le terme « psychosocial » et selon la
dimension de santé retenue. D’autres aspects importants sont les hypothèses sur les liens entre expositions
psychosociales et expositions biomécaniques et posturales, et la prise en compte du temps, principalement
entre exposition et « effet » sur la santé. Le terme psychosocial fait le plus souvent référence, dans la
littérature épidémiologique, aux modèles évaluant la demande et la latitude dans le travail, au niveau
individuel ; cependant, les facteurs « en amont » caractérisant l’organisation du travail sont aussi à
considérer. Concernant les « effets », si les associations entre « stress » et activité musculaire sont
documentées par des études en laboratoire, ces résultats ne sont pas extrapolables à d’autres types
d’effets, en particulier des pathologies avérées. Les effets à court terme peuvent différer des effets à long
terme ; de même il est nécessaire de faire une distinction entre les déclarations par les sujets et les
pathologies objectivées.
Résultats issus d’études épidémiologiques
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Des associations entre TMS et expositions psychosociales mesurées au niveau individuel (demande,
latitude..) sont très fréquemment retrouvées, mais sont souvent d’intensité modeste. Pour la plupart des
sites de douleur, des revues générales basées sur un grand nombre d’études apportent ici des résultats
relativement solides. De façon générale, les liens entre expositions psychosociales et TMS sont de plus
faible intensité, et parfois inexistants, quand la dimension de santé est objectivée par un examen médical,
quand les expositions biomécaniques sont prises en compte, et quand un protocole d’étude longitudinal
permet de garantir la temporalité des relations. On peut regretter que les revues générales issues de la
littérature épidémiologique ne discutent pas suffisamment des interrelations entre facteurs psychosociaux
et biomécaniques, laissant le plus souvent sans réponse la question de savoir si les expositions
psychosociales auraient les mêmes conséquences selon que les expositions biomécaniques sont présentes
ou absentes. Il manque aussi d’études portant sur les liens entre les TMS et les caractéristiques de
l’organisation du travail, qui déterminent à la fois l’intensité des expositions biomécaniques et l’existence
ou l’intensité d’expositions psychosociales au niveau individuel.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Les relations entre les TMS
et les risques psychosociaux
au travail :
un modèle conceptuel
S
usan Stock
Institut national de santé publique du Québec,
Université de Montréal (Canada)
L
es relations entre les TMS et les contraintes organisationnelles et psychosociales sont probablement
plus complexes que ce que la plupart des études épidémiologiques ont réussi à montrer jusqu’à
maintenant. Malgré l’existence de données probantes sur les liens entre les TMS et plusieurs
contraintes psychosociales, les interrelations entre les contraintes physiques, les différentes contraintes
organisationnelles et psychosociales et les TMS sont encore méconnues. Le rôle de la détresse
psychologique dans ces interrelations est également mal connu. La nature des interrelations complexes
entre les TMS, les contraintes physiques, les divers risques psychosociaux et la détresse psychologique
doit être mieux explicitée. Presque toutes les études qui en tiennent compte montrent une forte relation
entre la détresse psychologique et les TMS. Il apparaît probable que dans certains cas, la détresse
psychologique est un médiateur de la relation entre certaines contraintes psychosociales du travail et les
TMS alors que dans d’autres cas, les relations sont plus directes ou passent par un autre mécanisme. Par
exemple, certaines exigences quantitatives (ex : quantité de travail, contraintes temporelles) ou cognitives,
peuvent influencer les contraintes physiques directement et ainsi contribuer aux TMS. Dans d’autres cas, il
y a une interaction entre une contrainte physique et une contrainte psychologique ou relationnelle et cette
interaction influence ainsi les TMS. La marge de manœuvre ou le soutien social au travail (ou d’autres
facteurs relationnels) peuvent également modérer la relation entre les contraintes physiques et les TMS.
Même chose pour certains facteurs personnels. Cette conférence vous proposera un modèle conceptuel
et des nouvelles hypothèses à tester pour concevoir des études qui nous aideront à mieux évaluer ces
interrelations et permettre une compréhension plus complète des relations entre le travail et les TMS.
Une bonne proportion des études épidémiologiques qui étudient la relation entre des TMS et des facteurs
psychosociaux, se limite à l’étude de la demande psychologique, la latitude décisionnelle et le soutien
social au travail tels que proposés par Karasek ou les mesures de reconnaissance et d’effort du modèle de
Siegrist. Cependant ces relations semblent plutôt modestes. La considération de ces seules variables est
probablement trop simpliste pour bien caractériser l’environnement de travail et sa relation avec les TMS.
L’Enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail, réalisée en
2007-2008 auprès de 5 000 travailleurs a étudié les relations entre les TMS et un grand nombre de contraintes
physiques et psychosociales incluant des exigences quantitatives, des contraintes psychologiques et
relationnelles, le manque d’autonomie ainsi que l’insécurité et la précarité du travail. Elle montre que
la prévalence des TMS augmente considérablement chez les travailleurs exposés à une combinaison de
contraintes physiques et psychosociales du travail. Des analyses multivariées des données de cette enquête
concernant les TMS au dos et aux membres supérieurs confirment la contribution des risques associés
d’une part, au cumul de contraintes physiques et d’autre part, à la demande psychologique élevée, à la
faible reconnaissance et au faible soutien social au travail. De plus, ces analyses montrent la contribution
du travail émotionnellement exigeant, des situations de tension avec le public, du harcèlement sexuel, de
la précarité du travail ainsi que de l’impossibilité de modifier la cadence du travail.
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L’évaluation des hypothèses associées au modèle proposé permettra de mieux comprendre les mécanismes
par lesquels certaines contraintes du travail peuvent influencer les TMS, de mieux préciser la contribution
de chacune et de mieux orienter les interventions de prévention des TMS.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Atelier 1
L’organisation de la prévention
des TMS et des RPS
velyne Escriva
É
Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (ANACT) (France)
arie Saint-Vincent
M
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en
sécurité du travail (IRSST) (Canada)
L
a prévention des risques professionnels, quels qu’ils soient, repose selon nous sur plusieurs principes
d’analyse et d’action génériques :
• Comprendre l’entreprise et le milieu de travail, situer l’activité de travail dans un fonctionnement
collectif.
• Identifier ce qui influence la santé au travail (les exigences du travail et son organisation, la qualité des
relations de travail notamment avec l’encadrement, les changements du travail, les valeurs et attentes
des travailleurs).
• Tenir compte des dimensions physiques, mentales et sociales comme le propose le modèle de la situation
de travail centré sur la personne en activité de Vézina (2001).
• Mener des actions de prévention qui ne relèvent pas exclusivement des acteurs de santé au travail mais
qui soient intégrées plus largement dans le fonctionnement de l’entreprise.
Par ailleurs, nous savons que la façon de structurer la prévention, de mobiliser les acteurs et les modalités
d’action retenues sont autant d’éléments qui vont influencer l’efficacité de la prévention en santé au travail.
Dans les faits, cette structuration dépend certainement de l’histoire et du contexte de l’entreprise, de l’état
de santé du personnel, de la maturité sur les sujets de prévention.
Les entreprises, les branches professionnelles quant à elles, se mobilisent sur la prévention des TMS, et
plus récemment au sujet des risques dits psychosociaux (RPS), notamment en lien avec la transposition de
l’accord interprofessionnel sur le « stress » au travail en Europe. Ce développement des approches RPS
présente certainement des opportunités, mais aussi des risques, dans la façon de traiter de la santé au
travail.
Si l’approche des RPS valorise une dimension plus subjective et qualitative mobilisée par les hommes et les
femmes en situation de travail, nous identifions alors plusieurs opportunités : l’enrichissement du modèle
de compréhension et l’élargissement des registres d’action (applicables à toute question de santé au travail
et aux TMS en particulier), la possibilité de mieux traiter les situations de cumul d’exposition (par exemple,
pour les métiers de caissières, de services aux personnes…) et la consolidation des préventeurs et de la
fonction ressources humaines…
À l’inverse, la tentation de découper la santé au travail par les symptômes (dans l’organisation et les
approches), en distinguant des questions d’ordre physique d’une part, et des questions d’ordre mental
d’autre part, nous semble présenter certains risques. Il peut s’agir de survaloriser les facteurs personnels
et de soutenir une approche comportementaliste, de se concentrer sur les RPS tandis que les contraintes
physiques restent très présentes, de limiter les actions de prévention des TMS par une approche trop
mécanique de l’investissement d’une personne au travail, alors que la mobilisation physique est toujours
sous-tendue par des mécanismes cognitifs et psychiques…
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Nous en débattrons à partir de pratiques variées — points de vue de préventeurs institutionnels, consultants,
conseillers syndicaux, chercheurs intervenants — traitant des TMS et/ou des RPS afin d’en tirer des
enseignements en termes d’organisation et de mise en œuvre de la prévention.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Organiser la prévention des TMS et RPS :
proximités et différences.
Une réflexion à partir des pratiques
d’entreprises
velyne Escriva, Philippe Douillet
E
Agence nationale pour l’amélioration
des conditions de travail (ANACT), département
Santé et travail, Lyon (France)
E
n France, si la question des risques psycho-sociaux (RPS) a émergé avec retard par rapport à d’autres
pays européens, elle a surgi brutalement dans l’actualité à l’occasion d’évènements dramatiques
survenus en entreprise, tels que des suicides. Poussés par les pouvoirs publics, les partenaires
sociaux et les acteurs d’entreprise en ont fait rapidement un sujet prioritaire, en s’appuyant notamment
sur l’accord européen sur le stress traduit, en juillet 2008, par un accord national. Dans un premier temps,
cet « engouement » pour les RPS a paru occulter toutes les autres préoccupations de santé au travail,
en particulier les TMS qui représentent pourtant la majorité des maladies professionnelles. Nous avons
globalement constaté, dans les demandes d’entreprises, une approche scindée des questions de santé au
travail, entre celles relatives à la santé physique et celles relatives à la santé mentale. Ainsi, peu de liens
étaient faits entre les pathologies ou les modes d’action en prévention alors que les éléments de proximité
sont nombreux entre les TMS et les RPS. Il s’agit alors de mieux comprendre les raisons de cette difficulté
de faire le lien entre les pathologies à partir du point de vue des acteurs d’entreprises rencontrés lors des
interventions du Réseau ANACT, mais aussi de mesurer les évolutions en cours qui semblent, aujourd’hui,
infléchir la tendance au profit d’une approche plus globale de la santé au travail.
TMS, RPS : des sollicitations d’entreprises séparées
Dans un premier temps, en effet, les demandes d’appui des entreprises au Réseau ANACT sur les thèmes
RPS et TMS ont été nettement séparées. Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer ce
phénomène :
En premier lieu, la pression du contexte environnant pour traiter des RPS
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À la suite de divers évènements dramatiques très médiatisés (cf. les suicides chez Renault, PSA, France
Télécom notamment) et d’une évolution significative de la jurisprudence reconnaissant des pathologies
psychiques comme accidents ou maladies professionnelles, l’ensemble des acteurs de prévention se sont
progressivement et fortement mobilisés sur le sujet des RPS. Ainsi, on a vu, à partir des années 2000,
massivement apparaître le sujet à l’ordre du jour des CHSCT, à l’initiative des élus du personnel ou, très
souvent, des médecins du travail qui constataient la montée de signes de détresse psychique au sein des
salariés. L’inspection du travail a évidemment poussé également à cette prise en compte des RPS par les
entreprises, même en l’absence de réglementation nouvelle, autre que celle de l’évaluation des risques ou,
plus tardivement, d’une incitation à négocier pour les grandes entreprises. Plus ou moins sous la pression,
les directions d’entreprises se sont aussi mobilisées fortement ; le Réseau ANACT a été ainsi appelé, à
de nombreuses reprises entre 2008 et 2010, pour animer des temps de formation de comités de direction
sur le stress au travail, ce qui n’avait jamais été le cas sur d’autres sujets de prévention. Les réunions,
conférences, groupes de travail sur le sujet ont été très nombreux, y compris au sein des instances ou
associations dirigeantes. Ainsi, à propos des RPS, on voit à quel point le contexte environnant, dans ses
différentes composantes – médiatiques, juridiques, sociologiques – peut être porteur d’actions, et audelà de l’existence d’une réglementation spécifique. Il convenait alors, pour les directions d’entreprises,
de traiter des RPS, sujet devenu prioritaire dans leur environnement et correspondant, par ailleurs, à la
demande sociale qui a trouvé, via les concepts de stress et de RPS, socialement plus reconnus que tous les
autres, à exprimer les difficultés à vivre les conditions actuelles de travail (Bouffartigues, 2010 ; Lhuillier
& al., 2010).
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
En second lieu, la différence des secteurs d’activité concernés par les demandes peuvent
aussi expliquer la séparation RPS/TMS
En effet, jusqu’en 2010, les demandes RPS adressées au Réseau ANACT émanaient très majoritairement du
secteur des services, secteur dans lesquels la préoccupation « santé / sécurité » était traditionnellement
moins forte, et dans lesquelles les pathologies TMS étaient plus beaucoup faibles, plus diffuses même
si non absentes (cf. services sociaux, santé, etc.). En réalité, dans ces secteurs, compte tenu de leur
évolution (Ughetto, 2007 ; Gainsburger, 2008 ; Buscatto & al., 2008), le sujet du stress, des RPS a permis
de cristalliser toutes les difficultés liées à de nouvelles formes d’intensification du travail. Les salariés et
leurs représentants ont trouvé alors, par ces termes, le moyen d’exprimer leurs difficultés, quelles qu’en
soient, ensuite, les formes de manifestations dans leur corps. À l’inverse, les demandes sur le sujet TMS
adressées au Réseau ANACT ont massivement concerné le milieu industriel.
Il convient sans doute ici de tempérer cette dichotomie. Si les entreprises qui nous ont sollicités sur les RPS
faisaient peu de lien avec des données de santé physique, comme les TMS, à l’inverse, on a vu progresser
l’intérêt pour la prise en compte des facteurs psychosociaux dans les actions de prévention TMS. Après
une phase d’appréhension du sujet sous l’angle essentiellement biomécanique, les entreprises observées
au travers des accompagnements par le Réseau ANACT ont progressivement intégré des éléments de
compréhension liés au vécu du travail, à la question du sens du geste, à la dimension collective de l’activité,
éléments fortement portés par tous les préventeurs institutionnels (réseau ANACT, INRS, CARSAT,
médecins du travail…). Le lien entre pathologies périarticulaires et facteurs psychosociaux est devenu plus
évident dans de nombreuses entreprises, permettant une approche élargie du problème et des actions
de prévention. Ainsi, dans une entreprise de logistique aéroportuaire, l’intervention ANACT a permis de
mettre en évidence les liens entre les TMS et douleurs lombaires avec des questions de régulation de
charge et de l’urgence, de management d’équipe, de vécu des parcours professionnels, permettant des
actions de prévention bien au-delà des aménagements matériels.
TMS, RPS : des similitudes dans les questions posées aux acteurs de prévention
Au travers de l’analyse des demandes d’accompagnement des entreprises par le réseau ANACT, soit sur
les RPS et soit sur les TMS, on a constaté beaucoup de similitudes. Ainsi, plusieurs points de convergence
peuvent être mis en évidence.
Les conditions d’émergence et de développement du sujet
Aussi bien sur TMS que sur RPS, les entreprises ont, le plus souvent, décidé d’engager des actions
en situation de crise. En ce qui concerne les TMS, nous avons été généralement sollicités lorsque les
pathologies étaient déjà avérées et présentes en grand nombre conduisant à des situations de blocage,
par exemple, lorsque le nombre de restrictions d’aptitude gênait la production. En ce qui concerne les
RPS, les demandes, au moins dans un premier temps, ont été également exprimées en situation de
crise : évènements dramatiques (suicides ou tentatives), relations entre salariés très dégradées, conflits,
absentéisme significatif… bref, dans tous les cas, c’est la situation de crise, avec impact fort sur les
conditions de la performance, qui a justifié l’action… Des situations qui rendent les acteurs démunis tant
pour l’analyse que pour les moyens d’action.
Des difficultés d’objectivation
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Une des raisons majeures de l’embarras des acteurs tient aux difficultés d’objectiver le problème. Même si
sur le sujet TMS, contrairement aux RPS, les indicateurs en termes de maladies professionnelles existent ;
les acteurs de prévention voient rapidement les limites de tels indicateurs, leur aspect peu prédictif et,
surtout, ils comprennent la complexité du sujet et des processus d’objectivation qui seront nécessaires :
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
causes et effets multiples, sans lien univoque, et souvent à effet différé, liens avec l’organisation… Pour
des acteurs de prévention habitués à des approches plus univoques, à des critères simples d’évaluation
des effets, se référant à des seuils d’exposition, les « phénomènes » RPS et TMS bousculent leurs modes
de pensée et leur processus d’objectivation des pathologies.
Une représentation partielle de la santé du personnel
Tant pour TMS que pour RPS, on a constaté un renvoi, au moins dans une première période, vers des
causes issues de la sphère individuelle des salariés et hors travail. Sur les deux sujets, les acteurs de
prévention ont d’abord fortement mis en évidence les fragilités individuelles, les activités ou préoccupations
privées, toutes formes de causes issues de la sphère personnelle des salariés, en dehors de leur activité
professionnelle. Les deux sujets méritent donc une attention particulière, pour construire la prévention,
sur la question de la représentation de la santé au travail et des mécanismes d’engagement professionnel.
Ils nécessitent aussi de replacer les situations singulières des personnes dans un contexte plus large et
plus collectif de travail.
Des processus d’évolution de la prévention
En relation avec la forte appréhension des causes du côté de la sphère personnelle des salariés, beaucoup
d’entreprises ont développé, en première étape, des actions de prévention de type tertiaire ou secondaire, en
ciblant les individus : techniques de relaxation, massages, coaching, formation aux bons gestes ou aux bons
comportements. Dans un premier temps, les liens avec l’organisation ont été peu appréhendés. Il convient
de noter ici que, tant sur TMS que RPS, se sont alors développés un nouveau marché de la prévention et
de nouveaux acteurs proposant une offre de services aux entreprises : là plutôt des kinésithérapeutes, ici
plutôt des psychologues, des médiateurs, etc. Dans beaucoup de cas d’entreprises, on peut dessiner une
histoire de la prévention qui passe d’abord par des actions de prévention tertiaire – correspondant d’ailleurs
aux phases de crise à chaud – puis des actions de prévention secondaire pour, enfin, aborder des actions
plus tournées vers la prévention en amont sur des causes plus organisationnelles et collectives. Il n’est
cependant pas rare d’observer des entreprises pratiquant simultanément les divers niveaux de prévention,
avec recours à des intervenants différents en même temps, au risque de donner dans la confusion.
Des difficultés d’appréhender l’organisation du travail
Sur les deux sujets, on constate une difficulté à remonter aux causes liées à l’organisation du travail,
pourtant bien évidentes lors de l’analyse. En lien avec ce qui a été dit sur la représentation de la santé
au travail, les acteurs de prévention ont du mal à dépasser un niveau d’actions limité et portant sur le
seul aménagement des situations locales. La remise en cause de principes et modalités d’organisation
du travail, l’action sur des sphères plus lointaines, pourtant en relation avec les pathologies observées
(parcours professionnel, formation, régulation de la charge, nouveaux modes opératoires, changements
de modes de relations entre services…) restent difficiles et ne sont souvent réalisées que partiellement et
après prise de conscience, par les acteurs internes, des limites de leurs actions en prévention secondaire
et tertiaire.
Des difficultés à pérenniser la prévention
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Sur les deux sujets, TMS et RPS, les acteurs expriment souvent leurs difficultés à pérenniser la prévention
et à mesurer les résultats de leurs actions (Daniellou & al., La prévention durable des TMS, 2008). Compte
tenu des spécificités des ces questions de santé au travail, de la multiplicité de leurs causes, il est en
effet plus difficile de mesurer l’effet des actions engagées. Dans beaucoup d’interventions, il est noté,
au moins dans un premier temps, une recrudescence des phénomènes pathologiques, notamment des
3e congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques. Échanges et pratiques sur la prévention anact© 26 - 27 mai 2011
Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
plaintes, l’action ouverte ayant permis l’expression et la reconnaissance des problèmes jusqu’alors sousjacents. Même si l’action ensuite peut conduire à réduire des troubles de santé ou leur gravité, le résultat
reste toujours précaire, au gré de décisions sur d’autres registres dans l’entreprise à fort impact sur la
santé des salariés, comme des restructurations, mutations… La prévention doit donc, sur TMS comme sur
RPS, penser fortement cette question de l’évaluation des actions et valoriser les processus mis en place
et stabilisés pour penser ensemble organisation et santé au détriment d’indicateurs mesurant des effets
à court terme.
RPS : des difficultés de prévention exacerbées… qui peuvent faciliter la prévention
Au-delà de ces proximités, l’analyse des demandes et pratiques d’entreprises met en évidence cependant
des spécificités du sujet RPS dans les pratiques des entreprises. Le sujet RPS paraît d’emblée plus
complexe à traiter : des indicateurs de troubles encore plus diffus, une dimension subjective exacerbée, des
effets plus fréquents sur les relations sociales, des champs d’emblée d’actions plus ouverts… pourtant, ces
difficultés conduisent aussi à mobiliser plus facilement les acteurs stratégiques de l’entreprise. Ainsi, notre
expérience d’accompagnement des entreprises nous a amené à constater des faits significatifs suivants.
Un repositionnement des acteurs des ressources Humaines
Sur le sujet des RPS, compte tenu de son lien immédiat avec le climat social, avec l’état des relations sociales
et avec les enjeux stratégiques de l’entreprise (ex. situations de mutations, conduite du changement…), on
a assisté à une reprise en main de l’action par des acteurs issus des services des Ressources Humaines,
au détriment des acteurs habituels de la santé au travail ; ceux-ci exprimant le fait qu’ils ne se sentaient
pas légitimes pour conduire des projets dont le cadre dépassait leur mode habituel d’action, leur champ
de compétences. Ainsi, sur le sujet des RPS, le Réseau ANACT a été, la plupart du temps, en contact
direct avec les DRH, voire les directions d’entreprises, pour conduire le processus de prévention ou avec
des acteurs nouveaux positionnés spécialement sur le sujet (ex. fonction nouvelle de chef de projet de
prévention de RPS présent dans la plupart des grandes entreprises), issus généralement des services RH ;
les services HSE, interlocuteurs habituels sur les sujets de santé au travail, étant clairement en retrait
dans le processus. Selon les contextes, les services de santé au travail ont été mobilisés de façon variable
dans l’action. Cette spécificité relative à la place des DRH peut s’avérer comme un atout puisque l’action est
engagée plus près des centres de décision et, d’emblée, avec une compréhension plus globale des facteurs
en cause et des zones de transformation potentielles.
Une implication d’emblée plus forte des directions
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Sur le sujet RPS, au-delà des services RH impliqués, on a généralement constaté une mobilisation plus
forte des directions d’entreprise, même si leur appréhension du sujet restait souvent très individuelle.
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer cela. Tout d’abord, la proximité de la question du
stress ou des RPS pour les dirigeants eux-mêmes, qu’ils peuvent éprouver dans leur propre vie ou celle
de leurs proches, ce qui n’est généralement pas le cas des TMS, dont les symptômes pouvaient apparaître
plus lointains et « réservés » à des catégories bien particulières de travailleurs en production. Par ailleurs,
beaucoup d’interventions du Réseau ANACT avaient pour origine un malaise de l’encadrement, accentuant
là aussi la proximité des problèmes des lieux de décision et augmentant la sensibilité des dirigeants. Enfin,
les liens avec le climat social, l’engagement des salariés, l’image sociale de l’entreprise sont faits plus
rapidement sur le sujet RPS suggérant un côté éminemment stratégique à l’action de prévention des RPS.
Là aussi, ces aspects constituent un atout, au moins dans la phase de mobilisation des directions des
entreprises. Il reste ensuite à vérifier que celle-ci se traduise par une approche globale et du côté de
l’organisation, et pas seulement sur le plan d’actions d’accompagnement des personnes.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Santé mentale et santé physique : la difficulté à faire des liens
Dans tous les cas, les acteurs de prévention (responsables de la prévention, membres élus du CHSCT…)
ou responsables d’entreprises paraissent avoir du mal à faire le lien entre les différentes dimensions de la
santé. Au travers de notre expérience, on peut envisager plusieurs hypothèses d’explication :
• La gestion par crise ou thème de préoccupation de la prévention ; nous avons déjà développé la
prééminence de la pression pour traiter des RPS qui a paru occulter tous les autres sujets de santé au
travail et qui a fait focaliser exagérément les acteurs sur les questions de santé mentale.
• La spécialisation des acteurs sur les sujets RPS et TMS (plutôt Ressources Humaines ou plutôt services
HSE) comme il a été indiqué et qui renvoie à des approches différentes des conditions de travail portant
l’analyse avec des indicateurs qui appartiennent à des champs différents : indicateurs climat social,
absentéisme, etc. issus du champ RH ou indicateurs AT/MP issus du champ classique de la prévention.
• Une certaine approche de l’évaluation des risques (notamment au travers du DU) qui favorise une
approche par risque et un cloisonnement des questions. Dans un certain nombre d’entreprises
rencontrées, notamment industrielles, l’obligation de prévenir les RPS entraîne un sentiment de
« surplus », notamment de l’encadrement, qui exprime qu’il a à traiter un risque « de plus », au-delà des
risques classiques liées à l’industrie, sans voir l’enrichissement possible des approches de ces risques
en prenant mieux en compte les facteurs pychosociaux.
Vers une appréhension plus globale de la santé ?
La situation semble évoluer positivement. Au travers des accompagnements récents d’entreprises, des
signes apparaissent dans le sens d’une approche plus globale de la santé. Plusieurs peuvent être mis en
évidence par notre expérience :
• La maturité des acteurs des entreprises tant sur le sujet RPS que sur TMS progresse indéniablement,
avec l’appui des préventeurs institutionnels notamment. Les actions de formation nombreuses, les
travaux sur les indicateurs largement diffusés favorisent une culture de la prévention plus globale. Sur
les RPS en particulier, la recherche d’indicateurs pertinents amène à élargir le point de vue et à mieux
prendre en compte toutes les pathologies pouvant être significatives pour approcher le sujet.
• Les pratiques de prévention évoluent vers la création de groupes pluridisciplinaires en relation avec les
CHSCT pour piloter des actions qui intègrent mieux les différentes fonctions de l’entreprise, notamment
RH et HSE, favorisant un dialogue sur les indicateurs disponibles. L’obligation d’évaluation des risques
— si l’approche n’est pas centrée risque par risque — peut alors être une opportunité pour rassembler
les approches.
• La montée de la préoccupation RPS dans tous les secteurs d’activités, et notamment industriels, oblige,
malgré les réserves mentionnées précédemment, à faire des liens, et cette dichotomie « TMS-RPS »
commence à s’effacer. Des pratiques d’entreprises semblent évoluer vers une vue enfin cohérente de la
santé au travail, interrogeant, quel que soit le sujet, les formes d’organisation du travail qui permettent
de dégager ou non des marges de manœuvre dans l’activité et de construire du sens dans les gestes
professionnels.
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En définitive, il nous semble que l’approche globale de la santé sera d’autant plus facilitée que l’entreprise
favorisera des lieux d’échanges entre divers acteurs, d’origine différente, pour construire et piloter la
prévention : les différentes sources d’information pourront alors se recomposer pour donner un sens plus
complet aux questions du travail et de la santé. Par ailleurs, l’approche qui favorise l’analyse du travail,
des conditions pour « bien faire son travail » et « s’y reconnaître » au détriment d’une entrée par les
effets sur la santé favorise également une approche globale. Enfin, la question actuelle de la pénibilité
ouvre aussi des possibilités pour appréhender plus globalement les questions de santé. Il y a là tout un
champ d’évolution des approches pour les acteurs d’entreprises ; mais aussi, bien entendu, pour ceux qui
interviennent auprès de ces acteurs et qui, dans une posture moins experte mais plus d’accompagnement
de processus de prévention, peuvent favoriser une approche holistique de la santé au travail.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Des TMS aux RPS, vers une approche
globale du travail
écile Briec, Yannice Clochard
C
Alternatives Ergonomiques (France)
Introduction
L
es demandes adressées par les entreprises aux consultants sont souvent marquées par la volonté de traiter
chaque risque de manière cloisonnée, suivant en tendance l’actualité et la médiatisation des questions de
santé. Ainsi, après la vague des TMS, sont venues celles des RPS ou de la pénibilité en lien avec l’avancée
en âge des salariés. Les approches centrées sur le travail s’accordent pour porter un regard plus global sur
les questions de santé au travail en essayant de reconstituer les liens entre les déterminants des situations et
leurs multiples effets sur l’efficacité et la santé. Cependant, si le bien-fondé théorique de l’approche globale
est acquis, sa mise en œuvre concrète et durable dans les entreprises reste une difficulté sur laquelle butte
la prévention des risques. Cette intervention dans une PME de 100 salariés qui appartient à un grand groupe
industriel donne l’occasion de mettre en discussion quelques conditions pour tenter de la dépasser.
L’entreprise formule une demande d’approche globale
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Fin 2009, le responsable de production sollicite une étude ergonomique dans un atelier de fabrication de
petites pièces métalliques de précision qui compte une trentaine de salariés. Dans le cahier des charges, il
souligne que le risque de TMS est important compte tenu de la nature du travail effectué. La fragilité des
pièces à fabriquer et l’exigence élevée en termes de qualité limitent l’automatisation de la production ; c’est
donc un travail manuel très répétitif qui est effectué. Mais le demandeur insiste sur l’aspect « global » du
diagnostic attendu pour plusieurs raisons. D’une part, il identifie au titre de sa fonction de responsable de
production que des modifications successives pour améliorer le process, les coûts et les conditions de
travail ont généré des flux compliqués et des aménagements de poste insatisfaisants. D’autre part,
différents interlocuteurs attirent son attention sur une dégradation sensible des conditions de réalisation
du travail :
• Depuis la mise en place du Lean, les salariés et leurs représentants (notamment le CHSCT), évoquent
une augmentation des douleurs périarticulaires ; le médecin du travail fait le même constat.
• Le technicien méthodes qui travaille pour cet atelier constate que certaines améliorations n’ont pas
significativement réduit la pénibilité et que l’ambiance au sein de l’atelier se tend.
• Le directeur et la directrice des ressources humaines — qui n’ont intégré l’entreprise que depuis quelques
mois — sont porteurs d’une culture et d’attentes spécifiques : la DRH est particulièrement sensible au
climat social dans l’atelier et plaide en faveur d’un management plus respectueux et plus participatif des
salariés ; le directeur identifie que l’atout majeur de l’entreprise réside dans sa haute maîtrise de la
technicité et de la qualité dans le processus de fabrication, que cette maîtrise repose sur des équipes
expérimentées sur lesquelles il devra pouvoir compter pour développer de nouvelles productions. Il
s’interroge néanmoins sur le bien-fondé des plaintes qu’il entend sur la charge de travail alors qu’il
constate en passant dans l’atelier que les opératrices ont terminé leur production trente minutes en
avance.
• Le chef d’atelier perçoit au-delà de la pénibilité physique, que le travail est assez pauvre dans son contenu
et que des tensions au sein des équipes sont palpables.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Pour l’encadrement de l’atelier, la situation est déconcertante compte tenu de l’attention particulière qu’il
porte aux problèmes des salariés et des projets engagés qui auraient dû améliorer conditions de réalisation
du travail et relations avec les équipes :
• Une organisation du travail a été mise en place essayant d’offrir des marges de manœuvre pour répondre
aux difficultés des salariés. On peut citer notamment les horaires variables de prise de poste, la possibilité
de moduler la durée de la journée de travail, les affectations de poste au regard des restrictions d’aptitude
(le médecin du travail n’a jamais eu besoin de déclarer des inaptitudes pour que les salariés soient
réaffectés sur des postes plus doux), même si ces choix viennent compliquer l’organisation du travail au
quotidien.
• De même, l’encadrement n’hésite pas à revenir en arrière quand des modifications réalisées créent du
mécontentement.
• Une réflexion sur les TMS a été engagée il y a quelques années. Un diagnostic court a été réalisé par un
chargé de mission de l’ARACT. S’en est suivie une formation aux repères normatifs pour concevoir des
postes de travail, à laquelle ont participé quelques acteurs de l’entreprise, en particulier le technicien
méthodes de cet atelier. Un groupe de travail associant le médecin du travail et des personnels de l’atelier
avait été constitué. De nombreuses transformations des postes de travail et des outils ont été réalisées.
Mais cette démarche a fini par s’essouffler, personne ne sachant en reconstituer les raisons.
• Puis l’entreprise a connu la mise en place du Lean, démarche imposée par ses clients. Avant sa mise en
œuvre, le responsable de production s’est rapproché d’un club d’entreprises, auquel participe l’ARACT,
et qui tente de promouvoir une application judicieuse de ce mode d’organisation. Des gains de productivité
ont été recherchés en priorité par le biais d’innovations techniques astucieuses et d’investissements
réalisés pour automatiser certaines tâches répétitives et reconnues comme pénibles.
• Cette démarche a cherché à associer les salariés à la réflexion : à titre d’exemple, les opérateurs ont été
sollicités pour répertorier les temps d’arrêts machines. Cela a permis de révéler l’importance des temps
d’attente aux moments où la maintenance n’est pas présente. Pour les limiter, une nouvelle organisation
a été mise en place : des coordonatrices ont été désignées parmi les opératrices et formées par la
maintenance au dépannage des machines. Elles ont également appris à gérer les plannings pour
réorganiser les affectations de poste en cas de problèmes de production. Enfin, des groupes ont été
constitués pour améliorer l’esprit d’équipe. Pour les responsables, c’était une manière de développer les
compétences et l’autonomie des opératrices.
Malgré toutes ces tentatives, l’ambiance au sein de l’atelier se dégrade. La volonté des acteurs de
comprendre le processus qui les a conduits dans ces impasses va constituer le fil conducteur de toute
l’intervention.
Quelques éléments du diagnostic
Il ne s’agit pas ici de présenter l’ensemble des analyses effectuées mais celles qui permettent d’éclairer
les relations entre les risques de TMS et de RPS.
La mise en place du Lean ou l’intensification du travail et l’isolement
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Sur les postes déjà équipés de machines, la fiabilisation par la maintenance et le développement des
compétences des coordonatrices pour dépanner ont diminué les temps d’arrêt qui étaient aussi des temps
de récupération. Lorsque des mécanisations ont été développées, elles cherchaient à remplacer des
manutentions répétitives et jugées sans valeur ajoutée. Mais les opérations supprimées s’effectuaient en
position assise et offraient aux opératrices un moment de respiration et une possibilité d’alterner les
sollicitations. L’automatisation a entraîné une densification de l’activité tout en augmentant la dépendance
des opérateurs au rythme de la machine. Un autre effet induit par la mécanisation est la multiplication des
postes sur lesquels le travail se fait désormais seul, là où un travail en binôme voire en trinôme était requis
auparavant.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Ces différents éléments permettent d’expliquer pourquoi les opératrices ont associé au projet Lean une
augmentation des cadences, alors que l’encadrement n’y voyait que des gains de productivité permis par
les améliorations et la fiabilisation techniques.
La mise en place des coordonatrices ou le gel de l’expérience
Ce choix d’organisation a été très mal vécu par les équipes et a produit des effets délétères sur le collectif.
S’il a été pour les coordonatrices un moyen de reconnaître leur expérience et de développer leurs
compétences, il a produit l’effet contraire du côté des autres opératrices : dotées d’une forte expérience
(cet atelier regroupe des opératrices qui ont une grande ancienneté), la nomination des coordonatrices
(dont certaines qui étaient récemment arrivées dans l’entreprise) a été perçue comme une disqualification
des savoir-faire acquis, de l’initiative et de l’autonomie dont elles faisaient preuve. Certaines ont adopté
une posture de repli, attendant dorénavant les consignes des coordonatrices ou leur intervention sur les
machines. On imagine aisément la difficulté éprouvée par les coordonatrices pour assurer leur fonction
face à cette situation.
La mise en place des groupes ou l’introduction de la concurrence
L’objectif de gain de productivité a été perçu comme une condition du maintien de la production et de
l’activité sur le site et a marqué les esprits. La mise en place des groupes a favorisé le développement
d’une forme de compétition et de course à l’atteinte des quotas de production. Face à l’apparition de
tensions, l’encadrement a renoncé à cette modalité d’organisation. Si, depuis, le fonctionnement en équipe
est réinstauré, des traces de cette histoire demeurent. Mais les deux équipes ne l’ont pas vécu de la même
façon : dans l’une, l’atteinte des objectifs de production est primordiale au prix parfois d’un sur-engagement
du corps. Dans l’autre équipe, d’autres dimensions guident le travail quotidien : la perspective de pouvoir
tenir dans le temps ; la qualité du travail réalisé. Ces écarts sont sources de tension au sein des équipes et
entre elles, certaines tâches non directement productives (comme le nettoyage des machines,
l’approvisionnement en matières premières, la formation des intérimaires…) étant régulièrement mises de
côté lorsque le souci de productivité est premier, ce qui a des répercussions sur le travail des collègues. Ils
peuvent être mis en lien avec leurs différences de composition : dans une équipe, la proportion d’intérimaires
qui complète les effectifs est plus importante, du coup l’âge moyen des salariés et leur ancienneté sont
moindres, on comprend que les équilibres individuels et collectifs s’y construisent autrement.
Les feuilles de relevé de la production ou devoir écrire son incapacité à tenir les cadences
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Afin de détecter les incidents survenant sur les machines, un dispositif de relevé horaire de production a
été mis en place. Chaque opératrice doit indiquer toutes les heures la quantité de pièces qu’elle a réalisées
et les motifs des éventuels retards pris. L’encadrement n’est pas censé utiliser ces données pour mesurer
la performance individuelle (et l’a expliqué à plusieurs reprises). Mais les opératrices (ou du moins
certaines d’entre elles) ont refusé de se plier à l’exercice. Elles ne remplissent les feuilles au mieux qu’en
milieu de poste, voire en fin de poste. Il s’agit pour elles d’une manière de préserver leur capacité à moduler
leur rythme de travail. Ainsi, elles travaillent plus vite que la cadence attendue lorsque le fonctionnement
des machines ou que leur propre état interne le permettent (prise d’avance), ce qui offre la possibilité de
compenser un retard lié à une panne, ou le besoin de souffler. Cette modulation du rythme est un enjeu de
santé. Sur un plan plus subjectif, indiquer sur le relevé que l’on n’a pas atteint son quota et devoir s’en
« justifier » les affectent profondément : elles sont traversées par des sentiments mêlés, atteintes dans
leur propre image parce qu’elles se voient incapables de tenir les cadences demandées, et en colère contre
ce travail qui les a usées mais qu’elles aiment malgré tout.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
La fragilisation du collectif ou le risque d’une perte d’efficacité
L’un des points marquants des analyses a été de constater des écarts dans la richesse des gestuelles
développées par les salariés. Les plus expérimentés disposent d’une palette de gestes qui leur permet de
varier les sollicitations. Pour les plus récents, apparaît en tendance un enfermement dans une manière de
faire unique, celle que la formatrice leur a enseignée au moment de leur intégration. Les différentes
transformations du travail citées précédemment (l’isolement sur les postes, la pression pour atteindre les
quotas, une ambiance tendue…), auxquelles s’ajoute la rareté des occasions et des temps d’échanges, ont
fragilisé l’apprentissage et la transmission de gestuelles variées pourtant facteur de santé. Il en est de
même pour les critères de qualité des pièces fabriquées. Les espaces nécessaires à l’élaboration de
critères collectifs (et pas seulement individuels) manquent. Cette fragilisation de la dimension collective de
l’activité rend les salariés plus vulnérables face aux risques de TMS et pourrait compromettre, si rien n’est
fait, la qualité de la production, pourtant un enjeu majeur de cet atelier. Il s’agit d’un sujet de préoccupation
dans l’entreprise.
Ces éléments d’analyse tentent d’éclairer des situations de travail très concernées par un risque de TMS
(même s’il n’y a pas de maladies professionnelles déclarées, les douleurs identifiées par le médecin du
travail sont nombreuses) et par un risque « psychosocial » si tant est que ce mot puisse désigner les
tensions dans les équipes, ou les relations grippées avec l’encadrement. Ils montrent selon nous
l’entremêlement des différents facteurs qui concourent à l’émergence de ces risques.
Au-delà du diagnostic, la naissance d’une dynamique
Au moment où nous écrivons cet article, bien que le diagnostic soit terminé depuis sept mois, la collaboration
avec l’entreprise se poursuit, ce qui nous permet d’assister à la dynamique que l’entreprise a décidé d’engager.
Du diagnostic au plan d’actions
Sur la base du document formalisant le diagnostic, deux séances de travail avec un groupe d’acteurs– ceux
qui avaient été des interlocuteurs privilégiés durant l’intervention, le responsable de production, le chef
d’atelier, le technicien méthodes et deux opératrices – et les intervenants, leur ont permis de s’approprier
les analyses et de clarifier les points qu’ils ne comprenaient pas. Puis ces acteurs se sont réunis entre eux
pour bâtir un plan d’actions.
Le diagnostic et ce plan d’actions ont été présentés à l’occasion d’un comité de direction (préparation à la
restitution au comité de pilotage). Les discussions qui se sont engagées avec les différents cadres ont été
essentielles dans la mesure où elles ont été l’occasion de revenir aux interrogations que chacun avait pu
énoncer au début de l’intervention (directeur du site, DRH, responsable production, chef d’atelier…). Elles
leur ont permis de vivre l’expérience étrange de pouvoir trouver, par l’entremise de l’analyse du travail, des
réponses à leurs questions, pourtant de natures très différentes au regard de leurs fonctions. Elles ont
aussi révélé quelques désaccords entre eux qui ont commencé à faire l’objet de débats.
Une présentation en comité de pilotage (associant le médecin du travail, l’ARACT, le CHSCT et deux
opératrices de l’atelier) a entériné la décision d’engager une démarche articulant plusieurs chantiers
devant aboutir à des transformations et dans la perspective générale de « reconstruire une dynamique
collective ».
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Touchant à tous les domaines (technique, organisationnel, humain…) et élargi à d’autres ateliers, ce plan
ambitieux va bien au-delà de ce que les intervenants auraient pu inscrire dans leurs préconisations. La
volonté de l’entreprise d’engager de front l’ensemble des actions nous fait même craindre qu’elle sousestime les moyens à dégager et les difficultés d’une telle démarche.
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Du plan d’actions à la mise en place de chantiers
Non seulement l’entreprise a mis les moyens nécessaires, mais elle a assumé le pilotage et la mise en
œuvre du plan d’actions, ne nous demandant de l’accompagner que sur quelques chantiers spécifiques.
• Une première action visait la mise en discussion du diagnostic et du plan d’actions au sein de l’atelier,
premier pas pour la recherche de volontaires pour les chantiers. Cela a pris la forme de deux réunions
de restitution à destination de l’ensemble des opérateurs des deux équipes (titulaires, intérimaires,
coordonatrices), en présence du chef d’atelier, du responsable production, du technicien méthodes, de la
DRH et du directeur du site, qui ont affirmé à cette occasion leur volonté de travailler différemment et se
sont engagés à mettre les moyens nécessaires pour y parvenir.
• Différents groupes de travail ont été constitués. Chacun, sur la base du diagnostic, a pour mission
d’identifier des actions d’amélioration immédiatement réalisables et des propositions de transformations
à plus long terme. Un groupe plus transversal a été mis en place pour réfléchir au réaménagement global
de l’atelier et des différents postes. Au-delà de cet atelier, des réflexions sont confiées aux opérateurs
pour transformer d’autres postes de travail.
• L’un des axes retenus dans le plan d’actions était de permettre à tous les opérateurs d’accroître leurs
compétences à l’occasion de la démarche. Pour cela, il a été décidé d’associer l’ensemble du personnel
de l’atelier aux transformations, chaque salarié participant à au moins l’un des groupes de travail mis en
place. De plus, deux formations ont été proposées aux opérateurs volontaires, l’une à l’ergonomie, l’autre
à l’animation de groupe, permettant d’outiller un « référent ergonomie » et un « animateur » intégrés à
chacun des groupes de travail. Chaque groupe est par ailleurs parrainé par un encadrant : responsable
de production, chef d’atelier ou technicien méthodes.
Pour notre part, nous avons accompagné le groupe chargé de l’implantation de l’atelier et déployé la
formation-action à l’approche ergonomique. Toutes ces actions sont encore en cours. Nous ne savons prédire
leur destin car elles ne se déploient pas sans que des obstacles viennent les contrarier. Mais la capacité des
interlocuteurs à les dépasser traduit le chemin qu’ils ont parcouru depuis le début de l’intervention et révèle
ce qui, à notre sens, permet d’installer une dynamique de prévention au sein de l’entreprise.
L’organisation d’une démarche de prévention ou une nouvelle manière de penser
globalement le travail ?
Un premier mouvement : des déplacements individuels
S’il a fallu tempérer l’impatience de nos interlocuteurs à déboucher trop rapidement sur des solutions
concrètes et ciblées, rappeler l’intérêt (et la demande) de construire un diagnostic global et partagé, prendre
le temps de discuter des analyse en cours, ce temps pour penser, gagné sur l’action, a eu des effets.
De nombreux temps d’échange ont eu lieu avec les salariés de l’atelier, ce qui est somme toute habituel
dans notre méthodologie, même s’il a fallu dépasser les premières réticences à l’égard de l’intervention.
Les discussions, menées sur les postes et axées sur la compréhension de l’activité de travail, ont permis
progressivement de mettre des mots sur des problématiques « psychosociales » enkystées qui ne se
disaient pas et favorisaient ainsi le développement des tensions et des conflits entre les équipes et en leur
sein. Ces difficultés qui faisaient obstacle au dialogue seraient restées inaccessibles à une investigation
trop rapide ou concentrée sur des aspects biomécaniques. Cette mise en mot constitue en soi un premier
déplacement.
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Plus inhabituels sont les temps d’échange que nous avons eus, de manière formelle ou informelle, avec
plusieurs membres de l’encadrement (directeur, responsable de production, DRH, chef d’atelier, technicien
méthodes…). La taille de l’entreprise a été incontestablement un facteur facilitant (les intervenants sont
identifiés, on se croise au café, à la cantine…) de même que la culture de l’écoute et du débat qui existe dans
cette PME. Toutes ces discussions, engagées sur la base des analyses en cours de réalisation dans l’atelier,
permettaient à chaque interlocuteur d’exposer sa lecture de la situation, de préciser les interrogations qu’il
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
avait ; en retour nous pouvions faire part de notre analyse, discuter de nos écarts de points de vue. Parfois,
les discussions étaient tendues, notamment lorsque les analyses pointaient le contre-effet d’une action
destinée, à l’origine, à améliorer la situation. Mais le déplacement de ces différents acteurs a été sensible
au fil de l’intervention. En interpelant leur propre activité et les effets de celle-ci sur le travail des
opérateurs, les échanges ont permis d’éclairer les impasses dans lesquelles ils pouvaient se trouver.
Ce premier mouvement est donc celui qui a permis à chaque acteur de progresser dans la compréhension
de la situation. Chacun se reconnaît dans l’éclairage apporté par le diagnostic en ce qu’il permet d’établir
des liens entre des éléments jusque-là pensés de manière cloisonnée et, pour chacun, de situer sa propre
activité dans cette compréhension globale.
Un second mouvement : l’investissement d’un espace collectif de débats entre pairs
Ces mouvements individuels ont été la condition pour pouvoir engager des réflexions collectives à plusieurs
niveaux.
• Entre les opératrices : des réunions de travail ont été organisées, dans un premier temps par équipe, puis
dans un second temps entre les deux équipes. Elles cherchaient notamment à dépasser les tensions pour
réengager le dialogue sur le travail. Ces réunions n’ont pas toujours été faciles (l’histoire ne s’efface pas
aussi rapidement) mais quelques signes donnent à penser que le fonctionnement collectif s’est dégrippé.
Tous les salariés sont aujourd’hui engagés dans des chantiers et l’on perçoit dans les rapports qu’ils
entretiennent entre eux et avec leur hiérarchie une moins grande réticence à énoncer leurs points de vue.
• Entre les cadres : au-delà de la réunion du comité de direction évoquée précédemment, des moments
plus informels, telle que la restitution des analyses et du plan d’actions aux équipes, ont aussi été
importants. Par exemple, à cette occasion, l’encadrement de l’atelier va se rendre compte en direct d’un
problème de coordination entre les différents services. Un des postes de travail de l’atelier est concerné
par un projet d’automatisation. Le plan d’actions ergonomique prévoit la participation des opératrices à
la définition du cahier des charges de la future machine, mais celui-ci est déjà transmis au concepteur
par le service Méthodes. La production (encadrement comme opérateurs) s’apprête à réceptionner une
machine sur laquelle elle n’a pas donné son avis. Après un instant d’abattement, le responsable production
prend l’initiative d’aller discuter avec le responsable Méthodes. Il réalise que la charge de travail aux
Méthodes est importante dans la mesure où le directeur du site veut développer de nouvelles productions
dans d’autres ateliers (faire seul le cahier des charges est d’abord un moyen de gagner du temps). Les
deux responsables décident d’en faire un objet de débat en comité de direction. De nouveaux compromis
s’établissent : nouvel arbitrage sur les priorités et les délais proposé par le directeur, négociation avec le
concepteur, moyens humains complémentaires mis à disposition par la DRH… De la même manière, le
plan d’actions qu’ils ont convenu d’engager les amène à se coordonner et à s’accorder sur la mise en
place des chantiers.
Chaque salarié, quelle que soit la fonction qu’il occupe, fait l’épreuve que travailler de manière décloisonnée,
c’est d’abord faire l’expérience des contraintes des autres et de la nécessité des ajustements mutuels. Cela
rajoute de la complexité et des contraintes dans l’activité de chacun, mais la découverte de nouvelles
marges de manœuvre et la satisfaction d’obtenir un résultat plus satisfaisant soutient cette nouvelle
manière de travailler.
Troisième mouvement : des espaces de travail collectifs entre différentes fonctions
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En tendance, les différents chantiers qui s’engagent s’appuient désormais sur un travail collectif où les
toutes fonctions de l’entreprise sont représentées (production, maintenance, méthodes…) et ont leur mot à
dire. Pour reprendre l’exemple de la nouvelle machine, des réunions de travail associant quelques salariés
de l’atelier ont été organisées pour que le concepteur présente son projet de machine et intègre des
modifications. Les opératrices ont soulevé des problèmes de conception qui vont faire l’objet de
changements. Ainsi, l’expérience des salariés (opérateurs de production, de maintenance, de logistique) a
dorénavant une place à occuper dans les transformations. Les responsables s’étonnent d’ailleurs de leurs
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
capacités de réflexion et de créativité dès lors qu’on leur offre l’espace et la légitimité de le faire. Notre
participation à l’un des chantiers nous permet de vivre ce processus de construction collective d’une
solution qui intègre les différentes logiques. Il est complexe, parfois décourageant mais finalement exaltant.
L’approche globale du travail : le meilleur vecteur d’une prévention durable ?
Ces mouvements décrits constituent d’une certaine manière des repères de méthodes quant à la mise en
place d’une dynamique de prévention au sein de l’entreprise. Mais ils permettent également de discuter de
repères plus « théoriques ».
Au cours des séances de travail des groupes chargés de transformer les installations, les différents acteurs
ont pris la mesure de l’importance du point de vue des uns et des autres. Mais le point de vue des utilisateurs
de ces installations a souvent fait basculer les compromis de leur côté. Parce que ce point de vue particulier
vient lester les réflexions d’une certaine réalité, celle du quotidien, de la pratique, de l’activité. Il ne s’agit pas
d’une préoccupation parmi les autres. Ce point de vue établit de fait une synthèse entre les différentes
logiques à l’œuvre qui contribuent chacune à déterminer la situation de travail. Il renvoie à chacun des
porteurs d’une logique l’impact que produit son activité sur celles des utilisateurs ainsi que l’effet que produit
l’interaction des logiques. Il constitue la corde de rappel, en même temps que le trait d’union entre les
différents acteurs. Il dégrise les concepteurs qui ne peuvent plus continuer à concevoir des organisations ou
des installations en solitaire, dans la certitude d’avoir pensé les choses de manière optimale. Il produit de
l’intelligence collective qui vient en soutien des activités individuelles et, par là même, il est facteur de santé.
Il nous semble que la réussite de cette expérience tient dans le fait qu’elle a su déborder le cadre strict
d’une démarche de prévention focalisée sur tel ou tel risque. L’invitation à laquelle ont répondu les acteurs
de cette entreprise, c’est celle d’une nouvelle manière de penser ensemble le travail. Même lorsqu’elles
préconisent de porter un regard global sur le travail, les démarches de prévention des risques découpent
dans la réalité de l’entreprise un objet particulier, qui sera éventuellement pris en charge par des acteurs
identifiés dont c’est la fonction. Or le projet perd, de fait, de son sens puisque c’est un objet désincarné,
déréalisé. Au mieux, ce type de projet contribue à créer de nouvelles prescriptions qui viennent s’ajouter
aux mille-feuilles des autres prescriptions.
En visant l’amélioration des capacités collectives à concevoir un travail en santé, et pas seulement la
prévention d’un risque, le projet se donne l’opportunité de fédérer plus largement la diversité des acteurs
de l’entreprise, et d’installer durablement de nouvelles manières de penser le travail.
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Apparaît en filigrane dans cette façon d’aborder la prévention une certaine conception de la santé au
travail : elle s’inscrit dans la perspective de G. Canguilhem pour qui la santé se définit comme un processus
développemental où chaque individu, pour être en santé, ressent la nécessité de pouvoir construire du lien
entre les choses, de reconfigurer son milieu, d’être acteur. N’est-ce pas finalement ce que cette intervention
a permis de faire auprès des différents participants ?
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Traiter de « surcharge de travail »,
une intégration des troubles
musculosquelettiques
et des risques psychosociaux
icheline Boucher
M
Confédération des syndicats nationaux (CSN),
Montréal (Canada)
D
epuis quelques années, des syndicats acheminent des demandes sur la question de la surcharge
de travail et de ses effets sur la santé physique et mentale des salariés(es) à divers paliers de la
structure de la CSN. Un mandat explicite est confié à une équipe de trois professionnels en prévention
de la santé et de la sécurité du travail. Cette équipe, dont je fais partie, doit produire des outils pour aider
les syndicats locaux et leurs conseillers à ouvrir un espace de discussion et de négociation avec les
employeurs sur la question de la surcharge de travail.
L’équipe se compose d’un ingénieur industriel junior, d’une spécialiste des questions de santé psychologique
au travail et d’une ergonome. Depuis 2009, nous sommes en contact avec M. Pierre- Sébastien Fournier,
professeur en management à l’Université Laval de Québec et chercheur principal d’une recherche-action
sur la question de la surcharge de travail. Une entente de collaboration nous permet d’utiliser le modèle
développé par cette équipe et de partager les questions et les résultats de nos travaux respectifs.
L’approche privilégiée veut :
• tenir compte des aspects physiques, cognitifs et émotionnels de la charge de travail ;
• documenter la charge prescrite, la charge réelle et la charge subjective de travail et les ressources de
l’entreprise ;
• documenter le contexte organisationnel dans lequel l’entreprise et les travailleurs se situent ;
• utiliser les impacts et conséquences sur la santé des salariés-es et sur la production de l’entreprise
comme déclencheurs d’une démarche de redéfinition de la charge de travail.
Plusieurs outils sont élaborés. Présentement, ils sont utilisés sur le terrain dans au moins un milieu de
travail : une grande entreprise de communication. Les questions suivantes seront discutées.
Aborder de façon intégrée les impacts physiques et psychologiques du travail sur les individus induit
un changement de paradigme dans notre compréhension de la prévention. Soit celui de passer d’une
conception linéaire et unicausale de la SST (dose x toxicité = effets sur la santé) à une conception holistique
de la santé au travail influencée par de multiples facteurs de risque autant physiques, physiologiques que
psychologiques, sociaux ou organisationnels. Ce passage est très difficile à faire car la conception de la
santé et de la sécurité du travail au Québec est encore campée sur l’approche traditionnelle.
Dans le même sens, au Québec, la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) n’intervient
pas sur l’organisation du travail. Cela relève du droit de gérance et des relations de travail. Notre approche
sur la surcharge de travail interpellant directement l’organisation du travail revendique par le fait même le
droit pour les salariés(es) et leurs représentants syndicaux de prendre part à la définition du travail, et ce,
au nom de la protection de leur santé, de leur sécurité et de leur intégrité physique et mentale.
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Finalement, le fait que la proposition d’analyser et de discuter de surcharge de travail vienne d’une
organisation syndicale et non de l’intervention d’un tiers (consultants, Association sectorielle paritaire,
Inspection du travail) impose d’avoir ou de créer des conditions favorables (ouverture de l’employeur,
perception du rôle d’un syndicat, etc.) et force la vigilance afin d’éviter une série d’écueils relatifs à notre
position dans l’entreprise (rapport de force, chevauchement d’enjeux syndicaux, réactions à la conjoncture
économique, etc.).
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Les pratiques de management :
un incontournable dans la prévention
des risques psychosociaux au travail
ichel Vézina
M
Conseiller médical en santé au travail, Institut
National de Santé Publique du Québec (INSPQ)
Carole
Chénard
Responsable du projet promotion de la santé au
travail (INSPQ) (Canada)
L
es résultats de l’enquête québécoise sur des conditions de travail, d’emploi et de santé et sécurité
du travail (EQCOTESST) montrent bien que la prévalence des TMS est beaucoup plus importante
chez les travailleurs exposés à des contraintes organisationnelles et psychosociales du travail
(ex : tension au travail (job strain), tension au travail avec faible soutien (iso-strain), déséquilibre effortreconnaissance, travail émotionnellement exigeant, situations de tension avec le public, harcèlement
psychologique, harcèlement sexuel, etc.) que chez ceux qui ne sont pas exposés à ces contraintes. Des
modèles ont d’ailleurs déjà été proposés pour décrire les liens importants et bidirectionnels entre les
problèmes de santé mentale, les douleurs musculo-squelettiques et les contraintes organisationnelles du
travail (Cnockaert 2000 ; Fawcett 2005 ; Karsh 2006 ; Moon et Sauter 1996 ; NRC 2001 ; Stock et al 2006).
Dans ce contexte, la réduction des facteurs de risque psychosociaux en intervenant au niveau des
pratiques de gestion (management) apparaît comme une priorité en santé publique. C’est dans cette
perspective que l’Institut National de Santé Publique du Québec (INSPQ) a développé un outil permettant
d’identifier les risques psychosociaux en entreprise [.http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/930_
GrilleRisquePsychoTravail.pdf ]
De façon plus spécifique, la grille d’identification des risques psychosociaux a été développée pour aider les
intervenants du milieu à asseoir leur jugement professionnel sur des repères communs objectivables, qui
permettent d’avoir une certaine cohérence dans l’appréciation de l’importance des risques psychosociaux
dans une entreprise. Cet outil repose sur l’information recueillie auprès de représentants à la fois des
travailleurs et de la direction. Ces informateurs-clés peuvent être rencontrés séparément ou ensemble, ce
qui est déjà un bon indice du climat dans l’entreprise.
L’outil permet l’identification d’un indice chiffré du risque psychosocial dans l’entreprise. Cet indice va de
0 à 3 pour chacun des 12 indicateurs (0 = aucun risque, et 3 = le risque le plus élevé). Pour chacun de ces
niveaux de risque, il existe des définitions opérationnelles, définitions basées sur des exemples concrets de
pratiques de management qui existent ou non dans le milieu. La grille est divisée en deux parties et chaque
partie comprend 6 indicateurs. La première partie porte sur des données de base : des données factuelles
sur le contexte et les activités préventives dans l’entreprise et les six autres indicateurs concernent les
composantes-clés de l’organisation du travail.
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Pour la première partie, l’outil aborde les sujets suivants :
• D’abord, le contexte de l’emploi permet de connaître l’importance de l’insécurité d’emploi et des
changements organisationnels en cours ou prévus, soit parce que le secteur est actuellement en
décroissance ou soit encore parce qu’un plan de réduction des effectifs est en train de se faire ou est
anticipé.
• L’absence maladie est évaluée en fonction de la fréquence et de la durée des absences dans l’entreprise.
Selon le niveau, si par exemple plus de 50% des absences sont dus à des problèmes de santé psychologique,
l’entreprise pourra avoir 3 points. Elle a 2 points si elle a mis en place un programme depuis quelque
temps, etc. Le présentéisme est également utilisé, comme indicateur complémentaire.
• Existe-t-il une politique de santé au travail dans l’entreprise ? Cette politique concerne-t-elle uniquement
les risques physiques et les risques d’accidents de travail ? Ou concerne-t-elle également les risques
psychosociaux. Peu d’entreprises ont des politiques articulées qui concernent les risques psychosociaux,
donc peu d’entreprises ont un risque 0. Mais si elles ont beaucoup d’activités préventives dont certaines
concernent les risques psychosociaux du travail, elles peuvent avoir de 1 à 2 points, par exemple.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
• Existe-t-il une politique contre le harcèlement psychologique au travail ? Est-elle appliquée ? Est-elle
évaluée ? Plusieurs sous-questions permettent de statuer sur le niveau 0 à 3.
• Existe-t-il dans l’entreprise un programme pour favoriser le retour au travail suite à un problème de
santé psychologique ?
• Y a-t-il des activités ou une approche pour favoriser la conciliation travail-vie personnelle ?
Les six autres indicateurs concernent les composantes-clés de l’organisation du travail, c’est-à-dire des
dimensions reconnues pathogènes en lien avec le modèle de « demande-autonomie-soutien » (Karasek
et Theorel, 1990), qui rend compte d’un vécu d’aliénation au travail et avec le modèle de «déséquilibre :
effort/reconnaissance» (Siegrist, 1996), qui permet de caractériser un vécu d’exploitation au travail. La
grille permet également de prendre en compte des dimensions du modèle de justice organisationnelle,
qui comporte une composante procédurale (l’impartialité dans les processus de prise de décision) et une
composante relationnelle (capacité du supérieur à prendre en considération le point de vue de l’employé
et à le traiter de façon juste et équitable) (Elovenio et al, 2002, Kivimaki et al, 2003). Les 6 indicateurs
retenus à titre de composantes-clés de l’organisation concernent la charge de travail, la reconnaissance,
le soutien social des supérieures, le soutien social des collègues, la latitude décisionnelle, l’autonomie
et l’information et la communication dans l’entreprise. Pour chacun de ces indicateurs, le score varie
également de 0 à 3 en fonction de l’existence ou non dans l’entreprise de pratiques managériales qui sont
favorables à ces dimensions critiques de l’organisation du travail.
Un des intérêts de la grille réside dans le caractère objectif de la mesure de 0 à 3. Mais ce n’est pas
automatique. Ce n’est pas un indice qu’on calcule en faisant l’addition des réponses. C’est vraiment un
jugement appuyé sur l’existence ou non de faits, de pratiques de management précises, mais également
sur l’importance du subjectif, verbal ou non verbal.
À la fin de l’exercice, un rapport synthèse est remis à l’entreprise, rapport qui permet d’éclairer les zones
à risque dans le milieu et de positionner l’entreprise par rapport à un groupe de référence. De plus, des
orientations à privilégier sont identifiées pour chacune des problématiques les plus importantes.
En partant d’un langage commun, cet outil permet une meilleure transparence et une meilleure coopération
entre les acteurs du milieu, ce qui améliore le dialogue social dans l’entreprise. L’outil comporte également
une dimension pédagogique, car il permet d’indiquer aux entreprises les pratiques de management à mettre
en place pour améliorer leur niveau de risque psychosocial. À l’usage, on s’aperçoit que le recours à cet outil
va bien au-delà de l’objectif visé au départ, soit d’identifier des risques psychosociaux dans l’entreprise. Il
permet en effet de créer dans le milieu un « momentum », un espace de parole, pour favoriser le dialogue
et l’action concertée des partenaires du milieu sur le sujet particulièrement sensible que constituent les
pratiques managériales. Il peut en résulter ainsi la mise en place d’actions préventives concrètes, autour
de un ou de quelques indicateurs problématiques.
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Pour en arriver à cet objectif, une analyse plus approfondie des facteurs de risque peut être requise avant de
procéder à l’élaboration du plan d’action (St-Arnaud et al, 2010) [ http://www.pistes.uqam.ca/v12n3/articles/
v12n3a4.htm ]. Le milieu peut en effet avoir recours à une démarche qualitative de type «focus group» où les
membres du groupe sont invités dans un premier temps à identifier les situations dans le milieu de travail qui
actualisent le facteur de risque repéré dans l’entreprise. L’objectif de la discussion libre est de comprendre
les dynamiques organisationnelles et relationnelles qui sont à l’origine des éléments pathogènes identifiés
par la grille et de donner ainsi un sens à l’évaluation. Par la suite, les participants sont invités à proposer des
solutions afin d’éliminer ou de réduire les problèmes identifiés. La hiérarchisation des correctifs à apporter
peut se faire par la technique du groupe nominal, en fonction de critères telle la faisabilité de l’intervention
(ex. : ressources requises, acceptabilité des changements par le milieu, etc.) ou encore en fonction de
l’importance des problèmes vécus (ex. : le nombre de travailleurs exposés, la gravité des problèmes, etc.).
Le résultat final de cette étape de la démarche doit permettre l’identification d’un ensemble d’activités
structurées pour des unités ciblées dans l’entreprise dans le but d’améliorer la situation en regard de l’un
ou l’autre des indicateurs considérés problématiques. Ainsi, le contenu du plan d’action doit préciser dans
un langage clair : la nature du problème en lien avec les variables ciblées, le type d’actions à réaliser, la
personne responsable, l’échéancier et les critères d’évaluation. Trois à quatre rencontres de deux à trois
heures avec le groupe sont habituellement nécessaires pour la réalisation de ce plan d’action.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Le groupe peut également s’inspirer des actions réalisées dans d’autres milieux et dont l’efficacité a été
démontrée. Ainsi, à titre d’exemple, le groupe interdisciplinaire de recherche sur l’organisation et la santé
au travail (GIROST) a publié un guide de pratiques organisationnelles favorables à la santé à la suite des
résultats probants d’un projet de recherche-intervention évaluative sur l’organisation de travail réalisé
dans une entreprise du secteur de l’assurance au Québec (Gilbert-Ouimet, Baril-Gingras, Brisson, Vézina,
2009). Ce guide s’appuie sur des pratiques implantées au sein de cette entreprise et qui ont été reconnues
efficaces à réduire les problèmes de santé mentale, cardio-vasculaires et musculo-squelettiques.
Ainsi pour favoriser un meilleur équilibre entre la charge de travail (demandes psychologiques) et la
latitude décisionnelle, le guide montre bien l’importance d’un style de management participatif, lequel
peut se traduire par la mise en œuvre de pratiques favorisant la contribution des employés à la conception
des tâches, au fonctionnement de l’organisation et au processus décisionnel. De façon plus spécifique,
deux pratiques sont à mentionner : la création de comités et la tenue d’ateliers de travail ou de rencontres
d’équipe (afin de participer à la conception et à la prise de décisions) et des rencontres individuelles de
suivi de dossiers (afin d’ajuster la charge de travail, la nature des mandats et de discuter des difficultés
au travail). Cette façon de faire permet également de reconnaître l’expertise et le jugement du personnel.
Quant à la charge de travail, l’ajout transitoire ou permanent de personnel ou encore le remplacement de
personnel lors des absences sont autant de moyens permettant de réduire la surcharge de travail. Il en va
de même pour le « coaching » ou le mentorat qui met en relation un employé et un « coach » (qui peut être
un supérieur immédiat, un consultant extérieur ou un collègue de travail), permettant ainsi à l’employé
d’être confronté à une demande psychologique moindre que s’il était laissé à lui-même.
Quant à l’équilibre entre les efforts et la reconnaissance, la mise en place d’un contexte de travail permettant
de combler les besoins d’estime des individus est à privilégier ; ce qui peut être réalisé grâce à des activités
permettant de reconnaître tant la qualité des résultats que les efforts fournis par le personnel pour les
atteindre. Ces réalisations peuvent être soulignées lors de rencontres avec un supérieur ou lors de rencontres
d’équipes ou inter-équipes. La reconnaissance peut se manifester également par des pratiques visant à
accorder plus de responsabilités, plus d’autonomie ainsi qu’à accroître la diversité des tâches des employés.
Cet enrichissement des tâches peut requérir une formation préalable qui constitue également une forme de
reconnaissance du potentiel des travailleurs et une façon d’accroitre son autonomie à plus long terme.
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Bien que nous n’ayons pas encore de donnée montrant que l’utilisation de cet outil a mené à une réduction des
LMS, il importe de mentionner, en terminant, que nous avons par ailleurs plusieurs exemples d’entreprises
qui, à la suite de l’utilisation de la grille, ont mis en place des interventions visant à réduire certaines
situations considérées comme problématiques. C’est ainsi que certains milieux de travail ont entrepris
des démarches participatives visant notamment la mise en œuvre d’un programme de reconnaissance ou
encore de prévention du harcèlement psychologique (ou moral) au travail. Aussi, le lien entre réduction des
contraintes psychosociales et réduction des LMS étant bien établi, nous avons tout lieu de croire que les
interventions implantées pourront avoir également un effet bénéfique sur les LMS.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Bibliographie :
Cnockaert J.-C. (2000) Influence du stress sur les TMS dans Prévenir les TMS du membre supérieur – de la
réflexion à l’action. INRS, Paris. p. 19-22.
Elovainio M, Kivimaki M, Vahtera J. Organizational justice : evidence of a new psychosocial predictor of
health. American Journal of Public Health 2002 ; 92 :105–8.
Fawcett J. (2005). Integrating “psychosocial” Factors into a Theoretical Model for Work-Related
Musculoskeletal Disorders, Theoretical Issues in Ergonomics Science, 6 (6) : 531-50.
Gilbert-Ouimet, M, Baril-Gingras, G, Brisson, C, Vézina, M,, 2009, « Guide de pratiques organisationnelles
favorables à la santé », Unité de recherche en santé des populations, Centre hospitalier affilié à l’université
Laval, Québec.
Karasek, R.A., Theorell, T. (1990) Healthy work : stress, productivity and the reconstruction of working life.
New-York : Basic Books.
Karsh B. Theories of work-related musculoskeletal disorders : implications for ergonomic interventions.
Theoretical Issues in Ergonomics Science 2006 ; 7(1) :71-88.
Kivimaki M, Elovainio M, Vahtera J, Ferrie J E. Organisational justice and health of employees : prospective
cohort study, Occupational Environmental Medicine, 2003 ; 60 :27–34.
Moon D, Sauter S. Beyond biomechanics : psychological aspects of musculoskeletal disorders in office
work. London (UK) : Taylor & Francis ; 1996.
National Research Council. Musculoskeletal disorders and the workplace : low back and upper extremities.
Washington DC : National Academy Press ; 2001.
Siegrist J. Adverse health effects of high effort low-reward conditions. Journal of Occupational Health
Psychology 1996 ; 1 : 27-41.
St-Arnaud, L, Gignac, S, Gourdeau, P, Pelletier, M. et VÉZINA, M, (2010), « Démarche d’intervention sur
l’organisation du travail afin d’agir sur les problèmes de santé mentale au travail », PISTES, Vol 12, # 3,
novembre 2010, http://www.pistes.uqam.ca/v12n3/articles/v12n3a4.htm
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Stock S, Vézina N, Seifert AM, Tissot F, Messing K. Les troubles musculo-squelettiques au Québec, la
détresse psychologique et les conditions de travail : relations complexes dans un monde du travail en
mutation. Santé, Société et Solidarité 2006, 2 :45-58.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
De l’intérêt de lier « TMS »
et « RPS » : quelles implications
pour l’organisation de l’action
de prévention ?
abien Coutarel
F
Clermont Université, Université Blaise Pascal, EA
4281, PAEDI (France)
L
es retours des praticiens comme les travaux scientifiques récents dans le champ des troubles
musculo-squelletiques et/ou des risques psychosociaux liés au travail soulignent l’intérêt de ne pas
trop dissocier les deux risques dans les démarches de prévention. Ceci nous conduit finalement à
considérer que les démarches collectives de prévention gagnent en efficacité lorsque le risque, quel qu’il
soit (TMS ou RPS), est appréhendé comme une occasion (un prétexte ?) pour interroger le travail.
Les TMS et RPS relèvent tous deux d’une catégorisation par risques des atteintes à la santé. La littérature
parle aujourd’hui de risques professionnels, de facteurs de risques, de risques toxiques, de risques
physiques, de risques psychosociaux, de risques liés au stress, de risques psychiques… Ces catégories
de risques liés au travail sont reprises régulièrement deci delà en ne réinterrogeant précisément que trop
rarement ce qu’elles embrassent respectivement, et ce qui les distingue.
En ce qui concerne les TMS, les définitions varient selon les auteurs. Soit elles renvoient à une localisation
anatomique des symptômes, soit à un facteur de risque particulier. Le terme Troubles Musculo-Squelettiques
(TMS) s’inscrit dans le premier cas. Cette catégorie comprend selon les auteurs des pathologies des
membres supérieurs, de la nuque, parfois du dos, voire même des membres inférieurs. Les symptômes
peuvent concerner des entités anatomiques différentes, impliquées dans la mobilisation spatiale du corps
humain : essentiellement des muscles, des tendons, et des os. La littérature parlera également de lésions
ostéoarticulaires ou périarticulaires, de lésions des tissus mous. Certaines dénominations insistent
explicitement sur le lien au travail : troubles musculo-squelettiques liés au travail. La dénomination
« TMS du membre supérieur (TMS-MS) » est la plus restrictive. Elle inclut néanmoins des pathologies
très différentes de l’épaule, du coude, du poignet, de la main, et dont les tableaux étiologiques diffèrent
également (par exemple, Toomingas et al, 1997).
D’autres dénominations insistent sur un facteur de risque : pathologies d’hypersollicitation, Lésions
attribuables au travail répétitif, pathologies d’usure ou syndrome de surutilisation, sont les plus
fréquentes… Elles regroupent une très grande diversité d’atteintes, dont les différences sont gommées, de
fait. En insistant sur une cause a priori, ces dénominations contribuent aussi à véhiculer une représentation
simpliste des atteintes en totale divergence avec les tableaux étiologiques les plus récents, dont nous
verrons que l’évolution tend à la complexification.
De par leur flou, leurs imprécisions ou leur caractère simpliste, les différentes dénominations de ce que
nous appelons TMS rendent délicate toute perception du périmètre des atteintes concernées. En parlant de
TMS, on ne dit à la fois pas grand-chose des symptômes et pas grand-chose du travail. D’un point de vue
médical, chaque symptôme disposera après diagnostic d’une dénomination précise et spécifique. Mais la
singularité des cas d’une part, et le lexique médical complexe orienté vers le patient et non vers le travail,
d’autre part, rendent difficile l’accès à un cadre de définition satisfaisant pour l’acteur de la prévention.
On constatera sans le détailler le même flou ambiant autour de la notion de « RPS ». Stress, latitude
décisionnelle, soutien social, exigences du travail, reconnaissance, monotonie, etc. sont des concepts
convoqués dans et autour de la thématique RPS, dont les frontières varient une fois encore selon les
auteurs, et qui se recouvrent plus ou moins les uns les autres. Des travaux de clarifications existent
pourtant (Molinier, 2009).
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Que l’on parle de TMS ou de RPS, la logique simpliste de type cause-effet n’est plus d’actualité dans cette
approche par risques : il s’agit de mettre en œuvre une logique systémique en termes de facteur. Différents
facteurs de risque interagissent selon des configurations particulières et la présence des facteurs en
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
cause n’entraîne pas de facto la survenue de l’effet (Molinier, 2009). La description au niveau des populations
de travailleurs des configurations pathogènes les plus fréquentes est utile aux connaissances et à l’action
à un niveau populationnel. L’épidémiologie, en particulier, porte ce projet de surveillance populationnelle,
qui établit des relations statistiquement significatives entre des variables et notamment, dans le champ de
la santé au travail, entre des facteurs de risque et des symptômes. Les démarches de prévention, pour une
grande partie d’entre elles, se sont adossées à ces modèles et ont conduit aux approches par risque de la
prévention. Ces approches isolent les déterminants les uns des autres dans l’analyse et la transformation
des situations de travail. Les partisans de l’ergonomie de l’activité en connaissent les impasses : solutions
très locales qui, au mieux, ne font que déplacer le problème ; réponses successives dans le temps sans
cohérence générale ; investissements déçus… Les TMS et les RPS sont dits « aspécifiques » : une même
situation peut causer des symptômes différents et des symptômes identiques peuvent être générés par
des situations différentes. L’entrée par les symptômes et les risques ne dit rien de la situation de travail à
transformer.
Renouer des liens entre les « facteurs de risque TMS et RPS »
La thématique des TMS est marquée d’une évolution progressive des modèles étiologiques vers une
complexification des relations entre des facteurs de risques et des symptômes. Cette évolution a
essentiellement été portée par l’approche épidémiologique et le nombre très conséquent de travaux
conduits depuis 30 ans (selon cette approche-là), qui ont par ailleurs mené à des avancées sociales
majeures pour les travailleurs.
Les modèles produits se sont d’abord concentrés sur la mise en évidence des contraintes biomécaniques
associées au mouvement humain au travail et concernant les tissus, en lien avec les facteurs de susceptibilité
individuelle (caractéristiques individuelles). Au fil des travaux et des années, et probablement face aux échecs
de ces premiers modèles à prédire de manière satisfaisante l’évolution des situations (modèles exagérant,
par exemple, souvent la probabilité d’apparition des symptômes), le spectre des déterminants (facteurs de
risques) identifiés s’est progressivement élargi. Les plus récents modèles intègrent le stress, les risques
psychosociaux et les risques organisationnels. L’analyse des contenus des travaux présentés au congrès
international faisant référence dans le champ des TMS (PREMUS) depuis 2004 témoigne de cette évolution.
Les travaux de Bongers et coll. en 1993 font actuellement office d’étude princeps sur ce point. Malgré
les difficultés auxquelles conduisent cette évolution (définition des facteurs, indépendance des variables,
catégorisations très différentes selon les auteurs…), ces résultats nous invitent à reconstruire des liens
entres TMS et lombalgies, entre TMS et stress, entre TMS et risques psychosociaux et organisationnels.
Le projet de la recherche épidémiologique est d’opérer une surveillance populationnelle qui établit des
relations statistiquement significatives entre des variables et notamment, dans le champ de la santé au
travail, entre des facteurs de risque et des symptômes. Les démarches de prévention, pour une grande partie
d’entre elles, et alors même que leur projet est autre (l’action de transformation de situations singulières et
complexes), se sont adossées à ces modèles et ont conduit aux approches par risque de la santé au travail.
Ces approches isolent les déterminants les uns des autres dans l’analyse et la transformation des situations
de travail. Les partisans de l’ergonomie de l’activité en connaissent les impasses : réponses locales qui,
au mieux, ne font que déplacer le problème, réponses successives non cohérentes, résultats obtenus
insatisfaisants… L’émergence de modèles étiologiques complexes en épidémiologie offre probablement
une opportunité pour une attention nouvelle aux propositions des approches globales du travail et des
thématiques qui lui sont associées.
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Nous interprétons cette évolution comme une confirmation de la pertinence d’une approche globale
et systémique des situations de travail, et donc comme une reconnaissance implicite du potentiel de
l’ergonomie de l’activité en matière de prévention. De nombreux praticiens ont eu l’occasion de souligner
ces dernières années et à plusieurs reprises la proximité des TMS et des RPS en termes de stratégies
d’intervention.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Cette analyse, personnelle et donc probablement pas (encore ?) consensuelle, ne doit-elle pas nous servir
d’exemple, pour éviter d’attendre 30 ans que d’autres travaux nous invitent à considérer les RPS comme
une simple porte d’entrée (utile commercialement, à la mode, etc.) vers le travail ?
L’évolution des travaux épidémiologiques est donc convergente avec les retours des praticiens : elle incite
à renouer des liens entre les types de risques. La prévention collective interroge à ce titre l’organisation du
travail, autrement dit, la nature et la mise en œuvre des prescriptions et procédures qui tendent à organiser
socialement l’expérience humaine du travail. Les TMS et les RPS peuvent alors être appréhendés comme
le reflet de l’impossibilité pour le travailleur de négocier partiellement avec son milieu professionnel, à
l’aune de ses critères du travail bien fait.
Le travail comme expérience : le risque de soi au travail par-delà les risques
professionnels
Interroger le travail, pour les intervenants de la prévention, c’est prendre le soin d’en respecter au moins
deux caractéristiques essentielles : la complexité et l’imprévisibilité partielle du travail. Nous nous référons
ici essentiellement aux travaux de Yves Schwartz. Les multiples dimensions de la mobilisation humaine au
travail et les différentes formes de prescription portant sur lui, y compris celles du travailleur lui-même,
nécessitent en effet « à chaud » des arbitrages situés ; la systématique singularité des situations de travail,
où l’interprétation des écarts à la « normalité organisationnelle prescrite» s’avère décisive.
Le travail, comme aventure individuelle et collective, ne peut jamais se réduire à une quantité de plusvalue ou de marchandise, qu’elle soit exprimée en termes d’emplois, de volumes horaires ou de résultats
productifs. Il ne peut être réduit non plus à sa dimension effectrice, au mouvement, à la posture adoptée.
Tout travail suppose une mobilisation physique, cognitive et subjective de celui ou celle qui l’exerce, en lien
avec d’autres acteurs, dans un cadre partiellement contraint, mobilisation que les ergonomes appellent
activité de travail. Il convient de dénoncer les approches réductrices du travail : l’ignorance dont elles
témoignent conduit aujourd’hui, d’une part, à des décisions graves en matière de gestion des ressources
humaines et de choix organisationnels, et d’autre part, à des actions inefficaces en matière de prévention.
Il est nécessaire de requestionner, la « ressource humaine », autrement dit le statut du travailleur et du
travail au sein des organisations contemporaines.
L’ergonomie de l’activité est marquée de la distinction fondatrice entre travail réel et travail prescrit (Guérin
et al, 1997 ; Falzon, 2004), qui se décline au double niveau de la tâche et de l’activité. Les tâches sont des
objectifs à atteindre, dans des conditions déterminées. L’activité est la mobilisation de la personne pour
atteindre les objectifs qu’elle se fixe à partir de ceux qu’on lui fixe. L’activité réelle d’une personne est
toujours singulière, et ne peut être limitée à la vision théorique qu’en ont en général les concepteurs ou les
organisateurs. Dans son activité, l’opérateur ou l’opératrice doit adapter ses modes opératoires pour gérer
les variations de son propre état et celles de la situation de production (variabilité des matières premières,
des outils, des demandes des clients etc.). Cette activité, dite de régulation, se traduit par une performance
(atteinte de résultats conformes aux objectifs) et par un coût plus ou moins élevé pour la personne (fatigue,
douleurs, voire accidents, exposition à des toxiques…).
Le travail n’est donc jamais la simple exécution d’une tâche prescrite par l’organisation. La « grève du
zèle » en est la meilleure démonstration : si les travailleurs, de la direction à la production, ne faisaient
strictement que ce qu’on leur demande, aucune production (de bien ou de service) ne satisferait les attentes
(explicites et implicites) des clients de ce travail. Les grandes caractéristiques de l’activité sont reprises
par Daniellou et Rabardel (2005) : finalisée, médiée, singulière, historique, subjective et intégrative.
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Le travail est donc une rencontre entre une personne particulière, porteuse de ses spécificités et de son
histoire, et un ensemble de déterminants qu’elle ne peut pas modifier à loisir (règles, outils, matières
premières, environnement matériel, etc.), pour atteindre des objectifs (tâches), qui ne dépendent pas que
d’elle, dans un cadre toujours collectif, les collaborations et confrontations avec autrui pouvant prendre
des formes plus ou moins directes. Cette rencontre constitue toujours une activité de mise en confrontation
et d’arbitrage (conscient ou non) entre différentes normes : celles qui sont présentes dans la situation de
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
travail, et celles dont l’opérateur ou l’opératrice est porteur (Schwartz, 1994). Ce n’est pas une opposition
simple entre une norme qui serait portée par la hiérarchie et une autre qui serait portée par les salariés :
• d’un côté, la survie de l’entreprise (ou de tout autre cadre de travail) suppose que tienne ensemble une
diversité de logiques hétérogènes et potentiellement contradictoires (quantité, qualité, diversité de
l’offre, prix de revient, délais, sécurité, respect de l’environnement, technologies utilisées…),
• de l’autre, l’homme au travail est également lui-même porteur de normes et de valeurs potentiellement
contradictoires (reconnaissance individuelle et entraide collective, par exemple). Sa conduite, dans une
situation donnée, témoigne de l’arbitrage circonstancié opéré.
Les orientations stratégiques définies aujourd’hui par les directions sont déclinées par des services
spécialisés et doivent faire l’objet d’une intégration au niveau de la production du bien ou du service.
Mais les prescriptions descendantes spécialisées n’assurent pas automatiquement la faisabilité de cette
intégration dans l’activité de travail de production. La production ne sort finalement de façon acceptable
que parce qu’un ensemble de travailleurs (y compris l’encadrement) gèrent au quotidien les écarts par
rapport à ce qui a été anticipé. Un écart important et prolongé entre les prescriptions descendantes et la
réalité des conditions de production, et l’absence de lieu pour en débattre, peuvent se traduire à la fois par
des problèmes d’efficacité économique, et par des atteintes à la santé des travailleurs. Ceci inclut à la fois
les TMS et les RPS. Le travail est donc création parce que tout n’est jamais réglé d’avance. L’empêchement
du développement d’un rapport sensible au travail (Petit et al., 2009) est un empêchement de travailler.
Le travail constitue donc un contrat social légitimant une amputation du pourvoir d’agir (Ricœur, 1998) des
individus avec une contrepartie salariale. Le travailleur accepte de fait que l’usage qu’il fera de lui-même
est en partie dicté par une organisation, donc hétéro-déterminé. Si cette amputation du pouvoir d’agir
individuel est caractéristique de tout milieu social du fait du jeu des normes (Canguilhem, 1966), le milieu
professionnel se distingue par son haut niveau de contrainte : sa formalisation nécessaire dans un contrat
(le contrat de travail) en est un indicateur. L’équilibre nécessaire entre l’usage de soi par soi et l’usage de
soi par les autres (Schwartz, 1994) y est particulièrement mis à l’épreuve. Canguilhem (1947) nous conduit
à définir la santé au travail comme la possibilité entretenue de négociation et de transaction avec le milieu
professionnel. De nombreux travaux ont depuis assuré la pertinence de cette orientation : être pour quelque
chose dans ce qui vous arrive au travail, contribuer aux évolutions concernant son activité professionnelle,
à la gestion quotidienne de cette dernière, relève d’une dynamique de construction de sa santé et donc de
son développement par le travail. La possibilité d’être pour quelque chose dans ce que le travail fait de soi
relève d’une possibilité de renormalisation de ce milieu (Schwartz, 1994).
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Interroger le travail du point de vue de l’activité et des possibilités de renormalisation offre un cadre
d’analyse commun aux TMS et RPS, permettant d’argumenter en faveur de l’existence d’un lien entre
santé et performance : avoir la possibilité de négocier avec les normes du milieu professionnel est une
condition de la construction individuelle du travailleur en tant que sujet mais également une condition pour
l’organisation qui se veut toujours plus flexible. S’ajuster les conditions du travail, aux variabilités, aux
aléas, aux changements permanents, etc. suppose que l’écart à la norme ne soit plus systématiquement
interprété par le milieu comme de l’incompétence ou de l’indiscipline. Le pouvoir d’agir individuel et
collectif devient central dans un tel cadre, où les TMS et les RPS constituent des symptômes parmi d’autres
possibles d’un dysfonctionnement organisationnel. Cette approche est pour le moins convergente avec
les développements de Rabardel (2005), de Clot (2008), de Molinier (2009) par exemple. Au-delà, du type
de contrat de travail, du statut ou des formes de rémunération, la précarité des travailleurs se définit
précisément par le degré d’amputation du pourvoir normatif de chacun. Sont précaires et donc fragiles dans
le monde professionnel, ceux et celles qui n’ont plus voix au chapitre (Le Blanc, 2007a, 2007b), ceux qui ne
se débattent plus avec un milieu oppressant. Syndrome du canal carpien, épicondylite, ou lésion de la coiffe
des rotateurs, d’une part, dépression, estime de soi, ou encore suicide d’autre part, sont des manifestations
d’un pouvoir d’agir amputé, d’une activité empêchée (Clot, 1999) : l’individu ne travaille pas les bras en l’air
pour son plaisir, l’inflammation tendineuse ne conduit pas à l’atteinte fonctionnelle simplement parce que
le travailler n’écoute pas son corps… Qu’est-ce qui empêche de travailler autrement ? Voilà une bonne
question. Modes de gestion de la plainte, des rotations, des projets d’aménagement, du fonctionnement
quotidien, des procédures, etc. relèvent d’un questionnement où le pouvoir d’agir des acteurs est central
dans l’organisation.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Conclusion : L’organisation de l’action collective de prévention
Mais la prévention collective doit aussi elle-même s’interroger sur sa propre organisation. La tendance à
la spécialisation par risque des professionnels du champ de la santé au travail s’avère un atout essentiel à
condition que la compétence à parler travail soit également présente. Sinon, cela conduira d’observer des
actions spécialisées sans cohérence globale (et généralement sans mémoire des expériences antérieures
de prévention), parfois contradictoires, déplaçant les problèmes, en créant de nouveaux… À trop vouloir
réduire l’objet (pour le simplifier), on finit par le dénaturer. Les actions alors conduites ne traitent plus
du problème initial mais de ce qu’il en reste après les filtres spécialisés des uns et des autres, dont les
langages techniques respectifs rendent extrêmement coûteuse toute tentative ultérieure de partage.
L’enjeu apparaît donc d’intégrer ces spécificités au sein d’une organisation collective de la prévention
qui n’oublie pas le travail. Des questions très pratiques se posent alors : Qui impliquer ? Comment et
sous quelles formes différenciées ? Comment partager et avancer ensemble avec des spécialisations
différentes ? Faut-il faire de l’action en santé au travail un projet spécifique ou un projet intégré ? Quelle
place pour les questions de performance ?…
Il ne s’agit cependant pas ici de rester sur une vision naïve des contextes d’intervention rencontrés, qui
alimenterait alors le « one best way de la prévention » (les « bonnes pratiques »). La diversité des contextes
et des acteurs invite davantage à ouvrir des possibles qu’à les restreindre. Par ailleurs, certains milieux ne
sont pas prêts à réinterroger le statut du travail et du travailleur dans l’organisation. Il ne faut donc sans
doute pas opposer de manière trop caricaturale les approches et prendre les acteurs là où ils en sont. Si
le saut apparaît trop grand, le risque perçu fait reculer ; il vaut parfois mieux faire un petit pas en avant
qu’un saut en arrière. Mais cela n’est possible qu’avec le souci d’une évaluation sérieuse des résultats aux
regards des ressources mobilisées.
Références :
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Atelier 2
Relations de service,
charge émotionnelle et affects
George
Toulouse
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en
sécurité du travail (IRSST) (Canada)
arie Bellemare
M
Université Laval (Canada)
orinne Van de Weerdt
C
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
P
lusieurs recensions des écrits ont permis de mettre en évidence la contribution des risques
psychosociaux à l’apparition des troubles musculosquelettiques (TMS). Ces troubles seraient
engendrés par l’état de stress en combinaison avec la présence de contraintes physiques élevées ou
de faibles intensités mais statiques et répétitives. C’est ainsi que les facteurs de risque psychosociaux,
présents dans de nombreux milieux de travail, se présentent d’une façon spécifique dans le secteur des
relations de service. En effet, l’activité de service qui s’organise au sein de la relation à l’usager, sollicite
particulièrement les dimensions émotionnelles ou affectives présentes dans toute communication
humaine. Toutefois, à notre connaissance, l’impact de ces dimensions sur la présence de TMS n’a pas fait
l’objet d’étude distincte puisqu’elles n’ont pas été considérées de façon indépendante dans les questionnaires
psychosociaux. Les mesures qui pourraient se rapprocher le plus d’une évaluation des émotions ou des
affects sont les indicateurs telles la satisfaction au travail et la détresse psychologique. Les écrits
scientifiques concernant les liens entre la faible satisfaction au travail et les TMS indiquent des résultats
contradictoires et généralement peu concluants. Par contre, quelques études permettent d’établir
clairement une association entre la détresse psychologique élevée et la présence de TMS. L’une d’entre
elles montrerait le caractère prédictif d’une détresse psychologique élevée pour les maux de dos (Linton,
2005). De plus, la contribution des risques psychosociaux à la présence d’une détresse psychologique
élevée est généralement admise dans les études sur le stress et la santé mentale au travail. Ces résultats
confirment l’intérêt de l’étude de la charge émotionnelle ou affective pour intervenir sur la réduction des
facteurs de stress et de risques psychosociaux associés au TMS, malgré le manque de données
épidémiologiques plus précises.
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Également, l’étude de la charge émotionnelle ou affective semble constituer une voix d’accès à l’intervention
sur les facteurs psychosociaux, dans le secteur des relations de service en particulier. En effet, ces
derniers, évalués à partir de modèles généraux, doivent être décrits plus précisément lorsqu’il s’agit de
proposer des moyens concrets de prévention applicables aux situations et à l’activité de travail. Dans cette
perspective, la prise en compte des émotions, ou plus généralement des affects, apparaît l’élément
charnière permettant d’effectuer les liens avec le stress et les TMS, d’une part, et les déterminants de
l’activité, d’autre part. En effet, les émotions et les affects sont des dimensions verbalisables et mesurables
qui peuvent être mises en perspective aussi bien par rapport aux douleurs musculosquelettiques qu’aux
descriptions de l’activité. L’atelier se propose d’examiner cette voie en situant l’analyse des émotions et des
affects dans le secteur des relations de service, en référence à la qualité de service, aux questions
méthodologiques, et à la contribution des émotions à la protection contre les TMS.
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Introduction sur la prise en compte
des émotions et des affects
dans les relations de service
orinne Van De Weerdt
C
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
L
es émotions et les affects constituent une forte valeur ajoutée pour les entreprises de relation de
service. Aujourd’hui, toute entreprise a le souci de répondre aux attentes de ses clients et d’apporter
une haute qualité de service. Pour les entreprises dont la principale mission repose sur la relation de
service, cette préoccupation est majeure. La valeur ajoutée des sociétés est liée à leur capacité à satisfaire
la clientèle et à la fidéliser. Dans ce contexte, on comprend pourquoi les affects et les émotions sont
considérés de manière si particulière. Or, il s’agit là d’un phénomène relativement nouveau, si l’on observe
le peu de considération dont ces concepts ont fait l’objet pendant longtemps.
Les émotions et les affects n’ont pas toujours eu la part du lion
En effet, les émotions au travail n’ont pas souvent figuré au premier plan dans les travaux scientifiques et
empiriques. Envisagées le plus souvent comme des biais perturbant la cognition, elles ont souvent endossé
l’étiquette d’obstacle au bon fonctionnement de la raison. Dans les entreprises, leur image a rarement été
plus enviable. Parce qu’elles représentaient la partie irrationnelle, illogique, incontrôlable, subjective de la
cognition, elles étaient perçues comme « dérangeantes » pour le travail.
La nécessité des émotions pour la cognition a été démontrée
De nos jours, on sait que les émotions sont essentielles, ne serait-ce que pour l’adaptation de l’homme
à son environnement (qu’il soit privé, social, professionnel, etc.). Dans le processus de prise de décision
notamment, les émotions jouent un rôle fondamental. Elles guident le choix grâce à des « marqueurs
somatiques », elles aident à choisir une option parmi d’autres en attirant l’attention sur les conséquences
négatives ou positives de l’action. De plus, il est reconnu que la charge émotionnelle peut avoir une influence
sur l’individu, ses conduites, son activité de travail, sa performance, sa santé, sa sécurité, etc. Ainsi, les
affects et les émotions constituent des sujets beaucoup plus investis aujourd’hui, tant sur le plan de la
recherche que des entreprises.
Cette communication introduit la question des liens entre charge émotionnelle, affects
et activité de relation de service
Nous proposons de traiter de ces aspects, en abordant les questions suivantes. Qu’entendons-nous par
affect et émotion ? Comment les étudier dans le cadre du travail ? Quels sont leurs impacts sur l’activité et
la relation de service ? Quelles sont leurs conséquences sur la santé, notamment en termes de stress et de
troubles musculo-squelettiques ?
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Après une présentation des notions d’affect et d’émotion, la question de leur prise en compte dans le cadre
du travail sera abordée, avec pour illustration, l’exposé d’un exemple pratique d’intervention en entreprise
du secteur tertiaire.
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Les caractéristiques des émotions et des affects
Globalement, l’émotion comporte de multiples facettes : cognitives, comportementales, sociales, etc. Sa
définition varie selon la théorie de référence. Les théories behaviouristes, par exemple, mettent l’accent
sur l’objet des émotions et les réponses du corps (comportementales et physiologiques). Les théories
fonctionnalistes, quant à elles, décrivent l’émotion selon sa fonction adaptative, alors que les théories
constructivistes sociales misent davantage sur le caractère partagé des émotions.
Ainsi, pour définir une émotion, il convient d’examiner ses cinq caractéristiques : sa fonction, ses indices
visuels, ses mécanismes physiologiques, les conséquences du vécu émotionnel, la situation et le rapport
entre les acteurs. Il convient également d’examiner les trois composantes de l’émotion : les changements
physiologiques qu’elle entraîne, l’expérience subjective de la situation qui lui est rattachée (agréable ou
désagréable), et enfin, les comportements observables (au niveau personnel et social).
Les émotions les plus courantes et que l’on retrouve dans toutes les cultures, sont les émotions primaires :
la joie, la tristesse, la peur, le dégoût, la colère et la surprise. Elles s’opposent aux émotions secondaires,
plus complexes, qui sont des combinaisons d’émotions plus simples, comme la jalousie, la culpabilité, etc.
Lorsque l’on cherche à délimiter les frontières avec d’autres notions proches de l’émotion, on peut voir que
les chercheurs ne s’accordent pas tous sur la même démarcation. La distinction présentée ici repose sur
les théories les plus largement admises.
Par exemple, l’humeur se distingue de l’émotion du fait qu’elle est moins vive, sans objet et qu’elle dure
plus longtemps. Elle désigne une disposition de l’esprit, un état qui perdure.
Le sentiment, quant à lui, n’entraîne pas de modifications physiologiques ni somatiques comme l’émotion ;
il renvoie à une évaluation cognitive vis-à-vis d’un besoin (par exemple, le sentiment de plaisir lorsqu’un
objectif est atteint).
La motivation renverrait davantage à l’activation subordonnée à un objectif d’un point de vue comportemental.
Elle est donc orientée vers un but, contrairement à l’émotion qui ne l’est pas nécessairement.
Par ailleurs, l’affect s’applique aussi bien à des états spécifiés, déclenchés par des situations ou des objets
déterminés, qu’à des états vagues, indéterminés. Il n’est pas limité à des états intenses comme l’émotion,
mais inclut aussi une « tonalité émotionnelle » (de type agréable ou désagréable, par exemple).
L’ensemble des recherches visant à délimiter la notion d’émotion présentent l’avantage de constituer une
base pour les travaux méthodologiques d’analyse des émotions. Plusieurs méthodes existent ; plusieurs
d’entre elles seront abordées au cours de cet atelier.
L’impact des émotions et des affects sur l’activité de relation de service
Beaucoup de travaux sur la dimension émotionnelle du travail en situation réelle ont été menés dans le
secteur tertiaire. Hochschild (1983) a été la première à montrer en quoi consistait le « travail émotionnel »
dans la relation de service. Ceci revient pour les salariés à exprimer des émotions exclusivement positives,
et à dissimuler les émotions négatives, pour se conformer aux prescriptions des entreprises. En cas
d’écart entre les émotions prescrites par l’organisation et celles éprouvées réellement par les salariés,
il se produit alors une dissonance émotionnelle. Cette dissonance est fréquente dans les secteurs où la
relation est un élément central (Soares, 2002).
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Plusieurs auteurs ont montré que cette dissonance pouvait, à la longue, être néfaste pour la santé (Morris
& Feldman, 1996 ; Pugliesi, 1999 ; Caroly & Weill-Fassina, 2004 ; Mann, 2004 ; Poster, 2007). En effet, les
salariés, qui doivent jouer un rôle sur le plan des émotions, réalisent un véritable « jeu d’acteur ». Ce jeu peut
prendre deux formes, l’une étant superficielle, et l’autre plus profonde. Dans le cas du « jeu superficiel »
(surface acting), le salarié feint des émotions qui ne sont pas réellement ressenties, contrairement au cas
du « jeu en profondeur » (deep acting), où le salarié cherche à ressentir l’émotion exprimée (Hochschild,
1983 ; Pugh, 2001 ; Grandey, 2003). Alors que le premier vise à exercer un contrôle volontaire sur des
manifestations comportementales (verbales et non verbales tels que les gestes, le ton de la voix, la
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prosodie), le second repose sur une action cognitive qui consiste à essayer d’éprouver réellement l’émotion
souhaitée. Le jeu superficiel est focalisé sur le comportement (l’extérieur) ; le jeu en profondeur est, quant
à lui, centré sur les affects (intérieurs). Dans le premier cas, il s’agit de faire comme si l’on éprouvait une
émotion en sachant qu’elle n’est pas ressentie réellement ; dans le deuxième cas, on essaye de faire naître
une émotion que l’on souhaite ressentir.
Les conséquences du travail émotionnel sur la santé
Les salariés en situation de dissonance doivent produire des efforts importants pour répondre à ces
exigences émotionnelles, ce qui peut avoir pour effet d’augmenter la charge de travail global. De plus, ce
jeu d’acteur peut créer à terme une fatigue importante, voire un épuisement professionnel, des symptômes
de stress chronique, une perte de motivation, des tensions psychiques, qui sont parfois à l’origine de
pathologies plus ou moins aiguës (comme les troubles gastro-intestinaux, les troubles du sommeil, la
dépression), et dans certains cas, des troubles psychiques et des perturbations psychologiques de la
personnalité.
Selon Schaubroeck et Jones (2000), le travail émotionnel est d’autant plus nuisible sur le plan physique que
le niveau d’authenticité des émotions exprimées est faible.
Concernant les troubles musculo-squelettiques, Lourel (2006) a élaboré un état des lieux de la littérature en
ce qui concerne l’organisation du travail ainsi que la santé dans le cadre des centres d’appel téléphoniques.
Il rapporte que cette activité professionnelle spécifique produit des effets néfastes sur la santé des
téléopérateurs, et cite, entre autres, le stress chronique et les troubles musculo-squelettiques (Halford &
Cohen, 2003).
Ceci nous amène à l’illustration, au moyen de l’exposé d’un exemple pratique, de la prise en compte des
émotions et des affects dans le cadre du travail. Il s’agit d’une intervention menée dans une entreprise de
relation clientèle.
Exposé d’un cas pratique en entreprise du secteur tertiaire
Dans cette entreprise de service à distance, d’environ 400 personnes, spécialisée en téléphonie mobile,
la situation devenait alarmante : le taux de turn-over était de 22%, celui d’absentéisme de 13%, dont 5%
d’absences de longue durée. Un mal-être général y régnait, et des symptômes physiques étaient rapportés
par le personnel. Le but de l’intervention était d’identifier les éléments sur lesquels il était important et
urgent d’agir pour améliorer les conditions de travail (Ribert-Van De Weerdt, 2008a).
Pour cela, nous avons évalué les contraintes de travail et leurs effets en termes de charge, essentiellement
mentale et émotionnelle. Nous avons examiné les régulations mises en œuvre par les salariés pour faire
face aux contraintes et pour soulager la charge de travail.
La méthode a consisté à récolter les verbalisations d’une personne ayant vécu des émotions dans une
situation de travail réelle préalablement filmée, et à faire évaluer par cette personne le niveau d’intensité
et la valence des émotions ressenties. Cette méthode présente l’avantage de valider avec le salarié la
charge mentale et émotionnelle liée à chaque séquence de travail. Elle a permis de faire le lien entre
l’activité cognitive et l’activité émotionnelle et de tenir compte des éléments (de l’environnement, de la
situation) ayant suscité des émotions.
Les résultats montrent que la dimension affective peut constituer un moteur et une source positive de
satisfaction au travail. En effet, la tâche des salariés est basée sur l’objectif d’atteindre un haut niveau de
qualité de services et de fidéliser la clientèle. Pour atteindre ce but, ils réalisent une activité qui demande
non seulement des compétences techniques, mais aussi relationnelles et commerciales. Cet aspect est
vécu plutôt positivement par les chargés de clientèle, qui perçoivent un caractère intéressant et valorisant.
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En outre, les résultats montrent dans quelles conditions la charge émotionnelle peut devenir trop lourde
à gérer, au point d’entraîner des effets négatifs sur la santé. Elles sont liées à l’augmentation toujours
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plus forte des exigences au travail. Les chargés de clientèle sont en effet évalués sur des statistiques —
de temps en communication par exemple — et sur la forme du discours à tenir, comme l’interdiction de
prononcer certains mots, le respect des phrases imposées de début et de clôture d’appel, etc. Ceci est
vécu comme une contrainte majeure. De même, le travail émotionnel qu’ils réalisent pour être en accord
avec les prescriptions de l’entreprise, crée une usure dans le temps, accompagnée d’un sentiment « d’être
vidé ».
Plusieurs stratégies sont mises en œuvre par les salariés pour faire face aux contraintes. Par exemple, la
stratégie de « mise à distance », par rapport aux situations rencontrées dans le travail, a pour but de ne pas
s’impliquer personnellement et de se protéger, émotionnellement parlant.
D’autres stratégies mises en œuvre consistent à optimiser les rapports relationnels avec les clients pour
éviter au maximum d’avoir à gérer des relations conflictuelles.
D’autres encore consistent à éviter l’apparition du phénomène de « contagion émotionnelle », entre soi et
l’autre, ou entre une situation à traiter et la suivante. Pour gérer cet aspect de contagion émotionnelle et
limiter ses effets néfastes — lorsque les émotions transmises sont négatives — les salariés tentent de
« faire le vide » entre deux situations (c’est-à-dire entre deux appels), comme pour oublier ce qui vient de
se passer, se mettre à distance par rapport à la situation traitée, pour éviter qu’un état émotionnel négatif
ressenti au moment d’un appel perdure tout au long de la journée.
Ces stratégies leur permettent de limiter les contraintes de travail, et leurs effets négatifs à court terme,
mais augmentent, en contrepartie, la charge de travail globale et les effets sur la santé à plus long terme.
Des mesures de prévention ont été discutées et mises en place au sein de cette entreprise. Par exemple,
l’une d’elles a consisté à reconsidérer les critères de contrôle du travail des salariés. Une autre piste
débattue avec un ensemble d’acteurs de l’entreprise concerne la révision des modes de management de
proximité. Elle a conduit à une meilleure mise en cohérence des modalités d’action du management avec
les critères de qualité, qui constitue un axe important pour l’entreprise. Une piste supplémentaire porte
sur le développement des collectifs de travail au moyen de groupes, disposant d’un espace-temps réservé,
pour échanger sur les stratégies d’adaptation, leurs conditions de réussite et d’échec et, surtout, partager
les expériences. La création de groupes pour débattre précisément de l’activité réalisée, des modes de
contrôle, de l’organisation du travail, des contraintes de travail ressenties comme étant pesantes, en plus
des autres pistes avancées, a été perçue comme un moyen efficace de repenser le changement. Ainsi,
l’application de ces pistes confirme l’intérêt que peut représenter une démarche de prévention, dans ce
domaine relatif aux affects et aux émotions.
Perspectives
L’étude des émotions au travail et des affects permet d’apporter une meilleure connaissance des liens
entre émotions et activité, notamment dans le cadre de la relation de service. Elle permet aussi de mieux
saisir les effets des stratégies mises en place pour faire face aux difficultés et aux contraintes. En cela, elle
conduit à évaluer l’impact de la charge émotionnelle en termes de régulation, d’efficacité, de motivation, de
bien-être et de santé. Les investigations — actuelles et futures — menées dans ce champ visent à affiner
ces phénomènes, dans le but de fournir des pistes pour l’amélioration des conditions de travail, et de
prévenir les situations à risques, notamment psychosociaux.
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Session 4
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61
Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Approche ergonomique des risques
psychosociaux associés aux TMS :
l’étude de la charge émotionnelle
des préposés au service d’urgence
de la sécurité publique
George
Toulouse
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en
sécurité du travail (IRSST) (Canada)
Louise
St-Arnaud, Anne Marché-Paillé
Université Laval (Canada)
Denis Duhalde, Alain-Steve Comtois
Université du Québec à Montréal (Uqam) (Canada)
Alain
Delisle
Université de Sherbrooke (Canada)
Introduction
L
a reconnaissance de la contribution des facteurs de risques psychosociaux associés à la présence
de troubles musculo-squelettiques (TMS) est de mieux en mieux démontrée et comprise. Dès lors
se pose la question des méthodes d’intervention visant à réduire leurs effets nocifs. Ces effets sur
le plan psychologique se manifestent avec l’apparition d’émotions ou affects traduisant un déséquilibre,
un mal-être, une souffrance. Pour Hagberg et coll. (1995), les risques psychosociaux «désignent les
caractéristiques perçues de l’environnement de travail qui ont une connotation émotionnelle pour les
travailleurs et les managers et pour lesquels il peut en résulter du stress ou une charge». Le rôle de
régulation des émotions en rapport avec l’activité de travail et la santé psychologique devient un objet
d’étude (Ribert-Van de Weerdt, 2002) et de considération dans les pratiques de management (Thévenet,
2000). Dans le secteur des relations de service, il revêt un caractère particulier. En effet, dans ce secteur,
le rôle de régulation des émotions se déroule au centre même de la relation avec les usagers. Dans ces
situations, la confrontation du travailleur aux difficultés de régulation des imprévus et des variations à la
tâche prescrite est décrite par Hochschild (1983) comme le travail émotionnel.
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Pour aborder ce sujet, le cadre d’analyse d’ergonomie de l’activité offre un modèle pouvant servir de base
à l’étude des émotions au travail. De plus, l’ergonomie dispose de certains outils, tels que les échelles
subjectives et les entrevues d’autoconfrontation, qui peuvent servir à l’étude des émotions. Une intervention
dans les centres d’appels montre à ce sujet l’intérêt d’associer l’utilisation d’échelles subjectives avec
les entrevues d’autoconfrontation (Grosjean et Ribert-Van de Weerdt, 2005). Toutefois, les recherches en
ergonomie dans ce domaine sont encore peu nombreuses, et l’analyse de la dimension émotionnelle par
les échelles subjectives et l’autoconfrontation comportent certaines limites. Cahour (2006) souligne les
difficultés d’accès aux affects ou émotions non-conscientes. Ainsi, Sznelwar et coll. (2003) complètent
l’analyse ergonomique du travail par des entrevues de psychodynamique pour donner une visibilité aux
dimensions subjectives et symboliques de l’activité. Par ailleurs, les émotions ressenties ont un impact
sur l’activité du rythme cardiaque, et le stress peut être à l’origine de maladies cardiovasculaires
(Landsbergis, 2001). L’impact des émotions sur les TMS est moins étudié, si ce n’est au travers de
mesures plus générales concernant l’état de santé psychologique telle que la détresse psychologique.
Il existe peu d’études ergonomiques mesurant directement l’impact des émotions sur les TMS. Ainsi, il
apparaît nécessaire d’examiner les éléments méthodologiques d’analyse des émotions dans un contexte
d’intervention pour réduire les risques psychosociaux associés au TMS. Dans cette perspective, l’objet de
ce texte est de présenter un bref résumé d’une étude ergonomique de l’activité, complétée par des mesures
physiologiques et des entrevues de groupe de psychodynamique du travail. Cette étude a été réalisée dans
les centres d’appels d’urgence 911 de la sécurité publique municipale (CAU-SPM) du Québec.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Terrain d’étude : les centres d’appel d’urgence 911 de la sécurité publique municipale
(CAU-SPM)
Les CAU-SPM ont pour tâches principales de prendre et répartir les appels d’urgence 911. D’autres tâches
sont rajoutées aux préposés aux télécommunications d’urgence à l’exception des grands centres urbains.
Ces tâches sont les suivantes : la prise des appels au service de police municipal, l’accueil au comptoir des
citoyens se présentant au service de police, la surveillance vidéo, etc. Dans les CAU-SPM de plus grande
taille, l’augmentation du nombre de postes permet une division de plus en plus marquée des tâches. Ainsi,
les appels entrants au 911 arrivent en priorité à un poste, les autres étant dédiés aux tâches de répartition
police, incendie et travaux publics. Celles-ci peuvent, elles-mêmes, être scindées entre différents postes.
Les préposés sont des employés col blanc de la municipalité. Les pré-requis à l’embauche pour l’ensemble
des CAU-SPM sont de détenir un diplôme d’études secondaires et maîtriser le français et l’anglais. La
formation principale s’effectue dans chacun des CAU-SPM et dure quatre semaines. Celle-ci porte
essentiellement sur les dimensions techniques et procédurales du travail.
Une première étude épidémiologique (Toulouse et coll., 2006) réalisée dans cinq CAU-SPM indique des
taux élevés de prévalence des troubles musculo-squelettiques (TMS), des troubles de santé psychologique
(TSPsy) mesurés par le niveau de détresse psychologique, des risques physiques et des risques
psychosociaux tels que la demande psychologique élevée, la faible latitude décisionnelle, le manque de
soutien ou de reconnaissance. La présence de TMS est associée à un taux élevé de détresse psychologique.
Méthodologie
L’étude s’est déroulée dans les cinq CAU-SPM ayant participé à l’étude épidémiologique. L’étude d’ergonomie
et de physiologie comprend la participation de 11 préposés, six hommes et cinq femmes dont neuf employés
expérimentés et deux débutants. Les préposés ont été observés et les données enregistrées durant la durée
du quart de travail au complet. Ils occupent des postes de généralistes (prise d’appels, répartition police,
incendie et autre), des postes de prise d’appels ou de répartition police. Les données recueillies sont les
suivantes : - description du travail et de l’aménagement des bureaux, - observation des postures de travail,
- utilisation des réglages des bureaux assis-debout, - communications téléphoniques, - évaluations subjectives
de la charge mentale, des douleurs musculo-squelettiques et de la fatigue, - électromyographie (EMG) des
muscles du trapèze, - activité cardiaque (ECG) enregistrée durant 24h - entrevues d’autoconfrontation.
La réalisation de l’étude de psychodynamique a donné lieu à l’organisation de quatre entrevues de
groupe dans quatre CAU-SPM. Les groupes sont composés de quatre à six préposés, femmes et hommes
de 2 à 25 ans d’expérience. Le contenu des entrevues a été analysé à partir du cadre de référence de
la psychodynamique du travail conformément à la méthodologie en vigueur (Dejours, 2000 ; Institut de
psychodynamique du travail du Québec, 2006).
Résultats
La prise et la répartition des appels d’urgence
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La prise d’appel d’urgence comporte les étapes de communication suivantes : l’ouverture de l’appel, la
vérification de l’adresse de l’appelant, l’analyse de la demande du citoyen pour en déterminer la nature et
la priorité, le questionnement pour obtenir les informations nécessaires à l’intervention et à la sécurité
des intervenants, la réponse à l’appelant et la fermeture de l’appel. Ces étapes varient selon la nature de
l’appel et le contexte de travail. Pour les demandes non urgentes ou qui peuvent être résolues sans une
intervention policière, le préposé peut orienter l’appelant vers d’autres services. Parfois, le questionnement
du préposé aide l’appelant à trouver lui-même la solution à son problème. Également, le préposé peut
consulter les banques de données pour situer la demande relativement à des faits antérieurs ou vérifier
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
le contenu de certains dossiers, consulter ou transférer l’appel à un intervenant. Selon l’urgence, la
demande est acheminée à un ou plusieurs des intervenants pompiers ou policiers patrouilleurs. D’autres
personnels peuvent également être mis à contribution tels que les employés des travaux publics, de
compagnies d’électricité, de gaz ou de téléphone. L’appel pour un service ambulancier est transféré à un
centre secondaire spécialisé dans ce domaine, tandis que pour les autres cas, le préposé doit obtenir les
informations qui seront transmises aux intervenants.
Chaque préposé de la répartition police s’occupe d’un secteur géographique de la municipalité. Le travail
consiste à envoyer les policiers patrouilleurs sur les lieux de l’évènement selon la priorité de l’urgence et à
les soutenir en répondant à leurs demandes d’information. Le préposé dispose d’un logiciel tenant à jour les
informations concernant la disponibilité des policiers patrouilleurs selon les secteurs de la municipalité.
Également, le préposé a accès à la banque de données du Centre de renseignements policiers du Québec
(CRPQ) pour aider les policiers patrouilleurs dans leur recherche.
Le travail de communication des préposés consiste à traiter le plus rapidement possible la demande d’aide.
Les demandes faites aux préposés ne sont pas toujours formulées de façon explicite et claire. Elles nécessitent
parfois d’être reformulées pour correspondre aux règles d’engagement des intervenants des services
d’urgence. Elles font souvent l’objet d’une co-construction entre l’usager et l’agent de service (Pochat et Falzon,
2000). Pour les préposés au 911, cette co-construction se poursuit afin d’obtenir l’information sur l’évènement
qui va permettre de contribuer à l’efficacité et à la sécurité des intervenants sur le terrain. Pour cela, le préposé
doit prendre le contrôle de la communication et interroger l’appelant sur des sujets aussi variés que des affaires
criminelles (ex. : vol, menace, harcèlement, agression), les incendies, les risques d’explosion, les urgences
santé, les problèmes concernant les travaux publics, les règlements municipaux, etc.
L’activité des préposés et la charge émotionnelle
Durant les observations, le nombre d’appels 911 reçus par les préposés se chiffre à 506 sur un total de
1409 appels, soit 36% environ. Les autres appels entrants proviennent de la ligne du service de police de
la municipalité 434 appels (31%) et d’autres lignes des travaux publics ou internes 469 appels (33%). En
plus des appels téléphoniques, les préposés reçoivent les appels radio qui n’ont pas été comptabilisés.
Le niveau général d’activité durant les journées d’observation est plus faible que d’habitude pour huit
préposés, comme d’habitude pour deux préposés, et plus élevé que d’habitude pour un seul préposé. Les
scores concernant l’évaluation de la charge de travail, la complexité des appels et les émotions indiquent
des moyennes sur le quart de travail de faibles ou modérées. Plus précisément, la moyenne des émotions
négatives ou du contrôle des émotions se situe au niveau faible pour neuf préposés et modéré pour deux ; la
moyenne des émotions positives est au niveau faible pour sept préposés et modéré pour les quatre autres.
Bien que de faible intensité, les émotions négatives et l’effort de contrôle des émotions sont associés
significativement à la présence de douleurs musculo-squelettiques au bas du dos, cou-épaules et haut
du dos, ainsi qu’aux coudes-poignets-doigts. La comparaison avec les mesures de l’EMG des muscles du
trapèze n’indique pas de correspondance avec l’intensité des émotions. La mesure de l’ECG indique une
perte de la variabilité du rythme cardiaque (VRC) qui atteint le seuil critique pour la SDNN (écart-type des
temps inter-battements pour les battements normaux) de 50 ms, chez les préposés expérimentés par
rapport aux débutants. La perte de VRC est présente avant le début du quart de travail et se maintient
durant toute sa durée. À la fin du quart de travail, la perte de VRC disparaît pour revenir à un niveau normal.
Ces résultats révèlent la mobilisation importante du système cardiaque des préposés expérimentés
anticipant la présence de fortes contraintes. Cette perte de variabilité du rythme cardiaque est associée
significativement à la présence des émotions négatives et aux efforts de contrôle des émotions.
Les situations de travail associées aux émotions
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Les appels comportant des difficultés de communication (problèmes cognitifs ou relationnels) observables
lors de l’écoute des appels représentent 20,5% des appels. Les situations décrites par les préposés comme
occasionnant une charge de travail, une complexité, le contrôle des émotions, des émotions négatives ou
positives sont décrites dans le tableau 1.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Tableau 1
Situations décrites par les préposés comme occasionnant une charge de travail, une complexité,
le contrôle des émotions et des émotions négatives ou positives
Relations avec les citoyens : demande confuse de l’appelant, problèmes de langage, incivilité, difficultés
d’obtenir l’information (localisation, témoignage, non coopération de l’appelant, etc.)
Relations avec les policiers : frustration de se sentir considéré à leur service par certains policiers,
sentiment de responsabilité envers la mise en danger des policiers
Situations d’urgence complexes : difficulté de déterminer dans certains cas la nécessité d’envoyer ou
non les policiers (code civil /code criminel), servir d’intermédiaire dans une situation dramatique entre
l’appelant et les policiers, garder la ligne lors de menace de suicide
Variation du flux des appels, trop ou trop peu
Problèmes de reconnaissance : trop fréquemment la contribution du préposé à la résolution de la
situation d’urgence est ignorée, tendance à porter l’attention sur les erreurs du préposé sans reconnaître
également ses bons coups
Émotions positives : satisfaction d’aider, reconnaissance de la qualité du travail par les intervenants, les
managers
Les émotions négatives dans le travail proviennent de la nécessité de contrôler ses émotions, des
incertitudes provenant de la complexité et des difficultés du traitement des appels et du manque de
reconnaissance. Le contrôle des émotions est présent lors du traitement des appels dramatiques, et
lorsque surviennent des problèmes relationnels avec les usagers ou les intervenants. Par ailleurs, les
préposés sont confrontés aux incertitudes dans les prises de décision pour établir la priorité des urgences.
Les compétences des préposés concernant le travail d’analyse de la demande, l’obtention de l’information
sur l’évènement pour assurer la sécurité et l’efficacité de l’intervention ou l’activité de communication
pour rester en ligne avec l’appelant suicidaire ou témoin d’une situation dramatique ne sont pas reconnues.
L’apprentissage s’effectue sur le tas.
Devant ces contraintes, les entrevues de groupe de psychodynamique ont permis de mettre en évidence
différentes particularités complémentaires aux observations et entrevues d’autoconfrontation. Elles
ne peuvent pas être décrites en détail dans ce résumé. Il sera simplement souligné les points les plus
importants permettant aux préposés de tenter avec plus ou moins de succès de faire face à ces contraintes.
Le fait de surmonter ces contraintes constitue une source de plaisir relativement à l’aide apportée pour
secourir ou assurer la sécurité des citoyens ou des intervenants, aux fortes émotions que procure l’urgence
des situations et à la satisfaction du travail d’enquête. Par ailleurs, les préposés déploient des stratégies
défensives permettant à la fois de transmettre collectivement des savoirs de métier et de mettre à distance
les contraintes émotionnelles. Le récit des situations et l’usage de l’humour y jouent un rôle essentiel (StArnaud et coll., 2010).
Les pistes d’action
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La présentation des résultats et les discussions avec le comité de suivi ont permis de faire émerger une
prise de conscience des managers de première ligne sur les dimensions cognitives et émotionnelles reliées
à la prise et à la répartition des appels d’urgence, ainsi que sur la nécessité de développer et d’implanter
des pistes d’action pour soutenir les préposés. Les principales pistes d’action portent sur la production
d’une vidéo illustrant la réalité du travail des préposés et sur une activité de recherche visant à faciliter
les échanges et la transmission des savoirs de métiers, à combler les besoins de soutien des préposés
relatifs aux appels difficiles et exigeants émotionnellement, ainsi qu’à mettre en place les changements
organisationnels nécessaires.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Discussion – conclusion
L’intervention à partir d’une notion empreinte de subjectivité, longtemps perçue comme échappant à toute
rationalité, doit s’appuyer sur des descriptions de la réalité permettant de relier les problèmes de santé
à ceux du travail. Dans cette perspective, le cadre d’analyse de l’activité s’appuyant sur des méthodes
utilisées en ergonomie susceptibles d’être complétées par des mesures physiologiques et l’analyse de
psychodynamique donnent des résultats prometteurs, mais qui comportent également certaines limites.
L’utilisation des échelles subjectives constitue un élément méthodologique important de la démarche,
permettant, d’une part, de faire le lien entre les émotions et les douleurs musculo-squelettiques, et d’autre
part, de décrire les problèmes de travail dans lesquels elles surviennent. La démonstration de ces liens
avec la description des problèmes de travail est à la base du développement des pistes d’action.
Le résultat est plus contrasté pour l’apport des mesures physiologiques effectuées dans une perspective
de recherche exploratoire. Contrairement aux études en laboratoire, il n’a pas été possible d’établir de
correspondance entre l’activité des muscles du trapèze et la charge cognitive ou émotionnelle. Les niveaux
de charge mesurés sont relativement faibles. La mesure de la variabilité du rythme cardiaque révèle
une mobilisation extrêmement élevée des préposés, insoupçonnée à partir de la simple observation du
comportement ou des réponses aux échelles subjectives. Même dans les périodes les plus calmes, les
préposés sont fortement mobilisés.
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L’analyse de psychodynamique, outre la compréhension des processus d’adaptation des préposés aux
contraintes du travail, a permis notamment de mettre en évidence l’importance et le rôle du récit dans la
constitution des savoirs de métier et la mise à distance des contraintes émotionnelles. L’importance du
récit va être reprise lors du développement des pistes d’action concernant les échanges et la transmission
des savoirs de métier.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
La qualité du travail : un enjeu majeur
pour le développement de la santé
Johann
Petit, Bernard Dugué
Département d’ergonomie, ENSC/IPB, Université
de Bordeaux (France)
U
ne des particularités des situations de services concerne la « présence » du client au cœur de l’activité
des opérateurs. Pour ces derniers, la manière dont ils réalisent leur travail constitue un enjeu
majeur car elle a des conséquences pour d’autres personnes. Nous pouvons considérer que l’activité
humaine est « tirée par des buts » et « poussée par des mobiles » (Leontiev & Lomov, 1963 ; Nosulenko &
Rabardel, 1998). Au départ, les buts dans le travail sont pour l’essentiel ceux fixés par l’organisation (délais,
procédures). Avec l’expérience, la découverte par l’opérateur des rapports qui se nouent avec autrui à
travers la réalisation du travail va entraîner une modification des buts : à partir de ses mobiles personnels,
de ses valeurs, le sujet va se fixer dans son travail de nouveaux buts, correspondant à son idée du « travail
bien fait », par exemple pour améliorer le service au client ou traiter une situation sociale difficile. Dans le
travail, la subjectivité de l’opérateur, marquée par ce qu’il a déjà vécu, va le conduire à percevoir, sentir et
agir de façon singulière. Il développe avec le temps un rapport sensible au travail (Böhle & Milkau, 1998 ;
Davezies, 1995) et va élaborer de nouveaux savoir-faire dans ce sens.
Le rapport sensible au travail reflète l’impossibilité d’un contrôle complet du travail par l’organisation, tout
en assurant une forme incontournable de réponse à la variabilité. Il est source de productivité et de fiabilité,
mais peut être nié voire combattu par l’organisation. Les buts en termes de « travail bien fait » que
l’opérateur a construits, vont entrer en consonance ou en dissonance avec les prescriptions de l’organisation.
La dégradation du rapport des salariés à leur travail résulte souvent du sentiment de ne pas avoir les
moyens de « faire bien son travail », et dans la contradiction entre la vision de la qualité portée par les
agents et celle qui est évaluée par l’organisation. Le problème, pour la santé des opérateurs, n’est pas
l’existence d’une contradiction entre les buts, qui est une composante normale du fonctionnement de
l’entreprise. C’est le fait que ces conflits de buts ne sont ni reconnus, ni à plus forte raison débattus. En
l’absence de débat sur le travail, il n’existe plus de recherche de buts communs entre les opérateurs et
l’organisation. La gestion convenable des variabilités va devenir difficile, voire impossible, et ces situations
répétées vont entrer en dissonance avec les mobiles de l’opérateur. Or, le rapport sensible au travail permet
à l’opérateur de donner du sens à son action et au résultat de son travail. Se trouver dans une situation de
travail où l’engagement du rapport sensible au travail n’est plus possible revient à lutter contre soi-même.
Les conflits intrapsychiques qui se développent alors sont l’intériorisation des débats sociaux qui n’ont pas
lieu entre différentes visions du travail et de sa qualité. À la longue, cette situation va générer des
phénomènes de stress, qui auront des conséquences négatives sur la santé des opérateurs.
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À partir d’exemples de situations de service, nous examinerons dans un premier temps, comment les
salariés investissent cette relation et se forgent une idée du travail bien fait et du service « juste ». Nous
montrerons ensuite comment l’organisation, à travers sa structuration, ses règles, ses modes de
management, peut constituer une cause majeure d’empêchement du travail « bien fait », un frein au
développement du rapport sensible et donc une cause des atteintes à la santé, dont les TMS peuvent être
une forme parmi d’autres.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
L’induction d’émotions positives
au cours des soins aux patients
désorientés comme facteur
de protection des TMS
chez les soignants
ierre Poulin, Julie Bleau
P
Conseillers,
Association paritaire pour la santé et la sécurité
du travail du secteur affaires sociales (ASSTSAS),
Montréal, Québec (Canada)
L
’ASSTSAS a pour mission de promouvoir la prévention en santé et sécurité du travail et de soutenir,
dans un cadre paritaire, la clientèle de son secteur. Elle offre des services conseils et des activités
d’information, de formation, de recherche et de développement, tout en favorisant l’efficience des
processus de travail et en tenant compte de la sécurité de la clientèle des établissements.
Le but de ce texte est de présenter comment des émotions positives vécues par les soignants lors de
relations de soins avec des clients désorientés permettent de réduire leur risque de TMS. Nous présentons
d’abord les difficultés vécues par les soignants lorsqu’ils prennent soin de personnes désorientées.
Les fondements, les principes ainsi que le déroulement de la formation Approche relationnelle de soins
(ARS) seront ensuite présentés en accentuant sur le processus d’induction d’émotions positives chez les
participants-soignants. Puis sera décrite la perception des impacts de la formation telle que recueillie
auprès des participants à la suite de 40 projets de formation.
État de situation des TMS chez les soignants au Québec
En 2006, en chiffre absolu, le secteur de la santé cumule le plus grand nombre de TMS au Québec et se
classe 2e après le secteur de l’entreposage pour ce qui est du taux d’incidence (1). Mentionnons qu’en 2000,
alors que les Centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) représentent moins de 15%
de la main-d’œuvre, ils comptent environ le tiers (34,4%) des évènements indemnisés dans le secteur de
la santé et des services sociaux (2). C’est en (CHSLD) qu’est concentré le travail auprès des personnes
désorientées.
Selon les données les plus récentes disponibles (2008), il y a eu 3342 accidents indemnisés en CHSLD. La
majorité (42%) de ces événements est reliée à des efforts excessifs et le client en cause dans 34% de ces
accidents. Le dos est le siège de lésions le plus fréquent avec 43% des événements. Les professions les
plus touchées sont les préposés au bénéficiaire (54%), les infirmières auxiliaires (14%), puis les infirmières
avec 6%.
Déjà en 1995, dans une étude sur les accidents du travail dans des établissements de santé, St-Vincent (3)
indiquait pour les accidents de transfert « …dans la majorité des cas on associe le problème au patient
manutentionné : soit il a faibli, soit il était agité ou a fait un mouvement imprévu, soit il a résisté au
déplacement. » De même, elle indiquait pour les accidents de manutention sur place, « le problème le plus
souvent cité est que le patient a résisté en cours de manutention (41,2%). »
L’énigme des personnes désorientées
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Nous utilisons ici le terme « personnes désorientées » afin de regrouper les personnes souffrant de différents
troubles cognitifs ou de démences (de type Alzheimer ou autres). À l’occasion, nous utilisons aussi le terme
« client » pour désigner ces personnes. Cette désignation ajoute alors une connotation relationnelle. La
démence est une altération de la mémoire avec une ou plusieurs atteintes des fonctions supérieures du
cerveau (atteintes cognitives) : trouble du langage ; incapacité de réaliser une activité motrice, malgré des
fonctions motrices intactes ; impossibilité de reconnaître des objets, malgré des fonctions sensorielles
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
intactes ; trouble des fonctions exécutives de planification, d’organisation ou de régulation de l’activité
et capacité d’abstraction. Cela chez une personne qui jouit d’un état de conscience normal (4). Toutes ces
difficultés sont suffisamment graves pour nuire aux activités quotidiennes, professionnelles, sociales ou
aux relations avec autrui (5). Nous sommes ici, quel que soit le diagnostic, face à des personnes dont on doit
prendre soin et qui présentent des énigmes au plan de la communication. Ceci rend les activités de travail
complexes pour les soignants. Un ouvrage récent dessine, du point de vue de la personne désorientée, les
contours de cette énigme à laquelle font face les soignants : « Ces troubles qui nous troublent » (6). Du point
de vue du soignant, on dira que le client ne comprend pas les consignes, qu’il est agressif (crie, crache,
frappe, agrippe, etc.), qu’il résiste aux soins.
Le lien entre l’énigme des personnes désorientées et les TMS
Prendre soin des personnes désorientées et en perte d’autonomie constitue un défi quotidien pour
les soignants, particulièrement lors de l’assistance à la toilette. Cette activité implique de l’aide au
déplacement, déshabillage, gestes de soins, habillage et selon le cas, installation au fauteuil avec ou sans
aide mécanique. Elle se déroule au lit, au lavabo, au bain, à la douche selon le client.
Aider un client qui n’est pas désorienté mais dont certaines capacités motrices sont déficientes requiert
déjà des efforts et l’adoption de postures contraignantes. Selon les particularités de la situation de travail,
on peut noter une augmentation des risques de TMS (7). C’est d’ailleurs le cas lors des interventions auprès
des personnes désorientées. Par exemple, lorsque le soignant peine à se faire comprendre par le client,
il peut en résulter une escalade d’agitation verbale et physique jusqu’à la réaction catastrophique. Le
soignant ressent alors impuissance, frustration, colère, démobilisation et perte de sens en regard de la
tâche à effectuer. Il est reconnu que les soignants œuvrant auprès de clients atteints de démence sont
davantage stressés et fatigués (8). Il est aussi reconnu qu’au stress négatif est associé une augmentation
du risque de TMS (7).
Les interventions de formation de l’ASSTSAS en regard des TMS chez les soignants
L’ASSTSAS a développé en 1983, et révisé régulièrement depuis, une formation sur le déplacement des
personnes : Principes pour le déplacement sécuritaire des bénéficiaires (PDSB). C’est une formation de deux
jours qui se donne en laboratoire tant pour la théorie que pour la pratique. Cette formation enseigne des
principes de préparation, de positionnement, de prise et de mouvements pour l’exécution des manœuvres
d’aide au déplacement ou à la mobilisation des clients. En plus de proposer des méthodes d’exécution de la
tâche, elle vise aussi à permettre au participant de reconnaître les risques provenant des autres éléments
de la situation de travail (personnes, équipement, environnement, organisation du travail et du temps).
Cependant, dans les situations où le client présente une démence, la problématique de la relation avec le
client émerge.
Pour répondre au besoin des milieux de soins à l’égard des clients désorientés, l’ASSTSAS en collaboration
avec des neuropsychologues spécialisés en psychogériatrie, a élaboré une formation sur la prévention des
comportements agressifs et perturbateurs (5). Cette formation de deux jours se donne en classe. Elle vise
à améliorer les connaissances sur les démences ainsi que sur certaines stratégies d’intervention. Elle est
appréciée des participants. Cependant les nouvelles stratégies intégrées par les soignants dans leur travail
ne sont pas contrôlées. Le besoin d’outils supplémentaires continue d’être exprimé par les soignants.
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En 2001, l’ASSTSAS s’engage dans une collaboration avec Yves Gineste et Rosette Marescotti (9) qui ont
élaboré une formation sur la communication avec les personnes désorientées qui s’intègre à l’aide au
déplacement : « La manutention relationnelle ». Une adaptation des concepts de cette formation est crée
pour le contexte québécois. La formation s’inspire aussi du travail d’une chercheuse québécoise (10).
Ainsi en 2003, un nouveau service est offert aux établissements : la formation de formateurs à l’Approche
relationnelle de soins (ARS).
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
La formation ARS
Voici les éléments du contenu théorique de la formation ARS : la performance du soignant et l’adaptabilité ;
les difficultés rencontrées avec les clients ; les règles de base de l’approche auprès d’un client : notions utiles
de fonctionnement du système nerveux (voies afférentes et voies efférentes, traitement des informations
tactiles, schéma corporel et perception des émotions, traitement des informations et mémoire affective) ;
« ne pas faire à la place » ; l’approche relationnelle de soins ; la reconnaissance des feed-back ; le regard,
la communication verbale, le toucher (incluant une méthode pour faire relâcher les rétractions), les effets
psychologiques dans la communication avec le client (la communication paradoxale, l’effet Pygmalion) ;
la philosophie de soins de « l’humanitude » ; le concept « Vivre et mourir debout » : maintenir debout,
remettre debout et l’aide à la marche ; la méthode d’attribution du soin.
Afin que le soignant intègre de nouveaux outils de communication et d’intervention dans son activité de travail,
on mise sur l’émotion positive qu’il ressent d’abord en observant le formateur qui applique concrètement la
théorie puis dans un deuxième temps lorsqu’il applique lui-même ses nouveaux savoir-faire.
Pour ce faire, le cadre est le suivant. La formation est constituée d’un premier bloc théorique d’une demijournée au cours duquel les participants identifient leurs clients qui présentent des difficultés particulières.
Dans la deuxième demi-journée, le formateur exécute, en compagnie d’un soignant qui connaît le client, une
démonstration d’un soin devant le groupe silencieux. C’est le formateur qui dirige le soin. Les participants
assistent alors à l’application des principes de l’ARS. L’activité de la toilette est choisie parce qu’elle
constitue la plus longue période de temps ininterrompue qu’un soignant passe en compagnie d’un client
et parce que c’est habituellement l’activité de soin identifiée comme étant la plus difficile. Une discussion
en groupe permet au participant qui a exécuté la toilette avec le formateur de commenter le déroulement
du soin. Puis le groupe analyse les résultats observés. Deux ou trois démonstrations sont ainsi vécues
par le groupe. Le processus se poursuit par une demi-journée de théorie suivie d’une autre demi-journée
de démonstration en soin d’hygiène. Puis une pause d’une ou deux semaines permet aux participants
d’expérimenter les façons de faire dans leur travail. À la suite de cette période, le formateur accompagne
individuellement chaque participant pour l’exécution de deux soins d’hygiène : c’est le compagnonnage.
Ils exécutent ensemble la tâche mais c’est le participant qui guide le soin. À la suite de chaque toilette,
le formateur et le participant discutent de l’intégration des principes de la formation. Lorsque tous les
participants ont été accompagnés par le formateur, une rencontre de consolidation d’une demi-journée
est planifiée. Lors de cette rencontre, les participants partagent les « bons coups » vécus depuis le
début du processus de formation, des témoignages généralement remplis d’émotions positives. De plus,
ils suggèrent à la direction les changements souhaitables à tous les niveaux : organisation du travail,
équipement, environnement, etc. dans le cadre du projet de changement organisationnel.
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Une anecdote illustre comment l’induction d’émotions positives chez le soignant transforme son activité
de travail par la suite. Le soignant a reçu la théorie et assisté aux démonstrations en formation : il a déjà
apprécié ce qu’il a vécu jusqu’ici en l’exprimant comme ceci à des collègues qui n’assistent pas (encore) à
la formation. « C’est bien…c’est comme un rappel d’une foule de choses qu’on savait mais qu’on a fini par
oublier de faire en devenant trop mécanique et puis il y a certains trucs nouveaux… ». Cependant, ce qui
« convaincra » définitivement ce soignant est encore à venir. Lors du compagnonnage, le formateur et le
soignant font la toilette d’une dame réputée difficile, qui ne comprend pas les consignes, crie et frappe à
l’occasion. C’est le participant qui prend le leadership de la relation. Il est très attentif à tous les feedback
non verbaux que renvoie la dame pour exprimer qu’elle n’aime pas tel ou tel geste. Ainsi le soin se déroule
très bien, sans cri ni geste agressif, cela à l’intérieur du temps normalement dévolu à cette activité de
travail. Une fois la dame installée à son fauteuil, le soignant s’approche d’elle avec la brosse à cheveux en
indiquant verbalement et par geste que c’est le moment de se peigner. Lorsqu’il s’approche, la dame lève le
bras pour attraper la brosse à cheveux. Le soignant appliquant le principe « de ne pas faire à la place » lui
dit : « Vous voulez vous peigner, allez-y… », en lui tendant la brosse à cheveux. Surprise ! Ce n’est pas ses
cheveux que la dame veut peigner. Elle approche la brosse de la tête du soignant. Celui-ci, comprenant ce
qu’elle veut faire s’accroupit devant elle. Elle lui peigne les cheveux durant quelques minutes. L’émotion joue
son rôle. Le soignant reçoit le message qu’il a exécuté un soin d’hygiène de la dame dans des conditions que
celle-ci a appréciées. Aphasique, elle n’a d’autres moyens de s’exprimer. Le soignant est « sur un nuage ».
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Impacts de la formation ARS
L’anecdote précédente montre qu’on a évité des situations difficiles, voire une réaction catastrophique,
néfastes au plan émotif et potentiellement contraignantes en termes d’efforts ou de postures. Plusieurs
établissements où l’ARS est implantée expriment son impact par la réduction des réactions catastrophiques.
Par ailleurs, une enquête par questionnaire auprès des participants à la fin du processus de formation
fournit une appréciation quantitative et qualitative de la perception des participants. Ce questionnaire a été
administré à la suite de 40 projets de formation. Au total, 392 participants ont répondu au questionnaire, soit
un taux de réponse de 93%. Le questionnaire comprenait des questions fermées avec échelle de réponse
(fortement en désaccord, en désaccord, d’accord, fortement d’accord). Il comprenait aussi des questions
ouvertes où le participant pouvait exprimer librement son opinion. Ces questions portaient notamment sur
le contenu de la formation qui est le plus utile pour le travail, ce qui est le plus facile à intégrer.
L’analyse des réponses porte ici sur les questions ou les informations permettant le mieux de faire le lien
entre l’expérience d’émotions positives par les soignants et l’effet sur les facteurs de risque de TMS.
Les répondants sont unanimes dans leurs perceptions à la suite du processus de formation, à savoir que :
la formation leur a apporté des outils pour faire les gestes de soins avec encore plus de douceur (99%
d’accord et fortement d’accord) ; la formation permet de rendre plus harmonieuse la relation avec les
clients (99% d’accord et fortement d’accord) ; l’amélioration de l’autonomie des clients permet de rendre
le travail plus sécuritaire (95% d’accord et fortement d’accord) ; l’amélioration de la communication avec le
client permet d’améliorer la satisfaction au travail (98% d’accord et fortement d’accord).
Au plan qualitatif, voici une sélection de commentaires témoignant de l’influence de l’expérience d’émotions
positives sur la perception des soignants de leur travail :
« Je souhaite qu’ils comprennent que nous avons aussi des sentiments pour les résidents et qu’il est
normal d’avoir des émotions, d’avoir de l’affection pour eux qui est saine (…) »
« (…) Quand on prend le temps d’appliquer certaines choses avec des clients considérés difficiles et qu’on
réussi, on se sent tellement bien et c’est plaisant. »
« Le toucher en douceur me permet de constater que les clients aiment ce contact de plus en plus et que
je ne pourrais plus m’en passer. »
« Décrire tout ce que je fais prépare bien le patient. Aller chercher son regard stimule la personne à
participer. Le contact des yeux est très nourrissant. »
« Éviter de faire les gestes à la place du client, dire et décrire nos actions, le toucher sont des choses
simples qui ne demandent pas plus de temps et qui améliorent la qualité de vie des résidents et des
intervenants. »
« (…) ils nous apportent aussi qu’on peut travailler dans un milieu où la douceur et notre attitude vont faire
que nous serons heureux et heureuses au travail. »
« (…) avec cette pratique globale, je force moins à faire les soins, je suis plus détendue, je résiste moins
(…). »
« C’est l’autonomie des patients, ainsi que l’approche (qui) nous facilite l’ouvrage et nous fait sauver du
temps. Le tout fait que le patient est satisfait et nous, on est fier de notre ouvrage. »
« J’ai réussi à habiller une dame qui avait été agressive pendant 2 jours (coup de poing) ; après elle m’a
remercié en me regardant dans les yeux. »
« Avec certains malades que je ne nommerai pas, j’ai amélioré ma patience, mon écoute. »
« (…) Surtout, cette approche diminuera l’agressivité des deux parties. Chacun s’en trouvera plus content
ayant le sentiment du devoir accompli. »
« Le toucher en douceur, la communication, l’humanitude. C’est beaucoup plus agréable d’y aller selon ce
que le client désire que de forcer à faire les choses. L’adaptabilité est super importante. »
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« Ce que j’ai aimé de cette formation, c’est que ma vision de mes tâches quotidiennes est différente.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
L’approche relationnelle est si souple et rassure énormément le client. C’est une formation qui ne peut
qu’être positive à l’ensemble des travailleurs où je travaille ».
« Formation réaliste, pas de grande théorie qu’on ne peut appliquer mais basée sur la réalité et très
applicable. Ce qui est fantastique c’est qu’on voit tout de suite les résultats en appliquant cette approche
relationnelle de soins. »
Conclusion
Aller au cœur de l’activité de travail des soignants pour agir sur les risques de TMS, c’est s’intéresser à la
relation entre le soignant et le client en plus des efforts et des postures, notamment en raison des difficultés
particulières reliées aux soins aux personnes désorientées. Nous croyons, à la lumière de la perception des
participants à l’ARS que cette formation contribue à réduire les risques de TMS. Au-delà des perceptions
des participants, des évaluations avec d’autres indicateurs d’impacts seront nécessaires. Il sera aussi
intéressant d’analyser les facteurs facilitants ou nuisibles à son implantation dans les établissements.
Références
1. Institut National de Santé Publique du Québec. Portrait national des troubles musculo-squelettiques (TMS) 19982007. Septembre 2010
2. BÉDARD, S., Lésions professionnelles en CHSLD. Objectif Prévention, vol.26, no.2, p.30-31, 2003.
3. ST-VINCENT, Marie, Analyse des accidents survenus durant une année dans trois centres hospitaliers,
IRSST Institut de recherche en santé et en sécurité du travail du Québec, rapport R-093, mars 1995.
4. ARCAND, M., HÉBERT, R., Précis pratique de gériatrie. 2e éd. Edisem, 1997.
5. BIGAOUETTE, Michel, Prévention des comportements agressifs perturbateurs en milieu d’hébergement
gériatrique, Association paritaire pour la santé et la sécurité du travail du secteur affaires sociales. 2001.
6. PELLISSIER, Jérôme, Ces troubles qui nous troublent. Les troubles du comportement dans la maladie
d’Alzheimer et les autres syndromes démentiels. Éditions Érès, 2010.
7. KUORINKA, I., FORCIER, L., Les lésions attribuables au travail répétitif, Éditions MultiMondes, 1995.
8. BOURQUE, M., VOYER, P., La gestion des symptômes psychologiques et comportementaux de la démence,
dans Philippe Voyer (sous la direction de), Soins infirmiers aux aînés en perte d’autonomie, Éditions du
renouveau pédagogique, 2006.
9. Site internet : cec-formation.net
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10. LÉVESQUE, Louise. L’approche relationnelle d’accompagnement de la personne atteinte de troubles
cognitifs, L’infirmière du Québec, janvier-février 2001, p.29-38.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Atelier 3
Environnement psychosocial
du travail : définitions et outils
pour le caractériser
Susan
Stock
Institut national de santé publique au Québec
(INSPQ) et Université de Montréal (Canada)
Fabienne
Kern
Institut universitaire romand de santé au travail
(IST) (Suisse)
L
’environnement psychosocial du travail intègre plusieurs éléments organisationnels, psychologiques,
interrelationnels et cognitifs. Cet atelier présentera un cadre conceptuel et décrira différents
éléments et contraintes psychosociales du travail qui peuvent être considérés en lien avec la genèse
des TMS. Il explorera différents outils et méthodes utilisés pour caractériser ces facteurs et décrira les
qualités psychométriques à considérer en choisissant un outil. Des exemples de l’utilisation de quelques
outils en milieu de travail seront également présentés.
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Des échanges avec les participants auront lieu concernant :
• La nature des éléments ou contraintes psychosociaux du travail rencontrés par les participants en
prévention des TMS.
• Les besoins des participants d’outils ou de méthodes pour caractériser l’environnement psychosocial.
• Les expériences des participants en caractérisation de l’environnemental psychosocial dans le contexte
de la prévention des TMS.
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Session 4
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Environnement psychosocial
du travail : définitions et concepts
usan Stock
S
Institut national de santé publique au Québec
(INSPQ) et Université de Montréal (Canada)
I
l n’existe pas de consensus sur la classification des dimensions de l’environnement psychosocial du
travail. Au cours des derniers 35 ans, des chercheurs, des experts et des intervenants œuvrant en santé
au travail, en sociologie et psychologie du travail, en relations industrielles et en gestion, ont proposé
différentes façons de concevoir et de caractériser l’environnement psychosocial du travail. Ces approches
varient selon le pays, la discipline et le contexte de recherche ou de pratique d’intervention. Malgré ces
disparités, il y avait un intérêt à décortiquer les aspects de l’organisation du travail et les exigences du
travail psychologiques et interrelationnelles qui peuvent influencer l’état psychologique de la personne
et/ou avoir des effets néfastes sur d’autres aspects de la santé tels que la santé cardiovasculaire, et plus
récemment, les TMS.
Plusieurs chercheurs et instituts nationaux de santé au travail ont proposé diverses modalités de classement
de ces risques et différents modèles conceptuels (Huang et coll. 2002 ; Kristensen et coll. 2005, Lindstrom
et coll. 2002). Tabanelli et coll. (2008) ont répertorié 33 outils de mesure des facteurs psychosociaux au
travail (26 questionnaires et 7 outils d’observation) publiés dans la littérature scientifique. Récemment, en
France, le ministre en charge du Travail a mandaté un collège d’expertise pour formuler des propositions
en vue d’un suivi statistique des risques psychosociaux au travail. En octobre 2009, ce collège d’expertise a
proposé un cadre de référence des risques psychosociaux avec 6 axes et a identifié une batterie provisoire
d’indicateurs existants pour mesurer différents éléments de ces axes. Les 6 axes proposés incluent : (1)
les exigences au travail (ex : quantité de travail, pression temporelle, complexité du travail, difficultés de
conciliation entre travail et vie personnelle) ; (2) les exigences émotionnelles (ex : épuisement émotionnel,
relation au public, empathie et souffrance, tensions avec le public, devoir cacher ses émotions, peur au
travail) ; (3) l’autonomie et les marges de manœuvre (ex : autonomie procédurale, autorité décisionnelle,
utilisation des compétences) ; (4) les rapports sociaux, relations au travail (ex : soutien social au travail,
reconnaissance, violence) ; (5) le conflit de valeur ; (6) l’insécurité d’emploi.
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Le choix des indicateurs psychosociaux dépend des objectifs du chercheur ou de l’intervenant et des
éléments du travail qu’on veut caractériser. Il est important également de tenir compte des caractéristiques
psychométriques des indicateurs : leur validité, reproductibilité et sensibilité au changement. L’outil
mesure-t-il le phénomène que l’on veut caractériser de façon précise ? A-t-il la capacité à recueillir les
mêmes résultats chaque fois que les mêmes phénomènes se manifestent dans un contexte semblable ?
Est-il capable de montrer une augmentation ou une baisse du phénomène étudié quand un vrai changement
a eu lieu ? Par conséquent, les utilisateurs d’indicateurs devraient s’informer au préalable si ces
caractéristiques ont été étudiées et si oui, de vérifier si l’indicateur retenu est valide, fiable et sensible au
changement dans le contexte de l’utilisation prévue.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Revue de la littérature
sur les contraintes psychosociales
au travail évaluées en épidémiologie
comme facteurs de risque des TMS :
intérêt et limites
ominique Chouanière
D
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
Département Homme au travail,
Centre de Lorraine
Isabelle Niedhammer
INSERM, U1018, Hôpital Paul Brousse (France)
L
es liens entre contraintes psychosociales au travail et troubles musculo-squelettiques (TMS) ont été
étudiés en épidémiologie depuis une quinzaine d’années, donnant lieu à un corpus de connaissances
conséquent. Avant de détailler ces différentes contraintes, un rappel des définitions sur les différents
concepts est incontournable.
Concepts et définitions
Le terme « risques psychosociaux au travail » fait débat en France, comme le précise M. Gollac et coll dans
un rapport d’expertise récent [Gollac], et le concept même est pour certains chercheurs français sans
objet. Pour autant, l’Agence européenne pour la santé et la sécurité au travail de Bilbao en donne une vision
pragmatique : les risques psychosociaux au travail incluent les facteurs liés au stress, violences externes
(venant du public, patients, usagers, clients, etc.) et violences internes (harcèlement moral ou sexuel,
conflits, etc.). Ces facteurs de stress représentent, selon les enquêtes européennes sur les conditions de
travail menées par la Fondation européenne de Dublin, les risques professionnels les plus fréquents chez
les travailleurs européens, sachant que les violences externes ou internes peuvent générer du stress. À
l’origine du stress chronique au travail, se trouvent les « stresseurs » ou « sources du stress » schématisés
ci-dessous. On distingue deux types de sources de stress :
• les contraintes qui correspondent à la perception subjective des conditions de travail (souvent dénommées
« facteurs psychosociaux ») ;
• les facteurs organisationnels qui sont les conditions objectives de travail factuelles et identifiables dans
la documentation de l’entreprise.
Le stress chronique peut avoir sur la santé différentes conséquences dont les TMS représentent un aspect, à
côté d’autres maladies dont les plus étudiées sont les atteintes cardio-vasculaires ou psychopathologiques.
Facteurs organisationnels et contraintes au travail
Depuis les années 1960, la façon de considérer les dimensions du travail dans le champ de l’épidémiologie
psychosociale professionnelle a beaucoup évolué.
Avant les années 1970, ces études épidémiologiques se référaient à des listes de facteurs organisationnels
ou « stresseurs » potentiels : horaires, formation, polyvalence, etc. et étudiaient les relations de ces
facteurs avec des aspects de santé. Le nombre et la diversité des facteurs étudiés rendaient difficiles
l’interprétation globale des résultats et leur transférabilité en termes de prévention.
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Durant les années 1970-1990, deux modèles basés sur les déséquilibres de deux dimensions du travail
perçu se sont imposés : ceux de Karasek et de Siegrist. Le modèle de Karasek définit le « job strain »
comme un déséquilibre entre la perception d’une forte exigence psychologique de l’activité et un manque
de latitude décisionnelle pour réaliser cette activité. Le modèle de Siegrist repose sur le déséquilibre entre
la perception des efforts consentis pour son travail et les bénéfices que l’on en retire, que ceux-ci soient
monétaires ou symboliques. Les deux modèles ont introduit une troisième dimension qui modulerait les
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
déséquilibres : le soutien social des collègues et de la hiérarchie qui pourrait réduire la perception du job
strain dans le modèle de Karasek et le surinvestissement dans le travail qui aggraverait la perception du
déséquilibre efforts/récompenses dans le modèle de Siegrist (voir en annexe les définitions précises des
dimensions). Ces modèles très intéressants pour l’épidémiologie psychosociale ont montré, sur la base
d’études étiologiques bien faites, qu’ils étaient prédictifs de différents problèmes de santé, la quantification
de leurs effets sur la santé mentale ou cardiovasculaire, par exemple, étant bien approchée.
Dans les années 2000, de nouveaux modèles sont venus compléter les outils d’évaluation des facteurs
psychosociaux. Ils se sont intéressés à l’injustice organisationnelle, la qualité du leadership, l’insécurité
de l’emploi, les violences internes (de la part des collègues, supérieurs, etc.) et externes (de la part des
usagers, clients, patients, etc.), les exigences ou la dissonance émotionnelles, les conflits éthiques,
etc. (voir en annexe les définitions précises des dimensions). Néanmoins, les preuves épidémiologiques
actuelles de leur nocivité sont moins nombreuses.
Des outils d’évaluation des facteurs psychosociaux apparus depuis les années 70 explorent des dimensions
du travail beaucoup plus étendues comme le WOCCQ en Belgique (Working Conditions and Control
Questionnaire) ou le COPSOQ (Copenhagen Psychological Questionnaire) au Danemark ou le QPSNordic
(General Nordic Questionnaire for Psychological and Social Factors at Work). Par ailleurs, ils ont fait l’objet
d’un très faible nombre d’études épidémiologiques.
Les facteurs organisationnels qui peuvent être à l’origine de contraintes font l’objet de classifications
multiples et évoluent au rythme des changements organisationnels du travail. Ils peuvent être regroupés
en quatre grandes catégories :
• le contenu du travail : activités monotones ou répétitives, activités exigeant de traiter un très grand
nombre d’informations, exposition permanente à la clientèle, confrontation à la mort ou à la souffrance,
activité impliquant une responsabilité sur la vie d’autrui, etc. ;
• l’organisation du travail ou la gestion des ressources humaines : changements organisationnels
fréquents, horaires de travail incompatibles avec la vie sociale et familiale, temps de travail prolongé,
interruption fréquente dans le déroulement du travail, flux tendu, inexistence ou caractère aléatoire des
plans de carrière, sous ou surqualification des agents, mauvaise ou absence de définition des postes de
travail, etc. ;
• la qualité des relations de travail : isolement social ou physique, management peu participatif, faible
communication dans l’entreprise, absence d’évaluation du travail ou évaluation inadaptée, etc. ;
• l’environnement physique : bruit, mauvaise conception des lieux de travail, open space, etc. ;
À ces facteurs propres à l’entreprise se surajoutent des facteurs liés au contexte sociologique et économique
du monde du travail :
• les évolutions sociologiques : utilisation croissante des techniques de communication à distance,
individualisation de l’activité professionnelle avec sur-responsabilisation, exigence ou agressivité de la
clientèle, etc. ;
• la situation macroéconomique : intensification du travail, instabilité de l’emploi, importance de la
concurrence nationale et internationale, difficultés économiques conjoncturelles, etc.
Certains facteurs organisationnels peuvent avoir un rôle direct sur la santé quelles que soient la présence
ou l’importance des contraintes : c’est le cas, par exemple, d’une activité professionnelle hebdomadaire
prolongée qui semble affecter directement la santé (via le stress chronique) sans qu’il y ait de consensus
sur le nombre d’heures à ne pas dépasser (45, 50, 55 heures ?) ou encore la précarité à travers les contrats
de travail non permanents.
Ces facteurs organisationnels explorés plus récemment en épidémiologie ne bénéficient pas d’un nombre
de données suffisant et les résultats les concernant ne sont pas encore stabilisés.
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Ces contraintes et facteurs organisationnels ont été regroupés par le collège d’expertise francophone mis
en place en 2008 par M. Gollac en six dimensions : intensité et temps de travail, exigences émotionnelles,
autonomie et marges de manœuvre, rapports sociaux et relations dans le travail, conflits de valeur,
insécurité de la situation de travail. Cette classification qui a fait l’objet d’un travail substantiel de nombreux
experts et dont un récent rapport conséquent pourrait devenir une référence [Gollac].
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Relations entre les facteurs psychosociaux « classiques » et la santé
Selon une revue de la littérature menée par C. Cohidon [INSERM], « trois revues de la littérature
épidémiologique publiées en 2008 et fondées exclusivement sur des études longitudinales concluent toutes
à l’existence de liens entre les différentes dimensions des modèles de Karasek ou de Siegrist et certains
troubles de santé mentale tels que des troubles dépressifs et anxio-dépressifs. L’exposition au job strain,
combinant fortes exigences et faible latitude décisionnelle, multiplierait par 2 le risque de développer
des troubles dépressifs. En cas d’efforts importants associés à de faibles récompenses les liens avec les
troubles dépressifs semblent plus constants et le risque augmenterait de 2 à 4 fois selon les auteurs et la
méthodologie adoptée ».
En ce qui concerne les maladies cardio-vasculaires, F. Kittel dans la même revue de la littérature [INSERM],
précise que « sur la base de résultats issus de méta-analyses, l’exposition au job strain du modèle de
Karasek augmenterait le risque de maladies cardio-vasculaires de 16 à 45%. Le risque serait accru de
58 à 152% en cas d’exposition au déséquilibre efforts-récompenses du modèle de Siegrist. Toutefois, une
certaine prudence s’impose pour le modèle de Siegrist du fait du faible nombre d’études prospectives ».
Pour les TMS, Annette Leclerc amène les conclusions suivantes [INSERM] : « Pour la plupart des sites
de douleur, de nombreuses études montrent des liens avec les expositions aux facteurs de risques
psychosociaux, mais les associations sont souvent d’intensité modeste, et globalement moins fortes dans
les études dont la qualité méthodologique est la meilleure (études longitudinales). Le niveau de preuve
varie également selon le site de douleur. Pour les douleurs cervicales et les douleurs d’épaules, les
associations avec la « demande » au travail, le manque de latitude, et le manque de soutien social, sont
retrouvées de façon assez constante. Pour les troubles portant sur le cou et le membre supérieur, les
facteurs psychosociaux sont liés de façon modeste aux troubles, sans qu’il y ait d’association spécifique.
Les relations sont moins évidentes pour des pathologies spécifiques, syndrome du canal carpien ou
pathologies du coude. Concernant les lombalgies, les associations, habituellement observées dans des
études transversales, deviennent moins nettes, voire inexistantes, dès lors qu’on se limite à l’examen
d’études longitudinales, a priori plus solides du point de vue méthodologique. Au niveau du membre
inférieur, les conclusions sont plutôt négatives. Il est possible que certaines des pathologies en cause, dont
l’arthrose (arthrose du genou…), ne soient pas liées de façon étroite à ces facteurs de risque. »
Intérêts et limites des principaux outils d’évaluation des facteurs psychosociaux
Les différents instruments ont fait l’objet d’évaluation psychométrique dont les résultats sont largement
publiés [Langevin, Niedhammer, Siegrist]. Ils ne seront pas détaillés ici.
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La principale limite de chacun des instruments tient au fait qu’ils n’explorent que quelques dimensions
du travail car élaboré à des fins de recherche, ils cherchent à vérifier si les dimensions du travail qu’ils
explorent ou les déséquilibres sont prédictifs de problèmes de santé. Dans ce contexte, ils sont souvent
difficiles à utiliser en prévention comme outil d’évaluation des risques psychosociaux car les situations de
travail sont complexes et les contraintes peuvent y être multiples et diversifiées.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Bibliographie
1. INSERM. Stress au travail et santé, situation chez les indépendants. Editions Inserm, Collection Expertise
collective, 2011
2. Gollac M, Bodier M. Mesurer les facteurs psychosociaux de risque au travail pour les maîtriser. Rapport
du Collège d’expertise sur le suivie des risques psychosociaux au travail faisant suite à la demande du
Ministre du travail, de l’emploi et de la santé, 2011, 223 pages
3. Karasek R, Theorell T. Healthy work : stress, productivity, and the reconstruction of working life. New
York, NY : Basic Books ; 1990.
4. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Déséquilibre ”efforts/récompenses”. Documents pour le médecin
du travail, 125, 111-115
5. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Job content questionnaire. Documents pour le médecin du travail,
2011, 125, 105-110
6. Langevin V, François M, Boini S, Riou A. Les questionnaires dans la démarche de prévention du stress au
travail. Documents pour le médecin du travail, 2011, 125, 23-36
7. Leymann H. Mobbing : la persécution au travail. Paris : Editions du Seuil ; 1996.
8. Niedhammer I, Chastang JF, Gendrey L, David S, Degioanni S. Propriétés psychométriques de la version
française des échelles de la demande psychologique, de la latitude décisionnelle et du soutien social du
”Job Content Questionnaire” de Karasek : résultats de l’enquête nationale SUMER. Santé Publique 2006 ;
18(3) :413-427.
9. Niedhammer I, David S, Degioanni S, 143 médecins du travail. La version française du questionnaire de
Leymann sur la violence psychologique au travail : le « Leymann Inventory of Psychological Terror » (LIPT).
Rev Epidemiol Sante Publique 2006 ; 54(3) :245-262.
10. Niedhammer I, Siegrist J, Landre MF, Goldberg M, Leclerc A. Etude des qualités psychométriques de la
version française du modèle du Déséquilibre Efforts/Récompenses. Rev Epidemiol Sante Publique 2000 ;
48(5) :419-437.
11. Siegrist J, Starke D, Chandola T, Godin I, Marmot M, Niedhammer I et al. The measurement of effortreward imbalance at work : European comparisons. Soc Sci Med 2004 ; 58(8) :1483-1499.
Annexe : Définition des contraintes et des facteurs organisationnels
CONTRAINTES DU MODÈLE DE KARASEK
Demande psychologique
Elle correspond à une évaluation de la perception de la charge de travail et de sa vitesse d’exécution ainsi
que celle des interruptions dans le travail.
Latitude décisionnelle
Elle évalue la perception de la marge de manœuvre pour organiser et réaliser son travail, de la créativité
ou répétitivité des tâches menées dans le travail et la possibilité de faire valoir ses compétences.
Soutien social
Elle évalue la perception de l’aide apportée par les collègues et l’encadrement de proximité pour réaliser
son travail.
Job strain
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Il apprécie la coexistence d’une forte demande psychologique et d’une faible latitude décisionnelle
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
(en dénombrant les personnes qui ont à la fois une forte demande psychologique et une faible latitude
décisionnelle sur la base de la médiane des 2 scores).
CONTRAINTES DU MODÈLE DE SIEGRIST
Efforts
Cette dimension évalue comme la demande psychologique de Karasek la perception de la charge de travail
et des interruptions dans le travail.
Récompenses
Elles mesurent la perception des « retours » sur le travail fourni qu’ils soient monétaires ou symboliques
et les perspectives de l’emploi et de la carrière.
Surinvestissement
Il s’intéresse à l’implication de la personne dans son travail et à l’anxiété que celui-ci peut générer chez elle.
Déséquilibre Efforts/Récompenses
Il apprécie la coexistence entre des efforts importants et des faibles récompenses par le rapport entre les
2 dimensions pondérées pour le nombre d’items.
CONTRAINTES APPARUES PLUS RÉCEMMENT EN ÉPIDÉMIOLOGIE PSYCHOSOCIALE
Conflits éthiques
Cette contrainte est explorée par quelques questions non standardisées du type : « est-ce que votre métier
vous met en contradiction avec vos valeurs personnelles ? » ou encore « Est-ce que dans votre travail vous
devez faire des choses que vous désapprouvez ? ».
Injustice organisationnelle
Cette contrainte est explorée récemment dans les études épidémiologiques. Elle intègre 3 composantes
de la justice perçue au travail : la justice distributive, celle qui concerne les ressources (salaire, protection
sociale, perspectives professionnelles, etc.), la justice procédurale qui concerne les procédures, les
méthodes et les mécanismes utilisés pour obtenir les résultats et la justice relationnelle qui concerne
l’équité dans les relations sociales (considération, politesse, respect, dignité, etc.). Différents instruments
sont disponibles pour mesurer la justice au travail.
Mauvaise qualité du leadership
Il s’agit également d’une contrainte nouvellement apparue dans les études épidémiologiques. Elle est
évaluée par un questionnaire portant sur les différents aspects d’un comportement managérial : intégrité,
motivation, capacité à intégrer, autocratisme et auto-centrage.
Insécurité de l’emploi et du salaire et précarité
L’insécurité correspond à une situation quotidienne impliquant une incertitude prolongée sur son devenir
professionnel. Elle a pris une dimension particulière du fait des changements intervenus dans le marché
du travail : restructurations, fusions, plans de licenciement, etc. Elle est évaluée par des outils très variés
allant de l’item unique à un auto-questionnaire de 50 items rendant la comparaison entre les études
difficiles.
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La précarité est une thématique connexe de la précédente puisqu’elle fait référence aux contrats précaires/
temporaire (CDD, intérim, contrats aidés, etc.) mais il n’y a pas de consensus sur sa définition qui donne lieu
à des déclinaisons très hétérogènes. Elle est évaluée par des questions non standardisées.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Forte charge émotionnelle
Elle concerne plus particulièrement les métiers d’aide ou de soins : travailleurs sociaux, personnel
soignant travaillant dans des services d’oncologie pédiatrique, d’accompagnement de patients en fin de vie
mais aussi des métiers commerciaux qui exposent les salariés à un contact prolongé avec une clientèle
volontiers agressive comme par exemple le métier de téléopérateurs. A notre connaissance, il n’y a pas
d’outil de mesure standardisé pour cette contrainte.
Dissonance émotionnelle
Il s’agit de la contrainte évoquée plus haut, également dans les centres d’appels téléphoniques, quand il
est demandé aux salariés d’afficher des émotions contraires à leur état comme ne pas réagir par la colère
alors qu’un client les agresse, insulte, etc. Il n’y a pas d’outil de mesure standardisé pour cette contrainte
mais des outils sont disponibles comme le FEWS (Francfort Emotion Work Scales).
Violence interne
La violence interne désigne l’ensemble des attitudes, comportements, actes agressifs qui se manifeste sur
le lieu de travail entre des acteurs internes de l’organisation (salariés, employés, agents, quels que soient
les niveaux hiérarchiques). De tels agissements sont particulièrement délétères du fait de leur répétitivité
et durée. La violence physique est explorée par des questions non standardisées alors que la violence
psychologique fait l’objet de plusieurs questionnaires dont le plus utilisé est le « Leymann Inventory of
Psychological Terror » (LIPT) qui explore l’exposition à 45 agissements hostiles. La violence interne peut
se manifester par du harcèlement moral (ou « bullying », « mobbying », etc.) ou sexuel qui se traduisent
par des comportements délibérés et réitérés d’atteinte à la dignité de la personne. Il existe des outils
standardisés d’exploration du « bullying » ou« mobbying ».
Violence externe
La violence externe désigne l’ensemble des attitudes, comportements, actes agressifs qui se manifeste sur
le lieu de travail par des acteurs externes (clients, usagers, bénéficiaires, administrés). Elle est explorée
par des questions non standardisées.
FACTEURS ORGANISATIONNELS
Changements organisationnels récurrents
Cette thématique très émergente fait référence aux changements permanents auxquels sont soumis les
salariés : changements technologiques, d’objectifs, d’équipes, de locaux, etc. Ils sont explorés par des
questions non standardisées.
Temps de travail prolongé
Il correspond, dans les études épidémiologiques, à deux concepts différents : l’excès de travail (plus de 45,
50 heures hebdomadaires) et les horaires atypiques (soirée, nuit, week-end, etc.), ces derniers exposant à
une désynchronisation des rythmes biologiques. Cet aspect est exploré dans les études épidémiologiques
par des questions non standardisées.
Remerciements
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Les auteurs remercient Christine Cohidon, France Kittel et Annette Leclerc pour leur expertise et leur accord à faire figurer
leurs contributions.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
L’intérêt de l’analyse de l’activité en
complément de tout outil d’évaluation
de l’environnement psychosocial
Fabienne Kern
Institut de santé au travail, Lausanne (Suisse)
Introduction
P
lusieurs modèles permettent d’appréhender certaines dimensions de l’environnement psychosocial.
Les échelles issues du modèle de Karasek (Demand-Control Model, puis Demand-Control-Support
Model) ont été et restent très largement utilisées lors d’études épidémiologiques sur l’environnement
psychosocial du travail. De même ces échelles sont souvent utilisées lors d’études d’envergure plus
restreinte et dans des contextes d’activités spécifiques avec un but de diagnostic.
Karasek distingue la demande psychologique (quantité de travail à accomplir, exigences mentales et
contraintes de temps) de l’autonomie décisionnelle (prise de décision, créativité, développement des
compétences). Une situation de « tension au travail » définie par l’association d’une forte demande
psychologique et d’une faible latitude décisionnelle représente un risque pour la santé physique et mentale
(Karasek, 1979). Ce modèle a ensuite été enrichi du soutien social, un manque de soutien étant un facteur
aggravant.
Cet outil d’évaluation de l’environnement psychosocial, bien que validé dans de nombreuses populations de
travailleurs, peut-il être utilisé en toutes circonstances ?
Contexte et méthode
Une demande d’évaluation des conditions de travail des 70 collaborateurs d’un organe de contrôle des
véhicules nous a été confiée. En effet, plusieurs des inspecteurs de ce service ont dénoncé la pénibilité de
leur activité. Des plaintes pour troubles musculosquelettiques ont en outre été relayées par des structures
syndicales.
L’évaluation a été menée par 2 approches complémentaires : d’une part, la perception des inspecteurs
en ce qui concerne leurs conditions de travail et leur santé, perception appréhendée au travers d’un
questionnaire ; et d’autre part, une analyse ergonomique de l’activité des inspecteurs qui a permis
d’objectiver les facteurs de risques.
Questionnaire
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Un « focus group » composé d’inspecteurs a été constitué afin de cibler le questionnaire sur l’activité
spécifique de cet organe de contrôle. Plusieurs dimensions ont été abordées dans ce questionnaire :
• description du poste ; données personnelles ; équilibre vie professionnelle-vie privée ;
• conditions de travail ambiantes, charge physique et risques d’accidents ;
• facteurs de stress et facteurs protecteurs dont les échelles de Karasek (modèle initial à 2 dimensions) ;
• échelle de santé mentale : test TST (Test de Santé Total) ;
• soutien et reconnaissance de la part de l’entreprise : questionnaire issu du modèle Déséquilibre Effort/
Récompense de Siegrist.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Analyse de l’activité
L’analyse ergonomique de l’activité des inspecteurs s’est déroulée sur 3 jours et sur 3 sites différents.
L’activité des inspecteurs a été analysée lors de l’inspection de voitures et camions. Des vidéos et photos
ont été prises et analysées.
Cette approche visait à évaluer les contraintes spécifiques des activités de travail et à dégager les principaux
facteurs de pénibilité associés à ces tâches ainsi que les ressources à disposition.
Résultats
Compte tenu du sujet de cette communication, nous aborderons ici uniquement les résultats des échelles
de Karasek (en particulier de l’autonomie décisionnelle) ainsi que de la marge de manœuvre et des
possibilités d’ajustement.
Analyse de l’activité
L’activité des inspecteurs (mécaniciens) consiste à contrôler les véhicules en 4 étapes successives, chaque
étape étant associée à des outils de contrôle spécifiques.
Étape 1 : identification du véhicule et expertise du groupe au sol (poids, suspensions et freins).
Étape 2 : expertise des phares et des sécurités.
Étape 3 : expertise du soubassement.
Étape 4 : e
ssais dynamiques (freinage, comportement routier, embrayage et étalonnage) et expertise des
gaz d’échappement.
Étape 1
Etape 2
Etape 3
Etape 4
Les inspecteurs disposent de 5 minutes par étape et doivent prendre en charge un nouveau véhicule
toutes les 20 minutes. Les propriétaires de véhicules sont donc convoqués sur la base d’un planning très
serré. Un retard de 1-9 minutes est cependant accepté et l’expertise doit alors être effectuée en moins
des 20 minutes réglementaires. Si le propriétaire a plus de 10 minutes de retard, un nouveau rendez-vous
sera fixé et l’inspecteur dispose alors de quelques minutes de marge.
La variabilité grandissante des véhicules, leur informatique spécifique et le moindre retard des
propriétaires ne sont pas pris en compte par l’organisation du travail. Les inspecteurs doivent libérer les
postes de travail et les appareils de mesure toutes les 5 minutes pour ne pas retarder leurs collègues,
ce qui accentue la pression temporelle et limite les possibilités d’ajustement déjà minimes de par
l’organisation de cette activité d’expertise.
L’analyse de l’activité met clairement en évidence une très faible marge de manœuvre dans un cadre très
rigide.
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Questionnaire
L’analyse du questionnaire s’est faite à l’aide du logiciel d’analyses statistiques SPSS. Le taux de réponses
a atteint les 88% (n=61).
Les échelles de Karasek ont montré que, par rapport à la population suisse, une proportion importante
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
de répondants a rapporté un niveau élevé d’autonomie (Ramaciotti et al, 2001), contrairement aux
résultats de l’analyse de l’activité.
Contradictions
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En analysant plus précisément les réponses des participants, il est apparu que le libellé de certaines
questions sur la latitude décisionnelle semblaient se contredire et influençaient ainsi le résultat.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
L’analyse de l’activité a permis de donner sens à ces contradictions. En effet, l’activité d’expertise de
véhicules est à la fois répétitive (cycle de 20 minutes, véhicules à la chaîne) mais variée de par les différents
modèles de véhicules examinés et les différents aspects contrôlés. De même, les mécaniciens sont amenés
à prendre des décisions de façon autonome (autorisation ou interdiction de circuler à l’issue de l’expertise)
mais sont particulièrement limités dans la planification de leur activité, au vu de l’organisation rigide du
travail. Les échelles de Karasek ne nous ont pas permis ici de corroborer nos résultats de terrain. Se baser
uniquement sur cet outil d’évaluation de l’environnement de travail n’aurait pas permis de faire un bon
diagnostic de la situation et ainsi une prévention adéquate des problèmes rencontrés dans cette entreprise.
Conclusion
L’analyse de l’activité reste le principal garant d’une bonne évaluation de la situation de travail et
de l’environnement psychosocial. Elle permet en outre de donner du contenu, de la substance et ainsi
d’expliquer les données récoltées par questionnaire.
Lors d’études à petite échelle et dans un contexte d’activité spécifique, l’analyse de l’activité devrait toujours
accompagner l’utilisation d’autres outils d’évaluation. En effet, on voit ici que les échelles de Karasek ne
traduisent pas toujours la réalité des diverses situations de travail, et l’autonomie décisionnelle de Karasek
n’est ici pas un bon révélateur des possibilités d’ajustement et de la marge de manœuvre.
Ces échelles ont été initialement conçues pour être utilisées lors d’études épidémiologiques et donc sur de
grandes populations où la spécificité de certaines activités influencerait ainsi moins le résultat global. Leur
utilisation de façon plus ou moins abusive sur d’autres types de populations doit être questionnée.
Bibliographie
R. Karasek. Job demands, job decision latitude, and mental strain : implication for job redesign.
Administrative Science Quarterly, 1979 ; 24(2) :285-308.
R.Karasek, T. Theorell. Health Work : Stress, Productivity and Reconstruction of working life New York
Basic Books 1990.
D. Ramaciotti, J. Perriard. Les coûts du stress en Suisse : Etude réalisée sur mandat du seco, 2001.
B. Fetcher, F. Jones. A refutation of Karasek’s demand-discretion model of occupational stress with a range
of dependent mesures. Journal of Organizational Behavior 1993 ; 14 ;4 :319-330.
T. Theorell, R. Karasek. Current issues relating to psychosocial job strain and cardiovascular disease
research. Journal of Occupational Psychology 1996 ; 1 :9-26.
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V. Arnaudo. Analyse critique du questionnaire, du chiffre et des indicateurs de santé au travail. Le journal
des professionnels de la Santé au Travail 2.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Outils pour apprécier les aspects
socio-organisationnels lors
d’une intervention de prévention :
l’expérience des praticiens
Marie Bellemare, Geneviève Baril-Gingras
Département des relations industrielles,
Chaire en gestion de la santé et de la sécurité du
travail, Université Laval (Canada)
L
es facteurs de risque de TMS que l’on peut identifier dans les différentes situations de travail sont
le résultat de la présence de déterminants pouvant relever de la formation, du système technique
et de l’organisation du travail. Lors des interventions à visées préventives, la démarche consiste à
rechercher les déterminants en cause et à les transformer en implantant des changements concrets dans
les situations de travail. Les connaissances « techniques » dont on dispose pour identifier les déterminants
qui contribuent aux TMS sont fondées sur des recherches en épidémiologie, biomécanique et ergonomie ;
de nombreux milieux de pratique ont pu se les approprier grâce au transfert des connaissances.
Or, les intervenants mettent en œuvre non seulement des connaissances techniques mais aussi des savoirs
d’expérience leur permettant de déployer des stratégies adaptées au contexte dans lequel ils interviennent ;
l’étude de leur pratique confirme l’importance de cette dimension socio-organisationnelle pour la réussite
des interventions. Selon Vézina et Baril (2009), qui ont analysé les échanges entre enseignants et étudiants
dans un programme de formation à l’intervention ergonomique, cette dimension est celle sur laquelle
portent majoritairement les interrogations des novices. Certains auteurs (Theberge et al., 2009 ; Broberg
et Hermund, 2004) décrivent cette portion du travail des intervenants comme étant de la « navigation
politique », ce qui traduit bien deux dimensions de la pratique d’intervention en milieu de travail : 1) le
déroulement d’une intervention peut en effet s’apparenter à une expédition où le chemin à parcourir pour
arriver à transformer les situations de travail n’est pas tracé d’avance ; 2) le contexte dans lequel se déroule
ce voyage est un milieu de travail, terrain de relations complexes entre une diversité d’acteurs qu’il faut
savoir décoder et utiliser pour arriver à bon port. Par ailleurs, des études récentes (par exemple, Caroly et
al. 2009) montrent bien que le contexte joue un rôle dans la pérennité de la prévention des TMS.
Un modèle pour penser la production de changements lors des interventions
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En analysant de manière approfondie des interventions en santé et en sécurité du travail (SST) de natures
diverses et menées dans contextes variés par des praticiens appartenant à des organismes différents, nous
avons élaboré un modèle conceptuel (Baril-Gingras et al. 2004, Baril-Gingras et al. 2010a :14) permettant de
rendre compte de la production de changements lors de telles interventions. Ainsi, une intervention peut être
décrite comme portant sur un objet particulier (défini dans des interactions), à partir duquel l’intervenant
se fixe des objectifs (plus ou moins formels), met en place un dispositif de participation dans le milieu,
réalise certaines activités desquelles émergent des propositions de changement qui seront acceptées ou
non, implantées ou non. La manière de conduire l’intervention dépend, d’une part, des caractéristiques de
l’intervenant et de l’organisme auquel il est attaché et, d’autre part, du contexte propre à l’établissement.
Les stratégies déployées par les praticiens expérimentés s’appuient justement sur la lecture qu’ils font du
contexte : en repérant les facteurs favorables de celui-ci, ils peuvent en tirer profit pour faire avancer leurs
interventions ; en identifiant les obstacles réels ou potentiels qu’il recèle, ils peuvent déployer des moyens
de les atténuer ou de les transcender pour mener à bien leur mission. Construit pour rendre compte des
aspects socio-organisationnels des interventions analysées, le modèle offre une assise pour comparer
des interventions et ainsi éclairer les liens entre les processus mis en œuvre et les résultats en termes de
changements implantés (Baril-Gingras et al., 2011). Enfin, le modèle suggère que toute intervention en SST
se situe dans un cadre légal que l’on doit caractériser, particulièrement lorsque l’on souhaite comparer des
interventions se déroulant dans des sociétés différentes.
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Des outils construits avec les praticiens pour soutenir la pratique réflexive
Ce modèle a permis d’élaborer des outils destinés aux praticiens. C’est ainsi que quatre outils ont été
créés. Chacun d’eux reprend les termes du modèle et est conçu pour soutenir la réflexion sur la dimension
socio-organisationnelle, tout au long de l’intervention : l’outil d’analyse du contexte sert à caractériser un
établissement, et plus particulièrement, les capacités et les dispositions des acteurs, de manière à mettre
en évidence les facteurs favorables et défavorables à l’intervention ; la feuille de route se veut un outil pour
planifier le déroulement de l’intervention et faire le point à des moments-clés ; le journal de bord permet le suivi
au jour le jour alors que l’outil de bilan propose une réflexion sur les leçons à tirer de l’intervention terminée.
Grâce à la contribution d’un groupe de quatorze intervenants, provenant de trois associations sectorielles
paritaires en SST et de trois équipes de santé au travail du réseau de la santé publique québécois, qui ont
expérimenté ces outils dans 26 interventions, un cinquième outil a pu être élaboré : il s’agit d’un référentiel
(Baril-Gingras et al., 2010b) où sont exposées diverses stratégies développées avec l’expérience. À partir
d’éléments tirés des interventions étudiées et grâce à l’analyse des échanges au sein du groupe de
praticiens, des « principes d’intervention » ont été formalisés. Ils se veulent des réponses possibles à
des questions que les praticiens se posent dans la construction d’une intervention. Ils ont été recensés
à partir de la pratique même de ces intervenants et ont aussi puisé dans le Code international d’éthique
pour les professionnels de la santé au travail (CIST, 2002). Organisé autour de différentes composantes de
l’intervention (tableau 1), le référentiel rassemble donc différentes questions qui se posent tout au long
d’une intervention, des réponses possibles à celles-ci, accompagnées de trucs du métier et d’exemples de
dilemmes auxquels les intervenants peuvent être confrontés.
Tableau 1
Exemples de questions et principes associés aux différentes composantes
d’une intervention de prévention des TMS
Exemples de questions
soulevées
Exemples de principes
d’intervention
L’objet de l’intervention
Qu’est-ce qui explique que ce problème
de TMS ne soit pas reconnu, n’ait pas été
prévenu, ou pas adéquatement à ce jour ?
Considérer non seulement la dimension
technique du problème mais également ses
dimensions sociale et organisationnelle.
Les objectifs et la stratégie générale de l’intervention
Quelle devrait être la situation attendue
à la fin de l’intervention ?
Un ensemble d’activités doit être mis en place
pour atteindre les objectifs. La stratégie
doit être cohérente avec les capacités et les
dispositions des acteurs, en les utilisant ou
les développant.
Le dispositif de participation
Est-il souhaitable de faire participer :
des représentants des travailleurs ?
des cadres ? des superviseurs ? les
travailleurs concernés ? une personne
qui coordonnera l’intervention ?
Résoudre de manière pérenne une problématique de TMS suppose que des acteurs
internes comprennent des notions comme
« facteurs de risques », « déterminants »
et qu’ils voient les changements de toutes
sortes dans l’entreprise comme des opportunités en prévention.
Les activités à réaliser
Quelles activités sont pertinentes,
compte tenu du contexte : diagnostic
d’expert ? formation sur les TMS ? apprentissage d’une démarche d’analyse
des risques de TMS ? implantation
rapide de changements simples ? (etc.)
« Une attention particulière doit être portée
à l’application rapide de mesures simples de
prévention qui sont valables du point de vue
techniques (…) » (Code international d’éthique
pour les professionnels de la santé au travail,
no 4).
La définition de proposition de
changements
Quels sont les enjeux, favorables et
défavorables, associés aux différentes
propositions de changement ?
Formuler des propositions qui concernent
l’ensemble des déterminants de la situation
de travail et y associer les acteurs concernés.
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Composantes de
l’intervention
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Pour donner un aperçu de ce référentiel, nous abordons ici deux composantes de l’intervention soit 1) la
détermination de l’objet de l’intervention ; 2) la création d’un dispositif d’intervention.
La définition de l’objet de l’intervention
En début de parcours, dès le moment où il cerne l’objet de son intervention, le praticien expérimenté est
amené à dépasser la dimension technique du problème qui lui est soumis pour recadrer le problème
dans sa dimension socio-organisationnelle. Il se demande alors : pour quelles raisons on fait appel à lui
à ce moment précis ? Qu’est-ce qui explique que ce problème de TMS ne soit pas reconnu, n’ait pas été
prévenu, ou pas adéquatement à ce jour ? En cherchant des réponses à ces questions, le praticien est
amené à réaliser une description du contexte du milieu, qui se décline autour des thèmes suivants : les
caractéristiques structurelles d’un établissement ; les dispositions et les capacités des acteurs à agir ; les
relations entre les acteurs autour de l’objet de l’intervention ; les changements en cours dans le milieu de
travail. Ces thèmes permettent de guider l’analyse du contexte et d’orienter une stratégie globale à mettre
en place. Ainsi, prendre en compte la dimension socio-organisationnelle dans l’intervention revient en
quelque sorte à s’intéresser aux déficits de capacités (le manque de formation, le manque de pouvoir d’agir),
aux dispositions absentes ou contradictoires avec la prévention des TMS, aux relations inégales entre les
acteurs. Cette analyse amènera également le praticien à vérifier si des tentatives ont déjà été faites pour
résoudre le problème, et avec quels résultats. Si des actions ont déjà été entreprises, comme par exemple
des formations, des modifications aux équipements et aux outils, et que le problème persiste, le praticien
s’interrogera sur le fait que des causes plus fondamentales, reliées à l’organisation du travail qui définit
notamment les cadences, les normes de production à respecter, n’aient pas été touchées. La question pour
l’intervenant devient alors de savoir comment agir sur l’organisation de la production et du travail, et de
penser son intervention en ce sens, particulièrement en termes d’acteurs à recruter pour l’intervention. Il se
peut que certains acteurs-clés ne reconnaissent tout simplement pas le problème de TMS ou son lien avec
le travail. Il peut arriver aussi que le problème de TMS se traduise par des conséquences insoupçonnées
sur la production. Le fait de réunir alors acteurs de la production et acteurs de la prévention peut constituer
un pas important pour faire face au problème à l’origine de la demande d’intervention. La stratégie retenue
suppose une action sur les dispositions des uns et des autres de manière à faire converger certains enjeux.
Établir un dispositif d’intervention : questions, principes, difficultés
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Dès le moment où les praticiens s’engagent dans une intervention – rappelons que celle-ci fait suite soit
à une demande, à une offre ou à une obligation (Baril-Gingras et al., 2004) – il cherche à mettre en place
les conditions qui seront favorables à la production de changements. Un des éléments importants de cette
négociation consiste à déterminer à quels acteurs l’intervenant aura accès et comment seront organisées
les relations entre eux, ce qu’il est convenu d’appeler la « construction sociale » des interventions
(Daniellou, 1995). Pour reprendre les termes du modèle, définir le dispositif de l’intervention, c’est prévoir
l’organisation des relations entre l’intervenant et les acteurs de l’établissement et déterminer quelles
personnes auront un rôle à jouer dans la définition et l’analyse du problème à résoudre, puis dans la
recherche de solutions et l’implantation des mesures retenues. Il s’agit donc pour l’intervenant de recruter
des acteurs-clés et d’organiser les relations entre eux. La question se pose alors de savoir quels acteurs
recruter. En ergonomie centrée sur l’activité, la participation des travailleurs va de soi. En effet, par leur
connaissance des situations de travail, les travailleurs directement touchés par les TMS contribuent à
la pertinence des propositions de changement et à la cohérence de celles-ci vis-à-vis du contexte. Cette
participation peut être directe, individuelle ou collective, et peut aussi être représentative, par exemple via
un représentant syndical ou un représentant des travailleurs au comité de SST. Est-il pertinent et possible
d’organiser la participation de tous ou de plusieurs travailleurs concernés, plutôt qu’un seul représentant ?
La participation collective des travailleurs crée des occasions d’échange entre eux qui sont utiles, non
seulement pour la résolution de la dimension « technique » du problème mais aussi pour renforcer la
volonté d’agir en prévention. La participation collective des travailleurs peut également être l’occasion
d’échanges avec le superviseur qui n’ont pas lieu autrement. L’intervenant doit négocier cette participation,
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
ce qui l’amène à prévoir : Quels sont les moments de l’intervention où la présence de ces représentants des
travailleurs sera nécessaire ? De quelle durée ? et à demander que du temps de travail payé soit accordé
par l’employeur aux travailleurs pour participer à l’intervention.
Bien que le principe de la participation des travailleurs fasse partie intégrante des orientations des
organismes de prévention créés en vertu de la Loi québécoise sur la santé et la sécurité du travail, il
y a parfois des résistances ou des obstacles à son application : certains employeurs n’accordent pas
une période de temps suffisante pour les rencontres avec les travailleurs ; dans les établissements non
syndiqués, il peut être plus difficile d’avoir accès aux travailleurs concernés ; dans certains établissements,
le type de production ou d’organisation du travail est évoqué par les employeurs comme rendant difficile
la libération de travailleurs pour les rencontres d’intervention ; enfin, bien que l’accès aux travailleurs soit
accepté, il arrive qu’ils ne soient pas libérés au moment prévu. Face à ces difficultés, les praticiens ont
recours à plusieurs « trucs de métiers » : avant de se rendre dans l’établissement pour réaliser les activités
prévues, vérifier que les travailleurs seront bien libérés tel que convenu ; faire valoir qu’en organisant la
participation de travailleurs et de représentants de l’employeur aux activités qui mènent à un diagnostic
puis à identifier des solutions, il y a de meilleures chances que ces conclusions soient partagées, puisque
leurs fondements seront connus, etc.
Perspectives pour la pratique et pour la recherche
L’intérêt de formaliser ces stratégies n’est pas de standardiser les pratiques d’intervention mais plutôt
d’alimenter la pratique réflexive. Ces « principes » représentent des règles explicites ou implicites qui sont
apparues comme guidant l’action des intervenants participant au groupe de travail. Ils ne sont donc pas des
absolus, mais des fils conducteurs, qui sont parfois adaptés (et éventuellement modifiés, mis de côté) en
fonction du contexte. Il reste des variations importantes entre les individus, selon leur expérience et leurs
orientations personnelles et selon leur appartenance à un organisme ou à un autre. D’ailleurs, le référentiel
est présenté en distinguant ce qui est « à l’échelle de l’intervenant » et ce qui est plutôt « à l’échelle de
l’organisme de prévention ». Dans ce dernier cas, les principes exposés relèvent en effet d’orientations,
de décisions, de moyens pris ou à prendre par l’organisme de prévention qui emploie l’intervenant, plutôt
que de la seule initiative individuelle. Enfin, il demeure, malgré ces questions, ces principes et ces trucs de
métier, des situations problématiques et d’autres où se posent des dilemmes éthiques. Certains de ceux-ci
sont également présentés dans le référentiel.
La richesse de ce référentiel, avec ses principes, ses questions, ses trucs de métiers, tient dans la diversité
à la fois des pratiques recensées et des contextes de leur mise en œuvre. Nous n’en avons évoqué ici que
de courts exemples. L’outil se présente d’ailleurs dans une forme ouverte où les intervenants sont invités à
l’enrichir de leur propre expérience. On peut souhaiter que ce référentiel contribue à la mise en discussion
des pratiques. Ainsi, à travers les échanges entre intervenants, où la controverse n’est pas exclue, des
développements intéressants peuvent se faire jour avec d’autres principes d’action, de nouveaux trucs
de métier. De plus, ces discussions sur la pratique peuvent être des occasions de définir ou revoir les
orientations à l’échelle des organismes de prévention. Il faut espérer que le présent référentiel aidera à de
tels échanges dans le futur et contribuera à l’évolution des politiques publiques en matière de prévention
des TMS.
Remerciements
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Les auteures remercient les praticiens ayant participé à l’étude et les membres du comité de suivi de la recherche. Elles
expriment également leur gratitude aux personnes qui ont contribué au déroulement de la recherche : Julie Ross, Pierre
Poulin et Catherine Le Capitaine. Enfin, elles tiennent à souligner le soutien financier accordé par l’IRSST à la recherche et à
la valorisation de ses résultats.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Références
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Études et recherches / Annexe RA6-647 Montréal : IRSST [En ligne] http://www.irsst.qc.ca/-publicationirsst-recueil-d-outils-sur-les-aspects-sociaux-et-organisationnels-des-interventions-externes-en-sstpartie-6-referentiel-ra6-647.html
Baril-Gingras G., Bellemare M. et Brun J.-P. 2004. Intervention externe en santé et en sécurité du travail : un
modèle pour comprendre la production de transformations à partir de l’analyse d’interventions d’associations sectorielles
paritaires. Études et recherches, Rapport R-367, Montréal : IRSST. 287 p. [En ligne] http://www.irsst.
qc.ca/-publication-irsst-intervention-externe-en-sante-et-en-securite-du-travail-un-modele-pourcomprendre-la- production-de-transformations-a-partir-de-l-analyse-d-r-367.html
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Change Processes. International Journal of Industrial Ergonomics, 33 :315-326
Caroly, S., Courel, F. Landry, A. Mary-Cheray, I. 2010. “Sustainable MSD prevention : management for
continuous improvement between prevention and production. Ergonomic intervention in two assembly line
companies” Applied Ergonomics, 10 (4), 591-599.
CIST, Commission internationale de la santé au travail. 2002. Code international d’éthique pour les professionnels
de la santé au travail. [En ligne] http://www.icohweb.org/core_docs/code_ethics_fr.pdf
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Hors série, 25-29
Theberge N., Wells R., Tizneem Nagdee T. and P. Neumann. 2009. “Doing “Organizational Work” : Expanding
the Conception of Professional Practice in Ergonomics. In Penser et agir avec l’ergonomie. Actes du 40e congrès de l’Association
canadienne d’ergonomie, Québec 14 au 17 septembre 2009. [cédérom] ISBN 978-0-9732384-8-8.
90
ISBN :
978-2-913488-68-4
Vézina, N., et R. Baril. 2009. « Apprendre à intervenir : difficultés rencontrées par de jeunes ergonomes et
stratégies ». In Penser et agir avec l’ergonomie. Actes du 40e congrès de l’Association canadienne d’ergonomie, Québec
14 au 17 septembre 2009. [cédérom] ISBN 978-0-9732384-8-8.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Atelier 4
Les conditions physiques
et psychosociales de retour au travail
suite aux TMS
lexis Descatha
A
Laboratoire Université de Versailles Saint-Quentinen-Yvelines
Institut national de la santé et de la recherche
médicale (UVSQ-Inserm) (France)
Marie-José Durand
Université de Sherbrooke (Canada)
L
es troubles musculosquelettiques ou TMS sont en constante augmentation depuis les 20 dernières
années. La situation est à ce point urgente que le retour au travail est devenu une priorité des politiques
de Santé au Travail.
Sur le terrain, le médecin du travail tout comme le préventeur sont régulièrement amenés à déterminer et
à intervenir pour faciliter le retour à l’emploi du salarié présentant un TMS. Les facteurs pronostiques sont
étudiés de longue date, notamment sur les facteurs médicaux. Néanmoins, depuis quelques années, les
facteurs liés au travail (biomécaniques, psychosociaux) émergent et leur appropriation par le médecin ou
le préventeur autour de modèles complexes de types bio-psychosociaux est toujours un défi. Celui-ci est si
important qu’il existe une modification du travail au niveau mondial avec intensification, et une évolution
des différentes pratiques.
Tout ceci nous a incités à proposer un atelier résumant à travers différents regards (spécialités et pays
différents) les facteurs pronostiques qui doivent être connus par le praticien du terrain afin de dépister
précocement, voire d’intervenir, sur des facteurs modifiables.
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À partir de points de vue différents, illustrer les facteurs pronostiques physiques et psychosociaux.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Quand la recherche s’impose
au présent
Marie-José Durand
École de réadaptation, Université de Sherbrooke
Centre d’action en prévention et réadaptation de
l’incapacité au travail (CAPRIT) (Canada)
Introduction
L
’incapacité au travail en raison d’un trouble musculosquelettique (TMS) est un problème important
qui sévit principalement dans les sociétés industrialisées et en voie d’industrialisation. Cette
problématique à multiples composantes engendre des souffrances humaines pouvant aller jusqu’à
l’exclusion du travail et impose des coûts importants directs et indirects au système de santé, aux
compagnies d’assurances, aux employeurs et aux gouvernements. L’incapacité au travail est un problème
complexe se produisant lorsqu’un salarié est incapable de maintenir ou de réintégrer son travail. En 2001,
suite à l’analyse des évidences scientifiques récentes dans le domaine et de discussions au sein d’une
équipe de recherche interdisciplinaire, le paradigme d’incapacité au travail a été proposé (Loisel et al.,
2001). Pour aider un salarié à retourner au travail en santé et de façon durable, ce paradigme propose de
prendre en considération un ensemble de facteurs non seulement propres à l’individu absent du travail
en raison d’un TMS, mais également en lien avec son environnement qui est composé de trois principaux
systèmes, à savoir le système de soins de santé, l’environnement de travail et le système de compensation
financière (Loisel et al., 2001). Ainsi, cette transformation majeure de la compréhension des causes de
l’incapacité au travail a permis de passer d’un modèle conceptuel dit « biomédical », mettant l’accent sur
la compréhension et le traitement de la lésion physique, à un modèle de type biopsychosocial, où il importe
surtout de considérer la complexité de l’être humain et de son environnement (Engel, 1977 ; Waddell, 1987).
Depuis une dizaine d’années, le Centre d’action en prévention et réadaptation de l’incapacité au travail
(CAPRIT), une organisation québécoise à but non lucratif du Centre de recherche de l’Hôpital Charles
LeMoyne de Longueuil et affilié à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de
Sherbrooke, a développé et évalué divers outils et programmes d’intervention pour favoriser le retour au
travail des salariés. Son laboratoire de recherche clinique a reçu des salariés absents du travail depuis
en moyenne 10 mois en raison d’un TMS. Entre 1997 et 2010, une équipe clinique interdisciplinaire a
offert le programme PRÉVICAP. L’objectif de ce programme est le retour au travail au poste occupé lors
de l’accident ou de la déclaration d’inaptitude. Outre la douleur qui est un symptôme commun chez les
salariés ayant un TMS, les études au CAPRIT ont clairement démontré que les participants au programme
PREVICAP avaient des troubles anxieux et un haut niveau de détresse. De fait, 50% présentaient un trouble
d’anxiété généralisé à l’admission au programme PREVICAP (Coutu et al., soumis) alors que 64% avaient
de la détresse élevée à extrême (Coutu, Durand, Loisel, Goulet, & Gauthier, 2007). En fait, seulement 16,6%
des salariés admis au programme avaient un score plus faible sur l’échelle de détresse que le score moyen
de la population générale québécoise (Coutu et al., 2007).
Les principes du programme PRÉVICAP soulignent l’importance d’une intervention de réactivation
rapide centrée sur le développement des capacités de l’individu en tenant compte des exigences de son
environnement de travail, tout en mettant l’emphase sur la coordination efficace assurant une collaboration
entre les différents partenaires (salarié, médecin traitant, employeur, syndicat, assureur, famille) et faisant
usage dès que possible du milieu de travail réel pour réaliser la réadaptation.
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Dans le cadre d’une approche individualisée en réadaptation au travail, les cliniciens se doivent de
reconnaître les facteurs psychosociaux et liés au travail et agir efficacement sur ces éléments ou encore
orienter le patient vers des ressources spécialisées à la suite de leur évaluation. Afin d’aider les cliniciens
à identifier ces facteurs, une approche d’évaluation systématique de dépistage des cas à risque d’absence
prolongée du travail en identifiant les obstacles et les facilitateurs au retour au travail a été développée à
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
la fin des années 90, l’outil d’identification de la situation de handicap au travail (OISHT) (Durand, Loisel,
Hong, & Charpentier, 2002). Cet outil, utilisé au début du programme PRÉVICAP, a été développé afin de
standardiser la pratique de détection des facteurs de risque de maintien de l’incapacité au travail. Le
développement de cet outil respecte le paradigme d’incapacité au travail décrit plus tôt et recense des
facteurs biopsychosociaux non seulement propres au salarié, mais également à son environnement de
travail, son système de compensation et son système de santé. Dans ce qui suit, des informations sur le
développement de cet outil, sa description et son implantation seront présentées.
Développement de l’outil
L’OISHT a été développé en 1997 par un comité d’experts constitué de médecins généralistes, d’un orthopédiste,
d’un ergonome, d’un ergothérapeute et d’un biostatisticien. L’OISHT a été élaboré en se basant sur l’analyse
des données récentes de la littérature et sur l’expertise des membres du comité. Son développement a suivi
quatre étapes : 1) choix d’un cadre conceptuel approprié, 2) revue critique de la littérature et consultation de
spécialistes, 3) élaboration d’une version préliminaire de l’outil et 4) pré-test dans un contexte réel avec des
cliniciens et des salariés et révision et retests subséquents (Durand et al., 2002).
Le cadre conceptuel retenu pour le développement de cet outil est le Processus de production de handicap
(PPH) (Fougeyrollas, 1991). Ce modèle, développé par le Comité québécois sur la Classification internationale
des déficiences, incapacités et handicaps (CQCIDIH), considère le handicap comme le résultat situationnel
d’un processus interactif entre les caractéristiques de la personne et celles de l’environnement. Le cadre
conceptuel du PPH définit la situation de handicap en utilisant la définition du CQCIDIH selon laquelle la
réalisation ou non d’une habitude de vie, c’est-à-dire une activité courante ou un rôle social qui assure la survie
et l’épanouissement d’une personne dans la société tout au long de son existence, résulte de l’interaction
entre l’atteinte de systèmes organiques et des aptitudes (capacités et incapacités) de la personne, d’une part,
et des facteurs environnementaux, d’autre part (Fougeyrollas, Cloutier, Bergeron, Côté, & St-Michel, 1998).
Ainsi, dans le cadre de la réadaptation, la situation de handicap au travail se définit comme le résultat d’une
interaction défavorable entre les facteurs personnels et les obstacles environnementaux, incluant le milieu
de travail, le système administratif de compensation et le système de soins de santé. Cette situation empêche
la réalisation d’une habitude de vie, importante chez l’adulte, soit le travail.
À partir de la littérature scientifique et de l’expertise clinique, des indicateurs de gravité (signal rouge)
et des indicateurs de situation de handicap au travail (ISHT) ont été identifiés. Les signaux rouges sont
des indices qui laissent suspecter une pathologie grave requérant des soins médicaux spécifiques. Les
ISHT sont des indicateurs sur les causes de la prolongation d’une situation de handicap au travail et
peuvent être d’origine physique, psychosociale, ergonomique ou administrative. Ces indicateurs ont été
intégrés dans une structure d’entrevue semi-dirigée par le médecin et le clinicien dont le contenu porte
sur les caractéristiques sociodémographiques, l’histoire au travail, le syndrome douloureux, l’état de
santé général, les antécédents médicaux, l’histoire familiale et sociale, l’environnement de travail et la
perception du salarié de son incapacité (Durand et al., 2002). En plus des entrevues, des questionnaires
autoadministrés présentant de bonnes qualités métrologiques ont été identifiés dans la littérature et sont
administrés aux salariés.
Description de l’outil
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L’OISHT est un guide développé spécifiquement pour aider les cliniciens à identifier de façon systématique
les facteurs de situation de handicap au travail et ainsi permettre de formuler un diagnostic de la situation
de handicap au travail de la personne évaluée. Son but principal est d’éliminer un diagnostic de gravité et
de formuler un diagnostic sur la ou les causes de la prolongation d’une incapacité au travail régulier ou
sur un état rendant difficile la réalisation du travail. Ceci permet par la suite d’établir un plan personnalisé
adressant dans un ordre prioritaire les cibles d’intervention. Outre une meilleure compréhension de la
situation de la personne, d’autres objectifs sont visés tels que l’amorce d’une relation d’aide avec le salarié,
l’explication au salarié de l’approche adoptée par les intervenants du programme PRÉVICAP ainsi que
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
l’initiation d’une intervention éducative concernant les différentes facettes de son problème de santé afin
de le rassurer.
L’OISHT comporte des questions ouvertes sur les facteurs physiques, psychosociaux, occupationnels et
administratifs afin d’aider les cliniciens à détecter les ISHT et les signaux rouges. Les ISHT ont été classés
en trois catégories : personnel, administratif et ergonomique. L’OISHT est divisé en 10 sections : 1) histoire
de la maladie actuelle, 2) syndrome douloureux, 3) conditions de santé antérieure et actuelle, 4) examen
physique, 5) habitudes de vie, 6) histoire socio-familiale, 7) situation financière, 8) environnement de travail,
9) perception et attentes du salarié et 10) analyse des résultats et recommandations.
L’OISHT est administré le plus tôt possible par un intervenant formé à cet effet. Suite à l’entretien semistructuré et à la passation des questionnaires pour confirmer le diagnostic et/ou préciser certains
ISHT, une pondération est effectuée. La pondération est un processus de raisonnement clinique sur la
probabilité qu’un ISHT représente un facteur de risque ou un obstacle à la reprise du travail de l’individu.
Aussi, il importe de distinguer les facteurs non modifiables (ex. : âge ou sexe) des facteurs de risque ou
obstacles modifiables (ex. : craintes, déconditionnement physique ou encore perception que le travail est
trop exigeant). Les facteurs et obstacles modifiables deviennent donc des cibles d’action ou des éléments
à surveiller de près.
Par conséquent, les ISHT sont ordonnés et seuls les plus déterminants et modifiables sont conservés
et rapportés à la section 10 sur l’analyse et les recommandations. Également, dans cette section, sont
rapportés les atouts, c’est-à-dire les facteurs favorables à un éventuel retour au travail. Cette analyse
permettra d’élaborer un plan d’intervention personnalisée pour le salarié. Dans certains cas, une
évaluation approfondie pourrait être requise. Il s’agit d’un complément d’évaluation personnalisée, et
recommandée au besoin afin d’explorer une ou plusieurs sphères spécifiques (ex. : évaluation ergonomique
ou psychologique).
Implantation de l’outil
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L’implantation de l’OISHT a été réalisée entre 2001 et 2003 dans le cadre du Réseau de réadaptation au
travail du Québec (RRTQ), consortium composé de onze établissements publics de santé au Québec.
Le RRTQ avait pour mission de prévenir l’absence prolongée du travail par le développement et la mise
en œuvre de programmes de prévention et de réadaptation basés sur les évidences et s’adressant aux
personnes et aux entreprises ainsi que de promouvoir le développement des nouvelles connaissances et
des pratiques en réadaptation au travail par la recherche et la formation (Loisel & Labelle, 2003). Quatre
équipes interdisciplinaires provenant de différentes régions au Québec ont été formées au programme
PRÉVICAP. Ce travail a permis d’outiller les cliniciens à évaluer de façon systématique les différents facteurs
biopsychosociaux impliqués dans le maintien de l’incapacité au travail. De plus, le suivi d’une cohorte de
222 salariés absents du travail en raison de TMS et ayant été pris en charge au programme PRÉVICAP par
une des équipes formées, a permis de réaliser que ce type d’évaluation permettait aux cliniciens de mieux
prioriser les obstacles au travail et d’ainsi favoriser le retour au travail en santé (Marois & Durand, 2009).
Cette étude souligne les relations entre la détection des facteurs de risque, l’approche individualisée et le
retour au travail. En effet, une des hypothèses des auteures était que le repérage précoce des obstacles à
l’entrée d’un programme de réadaptation permettait aux cliniciens d’intervenir plus intensivement et donc
de réduire au minimum la durée de l’incapacité. Par conséquent, pour un salarié, un programme pourrait
être axé vers la réduction des craintes de se blesser à nouveau alors que, pour un autre, le programme
pourrait se concentrer sur la réduction des contraintes du milieu de travail, soit en améliorant le soutien
social provenant des collègues ou en réduisant les exigences de travail lorsqu’elles sont trop élevées.
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Conclusion
En fonction des évidences actuelles, il semble clair que l’évaluation des salariés en absence prolongée
doit aller bien au-delà des facteurs dits cliniques. Dans les phases subaiguë et chronique, une attention
particulière devrait être portée aux facteurs psychosociaux et à ceux qui sont liés au travail. De plus, il
faut non seulement dépister les facteurs de risque et les obstacles au retour au travail, mais également
les pondérer afin de formuler des actions à poser ou encore de diriger le patient vers des ressources
compétentes qui pourront agir. L’adoption plus étendue de l’OISHT pourrait également contribuer à
réduire les écarts de discours et à coordonner les actions avec plus d’efficacité. Enfin, l’utilisation de
cet outil permet de s’arrimer au paradigme d’incapacité en adoptant une approche à la fois plus globale
(reconnaissant l’importance des interactions entre le salarié et son environnement), plus complexe (parce
qu’elle nécessite des compétences nouvelles et une collaboration interprofessionnelle) et mieux adaptée
à la réalité actuelle (puisque l’incapacité au travail est à la fois un phénomène physique, psychologique,
économique et social).
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Approche bio-psycho-sociologique
des troubles musculosquelettiques
(TMS) en médecine physique
et réadaptation :
influence des facteurs professionnels
sur le processus de réadaptation
Bernard Fouquet
Fédération universitaire inter-hospitalière
de médecine physique et de réadaptation
Hôpital de Château-Renault, CHU Tours (France)
Introduction
C
lassiquement classés en deux catégories, TMS spécifiques et TMS non spécifiques, les TMS posent
différents problèmes par leurs localisations anatomiques multiples, par leurs mécanismes non
univoques, par le terrain sur lequel ils surviennent [2,25,30]. Surtout les TMS sont caractérisées par
deux dimensions : la douleur et l’incapacité ressentie. La douleur est une expérience multidimensionnelle
influencée par des interactions complexes entre des facteurs physiques, psychologiques, sociaux et
culturels [23,26,].
S’il existe une évidence forte entre des expositions biomécaniques, répétées et prolongées, et la survenue
de tableaux spécifiques tendineux ou tunnelaires, il n’en est pas moins démontré que des facteurs psychosociaux peuvent intervenir à différents stades de l’évolution des TMS. Ces facteurs agissent à la fois comme
cofacteurs dans leur causalité, comme cofacteurs dans l’expression symptomatique et comme cofacteurs
dans la modification symptomatique au cours du temps [3,6,14,29,32].
Les TMS spécifiques répondent bien à l’approche bio-médicale classique dans l’immense majorité des
cas. Ces situations correspondent à la coexistence d’une affection facile à diagnostiquer et d’une gestion
de la douleur gérée correctement par la majorité des salariés qui sont dans des stratégies d’ajustement
adaptées.
À l’inverse, les TMS non spécifiques, le plus souvent musculaires, semblent avoir une évolution spontanée
beaucoup moins favorable avec le temps. Leur histoire naturelle semble être beaucoup plus marquée par la
chronicité douloureuse, l’aggravation clinique et fonctionnelle [12,28]. Apparaissent alors comme facteurs
de mauvais pronostic : la déficience en capacité aérobique, le niveau socio-culturel faible, la perception
d’incapacité élevée, l’âge avancé et le fait d’être une femme. L’influence de facteurs de stress liés au travail
est évoquée en outre par de multiples travaux.
En conséquence, à partir du moment où l’on considère que les dysfonctionnements musculaires, donc les
TMS non spécifiques, peuvent être à l’origine de TMS spécifiques, notamment de syndromes tunnellaires,
la première cause d’échec du traitement « biomédical » d’un TMS spécifique peut être liée à la coexistence
d’un TMS spécifique avec un TMS non spécifique (par exemple, syndrome de la traversée thoraco-brachiale
et canal carpien).
Le deuxième facteur d’échec de la prise en charge « biomédicale » est lié à la présence d’un processus
d’hypersensibilisation centrale. Ce phénomène, classiquement décrit dans les atteintes neuropathiques
périphériques (donc observable dans les neuropathies canalaires) a été aussi rapporté dans les processus
nociceptifs périphériques (musculaires, tendineux, articulaires). Ce processus d’hypersensibilisation
centrale induit des réactions musculaires inadaptées et un processus d’hyperpathie voire d’allodynie
locorégionaux. Le processus d’hypersensibilisation admet pour origine aussi bien des facteurs physiques
que des facteurs psychoaffectifs et émotionnels ; l’ensemble correspondant à des mécanismes médullaires
et corticaux cérébraux dysfonctionnels.
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Ainsi, chez les salariés souffrant de TMS incapacitants, en situation d’échec thérapeutique soit médical ou
chirurgical, le modèle bio-médical classique ne permet pas de comprendre parfaitement les interactions
sous-jacentes conduisant à de multiples consultations médicales, parfois d’avis chirurgicaux multiples
et d’échecs thérapeutiques répétitifs. Plus le temps s’écoule en inactivité, plus les éléments cognitifs et
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
comportementaux maladaptatifs face à la douleur et à l’incapacité augmentent, réalisant un véritable
cercle vicieux dont le salarié n’arrive plus à s’extraire. À ce stade, la réinsertion sans préparation est vouée
à l’échec.
L’échec de la prise en charge de ces salariés est pour grande partie lié à la méconnaissance ou à la sousestimation des facteurs impliqués dans la gestion de la douleur, dans la sous-estimation des facteurs
contextuels associés aux processus douloureux chroniques.
En effet, le modèle bio-médical fait la part belle à la dimension sensori-discriminative du processus
douloureux, focalisée sur la lésion et à une sous-estimation des dimensions affectives, émotionnelles,
cognitives, motivationnelles et comportementales associées au processus douloureux. Contrairement à
une idée largement répandue, le modèle bio-psycho-sociologique ne nie pas la dimension physique, mais
il admet pour principe que le mécanisme d’adaptation d’un individu face à des conditions nouvelles est à la
fois physique et psychologique, en particulier lorsque ces conditions nouvelles sont environnementales [8].
Dans la situation d’un individu ayant un TMS incapacitant, le contexte objectif de la douleur est la partie
émergée d’un « iceberg » où des interactions complexes subjectives et environnementales interviennent.
La motivation influe sur la gestion de l’incapacité et de la douleur, des éléments indissociables dans le
processus thérapeutiques. La motivation au processus thérapeutique fait partie d’un réseau complexe dans
le processus de la douleur sous tendue par la neurophysiologie de la douleur [22]. La stratégie d’ajustement
à la douleur dépend des espérances de l’individu dans la nouvelle situation induite par la douleur et surtout
de l’espoir concernant l’évolution, et de la récupération.
Cette stratégie d’ajustement dépend des ressources cognitives et émotionnelles de l’individu, donc d’une
évolution globalement positive à la situation. Par extension, la stratégie d’ajustement d’un individu face à
la douleur est une fonction cognitive qui peut aussi être en lien avec les capacités cognitives d’adaptation
de l’individu dans son environnement de travail. On sait, par ailleurs, que l’environnement de travail est
caractérisé par des fluctuations dans la demande, dans les tâches, dans l’organisation, dans les rapports
humains avec les collègues de travail et la hiérarchie. L’environnement personnel du salarié est lui aussi
un espace dynamique en particulier dans la dimension affective (évènements stressants personnels et
familiaux). Les situations d’échec individuel d’ajustement qui conduisent à une incapacité et à une douleur
chroniques peuvent donc être associées à des échecs situationnels multiples qui retentissent sur le
comportement et la dimension affective du salarié.
Cette complexité affective, cognitive, comportementale a un impact sur la dimension physique mais aussi
sociale de l’individu. L’analyse de la littérature montre la multiplicité des facteurs impliqués dans le retour
au travail, qu’il s’agisse des facteurs individuels et de facteurs environnementaux [21].
Face à cette complexité admise scientifiquement, justifiant une approche interdisciplinaire, le modèle
médical classique avec soit une approche linéaire (traiter puis réinsérer), soit une approche séquencée
(médecin généraliste, puis spécialistes, puis médecin de la douleur, puis réadaptation, puis réinsertion)
n’apporte qu’une vision morcelée en mosaïque de l’état de santé. La résistance aux changements du
comportement des acteurs de santé face à ce qu’implique la douleur rebelle et incapacitante peut être liée
à la fois à une méconnaissance des processus douloureux chroniques et incapacitants, à une résistance
émotionnelle face aux dimensions subjectives de la douleur, impliquant fortement les thérapeutes.
Modèle d’évaluation des TMS en médecine physique et de réadaptation
Approche bio-psycho-sociologique de la douleur chronique au cours des TMS
Le stade auquel sont pris les patients dans une phase de réadaptation tertiaire est un stade de chronicité
douloureuse et, surtout, un stade d’incapacité sévère. La démarche évaluative est de préciser les
mécanismes des incapacités qui pourraient faire l’objet d’une démarche thérapeutique.
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L’examen physique standardisé permet de préciser les déficiences objectives musculaires, les états
allodyniques locorégionaux qui traduisent l’hypersensibilité médullaire. Les tests physiques permettent
d’apprécier les incapacités aérobiques générales et locorégionales.
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
En revanche, l’évaluation fondamentale du salarié à ce stade comprend l’évaluation des modes de
fonctionnement de l’individu face au processus douloureux, puis l’intégration de ce dispositif dans les
caractéristiques de l’état de santé de l’individu. L’objectif est d’avoir une vision la plus globale possible
d’une situation « en mosaïque ».
La gestion cognitive de la douleur est l’élément-clé de la compréhension du processus douloureux
chronique [26]. Le modèle que nous utilisons est celui de l’évitement lié à la peur de la douleur
musculosquelettique. Le stade auquel nous recevons les salariés est issu majoritairement d’une stratégie
cognitivo-comportementale inadaptée et caractérisée par le catastrophisme, favorisée par la présence
de troubles de l’humeur préexistant à l’atteinte douloureuse ou induits par celle-ci (diathèse psychoémotionnelle). Le catastrophisme est inducteur ou associé à la peur du mouvement (kinésiophobie) à la
croyance en l’évitement anxieux vis-à-vis de l’activité physique en général et de l’activité professionnelle
en particulier (fig.1). Ceci est démontrable aussi bien au cours des TMS du membre supérieur que chez
les patients lombalgiques [9]. Nous avons montré qu’il existait une faible corrélation entre la croyance
en l’évitement anxieux dans la dimension physique et dans la croyance en l’évitement anxieux dans la
dimension professionnelle.
Figure 1
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Corrélation entre les paramètres biologiques, psychologiques et socio-professionnels
dans une population de 312 salariés ayant un TMS chronique
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Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
Il existe donc une différence fondamentale entre la peur de réaliser une activité physique et la mise en
situation professionnelle. Tout le danger vient d’une mauvaise compréhension de ce paradoxe. L’évitement
« anxieux » dans la dimension travail est une dimension qui fait appel à d’autres facteurs comme la
satisfaction au travail et la perception du stress au travail (fig.1). Par ailleurs, il a été montré que les
croyances en l évitement anxieux dans la dimension « travail » étaient significativement associées à l’état
d’incapacité et d’autant plus que le niveau social était faible [27].
Ce système de croyance conduit à réduire les activités physiques, à modifier les équilibres biologiques
(perception et gestion du stress, équilibre alimentaire, équilibre du sommeil…).
Nous avons montré dans un travail récent que les stratégies d’ajustement inadaptées étaient associées
d’une part à des variations importantes des performances objectives des membres supérieurs et étaient
associées au statut affectif et émotionnel des salariés [10].
Ainsi, la situation d’incapacité chronique socio-professionnelle d’un salarié souffrant de TMS est associée
à des modifications comportementales nettes en lien avec le travail, sous tendues indirectement et
partiellement à des perturbations cognitives associées à la douleur, à une modification significative
des niveaux de performance physique. La situation d’incapacité chronique est faiblement corrélée avec
l’intensité de la douleur.
De plus, par ailleurs, nous avons montré qu’il existait une corrélation nette entre la durée d’arrêt de travail
et l’existence d’une obésité morbide cependant que la croyance en l’évitement anxieux augmente avec la
durée d’arrêt de travail de même que la perception d’incapacité ressentie par le salarié (fig. 2).
Figure 2
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Valeurs moyennes de la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail
(FABQ « W »), du score de DASH « travail » en fonction de la durée d’arrêt de travail
Modèle de la Classification Internationale Fonctionnelle des états de santé (C.I.F.).
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Dans le modèle de la C.I.F., l’évaluation consiste à analyser 3 dimensions de santé qui sont non corrélées
mais qui évoluent en parallèle : les structures et fonctions du corps, les capacités, la participation sociale
et professionnelle. Sur ces 3 dimensions de santé interviennent des facteurs contextuels qu’ils soient
personnels (âge, personnalité, psycho-pathologie antérieure, co-morbidités…) et des facteurs contextuels
environnementaux, familiaux, contextes assurantiels, contextes de travail.
Ces facteurs contextuels peuvent influer sur les 3 dimensions de santé soit comme des facilitateurs, soit
comme des obstacles à la récupération, dans chacune des dimensions de l’état de santé « fonctionnelle »
du salarié. Dans notre service, le modèle de la CIF a conduit à proposer une démarche évaluative des états
de santé à partir de différents outils qui explorent chacune des dimensions et facteurs contextuels (fig. 3).
Figure 3
Évaluation des états de santé des TMS en Médecine Physique et de Réadaptation
État de Santé
Les scores évaluant la capacité physique sont tous corrélés entre eux (Tableau 1). Ils sont significativement
liés à la perception d’incapacité subjective et plus faiblement avec l’intensité de la douleur. En revanche, ils
ne sont pas significativement associés ni avec la durée d’arrêt de travail, ni avec la croyance en l’évitement
anxieux dans la dimension travail.
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Tableau 1
Corrélations entre les valeurs des tests physiques et les scores du DASH,
de l’intensité de la douleur (EVA) et le catastrophisme
chez 302 TMS chroniques et incapacitants
Scores des tests
physiques
Endurance
des membres
supérieurs
DASH (AQV)
EVA (douleur)
Catastrophisme
Endurance de
membres
supérieurs
1
-0.32
-0.21
NS
PILE (% du poids
du corps)
0.62
-0.37
-0.26
NS
PILE (masse
mobilisée)
0.52
-0.33
-0.24
NS
EEF (%FMT)
0.17
NS
-0.14
NS
EEF (puissance)
0.46
NS
-0.18
NS
Évaluation pré-réadaptative en pratique
L’évaluation pré-réadaptative du salarié douloureux chronique et en situation d’incapacité impose une
démarche hiérarchisée des facteurs lésionnels ou dysfonctionnels structurels sous jacents, des atteintes
fonctionnelles des membres supérieurs en particulier des capacités gestuelles et évaluer le projet participatif.
Ceci nous a amenés à développer une démarche évaluative mettant en perspective la prise en charge
multi-disciplinaire qu’imposent le phénomène douloureux, l’incapacité chronique et le projet participatif
du patient. Le projet participatif du salarié représente la dimension cognitive motivationnelle de toute la
démarche de soins. Parmi les facteurs d’environnement agissant potentiellement comme des « barrières »
intervient le système de santé. Comme cela a été montré dans la lombalgie chronique, l’influence du
discours médical face au salarié en situation d’échec peut conduire à modifier négativement le projet
participatif du salarié en mettant en avant les incapacités qu’il a. Le salarié est alors à la recherche d’une
correction des incapacités et déficiences dans le domaine du soin alors que le projet participatif repose sur
la reconnaissance des incapacités (changement de travail, changement d’entreprise…).
Prise en charge multi-disciplinaire
Le consensus scientifique actuel met en avant le principe de la prise en charge multi-disciplinaire [13,24]. Les
principes sont d’obtenir : une meilleure gestion des phénomènes douloureux, une réduction des incapacités
objectives, une réduction de la perception d’incapacité subjective, une restauration des activités physiques
afin de faciliter le retour à l’emploi avec un salarié ayant repris confiance en lui. Toutefois, le retour au
travail est une donnée complexe : elle est liée à la perception de l’aptitude physique et psychologique du
salarié à pouvoir reprendre son travail dans son environnement (soutien du collectif et de la hiérarchie), à
la perception qu’a le salarié sur le fait que le retour au travail aggravera sa douleur [1].
L’approche multidisciplinaire comprend : la mise en œuvre d’une thérapie de désensibilisation à la douleur,
une prise en charge rééducative masso-kinésithérapique et ergothérapique, une réadaptation à l’effort,
une correction des modifications nutritionnelles voire des troubles du comportement alimentaire, un
rééquilibre des rythmes biologiques en particulier du sommeil.
Le problème de l’évaluation des programmes de reconditionnement dans les TMS comme dans les
lombalgies est que plus le temps d’évaluation augmente plus le pourcentage de retour au travail augmente,
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mais sous l’influence de la correction des obstacles socioprofessionnels, donnant des résultats de l’ordre
de 52 à 65%. Le retour au travail dépend alors plutôt des organisations sociales que des corrections des
peurs et croyances, des corrections physiques et psychologiques obtenues par la réadaptation.
Depuis nos premiers résultats [11], nous avons poursuivi le même type de prise en charge. Sur une série
de 540 patients hospitalisés dans le service pour réadaptation, nous avons trouvé que tous les paramètres
s’amélioraient selon ce modèle de prise en charge, qu’il s’agisse du niveau de performance en endurance
des membres supérieurs, en capacité aérobique, associé à une diminution des scores de catastrophisme,
des scores de la douleur, de la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension physique.
Globalement, le nombre de patients satisfaits par la prise en charge est de 66%. Il est certes inférieur aux
données de la littérature pour ce qui concerne les prises en charge au stade aigu, comme, par exemple, les
défilés thoraco-brachiaux purs qui sont des TMS non spécifiques[16], où chez 119 patients dont 48% étaient
en arrêt maladie, un taux de satisfaction de 88% et un retour au travail de 73%, en particulier si les patients
avaient un travail sédentaire, avait été observé, ces résultats étant très proches de ceux observés par
Landry [15]. En revanche, nos résultats sont superposables à ceux d’autres équipes, montrant que le retour
direct à l’emploi est de 50% après un programme de restauration fonctionnelle du membre supérieur.
Pour Mayer, les résultats sont moins bons que dans la prise en charge des lombalgies chroniques, et cela
d’autant plus que les patients ont un trouble neurogène [19] : chez 59 patients souffrant de TMS neurogènes,
il a été observé 65% de retour dans l’entreprise, 49% de retour au même poste, 16% sur un poste adapté.
Ces troubles neurogènes au cours de TMS étaient de mauvais pronostic avec la persistance de douleurs et
d’une incapacité dans 33% des cas à un an.
L’évolution favorable dans notre série était liée à 3 facteurs : l’intensité de la douleur, la satisfaction au
travail, l’âge moyen. Le problème de l’âge est apparu dans notre étude comme déterminant sur l’aptitude
à retourner sur le poste de travail précédent alors qu’il n’est pas associé à la satisfaction au travail. C’est
la perception de l’inaptitude physique, peut être favorisée par des comorbidités (plus fréquentes dans cette
tranche d’âge, pathologies métaboliques, hypertension artérielle, obésité, syndrome métabolique) qui
semble jouer un rôle.
La participation professionnelle influe directement sur la correction des différents paramètres décrits
précédemment. Dans la population étudiée, nous avons trouvé que les scores de croyance en l’évitement
anxieux dans la dimension travail étaient prédictifs de l’évolution fonctionnelle et du gain des performances
objectives comme dans la lombalgie chronique. Comme dans tous les processus musculo-squelettiques
douloureux, l’insatisfaction au travail est un élément déterminant sur le devenir de même que l’intensité
de la douleur [7].
La durée d’arrêt de travail avant la prise en charge multidisciplinaire est un élément clef de la réussite.
Marhold [18], avait montré que la prise en charge multidisciplinaire était peu efficace chez des patients
ayant des TMS associés à une incapacité supérieure à 12 mois contrairement à ceux qui étaient en arrêt de
travail entre 6 et 12 mois et par Ekberg [5] pour qui cette durée de l’incapacité préalable à la prise en charge
était associée aussi à une perception de la contrainte physique et mentale au travail trop élevée.
Compte tenu du fait que la croyance en l’évitement anxieux, dans la dimension travail, est associée à une
durée d’arrêt de travail plus longue, on peut s’interroger sur l’origine de cette durée d’arrêt de travail
avant la prise en charge multidisciplinaire : est-ce la durée de travail qui impacte directement sur la
croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail ou est-ce le fait que le patient a une croyance en
l’évitement anxieux élevée dans la dimension travail qui fait que le parcours de soins de ce patient, associé
à un nomadisme médical, est beaucoup plus erratique, le nomadisme médical intervenant alors comme un
partenariat inconscient entre le salarié et les acteurs de santé dans une stratégie d’évitement par rapport
à la dimension participative.
On sait que les croyances négatives des médecins influent directement sur les croyances des salariés [26].
Dans notre expérience, les patients ayant des arrêts de travail très longs sont souvent des ceux qui ont eu
de multiples avis parfois contradictoires quant à leur prise en charge sociale et professionnelle, mais sans
que des décisions aient été prises définitivement.
Ainsi, il apparaît évident que le facteur pronostic-clé du retour au travail de cette stratégie multidisciplinaire
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est la croyance en l’évitement anxieux dans la dimension travail. Cette croyance en l’évitement anxieux,
dans la dimension travail, est associée à la perception de stress au travail, à la satisfaction au travail, au
stade de préparation de l’individu au retour au travail. Ceci traduit le fait que nous sommes encore dans
une situation où la complexité de l’organisation du système de santé ne permet pas toujours de mettre en
cohérence à un stade précoce l’objectif « participatif » du retour à un travail et l’objectif de correction des
incapacités.
Conclusion
Les TMS chroniques et incapacitants imposent une approche évaluative et thérapeutique multidisciplinaire
intégrant les dimensions médicales et sociales de ces affections. Les résultats d’une prise en charge
pluridisciplinaire dans les syndromes douloureux du membre supérieur, diffus, sont superposables à ceux
de la prise en charge des lombalgies chroniques et incapacitantes quant à la satisfaction des salariés.
Il nous est apparu que les problèmes de retour au travail sont plus importants que dans la lombalgie et
posent le problème des modalités de ce retour au travail.
Tout ceci rejoint les développements les plus récents concernant la prise en charge des troubles musculosquelettiques chroniques et incapacitants, à savoir que la réadaptation professionnelle doit être entreprise
précocement et que les longues périodes de repos ou d’arrêts de travail sont contre-productifs pour
l’individu [4,20,23,31,33]. Ceci rejoint l’idée que le repos prolongé et l’inactivité prolongée retardent la
récupération.
Ceci impose donc que le retour au travail soit envisagé très précocement dès la phase des soins initiaux,
habituels, pour les TMS. Très tôt, le travail en partenariat pour l’aménagement de l’activité doit être
envisagé avec les acteurs de santé au travail.
À l’heure actuelle, dans notre expérience, la démarche parallèle mise en perspective de la participation
du salarié dans le domaine professionnel et de la démarche de soins est peu développée. Dans la majorité
des cas, nous sommes encore confrontés à une démarche linéaire visant à faire d’abord la démarche
thérapeutique multi-disciplinaire puis, ensuite, à se poser la question du retour au travail.
Dans ce domaine, il apparaît que les politiques publiques visant à un retour précoce sont peu efficaces
contrairement à celles visant à instaurer un retour précoce sur un poste aménagé [17]. Ne paraissent pas
ou peu efficaces, les stratégies visant à modifier les comportements et moyens des acteurs de santé pour
favoriser un tel retour, contrairement à celles visant à mieux informer les praticiens.
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Les indicateurs de situation
de handicap au travail :
la perspective du clinicien
Nicole Charpentier
Centre d’action en prévention et réadaptation de
l’incapacité au travail (CAPRIT)
Université de Sherbrooke (Canada)
E
ntre 1997 et 2010, nous avons offert le programme PRÉVICAP à environ 450 travailleurs, dans le cadre de
la clinique associée au Centre de recherche de l’Hôpital Charles LeMoyne qui est affilié à l’Université de
Sherbrooke (Canada). Le programme offert est une adaptation du Modèle de Sherbrooke qui a été montré
efficace sur la vitesse du retour au travail ainsi que coût-efficace pour des travailleurs ayant des lombalgies
(Loisel et al., 1997 ; Loisel et al., 2002). Le programme PRÉVICAP est réalisé par une équipe interdisciplinaire
et a comme objectif principal la reprise du rôle social de travailleur en intervenant sur les obstacles au
retour au travail. Ce programme est basé sur l’utilisation du milieu de travail ordinaire comme modalité
thérapeutique avec une approche concertée de l’ensemble des partenaires sociaux et du travailleur absent
du travail. Les travailleurs admis au programme se caractérisaient par 1) une durée moyenne d’absence du
travail de 10 mois, 2) une majorité d’hommes, 3) des exigences de travail lourdes aux postes prélésionnels,
et 4) la présence de douleur et d’incapacités importantes. Les travailleurs étaient référés au programme
par leurs représentants de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST, assurance publique
couvrant les problèmes de santé reliés au travail) qui jugeaient de la pertinence de référer les travailleurs à
une équipe interdisciplinaire de réadaptation au travail.
Intégrée dans une structure de recherche, notre équipe a appliquée l’Outil d’identification de la situation
de handicap au travail (OISHT) (Durand, Loisel, Hong & Charpentier, 2002). Cet outil a été développé afin
de standardiser la pratique de détection des facteurs de risque de maintien de l’incapacité au travail.
Le développement de cet outil correspond au paradigme d’incapacité au travail décrit par Loisel et al.
(2001) et recense des facteurs biopsychosociaux non seulement propres au salarié, mais également à son
environnement de travail, au système de compensation et au système de santé.
L’outil est administré par des professionnels de réadaptation maîtrisant le concept de l’incapacité au travail et
connaissant les facteurs de risque à l’absence prolongée du travail. Ainsi dans notre équipe, divers professionnels
de la santé (ergonome, ergothérapeute, médecin omnipraticien) ont réalisé cette évaluation. La plupart du temps
en tandem, les intervenants s’appliquent à comprendre les facteurs qui font obstacle au retour au travail et les
interactions. Pour être en mesure de réaliser l’OISHT, les professionnels doivent d’une part, avoir une maîtrise
approfondie des facteurs de risque d’incapacité prolongée, et d’autre part, une connaissance détaillée du modèle
théorique du retour au travail développé par Durand et al. (2003). Ce modèle intègre les différents mécanismes
en lien avec l’individu (les capacités physiques, la perception de l’état de santé, la kinésiophobie et le sentiment
d’efficacité personnelle au travail), avec l’environnement de travail et également avec l’interface entre l’individu
et l’environnement (action concertée). Chaque travailleur est évalué systématiquement à l’aide de l’OISHT avant
le début du programme PRÉVICAP. Les divers facteurs de risque sont alors identifiés, hiérarchisés et pondérés
afin d’élaborer un plan d’intervention cohérent et ciblé. Pendant le programme, l’évaluation des facteurs de
risque et obstacles au retour au travail se réalise de façon continue. Chaque semaine, les résultats de l’évaluation
sont partagés dans l’équipe interdisciplinaire et cela permet d’ajuster continuellement le plan de traitement aux
facteurs qui entravent la progression des travailleurs. Également, ce suivi hebdomadaire permet de favoriser
l’action concertée entre les intervenants. Selon les analyses de dossiers de 220 travailleurs qui ont reçu le
programme PRÉVICAP, 87 facteurs (personnel, clinique, occupationnel, administratif) ont été étudiés. Cette
analyse a permis de dégager que les facteurs psychosociaux et occupationnels sont ceux qui expliquent le mieux
le maintien de l’incapacité par rapport aux facteurs cliniques et administratifs (Marois & Durand, 2009). Toutefois,
l’analyse révèle que sur l’ensemble des travailleurs de l’échantillon, le premier facteur clinique qui prédit le
mieux est la méconnaissance du travailleur de son pronostic de récupération. Les deux facteurs occupationnels
qui se distinguent sont les exigences du travail jugées trop élevées par le travailleur et la présence de postures
contraignantes selon ce dernier. De la même façon, les deux facteurs personnels les plus importants sont des
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craintes élevées d’aggravation et le peu de stratégies actives de gestion de la douleur. Cette analyse souligne bien
que les facteurs expliquant le mieux le maintien de l’incapacité sont liés à l’incompréhension de la maladie et à
son pronostic. Ce constat ne peut que questionner la prise en charge médicale des travailleurs au Québec sachant
que la majorité des travailleurs blessés consulteront à l’urgence des hôpitaux et verront un médecin qui ne les
reverra pas par la suite. Ce constat invite à une réflexion plus approfondie. Cette analyse permet également de
souligner qu’il existe une différence associée aux genres des individus. En effet, chez la femme, la détresse, la
crainte d’aggravation, la présence d’événement personnel récent, les équipements jugés inadéquats, l’absence
de projection en faveur d’un retour au travail, les tentatives de retour au travail interrompues et la perception
d’un échec thérapeutique sont des facteurs qui prédisent l’incapacité prolongée. Chez l’homme, les facteurs
liés à la maladie (l’étiquetage diagnostic, la présence d’antécédent, la perception de lésion grave, la durée du
programme, la durée de l’arrêt de travail, la perception d’échec thérapeutique) et les facteurs occupationnels
(l’ancienneté au poste, l’absence de travaux légers au poste de travail pré-lésionnel) sont les facteurs de risque
les plus déterminants d’une absence prolongée du travail. De plus, notre expérience révèle qu’environ 50% des
travailleurs admis au programme PRÉVICAP présentaient un trouble d’anxiété généralisée (Coutu et al., soumis)
alors que 64% avaient de la détresse élevée à extrême (Coutu, Durand, Loisel, Goulet, & Gauthier, 2007). Ainsi, dès
le début du programme, on observe une importante comorbidité (troubles mentaux).
Conclusion
Notre expérience de plus de 10 ans auprès de travailleurs qui sont absents en moyenne de 10 mois du
travail montre clairement que les facteurs psychosociaux sont les obstacles les plus contributifs au
développement et au maintien de l’incapacité prolongée. Avec ce constat et afin d’offrir des services de
qualité, il apparaît essentiel de favoriser une approche interdisciplinaire pour aborder cette problématique
rendue complexe. Dans la même réflexion, il est nécessaire que les intervenants s’approprient les différents
facteurs explicatifs et sachent comment intervenir de façon efficace auprès des travailleurs.
Bibiographie
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Loisel, P., Abenhaim, L., Durand, P., Esdaile, J. M., Suissa, S., Gosselin, L., Simard, R., Turcotte, J., & Lemaire,
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Loisel, P., Lemaire, J., Poitras, S., Durand, M. J., Champagne, F., Stock, S., & Tremblay, C. (2002). Cost-benefit
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Point de vue du médecin du travail
en France
Jacques Lapierre, Martine Soulatzky
Service de santé au travail Smieve-Metrazif
(France)
À
partir de la pratique quotidienne du médecin du travail, nous essaierons de mettre en lumière les
facteurs pronostiques de « bonne reprise » de travail des salariés atteints de TMS qui doivent être
connus des praticiens de terrain.
Par « bonne reprise », nous entendons une reprise de travail la plus précoce possible et dans des conditions
n’entraînant pas de rechute de la pathologie initiale.
Nous évoquerons 3 types de facteurs :
• facteurs dépendants de la pathologie causale
• facteurs liés au salarié
• facteurs liés au poste de travail
Facteurs dépendant de la pathologie causale
• la pathologie elle-même (une rupture de coiffe est d’un moins bon pronostic médico-professionnel qu’un
canal carpien)
• la qualité et la précocité de la prise en charge médicale
• le statut de la pathologie (AT, MP ou maladie ordinaire)
• la durée de l’arrêt de travail et le moment de la visite de pré-reprise
Facteurs liés au salarié
• l’âge du salarié
• l’état psychologique du salarié et ses motivations
• le niveau de formation et de qualification professionnelle
• l’état socio-familial
Facteurs liés au poste de travail
• le secteur d’activité et le métier
• la taille de l’entreprise
• le poste de travail
• les autres postes de travail
• le collectif de travail
• la motivation de la direction de l’entreprise
Nous illustrerons notre propos de cas cliniques issus de notre pratique quotidienne.
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Atelier 5
La fonction du geste
dans la reconquête du sens au travail :
une question de reconnaissance
Pascal Simonet
Chaire de psychologie du travail, Conservatoire
national des arts et métiers, Paris, (France)
Sandrine Caroly
Laboratoire Pacte, Université de Grenoble
(France)
L
a prévention des pathologies professionnelles s’organise souvent autour d’un volet sur l’amélioration
du « bien-être au travail » (thématique de la reconnaissance) et d’un volet sur le « bien faire son
travail » (thématique de la formation aux bons gestes).
Le bien-être au travail est associé à la reconnaissance professionnelle entendue comme ce qui est reconnu
au salarié comme qualités personnelles par sa hiérarchie. Cette question de la reconnaissance fait
d’ailleurs partie des facteurs des situations de stress depuis longtemps établis.
La limite essentielle de ce modèle de la reconnaissance par les managers est qu’il exclut du champ de
l’analyse, l’activité réelle de travail et l’examen des conditions de développement des gestes professionnels
qui permettent de la réaliser. Par conséquent, si ce modèle est – peut-être – un outil de travail efficace du
point de vue de l’activité managériale et de la gestion des ressources humaines, en revanche, il ne peut pas
être envisagé comme modèle de la reconnaissance du point de vue de l’activité dans une perspective de
prévention des pathologies professionnelles.
Au nom de cette prévention, les formations aux « bons gestes », qui se multiplient à mesure que les
pathologies progressent, éloignent, quant à elles, les professionnels du réel de leur activité.
Pourtant la prévention des TMS et des RPS peut passer par une autre dynamique des conditions
indispensables à l’amélioration du bien-être au travail et à la réalisation d’un travail bien fait. Pour être
autre, cette dynamique doit commencer par être ancrée dans les situations concrètes de travail sans
dissocier ces deux faces d’une même médaille au travail : le bien-être au travail a pour corollaire le bien
faire son travail dans le cadre d’une activité toujours adressée à d’autres qu’à soi-même.
C’est donc par l’examen de la fonction du geste concret de travail que nous souhaitons examiner la manière
dont chacun peut :
• se reconnaître, avec les autres, dans ce qu’il parvient à faire et à ne pas faire dans son activité ;
• reprendre la main sur le sens qu’il peut donner à son activité propre quand il est confronté aux difficultés
de sa réalisation.
La dynamique de la reconnaissance est donc pour partie liée aux possibilités qu’ont les professionnels
de développer, entre eux, des ressources nouvelles et d’élaborer des marges de manœuvre pour être
efficaces dans le travail tout en préservant leur santé. L’ingéniosité du geste professionnel peut en être le
garant quand ce dernier a les moyens de se réorganiser par un travail collectif qui transforme le collectif
de travail en ressource pour son développement.
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Développement du geste
et prévention des TMS
Gabriel Fernandez
Équipe clinique de l’activité, CRTD-CNAM Paris,
AP-HP (France)
L
a prévention durable des TMS est désormais un objectif prioritaire de santé au travail pour la plupart
des institutions françaises et européennes s’occupant d’hygiène et de sécurité du travail. Le grand
nombre d’études et d’articles consacrés au sujet témoigne de la grande difficulté d’une telle prévention.
Il est aujourd’hui reconnu que cela est dû à la multitude des facteurs pathogènes et à l’abondance des
interactions entre facteurs qui compliquent l’analyse des situations dangereuses pour les opérateurs.
Il ressort de ces études que s’il est important d’adapter aussi bien l’ordonnancement des tâches, les
machines et outillages que d’agir sur les paramètres biomécaniques des gestes, il est tout aussi primordial
d’agir simultanément sur des paramètres plus globaux. Parmi ceux ci, l’existence d’un collectif de travail
semble être une condition indispensable à la pérennité des effets d’une prévention bien construite.
L’existence d’un tel collectif a partie liée avec la dynamique de la reconnaissance du travail et par là,
participe à la conquête du sens de l’activité. En clinique de l’activité, le concept de collectif est utilisé dans
une acception précise. Nous souhaitons dans cette communication spécifier cette acception afin d’expliciter
les liens qui unissent un tel collectif à la dynamique de la reconnaissance et à la prévention des TMS.
Milieux et groupes
Au plan psychologique, l’expérience collective ne se transmet pas comme on le fait d’un objet. On doit, pour
y parvenir, la faire durer et perdurer sous la forme d’une évolution ininterrompue dans un milieu bâti pour
agir. Autrement dit, nul ne reçoit en partage une expérience prête à l’usage, mais doit pour cela prendre
place dans le courant des activités et des gestes propres à ce milieu. Le geste personnel se construit dans
et contre ce courant, en ajustant les gestes d’autrui qui participe à la même tâche. C’est parce qu’il existe
un groupe dans un milieu spécifique, que chacun de ses membres peut trouver matière à personnaliser
ses gestes.
Avec Wallon nous pourrions dire que la similitude des obligations et des habitudes désigne le milieu, tandis
que la similitude des buts que s’assignent les sujets définit le groupe, à condition d’ajouter qu’entre milieu
et groupe les liens sont des rapports de détermination réciproque : même si le milieu pose des obligations,
ce sont les sujets qui le fabriquent pour agir ; bien que ce soient les sujets qui assignent des buts à leurs
actions, le milieu ne délimite pas moins le champ des actions possibles.
Du coup, il est possible de soutenir que les rapports entre les sujets et leur milieu professionnel ne sont
pas seulement d’appropriation mais de transformation mutuelle. Plusieurs milieux se recoupant chez le
même individu, et même s’y trouvant en conflit, il est conduit à s’opposer au chaos de la succession de ses
expériences par une activité d’intégration qui lui confère son identité. Le milieu commence par commander
les habitudes avant que de rendre possibles les choix que le sujet pourra s’imposer pour résoudre des
discordances, et cela par comparaison de ses propres milieux à d’autres.
Les rapports entre les sujets et leur groupe sont d’une autre nature. Chacun est mis par le groupe entre
deux exigences opposées. D’une part, affiliation au groupe dans son ensemble, ce qui le pousse à assimiler
son cas à celui de tous les autres participants. D’autre part, l’agrégation au groupe n’est possible qu’en
s’y différenciant des autres, en acceptant chacun de ses membres comme arbitres des défaillances ou
des exploits individuels. Ces deux tendances, subjectivation ou esprit collectif, s’affrontent en chacun
des sujets. Elles sont les deux moments complémentaires d’un même processus, aussi bien à l’échelle
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individuelle qu’à l’échelle collective. Pas de groupe sans individu dans l’obligation d’harmoniser ses
activités propres avec les buts du groupe ; mais pour l’individu pas de connaissance objective de soi sans
groupes de référence (Wallon, 1954/1971).
Collectif de travail
Cependant, si le travail collectif suppose l’existence de milieux et de groupes, il n’implique pas
nécessairement l’existence d’un collectif de travail. Damien Cru (1995) le voit comme la réunion de
«plusieurs travailleurs, d’une œuvre commune, d’un langage commun, de règles de métier, d’un respect
durable de la règle par chacun, ce qui impose un cheminement individuel qui va de la connaissance des
règles à leur intériorisation ». L’internalisation, dont il est ici question, marque l’existence du collectif dans
son acception psychologique. Il a pour corollaire l’exercice d’un travail sur le travail collectivement organisé,
véritable travail d’organisation du groupe professionnel (Caroly et Clot, 2004) que, pour cette raison, l’on
peut désormais qualifier de collectif. Autrement dit, le collectif assure sa fonction psychologique lorsque
sont réunis simultanément un milieu professionnel, un groupe d’opérateurs, une histoire commune de
réorganisation du travail ouverte aux stylisations génériques. Ces dernières étant indispensables pour
maintenir vivante une capacité d’agir ensemble face au réel.
A contrario, l’absence de production patiente et collective d’obligations partagées entre professionnels
pour se mesurer aux épreuves du réel peut conduire chacun des membres du groupe à transgresser les
règles prescrites. Mais, la transgression de la procédure dans l’activité individuelle risque fort pour son
auteur, dans l’ombre et l’inquiétude, de faire le lit de la pathologie, et cela d’autant plus que l’organisation
officielle du travail trouve à s’en accommoder.
Ainsi, dans un milieu de travail où existe un collectif, tout nouvel arrivant, incité à prendre part à l’histoire de
transformation du genre professionnel commencée de longue date, est confronté à l’inconfort inévitable de
s’approprier la subjectivité générique du collectif. Ce faisant, il peut transformer cet inconfort en ressource
interne pour l’action à force d’identifications aux membres du groupe et de différenciations. Dès lors, le
collectif de travail est une source majeure de l’activité du sujet avant que celle ci ne le métamorphose
en simple ressource singulière de l’activité individuelle. Cette métamorphose, qui transforme la source
en ressource, rend possible le développement de l’activité personnelle. En définitive, le collectif est
simultanément à l’extérieur du sujet dans les échanges dont est fait le travail collectif et à l’intérieur de
l’individu comme instrument psychologique où il s’y développe en fonction de ces échanges.
On le voit, dans son acception psychologique le concept de collectif renvoie à la fois aux échanges sociaux
dans lesquels est engagé le sujet et aux ressources personnelles qu’il a développées avec autrui au contact
du réel. Les échanges dont il est ici question sont ceux que l’on peut repérer dans un groupe professionnel
et qui portent sur les critères d’évaluation de la qualité du travail. Ces derniers concernent aussi bien
la qualité des services ou des produits, que celle des façons de faire ou encore celle des effets sur le
corps. Nous retenons que ces critères sont multiples et que pour cette raison ils sont en concurrence en
chacun des membres du groupe pour gouverner les actions individuelles et collectives. D’où la nécessité
pour le groupe d’en discuter afin de stabiliser dans son milieu, au moins temporairement, un accord sur
les critères les plus opérants. Stabilisation toujours transitoire car le réel est une source permanente de
renouvellement des désaccords. On peut alors dire du collectif qu’il est aussi un instrument psychologique
pour supporter et développer les désaccords portant sur les critères.
La reconnaissance : une demande à double tranchant
On comprend dès lors comment, privés de leur facteur de cohésion qu’est le développement créatif des
conflits portant sur les critères du travail, les collectifs deviennent de simples regroupements d’opérateurs
au sein desquels ces conflits avancent masqués sous forme de querelles entre personnes. Il est alors
fréquent que la difficulté à supporter, malgré tout, ces différends personnels, parce qu’elle tourne le dos à
la dispute sur la performance et la qualité du travail, se mue en une demande ambiguë de reconnaissance.
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L’ambiguïté de la demande résulte d’un double mouvement. D’un côté, faute de collectif, l’activité, réduite à
la pratique, est l’objet d’une tentative de normalisation dans l’intention de trouver et de prescrire la «bonne
pratique », c’est à dire en réalité, d’obtenir des opérateurs le comportement supposé exempt de pouvoir
pathogène. D’un autre côté, les échecs de ce procédé laissant des opérateurs démunis, il est complété
par des dispositifs d’écoute de la souffrance au travail pour le moins problématiques. En effet, si l’écoute
n’a pas pour but de rendre visibles à l’intéressé les obstacles de son activité, le risque est grand de voir la
souffrance s’installer durablement. On assiste alors à ce paradoxe qu’il devient préférable pour certains
d’être reconnus comme souffrants que d’être ignorés comme travailleurs.
On voit comment cette forme de reconnaissance par autrui, que nous qualifions de passive en référence à
la forme grammaticale utilisée pour la désigner, enferme celui qu’elle prend pour objet dans une identité
de victime. C’est que, ne trouvant plus dans son groupe professionnel les ressorts qui l’en feraient sortir, il
trouve encore un avantage subjectif à recouvrir d’un voile compassionnel l’impuissance collective dont est
faite la souffrance individuelle.
On a affaire ici à un affaiblissement du social au profit de l’interpersonnel, secondaire à une dissipation en
soi du collectif. C’est donc un contresens que de qualifier de social le danger pour la santé qu’encourent les
travailleurs concernés. C’est tout autant un paradoxe que de le baptiser de psychologique, car la diminution
de la conflictualité sociale autour d’objets communs transpersonnels que sont la performance et la qualité
du travail entrave la dynamique psychique des sujets impliqués (Clot, 2010).
Cependant, cette demande de reconnaissance possède un second tranchant. Qualifiée d’active, elle est
reconnaissance de soi en quelque chose. En autoconfrontation croisée, une instrumentiste dans un bloc
opératoire, voyant sa collègue préparer sa table avant l’opération, lui dit : « Cette table, c’est pas toi»
(Bonnefond & Tomas, 2009). Elle ne reconnaît pas sa collègue dans ce qu’elle fait. Il est clair qu’ici la table
n’est que la représentation métonymique non seulement de ce qui est fait, mais aussi de ce qui est à faire,
de ce qu’il est souhaitable de faire selon les critères du métier et qu’éventuellement on ne peut plus faire.
Autrement dit, le «quelque chose » qui sert d’objet à la reconnaissance de soi est intimement lié à l’histoire
transpersonnelle des épreuves dont est fait le genre professionnel.
On peut donc répondre à la demande de reconnaissance en favorisant la possibilité de se reconnaître
dans quelque chose, ce quelque chose pouvant parfois prendre une signification littérale. C’est pourquoi,
les propriétés physiques d’un objet matériel s’y prêtant mieux que celles d’un service, les opérateurs des
services éprouvent davantage le besoin de se reconnaître dans le métier (Clot, 2008).
Un modèle du développement du geste
De quelle manière le collectif influence-t-il le développement du geste ? Celui-ci est toujours supporté
par des contractions, le plus souvent isométriques, des muscles principalement antigravitaires, dont
le contrôle échappe à la conscience, et dont certaines sont en avance sur les déplacements corporels,
réalisant des anticipations posturales (Latash, 2002). Ainsi, la posture supporte le geste, lui fournissant la
base pour la précision, la puissance, la dextérité. Mais surtout, les contractions posturales ne sont jamais
isolées des composantes neurovégétatives qui participent à sa réalisation et qui composent la décharge
émotionnelle. Les sentiments dérivant de ces émotions sont, dans la posture, en compétition avec les
contractions volontaires pour s’emparer du tonus musculaire. Nous réservons le mot de «mouvement»
à la synthèse du geste et de son support postural pour le distinguer du geste, bien qu’en réalité geste et
mouvement soient donnés ensemble, car nous reconnaissons des propriétés psychologiques différentes
au geste et au mouvement. En particulier, le mouvement possède une valeur signifiante du fait de ses
rapports intimes avec les émotions, s’exprimant dans l’attitude. C’est en imitant l’attitude d’autrui qui a
valeur de modèle pour le sujet, qu’il peut s’y opposer puis s’en détacher. Se faisant d’abord l’instrument du
geste de l’autre, le sujet dispose ensuite du geste en soi comme instrument de ses mouvements (Wallon,
1970).
Si la posture supporte le geste, les automatismes le réalisent. Reprenant les travaux classiques de
Bernstein (1996), et ceux plus contemporains de Edelman et Tononi (2000), à l’opposé du caractère routinier
que d’ordinaire on lui prête, nous voyons dans l’automatisme un système fonctionnel dynamique échappant
au contrôle conscient. Ce système fonctionne par rentrées massives entre différents regroupements
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neuronaux, physiquement connectés entre eux par un réseau très dense de fibres réciproques et
massivement parallèles. Elles associent des afférences sensitivo sensorielles, au premier plan desquelles
les afférences kinésthésiques, au résultat d’une simulation des afférences attendues. L’automatisme, en
transformant les écarts entre afférences réelles et simulées en corrections motrices, assure l’adaptation
du geste en cours d’exécution au contexte auquel il prend part. Les répétitions, qui pour Wallon permettent
au sujet d’entrer dans l’esprit du mouvement, sont pour Bernstein la base du développement des
automatismes, ce dernier entendu davantage comme une restructuration des liens interfonctionnels que
comme un élargissement de la gamme gestuelle qu’il est aussi.
C’est donc auprès d’autrui, dans ses groupes d’appartenance, qu’on prend les gestes par un double
processus d’assimilation et de différenciation. Ce sont les échanges avec autrui et les conflits qu’ils font
naître, posant entre autres au sujet des problèmes moteurs nouveaux, qui sont la source du développement
des gestes. Ces processus sont rendus possibles par le fait que le contrôle d’un automatisme qui achoppe
peut devenir conscient, passant de cette manière au plan du geste, et qu’un même geste peut être pris dans
divers contextes posturaux, réalisant autant de mouvements différents. Ce sont ces passages d’un plan à
l’autre que nous voyons comme le mécanisme du développement.
L’objectivation du geste pour développer le collectif
Nous disons du geste de métier qu’il est une façon de faire, elle même validée par l’histoire d’un milieu
professionnel donné (Tomas, Simonet & al., 2009). Il n’en reste pas moins que le geste possède en lui
même une existence objective. Dans sa manifestation visible, il est un déplacement du corps et/ou de
segments corporels que réalisent des contractions musculaires volontaires coordonnées et contrôlées par
les centres nerveux.
Il devient donc possible de produire diverses objectivations du geste auquel on s’intéresse. Nous avons
produit des indicateurs de sollicitation musculaire lors de la production d’un geste de retournement dans
un atelier de blanchisserie, à partir de l’enregistrement d’électromyogrammes au poste de travail, sur
des opérateurs volontaires exécutant leurs tâches ordinaires. D’emblée conçus comme un instrument
favorisant les controverses professionnelles dans le groupe professionnel afin de remettre au travail le
répertoire générique des gestes professionnels (Clot & Fernandez, 2005 ; Simonet, Caroly & Clot, 2011), ces
indicateurs visent aussi à prendre la mesure de ce qu’il faut changer dans l’activité et dans l’organisation
du travail.
L’ambition est donc d’utiliser l’objectivation du geste, dont la qualité s’avère alors décisive, pour favoriser
les controverses gestuelles entre les membres du groupe professionnel, puis la subjectivation en chacun
d’eux, par comparaison et expérimentation des gestes d’autrui sous l’effet de la dynamique argumentative
débutée lors des séances d’autoconfrontation. Lorsque l’on parvient à un tel résultat, on peut dire que les
opérateurs disposent de ressources personnelles qu’ils tirent des différences et de la comparaison entre
eux et en eux. Comme nous l’avons noté, on peut alors parler de collectif de travail.
Le collectif prévient les TMS en développant le genre, le geste et l’activité
Cependant, on observe souvent que le geste se libère du geste des autres non pas en lui tournant le dos
mais par la voie de son perfectionnement. Il ne sera réellement développé que reconçu, et seulement s’il
est évalué comme une contribution au développement du geste des autres, stabilisé dans l’histoire du
collectif. Le genre professionnel du milieu de travail est ainsi défini non seulement par des mots et des sous
entendus, mais aussi par des gestes communs pourtant personnalisés par chacun.
Le développement du geste en milieu de travail est donc simultanément une contribution au développement
du genre professionnel. Le rôle du collectif est totalement déterminant, au point qu’il faille, comme c’est
notre cas ici, chercher à le remettre en fonction pour faire repartir le processus de développement. Du coup,
l’activité des membres du collectif s’en trouvera affectée au point que la sollicitation de l’activité réduira
le niveau de l’hypersollicitation musculotendineuse. Car cette affectation offrira des ressources nouvelles
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aux opérateurs pour reprendre le système fonctionnel des automatismes, permettant leur restructuration.
Nous postulons que l’effet de cette restructuration sur l’organisme est bénéfique aux structures musculo
tendineuses et constitue l’effet préventif visé.
Bibliographie
Bernstein, N. A., (1996). On Dexterity and its Development, in Dexterity and its Development, Latash & Turvey
Eds, Lawrence Erlbaum Associates.
Bonnefond, J. Y. & Tomas J. L. (2009). Le travail des instrumentistes et des chirurgiens du bloc 12 sources et ressources
du développement de l’organisation du travail.
Caroly, S, & Clot, Y. (2004). Du travail collectif au collectif de travail. Des conditions de développement des
stratégies d’expérience. Comparaison de deux bureaux de Poste. Formation et Emploi, n°88, 43 55.
Clot, Y. (2010). Le travail à cœur. La Découverte.
Clot, Y. (2008). Travail et pouvoir d’agir. PUF.
Clot, Y., & Fernandez, G. (2005). Analyse psychologique du mouvement : apport à la compréhension des TMS. Activités,
2 (2), 69 78, http://www.activites.org/v2n2 /fernandez.pdf
Cru, D. (1995). Règles de métier, langue de métier dimension symbolique au travail et démarche participative de prévention,
mémoire EPHE, Paris.
Edelman, G. M., Tononi, G. (2000). Comment la matière devient conscience. Odile Jacob.
Latash, M. (2002). Bases neurophysiologiques du mouvement. De Boeck Editions.
Simonet, P., Caroly, S., Clot, Y., (2011). Méthodes d’observation de l’activité de travail et prévention
durable des TMS action et discussion interdisciplinaire entre clinique de l’activité et ergonomie. Activités, 8(1),
http://www.activites.org/v8n1/
Tomas, J. L., Simonet, P., Clot, Y., & Fernandez, G., (2009). Le corps : l’œuvre du collectif de travail. Corps,
2009/1, n° 6, p. 23 30.
Wallon, H. (1942/1970). De l’acte à la pensée. Flammarion.
Wallon, H. (1954/1971). Les milieux, les groupes et la psychogenèse de l’enfant. Enfance, numéro spécial,
287 297.
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L’analyse des gestes professionnels
et de leurs dilemmes dans différentes
instances au sein de l’entreprise :
question de reconnaissance ?
Edwige Quillerou-Grivot
(CNAM, équipe Clinique de l’activité
Institut national de recherche et de sécurité (INRS)
Laboratoire Organisation, changement et prévention)
N
ous vous proposons une réflexion autour du cadre d’intervention que nous menons sur des questions
de santé en général, et sur des problèmes de TMS en particulier. En clinique de l’activité (Clot, 2004,
2008), la manière dont nous allons construire ce cadre fait souvent l’objet de recherches du côté
de la co-analyse avec les professionnels mais nous communiquons peu sur ce que nous tentons de faire
du côté des personnes de l’entreprise qui nous font intervenir et qui nous prescrivent en quelque sorte
notre périmètre d’intervention, ceux que nous nommons « commanditaires » (ex : membres de direction,
concepteurs, CHSCT, etc.). Même si notre travail auprès de ces commanditaires dans l’intervention est une
préoccupation aussi importante que le travail de co-analyse avec les professionnels, la formalisation de ce
que nous tentons de faire n’est qu’à ces débuts. Lorsque nous intervenons, nous avons très souvent comme
règle de créer une instance de pilotage constituée de ces personnes porteuses d’une demande, ou plus
précisément d’une commande qui nous a été faite, c’est-à-dire le « pourquoi nous fait-on intervenir et quelle
est notre prescription ? ». Ce que nous nommons « instance » dans l’intervention regroupe l’ensemble des
personnes de l’entreprise participant de près ou de loin à l’analyse du travail. Même si cette règle est
grandement partagée, avec notamment les travaux en ergonomie comme référence (Guérin & al., 1991),
il paraît intéressant de regarder de plus près l’instance de pilotage de l’intervention qui est mise en place
pour soutenir l’instance d’analyse du travail réalisé avec les travailleurs sur lesquels portent directement
les questions de santé. À partir d’une intervention menée chez un logisticien automobile, il sera alors
question d’interroger ces deux instances à la suite d’une commande du responsable des méthodes de
l’entreprise concernant le travail d’opérateurs de montage de pièces automobiles. Nous centrerons notre
propos sur les déplacements de l’analyse des gestes professionnels des opérateurs à travers ces instances
durant l’intervention, notamment au sein de l’instance de pilotage regroupant des membres de la direction
opérationnelle et des services fonctionnels puis intégrant opérateurs et chefs d’équipe.
L’intervention et son évolution
Même s’il est difficile de résumer en quelques lignes l’histoire d’une intervention, nous nous arrêterons
sur quelques données permettant d’étayer les changements et les déplacements dans le discours, dans
les actes sur l’analyse des gestes professionnels, de leur sens et de leur reconnaissance dans le travail.
L’histoire d’une commande en développement…
Cette intervention a débuté en 2006, avec une approche ergonomique à la suite d’une demande de
diagnostic en conception reposant sur la question « à partir de combien de gestes les opérateurs vont-ils
avoir des TMS ? ». La situation de travail en question portait sur le travail d’opérateurs de montage de parechocs. Cette commande faisait suite à l’apparition de restrictions médicales et d’arrêts maladies pour des
douleurs lombaires, aux membres supérieurs et parfois même aux membres inférieurs, mais l’entreprise
n’enregistrait aucune déclaration de TMS. La commande, portée par le responsable des méthodes, était
orientée vers l’intégration de connaissances du travail et de la prévention des risques professionnels dès la
conception de nouveaux projets. Après cette première intervention, commanditaire principal (responsables
des méthodes) comme intervenant, avons émis le souhait quelques temps plus tard de continuer. Une autre
proposition a permis d’engager un travail de co-analyse en clinique de l’activité. Ainsi depuis 2008, nous
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avons élaboré une autre perspective d’analyse du travail (Quillerou-Grivot, Clot & Morvan, 2010) et tenté
d’ouvrir des questions autour de la santé, des gestes professionnels et de l’organisation du travail afin de
repérer plusieurs leviers d’action pour la prévention tant en conception qu’en production.
Au fil de l’intervention, la commande a alors été progressivement réorientée vers d’autres préoccupations :
« comment peut-on travailler autrement ? » en conception, notamment « comment intégrer les opérateurs ? »
et comment mettre en place des instances d’analyse du travail à différents niveaux dans l’entreprise pour
faire progresser leur organisation du travail au quotidien ? Ce processus de transformation de la commande
a pu être possible grâce aux ressources déployées du côté des opérateurs dans un premier temps – lors de
la co-analyse du travail – puis du côté des concepteurs-décideurs – lors des séances en comité de pilotage.
En effet, nous postulons que la recherche d’alternatives aux transformations du travail doit se faire autant
du côté opérateurs que du côté concepteurs. Nous nous efforçons alors dans nos interventions de poser la
question indirectement – en passant par le travail quotidien – à différents niveaux hiérarchiques, afin d’y
développer une prévention durable des risques professionnels.
Le travail des opérateurs au centre des préoccupations
La tâche principale des opérateurs consiste à réaliser le montage et l’assemblage de composants sur
des pare-chocs automobiles, destinés à être livrés en « synchrone » chez le constructeur automobile,
situé à quelques kilomètres. L’entreprise de logistique en question est le dernier maillon de la chaîne
de sous-traitance et représente pour le constructeur un « magasin avancé fournisseur » (MAF) mis à sa
disposition par les équipementiers. Le travail de montage et d’assemblage sur les pare-chocs automobiles
ne se réalise pas à la chaîne, comme c’est le cas chez la plupart des constructeurs automobiles, mais en
îlots de production. Ce principe de production permet une flexibilité à différents niveaux : sur l’espace
disponible, sur le nombre d’opérateurs et leur polyvalence à tous les postes, sur la place et le nombre
de machines, sur la non-mécanisation des déplacements du produit qui se fait par les opérateurs euxmêmes, etc. Jusqu’à aujourd’hui, la conception des moyens de travail n’est pas « à la main » du logisticien
mais divisée entre l’équipementier – qui conçoivent les machines, les conteneurs – et le constructeur – qui
conçoit les conteneurs finaux adaptés à sa propre utilisation – et l’entreprise de logistique – qui adapte
la disposition spatiale nécessaire et qui tente d’engager des actions correctives sur les machines et les
supports de stocks tampons et de contrôle des pare-chocs. On observe un cumul d’exigences, liées d’une
part à des délais rigides (risque d’arrêt de chaîne chez le constructeur avec pénalité financière importante),
à une grande diversité des produits (combinaison d’options, pièce « d’aspect » nécessitant de nombreux
critères de qualité et d’esthétisme, etc.), aux impératifs de réactivité aux aléas et à la flexibilité (polyvalence
à tous les postes, apprentissage sur le montage de nouveaux modèles, de nouvelles machines, turn-over
important d’intérimaires, etc.).
Cette description du travail laisse à penser que les exigences sont si fortes que les opérateurs n’auraient
alors pas ou peu de marges de manœuvre. Mais nous savons bien que ces questions de cumul d’exigences
ou d’intensification du travail auxquelles renvoie cette description ne suffisent pas à comprendre le travail
et ses enjeux (Hubault & Bourgeois, 2004). L’intensification est un phénomène complexe (Volkoff, 2008) et
ambivalent (Clot, 2005) qui ne se résume pas aux exigences de la tâche et aux conditions de travail mais
nécessite d’aborder les ressources que les opérateurs ont et développent afin de répondre à ces exigences
tout en n’y laissant pas leur santé. Mais alors la question qui nous anime en intervention est la suivante :
quelles peuvent être ces ressources ?
Dispositif d’intervention multi-niveaux
En clinique de l’activité, on a coutume d’aborder cette question des ressources en passant par les conflits
ou dilemmes de l’activité, qui vivent en chacun des professionnels mais qui sont souvent empêchés d’être
réinvestis dans le travail. C’est pourquoi, nous avons proposé aux opérateurs une co-analyse de leur
travail afin d’instruire cette question des dilemmes qu’ils vivent dans leur activité de travail quotidienne,
en confrontant leurs gestes aux autres gestes des collègues (Clot & Fernandez, 2005). Mais cette analyse
des dilemmes d’activité doit également faire l’objet de discussion entre membres du comité de pilotage,
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sur la dimension prescriptive du travail des opérateurs, concernant les choix à envisager à l’issue de
l’intervention.
Méthodologie et méthodes d’intervention
C’est pourquoi un cadre d’intervention a été construit à travers deux instances : collectif d’opérateurs et
comité de pilotage.
Nous nous sommes évertués à construire une co-analyse avec une dizaine d’opérateurs, majoritairement
intérimaires. La méthodologie d’analyse du travail a été déployée en plusieurs phases : une phase
d’observations (papier-crayon) afin d’amener les opérateurs à percevoir leurs manières de faire intra et
interindividuelles qui étaient souvent non conscientisées (exemple de verbatim en début d’intervention :
« mais c’est facile ce qu’on fait », « on fait tous pareil », « notre travail c’est la fiche de poste ») et à susciter
des demandes pour réaliser une analyse du travail ; une deuxième phase afin de commencer le travail
de co-analyse hors situation de travail quotidienne avec une réunion de préparation et de constitution du
groupe d’analyse pour déterminer ensemble les situations de travail qui feront l’objet de la co-analyse ;
une troisième phase d’observations avec caméra pour constituer des outils d’analyse concernant quatre
situations de travail retenues par le groupe ; une quatrième phase pour les séances en auto-confrontations
simples puis en auto-confrontations croisées ; une dernière phase de synthèse afin de constituer
un montage vidéo des situations de travail et des dialogues en auto-confrontations croisées, destiné à
l’ensemble de leurs collègues puis aux membres du comité de pilotage.
La co-analyse, telle que nous la concevons, permet alors à l’opérateur d’être en position réflexive sur son
travail afin d’y percevoir la richesse de ses différentes manières de faire et de celles de ses collègues. C’est
ainsi qu’en séance d’auto-confrontation croisée, il peut parvenir à re-découvrir soit des conflits empêchés,
contrariés qu’il est nécessaire de remettre en question pour pouvoir continuer à travailler sans y laisser
sa santé, soit – et on suppose là un moyen de dépasser ces conflits – d’autres alternatives possibles en
situation de travail, de par la mise à distance avec ses propres gestes professionnels, d’une part, et par le
regard du collègue qui participe à la reconnaissance de soi dans son geste, d’autre part. La reconnaissance
de soi (Le Blanc, 2001) passe par cette question abordée indirectement en séance d’auto-confrontation :
« qu’est ce qui fait sens pour moi dans mon travail ? », même si les mots ne sont pas toujours là pour le
dire, les corps parlent aussi et le regard que porte le collègue sur son travail, ses gestes, sa « technique »
parvient à être une aide pour y trouver un sens nouveau. Ainsi certaines de ces images, issues de cette coanalyse, ont été exposées lors du comité de pilotage.
Afin de se faire une idée du type de discussion qui s’est réalisée entre opérateurs et qui a fait l’objet
de diffusion auprès des commanditaires, voici un court extrait de dialogue entre une opératrice (C), un
opérateur (S) et l’intervenante (I) sur la manière de contrôler le pare-choc en début de ligne, face aux
images vidéo de S en train de contrôler :
I : « et les endroits de contrôle, le chemin de contrôle est le même ? » C : « non, non on contrôle pas pareil
(en chuchotant) ». S : « non » I « c’est-à-dire ? » S : « on va pas commencer au même endroit, on va peutêtre pas passer par les mêmes… ». C : « t’as plus tendance (pointage du doigt vers S puis vers vidéo avec
regard vers vidéo) par finir par le plastron ». S : « ouais ». C : « alors que moi je finis par le… ». S : « ouais
moi je commence par le côté (geste à blanc – côté gauche), ouais ». I : « toujours le même côté ? ». C :
« c’est… c’est différent (regard vers vidéo) ». S : « humm, non, ça peut changer… là c’est vrai (désignation
vidéo), je commence toujours à gauche ». C : « ouais, moi aussi je commence toujours à gauche mais tu
vois tu finis par le plastron, on a l’impression que tu l’as même pas regardé, en fait (rires)… alors que moi
je vais commencer (geste à blanc) sur le côté et je vais reprendre, enfin, non…je sais plus. C’est… ». I : « on
regardera » C « ouais, ça fait pas du tout la même impression ».
En parallèle de ce travail de co-analyse avec les opérateurs, il a donc été instauré un comité de pilotage.
Des réunions de travail ont été programmées à différents moments-clés de l’intervention : une première
réunion permettant de constituer le comité et de négocier des conditions d’intervention ; une deuxième
réunion pour faire un point sur l’avancée de l’analyse et engager les discussions autour de la santé, la
prévention et les procédures – qui ont d’ailleurs engagé une nouvelle commande sur le travail des chefs
d’équipe ; une troisième réunion afin de restituer le travail de co-analyse sous forme d’un montage vidéo
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construit avec les opérateurs et de négocier l’invitation des opérateurs pour une dernière réunion ; ainsi
la dernière réunion, non prévue au départ, a permis d’engager une réflexion collective sur l’élaboration
d’une démarche d’intégration des opérateurs dans leurs projets de conception et de convier les opérateurs
à la discussion sur la poursuite de ce travail.
Au fil des réunions, de plus en plus de personnes, tant au niveau opérationnel que fonctionnel (services
qualité, études, commerce…), étaient invitées ou avaient demandé à y assister. Ce qui pourrait faire penser
a priori comme un risque de dispersion du travail engagé a été au contraire un moyen de diffuser les
questionnements abordés, avec précision et sans détour sur les alternatives possibles, notamment avec
des membres de la direction locale et nationale.
Les changements au cours de l’intervention au sein de l’instance de pilotage
Après ces actions auprès de cette entreprise, nous pouvons désormais tenter d’analyser ce qui a pu se
produire pour que cette dynamique se réalise tant chez les opérateurs que chez les membres de l’instance
de pilotage.
Du côté de l’instance de pilotage, nous retenons notamment deux résultats importants : l’appel à une
nouvelle commande sur le travail des chefs d’équipe, qui eux-mêmes souhaitent s’engager dans une coanalyse de leur métier ; puis la décision d’organiser une autre réunion du comité en invitant des opérateurs
et des chefs d’équipes. Ainsi, le déplacement qu’opèrent les membres du comité de pilotage grâce au
travail accompli par les opérateurs permet de faire migrer la discussion de ces membres sur les gestes
précis du travail quotidien des opérateurs, sujet qui leur était étranger jusque-là, notamment comme
le dit la directrice du site lors de l’avant-dernier comité en réaction au montage vidéo : « On voit qu’il y a
eu du travail et c’est super intéressant de voir qu’en final les gens, ils ont différentes techniques, entre
ce qu’on avait prévu sur les modes opératoires, les chemins de contrôle etc. Que finalement, les gens ne
font pas pareil, mais le résultat au final, est que on a un résultat final en termes de qualité clients qui est
vraiment bon. ». Puis, à la fin de la réunion, elle se voit alors proposer à ses collègues concepteurs : « Je
me dis aussi des fois, est-ce que ça vaut pas le coup de proposer (au client… qu’) on souhaite faire avec
les gens qui ont conçu les machines un retour d’expérience avec les opérateurs. Et nous, on leur propose
ça, en leur disant ben voilà (…), on vous a fait un certain nombre de remarques mais maintenant, on en a
d’autres avec l’expérience, et c’est aussi l’occasion de repasser… ben voilà des messages, en disant ben
voilà, on a besoin d’opérateurs, enfin avec les recherches que vous faites… ben voilà les gens ils ont besoin
de pas avoir toujours le….la…les mêmes rythmes, de pouvoir faire les opérations… sur un autre puis…
je pense que ça peut être constructif dans les autres projets quoi. ». Nous remarquons alors que notre
première intervention en 2006, centrée sur notre interprétation des différences entre le prescrit et le réel
et la nécessité de marges de manœuvre, n’avait pas permis de surprendre autant les décideurs, comme
l’exprime ci-dessus cette directrice. Il y a donc là un autre processus en jeu, un déplacement spécifique qui
s’opère et sur lequel nous proposons de nous concentrer.
Pour ce faire, nous nous pencherons sur un extrait des échanges de la dernière réunion de l’instance
de pilotage où les opérateurs ont été invités à s’exprimer devant l’incertitude des concepteurs-décideurs
(au sens large du terme) pour améliorer leur façon de concevoir le travail des opérateurs. Lors de cet
échange, le responsable des méthodes, un opérateur (S), le responsable de production, une opératrice (C),
un opérateur (J), la directrice et un chef d’équipe interviennent pour discuter de la procédure concernant
le chemin de contrôle visuel du pare-choc (qui prévoit un parcours précis du haut – ce qu’ils nomment le
plastron – aux côtés du pare-choc) :
Resp. méthodes : « Je voudrais rebondir sur ce point-là, car moi il y a avait une question qu’on avait déjà
évoquée la dernière fois mais qui m’interpelle, c’est moi avec la casquette projet ; [les fiches de poste]
définissent un moyen, ben définissent une procédure, un fonctionnement, on commence par le côté gauche,
on fait ça et ainsi de suite et on se rend compte par rapport à ce qu’on vient de voir et ce que vous évoquez,
au-delà, il y a des petits, des grands, des moyens, et ainsi de suite il y a quand même des façons différentes
de fonctionner entre individus et moi je voulais profiter justement, parce que c’est pas forcément toujours
le cas, de vous écouter… vous qu’on avait vus sur l’écran il y a quelques minutes, vous pensez quoi de ces
manuels, de ces instructions qu’on vous amène un peu toute faite, et quelque part vous interprétez, vous…
qu’est-ce que vous en pensez de ça ? »
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Opérateur S : « […] On va dire que c’est une base, comment eux ils veulent qu’on fonctionne mais après
avec les critères des personnes qu’on a ici, ça peut marcher et avec d’autres ça peut pas marcher. Après
c’est là l’interprétation qu’il faut avoir, il faudrait mettre en commun comme on a dit là pour voir la manière
de faire… on va dire… parce que entre moi et C, on a pas la même façon et c’est… on va dire c’est la même
chose en fait ».
Resp. prod : « Est-ce qu’on peut dire que le résultat est le même au final ? »
Opérateur S : « Voilà, le résultat… on peut se baser sur les classeurs mais on a du mal à respecter à la
lettre ».
Opératrice C : « Ce serait plus dans le sens qu’il faudrait pas imposer le chemin, plus je pense… dans le
sens… on va dire… identifier chaque partie du pare-choc, le plastron, les arrêtes, la cross… je veux dire
que les pare-chocs sont tous faits de la même manière, ils ont tous un plastron, des cross, des grilles,
donc… après je pense que pour l’opérateur le fait d’avoir, lui dire ben voilà t’as le plastron, t’as le plastron
à contrôler, t’as la cross, les arrêtes, bon… lui simplifier la tâche quoi entre guillemets, en disant il y a tel
point, tel point à contrôler, t’as tous ses points à contrôler après tu t’arranges pour le faire dans le sens où
tu le sens le mieux pour toi… que… ça laisse la personne libre du chemin qu’elle doit prendre et ce qu’elle
a à regarder ».
Directrice : « C’est plutôt donner une mission en disant voilà t’as ça, ça, ça à contrôler et c’est vous qui… la
manière de… ».
Opératrice C : « voilà, comme ça, ça reste… ».
Opérateur S : « Peut-être les débuts… non, les formations on montre comment ça doit être fait à la lettre,
après petit à petit la personne va nous voir comment nous on fait et elle inconsciemment elle va faire
comme nous et au bout du compte ça marchera aussi bien que ce qui est demandé… et ça de savoir s’il y a
possibilité si malgré les [fiches de poste], essayer d’avoir des petits changements comme ça, des petites
solutions ».
Opérateur J : « ou de le faire en partenariat avec un opérateur ».
Opérateur S : « voilà par exemple ».
Directrice : « si chacun fait différemment il faut revoir [la fiche de poste] ».
Chef d’équipe N : « Moi je pense le contraire… moi j’ai 2 formateurs de nuit, on doit avoir une base commune,
parce que chez certains, j’ai déjà remarqué, c’est pas méchant mais si on les laisse travailler de la façon
dont il le pense, il pense d’une certaine manière et ils sont pas toujours dans le vrai… parce que quand on
est pris dans le travail et ben on n’a pas un regard objectif toujours sur ce qu’on fait et justement je trouve
qu’on arrive vite à tout et n’importe quoi. Moi j’essaie surtout de fuir ça et de garder… parce que je pense
que le chemin il est bien fait dans le sens où on commence par le plastron, c’est la zone principale et si on
commence par les côtés et que le plastron n’est pas bon, ben le pare-choc on peut l’ôter. Donc je pense
qu’on gagne vachement de temps. Après les gens à un moment donné, on l’apprend pas de la même façon,
c’est sûr que physiquement on a pas tous les mêmes bras (rires) ; c’est pas tout le monde qui est comme
S, on dirait qu’il prend une feuille, voilà. Mais c’est vrai que sur les manières de prendre et de tout ça. Je
comprends on a des tailles différentes, on essaie de faire des postes ergonomiques et tout mais moi je
pense que sur les chemins de contrôle, les trucs comme ça, ça doit être hyper carré… ».
Il y a alors ici, dans l’instance de pilotage, une poursuite de la discussion entre opérateurs puis avec un
chef d’équipe sur la question des procédures, de la formation. La manière dont les opérateurs et les chefs
continuent à développer le débat sur leur travail est en même temps un moyen d’adresser leurs soucis,
non pas seulement aux gens du métier, mais aux concepteurs et dirigeants. Cet échange a d’ailleurs été
entendu et par la suite des discussions entre membres de l’encadrement opérationnel et fonctionnel ont eu
lieu, où chacun a tenté dans sa fonction de poursuivre plusieurs pistes. Pour nous, intervenants, la question
n’était pas de savoir qui a raison ou qui a tord, mais plutôt d’accompagner la continuité de ce dialogue pour
qu’il puisse trouver de nouvelles façons de concevoir le travail et de le réaliser, sans contourner le réel et
les problèmes qu’il pose.
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Ainsi au sein du comité de pilotage, les opérateurs présents et préparés par ce travail collectif font autorité
sur leur travail et du coup dans celui des autres. Faire autorité n’est pas avoir le pouvoir de décider, bien
sûr, mais permet de réinstruire le processus de décision. Les déplacements, qui se produisent tout au
long de cette intervention, transforment alors le dispositif et amènent à faire perdurer cette dynamique
d’analyse du travail, à différents niveaux dans l’entreprise, afin d’y trouver quotidiennement des solutions
participant à la qualité comme à la santé du travail, même si jamais rien n’est joué d’avance. En effet, dans
ces discussions sur le contrôle du pare-choc, il se réalise seulement une ouverture du déni sur un conflit
des critères de la qualité du travail ; mais sans certitude qu’ils continueront à faire vivre cette instance
d’élaboration de nouveaux compromis dynamiques sur le travail.
Conclusion
À travers ces données d’intervention, dans cette situation précise de travail, nous tentons de montrer que du
point de vue de l’activité de travail, « se reconnaître soi dans ce que l’on fait, dans son geste », qui place alors
le travailleur en position d’acteur, comme nous l’invitons à le faire, serait un levier puissant pour développer
durablement la santé au travail. Dans un premier temps, pour eux-mêmes dans l’accomplissement de
leur travail quotidien et dans un second temps, pour permettre aux instances dirigeantes de soutenir ces
initiatives dont ils font preuve. Ce renversement de la reconnaissance de la forme passive (être reconnu
par autrui) à la forme active (se reconnaitre soi-même) que les opérateurs ont opéré lors de la co-analyse,
a permis d’agir sur l’activité des membres du comité de pilotage. Ces derniers ont ainsi pu rediscuter
de leurs propres règles de travail concernant la conception et les choix d’organisation réalisés jusqu’à
présent ; on pourrait même dire de leurs propres gestes de concepteur. En retour, leurs discussions en
présence des opérateurs auront eu également des retentissements sur ces derniers, sur leur manière
de concevoir leur engagement dans la transformation de leur propre travail, garantissant ainsi des effets
favorables au développement potentiel de l’activité des opérateurs dans la réalisation de leurs gestes
professionnels. La généralisation de ce type de débats sur le travail et ses critères précis de qualité à
différents niveaux hiérarchiques ou fonctionnels, comme dans cette entreprise, est alors envisagée comme
un instrument puissant de prévention durable des pathologies professionnelles, à condition de prendre le
temps d’y installer des instances le permettant. Cependant, l’action clinique dans l’instance de pilotage et
l’organisation de sa continuité dans l’entreprise restent une question ouverte, tant en intervention qu’en
recherche.
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L’examen du geste professionnel
en situation de formation, clé de compréhension pour la prévention durable
des TMS
ertrand Poete
B
ARACT de Franche-Comté (France)
L
e modèle du geste, dans ses dimensions biomécaniques et psychosociales a été développé par
l’ANACT (Bourgeois, 2000) et son réseau depuis une dizaine d’années et constitue le socle directeur
des interventions conduites sur le terrain. Il n’en demeure pas moins que son opérationnalité et sa
pertinence tardent à s’implanter durablement dans les entreprises et à atteindre les résultats escomptés.
Contexte général
Les constats du réseau ANACT
Les conclusions du rapport 1 de recherche-action DGT-ANACT (Daniellou, 2008) mettent en évidence un
certain nombre de difficultés dans la mise en œuvre de la prévention durable des TMS. Ce rapport cite,
entre autres, une grande diversité des représentations des facteurs de risques à l’origine des TMS, une
absence de modèle partagé par les acteurs de l’entreprise, une faiblesse de l’évaluation du risque TMS,
comme du risque RPS, intégré dans le Document Unique et une absence de connaissance du travail réel
des salariés, et ce malgré des formes de participation sous-tendues par les démarches d’amélioration
continue. Le même rapport dégage divers ingrédients ou leviers à mobiliser. Parmi de nombreux items,
les auteurs constatent la nécessité d’enrichir la compréhension du geste professionnel. L’apport d’une
approche pluridisciplinaire (psychologie, ergonomie et physiologie) doit permettre de mieux analyser les
gestes dans les activités professionnelles et améliorer les connaissances sur les facteurs de risques
biomécaniques et psychologiques.
Les auteurs du rapport poursuivent en indiquant que le geste efficient résulte d’un compromis construit
individuellement et collectivement, il questionne les marges de manœuvre individuelles et collectives
comme enjeu de prévention des TMS. Si le geste est ingénieux, rendre compte de sa complexité, c’est tenir
compte des conditions organisationnelles pour que les membres du collectif de travail puissent échanger
sur ces « ficelles de métiers » (des espaces de confrontation sur les pratiques, formes de polyvalence, etc.).
Le texte se termine par une remarque à l’attention des experts en santé au travail qui devraient davantage
intégrer dans leur dispositif d’intervention des temps visant à favoriser les débats entre professionnels à
partir des pratiques de réalisation du travail, de mobilisation du geste et de ses effets sur la santé.
L’intégration des dimensions du geste dans la formation ANACT révisée
En 2009, dans la suite des conclusions du rapport et dans le cadre de la mission de transfert du réseau,
une remise à plat du contenu de la formation ANACT sur les TMS est initiée. Dans le cadre de cette refonte
des différents modules, nous avons cherché entre autres à donner davantage de contenance à ce modèle
du geste — tout particulièrement dans sa dimension psychosociale, en utilisant comme « cas d’école » des
séquences filmées d’une situation de travail.
Rapport financé par la direction générale du Travail (DGT), impliquant tous les laboratoires de recherche et le réseau ANACT. Le rapport rend compte d’une recherche
sur la prévention durable des TMS d’une durée de trois ans. L’objectif de cette recherche était d’identifier les leviers et les freins à la prévention des TMS à travers le suivi
d’interventions en entreprise.
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Le cas présenté ici constitue une illustration de la mise en visibilité de la problématique TMS dans son
rapport à l’exécution du geste professionnel. Cet outil visuel s’insère dans l’un des modules de formation
destiné aux acteurs de la prévention des risques et de la santé au travail, dont l’objectif est d’appréhender
les composantes du geste.
Cette démarche vise à favoriser une plus grande participation des stagiaires dans le processus
d’apprentissage (Martin et Savary, 2003).
L’analyse de cette situation de travail est présentée devant les participants de la formation, puis discutée,
décortiquée, et débattue avec eux. Dans le cas présent, il s’agit de comprendre les dimensions du geste, en
cherchant à en saisir le sens, puis l’intentionnalité.
La situation de travail présentée en formation
L’entreprise où est tournée la vidéo
Équipementier automobile de 200 salariés, cette entreprise est spécialisée dans les domaines de la
découpe, de l’emboutissage et de l’assemblage d’éléments de la structure automobile. Elle est confrontée
à une double problématique, d’une part, la crise du secteur et, d’autre part, une main-d’œuvre directe
vieillissante dont 1/3 de celle-ci est touchée par des restrictions d’aptitude au poste avec de nombreux TMS
déclarés. Les développements suivants nous permettront de comprendre les raisons de cet état.
Le travail des opératrices sur presse
La tâche réalisée par les deux opératrices consiste à partir d’une plaque de tôle, appelée « flanc », pesant
1,126 kg, de lui faire subir différentes opérations de transformation de sa forme, par des opérations
d’emboutissage, de détourage et de séparation. L’objectif de production est de 240 pièces par heure.
Le film retrace les différentes opérations liées au procès dans un temps de cycle de 15 secondes. Il montre
également de manière sous-jacente les ingrédients qui vont augmenter les astreintes de l’opératrice.
Présentant dans un premier temps les différentes opérations de prise, de dépose du flanc sur le moule et
du déplacement des pièces embouties, le film fait ensuite une focale, au ralenti, sur une action particulière,
celle qui conduit une opératrice à jeter une chute de métal dans un bac de récupération placé face à elle,
de l’autre côté de l’outil de presse.
L’approche du sens du geste à travers une opération dite « sans valeur ajoutée »
De voir à regarder : une approche différente
Lors de la présentation de cette séquence vidéo, le formateur cherche à aiguiser le regard des stagiaires
en les amenant à comprendre le « pourquoi » de chacune des opérations.
Lorsqu’arrive la séquence du geste consistant à évacuer le déchet métallique, les stagiaires constatent à
la fois l’ampleur du mouvement effectué par l’opératrice et son extrême précision : il semble que ce geste
soit particulièrement « travaillé » par la salariée, car à chacun des cycles elle effectue la même rotation du
buste, la même adduction du bras et libère une énergie particulièrement mesurée.
À ce moment-là de l’analyse de la vidéo, l’objectif est d’amener le groupe à comprendre les déterminants
d’une telle astreinte biomécanique pour la salariée. Pourquoi tant d’efforts et de précision pour un geste
dont la valeur économique semble nulle (lancer un déchet dans une poubelle) ?
Une deuxième projection de la séquence vidéo permet au groupe de dégager des pistes de compréhension.
On constate en effet que l’opératrice intervient à la suite d’un arrêt machine pour dégager certains déchets
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qui, mal placés dans le bac, déclenchent le dispositif de sécurité de la presse.
Ainsi, apparaît le lien entre la qualité du geste de ”lancé du déchet” et le bon fonctionnement de la machine.
On comprend alors toute l’intentionnalité de ce geste du lancé, si adroit et si appliqué : cette chute doit en
effet tomber correctement, bien à plat, au fond de la benne pour éviter que des éléments ou des parties
viennent couper le faisceau de la cellule de sécurité entraînant la mise en arrêt de la presse. L’impulsion
et la trajectoire calibrées que donne l’opératrice fait alors en sorte que cette chute qui est longue et légère
tombe dans « un certain sens » dans la benne.
Ainsi, de la qualité du geste de lancement de la chute dans la benne de récupération va dépendre, en
quelque sorte, la fluidité du procès.
Ce geste, coûteux dans ses astreintes biomécaniques, se trouve alors valorisé par le gain de temps et
de qualité qu’il induit. Mais, bien entendu, il n’apparaît à aucun moment dans la prescription du travail ni
dans la reconnaissance des performances « techniques » de l’opératrice. Or cette opératrice « prend sur
elle » (principe de la régulation : on prend d’abord sur soi pour ne pas pénaliser l’objectif à atteindre) pour
jeter ainsi cette chute. Elle a arbitré entre réaliser un geste sollicitant et se déplacer régulièrement pour
dégager les déchets qui bloquent le fonctionnement de sa presse. Cette forme de régulation lui permet
de pouvoir continuer à travailler. En arbitrant ainsi, elle répond au but qu’on lui fixe et qu’elle se fixe :
« répondre aux objectifs de production » de façon singulière en s’appuyant peut-être sur l’idée qu’elle se
fait du travail bien fait.
Ce geste n’apparaît plus comme quelque chose de banal. Il n’est pas fait n’importe comment, il est encadré
par une réflexion de l’opératrice qui se donne de nouvelles règles pour, semble-t¬-il, combler un manque.
Il résulte bien d’un compromis.
Approfondissement et élargissement de l’analyse
La poursuite de la réflexion avec les stagiaires nous conduit à dépasser la dimension du simple mouvement
dans l’espace, de pointer que ce geste est porté par une finalité.
À ce stade apparaissent des questions centrales : En quoi cette compréhension du geste peut-elle être
pertinente pour la prévention des TMS ? En quoi réinterroge-t-elle l’organisation du travail ?
Dans la situation présentée, et dans le cadre d’une démarche ergonomique classique, l’entretien permet
de compléter la compréhension et de faire le lien avec les composantes organisationnelles en présence.
L’explication tombe alors : «… auparavant les chutes étaient découpées par la presse et tombaient
d’elles-mêmes dans un bac au-dessous… mais l’outil s’est détérioré, on a tardé à le réparer, on a placé
temporairement la benne de l’autre côté de la machine et comme plus personne n’a évoqué ce problème…
la réparation est tombée aux oubliettes… »
Voilà comment, sans que cela ne soit exprimé, ni vu, ni pris en compte, une situation de travail se dégrade
progressivement et génère un geste de compensation. L’opératrice supplée aux « trous de normes »
(Schwartz-2003) d’une organisation défaillante : défaut de maintenance, défaut de suivi du process, défaut
de communication…
Ce geste chargé de sens, d’intentionnalité, de savoir-faire et d’intelligence interpelle également le collectif
de travail, dans la mesure où personne ne semble s’être préoccupé de cette contrainte et de ce mode
dégradé de fonctionnement.
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Mise en perspective
En décortiquant les actions réalisées par l’opératrice grâce à l’utilisation de l’outil vidéo, le groupe en
formation a mis en évidence d’autres facettes du geste :
• bien sûr, sa dimension biomécanique, relative au mouvement effectué, avec les sollicitations articulaires
convoquées ;
• sa dimension cognitive, avec l’intégration opérative de la trajectoire idéale qu’il convient de donner au jet
de cette pièce et qui va faire « que la chute va se ranger comme il faut » ;
• sa dimension psycho-affective, qui apparaît lorsqu’on comprend l’engagement corporel de la salariée qui
« prend sur soi » au bénéfice d’une production plus performante, même si cela lui « coûte » un risque de
TMS.
Montrer un geste de travail, en chercher les intentions et les explications, remonter le fil de son histoire,
conduit les stagiaires à pointer du doigt la dimension organisationnelle et psycho-sociale des TMS et les
amène par là même à dégager les pistes d’actions nécessaires à une prévention durable de cette pathologie
professionnelle.
Conclusion
Cette manière pédagogique de questionner les différentes dimensions du geste, pour des intervenants
spécialistes de la prévention des TMS, permet de sortir de la logique trop souvent entendue du « bon geste »
et du « mauvais geste » et d’amener l’entreprise à aborder concrètement la question de l’organisation du
travail, responsable des mécanismes de survenue des TMS.
Références
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SCHWARTZ Y., DURRIVE L., (2003). Travail & Ergologie - Entretien sur l’activité humaine. Collection travail et activité
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Former pour faire de la qualité :
quelle reconnaissance pour les gestes
professionnels ?
Un exemple dans le secteur
de l’industrie automobile
Karine Chassaing
École nationale supérieure de cognitique (ENSC)
Institut national polytechnique de Bordeaux
(France)
Introduction
L
e geste technique a été étudié, en France, surtout par les sciences de l’homme avec notamment
l’anthropologie puis l’ergonomie, alors que dans le monde anglo-saxon, il fut surtout l’objet d’étude
des sciences du mouvement, du comportement avec la physiologie et la biomécanique (Dubois, Klumpp
et Morel 2002). Ceci peut expliquer en partie les ambiguïtés que soulève aujourd’hui la définition du concept
de « geste », bien souvent utilisé au même titre que celui de mouvement. La distinction entre ces deux
notions ne va pas de soi. Dans les travaux de Bourgeois et al. (2000) sur la prévention des TMS, le terme
de « mouvement » renvoie à la description du comportement, c’est-à-dire celle qui réduit le travail à un
système d’opérations. Les auteurs proposent une hiérarchie entre les termes. Ils accordent au geste une
signification plus globale, plus riche, plus intégratrice que celle que propose le mouvement dans le sens
commun. « Le geste ouvre sur la singularité (un geste bien à soi…), la subjectivité (un geste étonnant ou
incohérent, un beau geste…), la création et la réalisation (un geste d’acteur…). Il ouvre aussi sur autrui (un
geste de compréhension…), et permet d’être plus proche de la réalité du travail. (…) Le mouvement fait
partie du geste dans la mesure où il est sa partie visible. Il représente un élément de description, mais
lorsqu’il est coupé du geste, il n’a que peu de valeur interprétative. » (p.105). C’est cette acception du geste
que nous adoptons nous-mêmes assez largement. Il ne s’agit pas non plus de réduire par cette distinction
faite entre le geste et le mouvement, la complexité de ce dernier. Le mouvement n’est pas qu’une affaire
de muscles. Selon Berthoz (1998, 1997) qui parle de mouvement et peu de geste, le mouvement est au
fondement de l’évolution du cerveau et ne peut être déconnecté de son activité.
Les gestes participent ainsi à la construction identitaire de la personne au travail mais, dans leurs
réalisations, ils visent aussi d’autres intentions. Ils sont le résultat combiné de plusieurs intentions : être
performant et atteindre une certaine quantité et qualité de travail ; préserver sa santé et se préserver de
l’effort ; appartenir à un groupe, à un métier (Chassaing, 2006 ; 2010). Il n’est pas sûr que dans bon nombre
d’entreprises ces fonctions du geste soient reconnues. Le développement de politiques industrielles
basées sur la standardisation du travail ne favorise pas ces considérations. Les choix opérés en matière
d’organisation du travail, les outils de gestions mis en place pour améliorer la qualité et la productivité
jouent un rôle sur les possibilités qu’auront les opérateurs de développer leurs gestes, de faire face par
leurs gestes aux aléas inhérents à toute situation de travail. Il s’agit ici de reconnaître la contribution des
opérateurs à la réalisation d’un travail de qualité.
L’objet de cette communication dans le cadre de cet atelier est de montrer la reconnaissance des gestes
professionnels dans une entreprise du secteur de l’automobile à partir de la mise en place de formations
aux bons gestes et de feuilles d’opérations standard destinées à améliorer la qualité. Ce travail permet
d’interroger la prise en compte et la reconnaissance au niveau de l’organisation du travail, des gestes
professionnels dans la conception d’outils de gestion.
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Rationaliser des gestes : un enjeu de qualité pour l’entreprise automobile
Le secteur où s’est menée cette recherche (la construction automobile), avec les tâches de montage, de
chargement de pièces, de soudure, assigne un rôle essentiel au développement d’habiletés sensori-motrices
qui permettent d’accomplir le travail avec une certaine dextérité. Ces types de tâches font appel à une
grande diversité de modes opératoires en raison de la diversité des véhicules et des pièces à monter dans
un contexte fortement concurrentiel. Dans l’organisation de ces activités à fortes composantes sensorimotrices, l’idée d’enseigner et de faire pratiquer le « bon geste » est persistante. Cette idée que sous-tend
une volonté d’homogénéisation des façons de faire devient un gage de performance pour l’entreprise. Elle
la renvoie à l’assurance d’un meilleur contrôle de la production pour améliorer la qualité, la productivité
et la réactivité. De nouveaux outils sont mis au service de cette orientation, à savoir : une formation à des
gestes de base et la conception de gammes opératoires (fiches d’opérations), faisant référence au « bon
geste » à pratiquer sur chaque poste et à chaque étape du travail. Dans les secteurs de fabrication, ce sont
les gestes qui font d’abord l’objet de cette volonté de contrôle. Les habiletés sensori-motrices, dans les
différentes tâches réalisées dans ce type d’organisation, prennent une place particulière dans l’efficacité
au travail, les gestes de travail sont importants et sont au centre de préoccupations pour les gestionnaires.
En les considérant comme une simple exécution, il devient plus aisé de les qualifier, de les ordonner. Le
geste est visible et se prête à ce titre au contrôle. Il paraît plus facile de décrire « comment faire » que
« comment réfléchir », et d’en surveiller la scrupuleuse exécution.
L’origine de cette recherche sur un plan pratique, est la mise en place de ces outils sur deux sites de
fabrication différents. Ces outils, dont la réintroduction est d’origine japonaise, s’appuient sur le point de
vue que la qualité passe par l’homogénéisation des pratiques, c’est¬-à-dire l’homogénéisation de l’ordre
des opérations et de la manière de les exécuter. L’entreprise japonaise a développé cette idée il y a plusieurs
années en vue de standardiser les pratiques et d’améliorer la qualité. Il se trouve que cette entreprise est
plus performante du point de vue de la qualité ; c’est donc ce qui motive l’entreprise française à adopter
ce modèle d’organisation basé sur la standardisation. Le contenu de la formation et des fiches renvoie par
conséquent au standard japonais.
Malgré cette volonté de la hiérarchie de réduire la part de l’autonomie des opérateurs, notre hypothèse,
ici, est que ceux-ci s’efforcent cependant de mettre en œuvre différentes stratégies gestuelles. Dans cette
situation fortement contrainte, l’expérience des gestes est déniée par les gestionnaires mais se manifeste
et évolue. Si, dans une perspective ergonomique, on accepte l’importance des gestes et de la diversité des
modes opératoires possibles, le problème est de déterminer la place que laissent ces nouveaux outils de
standardisation à cette diversité. Il s’agit ici de montrer en quoi le geste est irréductible à des procédures,
quel est l’impact de ces nouveaux outils sur l’activité des opérateurs, et quels enseignements en tirer du
point de vue de la conception des procédures de travail ?
Construire des gestes : un enjeu pour se développer et prendre soin de la variabilité des
situations pour les opérateurs
Le geste comprend un volet créatif. C’est dans cette fonction créatrice qu’il permet à l’opérateur de se
développer, de s’épanouir et de se construire une identité. Celle-ciconstitue l’armature de la santé mentale
et physique (Bourgeois et al., 2000). Pour établir ce lien, il faut considérer la santé non seulement dans une
approche conservatrice mais aussi dans une approche constructive. En référence à plusieurs auteurs dans
le domaine (Canguilhem, 1984 ; Dejours, 1995 ; Clot, 1999a, 1999b), la santé n’est pas uniquement l’absence
de maladie. Selon Canguilhem (1984), Ce n’est qu’une fois que les individus sont malades qu’ils essaient
d’éviter d’aggraver les atteintes de certains organes. Cependant l’auteur ajoute, et c’est en cela que son
point de vue nous est utile, que la santé renvoie tout autant à des dimensions de construction : « Être sain
c’est non seulement être normal dans une situation donnée, mais aussi être normatif dans cette situation et
dans d’autres situations éventuelles ». « Être normatif » renverrait à la capacité de l’individu de promouvoir
de nouvelles normes dans de nouvelles situations. La dimension constructive apparaît clairement à travers
cette idée de création de nouvelles normes, mais aussi à travers une autre idée présentée par Canguilhem,
celle de la capacité de l’individu à faire face aux variations du milieu ; autrement dit, sa capacité de s’adapter,
de se réguler dans un milieu toujours changeant. Clot (1999a ; 1999b ; 2001), dans la lignée de Canguilhem,
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évoque aussi la dimension créative de la santé, qu’il met en rapport avec le pouvoir d’agir c’est-à-dire les
possibilités pour l’opérateur d’exercer des responsabilités : « Cela veut dire se mobiliser intellectuellement,
subjectivement, corporellement. Cela signifie penser à ce qu’on fait, aux objectifs que l’on pourrait
poursuivre, et éventuellement avoir une idée sur d’autres objectifs que l’on pourrait poursuivre. Cela veut
dire juger aussi (jugements d’arbitrage) ce qui suppose de délibérer dans les situations professionnelles »
(p.49, 2001). Il introduit l’idée de la création de nouveaux objectifs, qu’il rapproche de celle de nouvelles
normes pour Canguilhem, et à propos de laquelle il réutilise la distinction classique faite notamment en
ergonomie entre efficacité et efficience. Selon Clot, cette distinction permet de comprendre comment
l’individu est capable, lorsqu’il est efficace dans une tâche, non seulement d’atteindre les objectifs qualité
et quantité qui lui ont été fixés et qu’il s’est fixés, mais aussi de promouvoir de nouveaux objectifs qui lui
permettent d’être créatif. Penser le travail comme un opérateur de construction de la santé nécessite de
« prêter une attention particulière aux conditions et aux formes de la mobilisation de l’intelligence et de
la personnalité dans le travail » (Davezies, 1993). L’intelligence et la créativité du sujet sont à l’œuvre dans
le travail réel, et c’est ainsi que le sujet va contribuer à le transformer. Mais bien souvent les acteurs de
l’organisation du travail méconnaissent les processus ainsi mobilisés. Cette méconnaissance peut avoir
un effet sur les marges de manœuvre que va exploiter l’opérateur pour être créatif et pour se développer.
Pour en revenir plus précisément au geste, cette conception de la santé et sa dimension constructive ne
sont pas sans rapport avec le geste au travail. Ce dernier comprend un volet créatif : « Le geste peut être
un moyen de ruser contre la contrainte, la panne, la monotonie » (Bourgeois & al., 2000). La réalisation
d’un geste peut procurer du plaisir. Toutes ces réflexions vont dans le sens d’une intelligence pratique,
d’une utilisation du corps dans le travail comme ressource pour s’adapter, se développer, faire face ainsi
à la variabilité des situations et donc à l’impossibilité de tout prévoir. Aller dans le sens de l’existence
d’une intelligence pratique justifie l’idée de la fonction développementale, et pas seulement économique,
du geste. L’intelligence pratique a recours à la ruse et s’enracine dans le corps. Elle ruse pour contourner
les difficultés et les obstacles qui surviennent dans la pratique, elle vise l’efficacité pratique. Si elle a
recours à la ruse, c’est qu’elle est créative, et pas seulement réactive aux exigences du travail manuel
(Détienne et Vernant, 1989). Ce développement personnel n’est possible que si les conditions le permettent.
Et l’existence même d’une pathologie du geste, les TMS, est la preuve que cette condition n’est pas toujours
remplie. Or, le volet créatif du geste et son rôle dans la construction de la santé au travail sont à notre avis
spécialement délaissés dans les métiers manuels peu qualifiés. Une organisation du travail trop restrictive
qui implique de recourir à des gestes vides de sens, donne une image de soi terne, enlaidie. Dans ce cas le
geste est coupé de sa dimension créatrice et développementale, il ne sert qu’à tenir, il ne procure pas de
plaisir et ne permet pas un épanouissement personnel. Pezé (2002) qualifie ces gestes de mortifères. La
fatigue en est le premier symptôme et cela peut aller jusqu’au développement d’un TMS.
Outre cette dimension créatrice des gestes, pour « être en santé », tout individu éprouve le besoin de voir
son travail, et en l’occurrence ses gestes, reconnus comme beaux, utiles, singuliers, par ses pairs (Pezé,
2002). La reconnaissance de la qualité du travail, de la beauté du geste, participe à l’accomplissement
de soi. Autrement dit, cette reconnaissance contribue à l’épanouissement personnel, à la mobilisation
créatrice. Dejours (1995) souligne le rôle décisif des pairs et du collectif à travers la nature, la qualité,
la dynamique des relations à l’intérieur de ces collectifs, dans la construction de la santé au travail.
L’opérateur s’engage dans l’organisation du travail et c’est ainsi qu’il contribue à le transformer ; mais
Dejours précise qu’en contrepartie de cet engagement, il doit y avoir une « rétribution ». Cette rétribution est
la « reconnaissance », reconnaissance selon deux dimensions : « Une reconnaissance au sens de constat
par autrui de la réalité de l’apport du sujet à l’organisation réelle du travail ; une reconnaissance au sens
de gratitude » (p. 9). Cette reconnaissance suggère d’une part, une visibilité du travail de chacun au sein
des collectifs. Sans cette visibilité, il ne peut y avoir de jugement de la part des pairs. Ce jugement porte
sur le travail accompli, sur son utilité à la fois économique, sociale et technique ; mais aussi sur sa beauté
avec la conformité aux règles du travail et au-delà l’originalité du style. D’autre part, cette reconnaissance
suggère aussi, selon Dejours, une qualité des relations avec les pairs.
Résultats
Des analyses gestuelles menées à partir d’observations et d’entretiens dans le cadre de la mise en place
de ces outils mettent en évidence que ces deniers ne tiennent pas compte du bien-être des opérateurs :
ils ont été conçus sur des conditions idéales de fabrication sans prise en compte des réalités concrètes
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d’exécution du travail. Dans la situation de formation à l’école de dextérité, les gestes des opérateurs sont
mis à l’écart. Les opérateurs transfèrent des gestes élaborés à leur poste de travail durant la formation,
mais qu’ils doivent inhiber parce que non requis par le prescrit. Quant à la seconde situation de mise
en place des fiches d’opérations standard, les opérateurs élaborent des gestes guidés par un objectif de
recherche d’équilibre entre bien-être et production qui sont remis en cause par les procédures prescrites,
comme c’est le cas dans l’exemple de la manipulation d’une tôle. Dans les deux situations, les opérateurs
résistent en élaborant des gestes de travail parfois en désaccord avec les procédures prescrites.
Situation 1 : la formation aux gestes de base dans un atelier mécanique
La formation
L’objectif de cette formation est d’apprendre aux opérateurs les gestes de base, transférables à tous les
postes de travail de l’usine, comme le vissage, la manipulation de vis ; ou encore des préoccupations
comme de respecter la propreté et la sécurité. La session de formation se déroule hors poste de travail,
dans une zone prévue à cet effet dans l’atelier. L’apprentissage porte sur des procédures basiques et passe
par une forme d’inculcation du « bon geste ». Il y a donc une volonté d’imposer l’habitude de suivre une fiche
opératoire47 et par là même le respect du prescrit. La formation se déroule sur une demi-journée pendant
quatre heures environ. Elle se décompose selon deux principales étapes : une partie théorique de quarante
minutes et une partie pratique de trois heures. Celle-ci consiste en un entraînement sur trois pupitres.
Sur le pupitre 1 « plaques », le stagiaire doit visser douze vis sur quatre plaques avec une visseuse à air
comprimé, dans un temps requis et en suivant l’ordre des opérations cité par la fiche opératoire. Sur le
pupitre 2 « languettes », le stagiaire doit visser 10 écrous sur un triangle incliné et non fixé, pour assembler
10 languettes, là aussi en un temps requis et en suivant l’ordre de la fiche cité par la fiche d’opérations.
Enfin sur le pupitre 3 « common rail », les opérateurs doivent monter une rampe d’injection sur un moteur.
Dans cette situation les opérateurs ne disposent d’aucune autonomie. Des observations réalisées au poste
de travail avant, pendant et après la formation ont permis de procéder, complétées par des entretiens, à des
analyses gestuelles. Les analyses gestuelles réalisées lors de la phase pratique de la formation ont permis
de relever la « nature » des gestes mobilisés en formation. Certains sont issus de la pratique antérieure de
postes ; d’autres doivent être élaborés pour la formation, avec un coût variable pour les opérateurs.
Les gestes transférés
Nous avons identifié un certain nombre de gestes requis par le prescrit de la formation, mais que les
opérateurs réalisent déjà à leurs postes de travail. En voici un exemple :
La manipulation de la visseuse – Lors de la partie théorique de la formation, les formateurs expliquent que
les opérateurs doivent amener la vis au bout de la visseuse et non l’inverse, afin d’éviter, d’une part, de
perdre du temps en déplaçant la visseuse et, d’autre part, de manipuler une visseuse qui pèse plusieurs
kilos. Cette consigne est reprise dans les feuilles d’opérations sous forme d’ordonnancement des gestes :
la visseuse doit être maintenue face à l’emplacement où le vissage doit avoir lieu et c’est l’autre main
qui approvisionne la vis sur la douille de l’outil ; le déplacement de la main qui porte la visseuse est ainsi
réduit. L’opérateur déplace l’outil d’un point de vissage à l’autre en réduisant au maximum l’amplitude de
ce déplacement par rapport à ces points de vissage, et c’est au cours de ce déplacement qu’il doit charger
la vis sur la douille de l’outil à l’aide de son autre main. Les opérateurs procèdent déjà de cette manière sur
leur poste de travail pour les mêmes motifs : aller plus vite, mais aussi et surtout minimiser les efforts en
raison du poids de l’outil – « je tiens la visseuse dans la main et après l’autre amène les vis, y a le poids de
la visseuse, y a moins d’effort à faire d’amener la vis à la visseuse que la visseuse à la vis ».
Ainsi, les gestes transférés de la formation aux postes de travail sont ceux qui étaient déjà pratiqués en
situation réelle et ceux qui permettent d’allier la qualité demandée par l’entreprise à des stratégies de
préservation, ici d’économie de mouvements.
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Rapport financé par la Direction générale du Travail, impliquant trois laboratoires de recherche et le réseau ANACT. Le rapport rend compte des résultats d’une
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Les gestes à inhiber
Nous avons aussi identifié des gestes réalisés au poste de travail qui « surgissent » lors de la réalisation de la
tâche sur les pupitres de formation mais qui, cette fois, ne sont pas requis dans les prescriptions. Ils viennent
alors pénaliser les opérateurs en termes de temps et de respect des procédures. En voici quelques exemples :
• Préparer le prochain vissage en positionnant la vis sur l’embout de la visseuse – il s’agit d’Op 24C, observé
à son poste de travail, avant la situation de formation : il monte des carters qu’il visse à l’aide d’une
visseuse suspendue ; à chaque fin de cycle, il prépare une vis dans l’embout aimanté de la visseuse puis
la relâche, prête pour le prochain cycle. Cette façon de faire lui permet de gagner du temps : « je prépare
une vis pour prendre de l’avance quand il m’en reste une dans la main ». Mais en situation de formation,
ce geste, effectué pendant l’évaluation à deux reprises aux pupitres 1 et 2 le pénalise. Il s’en est aperçu,
et s’est corrigé en reprenant la visseuse et en ôtant la vis. Le formateur lui a attribué un « malus » de
point pour non respect de la procédure et temps perdu.
• La pose de la rampe d’injection (pupitre 3) – Le prescrit mentionne de tenir la rampe dans la main, de la
placer ensuite sur le moteur, puis de prévisser les deux vis pour la maintenir. Or, en situation réelle,
l’opérateur procède différemment pour « s’avancer » : le temps que le cycle s’enclenche, il prépare la
rampe avec les deux vis et la pose sur la table avant de la placer sur le moteur, ce qui est strictement
interdit en formation pour des raisons de qualité. C’est l’opérateur le plus âgé (50 ans) qui réalise ce
geste. Toutefois, de manière étonnante ¬le formateur ne lui signale rien pendant la formation.
• Sur ce même pupitre, reprenons le cas du jeune intérimaire effectuant le prévissage des tuyaux. À son poste de
travail, il pose un des tuyaux sur le pupitre, pendant qu’il visse l’autre sur le moteur. Il procède ainsi car s’il tient le
second tuyau dans sa main pendant le prévissage du premier comme le veut la prescription, cela le gêne. Le
formateur le reprend lors de l’entraînement et lui donne les explications en termes de qualité et de poussière ; ce
que ce stagiaire comprend et, à son retour au poste, il a conservé cette nouvelle façon de faire. Toutefois, tous les
conflits ne se résolvent pas. Ainsi, au sujet du prévissage de la rampe d’injection (pupitre 3), la feuille mentionne
de visser à fond à la main puis de réaliser un quart de tour arrière. Cette façon de faire génère un désaccord entre
le formateur et le stagiaire qui préfère réaliser directement un prévissage léger à la main. Il précise qu’il procède
ainsi à son poste de travail, pour laisser du jeu à la rampe néanmoins tenue, et de la sorte pouvoir l’écarter ensuite
et laisser la place pour prévisser les tuyaux à la main. Le formateur lui explique alors que la procédure prescrite
permet aussi de laisser du jeu. Mais l’intérimaire décide de passer outre et maintient sa méthode.
Du point de vue de la conception même de la formation, les risques de conflits de modes opératoires, de
stratégies gestuelles, sont d’autant plus grands que le pupitre de formation se rapproche du poste de
travail, dans les tâches ou la manipulation des outils. C’est ce qu’on observe sur le pupitre 3 « commonrail », qui pose essentiellement des problèmes aux deux opérateurs qui travaillent en situation réelle sur ce
poste. Et désapprendre des automatismes pour réapprendre s’avère d’autant plus coûteux que l’opérateur
cumule ancienneté et activité fortement répétitive à son poste. Plus globalement, on observe des conflits
entre les stratégies développées aux postes de travail et les prescriptions requises par la formation.
L’école de dextérité, une mise à l’épreuve
Au final, les gestuelles ont été « mises à l’épreuve » par cette situation de formation, au triple sens du
terme « épreuve », une situation pénible, un test et un essai :
• au sens « éprouvant » : Un opérateur observé a ressenti beaucoup de difficultés, d’énervement dans l’exécution
de la tâche d’un pupitre, allant même jusqu’à des manifestations physiques (sueur, gestes de colère…). Pour
tous les opérateurs, nous avons relevé à un moment donné des signes d’agacement (prise d’une pause, soupir
de lassitude…). Ces sentiments se sont révélés plus importants sur les pupitres les plus éloignés des situations
de travail réelles des opérateurs, quand des savoir-faire antérieurs n’ont pu être utilisés ;
• au sens de « test » : L’expérience du travail à la chaîne des opérateurs est testée par une formation aux
bons gestes qui attribue une note et un niveau à des savoir-faire techniques qu’un opérateur expérimenté
possède déjà. Le niveau obtenu renverrait à un niveau de savoir-faire de l’opérateur pour l’entreprise ;
• au sens d’un « essai » : L’expérience a été mise à l’essai par une formation à la dextérité, permettant ainsi
à l’opérateur de faire le point sur l’état de ses savoir-faire acquis avec la pratique. Pour les opérateurs
les plus expérimentés, la formation a permis de prendre conscience de certains gestes. Mais, il existe
certainement bien d’autres moyens d’aboutir à cette prise de conscience.
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Dans cette situation, les marges de manœuvre pour la diversité des gestes sont quasiment nulles. La
réalisation des gestes « familiers » est même parfois pénalisée et il n’y a guère de place pour réinvestir
l’expérience des gestes. Les savoirs gestuels sont mis à l’écart. Toutefois, cette formation a été aussi
l’occasion de pratiques réflexives pour conforter certaines façons de faire ou pour en élaborer de nouvelles.
Elles se sont développées suite à l’injonction de produire le « bon geste » qui pouvait être déjà celui
pratiqué ou un autre. Dans ce dernier cas, les opérateurs s’entraînent et répètent l’opération prescrite,
et cet entraînement peut s’avérer éprouvant. Dans cette situation, l’expérience sert davantage à réaliser
l’opération prescrite lors de l’entraînement – comment s’y prendre pour apprendre ? –, alors que selon
l’idée initiale de l’entreprise, c’est l’entraînement qui devrait servir à construire des gestes efficients.
Situation 2 : les feuilles d’opérations standards dans un atelier tôlerie
Dans cette deuxième situation, toujours dans la même entreprise, mais dans un atelier tôlerie cette foisci, les opérateurs disposent d’une plus large autonomie. Cependant, celle-ci reste limitée par la mise en
place de feuilles d’opérations standard visant à homogénéiser les pratiques. Même dans cette situation
où les marges de manœuvre sont plutôt réduites pour l’élaboration des gestes, l’expérience des gestes
se manifeste et se développe. À travers la compréhension, ici, de la construction des façons de manipuler
une tôle en lien avec l’expérience de l’opérateur, nous souhaitons montrer son investissement dans la
réalisation de ce geste. Les analyses gestuelles ont été menées à partir d’observations et d’entretiens de
confrontation basés sur des films de l’activité.
La manipulation de la doublure
Sur ce poste, les opérateurs chargent une doublure d’un côté de caisse sur un des trois montages d’un
tourniquet à trois faces. Ils identifient à chaque cycle la sorte de doublure à charger (quatre possibles), grâce
à un afficheur qui indique le type de modèle à assembler. Ils vont chercher la doublure dans un des quatre
containers, la portent et la tournent à bout de bras, tout en marchant vers le tourniquet pour la positionner
dans le sens du montage. Ce denier comporte trois pilotes auxquels les opérateurs font correspondre trois
orifices de la doublure. Les sept opérateurs observés sur ce poste enclenchent la doublure dans le pilote
situé en haut à gauche, puis dans les deux autres. Une fois la doublure placée, l’opérateur charge d’autres
pièces et appuie sur un bouton pour valider le cycle.
Il arrive souvent que le cycle ne s’active pas en raison d’une doublure mal plaquée contre le montage.
Sachant cela, les opérateurs observés développent des façons de faire pour réduire le risque de mal
plaquer une doublure, mais aussi pour faciliter sa mise en place dans le montage. Ils réalisent des modes
opératoires qui leur permettent de réduire le risque de perdre du temps, avec une non-activation du cycle
qui les obligerait à en rechercher la cause et rétablir la situation.
Nous analysons ici les gestes de trois opérateurs âgés de 23, 32 et 35 ans avec respectivement 5, 5 et 15 années
d’ancienneté dans l’usine. On l’a dit, tous commencent par faire correspondre la doublure avec le pilote du
haut à gauche puis ajustent avec les deux autres. Ils nous disent qu’ils choisissent cet ordre pour s’assurer que
la doublure soit bien collée : « Le pilote du haut à gauche et celui du bas sont les principaux ; c’est des aimants,
si la doublure n’est pas bien collée sur ces pilotes et qu’on ne s’en rend pas compte, une lampe clignote et on
vérifie les deux pilotes ». Le pilote du haut à gauche semble être l’élément-clé. Bien enclencher la doublure
dans ces pilotes grâce à des modes opératoires appropriés leur permet de s’assurer du bon positionnement
et d’éviter des ralentissements du flux. D’autres gestes s’associent à ce choix d’ordre, qui sont eux, davantage
propres à chaque opérateur, mais qui ont aussi un objectif commun, de s’assurer que la doublure soit bien
collée. Par exemple, un des opérateurs parmi les sept observés, exerce une légère pression sur la partie
centrale de la doublure avec son genou pour être sûr qu’elle soit bien plaquée et avoir une meilleure maîtrise
de la pièce qui est encombrante. Une fois la doublure chargée sur le montage, d’autres, toujours parmi les
sept opérateurs observés, utilisent leur main gauche en la posant à plat au niveau du pilote gauche en haut,
pour exercer une pression. Les sept opérateurs utilisent aussi des repères visuels pour contrôler la bonne
mise en place de la doublure. Certains regardent systématiquement le pilote du haut à gauche. S’ils le voient
en entier, c’est un bon indice ; mais s’ils ne le voient qu’à moitié, il faut appuyer davantage.
Les opérateurs ont mis en avant l’importance de bien positionner les mains sur la doublure dès le moment
de sa prise sur le container pour la déposer ensuite sur le montage. Ce positionnement contribue aussi au
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« bon collage » de la doublure. Il est source de diversité entre les opérateurs et fait l’objet d’une prescription
dans les fiches mentionnant un seul emplacement possible par diversité de pièces.
Les opérateurs positionnent leurs mains à des endroits précis sur la pièce pour moins se fatiguer (surtout
les bras), pour éviter de se faire mal aux doigts, pour éviter un accident comme la chute de la doublure, et
pour faciliter et assurer le chargement de la pièce. Pour atteindre ces objectifs, ils positionnent leurs mains
de façon à :
• réduire l’écart des bras : «… moi je mets ma main à l’intérieur, je mets pas ma main à l’extérieur. Je
n’écarte pas les bras, disons qu’à la longue de la journée… au point de vue ergonomie, c’est quand même
plus fatigant d’avoir les bras fort écartés » ;
• rechercher l’équilibre de la pièce : « J’ai trouvé l’équilibre des pièces…On prend la pièce, on l’a bien en
main,… elle bouge pas, elle part pas dans tous les sens… » ; « le tout c’est de trouver à prendre la pièce
d’une façon pas fatigante et puis à trouver l’équilibre » ;
• trouver les guides (pilotes) du premier coup « … ben au début, c’est vrai que j’ai eu du mal, la façon de
trouver les pièces, trouver les guides et tout ça, ça c’est ce qui a été le plus dur à faire.
• trouver les guides, ça veut dire quoi ?
• la mettre du premier coup, les pilotes et tout ça. » ;
• éviter de se cogner les doigts : « on la prend d’une certaine façon qui nous convient mais quand on arrive
dans le montage, il y a aussi, il y a toutes sortes de serrages et de pilotes et si la main est mal placée, on
tape la main dans le pilote, donc c’est un risque derrière ; donc à la longue on essaie de trouver une place
pour que quand on met la pièce, c’est dégagé ».
Bien entendu ces objectifs supposent aussi de dégager des possibilités d’autocontrôle, comme l’utilisation
de repères visuels : les guides (pilotes) pour s’assurer du bon chargement de la doublure : « … maintenant
je regarde toujours, je mets d’abord mon premier, je regarde toujours mon premier pilote en haut pour voir
s’il est bien placé pour s’assurer qu’elle soit bien tenue ».
Différents éléments jouent dans le choix d’un positionnement des mains :
• La connaissance de son propre corps, de sa force, de sa morphologie : « on connaît sa force physiquement,
on sait à peu près, même quand on travaille on sait si on est capable de le porter ou pas » ; « on n’est pas
tous de même morphologie… peut-être que lui ça lui va mieux de la prendre comme ça aussi »..
• L’expérience d’un geste qui fatigue, d’un geste perte de temps : « avant je prenais le bras droit en haut et
le bras gauche…au passage de roue…je voyais que c’était « chiant » parce qu’on avait les bras tout écartés
et après j’ai pris ce système là…ça devenait fatigant ».
• La survenue d’un choc ou d’une blessure : « mais après le montage on commence à connaître et c’est là
qu’on commence à… c’est vrai que quand vous vous mettez dans un…dans le montage et que vous vous
cognez les doigts dans un serrage ou un pilote… ça va pas et donc après on commence à regarder… » ;
« c’est toujours avec des petits incidents qui arrivent au fur et à mesure qu’on commence à trouver”.
• La chute des doublures : « … la doublure on croyait qu’elle était mise dedans et en fait elle était mise à
côté puis elle glissait toujours alors du coup… ».
• Un accident arrivé à un collègue : « Ouais parce que F.… malheureusement une fois il a eu la doublure
qui a glissé et il a eu des tendons coupés à son pied. (…) C’est comme des lames de rasoirs, si on les prend
mal… Parce que moi la façon dont je la prends, elle ne peut pas tomber, je la prends par en dessous et sur
le côté tandis que P. quand il la prend, il la prend comme ça (mime), un jour ça va glisser. Comme je fais
au moins on est sûr d’avoir une bonne prise pour pas que la pièce elle glisse puis pour bien la manipuler ».
Les opérateurs utilisent des gants qui au bout d’un moment sont imbibés d’huile qui recouvre les pièces,
le risque au bout d’un moment est que les pièces glissent entre leurs mains.
• La découverte d’une façon de faire d’un collègue qui remet en cause sa pratique : « au début je vais
chercher quand même à moins me fatiguer et si jamais ça marche pas ma tactique, je regarde par rapport
à d’autres » ; «(par rapport à son changement de positionnement des mains)… en copiant je crois… je
crois que c’était XXX qui devait le faire, eux ils sont déjà plus petits que nous donc… ils ont déjà les
premiers gestes tout de suite eux » ; « on s’est vu comment on prenait (la doublure) quoi et c’est comme
ça que c’est venu quoi ».
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• L’expérience professionnelle, au sens de parcours : il s’agit de métiers antérieurs, en l’occurrence celui
de déménageur, activité qui a permis à un opérateur de transférer certains conseils quant aux ports de
charges : « ils m’ont donné des bons conseils pour pas avoir mal au dos et tout ça » tels que :
-- éviter de chercher le gros effort tout de suite ;
-- « si on porte une charge et puis qu’on se courbe, tôt ou tard on se casse les reins, on peut avoir un
claquage, et des hernies peuvent se mettre entre deux vertèbres et puis le corps lâche et ben ça fait
mal » ;
-- répartir la force en fonction de la charge à porter : « Ils répartissent mal leur force », précise un
opérateur au sujet de la façon de porter la doublure, parce qu’il pense qu’il faut répartir la force dans
le corps quand il y a beaucoup d’effort à faire, mais qu’il ne faut pas la répartir quand il n’y a que peu
d’effort. Il évalue la charge de la doublure comme légère.
Dans cette situation, les marges de manœuvre pour la diversité des gestes existent mais sont restreintes.
Le travail est répétitif et la production organisée en flux tendu. L’organisation du travail offre peu de
place au contrôle de l’opérateur sur sa situation. La mise en place des fiches renforce cette volonté de
réduire la diversité des pratiques sur les postes de travail. Cependant, nos observations montrent que
même fortement contrainte, la diversité gestuelle perdure. Les fiches prescrivant un seul « bon geste »,
ne sont pas respectées (si ce n’est lors des audits). Les opérateurs manifestent leur autonomie car la
hiérarchie de proximité jugerait contre-productif d’exercer un contrôle scrupuleux du respect des fiches.
Nos analyses montrent qu’il y a élaboration des gestes. L’expérience sert, dans ce contexte, à maintenir
son activité en atténuant les douleurs, la fatigue. La répétitivité de l’action conduit l’opérateur à réfléchir, à
créer des stratégies gestuelles pour augmenter son champ des modalités possibles d’action, dans lequel
la protection de la santé prend une place importante. Dans ce contexte de marges de manœuvre réduites,
les pratiques réflexives sur l’élaboration des gestes portent majoritairement sur la préservation de la
santé, l’atténuation de la douleur et de l’usure. Mais leur mise en œuvre n’a lieu qu’à certains moments.
En effet, nous avons constaté des entraves à la construction des gestes et à la réflexion sur la pratique.
En particulier, les contraintes de rythme laissent peu d’occasions de « faire autrement », de rechercher
d’autres gestes. Cette dépendance empêche la mise en œuvre de certains principes de base relatifs à
l’atténuation de la douleur comme « répartir la force dans tout le corps » et « rechercher divers points
d’appui ». Cela génère d’une part, des douleurs et des fatigues musculaires notamment dans les bras et,
d’autre part, de l’énervement et de la démotivation parce que l’opérateur a conscience de se faire mal et
qu’il n’a pas d’emprise sur sa façon d’agir.
Discussion : l’impossible transcription des gestes dans les procédures
Ce travail contribue à remettre en cause les outils prescripteurs dans leur conception. Ils sont éloignés de
la réalité du travail, car il s’agit de situations de travail où l’articulation entre les connaissances générales
(scientifiques, technologiques, organisationnelles) détenues notamment par les organisateurs du travail
qui permettent d’anticiper les situations de travail par le calcul (qui conduisent à la conception des outils
prescripteurs en question) et les connaissances spécifiques, c’est-à-dire les compétences (notamment
gestuelles) détenues et élaborées par les travailleurs pour faire face dans la réalité du travail, aux aléas,
à la variabilité et prendre soin des situations, est largement déséquilibrée en faveur des connaissances
générales. Autrement dit, le fait que la variabilité, et les ajustements construits par les travailleurs pour
y faire face, soient méconnus ou sous-estimés, conduit classiquement à des difficultés de réalisation du
travail avec des conséquences en termes d’efficacité productive, de qualité et de santé (Daniellou, 2010).
À partir de ce décalage observé dans cette recherche, deux axes peuvent être mis en discussion et en
perspective : le premier concerne le sens de la prescription des gestes et le second, le rôle de la maitrise
de proximité dans ce dispositif prescripteur pour faire remonter les informations de la réalité, autrement
dit les connaissances spécifiques.
Le sens de la prescription des gestes ?
Dans les deux situations les opérateurs résistent en élaborant des gestes de travail parfois en désaccord
avec les procédures prescrites. Mais la question qui demeure est le coût en termes de santé de cette
résistance et la durée pendant laquelle ils pourront encore résister, si au sein de l’entreprise un débat
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sur les marges de manœuvre et le sens de la prescription gestuelle n’a pas lieu. Ce débat s’est enclenché
avec, notamment cette recherche, sur le thème : « où placer le curseur de la prescription ?», en ayant à
l’esprit toute la complexité des gestes mis en œuvre par les opérateurs et exposés suite à nos analyses.
Ce travail a permis de discuter ouvertement des méfaits d’une standardisation à outrance, auprès de
divers interlocuteurs de l’entreprise. Ces réflexions se poursuivent. Une veille attentive d’un certains
nombres d’acteurs — au sein même de l’entreprise, dans le champ de l’ergonomie et de l’ingénierie —
des conséquences des évolutions du travail et de son organisation sur les opérateurs et leur santé est à
l’œuvre.
Ce dispositif prescripteur ne tient guère compte du bien-être de l’opérateur. Il a pour but d’assurer de
meilleures performances en matière de temps de production et de qualité, ce que nous n’avons pas pu
vérifier. Nous avons indiqué quelles modalités de mise en œuvre d’un dispositif de prescription pourraient,
selon nos observations, contribuer, sinon à améliorer la prise en compte des enjeux de santé, au moins à
détériorer le moins possible la situation dans ce domaine. La question qui se pose est de ne pas renforcer
malencontreusement les restrictions à la diversité des modes opératoires possibles et donc :
• de fournir aux prescripteurs les moyens, en temps et en formation, qui leur permettent de comprendre
les causes de diversité dans l’activité des opérateurs sur un même poste, pour respecter, au moins
partiellement et de façon pertinente, cette diversité ;
• de privilégier les prescriptions « justifiées », celles pour lesquelles un enjeu de qualité ou de sécurité est
bien établi et explicable aux opérateurs ;
• de ne pas, dans ce double but, et de façon générale, inciter à la rédaction de fiches détaillées en tous
points, ni ensuite au respect absolu de tous ces points sans référence à leur importance : dans l’usage
des fiches également, une certaine hiérarchisation des obligations semblerait légitime.
Ce travail confirme le rôle actif des opérateurs dans la construction des gestes et permet d’amorcer une
compréhension de leur rationalité dans cette construction. Cette rationalité est propre à chacun, mais
certains résultats constituent une première ébauche dans l’identification de principes sous-jacents aux
gestes, communs à plusieurs opérateurs et transversaux à plusieurs situations (Vézina et al, 1999). La mise à
jour de cette rationalité (celle de l’opérateur) permet de discuter celle de la sur-prescription. En recherchant
les conditions de construction de ces gestes, en particulier ceux qui peuvent être communs aux opérateurs
expérimentés et transversaux d’une situation à l’autre, il deviendrait possible de les « mutualiser » parmi les
opérateurs, et de les enseigner aux moins expérimentés. Considérer ainsi la construction des gestes pourrait
encourager les entreprises à envisager la diversité des procédures comme une ressource pour la prévention
du bien-être voire de la santé au travail, et en particulier celle des TMS. Elles pourraient mieux apprécier
les risques pour la santé que paraît comporter une limitation forcée des procédures, avec le recours à la
standardisation des pratiques centrée sur les techniques de travail. Lors de la restitution de ces résultats
au sein d’un groupe de travail constitué au niveau du site, mais aussi auprès de gestionnaires en direction
centrale, nous avons pu débattre de la notion de « marges de manœuvre », et du degré de prescription des
gestes : « Où placer le curseur de la prescription ? », tout en ayant à l’esprit la complexité des gestes mis en
œuvre par les opérateurs et telle qu’exposée à travers la genèse de certains gestes des tôliers.
Le rôle de la maitrise de proximité dans la prescription des gestes
Une autre partie de notre travail a consisté à réaliser des analyses de l’activité de conception des fiches
d’opérations par les chefs d’équipe qui ont à charge cette tâche. Nous souhaitons mettre en perspective cet
élément qui ne fait pas l’objet directement de cet atelier mais qui, selon nous, contribue à porter la question
de l’action et de la transformation. La question qui peut être posée est de savoir si les chefs d’équipe, au
cœur du dispositif pour concevoir les fiches d’opérations, qui théoriquement partent de l’observation des
opérateurs pour prescrire le meilleur mode opératoire qu’il faut ensuite enseigner et faire respecter à tous
les opérateurs, peuvent constituer des leviers pour faire remonter des éléments de la réalité du travail.
La compréhension de leur activité de travail et de l’activité de conception des fiches met en évidence un
contexte qui ne facilite pas et ne permet pas cette remontée d’informations. Du coup, l’écart entre la réalité
du travail et les outils de gestion se creuse.
Plusieurs éléments explicatifs à ce fait et non exhaustifs : Tout d’abord, les chefs d’équipe font face à des
injonctions descendantes en matière de conception des fiches qui méconnaissent la réalité du travail et qui
ne laissent pas de marge à la maîtrise pour tenir compte et adapter les outils à la réalité. Par exemple, ils
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Session 4
Suite : Les liens entre troubles musculosquelettiques (TMS) et risques psychosociaux (RPS)
n’ont pas le droit de mettre des « ou » dans la rédaction d’un mode opératoire. De même la formation des
chefs à la standardisation du travail est centrée sur cette inculcation à l’esprit de la bonne façon de faire,
l’idée que le bon geste existe… des principes que les chefs ne peuvent pas remettre en cause. Un second
élément qui ne facilite pas la remontée d’information issue de la réalité du terrain relève de la méfiance
des opérateurs à révéler leur savoir-faire. Les opérateurs cachent leur geste, leur truc de métier dès qu’ils
sont observés, par crainte d’une intensification du travail qui se traduirait par un ajout d’opération. Un
dernier élément explicatif concerne la difficulté à mettre en mot les gestes professionnels.
Lors de la restitution, certains acteurs de l’entreprise ont pris conscience de la charge de travail des chefs
d’équipe ; ils ont aussi admis les difficultés à choisir un seul mode opératoire et à arbitrer sur le degré de détail
et de précision dans la formulation de la procédure. Et surtout, ils ont pris connaissance, et pris acte pour
certains, de l’écart entre le prescrit de la standardisation, dans sa conception japonaise, et la réalité de son
application sur le terrain. Cet écart concerne tant la méthode de conception des fiches que les effets escomptés.
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Session 5
Synthèses
Session 5
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Synthèses
Synthèse
7e Congrès international
sur la prévention des troubles
musculosquelettiques liés au travail
(Premus 2010)
Yves Roquelaure
Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie
en santé au travail (Leest, EA 4336)
Université et CHU d’Angers (France)
Annette Leclerc
Institut national de la santé et de la recherche
médicale 1018 (Inserm) (France)
L
e congrès Premus 2010 (Seventh International Scientific Conference on Prevention of Work-Related
Musculoskeletal Disorders) s’est déroulé, après Boston en 2007, à Angers du 29 août au 2 septembre
2010. Il s’agit du principal congrès international sur les TMS qui regroupe tous les trois ans, sous l’égide
de l’International Commission of Occupational Health (ICOH – CIST), les meilleurs spécialistes mondiaux
du sujet (biomécaniciens, physiologistes, épidémiologistes, médecins du travail, ergonomes, préventeurs,
cliniciens, psychologues, sociologues, spécialistes de gestion, etc.). Plus de 650 chercheurs et préventeurs
de 40 pays ont participé à ce congrès scientifique de haut niveau qui tient aussi lieu de forum international
pour les acteurs de la prévention des TMS des membres et du rachis.
Premus 2010 a fait le point sur les connaissances scientifiques les plus récentes, sur la physiopathologie,
l’épidémiologie et la prévention des TMS lors de 22 symposiums, 25 sessions ouvertes et 7 présentations
invitées. Cette année, l’accent a été mis sur les interventions en entreprise et les stratégies de maintien
en emploi et de retour au travail compte tenu des retombées pratiques envisageables en termes de santé
publique et pour les entreprises. Plusieurs membres du groupe de recherche francophone sur les TMS
ont présenté des conférences introductives (Nicole Vézina, François Daniellou) et animé des sessions
thématiques axées sur l’intervention de prévention.
Des mécanismes mieux connus
Les communications ont présenté les avancées sur les mécanismes physiologiques en jeu dans la survenue
du syndrome du canal carpien (David Rempel) et des principaux TMS, ainsi que les mécanismes de la
douleur, de la fatigue musculaire et le rôle du stress dans la survenue des douleurs musculaires. Une
étude américaine a montré, grâce à un modèle animal du syndrome du canal carpien, que la réduction
de l’hypersollicitation réduit les anomalies morphologiques et fonctionnelles des cellules nerveuses.
Cet « essai thérapeutique » chez l’animal apporte une preuve importante de l’efficacité possible des
interventions de prévention. Eira Viikari-Juntera a montré, sur la base des travaux épidémiologiques de
l’Institut finlandais pour la santé au travail (FIOH), le rôle conjoint des facteurs de risque individuels et des
facteurs de risque professionnels de lombalgie. Plusieurs revues de synthèse de la littérature scientifique
ont montré que des facteurs individuels interviennent dans les TMS du cou, des membres supérieurs et du
rachis, mais que la plupart des facteurs modifiables par la prévention sont des facteurs liés aux conditions
de travail. Il s’agit donc de l’axe principal d’action pour prévenir les TMS. Le rôle des facteurs génétiques qui
prédisposent aux TMS a également été discuté lors du congrès. Les effets du travail sur écran et de l’usage
intensif de l’ordinateur ont été rappelés, avec un développement important sur l’usage des « nouvelles
technologies », y compris leur usage par les jeunes et les enfants.
Les TMS, un phénomène mondial
Les communications émanaient de près de 37 pays, ce qui montre la mondialisation du « phénomène
TMS » qui affecte maintenant les pays asiatiques, sud-américain ou maghrébins récemment industrialisés
ou en voie de développement. Citons des travaux portant sur des métiers ou secteurs aussi variés que
l’industrie du vêtement en Indonésie, du tapis en Tunisie, les travailleurs du métro en Corée, les musiciens
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Synthèses
de musique classique au Danemark et les joueurs d’instruments à percussion, les travailleurs de « call
centers » au Brésil, les travailleuses du nettoyage des chambres dans les hôtels américains ou les ouvriers
du conditionnement des crabes au Canada.
Des méthodes et des approches comparables entre pays
Les communications sur l’évaluation des expositions professionnelles de la population permettant une
surveillance adaptée ont montré la convergence des approches, sur le plan de la méthodologie et des
résultats, conduites dans la plupart des pays. L’évaluation des expositions professionnelles et les liens avec
les TMS dans des professions et secteurs particulièrement touchés par les TMS, comme la construction, la
santé, l’industrie textile et l’agriculture, a fait l’objet de présentations montrant que les mêmes métiers et
les mêmes expositions sont « causes » de TMS dans différents pays. Premus 2010 confirme la dimension
mondiale des TMS et la convergence des approches préventives.
Des stratégies d’intervention mieux codifiées et mieux évaluées
De nombreuses présentations portaient sur les interventions et les actions susceptibles de réduire les
expositions professionnelles et d’améliorer la santé. Ceci recouvre des « visions » d’ensemble et des bilans
sur « ce qui marche », et aussi des expériences originales, à l’échelle d’une entreprise ou d’un secteur
spécifique, expériences qui pourraient être reproduites ailleurs. Concernant des approches globales ou
synthétiques, Babara Silverstein, s’appuyant à la fois sur l’expérience du comté de Washington (USA) et sur
une connaissance large de ce secteur de recherche, a été invitée à développer une question importante,
« comment passer de la théorie à la pratique », et comment et en quoi les connaissances issues de la
recherche sur les effets des expositions professionnelles se traduisent en actions de prévention. Birgit
Blatter a présenté l’état d’avancement d’un projet européen portant sur l’intérêt et la faisabilité de
modifications de la législation européenne concernant les expositions à des facteurs de risque de TMS ;
d’autres communications portaient sur les stratégies nationales de prévention dans des pays aussi
différents que la Corée, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis. Une conférence invitée (Benjamin Amick,
US) et plusieurs interventions ont été consacrées aux dimensions économiques de la prévention des TMS,
ce qui souligne l’importance croissante des approches de type coût – efficacité de la prévention et, plus
généralement, de l’évaluation des actions de prévention.
Des salariés acteurs de la prévention
Les approches participatives, où les salariés sont aussi les acteurs de la prévention plutôt que de se
voir imposer des « bonnes solutions » par des experts, ont fait l’objet d’une synthèse générale avec la
participation de nombreux chercheurs francophones. Les conférences de Nicole Vezina et François
Daniellou ont montré les liens entre l’organisation du travail et les TMS et l’importance que jouent dans
leur prévention les marges de manœuvre dont pourraient disposer les travailleurs pour faire face aux
contraintes de leur travail. Des expériences assez nombreuses et originales conduites en France et au
Québec ont été positivement accueillies, ce qui souligne la vitalité et la reconnaissance croissante au niveau
international de l’approche organisationnelle et participative des TMS.
Des interventions « à petite échelle » qui peuvent servir de modèles
Concernant des interventions d’ergonomie de correction menées dans des entreprises ou des secteurs
professionnels spécifiques, un congrès tel que Premus est l’occasion, pour de nombreux acteurs de
terrain, de présenter une action « qui marche » ou de réfléchir sur leur bilan, ce qui ne peut qu’encourager
d’autres acteurs de terrain à se lancer dans l’action. Les initiatives sont nombreuses et variées : utilisation
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de chariots adaptables pour la manutention dans le secteur de l’épicerie à Porto Rico, râteau ergonomique
pour le ramassage des myrtilles aux États-Unis, lunettes facilitant le travail des dentistes, prévention
des TMS dans la construction automobile en France, etc. En complément, la question de l’évaluation des
interventions de prévention des TMS en milieu de travail a fait l’objet d’assez nombreuses présentations.
En effet, cette question « ne va pas de soi » car toute intervention n’est pas « automatiquement bénéfique »,
et il est nécessaire de comprendre ce qui fait qu’une intervention marche bien ou non (Fabien Coutarel,
Diane Berthelette), notamment l’implication des différents acteurs dans et autour de l’entreprise (Sandrine
Caroly). Il ressort qu’au fil des années les stratégies d’intervention et d’évaluation s’améliorent et que dans
certains domaines, on « sait ce qu’il faut faire » pour réduire les expositions professionnelles, et « ce qu’il
faut faire » pour qu’une intervention marche bien.
La prise en charge de personnes souffrant de TMS et les conditions favorables au retour au travail ont été
un autre grand thème du congrès Premus, conjointement avec son congrès satellite WDPI consacré à la
prévention et au retour au travail des personnes souffrant de handicap. La conférence invitée de Philippe
Mairiaux a fait le point sur ce que les services de santé au travail peuvent (ou devraient pouvoir) proposer
aux lombalgiques chroniques identifiés dans la population en activité.
Revenir au travail, rester au travail, ne dépend pas que de l’état de santé
Plusieurs revues de synthèse ont montré que les interventions multidimensionnelles, associant
réadaptation et modification des conditions de travail, sont les plus efficaces pour favoriser le retour au
travail des salariés souffrant de TMS ou de lombalgies. Ces actions favorisant le retour précoce au travail
sont de plus en plus fréquentes en Amérique du Nord et en Europe. Les travaux montrent que leur efficacité
ne dépend pas seulement du contenu de la réadaptation et de l’intervention ergonomique, mais aussi de
l’environnement socio-économique et réglementaire. Ainsi, Jean-Baptiste Fassier a évoqué le contexte
institutionnel qui facilite ou non une prise en charge adéquate de lombalgiques chroniques et l’application
en France des modèles de retour thérapeutique au travail mis au point au Québec par Patrick Loisel et des
collègues.
Que la conférence Premus se soit tenue cette année à Angers est une reconnaissance de la qualité
des travaux francophones sur les TMS qui, depuis de nombreuses années, développent une approche
pluridisciplinaire et participative de la recherche et de la prévention des TMS. Ce congrès est une opportunité
pour la prévention des TMS en France, grâce au renforcement des liens des chercheurs et préventeurs
avec des équipes étrangères, la coordination avec des projets internationaux ainsi que les encouragements
à conduire et à faire connaître des expériences locales innovantes.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
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Les outils et méthodes mobilisés
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Normes, législation, outils,
valeurs limites, mesures…
Pour mieux prévenir les TMS ?
Influence de la réglementation,
des normes, des valeurs limites,
des outils, des chiffres…
Pour mieux prévenir les TMS ?
Alain Piette
Service public fédéral Emploi, travail et concertation sociale
DG Humanisation du travail
Direction de la recherche sur l’amélioration des
conditions de travail (Belgique)
Introduction
A
u cours de ces 20 dernières années, la problématique des troubles musculosquelettiques (TMS) a
continué à se développer dans les entreprises. Les résultats récents de la dernière enquête sur
les conditions de travail en Europe (Eurofound, 2010) montrent que les travailleurs sont exposés
en nombre très important et croissant à des contraintes physiques : pendant plus d’un quart du temps de
travail, 63% sont exposés à des mouvements répétitifs des mains et des bras (pour 56% en 2000 et 62% en
2005), 47% sont exposés à des postures fatigantes et douloureuses, 33% portent des charges lourdes et
23% sont exposés à des vibrations.
La publication des résultats complets est en cours au niveau de l’Europe mais les données brutes
disponibles pour la Belgique montrent que 44% des 4000 travailleurs belges ont eu des maux de dos
durant les 12 derniers mois, 40% des douleurs musculaires dans les membres supérieurs et 27% dans les
membres inférieurs.
Vu l’évolution des TMS et leur importance, il n’est donc pas étonnant que la Commission européenne ait
inscrit dans sa stratégie communautaire 2007-2012 la prévention des TMS tout comme celle des risques
psychosociaux (RPS) parmi les principaux défis en matière de santé et de sécurité au travail. En parallèle,
les trois premiers objectifs en matière de stratégie concernent la législation. Ils se déclinent ainsi : garantir
la bonne mise en œuvre de la législation de l’UE, soutenir les PME dans la mise en œuvre de la législation
en vigueur ; adapter le cadre juridique à l’évolution du monde du travail et le simplifier, en ayant notamment
à l’esprit les PME.
La stratégie communautaire insiste également sur le coût économique en matière de santé et de sécurité
qui inhibe la croissance économique et affecte la compétitivité des entreprises.
Confrontés à l’importance de ces problèmes de TMS mais aussi de RPS, les décideurs de l’entreprise
recherchent des solutions ”toutes faites” et se tournent en premier lieu vers la législation pour d’une part,
vérifier qu’ils respectent bien leurs obligations légales et, d’autre part, initier des pistes de solutions.
Ensuite, ils recherchent des outils et des normes pour les aider à faire de la prévention, assortis de critères
et de valeurs limites leur permettant de se situer face à cette problématique. Enfin, ils veulent savoir
jusqu’où aller dans la prévention par rapport à ce que la législation exige.
L’objectif du présent article est de porter un regard critique sur le rôle et l’impact de la NORME au sens
le plus large (législation, normes, procédures, valeurs limites…) sur la prévention des TMS mais aussi
des RPS puisque ces deux problématiques ont de nombreux points communs qui remettent en question la
façon dont la prévention est pensée et organisée dans nos entreprises.
Dans cette réflexion, il faut naturellement englober la discussion sur les méthodes et les outils développés
pour aider les acteurs des entreprises à se mettre en conformité et respecter cette norme. La prise en
compte du rôle des différents acteurs dans l’appropriation de ces outils est primordiale.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le cadre réglementaire : l’analyse des risques
Le cadre réglementaire européen en matière de prévention des risques professionnels se base sur la
directive-cadre du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir
l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Les principes fondamentaux de
celle-ci sont notamment de déterminer la prévention sur la base de l’analyse des risques et de fixer des
objectifs à atteindre par les employeurs et non plus des moyens humains ou méthodologiques à mettre en
place. Cette directive-cadre sert de base à des directives particulières dont celle sur la manutention des
charges (90/269/CE) et celle sur le travail avec écran (90/270/CE) qui composent la base légale en matière
de prévention des TMS dans la plupart des États membres de l’Union Européenne.
Les directives économiques sur la libre circulation des produits ont aussi un impact sur les risques
professionnels. Ainsi, la directive machine 2006/42/CE impose des exigences essentielles de sécurité
de portée générale lors de la conception et de la construction de machines et renvoie le fabricant vers
une multitude de normes harmonisées pour l’aider à faire la preuve de la conformité de sa machine. On
retrouve ainsi plus de 650 normes dont de plus en plus de normes ayant un impact sur les TMS : vibrations,
performances physiques (manutention, postures, forces…).
En marge des discussions et des conférences sur la nouvelle directive machine 2006/42/CE, un groupe
de travail international s’est d’ailleurs constitué pour pallier le manque de communication entre les
ergonomes et les fabricants de machine. Un des objectifs principaux est le développement d’explications
sur les principes ergonomiques repris au point 1.1.6 de l’annexe de la directive, annexe portant sur les
exigences essentielles en matière de santé et de sécurité. Une plateforme d’information et d’échange,
ERGOMACH (www.ergomach.eu), a ainsi vu le jour en 2010.
La réglementation fixe donc des objectifs à atteindre et renvoie régulièrement vers des normes pour aider les
entreprises à les atteindre. Cependant, l’utilisation des normes pose plusieurs problèmes dont le premier est
leur accessibilité. Toutes les normes sont payantes, ce qui est une contrainte importante, notamment pour
les PME. C’est, par exemple, une des principales raisons en Belgique pour lesquelles les partenaires sociaux
émettent des avis négatifs sur des nouveaux textes de loi faisant référence à des normes. Par ailleurs, les
normes ne sont pas compréhensibles par tout un chacun et requièrent souvent l‘appui d’un spécialiste, rarement
présent dans les PME. Mon expérience et les échanges avec mes collègues ergonomes Belges et Européens
confortent l’impression que les normes sont souvent méconnues des spécialistes eux-mêmes et sont donc très
peu utilisées, alors qu’elles contiennent des informations et des outils utiles pour les acteurs de la prévention.
En 2004, la Commission européenne a publié un rapport sur la mise en œuvre de la directive-cadre et de directives
particulières dont la directive sur la manutention des charges (90/269/CE) et la directive sur le travail avec écran
(90/270/CE) mentionnées plus haut. Ce rapport souligne les difficultés à mettre en place la réglementation en
matière de santé et de sécurité dans les PME en raison de certaines caractéristiques dont la forte rotation du
personnel, la variabilité des conditions de travail et une structure organisationnelle informelle impliquant que le
responsable et le gérant prennent en charge tous les aspects de la gestion : ventes, commercialisation, finances,
production, ressources humaines, contrôle des stocks et aussi la santé et la sécurité qui sont fréquemment
perçues davantage comme de coûteuses obligations plutôt que comme des aspects d’une saine gestion.
Contrairement aux grandes entreprises, leur histoire est moins longue et comprend de rares antécédents
en matière d’accidents du travail. Mais si un accident survient, il touche souvent un travailleur qui est un
ami, un parent ou un maillon indispensable au bon fonctionnement de la PME. Cet accident peut donc aussi
compromettre la survie même de l’entreprise.
Ces caractéristiques des PME expliquent que l’analyse des risques y est peu réalisée : elle concerne
seulement 25% des entreprises en Belgique et en France. Il existe donc une énorme différence entre la
théorie (cadre et structures légales) et la pratique du terrain.
Dans ce même rapport de 2004 de la CE, des propositions ont été émises pour aider les entreprises et
notamment les PME : simplifier la législation (directives obsolètes), mieux faire appliquer les directives
dans les PME, donner accès à l’information et à une aide aux employeurs et aux travailleurs, faciliter
l’accès (coût) et la collaboration avec les services de prévention externes, mettre en place une stratégie
de prévention efficace avec la participation de tous et notamment des travailleurs, intégrer la gestion de la
santé et de la sécurité dans la gestion globale des entreprises.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Une nouvelle directive européenne sur les TMS ?
Dans le cadre de la simplification de la législation européenne, la Commission européenne souhaite
élaborer une nouvelle directive TMS qui engloberait les directives « manutention manuelle » et « travail
sur écran » déjà citées. Le débat de l’impact de la réglementation sur la prévention des TMS est donc bien
d’actualité.
À la suite des résultats de l’étude d’impact demandée par la Commission européenne (TNO rapport 2009),
celle-ci a réuni en 2009 un groupe tripartite avec des représentants des employeurs, des travailleurs et
des gouvernements et un groupe d’experts. Ces deux groupes se sont rencontrés plusieurs fois pour aider
la Commission européenne à développer un projet de directive qui a été soumis au comité consultatif pour
la sécurité et la santé au travail fin 2009. Le comité a demandé à la Commission européenne de poursuivre
ses travaux. En 2011, une seconde étude d’impact sera menée et les deux groupes se sont à nouveau
réunis. Au-delà du développement de cette nouvelle directive, les discussions au sein de ces deux groupes
montrent, au travers des divergences entre experts, toute la difficulté mais aussi l’ampleur du travail à
accomplir pour mener à bien une prévention efficace des TMS. Alors que tous les experts ont le même
objectif de réduire les TMS, les modalités proposées pour y parvenir, notamment au moyen d’un nouveau
texte législatif, sont multiples et souvent contradictoires.
C’est pourtant de cette diversité et de la richesse des débats que la réflexion doit se nourrir pour proposer
des pistes de prévention.
Voici quelques éléments de réflexion abordés dans le cadre de cette nouvelle directive :
• La simplification législative ne signifie pas seulement la fusion de deux directives mais doit aussi se
traduire par des définitions précises, une structure limpide et une clarification des dispositions.
• Beaucoup d’acteurs, internes ou externes à l’entreprise, spécialistes ou non en matière de prévention,
parlent d’ergonomie mais avec des définitions ou une prise en compte qui différent d’un État membre à
l’autre. Pour les Pays anglo-saxons du nord de l’Europe, l’ergonomie concerne plutôt la prise en compte
des dimensions physiques et de la manutention des charges dans l’adaptation d’un poste de travail. Pour
les Pays francophones et du sud de l’Europe, l’ergonomie est plus axée sur les aspects cognitifs et
l’organisation du travail. En Belgique, on retrouve cette distinction entre le nord et le sud du Pays. Or
l’ergonomie est bien l’adaptation de toutes les composantes du travail (physiques, cognitives,
organisationnelles) au travailleur. Et pour une prévention efficace des TMS, seule une approche
ergonomique globale, participative et structurée peut être réellement efficace. Les annexes 1 et 2 du
projet de directive traduisent très bien cette approche. Il est donc important de ne plus parler de ”risques
ergonomiques” qui n’ont pas de sens au regard de la définition de l’ergonomie et de réserver le terme
« ergonomique » à la démarche de prévention. C’est la raison pour laquelle la nouvelle directive TMS
aura un titre en lien avec les TMS et non avec les risques ergonomiques comme proposé au départ.
• Cette vision globale de la prévention des TMS entraîne logiquement la prise en compte notamment des
risques psychosociaux qui jouent un rôle important dans l’apparition, le développement et le passage à
la chronicité des TMS. Mais cela explique aussi les réticences du groupe d’intérêt « employeur ». Aucune
directive sur les facteurs psychosociaux ne figure à l’agenda et seul un accord-cadre européen sur le
stress et le harcèlement moral a été conclu. Les employeurs craignent donc qu’on ne fasse entrer, via la
directive TMS, des facteurs de risque psychosociaux qui n’ont pas été introduits dans la législation par
ailleurs.
• Il existe une forte demande des entreprises et notamment des PME pour disposer d’un outil ou d’une
méthode leur permettant de réaliser l’analyse des risques de TMS. Initialement, la Commission
européenne a voulu imposer une analyse des risques à deux niveaux, dont une simplifiée pour d’abord
dépister les entreprises à risque de TMS. Elle souhaitait aussi développer avec le groupe d’experts un
outil européen pour ce dépistage qui aurait figuré dans une annexe de la future directive. Ces deux projets
d’analyse simplifiée et d’outil imposé par la législation ont rapidement été abandonnés pour les raisons
suivantes :
-- que signifie réellement, et notamment au niveau juridique, une analyse des risques simplifiée par
rapport à une analyse complète ?
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
-- imposer un outil européen revient à « tuer » tous les outils développés dans tous les États membres
car les entreprises voudront utiliser le seul outil repris dans la directive de façon à être en conformité
avec la loi. Une tendance semblable s’est dessinée lorsque les inspecteurs du travail ont mené des
campagnes de prévention des TMS dans les entreprises avec leur outil européen. Pour être en ordre
avec l’inspection et donc la législation, les entreprises ont voulu utiliser cet outil européen avec
lequel elles avaient été inspectées. Mais un outil d’inspection n’est pas forcément l’outil dont a besoin
l’entreprise pour réaliser son analyse des risques et surtout pour rechercher et mettre en place des
mesures de prévention ;
-- proposer un outil européen unique ne constitue pas une réponse adéquate pour les entreprises qui ont
plutôt besoin, pour lutter contre les TMS, d’un ensemble d’outils adaptés notamment à la culture de
prévention du pays, à la taille de l’entreprise et au secteur d’activité de celle-ci. Tous ces outils doivent
aider à mettre en place une véritable démarche ergonomique en s’intégrant dans une réelle stratégie
de prévention des TMS à long terme. C’est ainsi qu’il existe des outils pour dépister les facteurs de
risque (check-lists), des outils pour évaluer l’ampleur des conséquences (questionnaires), des outils
pour rechercher des solutions, avec la participation des travailleurs… ;
-- lorsqu’une check-list de dépistage des TMS a été proposée, très rapidement, tous les autres experts
ont indiqué que tous les travailleurs étaient concernés par les critères de cette check-list, compte
tenu de l’origine multifactorielle des TMS. Il a donc été conclu qu’il était inutile de vouloir dépister les
travailleurs à risque compte tenu de l’ubiquité du risque de TMS.
• Il a été admis que des valeurs limites ne feraient pas partie de la directive proposée, étant donné qu’il
n’existe aucun consensus sur les valeurs limites pour les facteurs de risque des TMS. Le problème de la
valeur limite, par exemple dans la manutention de charge, est que le poids de la charge, même s’il est
très important, n’est pas le seul critère à prendre en compte pour évaluer le risque pour la santé du
travailleur. La norme internationale ISO 11228-1 relative à la manutention manuelle de charge spécifie
ainsi des valeurs limites en fonction de la fréquence de manutention par minute et en fonction de la durée
de la manutention. Ces valeurs limites varient de 5 à 25 kg. Par conséquent, il s’avère difficile d’imposer
des valeurs limites absolues qui laisseraient entendre, à tort, que par exemple en dessous de 25kg, tout
est en ordre et qu’aucune prévention n’est nécessaire. Il convient donc que chaque employeur prenne des
mesures de prévention en fonction de l’analyse des risques auxquels sont exposés ses travailleurs.
Cependant, l’absence de valeurs limites peut rendre plus difficile la gestion du risque de TMS par les
acteurs de la prévention. En matière de bruit ou de vibrations, des valeurs limites claires ont été définies et
permettent à l’employeur d’évaluer sa situation par rapport aux exigences législatives, à partir de mesures
d’exposition. De même, l’inspecteur peut contrôler plus facilement la conformité de l’entreprise vis-à-vis
de la loi et le dialogue social avec les représentants des travailleurs peut être arbitré sur la base de ces
valeurs limites. Bien entendu, il faut tenir compte du coût des mesurages, du faible nombre de spécialistes
disponibles, de la représentativité de ces mesurages en marge de l’évolution et de la fluctuation des
conditions de travail et d’exposition…Trop souvent l’entreprise passe plus de temps et dépense plus de
moyens humains et financiers pour la mesure que pour la recherche et la mise en place d’actions améliorant
les conditions de travail.
Des outils mais dans quel but ?
Que ce soit par obligation réglementaire ou dans le but d’agir efficacement pour prévenir les TMS dans
l’entreprise, l’employeur et les acteurs de la prévention sont demandeurs d’outils, ou plutôt d’un outil
simple et rapide à mettre en œuvre. Mais il n’existe pas d’outil miracle unique permettant de lutter contre
les TMS ; une panoplie d’outils est disponible avec des objectifs, des intérêts et des limites propres à
chacun.
A la fin des années 1990, les entreprises sensibilisées à la problématique des TMS ont voulu agir et se sont
tournées vers le monde scientifique et sa littérature pour trouver des outils. Ainsi, elles ont commencé par
des outils utilisés dans des recherches épidémiologiques. On peut comprendre, pour un scientifique, toute
l’importance de mesurer finement l’exposition aux facteurs de risque et de les mettre en relation avec les
effets sur la santé du travailleur et celle de l’entreprise. Mais après identification des facteurs de risque,
il n’est plus nécessaire à chaque entreprise de prouver ces relations. L’entreprise a besoin de méthodes
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
et d’outils qui lui permettent d’identifier les facteurs de risque présents dans son propre contexte et de
déterminer les moyens à mettre en œuvre pour les éviter ou en réduire l’exposition. Bien entendu, les
études scientifiques sont indispensables au développement de telles méthodes. La littérature sur les TMS
est suffisamment abondante à ce sujet pour permettre l’action sur le terrain.
A nouveau, l’analogie pourrait être faite avec la prévention des RPS qui conduit de nombreuses entreprises
à se lancer dans de longues enquêtes par questionnaire pour déterminer les causes et les effets. Après
un ou deux ans d’enquête, lorsque les résultats sont présentés à l’entreprise, à l’employeur, à la ligne
hiérarchique, aux représentants des travailleurs, au comité de prévention, aux acteurs de la prévention, la
première remarque émise est du type : « on savait bien que des gens souffraient et on savait aussi quelles
en étaient les causes, ce qu’on veut savoir c’est que faire pour lutter contre ».
Il serait trop long ici de citer ou de décrire les nombreux outils existants en matière de prévention des TMS.
Pour plus d’informations, les documents de synthèse suivants peuvent être consultés :
• Inventory of Tools for Ergonomic Evaluation, Patrick Neumann
• http://www.ttl.fi/en/ergonomics/methods/workload_exposure_methods/Pages/default.aspx
• Systematic evaluation of observational methods assessing biomechanical exposures at work, by Takala
et al (2010)
• Piette A. (2000), Validation d’une stratégie de prévention en 4 niveaux des troubles musculosquelettiques
(TMS) du membre supérieur et de la nuque
• INRS (2000), Méthode de prévention des troubles musculosquelettiques du membre supérieur et outils
simples
• SLIC en 2008, campagne européenne d’inspection et d’information sur la manutention manuelle de
charges, http://www.handlingloads.eu/fr/site/
• Anon, (2008), MSD Prevention Toolbox
• …
Face aux très nombreux outils disponibles, les utilisateurs potentiels doivent tout d’abord se poser certaines
questions avant de choisir le ou plus probablement les outils qui pourront les aider dans leur lutte sur le
terrain contre les TMS :
• Quel est l’objectif de leur intervention ? Autrement dit, à quel usage destinent-ils leurs outils ou méthodes ?
-- pour évaluer le risque. Dans ce cas, il faut tenir compte du fait que le risque est défini par la probabilité
de survenue d’un effet, variable en fonction de l’exposition au facteur de risque (ou danger) ;
-- pour montrer l’importance du problème, en évaluant par exemple la prévalence des TMS par un
questionnaire ou un examen clinique comportant des tests spécifiques ;
-- pour évaluer l’exposition à un ou des facteur(s) de risque, par exemple par des mesurages
biomécaniques ;
-- pour trouver des solutions, par exemple par une méthode axée sur la prévention, avec la participation
des personnes de l’entreprise ;
-- pour vérifier l’efficacité de la gestion des risques mise en place, par exemple par un audit interne ou externe.
• Combien de temps cela va-t-il prendre ?
• L’entreprise possède-t-elle en interne ou en externe les compétences nécessaires pour l’utilisation
adéquate de l’outil ? Autrement dit, qui seront les utilisateurs de l’outil ?
• Quel en sera le coût financier, mais aussi en termes de ressources temporelles ?
• Dans quelle mesure les résultats de l’outil permettront-ils d’améliorer la situation de travail, et comment les évaluer ?
• L’outil est-il validé et sur quels critères ? Il est important de préciser que si le terme « validé » est associé à un
outil, pour l’utilisateur du terrain, cela signifie que l’outil mesure effectivement ce qu’il est censé mesurer,
qu’il est applicable à différents contextes, avec des résultats reproductibles qui peuvent être comparés à
d’autres données issues d’un recueil avec le même outil. Mais si la validation d’un questionnaire ou d’un outil
de mesurage d’une exposition est bien balisée, il est par contre plus difficile de valider un outil de prévention.
Les critères de validité suivants devraient être pris en compte pour les méthodes de prévention :
-- validité en termes d’objectifs : la méthode doit permettre effectivement de déterminer les mesures de
prévention de TMS ;
-- validité de construction : l’hypothèse de base est que les facteurs de risque sont connus et toute
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
amélioration de ces facteurs diminuera le risque ;
-- validité interne : simplicité, clarté, forme de la méthode, information, aides ;
-- validité externe : la méthode doit pouvoir être utilisée quelle que soit la situation de travail rencontrée.
En se posant toutes ces questions, les acteurs de la prévention jouent un rôle important dans le choix de
l’outil qui va leur permettre de réaliser au mieux leur mission. Plutôt que d’imposer un outil, il est vital
que les acteurs du terrain s’approprient ces outils en les adaptant aux spécificités du secteur d’activité, de
l’entreprise, du métier, avec l’adhésion de tous les partenaires (employeur, travailleurs, ligne hiérarchique,
conseiller en prévention interne et ou externe…) pour en assurer l’appropriation par l’entreprise.
Conclusion : vers une nouvelle approche de la prévention des risques professionnels ?
La prévention des risques dits « classiques » (sécurité, agents physiques, incendie, électricité…) a suivi
par le passé et suit encore de nos jours un schéma assez traditionnel que l’on peut résumer comme
suit : identification des risques et des facteurs de risque, évaluation de l’exposition par des mesurages,
comparaison aux valeurs limites reprises dans la réglementation et, si dépassement de ces valeurs limites,
recherche et mise en œuvre d’actions de prévention.
L’entreprise va donc investir durant un temps limité pour supprimer ou réduire ces risques et se conformer
à la législation. Souvent, elle confie ces actions de prévention à des spécialistes internes et / ou externes.
Quel que soit le risque considéré, cette démarche est difficile à mettre en pratique, notamment dans les
PME, car le mesurage de l’exposition aux facteurs de risque présents nécessite de disposer à la fois des
outils et des personnes compétentes. Ces mesurages ont un coût financier important et ne peuvent pas
être généralisés à toutes les entreprises en raison du trop faible nombre de spécialistes.
Cette vision selon laquelle la prévention doit d’abord passer par des mesurages, ”mesurer c’est savoir”,
est donc fort limitative et soulève de nombreuses difficultés concernant les PME, particulièrement en
ce qui concerne les risques émergents que sont les troubles musculosquelettiques (TMS) et les risques
psychosociaux (RPS) :
• Les mesurages peuvent s’avérer plus coûteux pour ces risques que pour d’autres dits classiques, du fait
de leur origine multifactorielle, et nécessiter beaucoup de temps avant d’en obtenir des résultats.
• Il n’existe pas une valeur limite unique de référence prenant en compte les multiples facteurs de risque
à l’origine des troubles. Une fois qu’on a les résultats des mesurages, il est donc difficile de comparer et
de déterminer si l’on respecte la législation ou non. Que veut donc dire « être en ordre avec la loi » pour
ces risques émergents ?
• Il ne sera jamais possible de se reposer entièrement sur un spécialiste interne ou externe pour résoudre
les problèmes à la place de l’entreprise. Il est utopique de croire qu’un conseiller en prévention, ergonome
ou en charge des aspects psychosociaux, puisse passer quelques jours voire quelques semaines dans
l’entreprise et résolve une fois pour toutes tous les problèmes de l’entreprise en ce qui concerne les TMS
ou les RPS.
• L’effet de la prévention est peu visible à court terme pour l’entreprise. La personne souffrant de TMS ou
en état de détresse psychologique peut continuer à souffrir même en l’absence de facteurs de risque. Il
faudra un certain temps pour la réhabilitation si celle-ci est encore possible.
• L’effet de l’absence de prévention est aussi moins visible car elle se traduit le plus souvent par un
absentéisme augmentant de manière constante et régulière. Les conséquences économiques sont aussi
moins visibles pour l’entreprise elle-même qui n’est pas toujours consciente des coûts importants que
ces problèmes engendrent (absentéisme, présentéisme, coût direct mais surtout indirect du
remplacement des travailleurs absents, rotation du personnel…).
Par rapport à la difficulté que représente une analyse des risques pour toute entreprise mais aussi la prise
en compte de ces risques émergents (TMS et RPS), il est logique que les PME demandent comment faire et
cherchent des outils simples pour le faire.
Mais les réponses apportées sont souvent inappropriées car basées sur ce qui est fait dans des grandes
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
entreprises. Ainsi la sensibilisation des acteurs du terrain, la formation des spécialistes, le développement
des outils et des normes suivent ce schéma classique de prévention ; par exemple, on essayera de former
des non spécialistes à utiliser des méthodes de mesurage des facteurs biomécaniques pour intervenir dans
un premier temps dans leur entreprise. On passera beaucoup plus de temps à former un spécialiste à bien
mesurer et beaucoup moins à le former et à rechercher des solutions techniques. On établira des normes
et des valeurs limites, par exemple en vibrations, mais pour lesquelles il existe très peu de spécialistes
capables de les utiliser.
Dans cette vision traditionnelle de la prévention, les connaissances pratiques qu’ont les acteurs de
l’entreprise sont trop souvent négligées, notamment celles des travailleurs sur leurs propres conditions
de travail. Sans l’utilisation de ces connaissances, toute prévention ne peut être efficace et ne peut être
durable dans l’entreprise. Par exemple, après une action ponctuelle d’un spécialiste pour un problème de
sécurité, l’entreprise peut considérer qu’elle a résolu ce problème. Mais si personne en interne ne le gère, à
moyen ou à long terme, ce problème va ressurgir. C’est particulièrement vrai en ce qui concerne les TMS et
les RPS, pour lesquels une prévention durable est la seule solution envisageable. Dans cette perspective,
il est indispensable que la prévention soit totalement intégrée dans la gestion quotidienne de l’entreprise
grâce à la participation aussi bien des travailleurs que de la ligne hiérarchique, et à l’intégration à d’autres
projets de l’entreprise.
En Belgique, nous sommes parmi les premiers pays de l’Europe à s’être préoccupé des RPS et
sommes souvent cités en exemple avec notamment la notion de « Bien-être au travail » qui reprend la
charge psychosociale et une réglementation forte sur les conflits (violence, harcèlement…). Depuis
le début des années 2000, de nombreux outils ont été développés et sont disponibles sur notre site
www.respectautravail.be
Mais en ce qui concerne la prévention des RPS dans les entreprises, nous n’en sommes cependant qu’au
tout début pour toutes les raisons citées ci-dessus et dont la principale est que les entreprises essayent
d’appliquer tel quel le modèle de prévention traditionnel qu’elles appliquent toujours en matière de sécurité.
Pour lutter efficacement contre les TMS et les RPS mais aussi les risques dits classiques, la prévention doit
être intégrée au quotidien dans la vie de l’entreprise. Elle doit débuter et perdurer grâce aux connaissances
qu’ont les personnes de l’entreprise et de leurs conditions de travail. Enfin, elle doit se baser sur une
démarche globale de prévention de tous les risques dans le but d’adapter au mieux toutes les conditions de
travail aux travailleurs.
On retrouve ici toute la définition encore trop méconnue de l’ergonomie qui, sur la base de la connaissance
de l’activité du travail, a pour but d’adapter les conditions de travail pour un meilleur bien-être du travailleur
mais aussi pour un travail de meilleure qualité et réalisé de manière plus efficace.
C’est à ce modèle de prévention, basé sur une démarche ergonomique, qu’il est important de sensibiliser
toutes les entreprises, et en particulier les PME, car ce modèle est le seul efficace à long terme tout en
permettant de répondre aussi, en partie, au problème du manque de temps, de moyens financiers et de
spécialistes.
L’objectif de cet article n’était pas d’apporter des réponses toutes faites face à la problématique de la
NORME et de son utilisation. Il était surtout de faire réfléchir, au travers de différents points, tous les
acteurs de la prévention, spécialistes ou non, aux difficultés et aux limites de cette NORME dont l’influence
peut être décisive sur la prévention ou la non prévention des TMS et des RPS dans l’entreprise.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Bibliographie
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Parlement Européen, au Conseil, au Comité Economique et Social Européen et au Comité des Régions relative
à la mise en œuvre pratique des dispositions des directives sur la santé et la sécurité au travail n° 89/391
(directive cadre), 89/654 (lieux de travail), 89/655 (équipements de travail), 89/656 (équipements de protection
individuelle), 90/269 (manutention manuelle de charges) et 90/270 (équipements à écran de visualisation).
Commission des Communautés Européennes, COM (2007) 62 final, Améliorer la qualité et la productivité
au travail : stratégie communautaire 2007-2012 pour la santé et la sécurité au travail.
Directive 2006/42/CE du Parlement Européen et du Conseil du 17 mai 2006 relative aux machines et
modifiant la directive 95/16/CE (refonte), Journal officiel n° L157/24 du 09/06/2006.
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l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, Journal officiel L 183 du 29.06.1989.
Directive 90/269/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et
de santé relatives à la manutention manuelle de charges comportant des risques, notamment dorsolombaires, pour les travailleurs, Journal officiel n° L 156 du 21/06/1990 p. 0009 – 0013.
Directive 90/270/CEE du Conseil, du 29 mai 1990, concernant les prescriptions minimales de sécurité et
de santé relatives au travail sur des équipements à écran de visualisation, Journal officiel n° L 156 du
21/06/1990 p. 0014 – 0018.
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2000.
ISO 11228-1 :2003 Ergonomie — Manutention manuelle — Partie 1 : Manutention verticale et manutention
horizontale, International Organization for Standardization, Zurich, 2003
Neumann P. (2010), Inventory of Tools for Ergonomic Evaluation, http://www.ttl.fi/en/ergonomics/methods/
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Doit-on parler d’outil
ou de démarche ?
Pas de prévention des TMS
sans une réinterrogation
des hypothèses managériales
François Daniellou
École nationale supérieure de cognitique (ENSC),
Institut national polytechnique de Bordeaux
(France)
L
ors du congrès de Montréal, en 2008, nous rappelions que toute situation de travail dépend des formes
de la confrontation entre :
• des connaissances générales, qui servent à anticiper ce qui va s’y passer et à fournir les ressources
correspondantes ;
• des connaissances d’expériences, individuelles et collectives, qui permettent de gérer les écarts entre ce
que l’organisation a anticipé et ce qui se passe réellement.
Depuis, les ergonomes ont dû faire face :
• d’une part, au déferlement des « risques psychosociaux » qu’ils ont attribué à l’absence de possibilité de
débat entre le travail bien fait vu par l’opérateur, et la vision de la qualité portée par l’organisation, et à
l’intériorisation par les salariés des contradictions non débattues ;
• d’autre part, au renforcement du recours aux organisations représentant des variantes de la « lean
production » instaurée par Toyota.
Ces organisations « lean », dans la version constatée en France, comportent un caractère contradictoire,
dans la mesure où :
• d’une part, elles développent un discours sur l’intelligence ouvrière et la nécessité de l’associer aux
réflexions d’amélioration continue ;
• d’autre part, elles se structurent comme des perfectionnements du taylorisme.
Force est de constater que cette situation contribue au développement des TMS, mais divise la communauté
des intervenants.
Sur cet arrière-fond idéologique et managérial, il importe de recentrer la prévention des TMS sur les acquis
suivants :
• le travail implique une mobilisation subjective compétente, le développement d’un geste professionnel
dont l’opérateur soit largement l’auteur ;
• on ne peut pas baser une organisation performante sur le fait de diminuer la compétence de contributeur
de chaque opérateur ;
• cette contribution peut prendre des formes différentes, le « bricolage tacite contre les limites de
l’organisation » n’étant évidemment pas la seule : on peut chercher à réduire la variabilité incidentelle, à
condition que les opérateurs puissent constamment exercer leur intelligence dans la détection de
l’adaptation/inadaptation de ce qui est produit ou de la manière de produire, en termes d’effets sur les
personnes (soi-même, clients, collègues…), qu’ils aient la possibilité d’en débattre et d’influencer les
changements ;
• on ne peut pas raisonner seulement sur la performance instantanée, il importe de comprendre toutes les
formes de coûts induits ;
• il y a nécessité de développer une culture de la contradiction normale et du débat.
Ce contexte conduit à renforcer l’enjeu de situer les interventions de prévention des TMS au niveau du
questionnement sur les formes de rencontres et de débats entre les différentes formes de connaissances
et d’initiatives nécessaires au fonctionnement de l’entreprise.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Atelier 6
Réglementation et directives
sont-elles des leviers de prévention ?
Alain Piette
Service public fédéral emploi, travail et concertation sociale (Belgique)
Nicolas Hatzfeld
Université d’Evry (France)
L
’objectif de cet atelier est d’examiner les rapports entre les acteurs de la prévention et les règles et
normes qui encadrent leur action. Des rapports seront examinés dans des cadres nationaux, en visant
à comparer certains systèmes appartenant à des espaces régionaux distincts (Europe, Amérique
du nord, Maghreb). Ils seront également vus à l’échelle européenne. Dans ces différents espaces de
réglementation, il s’agira d’examiner l’intervention de multiples acteurs dans l’élaboration des règles
et leur point de vue sur ces processus d’élaboration. L’atelier étudiera également leur mise en œuvre,
notamment les façons distinctes dont les entreprises, les syndicats de salariés ou les fonctionnaires
chargés de la mise en œuvre se saisissent de ces normes et règles, les adaptent ou les esquivent.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Vers un nouveau cadre réglementaire
au niveau européen.
L’initiative de la Commission
en matière d’ergonomie et de
troubles musculosquelettiques
d’origine professionnelle :
état de lieu et discussion
ntonio Cammarota
A
European Commission, DG EMPL/F4,
OSH Committees and International Relations
EUFO (Luxembourg)
L
es problèmes ergonomiques, et en particulier les troubles musculosquelettiques d’origine
professionnelle, constituent l’un des principaux problèmes de sécurité et de santé rencontrés
aujourd’hui dans l’Union européenne. Ils sont de loin le problème de santé lié au travail le plus fréquent
et représentent un coût très élevé pour les entreprises et les sociétés européennes en général.
D’ailleurs, la nécessité de combattre les risques ergonomiques gagne en acuité dans un scénario où
les changements démographiques sont destinés à accroître le nombre de travailleurs âgés dans l’UE.
L’allongement de la vie active et l’augmentation du taux de participation des travailleurs âgés au processus
de production constituent des défis essentiels, dans le contexte de la nouvelle stratégie européenne 2020. Il
convient, par conséquent, d’affiner le principe de l’adaptation du travail à l’individu et de prendre davantage
en considération les risques ergonomiques.
La Commission travaille depuis un certain nombre d’années à une nouvelle initiative en matière d’ergonomie
et de prévention des troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle. Cette initiative pourrait
être finalisée en 2011 par l’adoption de la part du Collège d’une proposition de nouvelle directive sur les
prescriptions minimales de sécurité et de santé relatives à l’ergonomie au travail, particulièrement en vue
de la prévention des troubles musculosquelettiques d’origine professionnelle et des problèmes visuels liés
à l’utilisation des écrans de visualisation sur le lieu de travail.
Cette nouvelle initiative législative devrait prendre la forme d’une directive particulière au sens de
l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE1 du Conseil portant sur tous les facteurs de risque
importants d’origine professionnelle, et établissant les exigences minimales de santé et de sécurité en vue
de protéger les travailleurs contre l’exposition à ces facteurs de risque sur tous les lieux de travail.
La nouvelle initiative devrait offrir une valeur ajoutée en rendant l’application de la législation plus simple
(par la réduction du nombre de textes de référence), moins lourde (en simplifiant les obligations techniques
et administratives) et plus efficace (en facilitant la mise en œuvre de la législation et le contrôle de son
application par rapport à la situation actuelle).
La présentation permettra de dresser un bilan de l’état d’avancement des travaux de préparation de cette
initiative et de faire le point sur la discussion en cours.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Regard comparé sur la prévention
des TMS dans les pays francophones
(France, Belgique, Suisse, Québec,
Algérie)
Loïc Lerouge
Comptrasec, Umr Cnrs 5114,
Université Montesquieu-Bordeaux IV (France)
L
es TMS font l’objet d’importantes campagnes d’information et de sensibilisation et sont devenus un
risque professionnel bien connu et, malheureusement, aujourd’hui incontournables dès que l’on
parle d’intensification du travail, de charge de travail ou tout simplement de conditions de travail.
Or, concernant un phénomène aussi important que les TMS, le faible nombre de textes juridiques s’y
rapportant directement est frappant, et ce, dans tous les pays étudiés en l’espèce. S’il existe des définitions
des TMS, comme celle de l’Agence de Bilbao qui décrit les TMS notamment comme « une large gamme de
maladies inflammatoires et dégénératives de l’appareil locomoteur » (inflammation des tendons, myalgies,
compression des nerfs, dégénérescences de la colonne vertébrale découlant d’une exposition prolongée
à des facteurs de risques liés au travail tels que postures incommodes, tâches monotones et répétitives,
organisation et méthodes de travail inadaptées, et levage de charges lourdes), aucun des différents
systèmes juridiques francophones étudiés ne comporte de définition légale de ces troubles. Pour autant,
est-il bien nécessaire de les définir juridiquement ? Cette question sous-tend celle relative à l’application
de l’arsenal juridique existant aux TMS, à savoir s’il est suffisant pour les appréhender d’une manière ou
d’une autre. À ce titre, le volet prévention (en droit du travail) et le volet réparation (en droit de la sécurité
sociale) doivent être considérés. Il ne s’agira donc pas d’arrêter une définition juridique des TMS, mais plutôt
de procéder à une étude exploratoire de la manière dont le système légal s’applique aux troubles musculosquelettiques et quel en est le degré d’application suivant le système francophone étudié, notamment
en termes de prévention (I) et de réparation (II). En outre, les droits français, belge, suisse, québécois et
algérien seront évoqués, mais seulement de manière parcellaire compte tenu du nombre de systèmes à
rendre compte. L’objectif est d’évaluer la portée des systèmes légaux francophones concernant la prise en
compte et la prise en charge des TMS.
Le droit de la prévention des TMS au sein des pays francophones
À la suite de la transposition en 1991 de la directive-cadre du 13 juin 1989 relative à l’amélioration des
conditions de travail, la France a reconnu à la charge de l’employeur une obligation générale de prévention.
À cela depuis les affaires dites « amiante » en 2002, une obligation de sécurité de résultat à la charge de
l’employeur a été dégagée. Au sein des pays étudiés, la France est d’ailleurs le seul pays à avoir envisagé
une interprétation aussi restreinte de l’obligation de sécurité et dont la portée est considérable. En effet, le
risque ne doit pas se réaliser dans l’entreprise ; s’il survient, alors l’employeur est responsable, même s’il a
pris toutes les mesures possibles pour l’éviter. Seule la force majeure peut l’exonérer de sa responsabilité,
ce que ne permet pas la faute de la victime. En vertu de l’article L. 4121-1 du Code du travail, l’employeur
doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale
des travailleurs. Ces mesures comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la
pénibilité au travail (depuis la loi de réforme des retraites du 9 novembre 2010), des actions d’information
et de formation, la mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. L’employeur doit veiller à
l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration
des situations existantes. L’employeur doit aussi mettre en œuvre ces mesures sur le fondement de
principes généraux tels qu’éviter les risques, évaluer ceux qui ne peuvent pas être évités, les combattre
à la source, adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de
travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue
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notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé, et de réduire les effets de ceux-ci sur la
santé, tenir compte de l’état d’évolution de la technique, remplacer ce qui est dangereux par ce qui ne l’est
pas ou par ce qui est moins dangereux, planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent,
la technique, l’organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l’influence des
facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral, prendre des mesures de protection
collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle et enfin donner les
instructions appropriées aux travailleurs. L’employeur est aidé en cela par le Comité d’hygiène, de sécurité
et des conditions de travail (CHSCT), mais aussi par le service de santé au travail. Dans le cadre de la
conception et de l’aménagement des postes de travail, l’ergonomie a ici un rôle central à jouer, mais aussi
concernant le respect des normes plus spécifiques notamment de manutention, de port de charges lourdes
et de vibrations (art. R. 4541-1 suiv., R. 4441-1 suiv. du Code du travail) qui peuvent s’appliquer aux TMS 64.
Les troubles musculo-squelettiques sont également d’une grande actualité en Belgique concernant la
politique de prévention des risques professionnels, notamment au sein du plan 2008-2012 pour améliorer la
santé, la sécurité et le bien-être des personnes au travail. En effet, l’objectif est principalement de développer
des méthodes d’identification et d’évaluation des nouveaux risques dont les risques psychosociaux et ceux
associés à la nanotechnologie, les risques pour la reproduction, les troubles musculo-squelettiques.
Cependant, il n’existe pas non plus en Belgique de réglementation spécifique relative aux TMS d’origine
professionnelle. Ces derniers sont cependant de la compétence de la loi du 4 août 1996 relative au bienêtre des travailleurs lors de l’exécution de leur travail qui impose à l’employeur de promouvoir le bienêtre de ses travailleurs lors de l’exécution de leurs tâches 1. L’employeur doit veiller à ce que le travail soit
adapté aux capacités physiques des personnes et à ce que tout excès de fatigue professionnelle (physique
ou mentale) soit évité. Pour ce faire, il doit tenir compte de l’organisation du travail et des méthodes de
travail et de production, de la conception des lieux et du poste de travail, du choix et de l’utilisation des
équipements de travail et de protection individuelle, de la charge dite « psychosociale ». Par ailleurs, plus
spécifiquement, le Code sur le bien-être au travail belge contient des chapitres qui traitent en particulier
des vibrations, de la manutention manuelle de charges, des équipements de travail, du travail sur écran et
des sièges de travail et de repos.
La Sécurité au travail présente la particularité en Suisse d’être réglementée par la loi fédérale sur
l’assurance-accidents (LAA) du 20 mars 1981 2. L’obligation de prévention des maladies et accidents
professionnels oblige l’employeur à prendre les mesures dont l’expérience a démontré la nécessité et
que l’état de la technique permet d’appliquer, et qui sont adaptées aux conditions de travail. L’obligation
de sécurité est davantage ici de moyens car elle se fonde sur la nécessité du moment ou l’état de la
technique (art. 82). Néanmoins, les partenaires sociaux peuvent aussi agir dans une certaines mesure sur
la réglementation liée aux conditions de travail car ils sont consultés par le Conseil fédéral pour ensuite
édicter des prescriptions sur les mesures techniques, médicales et autres destinées à prévenir les accidents
et maladies professionnelles (art. 83). Enfin, les organes de contrôle (notamment assurantiels) sont aussi
concernés en ce qu’ils peuvent ordonner certaines mesures visant à prévenir les accidents et maladies
professionnels. L’employeur doit permettre à ces organes d’accéder à tous les locaux et emplacements
de travail de l’entreprise et les autoriser à effectuer des vérifications et à prélever des échantillons (art.
84). Comme le souligne Isabelle Probst, la responsabilité de l’employeur ne se limite toutefois pas aux
accidents et maladies professionnels reconnus, mais concerne plus largement la santé des travailleurs,
comme l’énoncent l’article 6 de la loi sur le travail qui oblige l’employeur à prendre toutes les mesures dont
l’expérience a démontré la nécessité, que l’état de la technique permet d’appliquer et qui sont adaptées
aux conditions d’exploitation de l’entreprise pour protéger la santé des travailleurs 3 et l’article 328 du Code
des obligations selon lequel l’employeur protège et respecte, dans les rapports de travail, la personnalité
du travailleur. Il doit manifester les égards voulus pour sa santé et doit veiller au maintien de la moralité.
En particulier, il veille à ce que les travailleurs ne soient pas harcelés sexuellement et qu’ils ne soient pas,
le cas échéant, désavantagés en raison de tels actes. Plus spécifiquement aux TMS, une réglementation
existe pour certains facteurs. Ainsi, l’article 41 de l’ordonnance sur la prévention des accidents et maladies
professionnels contient un article qui concerne le port de charges lourdes et énonce que : « Des équipements
de travail appropriés doivent être mis à disposition et utilisés pour lever, porter et déplacer des charges
lourdes ou encombrantes ». On peut aussi penser à l’ordonnance 3 relative à la loi sur le travail (OLT3) qui
contient deux dispositions relatives aux facteurs de risques de TMS (art. 24 et aménagement des postes de
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Loi du 4 août 1996 relative au bien-être des travailleurs lors de l’exécution de leur travail http://www.emploi.belgique.be/WorkArea/showcontent.aspx ?id=1896.
Loi fédérale sur l’assurance-accidents (LAA) du 20 mars 1981, http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/832.20.fr.pdf.
Loi fédérale sur le travail dans l’industrie, l’artisanat et le commerce http://www.admin.ch/ch/f/rs/822_11/index.html.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
travail, art. 25 qui réglemente le port de charges). Seul un principe très général énoncé dans l’article 2 de
l’OLT3 permet d’éviter « des efforts excessifs ou trop répétitifs » 4. La législation vise donc surtout le port
de charges et l’aménagement des postes, mais ne cible pas spécifiquement d’autres facteurs de risques,
comme la répétitivité des tâches, des contraintes posturales ou psychosociales 5.
Si l’on quitte le continent européen et que l’on regarde du côté de l’Afrique du Nord, l’Algérie présente
un système de prévention des risques professionnels développé susceptible de prendre en compte les
TMS, sans pour autant les évoquer expressément. La loi du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, la sécurité
et la médecine du travail 6 a en effet pour but d’assurer aux travailleurs les meilleures conditions en
matière d’hygiène, de sécurité et de médecine du travail (art. 1er). L’employeur est tenu d’assurer l’hygiène
et la sécurité aux travailleurs (art. 2), mais aussi d’intégrer la sécurité des travailleurs dans le choix
des techniques et technologies et dans l’organisation du travail. Ainsi, les installations, les machines,
mécanismes, appareils, outils et engins, matériels et tous moyens de travail doivent être appropriés aux
travaux à effectuer et à la prévention des risques auxquels les travailleurs peuvent être exposés (art. 7).
Le règlement intérieur vient fixer les mesures appropriées en matière d’hygiène et de sécurité 7. La loi du
26 janvier 1988 met l’accent sur la médecine du travail qui a pour rôle de « promouvoir et de maintenir le
plus haut degré de bien-être physique et mental », mais aussi et notamment « d’identifier et de surveiller,
en vue de réduire ou d’éliminer tous les facteurs qui, sur les lieux de travail, peuvent affecter la santé
des travailleurs », « de placer et maintenir les travailleurs dans un emploi convenant à leurs aptitudes
physiologiques et psychologiques et, en règle générale, adapter le travail à l’homme et chaque homme
à sa tâche, d’évaluer le niveau de santé des travailleurs en milieu de travail » 8. La médecine du travail a
aussi pour rôle d’identifier et de surveiller tous les indicateurs pouvant affecter sur le lieu de travail la
santé des travailleurs afin de les réduire, d’adapter le travail à l’homme et chaque homme à sa tâche (art.
12). Enfin, même si l’on s’éloigne un peu du juridique, il doit être souligné que les TMS sont à l’ordre du
jour des formations de l’Institut national de la prévention des risques professionnels destinées aux cadres
et ayant pour objectif d’identifier les troubles musculo-squelettiques liés à des situations de travail bien
précises. Il s’agit de reconnaître les facteurs de risque conduisant aux troubles musculo-squelettiques
liés au travail, de proposer une démarche de prévention pour la maîtrise de ces risques afin de réduire la
prévalence de ces troubles, de conseiller et de donner des recommandations à l’entreprise dans le domaine
de la prévention de ces troubles 9. Les TMS retiennent donc l’attention juridique en Algérie ; cependant, ce
constat doit être relativisé en raison de l’existence d’un important secteur informel au sein duquel le droit
de la santé-sécurité au travail est quasi inopérant.
Enfin, de l’autre côté de l’Atlantique, au Québec, la réglementation applicable à la prévention des TMS
comprend le devoir général de prévention issu de la loi sur la santé et la sécurité au travail 10 (LSST, art. 51)
et les dispositions réglementaires sur les mesures ergonomiques (Règlement sur la santé et la sécurité
du travail, art. 166 à 171) 11. Précisément, l’employeur doit notamment s’assurer que les établissements
sur lesquels il a autorité sont équipés et aménagés de façon à assurer la protection du travailleur. Il doit
s’assurer aussi que l’organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l’accomplir
soient sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur. L’employeur doit fournir un matériel
sécurisé et assurer son maintien en bon état, informer adéquatement le travailleur sur les risques reliés
à son travail et lui assurer une formation en conséquence, l’entraînement et la supervision appropriés afin
de faire en sorte que le travailleur ait l’habileté et les connaissances requises pour accomplir de façon
sécuritaire le travail qui lui est confié. Tous les moyens et équipements individuels choisis par le Comité
de santé et de sécurité doivent être fournis au travailleur et l’employeur doit s’assurer que le travailleur
les utilise à l’occasion de son travail. Par ailleurs, le droit québécois insiste sur la mise à la disposition des
travailleurs de moyens et d’équipements de protection individuels ou collectifs qui ne doit diminuer en rien
les efforts requis pour éliminer les dangers à la source.
Ordonnance 3 relative à la loi sur le travail du 18 août 1993, http://www.admin.ch/ch/f/rs/8/822.113.fr.pdf.
Merci à Isabelle Probst, Institut de psychologie, Université de Lausanne, Haute École de travail social et de la santé - École d’Etudes sociales et pédagogiques, pour son
aide et ses éclairages.
6. Loi n° 88-07 du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail, J/O. De la République algérienne, n° 4/1988.
7. Art. 77 de la loi n° 90-11 du 21 avril 1990 relative aux relations de travail.
8. V. aussi Koriche M., Les transformations du droit algérien du travail entre statut et contrat . Détermination des conditions de travail, une déréglementation sélective, Office
des Publications Universitaires, 2009, 187 p.
9. Cf. http://www.inprp-dz.com/index.php ?option=com_content&view=article&id=60 :formation5&catid=15 :formation&Itemid=82.
10. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=2&file=/S_2_1/S2_1.html.
11. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=3&file=/S_2_1/S2_1R19_01.htm.
4.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le droit de la réparation des TMS au sein des pays francophones
Ce deuxième point du développement sera beaucoup plus bref que le précédent en raison de la faible prise
en compte expresse des TMS par le droit de la Sécurité sociale concernant la réparation des effets de la
survenance de cette catégorie de risques professionnels. Autrement dit, le droit de la Sécurité sociale ne
définit pas les TMS. Il est d’ailleurs souvent nécessaire de se référer au « droit commun » de la Sécurité
sociale, notamment applicable aux accidents du travail et maladies professionnelles, aucun des pays
étudiés ne mentionnant directement les TMS au sein de sa législation professionnelle. Toutefois, si l’on
travaille sur le droit de la prévention des TMS, il est aussi essentiel de considérer les questions de leur
réparation quand le risque s’est hélas réalisé, et l’on sait combien les victimes sont nombreuses
Le système français doit cependant être mentionné en premier lieu car les listes de maladies professionnelles
reconnaissent les troubles musculo-squelettiques à travers la prise en compte des atteintes tendineuses,
des atteintes nerveuses, des bursites, des douleurs dorsales et des atteintes vasculaires. Réparer les TMS
en invoquant le régime des maladies professionnelles semble plus adapté que la législation des accidents
du travail. En effet, ces derniers sont définis depuis un arrêt rendu le 2 avril 2003 par la chambre sociale de
la Cour de cassation comme « un événement ou une série d’événements survenus à des dates certaines par
le fait ou à l’occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d’apparition
de celle-ci »12. Or la notion de « maladie » convient mieux à la notion de TMS car elle se caractérise par
une altération progressive de la santé. Ainsi, en vertu de l’article L. 461-1 du Code de la Sécurité sociale,
le système d’indemnisation repose sur l’établissement d’une liste de maladies professionnelles fermée
qui fondent une présomption d’origine professionnelle de la maladie. Or, la liste française reconnaît les
affections périarticulaires provoquées par certains gestes et postures de travail, les affections provoquées
par les vibrations et chocs transmis par certains machines-outils, outils et objets, et par les chocs itératifs
du talon de la main sur des éléments fixes, les lésions chroniques du ménisque et les affections chroniques
du rachis lombaire provoquées par des vibrations de basses et moyennes fréquences transmises au corps
entier, les affections chroniques du rachis lombaire provoquées par la manutention de charges lourdes.
Toutefois, quand une maladie est en lien avec le travail, mais qu’elle n’est pas reconnue au sein de la liste
(fermée) des maladies professionnelles, une procédure de reconnaissance en maladie professionnelle est
possible devant le Comité régional des reconnaissances des maladies professionnelles (CRRMP).
Concernant les autres pays étudiés, on retrouve la distinction « accident du travail » et « maladies
professionnelles ». Ainsi en Belgique, la réparation des risques professionnels se limite à un système
d’indemnisation selon le cas de figure (accident ou maladie). L’employeur doit contracter une assurance
contre les accidents du travail auprès d’une entreprise agréée. Le Fonds des accidents du travail (FAT) a pour
rôle de verser les allocations et les rentes d’invalidité ; il assure aussi une mission de contrôle (contrôle des
employeurs sur le plan du respect de l’obligation d’assurance et de la déclaration d’accident, contrôle des
assureurs sur les plans technique et médical, entérinement des accords intervenus entre les entreprises
d’assurances et les victimes). Le système belge de reconnaissance des maladies professionnelles
offre la particularité de reposer sur une liste fermée et une liste ouverte et sur le Fonds des maladies
professionnelles (FMP) qui est une institution publique de Sécurité sociale dont le rôle est de réparer ou
d’indemniser le dommage résultant d’une maladie professionnelle. La liste fermée a l’avantage de faire
bénéficier à la victime d’une présomption de causalité entre la maladie et l’exposition. Sont reconnus sur
cette liste certaines maladies ostéoarticulaires, des bursites, des lésions méniscales, le syndrome du
canal carpien, etc., c’est-à-dire des pathologies reconnues comme des TMS. Pour des troubles musculosquelettiques qui ne seraient pas répertoriés dans la liste fermée, l’assuré doit alors recourir à la liste
ouverte, mais dans ce cas, il doit prouver que la cause déterminante de l’apparition de la maladie est en
rapport direct avec sa profession, ce qui parfois peut être difficile en pratique.
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Cass. soc. 2 avril 2003, RJS, 6/03, n° 801 ; D., 2003, p. 1724, note Kobina Gaba ; Dr. soc., 2003, p. 673, obs. Milet.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
En Suisse, la responsabilité de l’accident est susceptible de constituer un enjeu financier pour l’employeur,
notamment depuis l’adoption de la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales qui
a aboli en 2003 toute forme d’immunité civile de l’employeur. S’il a une responsabilité dans la survenue de
l’accident, il peut désormais être amené, directement ou par le biais de son assurance responsabilité civile,
à indemniser la victime pour des coûts non couverts par l’assurance (par exemple, la part du salaire non
assurée, le tort moral…). En outre, en cas de faute grave de sa part, il peut être obligé de rembourser à
l’assurance une partie des prestations que celle-ci a versées à la victime. Les accidents du travail ont pour
autre enjeu financier celui des primes d’assurances. La reconnaissance d’une atteinte à la santé comme
découlant d’un accident du travail se répercute sur le montant des primes à sa charge 13. Concernant les
maladies professionnelles le droit de la Sécurité sociale procède aussi par un système de liste, mais selon
un système ouvert. Comme en France et en Belgique, on ne retrouve pas directement la notion « troubles
musculo-squelettiques », mais certaines pathologies sont à repérer, notamment celles regroupées
sous l’expression de « maladies de l’appareil locomoteur ». Trois de ces maladies figurent sur la liste
des affections : les bursites chroniques par pression constante, les paralysies nerveuses périphériques
et les tendovaginites 14. De plus, un certain nombre de maladies de l’appareil locomoteur hors liste sont
reconnues chaque année. Le système suisse reconnaît toutefois très peu de maladies professionnelles.
Or, faire reconnaître les TMS comme maladies professionnelles nécessite des démarches longues et
compliquées : il faut parvenir à établir une relation de causalité de 50%-75% entre les conditions de travail
et la pathologie. Et, paradoxalement, il appartient souvent aux médecins des assurances d’apporter ces
preuves. Or, toute la prise en charge va découler de cette reconnaissance 15.
Le Québec en revanche regroupe sous le terme « lésion professionnelle » l’accident et la maladie
professionnelle. Depuis la loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP)
adoptée en 1985 16, la lésion professionnelle est « une blessure ou une maladie qui survient par le fait ou
à l’occasion d’un accident du travail, ou une maladie professionnelle, y compris la récidive, la rechute ou
l’aggravation » (art. 2 LATMP). La Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) a notamment
pour rôle de déterminer si la réclamation du travailleur porte bien sur une lésion professionnelle. Toutes
les possibilités doivent être évaluées, ainsi, une réclamation pour maladie professionnelle peut être
acceptée comme accident du travail et réciproquement. L’annexe 1 de la LATMP contient dans les maladies
présumées reliées au travail les lésions musculo-squelettiques se manifestant par des signes objectifs
et qui impliquent des répétitions de mouvement ou de pressions sur des périodes de temps prolongées.
Le droit québécois est ainsi le premier qui reconnaît aussi expressément les TMS au sein de son système
d’indemnisation et de réparation des affections professionnelles. Par ailleurs, il n’est pas exigé que la
maladie soit inscrite au sein de la liste des maladies professionnelles dès lors que le travailleur prouve que
la maladie dont il est atteint a été contractée par le fait ou à l’occasion d’un travail et qui est caractéristique
du travail qu’il a exercé ou qui est reliée directement aux risques particuliers de ce travail (art. 30 LATMP)17.
Enfin, en conclusion de ce rapide panorama de différents systèmes francophones de réparation des TMS
faute de la réalisation de l’obligation de prévention de ce type de risque professionnel, un constat : autant
pour l’Algérie, le droit du travail en matière de santé-sécurité offre des perspectives, notamment dans le
cadre de la prévention des troubles musculo-squelettiques, autant le droit de la Sécurité sociale semble
plus limité. Comme en France, l’Algérie distingue l’accident du travail et la maladie professionnelle. La
responsabilité de l’employeur est présumée et le travailleur victime d’un accident du travail ou d’une
maladie professionnelle a droit à la réparation du préjudice 18. En revanche, l’application de ce régime
juridique au TMS présente en pratique des difficultés liées notamment à la sous-déclaration de ce type
de pathologie et à la non-reconnaissance en tant que maladies professionnelles. Néanmoins certains
médecins du travail les déclarent en tant qu’accidents du travail en soulignant le caractère brutal de leur
survenance permettant ainsi au patient en cas de complications futures de bénéficier d’une rente 19.
Tabin J.-P., Probst I., Waardenburg G., « Accidents du travail : la régularité de l’improbable », Interrogations, n° 6, juin 2008. p. 131- 149.
Probst I., « Genre et TMS : quand les différences biologiques masquent les effets de la division sexuelle du travail », 2ème Congrès francophone sur les troubles musculosquelettiques : de la recherche à l’action, Montréal, 2008, http://www.irsst.qc.ca/media/documents/PubIRSST/2-1-Probst.pdf.
15. Ibid.
16. http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php ?type=2&file=/A_3_001/A3_001.html.
17. Cf. les développements de Katherzine Lippel, « Le droit québécois et les troubles musculo-squelettiques : règles relatives à l’indemnisation et à la prévention »,
PISTES, Vol. 11, n° 2, nov. 2009, http://www.pistes.uqam.ca/v11n2/pdf/v11n2a3.pdf.
18. Koriche M., Les transformations du droit algérien du travail entre statut et contrat (…), op. cit.
19. Entretien avec Mahammed Koriche, Docteur en droit, Chargé de cours, Université d’Alger le 25 mars 2011 : « cette pratique dépend de l’appréciation du médecin du travail et est considérée comme étant un contournement de la loi. C’est ainsi que la Caisse de sécurité sociale a eu à rejeter des déclarations de ce type portant, par exemple,
sur les traumatismes du poignet chez les dentistes ou les lombalgies des hernies discales chez les travailleurs du bâtiment ».
13.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Normes et règlementations,
des outils au sein des entreprises ?
Roland Gauthy
Institut syndical européen (ETUI),
Bruxelles (Belgique)
L
a question de savoir si « les normes et réglementations sont des outils au sein des entreprises » ou
si « les normes et réglementations sont des leviers de prévention pour les entreprises » revêt une
importance essentielle dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte législatif auquel sont – quasi
unanimement – soumis les 27 pays membres de l’Union européenne (UE), les pays associés (AELE) et les
pays candidats (dont, par exemple, la Turquie) et, de ce fait, par la réalisation d’objectif(s) et aussi par les
impacts qui en sont attendus.
Cette question ne peut être débattue sans en définir les termes et en délimiter le champ : une norme estelle une règlementation, sinon où et comment s’inscrit-elle dans une règlementation ? Qu’entendons-nous
par levier pour les entreprises ? Quel est l’intérêt pour une entreprise de mener une politique de prévention
et quels sont les résultats qu’elle pourrait attendre d’actions menées en ce sens ? Enfin, qu’entend-on par
« les entreprises » : celles-ci sont-elles toutes uniformément concernées dans le vaste territoire formé par
l’UE, malgré la variabilité de leurs formes juridiques, de leur taille et de leur développement technologique
ou encore malgré les différences de leur production et des modes de production voire malgré leur typologie
« human ou capital intensives » ou leur statut d’entreprise privée, publique, mixte ou sui generis ?
Nous pouvons sans nous tromper affirmer que la logique entrepreneuriale première et dominante est
fondée sur la réalisation d’un profit : c’est sans doute quelque peu abrupt car ce « cœur de métier » est
de plus en plus édulcoré par des concepts relevant de la« responsabilité sociale des entreprises » ou de
« développement durable » déclinés de multiples façons.
Cette donnée fondamentale posée, nous devrions nous interroger sur les mille et une manières de faire
fructifier une entreprise, sachant que certaines voies suivies par des entrepreneurs conviennent mieux aux
travailleurs et aux préventeurs que nous sommes alors que d’autres sont totalement affligeantes.
Nous nous intéressons à une forme particulière de l’instrumentalisation de moyens légaux de prévention à
la lumière de leur efficacité dans un univers qui – a priori – n’est pas préparé à les accueillir voire leur est
hostile : en effet, nous citerons, à titre d’exemple, la récurrence d’une petite phrase sibylline sur l’absence
de charge supplémentaire que doivent avoir les réglementations nouvelles à l’égard des PME et TPE
(ferments de croissance et d’emploi) alors que ces mêmes entreprises se doivent d’appliquer les généraux
principes de précaution à l’égard des facteurs de risques (directive-cadre sur la santé et la sécurité au
travail de n° 381 de 1989) !
Nous n’avons pas pour intention de décourager quiconque ni de stigmatiser les entrepreneurs qui
seraient source de nos soucis en matière de santé et sécurité au travail : notre propos est de souligner,
particulièrement dans le domaines des TMS, l’importance des réglementations comme levier de la
prévention sous réserve qu’elles soient applicables et appliquées, qu’elles fassent l’objet d’une volonté
largement partagée – au travers de stratégies plus offensives à l’égard des facteurs de risque relevés au
cours d’études sérieuses et répétées sur le terrain – et, enfin, qu’elles puissent prouver leur efficacité.
Par efficacité, nous entendons une diminution observable et quantifiable des facteurs de risque assortie
d’une chute proportionnelle des prévalences, incidences et taux d’absence spécifiques, c’est-à-dire des
répercussions salariales, entrepreneuriales et sociétales qui encouragent réellement la poursuite des
efforts et la dissémination des bons résultats comme instrument d’incitation à l’égard des entités qui n’ont
pas encore franchi le pas…
Nous devons, à cet égard, admettre qu’en matière de réduction des TMS, des résultats marquants se font
toujours attendre malgré l’existence de réglementations, de normes et aussi, malgré les efforts consentis,
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le plus souvent sous la contrainte des directives du type « manutention manuelles de charges lourdes » et
« travail sur écran de visualisation ». Cette inefficacité relative mais affligeante des mesures qui prévalent
nous donne à penser que, conjuguée au futur, la prévention des TMS est pessimiste car l’économique, le
chantage à l’emploi qui l’accompagne, la perte des avantages compétitifs de la vieille Europe condamnent
les initiatives préventives du fait de leur coût initial et de l’inexistence de réglementations similaires au
niveau des filiales ou des sous-traitants des continents émergents où les accroissements de rentabilité
sont à deux chiffres.
L’ergonomie, souvenons-nous en, fut d’abord biomécanique et « below de belt » ou, plus exactement, sous
les cervicales : elle s’est intéressée aux hauteurs et distances d’atteinte, aux conséquences posturales
et à la mesure des angles et aux calculs de fréquences et autres répétitivités. Après quelques années,
nous avons imaginé pouvoir relever le défi des prévalences galopantes en nous attaquant aux manières
d’organiser, de répartir, d’enrichir ou de faire varier le travail, en nous préoccupant des motivations, des
contextes, des écologies au sens large : les plaintes quant à elles demeurent ! Que faire ? Synchroniser
l’ensemble – sans aucun doute – mais comment ? Automatiser à outrance pour éviter l’interposition de
l’humain et de la machine, exporter les « dirty jobs » vers le tiers-monde, c’est-à-dire là où la santé du
travailleur n’est pas encore (trop) interrogée, là où les besoins sur l’échelle de Maslow demeurent encore
au niveau des besoins physiologiques et alimentaires de base ?
Comment concilier notre avantage compétitif et nos besoins d’accomplissement de soi ? Nous devons
produire les meilleurs produits du monde, les plus avancés technologiquement, les plus adaptés aux
demandes des consommateurs, les plus qualitatifs, les plus… au moindre prix.
Ces interrogations sont celles d’entrepreneurs pour qui les stratégies d’élimination-réduction de risques
de TMS « pris-en-charge-par-tiers » sont absconses parce qu’ils n’ont ni été éduqués, ni préparés à cette
approche : la prévention des TMS ne peut passer que par des mesures contraignantes et la vérification
sur le terrain de la mise en place de celles-ci assortie, par défaut, de prévention caractérisée de pénalités
« suffisamment pénalisantes » ; sachant que le but n’est pas de pénaliser ni d’obérer l’efficacité ou la
volonté de produire (ce serait contre-productif à long terme par absence de postes de travail), nous nous
devons de prévoir des mécanismes participatifs du type « feux clignotants » qui permettent le dépistage
précoce de terrain en vue de l’élimination-réduction des facteurs de risque.
Simultanément, la démonstration d’un atout compétitif en matière de santé-sécurité et financière, au
moins, doit être établie : ce n’est pas par hasard que les entreprises qui vont bien sont aussi celles qui
souvent ont effectué des progrès plus sensibles en élimination-réduction des risques et, a contrario, les
entreprises qui sont sur le fil du rasoir sont aussi celles qui se préoccupent le moins, faute de moyens
évidemment et aussi de compétences, du bien-être des travailleurs ; ce sont aussi ces entreprises-là qui
tentent d’éviter systématiquement l’engagement de moyens de dépistage et de remédiation par recours
aux pratiques douteuses de la sous-traitance en cascade ou de l’externalisation des risques.
Il ne faudrait pas oublier dans cette discussion sur les leviers de la prévention en entreprise que les
travailleurs européens ont obtenu, en échange de l’ouverture du marché, la garantie d’un haut degré de
santé et sécurité au travers d’une série de directives et de mécanismes dont celui dit de la « nouvelle
approche » qui octroie une présomption de conformité à la directive « machines » lorsque les normes en
vigueur sont respectées.
Nous voudrions en terminant aborder le fait que de nombreux ergonomes sont réfractaires à la normalisation
– non seulement parce qu’elle est complexe voire hermétique – mais surtout parce qu’ils voudraient y
opposer la singularité de chaque situation de travail. Ce sont aussi les mêmes ergonomes – dont nous
faisons partie – qui identifient les incongruités des interfaces homme-machine.
Suite à ce double constat d’une normalisation mal comprise/peu adéquate et de l’importante insatisfaction
à l’égard d’interfaces, des ergonomes, ingénieurs, préventeurs et concepteurs issus du monde du travail,
de la régulation ou de l’entrepreneuriat se sont réunis à l’occasion de la parution de la nouvelle directive
« machines » lors d’une conférence organisée par l’organisme allemand KAN. Depuis deux ans, ce groupe
travaille au sein de la plateforme ErgoMach – ergonomie & machines – afin de sensibiliser les différents
acteurs aux principes de base de l’ergonomie tels qu’ils se déclinent notamment dans l’annexe 1.1.6 de la
directive et au travers des normes « ergonomiques » établies par les groupes de travail du CEN ou Comité
Européen de Normalisation dont le Comité Technique TC 122 – Ergonomie.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Les premiers résultats du travail de la plateforme ErgoMach sont accessibles en ligne sur le site www.
ergomach.eu qui donne aussi accès au guide de la directive « machines », aux normes qui permettront
aux concepteurs de faire correspondre leurs produits aux prescriptions essentielles de la directive et à
l’explication en clair des termes du paragraphe consacré à l’ergonomie. L’équipe ErgoMach présentera
son travail et ses réflexions au cours du congrès international de santé-sécurité lors d’une journée entière
consacrée à l’ergonomie, à laquelle vous êtes bien entendu cordialement conviés (voir site).
Nous conclurons cette réflexion en reformulant notre doute quant à un intérêt spontané de la part des
entreprises à l’égard des stratégies de prévention qui ne constituent – sauf exception (pour les entreprises
du secteur de la santé-sécurité) – pas leur cœur de métier mais qui, bien sûr, tentent de mieux produire
en évitant tout désagrément de production dont les accidents de travail ou les altérations de santé parce
qu’elles sont tout simplement contre-productives.
Cela étant établi, tout se passe comme en matière de circulation et sécurité routières : rien n’est vraiment
intégré, accepté ou librement consenti par tous ; pour éviter les incidents, les perturbations et les dangers,
pour fluidifier et augmenter l’efficacité du trafic, il faut mettre en place des guidances faites de feux
rouges et de clignotants qui sont autant des que des balises. Ce sont des outils efficaces mais qui ne sont
pas perçus comme tels. Les directives et les normes revêtent des qualités identiques mais provoquent
concomitamment les mêmes réactions négatives au point que, répétons-le, il soit nécessaire d’écrire
trop souvent qu’elles ne peuvent impacter les TPE/PME, et au point aussi qu’au nom de la simplification
administrative, il soit très difficile de faire évoluer les règles parallèlement avec l’émergence de nouveaux
risques liés, eux, aux évolutions techniques et sociétales.
Exemple et illustration : Directive 2006/42 – directive « machines »
Annexe 1
Exigences essentielles de santé et de sécurité
relatives à la conception et à la construction des machines
Principes généraux
1.1.6. Ergonomie
Dans les conditions prévues d’utilisation, la gêne, la fatigue et les contraintes physiques et psychiques de
l’opérateur doivent être réduites au minimum compte tenu des principes ergonomiques suivants :
• tenir compte de la variabilité des opérateurs en ce qui concerne leurs données morphologiques, leur
force et leur résistance ;
• offrir assez d’espace pour les mouvements des différentes parties du corps de l’opérateur ;
• éviter un rythme de travail déterminé par la machine ;
• éviter une surveillance qui nécessite une concentration prolongée ;
• adapter l’interface homme-machine aux caractéristiques prévisibles des opérateurs.
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Fiches explicatives – Facteurs ergonomiques : « Rythme de travail »
BASICS :
The WORK RATE is a flow that describes the number of pieces per time unit measured at one operator’s working station.
When non adjustable by the operator(s), the work rate imposed by the machine could cause problems.
The designer should also consider two other WORK RATES in order to assess the total work rate :
1. TheMENTAL work rate which refers to the number and the complexity of the mental operations to perform.
2. TheSENSORIAL work rate that is present when one or several sensory systems are involved in repetitive demands in
order to execute visual, acoustic or haptic (sense of touch) requiring tasks. E.g. perception (sensorial task) of / responses
from signals, controls, forms and surfaces, pressure, dosage of acceleration, etc. assessed in order to understand and
take a decision.
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EXPLANATION :
The individual should be allowed full control of his work rate. During machine operation, the operator should be able to
activate and deactivate the machinery at any instant“ (EN 1005-3).
The work rate is perceived by the operator as a work demand. Each simple work demand added to the other ones, of
different nature, result into the total workload put on the worker. The work rate is often multidimensional : seldom of a
single nature, combining physical, mental and/or sensorial dimensions. This combination can result in a balanced work
rate or an imbalanced one : when it is balanced, it is then perceived by the worker as an acceptable demand.
A negative perception can effectively be avoided, if each operator has the possibility to adapt the work rate to its own
perception and, even, to his/her varying abilities and feelings under a working shift.
Letting a machinery impose its rate to an operator is a common mistake that often brings lots of consequences for the
human being and for the company.
Each single component of the work rates is easily measurable, the final work rate is sometimes more complex when it
results of the three combined work rates. The work rates are a part of the different job demands put on the worker. When
these demands are perceived as too high they will provoke at the operator’s level negative reactions such as physical or
psychological ; they will then impact the production.
The most common complaints when the work rate is too high and/or not controllable by the operator and if recovery periods
are absent or too rare, are (1) neck-shoulder and arm-hand pain, (2) low back pain, (3) pain in lower limbs, (4) psychological
distress associated to low back pain and/or neck and shoulder pain when higher demands, lower job control and poor social
support are combined.
Such disorders and complaints can effectively be minimized by design if special attention is paid from the earliest designing
stage to ergonomics : in the daily practice, this means leaving to the operator higher degrees of choices and of freedom in
order to adjust personally the system for rate or pace, range of motion, posture, height, reaching distance, starting and
stopping easily the machine when needed, etc. and by avoiding systematically to load the operator with demands that could
be done mechanically or electronically.
Even organisational consequences of a too high work rate can be effectively reduced through ergonomics’ principles
application at the earliest designing stage.
STANDARDS :
EN 614-1+A1 : 2006 Safety of machinery - Ergonomic design principles - Part 1 : Terminology and general principles
EN 614-2+A2 : 2000 Safety of machinery - Ergonomic design principles - Part 2 : Interactions between the design of
machinery and work tasks
EN 1005-1+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 1 : Terms and definitions
EN 1005-2+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 2 : Manual handling of machinery and
component parts of machinery
EN 1005-3+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 3 : Recommended force limits for machinery
operation
EN 1005-4+A1 : 2008 Safety of machinery - Human physical performance - Part 4 : Evaluation of working postures and
movements in relation to machinery
EN 1005-5 : 2007 Safety of machinery - Human physical performance - Part 5 : Risk assessment for repetitive handling at
high frequency
ISO/FDIS 12100 : 2010-07Safety of machinery — General principles for design — Risk assessment and risk reduction
EXAMPLES :
High work rate : repetitive work on a conveyer belt (fruits’ packaging)
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L’entreprise face aux obligations
légales en matière de prévention
des TMS.
L’environnement législatif français,
carcan ou ressort dans le domaine
de la prévention des TMS ?
Dr François Becker
Médecin spécialiste en santé au travail,
Hager Group (France)
Introduction
P
our tenter de répondre à cette question, nous avons, après une revue des dispositions réglementaires
et de la jurisprudence, interviewé des acteurs de la prévention au sein du groupe Hager : directeurs
d’usine, responsables HSE, secrétaires de CHSCT, ergonomes et membres de l’équipe de santé au
travail pour confronter leurs opinions sur la pertinence du cadre réglementaire en matière de prévention
des TMS et tracer les contours d’une réglementation « idéale ».
Panorama de la réglementation en vigueur
Le code du travail français a ceci de particulier que le salarié y est considéré comme un « mineur ». En
effet, en raison du lien de subordination à son employeur, il abandonne sa « souveraineté » dès la porte de
l’entreprise franchie. En contrepartie, l’employeur endosse la quasi-totalité des responsabilités ; dans le
domaine de la santé et de la sécurité, il a même une obligation de résultat.
Dispositions générales
Le code de la Sécurité sociale L. 461-4 précise que tout employeur qui utilise des procédés de travail
susceptibles de provoquer les maladies professionnelles mentionnées à l’article L. 461-2 est tenu, dans les
conditions prévues par décret en Conseil d’État, d’en faire la déclaration à la Caisse primaire d’assurance
maladie et à l’inspecteur du travail ou au fonctionnaire qui en exerce les attributions en vertu d’une
législation spéciale.
La loi N° 91-1414 du 31 décembre 1991 portant transposition de la directive-cadre européenne n° 89-391 du
12 juin 1989 visant à l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail oblige l’employeur à
évaluer les risques qui ne peuvent être évités ; cette évaluation doit faire l’objet d’un écrit : le Document unique.
Dispositions spécifiques concernant la manutention manuelle de charges
• Article R231-72, créé par décret n°92-958 du 3 septembre 1992 - art. 1 JORF 9 septembre 1992 en vigueur
le 1er janvier 1993
Lorsque le recours à la manutention manuelle est inévitable et que les aides mécaniques prévues au 2° du
premier alinéa de l’article R. 231-68 ne peuvent pas être mises en œuvre, un travailleur ne peut être admis
à porter d’une façon habituelle des charges supérieures à 55 kilogrammes qu’à condition d’y avoir été
reconnu apte par le médecin du travail, sans que ces charges puissent être supérieures à 105 kilogrammes.
• Article D4153-39, créé par décret n°2008-244 du 7 mars 2008 - art. (V)
Il est interdit de laisser les jeunes travailleurs âgés de moins de dix-huit ans porter, traîner ou pousser des
charges pesant plus de :
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1.15 kg pour un travailleur masculin de quatorze ou quinze ans
2. 20 kg pour un travailleur masculin de seize ou dix-sept ans
3. 8 kg pour un travailleur féminin de quatorze ou quinze ans
4. 10 kg pour un travailleur féminin de seize ou dix-sept ans
Le transport sur brouettes est également interdit aux travailleurs de moins de dix-huit ans pour les charges
supérieures à 40 kg, brouette comprise.
La norme française X35 109 remplace depuis 2009 la norme expérimentale éponyme, elle n’a pas de valeur
réglementaire.
Jurisprudence
Une recherche sur le site de Légifrance avec les mot-clés « tableau 57 » et « faute inexcusable » nous a
permis de trouver 8 arrêts de la cour de cassation.
Il ressort de l’analyse de ces arrêts que l’employeur est, en vertu du contrat le liant à son salarié, tenu
envers celui-ci d’une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du
travail et les maladies professionnelles ; que le manquement à cette obligation a le caractère d’une faute
inexcusable lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié
et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver.
Cette absence de conscience du danger peut avoir pour origine une évaluation des risques incomplète,
l’absence de mesures prises pour prévenir un danger mentionné dans le Document unique d’évaluation
des risques, enfin la non prise en compte des réserves quant à l’aptitude émises par le médecin du travail.
Synthèse de la réglementation
Les dispositions réglementaires sont, soit très générales et ne fournissent pas les outils pour la prévention,
soit carrément obsolètes lorsqu’il s’agit des manutentions de charges. Contrairement aux dispositions
concernant le risque de surdité lié au bruit, qui fournissent une véritable boîte à outils pour la prévention,
les textes en vigueur sont de peu de secours pour prévenir les TMS.
La jurisprudence qui impose une obligation de résultat en matière de sécurité, d’une part, et facilite la
reconnaissance de la faute inexcusable, d’autre part, augmente le risque juridique et ses conséquences
financières pour l’entreprise. Enfin le coût de l’assurance AT/MP qui obéit pour les entreprises de grande
taille à un système de bonus-malus incite fortement à la prévention des pathologies liées au travail.
Les lacunes de la réglementation ont incité Hager à se rapprocher des organismes de prévention (CRAM,
ANACT), à se référer aux normes en vigueur et à inventer ses propres outils que nous allons décrire à présent.
Prévention primaire
Le référentiel ergonomique a été créé en 2007 par la cellule ergonomique de l’entreprise en collaboration
avec le SST en s’appuyant sur la réglementation, les normes en vigueur, les recommandations de l’INRS
et le savoir-faire industriel de l’entreprise. Régulièrement mis à jour, c’est un outil pour les concepteurs
internes des postes de travail : méthodes, industrialisation, ergonomes, productique.
Concernant la prévention des TMS, sont abordés la posture de travail, les gestes à proscrire, les efforts
maximaux par segment de membre et les manutentions.
La cartographie TMS mise au point en 2006 est un outil d’analyse ergonomique des postes de travail. Partie
intégrante de l’évaluation des risques, tous les postes sont cartographiés, les critères analysés sont les
angles de confort du cou et des articulations du membre supérieur ainsi que les efforts à exercer. La
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synthèse de l’observation est une note qui permet de classer les postes en 6 catégories de favorable à
défavorable. La réalisation et la mise à jour de la cartographie sont assurées conjointement par la cellule
ergonomique et le service de santé au travail.
Chaque responsable a pour objectif annuel une amélioration du score des postes de son secteur. Les limites
de cet outil sont les postes multitâches, d’une part, la faible prise en compte des facteurs organisationnels
et de la répétitivité, d’autre part. Cette lacune sera comblée par deux nouveaux outils permettant d’estimer
respectivement les contraintes des postes comprenant des tâches très différentes et la qualité des
polyvalences notamment du point de vue de la répétitivité.
Prévention secondaire
Plainte TMS : La précocité de la prise en charge d’un TMS est la clé d’une guérison sans séquelles. Les
collaborateurs sont incités à consulter au service de santé au travail dès que « le geste professionnel
fait mal ». Infirmiers et médecins concourent à la prise en charge de la personne : diagnostic, soins et
en particulier réduction des contraintes du poste : baisse de la cadence par des réductions d’allure,
demande de changement temporaire ou définitif de poste. Le SST fournit chaque mois aux managers et aux
ergonomes la liste anonyme des plaintes TMS par secteur. Si l’analyse de la plainte TMS met en évidence
un dysfonctionnement au niveau du poste, une alerte ergonomique est lancée.
Alerte ergonomique : Chaque collaborateur peut déclencher une alerte ergonomique ; un document relate
le dysfonctionnement, les risques pour la santé, les dispositions à prendre, immédiates et à plus long terme
pour résoudre le problème. La prise en compte des alertes ergonomiques est un des critères d’évaluation
des managers.
Prévention tertiaire
Le reclassement des salariés atteints de séquelles de TMS, notamment de lésions de la coiffe des rotateurs
de l’épaule, passe par des aménagements de poste généraux qui bénéficient également aux autres
membres de son équipe, ou des aménagements individuels : baisse du rendement.
Résultats et conclusion
Évaluer l’impact de la politique de prévention menée par Hager s’avère particulièrement difficile, aucun
indicateur à lui seul n’étant suffisant : les salariés ne déclarent pas systématiquement leur pathologie
professionnelle à l’assurance maladie, souvent lorsqu’un arrêt de travail est nécessaire celui-ci est prescrit
en rechute. Le signalement précoce des « plaintes TMS » au service de santé au travail ou le diagnostic lors
des visites médicales donnent par contre une vision presque exhaustive de l’incidence et de la prévalence
des TMS. Seule l’analyse simultanée de ces différents indices : MP déclarées, rechutes, taux de gravité lié
aux MP, données du SST permettra de construire un tableau de bord pertinent.
Passé ce premier obstacle, les évolutions observées ne sont pas le reflet des seules améliorations
apportées à l’environnement de travail, de nombreux autres facteurs interviennent dans la genèse des
TMS : le vieillissement des salariés, les facteurs extra-professionnels, malgré de gros investissements, la
décrue des TMS est illusoire et le retour sur investissement peut paraitre décevant.
À la question sur l’évolution réglementaire souhaitable en matière de prévention des TMS, les acteurs ont
été unanimes à souhaiter une définition plus précise des différents facteurs de risque de TMS et notamment
la prise en compte de la répétitivité, ce souhait est également partagé par les organismes de Sécurité
sociale.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
L’inspection du travail au Québec :
parfois un levier pour la prévention
des TMS
arie Saint-Vincent,
M
Maud Gonella, Denys Denis
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en
sécurité du travail (IRSST) (Canada)
Daniel Imbeau, Karine Aubry
École Polytechnique de Montréal (Canada)
Introduction
D
ans la plupart des pays industrialisés, les TMS sont un problème majeur de santé et sécurité.
Au Québec, les TMS représentent près de 40% des lésions compensées et entraînent des coûts
économiques, sociaux et humais considérables. Pour enrayer ce fléau, des interventions ergonomiques
ont été menées en entreprise. S’est alors posée la question de l’efficacité de ces interventions. Quelques
recensions d’écrits ont été réalisées pour en évaluer l’efficience (Karsh et al., 2001; Kilbom, 1988; Snook,
1988; Goldenhar et Schulte, 1994; Grant et Habes, 1995; Westgaard et Winkel, 1997). Les résultats ne sont
pas toujours concluants, mais une tendance se dégage à l’effet que ces interventions ont souvent des
impacts positifs et que les interventions les plus prometteuses sont celles à composantes multiples (Karsh
et al., 2001; Westgaard et Winkel, 1997), c’est-à-dire qui comportent diverses opérations, par exemple :
transformations au niveau des aménagements physiques, modifications de l’organisation du travail, actions
sur la formation aux travailleurs.
Outre la seule description des effets de l’intervention, pour avancer dans la question et améliorer nos
pratiques, une tendance plus récente vise à approfondir son processus pour mieux en comprendre les
impacts (Champagne et Denis, 1992; Contandriopoulos et al., 2000; Karsh et al., 2001; Shannon et al., 1999;
Westgaard et Winkel, 1997). Plusieurs s’intéressent donc à l’évaluation du processus de l’intervention
ergonomique (Denis et al., 2008; Karsh et al., 2001; Van Eerd et al., 2007). On croit qu’en comprenant mieux
le processus de l’intervention et les facteurs qui l’influencent, il sera possible d’améliorer nos pratiques.
Pour approfondir ces questions, une opportunité intéressante et unique s’est présentée au Québec à partir
des années 2005. La CSST a initié un plan d’action pour contrer ce fléau des TMS. Selon ce plan, des
entreprises sont ciblées sur la base des TMS compensés. Un inspecteur se présente en entreprise et, à
l’aide de l’outil QEC (Quick Exposure Check, Li et Buckel, 1999), doit faire la démonstration qu’il y a présence
de facteurs de risque sur le ou les postes pour lesquels des réclamations ont été acceptées. Dans le cas où
il y a présence de risque, l’inspecteur somme l’entreprise de corriger la situation (il émet une dérogation
selon l’article 52). L’entreprise est libre d’utiliser l’intervenant de son choix et l’approche d’intervention
qu’elle souhaite. Il y avait donc au Québec dans les années récentes plusieurs interventions de prévention
initiées en entreprise.
Il a d’abord été décidé de faire un projet pilote sur un petit échantillon dont les buts étaient de faire le suivi
des interventions de prévention menées en entreprise et d’étudier la faisabilité de mener un projet de plus
grande envergure. Ce papier présente les principaux résultats du suivi des interventions.
Méthodologie
Le projet a été réalisé en collaboration avec six inspecteurs et un suivi a été effectué sur huit situations de
travail, réparties dans sept entreprises. On peut noter deux grands types de données recueillies :
• Premièrement, des mesures avant et après l’implantation de correctifs sur les facteurs de risques
présents aux situations de travail ciblées ont été réalisées à l’aide de dix méthodes reconnues et selon la
perception d’un expert en ergonomie.
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• Deuxièmement, des études de cas pour décrire l’intervention et ses résultats ont été réalisées. Un ou
deux ergonomes visitaient l’entreprise après l’implantation des transformations et interrogeaient un ou
deux travailleurs impliqués, un représentant patronal et syndical, de même que la personne en charge
de l’intervention. Les inspecteurs impliqués étaient aussi interrogés par téléphone. Les entretiens
permettaient de décrire : le contexte de l’entreprise (caractéristiques de l’entreprise et de sa population,
culture et organisation de la SST); l’intervenant en charge de l’implantation des correctifs; le processus
d’intervention; la situation de travail analysée et ses principales difficultés; les transformations
implantées et les résultats obtenus. Les résultats étaient décrits quant aux impacts sur la situation de
travail, mais également quant à ceux plus généraux sur l’entreprise et les représentations des acteurs.
Sur les huit cas, il y en a eu six où il y a eu implantation de correctifs pendant la durée du projet. Une
entreprise a décidé de revoir tous ses postes et n’avait pas encore implanté de transformations à la fin du
projet alors que le contact a été perdu entre l’équipe projet et une autre entreprise. Les résultats portent
donc sur six cas.
Résultats
Pour chaque cas, un résumé d’étude de cas était produit qui contenait toutes les données recueillies
sur l’intervention décrite. À partir de ces résumés, une synthèse des études de cas a été produite sous
forme de tableaux. Nous présentons dans cette section les faits saillants de cette synthèse. Le tableau 1
présente les caractéristiques des entreprises et des postes de travail, alors que le tableau 2 présente les
transformations mises en place et leurs impacts pour les six cas où il y a eu implantation de transformations
dans les délais du projet.
Caractéristiques des entreprises et des postes étudiés
Deux entreprises comptent moins de 100 employées, deux ont 300 employés ou moins alors que les trois
autres ont entre 300 et 600 employés.
Selon les inspecteurs impliqués, la prise en charge en SST peut être qualifiée d’excellente dans une
entreprise, de bonne dans 4 entreprises et de faible à moyenne dans les deux autres entreprises. Les sept
entreprises ont un comité SST, dont les membres disposent de temps pour faire de la prévention dans cinq
cas. Toutes les entreprises ont implanté des actions de prévention en SST, leur nombre varie selon le cas.
Les situations de travail analysées portent toutes sur des tâches manuelles. Les tâches analysées sont
résumées au tableau 1 ; il y a trois tâches d’accrochage de poulets.
Tel qu’attendu, des facteurs de risque ont été notés pour les huit situations de travail avant l’implantation
des transformations. Dans les huit cas, des risques reliés à la posture ont été observés. La cadence est
aussi un facteur de risque très présent, observé dans sept des huit cas. La force est mentionnée dans trois
cas et des risques relatifs à la manutention dans quatre cas.
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Tableau 1 : Situations de travail analysées
Un risque lié à la durée a été noté dans deux cas de même qu’un risque associé au froid.
Les difficultés liées à la situation de travail avant l’implantation de correctifs sont résumées pour les six
cas où il y a eu implantation de correctifs pendant la durée du projet. Les difficultés identifiées par les
travailleurs varient selon les cas.
Les transformations et leurs impacts
Les transformations et leurs impacts sont résumés au tableau 2. Dans la plupart des cas, les
transformations touchent à l’aménagement ou aux équipements. Les solutions sur l’organisation du travail
impliquent surtout des actions au niveau de la rotation des postes, observées dans trois cas. Dans le cas
4, il y a ajout d’un travailleur pour accomplir la tâche. Dans deux cas, les cas 1 et 5, on intervient sur les
méthodes de travail et la formation des travailleurs. Dans trois cas, on a amélioré l’éclairage. Dans tous
les cas, plusieurs éléments de correction ont été implantés. On retient que les transformations portent
souvent sur les aménagements et les machines ou outils, mais la formation et l’organisation du travail sont
aussi des avenues de correction. Dans deux cas, les acteurs de l’entreprise qualifient les transformations
comme étant très importantes, dans deux cas, comme étant notables et dans deux autres cas comme étant
moyennes. Il s’agit donc d’interventions de correction qui sont significatives.
L’impact des transformations a été évalué selon différentes perspectives, la plupart par des données de
perception. Dans la majorité des cas, on juge les transformations comme étant assez satisfaisantes alors
que dans le cas 1 on les qualifie de très satisfaisantes. Les éléments du travail perçus par les travailleurs
comme étant les plus améliorés sont décrits.
Tel qu’expliqué dans la méthodologie, nous avons demandé aux divers acteurs s’il y avait des impacts
plus généraux au-delà de la situation de travail. Ces impacts sont importants car on peut penser qu’il
s’agit d’impacts plus durables que les seules modifications au poste. Il y a des retombées plus générales
dans les six cas. Il y a amélioration des relations de travail (entre les travailleurs, la supervision et/ou les
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gestionnaires) dans trois cas. Dans le cas 3, où on a implanté la rotation, cette transformation a contribué à
beaucoup améliorer la qualité des relations entre les travailleurs. Dans le cas 4, à la suite de l’intervention,
les travailleurs ont développé une approche plus réflexive, ils se questionnent davantage sur les problèmes
rencontrés dans le travail. Dans le cas 6, on note que les travailleurs se sentent maintenant plus écoutés.
On est ici davantage dans l’univers des facteurs psycho-sociaux. On peut penser aussi que dans certains
cas l’intervention aura un impact sur le regard ou l’approche de l’entreprise en prévention. Dans trois cas,
on rapporte une meilleure conscience ou compréhension des problèmes de TMS (cas 1, cas 3, cas 4). Dans
le cas 2, on compte poursuivre en réutilisant le QEC pour d’autres situations de travail.
Nous avons demandé aux personnes impliquées leur perception de l’impact des transformations sur la
productivité et la qualité. Dans tous les cas, il y a un impact positif sur la productivité et, dans cinq cas sur
6, un impact positif sur la qualité. Dans le cas 1 la qualité était déjà optimale.
Tableau 2 : Transformations et leurs impacts
Dans quatre cas, il y a un impact sur les facteurs de risque selon l’expert et selon les méthodes d’évaluation.
Dans les cas 1 et 5 plusieurs facteurs de risque ont diminué. Pour le cas 3, risque important, la durée
d’exposition a été réduite alors que pour le cas 6 il y a une nette amélioration de la posture. Dans le cas 2,
il n’y a pas d’impact noté par l’ergonome expert sur les facteurs mécaniques, quant aux méthodes, seules
certaines ont pu détecter une amélioration. Dans ce cas, où une opération exigeante est éliminée, il s’agit
surtout d’une réduction des contraintes cognitives.
Enfin dans le cas 4, ni l’expert ni les méthodes n’ont pu détecter une baisse du risque. Il semble donc que
l’impact des transformations ait été trop faible pour être capté par la procédure de l’expert ou par les
méthodes d’évaluation.
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Le processus de l’intervention
Quant au processus de l’intervention, un premier constat se dégage : les entreprises n’ont fait appel à un
expert en ergonomie que dans un seul cas. Un inspecteur a agi deux fois comme intervenant principal de
l’intervention.
Dans les cas 1, 3 et 5, des démarches systématiques d’identification de problèmes et de recherche de
solutions semblent avoir été menées, accompagnées de groupes de travail. Dans deux de ces situations,
l’intervention était menée par un inspecteur. Dans les trois autres cas, des démarches moins systématiques
semblent avoir été menées. Dans le cas 2, le QEC a été le point de départ de discussions entre des acteurs
de l’interne et l’inspecteur pour trouver des idées de solutions. Dans le cas 5, le responsable de la
maintenance a utilisé ses compétences techniques pour modifier le convoyeur. Finalement, dans le cas 6,
des solutions ont été trouvées après discussion entre le directeur de la production et l’inspecteur.
Soulignons que les délais d’implantation sont relativement longs ; il s’agit de la durée entre la première
analyse de l’inspecteur et l’implantation de correctifs. Dans deux cas, ce délai est de huit mois, dans trois
cas, de 11 mois et dans le dernier cas, de 12 mois.
Nous avons demandé aux acteurs comment était perçue cette approche de prévention de la CSST. Bien
qu’une dérogation ait été imposée, l’approche de la CSST a été rapportée comme étant bien perçue dans
cinq des six cas. Dans une entreprise (cas 3 et 5), on trouve même que les demandes ne vont pas assez loin.
Dans deux entreprises, on souligne qu’il serait apprécié d’avoir plus d’informations de sensibilisation. Une
entreprise relève que l’information donnée n’est pas toujours assez claire.
Dans cinq interventions, les relations avec l’inspecteur sont positives, on montre par exemple une
contribution importante, une attitude compréhensive, une bonne sensibilité face aux TMS. Dans un seul
cas, il y a un commentaire à l’effet que l’inspecteur devrait consulter avant d’imposer des délais, on réfère
aussi dans ce cas à des problèmes liés à la sécurité des machines. En bref, il y a une bonne perception de
l’approche mise en avant par la CSST et du rôle de l’inspecteur.
Discussion
Discutons des impacts de l’approche CSST et résumons les points forts et limites de l’étude.
Impacts de l’approche CSST
Tout semble indiquer, du moins à partir des cas suivis, que l’approche de la CSST a des impacts positifs.
Sur les huit cas, dans un seul cas, il n’a pas été possible d’entrer dans l’entreprise. Dans le cas 7, il n’y a pas
eu de suivi d’implantation car l’entreprise a décidé de revoir l’ensemble de ses postes avec l’intervenant
externe, ce qui est plutôt positif.
Ainsi, dans les six cas où il y a eu suivi, des transformations variées ont été implantées. Il s’agit de
transformations significatives. C’est donc des interventions sérieuses qui ont été menées, il ne s’agissait
pas uniquement de « cosmétiques » ou de « quick fix ». Il faut souligner qu’il y a eu implantation de différents
types de transformation ; les outils et les équipements sont touchés, mais la formation, les méthodes de
travail et l’organisation du travail sont aussi revues. Un bémol toutefois, les délais d’implantation sont plus
longs que prévus : de 8 à 12 mois. Il est un fait constaté dans nos études antérieures : la phase de recherche et
d’implantation des solutions est la plus longue dans des interventions de correction (St-Vincent et al., 1993).
Les impacts sur le poste de travail ont été évalués par des données de perception (degré de satisfaction
face aux transformations) et par l’évaluation des facteurs de risque, d’une part, par le jugement d’expert,
et d’autre part, selon les 10 méthodes d’évaluation des risques. Dans quatre cas sur six, il y a concordance
entre les données de perception et les impacts sur les facteurs de risque. Dans deux cas, il y a un impact
positif selon les données de perception, mais un impact plus mitigé si l’on considère le risque.
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Des données de perception ont été recueillies sur la productivité et la qualité. Il apparaît que dans tous
les cas la productivité est améliorée et, sauf un cas où la qualité était déjà optimale, celle-ci est toujours
améliorée. Ainsi les transformations, outre leur impact sur le risque, améliorent le travail.
Des données de perception ont été recueillies pour évaluer l’impact sur les représentations ou les
dispositions en prévention. Des résultats intéressants ressortent. Il y a tout lieu de croire qu’il y a un impact
sur les représentations. On dit que la façon de voir les TMS a été changée dans trois cas et une amélioration
des dispositions en prévention apparaît dans deux cas. Il s’agit là de facteurs favorables à des effets durables
sur la prévention des TMS. En effet, les représentations sont à la base des actions de transformation (Guérin
et al., 1997; Teiger, 1993). Par ailleurs, des effets sur les relations entre les différents acteurs sont notés
dans la majorité des cas. Dans un cas, il ressort nettement que le processus de transformation a induit chez
les travailleurs une approche plus réflexive : ils discutent plus, réfléchissent davantage aux problèmes.
Ces résultats suggèrent que les interventions des inspecteurs ont eu des répercussions profondes et plus
macro que les impacts observés au niveau du poste.
Points forts et limites de l’étude
Le point fort de cette étude est la diversité des données recueillies pour faire le suivi des interventions.
D’une part, des données de perception sur les impacts aux postes et, d’autre part, des données plus
quantitatives issues de méthodes connues d’évaluation du risque ont été prises.
Il faut mettre en perspective les résultats plutôt positifs qui ont été obtenus en fonction de certaines limites
de l’étude. Trois facteurs ont pu contribuer à surestimer les résultats. Un, il s’agit d’entreprises de grande
taille au contexte plutôt favorable. Deux, il s’agit d’inspecteurs sélectionnés et, trois, les tâches analysées
étaient de nature répétitive, donc moins complexes à analyser que des tâches variées.
Conclusion
Le suivi d’interventions sur un échantillon de huit situations de travail suggère fortement que les
interventions de prévention des inspecteurs de la CSST ont des impacts positifs dans les entreprises.
Des transformations variées et de bonne ampleur ont été implantées, lesquelles réduisent généralement
les facteurs de risque auxquels sont exposés les travailleurs tout en améliorant la production. De plus,
l’étude suggère que les interventions des inspecteurs ont des impacts plus généraux sur l’entreprise. Dans
certains cas, la prévention est stimulée et souvent la façon de voir les TMS est changée. Une amélioration
des relations entre les différents acteurs est observée dans la majorité des cas.
Tout semble indiquer que, selon le contexte, les interventions des inspecteurs constituent un levier pour la
prévention des TMS. Pour conclure de façon plus ferme, une étude de plus grande envergure est requise.
Références
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Atelier 7
Adaptation et appropriation
des outils au service
de la prévention des TMS
Agnès Aublet-Cuvelier
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France
Sylvie Ouellet
Cinbiose, Université du Québec à Montréal (Uqam)
(Canada)
Introduction
L
’appropriation/adaptation des outils au service de la prévention des TMS par les chercheurs et par
les acteurs de la prévention internes et externes à l’entreprise, est à l’origine de nombreux débats
au sein de la communauté scientifique et entre les praticiens à différents niveaux. Les conditions de
l’appropriation et les pratiques d’adaptation varient selon :
• la nature des outils mis en œuvre (cliniques, ergonomiques…),
• les compétences des concepteurs et celles des utilisateurs de ces outils,
• les objectifs poursuivis par les uns et par les autres (amélioration de la connaissance, évaluation de
l’exposition, compréhension et transformation des situations de travail, transmission de savoirs, de
compétences…),
• les conditions internes et externes du transfert,
• la durabilité de l’appropriation et de l’utilisation dans les organisations,
• l’utilité scientifique, stratégique et sociale de leur usage.
Objectifs
Cet atelier a pour objectifs d’éclairer chercheurs et praticiens sur les conditions de l’appropriation des
outils dans une perspective de prévention durable des TMS et d’explorer les avantages et limites de leur
adaptation dans différents contextes, à partir des témoignages de chercheurs et de praticiens, médecins
du travail, ergonomes et acteurs institutionnels de la prévention.
Déroulement de l’atelier
Quatre présentations autour de l’appropriation d’outils de prévention des TMS divers seront suivies de
temps d’échanges avec l’auditoire sur :
• les expériences vécues avec les outils présentés ou avec d’autres outils (contexte d’utilisation, difficultés
rencontrées, résultats attendus et effectifs…),
• les éléments pertinents à prendre en compte pour adapter ou s’approprier des outils existants,
• les besoins des praticiens en matière d’outils pour la prévention des TMS,
• les besoins de recherche pour soutenir les actions des praticiens.
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L’outil SALTSA dans un service
interentreprises de santé au travail :
un exemple d’utilisation
D. Leclerc, J.-P. Brion
AST Lor’N 1 (France)
Introduction
L
a véritable explosion de l’incidence des troubles musculosquelettiques dans les années 1990 a généré
une forte demande de moyens préventifs pour tenter d’enrayer cette épidémie. Parmi les différents
outils à visée ergonomique ou clinique émanant de la recherche, le dispositif SALTSA, outil de repérage
précoce des TMS du membre supérieur dans des populations de travailleurs, s’est imposé comme une
excellente méthode de dépistage clinique précoce des TMS du membre supérieur (TMSMS). L’outil clinique
SALTSA, fruit d’une recherche et d’un consensus européen, est validé et utilisable en application de routine
en milieu de travail. Il exige une formation spécifique des utilisateurs, garante d’une standardisation des
manœuvres permettant comparabilité et reproductibilité. Les données recueillies sont ainsi exploitables au
bénéfice d’ateliers, d’entreprises, de branches professionnelles, de services de santé au travail (SST) sous
forme d’enquêtes spécifiques, de surveillance épidémiologique ou de recensement simple de fréquences.
Après la découverte de cet outil à l’occasion d’une étude scientifique et la formation progressive de
plusieurs médecins du service interentreprises de santé au travail (5 au total), l’outil SALTSA a été utilisé à
titre individuel par les médecins du travail avec des participations très variables et des recueils de données
peu exploitables et peu exploitées au plan individuel par manque d’intérêt, de suite à donner ou de valeurs
comparatives.
Par ailleurs, le très grand nombre de situations de travail limite grandement les possibilités d’utilisation
des outils ergonomiques de diagnostic des postes à haute pathogénicité de TMS par l’impossibilité d’étudier
en amont toutes ces situations de travail en un temps raisonnable. C’est ainsi que les actions correctrices,
bien qu’indispensables, interviennent tardivement puisque l’identification du dysfonctionnement passe par
l’observation de pathologies déjà déclarées. Or, les trois degrés de gravité des TMS observables grâce à
SALTSA permettent d’envisager des actions correctrices à un stade précoce.
Dans ce contexte, il semblait judicieux d’utiliser les qualités du dispositif dans le cadre d’un plan d’activité
du service (utilisant déjà un protocole de recueil de fréquence d’expositions et de pathologies par l’approche
clinique) pour le recensement des TMS et des expositions professionnelles lors des entretiens médicoprofessionnels (visites médicales périodiques).
Méthodes et matériels
Le dispositif utilisé est le protocole d’examen clinique du consensus européen SALTSA. Les critères
diagnostiques du consensus SALTSA se rapportent à la présence de symptômes, aux résultats de
manœuvres cliniques codifiées et parfaitement reproductibles et à la présence de critères temporels. Leur
combinaison permet d’établir trois niveaux de sévérité :
• latent, s’il existe des symptômes mais pas de critères temporels (plainte seulement) ;
• symptomatique infra clinique ou forme appelée plus simplement symptomatique, s’il existe des
symptômes (symptômes présents actuellement, ou au moins 4 jours au cours des 7 derniers jours, ou au
moins 4 jours pendant au moins 1 semaine au cours des 12 derniers mois) mais pas de signes cliniques à
l’examen (plainte et décours temporel) ;
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- symptomatique avec signes cliniques ou forme dite avérée, s’il existe des signes positifs à l’examen et des
symptômes présents actuellement ou au moins 4 jours au cours des 7 derniers jours.
Les fréquences des troubles peuvent ainsi être estimées, une évaluation des actions préventives entreprises
est possible et ceci, de façon standardisée sur plusieurs sites. C’est en pratique une recherche des signes
infra cliniques et cliniques précoces pour prévenir, le plus en amont possible, le développement de ces
pathologies.
Protocole de recueil des données cliniques pour la surveillance des salariés en entreprise
Le logiciel utilisé par les médecins du service pour le dossier médical informatisé est le logiciel STETHO®.
En utilisant le thésaurus et ses rubriques, nous l’avons adapté à la saisie des items spécifiques de
10 pathologies des membres supérieurs ciblées par le dispositif SALTSA :
• les cervicalgies avec irradiation,
• le syndrome de la coiffe des rotateurs,
• l’épicondylite,
• l’épitrochléite,
• le syndrome du tunnel cubital (compression du nerf cubital dans la gouttière épitrochléo-olécranienne),
• la tendinite des extenseurs de la main et des doigts,
• la tendinite des fléchisseurs de la main et des doigts,
• la ténosynovite de De Quervain,
• le syndrome du canal carpien,
• le syndrome du canal de Guyon.
Ainsi, lors de la saisie des observations cliniques de chaque patient, les items de localisation sont
enregistrés, le cas échéant, dans un chapitre intitulé « enquête TMSMS ». La saisie est donc facilitée par
l’utilisation du logiciel habituel (pas de saisie supplémentaire, facteur très séduisant pour les praticiens
toujours très comptables de leur temps) Chaque affection périarticulaire saisie est accompagnée d’un motclé précisant le degré de gravité de la lésion, selon la graduation du protocole : TMS latent, symptomatique
ou avéré.
L’examen clinique et les manœuvres sont précédés du questionnaire Nordique (4) administré oralement
lors de la consultation et chez des patients considérés comme exposés (la durée d’un examen SALTSA
rendant impossible la passation à tous les patients). L’exposition au risque de contracter un TMSMS est ainsi
définie : « tout salarié appartenant à un métier reconnu comme exposant (activité manuelle), appartenant à
un atelier à forte prévalence de TMSMS, occupé à un ou des postes de travail dont le diagnostic ergonomique
(ergonome, référent TMSMS, bureau des méthodes) atteste d’une exposition (OREGE…) ».
Parallèlement à la saisie des conclusions cliniques, des facteurs de risque sont enregistrés selon une
notice de consignes proposant des critères précis. Cet enregistrement repose sur la connaissance qu’a
le médecin du travail des entreprises, ateliers et postes de travail liés au salarié observé. Concernant les
facteurs physiques, les critères portent sur :
Définitions retenues
Vibrations des membres supérieurs
exposition aux outils vibrants à main (perforateur à béton, marteau piqueur,
meuleuse, visseuse, taille haie, débroussailleuse, outil haute pression, très
haute pression…) plus de 1 heure par jour
manutention répétitive
exposition à un tonnage quotidien supérieur à 14 – (0,4 x la charge unitaire en kg)
pour les hommes et supérieur à 14 - (0,8 x la charge unitaire en kg) pour les
femmes (abaque INRS)
geste avec force
exposition à une manipulation de charges de plus de 4 kg pendant plus de 4
heures par jour ou traction d’objet en force
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Facteurs de risque
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gestes répétés
exposition dans la tâche principale, à des mouvements très répétitifs du membre
supérieur plus de 4 heures par jour (répétition d’une même action toutes les 3
minutes pendant plus de 4 heures par jour ou à un temps de cycle inférieur à 30
secondes plus de 4 heures par jour)
amplitudes maximales des poignets,
coudes, épaules
exposition à des amplitudes fortes prolongées (2 minutes) et/ou répétées
plusieurs fois par heure, plus de 2 heures par jour, des articulations des membres
supérieurs (travail mains au-dessus des épaules plus de 2 heures par jour,
mouvement de flexion/extension du coude plus de 2 heures par jour, mouvement
de pronation ou supination plus de 2 heures par jour).
amplitude maximale du rachis
mouvements de flexion du cou plus de 4 heures par jour, mouvements d’extension
du cou plus de 4 heures par jour
Concernant les facteurs psychosociaux, les caractéristiques suivantes sont recensées :
Facteurs de risque
Définitions retenues
marge de manœuvre réduite
exposition a une faible latitude décisionnelle dans le process (peu de choix dans
la façon de procéder, travail en ligne)
forte exigence psychologique
exposition à une exigence de résultat, (quotas, chiffres d’affaires imposés, prime
de résultat…)
charge affective élevée
exposition à un impact émotionnel lié à l’activité (travail au contact fréquent avec
des situations difficiles telles que des décès (pompes funèbres), travail avec des
populations en souffrance comme dans certains services hospitaliers, ou dans la
petite enfance…)
exposition à une pression temporelle forte exigence ressentie, nombreuses tâches à accomplir en un temps court,
forte
sensation de manque de temps pour accomplir une tâche complexe…
rapports sociaux
exposition à une absence de soutien, de consignes claires, de reconnaissance
des efforts, situation conflictuelle vis-à-vis de la hiérarchie ou des collègues
amplitude maximale du rachis
mouvements de flexion du cou plus de 4 heures par jour, mouvements d’extension
du cou plus de 4 heures par jour
Méthode d’analyse des données
Les bases de données ainsi alimentées sont rendues anonymes et transmises toutes les semaines à notre
service d’études statistiques. Le traitement des données est effectué par une statisticienne du service
interentreprises. Les données sont alors traitées selon des règles précises et analysées par cycle de 4 mois
(pour plus de réactivité). Les analyses statistiques consistent à calculer des taux de prévalence des TMSMS
et des fréquences d’exposition à différents facteurs de risque, selon le secteur d’activité et la profession.
Pour chaque salarié, des scores de pathologies et d’exposition sont établis. Les scores de pathologies
sont obtenus en fonction du nombre d’affections saisies, pondérés par des coefficients liés à la probabilité
d’inaptitude selon le site touché (épaule = 3, coude = 2, poignet et cervicalgie = 1). Les scores d’exposition
sont calculés par sommation des facteurs d’exposition enregistrés par salarié.
Les données sont ensuite croisées (scores d’exposition / scores de pathologies) pour rechercher des
associations statistiques et conduisent à la création de diagrammes très visuels nous permettant un
repérage immédiat des priorités d’action.
Dans notre plan d’activité, la saisie des données est continue, à visée longitudinale, destinée à repérer
précocement des situations dont le danger n’est pas maîtrisé (fort score d’exposition associé à un fort
score de pathologie) pour une action correctrice prioritaire versus des situations à fort score d’exposition
avec peu de pathologies (risque maîtrisé à priori)
La rigueur du protocole SALTSA permet aussi des comparaisons avec d’autres sources de données
recensées par ailleurs dans STETHO®
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Exploitation des résultats
Les données recueillies sont restituées aux médecins concernés pour une éventuelle exploitation sur leur
secteur et/ou leurs entreprises. Cependant, l’objet premier de ces recensements est bien dans l’utilisation
collective. La cellule pluridisciplinaire de notre service rassemble les compétences techniques principales
à l’examen des situations de travail avec pour objet, l’évaluation des risques et les propositions de corrections
éventuelles des dysfonctionnements. Composée d’ergonomes, de toxicologues, de psychologues du
travail et de techniciens en métrologie, elle intervient sur le terrain après sollicitation par les médecins
du travail qui ont identifié une ou des situations à risque. Notre protocole permet de hiérarchiser ses
priorités d’interventions en fonction des scores croisés obtenus et d’argumenter sereinement auprès
des demandeurs le planning des interventions. Les actions de terrain ainsi programmées ont plusieurs
objectifs :
• confirmer ou infirmer les expositions aux dangers identifiés par les observations cliniques ;
• entreprendre des actions correctrices précoces ;
• expliquer si possible les différences de scores face à des situations sensées être semblables ;
• être à l’origine d’enquêtes spécifiques afin de confirmer des hypothèses émises lors des observations de
terrain ;
• alimenter en retour nos paramètres d’exposition en les affinant.
Conclusion
Les apports d’un tel dispositif sont donc multiples :
• observations instantanées des fréquences de pathologies observées par entreprises, branches
professionnelles, pour chaque médecin ;
• alerte précoce grâce à l’identification des cas latents et symptomatiques de TMSMS;
• hiérarchisation des actions à mener sur le terrain par la création d’un indicateur spécifique en croisant
les scores d’expositions et de pathologies ;
• comparaison temporelle pour l’évaluation des actions entreprises en étudiant l’évolution des scores ;
• travail collectif favorisant la dynamique pluridisciplinaire du service de santé au travail.
Parmi les perspectives figurent d’une part la création d’un lien direct entre résultats statistiques et actions
des services techniques pour plus de réactivité dans la programmation centralisée des actions de terrain
à mener et d’autre part la formation d’un plus grand nombre de médecins à l’utilisation de ce dispositif
pour optimiser la gestion des TMS au niveau du service (recensement des données à un niveau macro par
secteur du service, par bassin d’emplois voire sur le département complet).
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le procès cadre vert :
comment le travail peut aider
à rester actif
Jean-Pierre Meyer
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
Jean-Luc Mochel
CARSAT (France)
Introduction
L
e passé récent montre que l’amélioration de la santé au travail reste à bâtir. L’edxemple de la durée
moyenne des arrêts suite à accident du travail (AT) est à ce titre édifiant. De 25 jours d’arrêt en 1970, elle
est passée à 55 jours en 2006. Comparées à des statistiques anglo-saxonnes (Waddell 1998) ces durées
d’arrêt conduisent 10% de la population arrêtée en 1970 à ne plus jamais retravailler alors que ce taux est
de 20% en 2006. En clair, aux coûts initiaux, s’ajoute entre 1970 et 2006 un risque multiplié par 2 de passage
à la chronicité en cas de lombalgie. Si l’augmentation de la durée des arrêts est fondée, des consensus de
soins récents montrent que ce n’est pas toujours la meilleure façon de soigner les lombalgiques. Par ailleurs,
le vieillissement des salariés, leur perception d’une intensification du travail ou d’une dégradation de leurs
conditions de travail comme le développement des démarches de qualité, des organisations du travail en flux
tendus ou des mécanisations inadaptées expliquent, au moins en partie, l’augmentation de la durée des arrêts
en cas d’AT. Dans ces réalités de travail qui pourraient impacter des plaintes variées, les fatigues musculaires
et les lombalgies sont rapportées en premier lieu (Eurostat 2005). En France, le nombre d’AT diminue mais les
AT touchant le dos augmentent en proportion pour représenter près d’un quart des AT actuellement. Le total des
arrêts de travail pour lombalgies en AT et en maladies professionnelles (MP) est de 9 millions de journées. Les
arrêts pour lombalgie en maladie sont de 20 millions environ. Tout n’est pas lié au travail, mais les conditions
de travail et leur perception sont des facteurs déterminants dans la prolongation des arrêts pour lombalgie. En
effet, à la simple question « avez-vous souffert de douleurs dorsales ? », environ 2/3 de la population salariée
répond oui alors que si l’on affine le niveau de gêne, ils sont six fois plus nombreux à s’arrêter au travail lorsqu’ils
sont exposés à une contrainte (manutention ou vibrations du corps entier) qu’une population de référence non
exposée (Meyer et al., 1998). Dans ce contexte, l’amélioration de l’environnement physique et psychique du
travail est déterminante pour permettre au lombalgique de rester ou de revenir le plus vite au travail.
Savoirs nouveaux
En parallèle aux évolutions des répercussions du travail sur la santé et en particulier sur les lombalgies, se
sont développés depuis près de 30 ans des savoirs de soins et des démarches argumentées pour promouvoir
un retour rapide à l’activité des lombalgiques (Loisel et al. 2007, Linton et al. 2008). Les évolutions relatives
aux soins peuvent se résumer en 4 périodes :
• Le début des années 1980 et les démarches de réadaptation active ont montré que bouger améliorait
même des lombalgiques chroniques (Mayer et al., 1985). Simultanément étaient publiées de nombreuses
données physiologiques issues de l’exploration de l’espace et des récupérations de traumatismes
musculaires chez les sportifs. Ces études montraient : a) qu’au cours de vols en apesanteur brefs (1 à 2
jours), les capacités proprioceptives de la colonne vertébrale étaient perturbées (Narici et de Boer, 2011)
et b) qu’un muscle ou un tendon devaient être mis sous tension au plus vite pour récupérer au mieux
(Kamps et al. 1994, Jarvinen et al., 2007).
• Au cours des années 1990, le développement de la médecine par les preuves a appuyé des consensus de
soins basés sur des données épidémiologiques qui montraient que le repos au lit était néfaste à une
bonne guérison des lombalgiques (Waddell 1998). Des études épidémiologiques plus récentes ont montré
qu’il n’existait pas d’activité spécifique mais que l’activité de la vie de tous les jours était la plus bénéfique.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
• Au début des années 2000 s’est confirmé le peu d’intérêt de l’exploration radiologique systématique chez le
lombalgique (Deyo et Weinstein, 2000). Le caractère nocif de l’exploitation de ces données est même avancé
car elles ne montrent que des anomalies qui souvent n’ont rien à voir avec la pathologie et aggravent la
perception d’une éventuelle gravité de celle-ci (Waddell, 1998 ; Deyo et Weinstein, 2000 ; Henrotin et al.,
2006). Plus de 60% des plus de 60 ans sans antécédents lombaires ont des images radiologiques anormales.
De ces conclusions, il ressort que la majorité des lombalgies ont pour origine une lésion des tissus mous,
non visibles à l’imagerie actuelle. Ces lésions doivent être traitées par le mouvement. L’examen radiologique
ne s’impose qu’en cas de signes cliniques spécifiques dits « drapeaux rouges » (Henrotin et al., 2006).
• Depuis les années 2000 s’est aussi confirmée l’importance de l’environnement psychologique (croyances,
locus du contrôle, confiance…) autant dans la prise en charge thérapeutique du lombalgique que dans la
composante sociale et de confiance qu’apporte le retour au travail (Loisel et al., 2007). À noter que le
stress est un facteur de risque démontré de lombalgie depuis plus de 150 ans (Keller et Chappell, 1996).
La publication en 1992 d’une large étude sur les facteurs de risque de lombalgie chez l’avionneur Boeing
avait solidement démontré l’influence des facteurs psychosociaux. En effet, dans cette étude, « l’APGAR »
de travail était le facteur prédictif de lombalgie le plus fort alors qu’il ne quantifie que les relations entre
collègues et avec la hiérarchie (Bigos et al., 1992). Les six items de « l’APGAR » ont été ajoutés au
questionnaire original de Karasek pour aboutir à sa version actuelle.
Ces acquis de soins et de prévention mettent en évidence la nécessité d’action pour réduire les lombalgies
qui associe le monde du travail et le monde des soins. Si le premier est en capacité de développer des postes
de travail qui répondent aux caractéristiques du « cadre vert », les seconds pourront sereinement expliquer
aux lombalgiques pourquoi et comment il faut bouger et que ceci est possible et bénéfique au travail. Une
entreprise qui adopte la démarche « cadre vert » en informe ses salariés. Le salarié lombalgique qui
consulte pourra se faire confirmer l’intérêt thérapeutique par son médecin traitant.
Le cadre vert
À partir de données qui font consensus, il est possible de définir un cadre de prévention général pour les
items manutention, travail répétitif, travail lourd, posture et vibrations du corps entier (INRS, 2011). En
effet, des données correspondantes pour une population générale sont disponibles pour tous ces champs
de la contrainte physique. Les propositions du « cadre vert » s’adressent à un salarié lombalgique, elles
sont tirées des mêmes documents que pour la population générale mais en adoptent les limites basses.
manutention
charge (kg)
tonnage (t/j)
poids déplacé (kg)
travail répétitif
travail lourd
posture
vibrations
corps entier chutes
psychosocial 5
3
100 (4 roues)
40 ”gestes”/min
FC < 30 bpm <1h
pics FC < 0,85 (220-âge)
”0” penché important (20°)
”0” posture prolongée (pauses)
0,5 m.s-2
< 1 h par jour
”0” obstacle, dénivelé, course + informations
8-21 j ”accueil”
accueil, accompagnement
progression du volume
vitesse de travail, pauses
organisation, entraide
….propositions du salarié
Figure 1 : Le « cadre vert » : valeurs limites de contraintes physiques (manutention, travail général,
postures, vibrations corps entier et risques de chutes.) et indications pour réduire la contrainte
psychosociale.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le « cadre vert » comporte une série de limites pour différents éléments qui sont considérés comme étant
des facteurs de risques de lombalgie. Ces limites sont issues de normes, de décrets, de directives, de
règles de bonne conduite ou de prévention. L’application de ces limites ne demande aucune mesure. Les
limites de travail dur ou de pics d’activité excessive peuvent être déterminées à l’aide d’une échelle RPE de
6 à 20 de Borg (INRS 2011). Un accord doit être trouvé pour que l’activité habituelle ne soit pas cotée plus de
11 et qu’à aucun moment le poste « cadre vert » n’impose d’activité cotée 15 sur l’échelle de Borg. Pour les
chutes, qui représentent 1/4 des lombalgies causées par un accident du travail, il s’agit des règles le plus
communément reprises dans les documents de prévention. L’application de l’encart psychosocial impose
une démarche globale à l’entreprise qui doit être appuyée par sa direction. En effet, il n’est pas possible de
mettre en place la démarche et les conditions de ce qui est appelé accueil sans un accord de tous et après
discussion dans les différentes instances de l’entreprise.
La démarche n’est pas un poste doux, c’est un poste transitoire qui doit permettre un retour à une activité
normale en 8 à 21 jours. La durée de cet accueil peut être rediscutée au cas par cas, mais elle doit être
bornée. Il ne s’agit pas d’une activité pérenne pour le lombalgique ; les postes « cadre vert » eux le sont.
Ils doivent pouvoir accueillir successivement et à tout moment des salariés lombalgiques qui peuvent
bénéficier de la démarche.
Le « cadre vert » est défini pour permettre à un salarié lombalgique de travailler sans difficultés excessives
si au respect de ces limites s’ajoute une démarche d’accueil qui permette d’adapter ces conditions en continu.
Le « cadre vert » n’est pas un outil ergonomique de plus, ce n’est pas une check-list de limites de contrainte,
un score de poste à établir, des critères de poste doux ou encore le support pour une passade de prévention.
Il s’agit d’un cadre incitatif, compréhensible, réalisable. Il sous-tend une démarche de prévention et ne peut
se mettre en place en dehors d’une action concertée dans l’entreprise avec les partenaires sociaux. C’est
une construction de l’entreprise, idée adoptée, adaptée, acceptée, évolutive. La réflexion pour construire
des postes « cadre vert » doit être très ouverte. Souvent, ils n’existent pas. Cependant, des assemblages
de tâches qui, elles existent, parfois de façon informelle, peuvent se structurer en poste « cadre vert ».
On peut apparemment être loin des activités de l’entreprise mais des postes « cadre vert » peuvent être
constitués à partir de tâches cachées/ignorées ou fondues dans les activités habituelles qu’elles peuvent
même gêner. Regrouper ses tâches peut améliorer l’organisation du travail. La construction de postes
« cadre vert » peut être envisagée au travers de collaborations entre entreprises, de temps partagé ou de
politiques de bassin d’emploi. Les idées des entreprises seront surprenantes.
La démarche « cadre vert » impose à l’entreprise une information en interne pour avoir l’accord de tous et
une campagne d’information vers les soignants. La première insistera principalement sur l’intérêt pour le
lombalgique (70% des salariés) et les répercussions envisagées sur l’ensemble des conditions de travail.
L’information vers les soignants est fondamentale et va impliquer en premier lieu le service de santé de
l’entreprise. Cette information doit aboutir à une prise en charge plus volontaire du lombalgique par son
médecin traitant et d’une collaboration naturelle et simplifiée entre celui-ci et le médecin du travail du
patient. Cette approche, souvent préconisée, mais rarement pratiquée est indispensable pour donner à la
démarche « cadre vert » toute son efficacité. Il s’agit d’une démarche globale de prévention de la santé des
salariés.
Mise en place
Il est encore trop tôt pour exposer des situations pratiques dans lesquelles la démarche « cadre vert »
aurait été mise en place ; elle est encore très récente. Cependant dans leurs interventions les quatre
services prévention des caisses régionales de sécurité sociale impliqués ont été questionnés en particulier
par des grandes entreprises pour lesquelles la prise en charge d’un accord au sujet de la santé des
salariés appartient à leur culture d’entreprise. Celles-ci ont souvent une organisation et des outils qui leur
permettent de communiquer dans et hors de l’entreprise et d’évaluer le suivi et de corriger les écarts de
telles actions. Elles comprennent en général l’intérêt en termes de relations humaines que comporte la
démarche.
Quelques grandes entreprises ont enclenché la démarche, un bilan n’est pas encore possible. Cependant,
le recul même bref permet déjà de dégager les freins et leviers perçus de la démarche.
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Freins et leviers
Pour le lombalgique
• Les freins sont ceux de :
-- sa conviction que bouger c’est guérir, il s’agit d’un paradigme encore peu répandu et pas explicité
auquel est lié celui de retravailler en « phase douloureuse » ;
-- sa représentation du lien entre travail et lombalgie lorsque celle-ci est consécutive à un événement au
travail (droit de s’éloigner, éviter les causes…) ;
-- sa crainte d’être un sujet d’expérience pour son médecin, son employeur, la sécurité sociale…
• Les leviers seront en symétrique :
-- l’adhésion à l’idée que sa lombalgie, même très invalidante, est bénigne et que bouger c’est se prendre
en charge pour guérir ;
-- les critères auxquels répond son retour sont basés sur des connaissances scientifiques définies hors
de la sphère de l’entreprise ;
-- l’effort de l’entreprise pour faciliter son retour et témoigner de l’intérêt pour lui.
Freins et leviers, souvent complémentaires, montrent l’importance de l’action d’information en interne et en
externe. Cette dernière est essentielle pour renforcer l’utilisation des consensus de soins par les soignants.
Pour l’entreprise
• Les freins :
-- l’expérience passée de la gestion des arrêts pour lombalgie et la faible influence sur les activités de soins ;
-- la démarche semble innovante. Elle peut être perçue compliquée (cadre vert et informations) et
l’entreprise peut refuser d’être un acteur de soins ;
-- faire travailler des salariés « pas guéris » avec une incertitude initiale sur les résultats, le risque accru
d’AT et les conséquences financières…
• Les leviers :
-- l’approche RH pour aborder la gestion de la santé des salariés ;
-- les intérêts financiers (coûts, baisse des cotisations, baisse de l’absentéisme…) ;
-- la gestion facilitée des incapacités.
Afin de répondre à ces inquiétudes et confirmer la facilitation de la gestion du personnel, il est important
d’évaluer les actions qui démarrent.
Le médecin du travail et le service de santé au travail sont ici considérés comme faisant partie de l’entreprise.
Ils ont des freins précis : aptitude particulière, risque de rechute, surcharge de travail (informations
vers l’extérieur, explications aux salariés lombalgiques…), confiance dans les capacités de l’entreprise à
mener une démarche « cadre vert » pérenne. Leurs leviers seront la mise en pratique de savoirs établis,
l’amélioration des situations de reprise, l’engagement de l’entreprise vers la prise en compte affirmée de
la santé de ses salariés, l’efficacité des relations avec le médecin traitant…
Personnage central de la démarche dans l’entreprise, le médecin du travail devra bénéficier des résultats
des premières actions pour renforcer sa conviction et comprendre les éventuels échecs de la démarche.
Ceux-ci ne doivent pas faire renoncer et il sera souvent le soutien de l’action.
Pour les médecins traitants
Les médecins traitants sont les oubliés de la prévention. Pourtant, dans le cas des lombalgies, leur rôle est
fondamental (Waddell, 1998 ; Loisel et al., 2006 ; Henrotin et al., 2006 ; Shaw et al., 2008 ; Chou et al., 2009).
Leurs freins sont l’ignorance de la réalité du travail du patient qu’il connaît comme manutentionnaire,
chauffeur, stressé par son travail. Il doit être convaincu de la réalité du « cadre vert ». La crainte de l’échec
reste un frein fort. Les leviers pour lui sont la meilleure opportunité d’appliquer des consensus de soins,
de convaincre du bien-fondé d’une reprise du travail en connaissant celui-ci, la mise en place effective de
relations avec les médecins du travail, la prise en compte du travail de ses patients.
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La démarche « cadre vert » fait obligation de relations fonctionnelles rapides entre médecins de soins et du
travail. Ce n’est qu’à cette condition que le patient-salarié lombalgique pourra bénéficier des soins les plus
efficaces, que le monde du travail pourra être récompensé de sa démarche et que les soignants pourront
voir plus sereinement l’avenir socioprofessionnel de leurs patients.
Conclusion
Les conséquences des pathologies lombaires sont importantes et l’augmentation continue de la durée
des arrêts de travail en AT touchant la colonne témoigne d’une prise en charge inadaptée. La mise en
pratique simultanée d’une possibilité de retour précoce au travail et des savoirs cliniques nouveaux qui
tous préconisent un nouveau paradigme de soins qui promeut avant tout le mouvement ; lent et progressif
mais très précoce.
Pourquoi le travail ? Parce que le travail est pour le salarié un lieu d’échanges, de reconnaissance qui
donne des moyens économiques. C’est au travail également qu’ont été mises en valeur des démarches de
restauration rapide (Roland et al., 2002 ; Staal et al., 2003 ; Shaw et al., 2008). De nombreux préventeurs,
impliqués dans des actions conjointes entre soins et prévention, ont des arguments solides pour faire
en sorte que les lombalgies guérissent bien et n’entraînent pas de formes chroniques particulièrement
invalidantes. Dans ce contexte, la prévention primaire reste essentielle. Cependant, elle ne suffit plus à
réduire les formes les plus lourdes de lombalgies qui se chronicisent. L’action demande alors une volonté
forte de l’entreprise pour construire un « cadre vert » d’activités possibles pour un lombalgique et une
interaction étroite avec les médecins traitants et plus globalement les soignants exerçant dans la zone
géographique de l’entreprise pour que les messages aux lombalgiques changent.
L’entreprise peut être aidée par les CARSAT, CRAM ou CGSS de son secteur pour disposer de compétences
techniques et d’aides financières.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
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Une formation-action comme outil de
prévention des TMS dans le secteur
viticole : leviers et freins identifiés
par le biais de la recherche évaluative
Rachel Barbet-Detraye
Caisse Centrale de Mutualité Sociale Agricole
(CCMSA) (France)
Aurélie Landry
Université Pierre Mendès France (France)
rnaud Tran Van
A
ANCOE (France)
T
ransfert de la démarche du « couteau qui coupe » à la viticulture, quels sont les effets sur le terrain
d’une formation-action à la prévention des Troubles Musculo-Squelettiques (TMS) ? La recherche
évaluative tente de répondre à cette question en identifiant les leviers et freins à la mise en œuvre
de la démarche et à l’obtention de résultats. Elle montre, qu’au-delà du processus même de l’action, les
marges de manœuvre des formateurs sont en interaction avec les effets produits en matière de prévention.
De la démarche du « couteau qui coupe » à la prévention des TMS en viticulture
Le module de prévention TMS en viticulture
Élaborée dans le cadre de « l’approche participative par branche » par la CNAMTS, l’INRS et la MSA, en
collaboration avec les fédérations professionnelles et les syndicats de salariés de la filière viande de boucherie,
la démarche du « couteau qui coupe » a permis d’aider les entreprises à s’engager dans une conduite de projet
visant à améliorer les conditions de travail et à diminuer les TMS. En effet, l’augmentation du pouvoir de coupe
du couteau a non seulement donné lieu à une amélioration de la qualité du travail mais a également constitué
un facteur important de lutte contre les TMS du membre supérieur. Forte de son savoir-faire dans la mise en
œuvre de cette action, la Mutualité Sociale Agricole (MSA) a décidé d’adapter ses connaissances au transfert
de cette action en viticulture. Premier secteur d’activité touché par les TMS depuis 2006, la viticulture est une
filière où le geste de taille de la vigne avec le sécateur signe le savoir-faire du viticulteur et détermine aussi
le devenir de la vigne. Au-delà, du désir de « bien accomplir son métier », l’approche formative sur le choix et
l’entretien de l’outil de coupe, devait donc permettre, comme dans la filière viande, d’agir sur les TMS.
L’architecture de cette formation repose sur le triangle dynamique « pouvoir débattre – pouvoir penser –
pouvoir agir », développé par François Daniellou (1999), idée clé dans la prévention des TMS. L’objectif est de
sensibiliser les viticulteurs – vignerons (salariés, exploitants et personnes en formation) à la prévention des
TMS en s’appuyant sur cette accroche technique qu’est l’affilage du sécateur. Les préventeurs, conseillers
en prévention (ci-après dénommés CP) et médecins du travail (ci-après dénommés MT), du réseau MSA ainsi
que des relais professionnels ont assisté à des sessions de transfert concernant l’utilisation de ce module de
formation. Ils se sont appropriés le contenu et la pédagogie d’animation proposés par les concepteurs et, par
la suite, ont pu mettre en œuvre, en trinôme, des formations sur le terrain auprès des viticulteurs.
Demande d’évaluation : Projet IMPACT TMS en viti
Suite à ce transfert, on comptait fin 2007, 29 MSA (sur 49) pour lesquelles les acteurs de prévention avaient
été formés et parmi elles, 11 MSA avaient déjà mis en place des actions de formation. La CCMSA a alors
souhaité évaluer ce dispositif de formation mis en œuvre pour la prévention des TMS dans le milieu viticole.
Consciente des différentes conditions d’utilisation du module par les acteurs de la prévention, elle désirait,
à travers une démarche d’évaluation, identifier les effets du module de formation sur les déterminants
des situations de travail considérés comme générateurs de TMS et capitaliser des expériences et des
connaissances pour évaluer l’efficacité et la pertinence de ce dispositif.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Les principaux enjeux, en lien avec ce projet, étaient d’appréhender une nouvelle démarche d’évaluation
prenant en compte l’activité des préventeurs et le contexte de l’action, et aussi d’assurer une continuité
dans l’action de prévention des TMS en viticulture.
De la recherche évaluative à une démarche d’évaluation
Bases théoriques de la recherche évaluative
Toute démarche d’évaluation participe à la mise à plat des objectifs d’une action, des pratiques utilisées et
de leur finalité (Hudson, 1982). Toute action peut alors faire l’objet de deux types d’évaluation (Chen, 1990):
une évaluation soit centrée sur les connaissances, les modèles théoriques : l’évaluation normative, soit
centrée sur les pratiques et leurs liens avec les résultats observés : la recherche évaluative.
Ainsi lors de l’évaluation d’un programme, d’une formation, d’une action en milieu de travail, l’évaluateur
va devoir choisir entre ces deux démarches (Rondot, et al. 2003) en s’appuyant non seulement sur les enjeux
de l’évaluation, mais aussi sur les contraintes concrètes liées à la mise en place de cette évaluation Ce
choix reflète le point de vue de l’évaluateur sur le phénomène à évaluer et oriente ensuite les méthodes de
recueils de données et les analyses réalisées sur ces données.
De plus, les données recueillies ne portent pas sur l’ensemble de l’action (Hudson, 1982), mais seulement
sur les dimensions les plus pertinentes et les méthodes de recueil de ces données choisies doivent
respecter des critères de validité interne et externe (Contrandriopoulos et al., 1990). La validité interne
de l’évaluation se caractérise par la capacité de bien mesurer le phénomène à travers les dimensions
retenues. Ainsi l’étude de cas a une grande validité interne, puisqu’elle permet d’aborder des phénomènes
fortement dépendant du contexte dans lequel ils se produisent (Yin, 1992). La validité externe, quant à elle,
indique si le protocole d’évaluation répond à certains critères qui vont permettre la généralisation des
résultats mesurés à d’autres cas (Rutman, 1984). Un moyen de créer de la validité externe est la répétition
des mesures. Cette répétition peut être artificielle comme le propose Falzon (1997), c’est à dire prévue
méthodologiquement, comme par exemple l’analyse de cas multiples.
Ces deux aspects de la validité expliquent que dans le cadre d’évaluation de programme de prévention
comprenant une formation, il est intéressant de travailler par étude de cas. Puisque, pour accroître la
comparaison entre cas, il faut utiliser les mêmes dimensions, nous avons suivi la recommandation de
Muller (1999) de travailler à partir de monographies.
Méthodologie du projet IMPACT TMS en viti : octobre 2008 à avril 2010
L’objectif principal de ce projet était certes d’évaluer les effets du module de formation sur les situations
de travail, mais les résultats obtenus devaient aussi être mis en lien avec les objectifs poursuivis par les
”formateurs” (CP, MT et relais professionnels), les conditions de réalisation de leurs actions de prévention
compte tenu de leurs marges de manœuvre (politiques des MSA, entreprises visées, positionnement des
intervenants, actions précédentes et à venir…). Pour ce faire, le type d’évaluation choisie a été la recherche
évaluative au sein de laquelle l’ensemble du dispositif de formation a été étudié, depuis les caractéristiques
des intervenants jusqu’aux résultats sur les situations de travail, comme ainsi modélisé dans le schéma
ci-après.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Modèle de l’intervention, des facteurs qui l’influencent et des résultats produits
(tiré de St Vincent, Gonella, Beauvais, Vézina, Laberge, Lévesque et al., 2008).
Afin de limiter l’évaluation aux facteurs essentiels, Hudson (1982) propose de focaliser l’évaluation sur
le dispositif de la formation déployée (figure 1). Lecomte et al. (1982) et Patton (1987) proposent d’étudier
l’ensemble de la démarche selon l’analyse de l’activité des intervenants à travers de l’observation directe,
des analyses de documents, des prises de note des intervenants pendant le déroulement de la formation,
des entretiens… Les outils proposés par ces auteurs, ainsi que les précautions de leur usage sont très
proches de ceux mobilisés par les ergonomes lors d’une analyse de l’activité (Guérin et al., 1997). Ainsi
les méthodes de recueil de données en ergonomie étant appropriées pour réaliser la recherche évaluative
(Landry, 2008), nous avons donc mis en place le recueil de données suivant :
• analyse de l’activité et entretiens afin de déterminer les pratiques des formateurs : 35 personnes ont été
associées, soit 28% des utilisateurs du module de formation ;
• réalisation de monographies puis mise en débat de ces monographies en groupes de travail (confrontation
collective) afin de contribuer à la répétition artificielle et étudier les conditions de généralisation : 4
monographies ont été réalisées et 94 personnes, soit 76% des utilisateurs du module ont participé à la
confrontation collective ;
• implication des acteurs à la réalisation de leurs propres diagnostics (monographies, confrontations
collectives) afin d’étudier les effets d’interaction (contexte – pratiques - résultats).
La difficulté méthodologique résidait ensuite dans l’identification des effets produits par l’intervention, une
partie de ces effets étant attendus et d’autres non attendus (Berthelette, 2006 ; Daniellou, 2006). Nous avons
donc choisi de mesurer les effets produits sur les situations de travail des viticulteurs, mais également les
effets produits sur l’évolution des connaissances, des représentations des viticulteurs (figure 1) selon le
principe d’attribution (Berthelette, 1996). Ceci nous a donc conduit à réaliser des analyses de l’activité et
des entretiens avec les viticulteurs formés : 35 viticulteurs - vignerons répartis dans plusieurs terroirs
viticoles ont été observés dont 5 chefs de cultures, 8 vignerons exploitants et 22 salariés.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Leviers et freins identifiés par la recherche évaluative
Bien que cette démarche ne permette pas de quantifier exactement les évolutions des déterminants des
situations de travail générateurs de TMS, l’analyse des données recueillies a permis d’identifier les leviers
et les freins d’une part à la prise en compte des messages de prévention par les viticulteurs vignerons, et
d’autre part, à la mise en place de la démarche dans les divers terroirs viticoles.
Prise en compte des messages de prévention
Les caractéristiques du terroir viticole vont influencer l’intégration dans les situations de travail des
conseils de prévention présentés en formation. Les caractéristiques qui semblent avoir le plus d’influence
sont les suivantes :
• les contraintes AOC du terroir telles que, entre autres, la hauteur, le type de cépage, le type de taille qui
ont un effet sur les possibilités d’organiser le travail, sur les postures de travail, sur le matériel utilisé ;
• le contexte économique du terroir viticole qui joue, dans un premier temps, sur la possibilité pour les
viticulteurs de se dégager du temps pour assister à la formation et sur leur disponibilité cognitive pour
écouter et assimiler les messages de prévention. Dans un second temps, il influence aussi les possibilités
d’organiser le travail et d’investir financièrement dans des outils et / ou du matériel appropriés.
Les caractéristiques des vignerons (apprenants) qui influencent le plus la mise en place de conseils en
situations de travail sont :
• l’âge et l’ancienneté des apprenants : en effet, les jeunes formés dans les lycées agricoles ou les
personnes en reconversion professionnelle ont tendance à mettre plus en place de conseils que les
expérimentés pour lesquels des défenses de métier plus « ancrées » vont limiter l’impact des messages
de prévention ;
• l’état pathologique des apprenants : ceux qui ont déjà mal ont plus tendance à mettre en œuvre les
conseils pour diminuer leurs douleurs.
Cependant la caractéristique qui semble largement favoriser la mise en œuvre de conseils de prévention en
situations de travail est la présence d’un encadrant lui-même formé qui va pouvoir organiser le travail en
intégrant les conseils de formation. Et c’est généralement dans les terroirs viticoles au contexte économique
le plus favorable qu’on va retrouver des exploitations de tailles suffisamment importantes pour qu’elles
soient organisées avec des encadrants intermédiaires. C’est également dans ce type d’exploitations que
nous avons pu observer des résultats de la démarche sur du long terme.
En outre, les analyses qualitatives ont montré que les caractéristiques de l’animation de la formation vont
fortement influencer la prise en compte des messages de prévention sur les situations de travail :
• la présence du relais professionnel permet d’adapter le discours à la réalité du travail, sa proximité avec
les participants crédibilise son discours et, par là même, la formation ;
• tous les ajouts (films, photos) au module de formation initial mettant en scène le travail dans le terroir
viticole concerné est un levier pour la compréhension des messages ;
• les animateurs qui favorisent un feed-back sensori-moteur (par exemple en faisant tester la qualité de
l’affilage du sécateur sur des sarments) favorisent la transmission du message ;
• l’animation du tour de table initial, la place laissée aux échanges et l’entente professionnelle entre les
différents formateurs favorisent la compréhension des messages de prévention.
Enfin, la stratégie d’action locale et notamment la possibilité de retourner dans l’exploitation ou le rappel en
visite médicale des conseils de prévention sont des leviers à la mise en place de messages en situation de taille.
Au-delà des conseils acquis suite à la formation, il a surtout été mis en évidence que l’une des plus grandes
difficultés résidait dans la mise en place elle-même de formations, voire de stratégies d’intervention dans
le terroir. La recherche évaluative s’est alors intéressée aux caractéristiques qui pouvaient limiter ou
favoriser la mise en place de démarches dans les différents secteurs viticoles.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Mise en place de la démarche
Tout d’abord, le transfert vers le réseau du module de formation conçu par un groupe de travail animé
par la CCMSA a agi comme un catalyseur auprès des CP et des MT pour traiter des questions de prévention
des TMS en viticulture. Les préventeurs se sont appropriés et ont adapté le contenu de la formation pour se
sentir plus à l’aise dans son animation et tenir compte des caractéristiques des apprenants de leur secteur
viticole. Les transferts internes, entre préventeurs entre eux, au sein d’une caisse de MSA favorisent, quant
à eux, la mise en place de formations directement adaptées aux particularités du terroir.
Ensuite, ce sont les caractéristiques de la stratégie développée au niveau de l’organisation de l’action qui
semblent le plus influencer la mise en place de formation :
• les MSA qui ont constitué des « groupes de pilotages », ou qui s’appuient sur des structures collectives
(caves coopératives, réseau des élus, structures professionnelles, syndicats, groupes de pilotage ad hoc)
pour organiser la formation sont celles qui en font le plus. A contrario, les MSA dans lesquelles ces
structures n’existent pas ou ne sont pas impliquées, doivent s’appuyer sur l’envoi de courrier et l’affichage
pour informer et recruter des participants, ce qui semble être moins efficace ;
• inclure ces formations dans des sessions finançables par des fonds de formation est également un levier
pour la mise en place de démarches.
Du côté des caractéristiques de la stratégie développée au sein des services SST des MSA, c’est-à-dire
des marges de manœuvre des formateurs pour mettre en œuvre des démarches de prévention, il ressort
que :
• la prise en charge collective de l’organisation des actions (par plusieurs CP et MT) favorise l’organisation
de formations, et ceci d’autant plus que le ou les chefs de services sont sensibilisés à la démarche ;
• l’identification de la prévention des TMS comme une priorité de la caisse de MSA légitime les actions
mises en œuvre par les CP et les MT, et ceci d’autant plus qu’une véritable stratégie d’intervention en
matière de SST est définie et est mise en œuvre sur le terrain en pluridisciplinarité entre CP et MT ;
• les outils favorisant cette pluridisciplinarité (entre CP, MT et relais professionnels), permettant par
exemple de croiser les agendas, facilitent aussi l’organisation de formations.
Enfin, les caractéristiques des formateurs jouent également un rôle sur la mise en place de formations.
Les facteurs favorables à l’organisation de formations puis à leur animation sont :
• la connaissance préalable des métiers de la vigne ;
• une compétence en pédagogie de formation pour adultes.
Utilité scientifique et stratégique de la recherche-action
Retour d’expérience sur la collaboration
Cette recherche évaluative a nécessité la mise en place d’une collaboration pluridisciplinaire entre
chercheurs et préventeurs de la MSA. Or, le caractère novateur de cette démarche a amené les acteurs à
travailler avec des connaissances non stabilisées dont les effets ne pouvaient être prédits avec certitude.
La référence étant plutôt la recherche normative qui vise à comparer des résultats à une norme, introduire
un nouveau paradigme de l’évaluation au sein d’une institution n’est pas toujours chose aisée.
Toutefois, chercheurs comme acteurs institutionnels retiennent, de cette expérience, la richesse des
analyses produites et l’utilité scientifique et stratégique de ce projet. Ils seront plus attentifs, dans les
futures collaborations recherche/institution, à la compréhension des objectifs de l’action comme aux
pratiques ”culturelles” de chacun dans la conduite de l’action.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Utilité scientifique
La mise en place d’une recherche évaluative s’appuyant sur les outils ergonomiques d’analyse de l’activité
et de confrontation collective a été une opportunité pour tester les conditions pragmatiques à la réalisation
d’une telle démarche. Il en ressort que l’analyse de l’activité peut effectivement permettre d’identifier
des dimensions pertinentes d’évaluation dans les situations complexes. Les confrontations collectives ont
permis de tester les conditions de généralisation des analyses d’activité et de préciser si les caractéristiques
identifiées étaient facilitatrices ou « freinantes ». De plus, ces réunions ont permis le développement de
l’activité des participants (Clot, 1999), puisqu’ils se sont saisis de ces espaces de discussion pour échanger
et mutualiser des stratégies permettant de faire face aux difficultés rencontrées pour organiser des
formations au regard de leurs pratiques.
Concernant les travaux en cours sur l’identification de caractéristiques de contexte, cette recherche
évaluative montre l’importance de considérer les conditions dans lesquelles sont mises en œuvre les
démarches pour mieux comprendre les résultats produits sur les situations de travail (Baril-Gingras, en
rédaction).
Utilité stratégique
Pour la CCMSA, cette recherche évaluative a permis de reconduire, dans le cadre du nouveau plan Santé
Sécurité au Travail 2011-2015, la mise en œuvre d’un groupe projet sur la prévention des TMS en viticulture
et de mobiliser les ressources et les moyens nécessaires à sa mise en place. Grâce à cette étude, le module
de formation initialement construit pourra être complété, modifié, tout comme le transfert qui pourrait, par
exemple, s’axer plus sur la construction d’une stratégie d’intervention sur la thématique des TMS auprès
des viticulteurs.
Pour le réseau des MSA, cette étude a surtout permis d’échanger sur leurs pratiques, d’établir des
référentiels communs, ce qui va dans le sens de la construction d’une représentation opérative commune,
élément favorable à la réalisation des actions futures. L’appropriation de ces résultats va également aider
les préventeurs à mieux comprendre les influences des caractéristiques du dispositif de formation les
unes sur les autres, à transformer les freins en des leviers potentiels et à poursuivre ainsi cette action de
prévention sur le terrain en supportant diverses actions.
Conclusion
L’analyse des données recueillies a permis d’identifier les leviers et les freins, d’une part, à la prise en
compte des messages de prévention par les viticulteurs vignerons et, d’autre part, à la mise en place
de la démarche dans les divers terroirs viticoles. Au-delà de l’identification de ces caractéristiques, leur
influence sur les résultats mis en œuvre doit encore être étudiée. En effet, réaliser cette évaluation peu de
temps après la formation n’est peut être pas le moment le plus approprié. Il faut du temps pour, d’abord,
comprendre les messages de prévention puis ensuite les mettre en œuvre concrètement dans le travail.
Aussi serait-il nécessaire dans des démarches d’évaluation futures de graduer les effets de la formation :
depuis la transmission du message, la compréhension de ce message, jusqu’à la réflexion sur sa mise
en œuvre et enfin la mise en place réelle en situation de travail. La méthode d’évaluation utilisée ici a
atteint ses objectifs formatifs et stratégiques tout en contribuant à la production de connaissances sur les
interactions entre contexte et action en milieu de travail.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
De l’outil Muska à la démarche
de prévention des TMS,
quelles appropriations ?
Comparaison entre une PME
et une grande entreprise
avier Merlin, Jean-François Thibault
X
ARACT Aquitaine (France)
Alain Garrigou
Université Bordeaux I (France)
M
USKA est un logiciel d’évaluation et de simulation du risque TMS. Dans le cadre d’une démarche
de prévention globale, cet outil permet de disposer de données quantifiées issues d’observations
de l’activité de travail dans le but de faciliter l’objectivation de l’exposition aux TMS, la recherche et
l’appropriation de solutions.
Développé et expérimenté en Aquitaine, la diffusion au niveau national de MUSKA par l’ANACT répond
à la nécessité d’aider les entreprises à évaluer le risque de survenue de TMS, et à mettre en œuvre des
démarches de prévention durable.
Cette communication se centre sur la comparaison de deux exemples d’appropriation de MUSKA dans des contextes
différents : une grande entreprise manufacturière du secteur automobile et une PME du secteur pharmaceutique.
Dans un premier temps, nous rappellerons les raisons qui ont amené l’ARACT Aquitaine et le réseau
ANACT à développer un nouvel outil, ainsi que ses principes de fonctionnement. Ensuite, nous aborderons
les caractéristiques des deux entreprises et leurs conséquences en termes d’adaptation du dispositif de
transfert. Comment la taille de l’entreprise, le secteur d’activité, le système de management de la santé
et sécurité, les compétences internes et leurs disponibilités vont influer sur les objectifs poursuivis et les
moyens mis en œuvre, à la fois par l’entreprise et par l’intervenant ?
Dans un troisième temps, nous comparerons l’appropriation de MUSKA par ces deux entreprises au travers
de quatre critères identifiés comme nécessaires pour favoriser une prévention durable des TMS :
• la démarche de prévention mise en œuvre sous forme de conduite de projet,
• les connaissances et compétences d’analyse du travail et en particulier de l’activité,
• l’utilisation de l’outil MUSKA pour mesurer et évaluer les risques de TMS,
• l’évolution du projet de prévention des TMS dans le temps.
Ces quatre critères posent les questions de la participation et de la formation des acteurs de la démarche
mais également du transfert de compétences aux organisateurs et concepteurs des situations de travail
afin que ceux-ci tiennent compte de la prévention de la santé au-delà de la performance de l’entreprise.
Nous conclurons sur le rôle de MUSKA dans la pérennisation des démarches de prévention des TMS : Quels
avantages ? Quelles limites ?
L’usage de la mesure dans les démarches de prévention des TMS
Historiquement, la réflexion sur l’articulation entre des mesures de l’activité de travail, des mesures
physiologiques et une démarche globale de prévention des TMS a fait l’objet de nombreuses propositions
scientifiques (Garrigou et al., 2005) pour, entre autres, aboutir à un développement de l’ergotoxicologie comme
une contribution de l’ergonomie à la santé au travail (Garrigou, 2011). De plus, le rapport de la rechercheaction (Caroly et al., 2007) menée par des laboratoires de recherche et le réseau ANACT sur le thème des
conditions de la prévention durable des TMS note, entre autres, une faible utilisation d’indicateurs précoces
permettant une alerte avant que les pathologies soient installées, et notamment des indicateurs d’exposition
aux facteurs de risques. Elle propose également de mieux intégrer les conditions réelles d’exécution du
travail et l’anticipation des situations futures dans les processus de conception et de décision.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
En Aquitaine, dans le cadre du Plan régional santé travail (PRST 2005-2009) coordonné par la Direction
régionale du travail de l’emploi et de la formation professionnelle, le groupe de réflexion pluridisciplinaire
sur la prévention des TMS a fait part des difficultés d’évaluation du risque TMS. Or, tout comme les autres
risques professionnels, celui des TMS doit être retranscrit par l’entreprise dans son document unique
d’évaluation des risques. Ce groupe a donc proposé de travailler en priorité sur les moyens de faciliter
l’évaluation des TMS, en particulier en « outillant » les entreprises.
De la conjonction d’une réflexion scientifique associée à des interventions pragmatiques en entreprises est
né l’outil MUSKA d’évaluation du risque TMS et de simulation de solutions techniques et organisationnelles
(Thibault et al., 2005 ; Brunet et al., 2006 ; Thibault et al., 2006 ; Merlin et al., 2009). Ce travail a d’ailleurs été
retenu par la Direction générale du travail dans le cadre du concours des bonnes pratiques de la Semaine
européenne de la sécurité et de la santé au travail 2008 organisé par l’Agence européenne de santé sécurité
de Bilbao. Depuis, l’outil MUSKA a largement été mis en œuvre (Merlin et al., 2010 ; Escriva et al., 2010) et
a fait l’objet d’évolutions afin de l’adapter en particulier aux PME et TPE et aussi à un ensemble de secteurs
d’activité (industrie, tertiaire, fonction publique, etc.). Il est aujourd’hui diffusé par le réseau ANACT.
Dans le cadre d’une démarche de prévention globale impliquant différents acteurs de l’entreprise, MUSKA
permet de disposer de données quantifiées issues d’observations de l’activité de travail dans le but de
faciliter l’objectivation de l’exposition au risque TMS, la recherche et l’appropriation de solutions.
Les données dont le traitement est informatisé, sont recueillies à partir d’enregistrements vidéo en situation
de travail sur la base d’un protocole de description des opérations réalisées sur un cycle de travail, sous
forme de chronologies d’activité (dans la lignée des travaux de Kerguelen, 1995).
L’évaluation résulte de la quantification des sollicitations biomécaniques en fonction de différents critères :
caractéristiques biomécaniques (positions articulaires, efforts), facteurs aggravants (froid, vibrations,
stress…), temps d’exposition (durée et fréquence des sollicitations, phases de récupération) en référence
aux très nombreux travaux scientifiques (à titre indicatif, voir les Actes du dernier Congrès international,
2010 PREMUS sur le sujet).
Un score synthétique déduit indique un niveau de risque sur une échelle de 1 à 4 pour l’ensemble des
membres supérieurs et le dos.
L’usage de cet outil s’inscrit dans les principales étapes de prévention :
• évaluer le risque de TMS à partir de l’analyse des situations de travail,
• simuler l’impact de différentes solutions techniques et organisationnelles afin de retenir celles qui
exposent le moins les travailleurs,
• évaluer a posteriori les risques après transformation.
L’utilisateur doit être un acteur de la prévention maîtrisant l’analyse du travail. La pertinence du protocole,
la qualité d’interprétation et d’appropriation des résultats en dépendent.
Le bénéfice des résultats issus de MUSKA est tributaire de la mise en œuvre d’une démarche plus globale
de prévention des TMS permettant des interprétations socialement négociées et des investigations
complémentaires (identification des déterminants, élaboration de gestes professionnels, indicateurs de
santé du personnel). La mise à jour des variabilités interindividuelles constitue un support pour discuter
des intentions et compromis qui conduisent les travailleurs, d’une même unité ou réunis dans le cadre
d’une action collective, à adopter des gestuelles différenciées. Ce matériau aide à formaliser des modes
opératoires et supports de formation adaptés à chaque contexte.
Ainsi notre expérience montre que, par exemple, le choix d’une combinaison de rotation ou d’enchaînements
des tâches à partir de la simulation requiert un consensus sur la cotation finale des postes, des
aménagements éventuels, l’identification des temps d’apprentissage nécessaires, la faisabilité de la mise
en œuvre, etc.
Comme tout outil de mesure, il réclame une vigilance quant à ses modalités d’usage et d’intégration dans
l’entreprise, afin de développer pleinement sa qualité d’interface entre les diverses parties prenantes
(opérateurs, acteurs de prévention, partenaires sociaux, production, conception et décideurs) et favoriser
la mise en place d’une démarche de prévention des TMS durable (Caroly et al., op.cit.).
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Contextes de la démarche de prévention des TMS en fonction du type d’entreprises
Le dispositif de transfert d’une démarche de prévention durable des TMS doit pouvoir s’adapter aux
différents contextes d’entreprise. Pour faciliter la comparaison des deux cas d’entreprises, nous nous
appuyons sur le recensement proposé par St Vincent et al. (2008) des facteurs qui peuvent influencer le
choix des méthodes d’intervention. À ce titre, les caractéristiques des deux entreprises sont synthétisées
dans le tableau 1.
Tableau 1
Principales caractéristiques des entreprises
Entreprise
A
B
Secteur
Automobile
Pharmaceutique
Effectif
3 000 salariés
220 salariés
Type de structure
Site appartenant à un groupe
international
Site appartenant à un groupe
international.
Situation économique
• Crise conjoncturelle
• Concurrentielle
• Production en baisse
• Rachat par un autre groupe
• Recherche de gains pour rattraper
les autres sites du groupe.
Culture de participation
Participative
Participative
État des relations du travail
Secteur en tension
Dialogues centrés sur la productivité.
Amélioration continue
Démarche spécifique portée par le
groupe au niveau mondial.
Lean Manufacturing porté par le site
Structuration santé / sécurité
• Système de management santé
• Prévention portée par l’infirmière
(mi-temps).
• Équipe pluridisciplinaire de santé au
travail : médecin, infirmiers,
ergonome, psychologue,
métrologue.
• Pas de compétences en ergonomie.
Pour l’entreprise A
Face à une augmentation des TMS, la direction générale décide d’impulser en 2003 une démarche globale et
pluridisciplinaire dont la maîtrise d’œuvre est confiée au service de santé au travail du site. Des améliorations
des situations de travail avaient déjà été mises en œuvre, principalement techniques. Cependant, elles
n’ont pas suffi à éliminer les TMS et dans un contexte de recherche de flexibilité organisationnelle liée à
des variations importantes du marché, l’hypothèse de la rotation aux postes de travail est apparue comme
une issue organisationnelle à investiguer. Dans cette démarche globale investiguant à la fois les champs
épidémiologique, cognitif, psychosocial et biomécanique, le développement de MUSKA a permis d’objectiver
les différentes combinaisons de rotation en intégrant les données temporelles issues des situations de
travail réelles.
L’appropriation de MUSKA s’est faite en deux temps. Tout d’abord, lors des phases de faisabilité sociale
et technique (développement informatique) par la constitution d’une équipe pluridisciplinaire intégrant
différentes logiques de l’entreprise : service de santé au travail, production, méthodes, ressources
humaines (Benoist et al., 2006). Ensuite par l’intégration de MUSKA dans le système de management de la
santé et sécurité de l’entreprise. À cet effet, la direction pose la prévention des TMS comme une priorité, et
positionne MUSKA comme un point d’étape obligatoire, notamment lors des projets de conception.
Dans ce cas, le dispositif de transfert concerne principalement la transmission de compétences pour
l’utilisation de MUSKA, ainsi qu’un appui à son intégration dans la démarche de prévention des TMS portée
par l’entreprise A.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Pour l’entreprise B
Dans le cadre de sa démarche Lean Manufacturing, l’entreprise souhaite acquérir des compétences
ergonomiques pour améliorer les postes de travail. La direction est également soucieuse de
problèmes engendrés par des premiers cas de déclaration de maladies professionnelles pour troubles
musculosquelettiques. Dans un contexte de vieillissement de la population et sur un bassin d’emploi sinistré,
la direction souhaite être accompagnée dans la mise en place d’une démarche de prévention des TMS.
Il est donc proposé à l’entreprise B de :
• mettre en place un dispositif d’alerte, avec une information à l’ensemble des salariés,
• faire réaliser un état des lieux des pathologies par le médecin du travail et l’infirmière, puis de suivre son
évolution,
• créer un groupe « ergonomie », composé des différentes « logiques » de l’entreprise : infirmière,
opératrice, élu CHSCT (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail), technicien méthode,
animateur Lean,
• suivre une formation-action pour utiliser MUSKA et transformer des situations de travail,
• faire effectuer une intervention ergonomique par un consultant pour aider à la structuration de la
démarche d’intervention par l’exemple.
Pour l’entreprise B, le dispositif de transfert doit de prendre en compte la taille de l’entreprise, les
ressources disponibles pour la démarche de prévention, le système de management de la santé sécurité
limitée à des actions d’informations par l’infirmière et à un suivi médical ainsi que l’absence de compétences
internes en ergonomie.
Une appropriation différenciée de l’outil MUSKA en fonction du type d’entreprises
Pour comparer l’appropriation de MUSKA par ces deux entreprises, nous avons retenu quatre compétences
identifiées comme nécessaires pour favoriser une prévention durable des TMS, à savoir être en capacité :
• de structurer une démarche de prévention des TMS durable ;
• de réaliser une intervention ergonomique sous forme de conduite de projet ;d’analyser les situations de
travail et, en particulier, l’activité de travail ;
• d’utiliser in fine MUSKA pour évaluer le risque de TMS et simuler des solutions techniques et
organisationnelles.
Le tableau 2 ci-dessous résume les différentes formes d’appropriation d’une démarche de prévention des
TMS en utilisant l’outil MUSKA.
Tableau 2
Comparaison des formes d’appropriation de MUSKA
et des démarches de prévention des TMS associées
Entreprise
A
B
Démarche de prévention
• Positionnement de MUSKA
dans le système de management
• Structuration en cours.
de la santé.
• Facilite la pérennisation de la
démarche d’intervention, les
échanges entre le s différentes
• Pose la question de l’organisation
d’un mode de management de la
santé sécurité adapté à
l’entreprise.
logiques (élaboration d’un
référentiel commun).
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Projet de prévention des TMS en
phase avec les actions d’amélioration
continue et les projets de conception
(ex. inscription dans les cahiers des
charges).
• Projet de prévention des TMS
structuré à partir de l’intervention
ergonomique.
Analyse du travail
Compétences internes préexistantes
Transfert de notions d’ergonomie
(connaissances TMS, prescrit/
réel, variabilités inter individuelles,
etc.) mais pas suffisantes pour
une autonomie dans l’analyse des
situations de travail.
Utilisation MUSKA
• Personne en interne formée à
l’analyse des situations de travail
avec MUSKA.
• En binôme « entreprise » avec
l’appui de l’ARACT Aquitaine et d’un
consultant ergonome.
• Sensibilisation de l’ensemble des
parties prenantes à MUSKA.
• Présentation en CHSCT + suivi par
les partenaires sociaux.
Conduite de projet
• Questionne le lien entre démarche
Lean et intervention ergonomique.
• Présentation en CHSCT et CE
(comité d’entreprise) + suivi par les
partenaires sociaux.
D’une manière générale, quel que soit le type d’entreprises, l’appropriation en interne de l’outil MUSKA
n’a pas posé de problème et a permis de disposer d’un outil commun permettant de débattre autour des
questions de risques TMS et d’intégration de ces questions de santé dans les projets de l’entreprise
(Thibault et al., 2008 ; Buschmann et Landry, 2010).
Par contre, la mise en œuvre de l’outil MUSKA a nécessité des compétences en « analyse du travail » qui,
en fonction des compétences présentes dans l’entreprise, engendre ou non le recours à un appui externe.
Nous retrouvons la même problématique avec la question d’intégration d’une véritable conduite de projet
dans une démarche générale de prévention des TMS. Ainsi pour l’entreprise B se sont posées les questions
des ressources nécessaires à la démarche de prévention et la démarche d’intervention : Quels moyens
l’entreprise peut-elle allouer ? Comment faire face à des compétences en ergonomie limitées ? Doit-on
systématiser un appui par consultant ergonome à la carte ? Doit-on mettre en œuvre des formations
complémentaires à celle réalisée dans l’entreprise ?
Enfin, l’intégration dans un système de management santé sécurité de la démarche globale de prévention
des TMS a permis pour l’entreprise A, d’une part, d’affecter des ressources dans le cadre de l’amélioration
continue de l’entreprise (démarche plutôt curative) et, d’autre part, d’éviter de concevoir des organisations
et/ou d’acheter des équipements dont les simulations avec MUSKA ont montré des risques TMS importants.
Ainsi, malgré une crise conjoncturelle très grave (vente de l’entreprise, plan de licenciement…), l’entreprise
B utilise toujours, depuis cinq ans, une démarche globale de prévention des TMS intégrant l’outil MUSKA.
Conclusion
Le retour d’expérience de l’utilisation de l’outil MUSKA au-delà des deux exemples précités nous amène à
poser la question suivante : Dans quelle mesure un outil peut-il devenir un objet intermédiaire favorisant la
pérennisation des démarches de prévention ?
Aujourd’hui, nous percevons plusieurs rôles de pérennisation introduits par l’utilisation d’outils de mesure
(en l’occurrence MUSKA dans notre cas) comme :
• une porte d’entrée a priori « classique » par la gestuelle et la biomécanique qui permet d’accéder aux
questions d’organisation du travail, en particulier par la simulation d’organisations du travail et leurs
impacts d’un point de vue santé ;
• un vecteur de transfert de compétences sur la prévention des TMS aux différentes logiques de l’entreprise,
notamment aux concepteurs et organisateurs ;
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• un facilitateur d’échanges sur les questions du travail réel entre les services, CHSCT et direction
constituant ainsi un objet du dialogue social ;
• un support d’évaluation des TMS qui permet à l’entreprise d’être proactive au sein d’une démarche
participative (identifier les situations à risque, coter l’effort, identifier les déterminants du travail…) et
d’intégrer les TMS dans son Document Unique ;
• un pronostiqueur via les fonctions de simulation afin d’intervenir en conception (Garrigou et al., 2001)
avant que les pathologies ne soient installées.
Vis-à-vis de l’utilisation de MUSKA, plusieurs limites sont apparues comme le fait de vouloir réduire
les situations de travail uniquement aux aspects biomécaniques ou d’aborder la prévention des TMS
exclusivement par le risque. Ces limites posent la question de l’importance de la formation des préventeurs,
des concepteurs, des partenaires sociaux et des directions à une démarche de prévention durable des
TMS (Schweitzer et al., 2011). En conclusion, autant l’utilisation de l’outil MUSKA peut apparaître dans nos
exemples comme une condition nécessaire à la démarche d’intervention, autant cette condition n’est pas
suffisante à elle seule pour la mise en œuvre d’une démarche globale de prévention des TMS.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Atelier 8
Méthode et outils de mobilisation
des entreprises
Michel Aptel
Centre hospitalier régional et universitairede
Besançon (France)
René Brunet
Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en
santé au travail (Leest) (France)
hislaine Tougas
G
Institut national de santé publique au Québec
(INSPQ) (Canada)
Nicole Vézina
Université du Québec à Montréal (Uqam) (Canada)
L
’objet de cet atelier est de rendre visible pour en discuter, les enjeux ou difficultés de mobiliser les
acteurs de l’entreprise pour la conduire à s’engager dans la prévention des TMS. Dans ce cadre,
la place des outils et des méthodes qui ont été créés, à cet effet, conçus et mis en œuvre par les
praticiens ou pour les praticiens intervenants en prévention des TMS, sera débattue. Nous discuterons plus
particulièrement des outils et des méthodes qui génèrent la mobilisation des entreprises au stade initial
de l’action.
Les organisateurs de l’atelier font l’hypothèse que la mobilisation est l’une des dimensions de l’intervention
qu’il convient de formaliser pour gagner le pouvoir d’agir. Elle est aussi un levier pour assurer une meilleure
fluidité et durabilité de l’action. Si les outils et les méthodes propres à la genèse sont au centre des objectifs
de l’atelier, il n’en demeure pas moins que la question de la mobilisation apparaît comme une dimension
transversale à l’intervention
Les trois exemples présentés dans cet atelier, comme le propos introductif, visent à donner des points de
repère pour penser cette dimension et pouvoir en débattre.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Introduction : mobilisation
et intervention, des relations
à élucider
René Brunet
Laboratoire d’ergonomie et d’épidémiologie en
santé au travail (Leest) (France)
Introduction
P
oser la question des outils et des méthodes de mobilisation des entreprises pour la prévention des
TMS à ce congrès, est-ce encore utile et que peut nous apporter la recherche? Pour ceux qui doutent
quant à l’intérêt de se préoccuper de cette dimension, prenons un instant le soin de poser les questions
suivantes :
• Peut-on envisager une intervention sans mobilisation ?
• Est-il possible que les acteurs de l’entreprise s’investissent ou se mobilisent suite à l’action concernée
d’un intervenant ayant un statut de contrôleur ou de conseil ?
Intervenir dans un collectif n’est pas neutre, c’est rejoindre une histoire faite de relations, d’évènements,
de décisions. Tout événement provoque du sens, précise Philippe Zarifian (2008). La rencontre crée une
opportunité ; elle peut engager un processus dans lequel les protagonistes se mobilisent, mais ils peuvent
aussi se démobiliser.
Peut-on envisager des interventions qui démobilisent ? Sans aucun doute. Tout intervenant est confronté à
des acteurs qui dénient la réalité des TMS et des RPS. L’explication causale peut, selon les points de vue,
privilégier la dimension personnelle, la fatalité, ou dévoiler une idéologie défensive de métier (1999, Cru).
Par ailleurs, il arrive que l’on recherche la démobilisation pour favoriser l’exclusion ; la démission n’est
donc pas à écarter de certaines situations, certains contextes. La démobilisation comme la mobilisation
peuvent s’imposer comme un objectif prioritaire à l’intervention suivant les contextes et les situations.
Elles peuvent venir soutenir le processus de transformation du travail.
L’hypothèse que la mobilisation soit aussi une modalité utilisée à des fins de non intervention vient interroger
en creux le statut de cette fonction de mobilisation dans la conception des interventions en prévention
des TMS. Cet atelier traitera de la mobilisation comme une dimension structurante de l’intervention et
plus particulièrement, celle privilégiant la construction sociale à l’expertise technico-réglementaire et
normative.
La mobilisation, une fonction et/ou une finalité de l’intervention ?
Le choix de la prévention et la mobilisation sociale
Le cours de pré-congrès à Premus 2011 avait permis de discuter la nécessaire place des institutions et
des lois pour promouvoir la prévention des TMS auprès des entreprises. Les échanges ont abouti à cette
idée essentielle que, sans obligations ni institutions de recherche, d’enseignement et d’intervention pour
les promouvoir, le choix de la prévention n’est pas une priorité qui s’impose naturellement comme un
déterminant de gestion pour les entreprises. L’histoire de la prévention des risques et son inscription
comme obligation pour les entreprises dévoilent un premier mouvement de mobilisation sociale. La lente
construction du système français de prévention décrit par Viet (Viet, 1999) témoigne de cette construction
sociale. Sans doute faut-il voir dans cette difficulté de reconnaître les risques dus au travail, celle
historiquement inscrite d’un risque socialement inégalitaire (A. Leclerc et co, 2008).
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Ainsi, influencer la décision d’associer la prévention des TMS à la conduite des entreprises et promouvoir
cette fonction dans les missions et les responsabilités des acteurs des entreprises deviennent des
préoccupations majeures. Dans ce contexte, le souci de mobilisation détermine en partie les pratiques des
intervenants en charge de promouvoir la prévention des TMS.
L’idée que la mobilisation peut devenir un objectif prépondérant de l’intervention à un certain moment
du processus d’intervention est à discuter. On pense naturellement à l’intérêt de mobiliser les acteurs
dans les situations où il n’y a pas de demande. La mobilisation n’est-elle pas aussi cruciale en aval de
l’intervention pour que la prévention puisse se poursuivre et se développer ?
Suivant les situations des entreprises et le rapport à leur demande de prévenir les TMS (Brunet, 2009) la
mobilisation peut être appréhendée, dans le cas de la réponse à la demande, comme l’une des dimensions
de l’intervention de transformation ou bien, dans les situations de non demande, comme une condition
nécessaire à l’intervention. Dans ce dernier cas, elle devient la principale finalité de l’intervention.
Ainsi nous rendrons mieux compte des pratiques d’intervention en interrogeant la priorité des objectifs
assignés à l’intervention, qu’ils soient orientés vers la mobilisation ou bien la transformation. On peut
s’interroger notamment sur leur poids respectif suivant qu’ils visent à faire advenir une demande, une
réponse, ou une évolution.
Nous regarderons, prioritairement, les pratiques et les stratégies d’intervention mises en œuvre, pour faire
advenir une demande, car en général, les entreprises qui sont indifférentes à l’idée de prévenir les TMS,
ne sont pas en mesure d’accepter spontanément l’idée de transformer les situations de travail. Les offres
de service institutionnelles peuvent conduire à des impasses si elles ne prennent pas en considération le
niveau de mobilisation des entreprises.
Dans ces cas, l’intervention basée sur le conseil doit rechercher les leviers pour mobiliser les acteurs et
rendre possible la formulation d’une demande.
À ce stade, poser la mobilisation des entreprises comme un objectif à part entière de l’intervention
en prévention des TMS ouvre les perspectives des objectifs de transformations qui sont assignés à
l’intervention.
Mobilisation et transformation : deux finalités au service de l’intervention
Deux finalités distinctes et complémentaires :
intervenir pour mobiliser et intervenir pour transformer
Mobiliser pour se préparer à intervenir
Si l’on fait référence à l’origine des mots et leur usage, la mobilisation et l’intervention ont été utilisées
pour illustrer l’action militaire. On mobilise les ressources d’une nation pour mieux intervenir sur le terrain
des opérations. Ici, la mobilisation et l’intervention représentent deux fonctions complémentaires au
service d’un même but : celui de pouvoir s’immiscer de l’extérieur dans les affaires intérieures d’un pays,
d’une organisation. Les institutions ayant cette prérogative de contrôle définissent des orientations et des
plans pour intervenir et orientent leurs ressources à cette fin. Les ressources institutionnelles puisent leur
légitimité dans le texte de loi.
Ce découpage de l’action de contrôle en deux temps, de mobilisation et de transformation peut aussi
permettre de mieux comprendre les interventions basées sur le conseil. Les institutions et les intervenants
institutionnels qui agissent à partir du conseil doivent trouver les ressources légitimes pour agir et
influencer la décision de ceux qui dirigent l’entreprise. La commande institutionnelle est souvent traduite
en offre de services. Sans pouvoir de contrôle, l’intervenant est conduit à rechercher les conditions pour
que l’offre de service devienne une proposition acceptable et acceptée et puisse, in fine, aboutir à une
formulation d’une demande.
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En effet, les intervenants institutionnels, assis sur le conseil, font face la plupart du temps, à des situations
spécifiques. Celles-ci peuvent se caractériser par une absence de demande de l’entreprise et l’impossibilité
ou l’interdiction de mobiliser la force du contrôle pour y parvenir. Dans ces conditions, pouvoir intéresser les
entreprises et les acteurs nécessite de préparer les offres de service sur les conditions de la mobilisation
des acteurs. Il s’agit de transformer les offres de service pour rejoindre les attentes des interlocuteurs et
les aider à formuler la demande. C’est précisément dans cette interface entre l’absence de demande et le
pouvoir du conseil que se pose avec acuité la construction de l’intervention de mobilisation, car il ne s’agit
plus de mobiliser pour se préparer à intervenir, mais d’intervenir pour mobiliser.
Mobiliser comme une dimension de l’intervention de transformation
La notion de mobilisation n’est pas nouvelle ; elle est polysémique. Elle fut utilisée dans des contextes
historiques et sociaux puis psychologiques.
Cette idée de transformation prévaut dans l’approche ergonomique. En promouvant l’approche participative
dans les processus de transformation du travail, la démarche ergonomique considère, de façon implicite,
la mobilisation comme l’une des dimensions de la méthode. La mobilisation est vue comme une fonction
intrinsèque de la démarche d’intervention. La mobilisation n’est pas appréhendée comme un objectif
prioritaire à l’intervention, mais participe à l’intervention.
On comprend bien qu’il existe des proximités fonctionnelles entre les démarches participatives, les niveaux
de mobilisation des acteurs et la production des transformations du travail plus favorables au rapport
santé /travail. Mais avec la démarche participative, la mobilisation des acteurs d’un système social est au
service de la transformation de ce même système. Elle témoigne, de la part des entreprises, une capacité
à accepter l’objectif et la démarche et cette volonté de mettre tout en œuvre pour que cette démarche
s’y déploie. En présence d’une demande des entreprises, la mobilisation devient un moyen au service de
l’intervention de transformation.
Mais qu’en est-il des entreprises qui n’acceptent pas la démarche de transformation du travail ?
En l’absence de demande, mobiliser devient un objectif prioritaire à l’intervention
En l’absence de demande, le travail de mobilisation revient prioritairement aux institutions de prévention en
charge de promouvoir la santé et la sécurité au travail. La question à laquelle l’intervention institutionnelle
est confrontée n’est plus de répondre à la demande mais de la faire advenir.
L’application de la loi qui est dévolue au ministère du travail et aux institutions en charge du contrôle des textes
et des normes traduit ce potentiel de ressources qui peut se mobiliser pour contraindre et informer. Ici, la
mobilisation des acteurs institutionnels est au service d’une mobilisation en marche forcée, sous contraintes.
Dans ce cas, l’accord des deux parties n’est pas requis, seul compte le légitime pouvoir d’immixtion de l’un
au regard de la liberté gestionnaire de l’autre. Cet acte d’ingérence révèle qu’intervenir pour mobiliser est
préalable à intervenir pour transformer. La menace de la sanction et du contrôle est un levier important de la
mobilisation. Mais la voie de la menace ne recouvre pas toutes les possibilités de mobiliser.
D’autres voies sont possibles, comme celles développées par la santé publique du Québec, où l’intervention
est assise sur l’obligation de négociation d’un plan de prévention. Les stratégies de mobilisation peuvent
prendre les formes de campagnes de communication (DIRRECTE), de plans d’action incitant les entreprises
visées à s’inscrire dans une démarche d’interventions (CARSAT Rhône-Alpes).
Dans ces situations, les acteurs institutionnels doivent faire face aux différentes attitudes plus ou moins
favorables de la prévention de la santé des salariés exposés aux TMS dans leur organisation. La définition
des offres de services visant la mobilisation peut devenir un objectif prioritaire à l’action suivant le niveau
des attentes et des prédispositions des entreprises à l’égard de la santé au travail et des offres auxquelles
elle est confrontée. (G. Tougas)
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Conclusions
Comprendre pour transformer, comprendre pour mobiliser
Au terme de cette première analyse, l’articulation entre mobilisation et transformation peut, selon les
attentes des entreprises, constituer deux points de repères pour élaborer l’intervention. Nous avons tenté
de dégager les articulations en repérant les trois moments de l’intervention. La première pose la question
de la mobilisation comme objectif prioritaire, quand il s’agit d’intervenir avant la demande. Nous avons
évoqué la deuxième figure de l’intervention où la mobilisation apparaît comme moyen au service de la
transformation. Enfin nous avons abordé cette idée qu’il est possible d’intégrer la mobilisation comme un
levier pour développer la demande. Il peut être fécond de penser les modulations de la mobilisation des
acteurs comme objectif et comme moyen selon les différentes temporalités de l’accompagnement avant,
pendant et après la demande en relation avec le stade de développement de l’entreprise.
Perspective de recherche sur l’intervention en prévention des TMS
Dans le cas des interventions prenant appui sur une logique de conseil, la possibilité d’un ajustement entre
ce qui est proposé par les institutions et ce qui paraît acceptable et possible pour l’entreprise se révèle
déterminante. L’efficacité d’une intervention tient à cette relation.
En effet, la construction d’une demande et la mise en place d’une organisation de type « conduite de
projet » mobilisent les ressources des institutions comme des entreprises et ce, dans la durée… On peut
supposer que l’acceptation de toute proposition visant la transformation du travail est le résultat d’étapes
intermédiaires qui la facilitent et autorisent la mise en œuvre de l’intervention. Il y aurait comme une
didactique des situations d’intervention qui opérerait dans l’ombre de l’intervention de transformation.
En 2008, l’atelier n° 8 du congrès de Montréal, interrogeait l’intervention sur l’écart entre la demande
et la commande. En 2011, à Grenoble, l’atelier N° 8 élucide mieux les relations entre l’intervention de
mobilisation et l’intervention de transformation.
Pour être transmises et évaluer, les conditions d’acceptabilité doivent devenir un objet de connaissance.
Reste à interroger et approfondir les ressorts de la mobilisation au regard des disciplines non encore
sollicitées, comme la psychologie, la sociologie des territoires et des organisations, la communication,
le marketing relationnel… et prendre appui sur les nombreuses expériences de mobilisation. Autant de
regards qui pourraient être utiles de mobiliser pour mieux comprendre les pratiques existantes, interroger
les réflexions scientifiques et les pratiques institutionnelles, éclairer les organisations à mieux prendre en
compte l’utilité d’intégrer la prévention dans leur organisation. Le travail d’élucidation n’est donc pas clos.
Que la réflexion se poursuive…
Références
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Quel bilan de la campagne
de communication TMS 2008-2010
Lionel Groléas
Inspection du travail Rhône-Alpes (France)
Agnès Lebret, Pascal Étienne
Direction générale du travail (France)
O
bjet de la communication : A l’issue de trois années de campagne de communication sur les TMS,
quelles actions conjointes ou complémentaires des préventeurs et spécialistes de la santé ces
campagnes ont induites ? Quels impacts pour les institutions (DGT, inspection du travail, partenaires
sociaux… et pour les entreprises ? Quelles perspectives et quelles leçons en tirer ?
À l’occasion de la conférence tripartite du 4 octobre 2007 sur les conditions de travail, le ministre chargé du
travail a annoncé aux partenaires sociaux le lancement d’une vaste campagne nationale de communication
sur les troubles musculo-squelettiques.
Cette campagne de communication triennale (2008-2010) était destinée au grand public, aux entreprises,
aux organisations professionnelles et également aux acteurs de la prévention et de la santé au travail.
Initiée par les ministères en charge du travail et de la santé, cette campagne a, en outre, mobilisé le
ministère de l’Agriculture et les partenaires institutionnels spécialistes en matière de prévention des
risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail : la CNAMTS, l’INRS, la CCMSA, l’ANACT,
l’OPPBTP. La volonté affichée était de créer une synergie entre les actions de communication des divers
partenaires institutionnels en matière de prévention des TMS.
Les troubles musculo-squelettiques constituent la première cause de maladies professionnelles (84%)
et sont responsables de pertes de performances pour l’entreprise. Au-delà des souffrances et des
risques d’inaptitude et de désinsertion professionnelle que les TMS peuvent induire pour les salariés, les
conséquences humaines et économiques ne sont pas négligeables pour les entreprises. Ils sont ainsi, de
fait, devenus un enjeu majeur de santé au travail.
La prévention des TMS doit également s’entendre en lien avec les actions de maintien dans l’emploi et
de retour au travail avec des partenaires institutionnels comme l’AGEFIPH (en cas de reconnaissance
COTOREP) ainsi que des acteurs de terrain (médecin du travail, chargés de mission des ARACT…) qui
apporttent un appui à l’aménagement des postes de travail, aux adaptations organisationnelles, à
l’implication des collectifs de travail…
Cette campagne, intitulée « TMS, parlons-en pour les faire reculer », avait pour objectif pédagogique premier
de mieux faire connaître les TMS et de sensibiliser en profondeur et dans la durée sur l’importance de la
prévention en la matière. L’objectif final était d’inciter les entreprises à passer à des démarches actives de
prévention des TMS et cela grâce à la mobilisation de tous les acteurs de la prévention en matière de santé
au travail.
En 2008, première année, la campagne s’est déclinée selon trois volets :
• Une campagne télévisée avec un film « choc », destiné à faire réagir et mettant en scène un ouvrier de
chantier, une ouvrière à la chaîne dans une usine et une caissière de supermarché.
• Une campagne en presse écrite grand public et professionnelle avec quatre visuels : un ouvrier de
chantier, une ouvrière d’usine, une caissière de supermarché, avec un employé de bureau et deux
signatures : « Au travail, il y a des petites douleurs qui deviennent insupportables », pour la presse grand
public et « il y a de petites douleurs qui deviennent insupportables pour l’entreprise », pour la presse
professionnelle.
• Deux affichettes diffusées via, notamment, les médecins généralistes, les pharmacies, les services de
santé au travail, les chambres de commerce et d’industrie, les caisses primaires d’assurance maladie.
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978-2-913488-68-4
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Dès cette première année, un principe créatif fort est retenu pour faire réagir : la bouche ouverte qui crie
sa douleur. Principe créatif qui sera repris la seconde année et décliné sur différents supports et des
situations variées.
Le bilan de cette première phase de la campagne de communication, réalisé par l’institut CSA, s’est avéré
particulièrement positif :
• L’étude du CSA confirme le déficit d’information sur les TMS avant le lancement de la campagne. En effet,
six salariés interrogés sur dix (61%) et plus d’un tiers (34%) des dirigeants affirment n’avoir jamais
entendu parler des TMS auparavant. À l’inverse, seuls 22% des salariés et 37% des dirigeants déclarent
qu’ils savaient déjà ce qu’étaient les troubles musculo-squelettiques avant la campagne. Pourtant, plus
de 8 salariés sur 10 seraient exposés aux TMS, selon l’étude du CSA.
• La campagne a reçu un accueil globalement favorable auprès de 68% de l’échantillon grand public, 65%
des salariés et 74% des dirigeants interrogés.
Le lancement de la deuxième phase, début mai 2009, avait pour signature : « Troubles musculo-squelettiques,
la prévention, on s’y met tous ». Elle s’est déclinée en trois annonces presse : « Quand un salarié souffre,
c’est toute l’entreprise qui est affaiblie », autour de trois visuels : le port et la superposition de cartons, la
mise en rayon d’un pack d’eau, une jeune femme souffrant de l’épaule dans un vestiaire. Une brochure de
8 pages a été diffusée à 673 000 exemplaires et une affichette à 13000 exemplaires. Les pouvoirs publics
ont souhaité, dans cette seconde phase, inciter les employeurs, les cadres dirigeants et tous les acteurs de
l’entreprise à envisager des actions de prévention des risques de survenue de TMS.
Le post-test de 2009 a ainsi révélé à nouveau que, bien que susceptibles de toucher une majorité de salariés,
les troubles musculo-squelettiques demeuraient peu connus. Pour autant, 83% des dirigeants interrogés
estimaient que les salariés qui travaillaient dans leur entreprise étaient potentiellement exposés aux TMS,
29% évoquant même une exposition forte (4 à 5 facteurs de risques).
L’objectif du dernier volet de la campagne TMS en 2010 était de soutenir et d’accélérer les démarches
engagées par les entreprises dans la lutte contre les troubles musculo-squelettiques et de donner aux
employeurs toutes les informations utiles pour les guider vers les bons interlocuteurs et les aider à
combattre les TMS.
Les deux premiers volets avaient permis de sensibiliser le grand public, les salariés et les chefs d’entreprise
à l’enjeu économique et humain que représentaient les TMS et d’inciter ces derniers, dans le troisième
volet, à engager des actions de prévention.
Cette troisième et dernière phase de la campagne TMS avait été annoncée officiellement par le ministre
chargé du Travail lors d’une conférence de presse, le 1er avril 2010. La signature retenue pour ce dernier
volet était : « Mettre fin aux troubles musculo-squelettiques dans votre entreprise, c’est possible » et
l’accroche : « Troubles musculo-squelettiques. La prévention, on s’y met tous ».
La campagne en presse professionnelle a conduit à la création de deux nouveaux visuels et l’accent a été
mis sur une communication positive. Les visuels rompaient avec l’image de la bouche béante, synonyme de
la douleur du salarié, pour laisser place à un poing qui écrasait avec assurance le mot « tendinites » et aux
mains d’une femme tordant le mot « lombalgies » jusqu’à le briser.
Une campagne radio a été lancée avec la création de deux spots de 30 secondes. Ces spots démontraient que
les TMS affectaient aussi bien les salariés dans l’exercice de leur travail que la productivité de l’entreprise.
Ils rappelaient que « si vous êtes employeur, vous pouvez prévenir les TMS dans votre entreprise » et
incitaient à consulter le nouveau site du ministère www.travailler-mieux.gouv.fr.
Des brochures de 8 pages ont été réalisées sur le modèle de celles de 2009 avec actualisation du visuel et
des données chiffrées plus récentes.
Une affichette reprenant le visuel « tendinites » était également téléchargeable depuis le site www.
travailler-mieux.gouv.fr.
Ouvert en janvier 2010, le site www.travailler-mieux.gouv.fr regroupe un ensemble considérable
d’informations sur la santé, la sécurité et les conditions de travail à destination de tous les acteurs de
l’entreprise. Une rubrique y est spécialement consacrée à la prévention des TMS avec un renvoi sur les
sites des professionnels de la prévention et de la santé et sécurité au travail.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le post test a révélé que le niveau d’information concernant les TMS apparaissait meilleur que l’année
précédente (+ 6 points) et la connaissance légèrement plus précise (41% déclaraient, en effet, en avoir
déjà entendu parler et savoir ce dont il s’agissait, contre 39% en 2009). Néanmoins, 35% des dirigeants
d’entreprise déclaraient encore n’avoir jamais entendu parler des troubles musculo-squelettiques ou TMS.
Quels enseignements ?
C’est le principe même de la campagne qui génère spontanément le plus d’approbation en mettant en
scène la réalité des douleurs rencontrées au travail, mais la forme de la campagne recueille, elle aussi,
des niveaux d’approbation importants.
La seconde année, la campagne a enfin touché son cœur de cible puisque les dirigeants dont les salariés
sont les plus exposés aux TMS semblent systématiquement plus réceptifs. Pour autant, si elle permet
de faire prendre conscience des risques auxquels les entreprises sont exposées (que ce soit en ce qui
concerne la santé des salariés ou les conséquences financières pour l’entreprise), reste à savoir, au-delà
du déclaratif, si elle aura dans la réalité un effet incitatif auprès des employeurs pour que ceux-ci s’attèlent
à engager des actions de prévention.
Le troisième volet de la campagne sur les TMS recueille des résultats en demi-teinte. La campagne semble
avoir tout d’abord moins marqué les esprits que les années précédentes. Ce volet est surtout porté par les
spots radio, et les annonces presses ont été peu repérées en presse professionnelle. La campagne est à
nouveau très bien accueillie par les dirigeants d’entreprise, même si elle apparaît moins appréciée que
les précédentes : jugée moins originale sur la forme, elle reste perçue comme légitime et réaliste, même
si elle semble moins informative et pédagogique que les volets de 2008 et 2009. Néanmoins, ce troisième
volet de la campagne sur les TMS atteint ses principaux objectifs.
D’une part, les TMS semblent aujourd’hui être un sujet mieux connu qu’auparavant, et concernent les chefs
d’entreprise de manière grandissante. D’ailleurs, ce volet apparaît moins focalisé que les deux précédents
sur un cœur de cible très concerné par le sujet, tandis que ceux qui sont moyennement sensibilisés aux TMS
semblent au contraire particulièrement impactés. D’autre part, ce troisième volet permet de confirmer la
prise de conscience des risques auxquels les entreprises sont exposées (que ce soit en ce qui concerne
la santé des salariés ou les conséquences financières pour l’entreprise) et, surtout, de passer le cap du
passage à l’acte. En effet, une majorité de dirigeants affirme (contrairement à l’année précédente) que
la campagne les a fait réfléchir à la mise en place d’actions de prévention au sein de leur entreprise ou
établissement.
La campagne de communication a généré des réactions négatives de certaines branches professionnelles
qui se sentaient stigmatisées alors même que c’était la situation de travail qui était visée et non le
secteur d’activité en cette première phase d’information et de sensibilisation. En outre, les branches
professionnelles qui se sont manifestées, soulignaient les efforts qu’elles menaient afin de mettre en place
des stratégies de prévention des TMS.
La seconde critique formulée à l’encontre de la campagne était une crainte de voir une augmentation
significative des déclarations en maladies professionnelles de pathologies aujourd’hui nettement sousdéclarées par méconnaissance.
En conclusion
Une majorité de dirigeants affirmait que la campagne les avait fait réfléchir à la mise en place d’actions de
prévention au sein de leur entreprise ou établissement.
La construction de la campagne qui a favorisé les échanges inter-institutionnels tant sur les méthodologies
de démarches engagées que sur les marges de manœuvre et les pistes de solutions envisagées a permis
de dégager un positionnement consensuel autour des TMS et de leur prévention.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
La survenue de ces pathologies en milieu professionnel peut être endiguée si l’entreprise s’engage dans
une démarche de prévention durable et globale impliquant tant les acteurs de l’entreprise que ceux de la
prévention en matière de santé et sécurité du travail. En effet, au cœur de l’action en entreprise interviennent
différents professionnels : les médecins du travail, acteurs pivots; les intervenants en prévention des
risques professionnels — IPRP — qui interviennent en appui aux services de santé au travail ; les agents de
contrôle ; les agents de prévention CARSAT et OPPBTP ; les consultants, notamment en ergonomie.
Toutefois, rappelons que la solution unique et transposable n’existe pas, tant du fait que chaque
entreprise a son organisation du travail spécifique que du fait que chaque situation du travail présente
ses particularités biomécaniques et chaque travailleur ses caractéristiques physiologiques propres. Le
caractère multifactoriel des TMS est désormais reconnu de tous, ce qui complexifie d’autant la recherche
de démarches, qu’elles soient curatives ou de prévention.
La prévention des TMS doit s’inscrire dans le cadre d’un dialogue social dynamique, d’où la nécessité d’un
CHSCT actif lorsqu’il existe. De même, dans les entreprises dépourvues de CHSCT (notamment les moins
de 50 salariés), ce sont les délégués du personnel qui ont ces attributions par substitution.
Un enjeu majeur dans nos sociétés modernes est d’élaborer, ou mieux de négocier, des organisations
du travail moins pathogènes qui favorisent les solidarités inter-personnelles, accroissent les marges de
manœuvre dans la réalisation du travail de chacun et visent ainsi à réduire notamment les efforts répétitifs
sous contraintes temporelles et de productivité. Un consensus fort reposant désormais sur des avancées
scientifiques pose également la nécessaire prise en compte de l’impact des risques psychosociaux comme
facteur aggravant de survenue des TMS d’un point de vue tant d’organisations délétères du travail que
d’aspects physiologiques.
L’une des caractéristiques forte de réussite de cette campagne pluri-annuelle de communication a été
qu’elle participait de l’action d’autres intervenants en prévention : Semaine de la Qualité de Vie au Travail
de l’ANACT, semaine TMS des CARSAT…
Le second plan santé au travail 2010-2014 réaffirme que le risque TMS fait partie des risques prioritaires,
et que pour être véritablement contributive d’une mise en mouvement des entreprises, la campagne de
communication doit nécessairement être relayée par d’autres actions. Ainsi, l’objectif annoncé du PST2 est
de stabiliser le nombre de maladies professionnelles en réduisant les TMS.
Le PST2 s’inscrit dans une logique partenariale et réaffirme la nécessaire mobilisation de tous les acteurs
de la prévention dans la lutte contre les TMS. Il souligne l’importance, en matière de santé et sécurité au
travail, de favoriser une approche sectorielle (BTP, agriculture…) et par type de populations parfois plus
vulnérables (intérimaires, séniors…).
Différentes mesures spécifiques sont envisagées : incitation des entreprises à réaliser leur plan de prévention,
formation renforcée des intervenants en prévention des risques professionnels (IPRP), actions de contrôle.
L’actualité européenne met également au cœur de ses préoccupations la prévention des risques en matière
de TMS. En effet, l’élaboration d’une Directive européenne visant la prévention et la lutte contre ce risque
professionnel est en préparation par la Commission européenne, et les représentants des autorités
françaises participent à ces travaux.
Un groupe d’experts en ergonomie, dans le quel est également impliqué la DGT, a été constitué afin de
construire une annexe méthodologique de la Directive qui devrait fusionner les Directives manutention
manuelle et travail sur écran.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Mobilisation de la filière
agroalimentaire en Rhône-Alpes
Jérôme Chardeyron
Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (CARSAT Rhône-Alpes, France)
D
ans les CARSAT, CRAM et CGSS, les préventeurs mènent de nombreuses interventions individuelles
qui permettent d’accompagner des entreprises dans la prévention des TMS en mobilisant des
compétences internes ou parfois externes. Ces actions individuelles sont nécessaires mais ne
permettent pas une action de masse de prévention des TMS.
Un premier niveau d’agrégat des interventions individuelles permet d’obtenir des effets de synergie
appréciable. Pour cela certaines CARSAT, CRAM et CGSS mettent en place des actions avec plusieurs
entreprises d’un même métier afin de pouvoir transmettre à l’ensemble d’un secteur d’activité un diagnostic,
des pistes de prévention…
Cependant ces interventions précieuses restent rares et liées à notre capacité d’action et de pérennisation.
Aussi elles doivent être complétées par des actions collectives en partenariat avec des branches
professionnelles ou avec des acteurs de territoires (SST, CCI…) afin :
• de mobiliser plus d’entreprises pour prévenir les TMS ;
• de mobiliser des partenaires, des ressources : porteurs de projets, financeurs, intervenants… ;
• de mettre en place des échanges durables entre les entreprises ;
• de pérenniser les actions ;
• d’obtenir et de concentrer des moyens.
L’ensemble des actions individuelles et collectives peut alors permettre d’agir sur les déterminants
des entreprises, mais aussi de remonter aux déterminants sur lesquels peuvent agir les filières
professionnelles : actions auprès des clients et des fournisseurs, conception, accord de branches…
Pour des actions avec les filières professionnelles, il est important d’évaluer la volonté et le niveau
d’implication possible de l’organisation professionnelle concernée.
Elle peut être :
• intéressée : l’organisation professionnelle veut et peut mobiliser des entreprises et doit être accompagnée
pour monter le dispositif, formaliser la convention, trouver des compétences pour permettre son
déroulement ;
• engagée : elle veut et peut mobiliser des entreprises et est en capacité de monter un dispositif, de trouver
des compétences ;
• experte : elle veut et peut mobiliser des entreprises, a des compétences en interne et peut maintenir la
mobilisation des entreprises.
Il est également important d’évaluer la capacité de l’organisation professionnelle à piloter l’action.
Identification de la filière agroalimentaire : une sinistralité préoccupante, un contexte
exigeant mais des opportunités d’action…
La filière agroalimentaire présente une sinistralité préoccupante : 1 salarié a de 2 à 3 fois plus de risques
d’avoir un accident du travail et 2 fois plus de risques d’avoir un trouble musculo-squelettique, que la
moyenne des autres secteurs d’activité.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Ce secteur présente une grande diversité de métiers qui ont tous en commun des enjeux liés à l’hygiène
alimentaire et des enjeux socio-économiques très prégnants pour les chefs d’entreprise :
• crises très médiatisées :
• forte dépendance amont (matières premières) et forte pression aval (grande distribution) :
• difficultés de recrutement, de fidélisation, de qualification :
• industries très tournées vers le produit et les savoir-faire, parfois très peu automatisées :
• fortes contraintes de températures, de gestes répétitifs, de flux tendus…
Il a également pour particularité de voir ses activités réparties sur 2 régimes : général et agricole.
Pour autant, des opportunités de mobilisation pour appréhender la prévention des risques professionnels
dans cette filière restent à saisir, tels que les coûts de cotisation AT-MP élevés, les difficultés liées à
l’emploi, les synergies à exploiter avec la méthode HACCP d’analyse des risques sanitaires…
En région, les acteurs de l’agroalimentaire sont présents par le biais de représentations professionnelles
(Association Régionale des Industries Agroalimentaires, syndicats professionnels…), de centres de
formation et écoles spécialisées, de centres techniques de recherche et d’accompagnement (technopôles),
des associations…
Mobilisation et actions
D’une manière générale, lorsqu’on a identifié l’organisation professionnelle et les différents acteurs qui
peuvent jouer un rôle dans une action collective, il est nécessaire de :
• construire l’action :
-- connaître les enjeux, les préoccupations des partenaires,
-- partager des objectifs à court, moyen, long terme : choix d’une thématique, de la cible… il peut parfois
être pertinent de développer un partenariat pour atteindre des objectifs modestes à court terme afin
d’établir des relations pérennes de confiance et donner envie d’aller plus loin,
-- structurer l’action :
°° constituer le groupe-projet (organisation professionnelle, CARSAT, ARACT, SIST, DIRECCTE, OPPBTP…),
°° définir le mode d’action (sensibilisation, formation – action, intervention de consultants…),
°° préciser les rôles et les missions de chacun,
°° préciser les délais et les moyens (en temps et financiers),
°° définir, si nécessaire, le cahier des charges des intervenants;
• formaliser l’ensemble du dispositif;
• choisir des entreprises bénéficiaires de l’action collective;
• choisir les intervenants.
• Définir les modalités de l’évaluation : Pour qu’une action collective puisse être déployée, l’étape
d’évaluation est capitale. L’évaluation se fait généralement selon 5 critères : la pertinence, la cohérence,
l’efficacité, l’efficience et les impacts de l’action réalisée :
-- Pertinence : les objectifs de l’action correspondent-ils bien à des besoins identifiés comme prioritaires
lors de l’état des lieux préalable, pour les partenaires, pour la cible, pour l’environnement ?
-- cohérence : les moyens, ressources, interventions mis en place ont-ils permis de remplir les objectifs ?
-- efficacité : quel est le rapport entre les résultats concrets produits et les objectifs initiaux ?
-- efficience : quel est le rapport entre les moyes engagés et les résultats obtenus ?
-- impact : quels sont les changements provoqués par l’action sur la cible et sur l’environnement ?
• Envisager les conditions pour un futur déploiement : Ce déploiement peut être très variable : de la
diffusion des résultats de l’action collective aux autres entreprises (guide de bonnes pratiques,
communication internet, réunions d’information), jusqu’à un engagement de l’Organisation Professionnelle
d’avoir une personne porteuse d’un projet de déploiement. Il est fréquemment nécessaire de mobiliser
des financements pour :
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
-- les actions des intervenants en phases collectives et individuelles;
-- la prise en charge des coûts liés à la gestion logistique;
-- le transfert des acquis vers d’autres entreprises.
Dans la plupart des actions, il est intéressant que les entreprises financent elles-mêmes une partie afin
de marquer leur engagement. Au delà des entreprises, à titre d’exemples, les financeurs possibles sont :
l’ARACT (FACT…), la DIRECCTE (crédits d’appui…), la CARSAT (convention, aides financières simplifiées…),
le Département, la Région… ainsi que les OPCA (organismes collecteurs des fonds de formations des
entreprises) pour les journées de formations.
Dans le cas de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes : en 2008, à partir de plusieurs données d’entrée
(la demande émergeante de certaines entreprises, l‘identification des besoins par les préventeurs, notre
connaissance des acteurs régionaux, la volonté du représentant de la profession), une action collective
expérimentale a été construite pour accompagner un collectif de 8 entreprises : « prévention des TMS
dans l’agroalimentaire : concilier santé et productivité dans l’investissement industriel ». Pilotée par l’un
des acteurs techniques locaux, et accompagnée par un consultant, elle a conduit à une capitalisation des
résultats obtenus sous forme d’un guide méthodologique et de films témoignages.
Au-delà, cette action a permis la structuration d’un réseau régional des partenaires concernés, 12 partenaires
au total. Ce réseau, aujourd’hui doté d’une identité visuelle (logo) propose une offre d’accompagnement aux
entreprises, via différents outils : coordination des plans actions, communication sur les rôles de chacun,
partage d’expériences et de compétences, production d’outils…
Deux autres dispositifs collectifs expérimentaux ont depuis vu le jour, permettant une capitalisation
globale des résultats obtenus. Ils diffèrent par le thème abordé et par le public cible (approche croisée de
3 expertises que sont ergonomie - gestion industrielle - pratiques managériales, conception hygiénique et
ergonomique des équipements de l’agroalimentaire) mais restent semblables sur la démarche.
Toutefois, force est de constater que peu d’entreprises restent directement impactées par ces dispositifs,
lourds et coûteux en temps et en budget. Une réflexion est depuis en cours sur le déploiement auprès
du plus grand nombre d’entreprises possible par le biais d’ outils de communication, d’évènements, de
formations, de dispositifs collectifs « allégés et reproductibles », qui seraient créés par le réseau de
partenaires puis mis en œuvre par des relais.
Difficultés rencontrées et perspectives
Pour maintenir la mobilisation et des démarches durables de prévention au sein des entreprises et de
l’organisation professionnelle, les difficultés peuvent être de 4 ordres :
• liées aux acteurs qui étaient présents dans les actions en entreprises et dans la profession et qui peuvent
changer de missions…
• liées spécifiquement à la filière : diversité des métiers, contradictions hygiène alimentaire/sécurité,
représentativité et élan donné par la profession, intérêt à long terme des porteurs de projets…
• liées à la mobilisation durable des entreprises : difficultés à pérenniser les démarches et à rendre
autonome les entreprises…
• liées au financement des actions de prévention des risques : difficultés à trouver des financements
pérennes et reproductibles, en dehors des expérimentations…
En conclusion, pour mobiliser de manière durable les entreprises : 3 modes d’intervention interagissent
continuellement :
• l’action directe en entreprise ;
• la capitalisation des expériences ;
• le déploiement par la valorisation des expériences et la diffusion d’outils pouvant développer l’autonomie
des entreprises.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Ce secteur présente une grande diversité de métiers qui ont tous en commun des enjeux liés à l’hygiène
alimentaire et des enjeux socio-économiques très prégnants pour les chefs d’entreprise :
• crises très médiatisées :
• forte dépendance amont (matières premières) et forte pression aval (grande distribution) :
• difficultés de recrutement, de fidélisation, de qualification :
• industries très tournées vers le produit et les savoir-faire, parfois très peu automatisées :
• fortes contraintes de températures, de gestes répétitifs, de flux tendus…
Il a également pour particularité de voir ses activités réparties sur 2 régimes : général et agricole.
Pour autant, des opportunités de mobilisation pour appréhender la prévention des risques professionnels
dans cette filière restent à saisir, tels que les coûts de cotisation AT-MP élevés, les difficultés liées à
l’emploi, les synergies à exploiter avec la méthode HACCP d’analyse des risques sanitaires…
En région, les acteurs de l’agroalimentaire sont présents par le biais de représentations professionnelles
(Association Régionale des Industries Agroalimentaires, syndicats professionnels…), de centres de
formation et écoles spécialisées, de centres techniques de recherche et d’accompagnement (technopôles),
des associations…
Mobilisation et actions
D’une manière générale, lorsqu’on a identifié l’organisation professionnelle et les différents acteurs qui
peuvent jouer un rôle dans une action collective, il est nécessaire de :
• construire l’action :
-- connaître les enjeux, les préoccupations des partenaires,
-- partager des objectifs à court, moyen, long terme : choix d’une thématique, de la cible… il peut parfois
être pertinent de développer un partenariat pour atteindre des objectifs modestes à court terme afin
d’établir des relations pérennes de confiance et donner envie d’aller plus loin,
-- structurer l’action :
°° constituer le groupe-projet (organisation professionnelle, CARSAT, ARACT, SIST, DIRECCTE, OPPBTP…),
°° définir le mode d’action (sensibilisation, formation – action, intervention de consultants…),
°° préciser les rôles et les missions de chacun,
°° préciser les délais et les moyens (en temps et financiers),
°° définir, si nécessaire, le cahier des charges des intervenants;
• formaliser l’ensemble du dispositif;
• choisir des entreprises bénéficiaires de l’action collective;
• choisir les intervenants.
• Définir les modalités de l’évaluation : Pour qu’une action collective puisse être déployée, l’étape
d’évaluation est capitale. L’évaluation se fait généralement selon 5 critères : la pertinence, la cohérence,
l’efficacité, l’efficience et les impacts de l’action réalisée :
-- Pertinence : les objectifs de l’action correspondent-ils bien à des besoins identifiés comme prioritaires
lors de l’état des lieux préalable, pour les partenaires, pour la cible, pour l’environnement ?
-- cohérence : les moyens, ressources, interventions mis en place ont-ils permis de remplir les objectifs ?
-- efficacité : quel est le rapport entre les résultats concrets produits et les objectifs initiaux ?
-- efficience : quel est le rapport entre les moyes engagés et les résultats obtenus ?
-- impact : quels sont les changements provoqués par l’action sur la cible et sur l’environnement ?
• Envisager les conditions pour un futur déploiement : Ce déploiement peut être très variable : de la
diffusion des résultats de l’action collective aux autres entreprises (guide de bonnes pratiques,
communication internet, réunions d’information), jusqu’à un engagement de l’Organisation Professionnelle
d’avoir une personne porteuse d’un projet de déploiement. Il est fréquemment nécessaire de mobiliser
des financements pour :
ISBN :
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
-- les actions des intervenants en phases collectives et individuelles;
-- la prise en charge des coûts liés à la gestion logistique;
-- le transfert des acquis vers d’autres entreprises.
Dans la plupart des actions, il est intéressant que les entreprises financent elles-mêmes une partie afin
de marquer leur engagement. Au delà des entreprises, à titre d’exemples, les financeurs possibles sont :
l’ARACT (FACT…), la DIRECCTE (crédits d’appui…), la CARSAT (convention, aides financières simplifiées…),
le Département, la Région… ainsi que les OPCA (organismes collecteurs des fonds de formations des
entreprises) pour les journées de formations.
Dans le cas de la filière agroalimentaire en Rhône-Alpes : en 2008, à partir de plusieurs données d’entrée
(la demande émergeante de certaines entreprises, l‘identification des besoins par les préventeurs, notre
connaissance des acteurs régionaux, la volonté du représentant de la profession), une action collective
expérimentale a été construite pour accompagner un collectif de 8 entreprises : « prévention des TMS
dans l’agroalimentaire : concilier santé et productivité dans l’investissement industriel ». Pilotée par l’un
des acteurs techniques locaux, et accompagnée par un consultant, elle a conduit à une capitalisation des
résultats obtenus sous forme d’un guide méthodologique et de films témoignages.
Au-delà, cette action a permis la structuration d’un réseau régional des partenaires concernés, 12 partenaires
au total. Ce réseau, aujourd’hui doté d’une identité visuelle (logo) propose une offre d’accompagnement aux
entreprises, via différents outils : coordination des plans actions, communication sur les rôles de chacun,
partage d’expériences et de compétences, production d’outils…
Deux autres dispositifs collectifs expérimentaux ont depuis vu le jour, permettant une capitalisation
globale des résultats obtenus. Ils diffèrent par le thème abordé et par le public cible (approche croisée de
3 expertises que sont ergonomie - gestion industrielle - pratiques managériales, conception hygiénique et
ergonomique des équipements de l’agroalimentaire) mais restent semblables sur la démarche.
Toutefois, force est de constater que peu d’entreprises restent directement impactées par ces dispositifs,
lourds et coûteux en temps et en budget. Une réflexion est depuis en cours sur le déploiement auprès
du plus grand nombre d’entreprises possible par le biais d’ outils de communication, d’évènements, de
formations, de dispositifs collectifs « allégés et reproductibles », qui seraient créés par le réseau de
partenaires puis mis en œuvre par des relais.
Difficultés rencontrées et perspectives
Pour maintenir la mobilisation et des démarches durables de prévention au sein des entreprises et de
l’organisation professionnelle, les difficultés peuvent être de 4 ordres :
• liées aux acteurs qui étaient présents dans les actions en entreprises et dans la profession et qui peuvent
changer de missions…
• liées spécifiquement à la filière : diversité des métiers, contradictions hygiène alimentaire/sécurité,
représentativité et élan donné par la profession, intérêt à long terme des porteurs de projets…
• liées à la mobilisation durable des entreprises : difficultés à pérenniser les démarches et à rendre
autonome les entreprises…
• liées au financement des actions de prévention des risques : difficultés à trouver des financements
pérennes et reproductibles, en dehors des expérimentations…
En conclusion, pour mobiliser de manière durable les entreprises : 3 modes d’intervention interagissent
continuellement :
• l’action directe en entreprise ;
• la capitalisation des expériences ;
• le déploiement par la valorisation des expériences et la diffusion d’outils pouvant développer l’autonomie
des entreprises.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Comment amener une entreprise à
s’intéresser à la prévention des TMS ?
Une démarche de mobilisation à la
prévention des TMS
Ghislaine Tougas,
Agence de la santé et des services sociaux de
Montréal (Canada)
L
e réseau de santé publique en santé au travail est un des organismes qui œuvre, au Québec, à la
prévention des lésions professionnelles. La présentation décrit d’abord l’organisation de ce réseau
puis détaille la démarche développée, dans la région de Montréal, pour amener les acteurs-clés
d’une entreprise à s’intéresser à la prévention des TMS. Précisons que trois grandes étapes visent à être
franchies au cours de cette démarche. La première vise à faire reconnaître, par les acteurs-clés, l’ampleur
de la problématique TMS dans l’entreprise. La seconde s’efforce à ce que les acteurs-clés envisagent
des moyens de réduire les contraintes musculosquelettiques, et la troisième à les amener à s’engager
dans un processus d’amélioration des conditions de travail. Les moyens mis en œuvre, les outils utilisés
et les arguments développés pour favoriser la prise en charge des TMS par les entreprises de la région
sont présentés. L’articulation des différentes collectes d’information, tout comme les retombées de ces
interventions, permettent ainsi de distinguer les interventions de mobilisation qui se situent en amont de
la demande de celles qui se font en cours de conduite de projet. La présentation aborde également les
contraintes associées à la mise en œuvre de cette démarche et les enjeux qu’elle sous-tend. Cet aspect de
la présentation souhaite mettre en lumière le fait que les caractéristiques de l’institution peuvent moduler
les moyens utilisés pour mobiliser les entreprises.
L’organisation du réseau de santé publique en SAT au Québec
Le réseau de santé publique en santé au travail regroupe ses ressources au sein des Agences de la santé
et des services sociaux (ASSS) et au sein des Centres de santé et des services sociaux (CSSS) désignés en
santé au travail. Ce réseau est lié par contrat à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST)
qui lui confie le mandat de mettre en place des services de santé au travail dans des secteurs d’activités
économiques définis par règlement, appelés secteurs prioritaires.
L’équipe régionale en santé au travail de la Direction de santé publique de chaque agence prépare l’offre de
service de sa région. Cette équipe régionale a un mandat de gestion et de planification, de connaissancesurveillance du territoire et de soutien-conseil auprès des équipes terrain sises dans les CSSS. En ce qui
concerne cette dernière fonction, on y trouve des ressources spécialisées en santé du travail, notamment
des médecins, des infirmières, des hygiénistes du travail et de plus en plus d’ergonomes.
Les équipes terrain mettent en œuvre l’offre de service dans les entreprises de leur territoire respectif. Le
nombre de CSSS qui offrent des services en SAT et le nombre d’intervenants par CSSS varient d’une région
à l’autre, selon le territoire à desservir. Ces équipes locales de santé au travail sont également composées
de ressources spécialisées en santé au travail. La région de Montréal comprend environ 110 ressources
spécialisées réparties entre ses quatre CSSS mandataires. Le territoire montréalais comprend environ 55
500 établissements et un peu plus d’un million de travailleurs. Dans les secteurs prioritaires, le territoire
comprend près de 7 000 établissements et 164 000 travailleurs. Ces établissements sont majoritairement
de petite taille puisque près de 80% d’entre eux comptent moins de 20 travailleurs.
Les actions du réseau de santé publique en santé au travail sont conditionnées par la Loi sur la santé
et la sécurité du travail (LSST L.R.Q, c.S-2-2). La LSST, qui vise l’élimination à la source des dangers,
confie au médecin responsable et à son équipe le mandat d’élaborer le programme de santé spécifique à
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
l’établissement (article 113). Le PSSE est un document qui identifie les risques à la santé dans l’entreprise
et les mesures à prendre pour les contrôler. Le PSSE, qui fait partie du programme de prévention de
l’établissement (LSST article 52), est l’outil privilégié pour favoriser la prise en charge. Il comprend des
activités de surveillance environnementale (identification et évaluation des risques), médicale (dépistage si
pertinent), de formation/information et celles reliées à l’organisation des premiers secours et soins.
Dans la région de Montréal, l’élaboration du PSSE passe habituellement par quatre grandes étapes. La
première étape est une collecte d’informations sur l’organisation du milieu de travail, les procédés et
les installations. Une visite des lieux complète la collecte d’informations et permet de faire un premier
repérage des risques à la santé. L’étape suivante est l’élaboration proprement dite du PSSE, qui consiste à
documenter les risques à la santé repérés dans l’investigation préliminaire. La troisième phase est la mise
en application du PSSE, soit la réalisation des activités planifiées pour les risques identifiés. La dernière
étape du cycle est la mise à jour du PSSE. Cette dernière étape permet d’évaluer les effets des mesures
préventives mises en place en cours d’application du PSSE et de vérifier si de nouveaux risques à la santé
sont apparus dans l’entreprise. Les interventions réalisées dans le cadre du PSSE se situent donc dans la
durée, ce qui permet une approche par étapes avec les entreprises.
La démarche de mobilisation à la prévention des TMS
Depuis 2005, les équipes terrain de la région de Montréal considèrent systématiquement les contraintes
musculosquelettiques dans le cadre de leur démarche d’élaboration du PSSE. Pour ce faire, les équipes
réalisent une collecte d’informations générales concernant les risques de TMS et elles réalisent une activité
de mobilisation des acteurs-clés en sus de la démarche habituelle d’élaboration du PSSE. La collecte
d’informations générales concernant les risques de TMS comporte trois activités pour évaluer l’ampleur
de la problématique TMS dans l’entreprise. Elle débute par l’étude des lésions musculosquelettiques
indemnisées par la CSST au cours des trois à cinq dernières années. Par la suite, une entrevue des acteursclés est organisée pour discuter du portrait lésionnel et pour documenter la perception des risques de
TMS qu’ont ces acteurs-clés. Une attention particulière est portée à la documentation des conséquences
des TMS pour l’entreprise. Une observation rapide des travailleurs à leurs postes complète la collecte et
permet de repérer les contraintes musculosquelettiques les plus évidentes.
La réalisation de ces trois activités fournit des indications précieuses sur le niveau de réceptivité des
acteurs-clés du milieu de travail au regard du risque de TMS. L’activité de mobilisation s’organise lorsque
que ceux-ci, principalement l’employeur ou son représentant, ne perçoivent pas les risques de TMS ou
ne sont pas disposés à agir pour les prévenir. Cette activité de mobilisation tient son importance du fait
que les risques de TMS sont peu réglementés au Québec. Nous misons donc sur la mobilisation des
acteurs-clés pour amener des transformations en milieu de travail. Les informations de la collecte de base
constituent la matière première de l’argumentaire qui sera présenté aux acteurs-clés de l’entreprise. Les
informations peuvent être restituées aux acteurs-clés sous la forme d’un feuillet bilan ou sous la forme
d’un rapport de documentation lorsque nous jugeons qu’une présentation plus structurée est requise pour
soutenir l’argumentaire. D’autres outils, notamment une pochette d’information contenant des documents
vulgarisés concernant les TMS, sont également disponibles pour soutenir l’argumentaire.
La suite des activités dépend du succès de l’activité de mobilisation. Ainsi des activités de soutien peuvent
être planifiées si les acteurs-clés sont disposés à prendre action (ex. : référence à des ressources externes,
documentation plus poussée des contraintes musculosquelettiques, formation/information). Lorsque les
acteurs-clés ne perçoivent pas l’importance de prendre en charge la prévention des TMS après l’activité de
mobilisation, nous avons l’option de recourir au soutien de l’inspecteur. La démarche se termine par une
évaluation et un suivi, tout comme les autres étapes du PSSE.
Les fondements de la démarche de mobilisation
Les trois activités de la collecte de base sont articulées pour faire en sorte que le processus de
reconnaissance des risques de TMS par les acteurs-clés de l’entreprise s’amorce au tout début de la
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
collecte d’informations et pour que ceux-ci entrevoient rapidement des mesures tangibles pour contrôler
les risques de TMS. L’articulation de ces activités prend ses sources dans le modèle de planification d’une
intervention éducative (1, 2) et dans les principaux modèles de changement de comportement (3, 6). Selon
ces modèles, les messages que l’on destine aux acteurs-clés doivent être en relation avec le stade de
changement où ils se trouvent. Nous avons opté pour une classification des acteurs-clés des entreprises
s’inspirant de ces modèles de changement de comportement. Ainsi nous considérons qu’un acteur-clé
est récalcitrant lorsqu’il se situe au premier échelon du processus de changement de comportement.
À ce stade, celui-ci ne sait pas ou il ne reconnaît pas l’existence de contraintes musculosquelettiques
dans l’environnement de travail. De plus il ignore, ou il ne reconnaît pas les conséquences des contraintes
musculosquelettiques dans son entreprise. Celui-ci doit donc être sensibilisé à la problématique TMS par
de l’information visant à lui faire connaître ou reconnaître les risques de TMS et leurs conséquences. Nous
considérons qu’un acteur-clé est sceptique lorsqu’il reconnaît les risques de TMS dans son entreprise,
mais qu’il ne prévoit pas prendre action dans un avenir rapproché. Certains d’entre eux peuvent entrevoir
des mesures de prévention axées sur les individus, telles la formation à la manutention ou les ceintures
lombaires. Ces acteurs-clés ont donc besoin de recevoir des messages qui les amèneront à prendre action
pour transformer les situations de travail. Finalement, nous considérons qu’un acteur-clé est intéressé
lorsqu’il se montre prêt à transformer les situations de travail pour prévenir les TMS. À ce stade, il doit être
soutenu dans son action afin d’obtenir des résultats positifs.
Les enjeux de la démarche de mobilisation
Les retombées de l’application de cette démarche de mobilisation sont présentement suivies dans une
vingtaine d’établissements où le PSSE a été débuté ou mis à jour en 2010. Nous constatons que des actions
ont été prises pour améliorer les conditions de travail dans près de 70% des entreprises où la démarche
a été appliquée. La documentation des risques de TMS, présentée sous forme de rapport, s’est avérée
un outil de mobilisation intéressant car elle amène la discussion avec les acteurs-clés sur le sujet des
pistes globales de solutions possibles. Parmi les établissements qui n’ont pas encore pris d’engagement
à contrôler les risques de TMS, nous retrouvons les conditions suivantes comme facteurs limitant de
la portée de la démarche. Il y a d’abord le fait que le processus de changement de comportement au
regard du risque de TMS ne s’amorce que dans la mesure où il est possible, dès le début de la collecte
d’informations, de créer une relation de confiance avec les acteurs-clés de l’entreprise. Cette relation
de confiance est essentielle au succès de la démarche de mobilisation et cet aspect constitue d’emblée
un enjeu important compte tenu du fait que nous sommes des intervenants externes à l’entreprise. Il y a
ensuite le fait qu’il n’est pas toujours possible de rencontrer les acteurs-clés décisionnels de l’entreprise.
Dans ces cas la démarche de mobilisation est plus ardue et plus longue car elle passe par un intermédiaire
interne à l’entreprise. Finalement, on ne peut passer sous silence le fait que les changements fréquents
d’acteurs-clés dans l’entreprise constituent un frein à la démarche de mobilisation puisqu’il faut reprendre
le processus de mobilisation à chaque changement d’acteur-clé.
En conclusion, l’élaboration du PSSE d’une entreprise est un mandat institutionnel qui nous permet
de susciter une demande au regard des risques de TMS dans des entreprises qui ne perçoivent pas
nécessairement ces risques et leurs conséquences. Lorsque cette demande se formalise en un engagement
à transformer les situations de travail, le processus de mobilisation se poursuit et ce, dans le cadre de la
construction sociale d’une intervention en ergonomie.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Bibliographie
1. Green, L. W. et Kreuter, M.W.: Health Promotion Planning: An Educational and Environmental Approach, 2ème
édition, Mayfield Publishing Company, 1991.
2. Paiement, M., Martin, C. et Fortier, J.: L’intervention éducative pour la promotion de la santé au travail,
cahier 4, Santé Société, Collection Promotion de la santé, Ministère de la Santé et des Services sociaux,
1988.
3. C
atania, J.A., Kegeles, S.M. et Coates, T.J.: Towards an understanding of risk behavior: an AIDS risk reduction model
(ARRM), Health Education Quaterly, 17(1), pp. 53-72, 1990.
4. P
rochaska, J.O., DiClemente, C.C. Transtheoretical therapy: toward a more integrative model of change.
Psychotherapy: Therapy, Research and Practice, vol. 19, pp. 276-288, 1982.
5. Prochaska, J.O., DiClemente, C.C., Norcross, J.C.: In search of how people change – Applications to
addictive behaviours. American psychologist vol.47, no 9, pp.1102-1114, 1992.
6. Whysall, Z. Haslam, C., Haslam, R.: A staged approach to reducing musculoskeketal disorders (MSDs) in
the workplace, Health & Safety Executive, Rapport de recherche 379, 2005.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Atelier 9
Mise en œuvre de la
pluridisciplinarité dans l’analyse
des gestes
Denys Denis
Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en
sécurité du travail (IRSST) (Canada)
Adriana Savescu
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
L
a pluridisciplinarité est de plus en plus pratiquée pour répondre à la réalité multifactorielle des TMS.
Elle essaye de donner des réponses pertinentes face à cette maladie à composante professionnelle qui
touche tous les secteurs d’activité. L’atelier va se centrer plus spécifiquement sur l’analyse des gestes
professionnels, dans la perspective où plusieurs disciplines sont amenées à donner et à partager leurs
points de vue (leurs compétences et leurs expériences) sur l’analyse des gestes réalisés par les opérateurs
dans un objectif de prévention.
Objectif
Les objectifs de cet atelier sont de donner un aperçu de la mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans
l’analyse des gestes professionnels à partir d’exemples et de présenter des approches novatrices en
matière de recherche sur la prévention des TMS.
Ainsi les exemples présentés se concentreront sur plusieurs aspects de la pluridisciplinarité :
• les conditions requises pour et par la pluridisciplinarité,
• la place de la pluridisciplinarité dans la prévention des TMS,
• les intérêts et les limites de la pluridisciplinarité.
Les présentations seront suivies par une synthèse qui soulignera des points importants et orientera les
échanges avec les participants sur les questions suivantes :
• quelle place la pluridisciplinarité a-t-elle prise dans les exemples présentés (démarche, outil…) ?
• quel impact de la pluridisciplinarité sur les différentes dimensions abordées (au sein d’une entreprise,
d’un groupe de travail…) ?
• comment faciliter la mise en œuvre de la pluridisciplinarité dans la prévention de TMS ?
• etc.
Cette synthèse introduira les points de discussion et invitera les participants à lancer un débat autour de la
pluridisciplinarité. Ils seront invités à s’exprimer sur leurs expériences, résultats, difficultés, perspectives…
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Démarche pluridisciplinaire pour le
développement d’un outil de travail
plus approprié
Jean-Claude L’Huillier
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
Introduction
U
ne des missions de l’INRS est d’intervenir en entreprise à la demande des CARSAT 1 et des CRAM 2
sur des équipements de travail où persistent des problèmes de prévention très variés. Dans certains
cas, comme celui présenté ci-après, il s’agit de TMS.
Après avoir rappelé les principales étapes de la démarche que nous suivons pour répondre à ces demandes,
nous présentons un cas d’application dans une conserverie pour améliorer, en agissant sur les outils, les
conditions de travail lors des opérations d’étêtage des sardines.
Présentation de la démarche
Notre démarche a non seulement comme objectif de rechercher des solutions de prévention adaptées au
plus près des besoins des utilisateurs, mais également de faire en sorte que ces solutions soient adoptées
par l’entreprise [1]. Elle est volontairement basée sur une approche fonctionnelle de l’innovation et ce,
afin de se rapprocher des processus cognitifs des « technologues » que sont les ingénieurs, techniciens,
opérateurs, fabricants… Ce sont en effet nos principaux interlocuteurs lors de ces actions d’assistance en
entreprise. De façon pratique, elle s’apparente à une démarche de (re)conception participative qui peut de
se décomposer en 4 étapes :
• observation et analyse de la situation de travail,
• analyse fonctionnelle des besoins,
• innovation, recherche de concepts de solution,
• validation et pérennisation de la solution.
Étape n° 1 : Observation et analyse de l’activité
S’il est bien évident que toute tentative d’amélioration d’une situation de travail ne peut se faire sans observation
préalable, l’expérience nous a montré que certaines règles doivent être suivies. En effet, pour obtenir le maximum
d’informations utiles à notre action, il faut que l’opérateur entre dans la démarche d’étude de son poste. Il est
donc nécessaire de gagner sa confiance. Pour cela, nous observons l’activité de travail avec attention, avec
curiosité, les questions les plus anodines pouvant parfois ouvrir sur des pistes de réflexions ou de solutions.
Étape n° 2 : Analyse fonctionnelle des besoins
En matière de prévention des risques professionnels, l’intérêt des démarches participatives est largement
reconnu. Pour cela, nous nous appuyons sur la démarche d’Analyse Fonctionnelle du Besoin (AFB) qui
amène à s’interroger sur les réelles attentes des utilisateurs 3 par rapport à l’objet de l’intervention (outil,
équipement, poste de travail…) [2]. Cette démarche est basée sur le recensement, la caractérisation et
la hiérarchisation des fonctions du futur produit (cf. figure 1). Celles-ci doivent être exprimées en termes
de finalités et non pas de solutions techniques afin de préserver toutes les chances d’émergence de
l’innovation au moment de la recherche de solution, par exemple on parlera d’un outil pour étêter les
sardines et non pas d’un couteau ou d’une paire de ciseaux. Les résultats sont ensuite formalisés dans un
cahier des charges fonctionnel du besoin (CdCF).
2.
3.
Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail
Caisse régionale d’assurance maladie
Par le terme « utilisateurs », nous entendons non seulement les opérateurs, mais également le personnel de maintenance, les achats…
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1.
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Figure 1 : illustration de la démarche d’analyse fonctionnelle du besoin
La réussite de cette démarche repose d’abord sur un engagement fort de la direction de l’entreprise dans
laquelle s’effectue l’intervention et ensuite sur une implication du personnel, qui doit lui-même se rendre
disponible. Les notions de hiérarchie doivent être laissées de côté afin que chacun puisse s’exprimer et
faire part de son savoir. Le rôle de l’animateur est primordial car il doit laisser les personnes s’exprimer
librement, inciter les plus réservées à s’exprimer, maintenir l’attention du groupe, relancer les échanges si
besoin, les recentrer sur les objectifs de l’analyse fonctionnelle… C’est pourquoi, nous privilégions pour ce
rôle une personne extérieure à l’entreprise, experte en analyse fonctionnelle et en animation de groupe de
travail mais neutre vis-à-vis de la situation à traiter. Bien entendu, nous adaptons la mise en place de cette
démarche à la complexité de l’intervention et aux spécificités de l’entreprise (taille, moyens…).
Si à ce stade de notre intervention, nous disposons de nombreuses données, issues de l’observation du
poste de travail et des attentes exprimées dans le cahier des charges fonctionnel, l’essentiel reste à faire :
trouver un ou plusieurs concepts de solutions techniques répondant au problème de prévention posé et
les valider en condition réelle d’utilisation. Plutôt que de développer ces deux dernières étapes de façon
théorique, nous les présentons au travers du cas d’application retenu : l’étêtage des sardines.
APPLICATION CONCRÈTE DE LA DÉMARCHE DANS UNE CONSERVERIE
Exemple d’une entreprise en mutation
Certaines conserveries françaises emploient encore une méthode artisanale de préparation des sardines. Cette
production « haut de gamme » nécessite que toutes les opérations soient réalisées manuellement. Ce savoirfaire est transmis de génération en génération par des saisonniers locaux qui, particulièrement habiles, étêtent
puis éviscèrent les sardines au moyen d’un couteau (cf. figure 2). Par la rotation du couteau, la tête est sectionnée
partiellement, puis un mouvement de translation de la main retire les viscères restés solidaires de la tête. Ces
mouvements sont exécutés jusqu’à 600 fois par heure. Associés à l’hyperflexion du poignet de la main tenant
le poisson, ils peuvent, en plus des risques de coupures, engendrer des troubles musculosquelettiques (TMS).
Figure 2 : Etêtage et éviscération au couteau
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Face à cette situation de travail, la CARSAT a sollicité l’INRS pour étudier la possibilité d’améliorer les
conditions de travail en agissant sur l’outil.
La principale question qui nous était alors posée était de remplacer le couteau par un outil permettant cette
opération d’étêtage tout en minimisant les mouvements articulaires du poignet.
Comme indiqué précédemment, notre intervention a débuté par une analyse de la gestuelle des
opérateurs(trices). Une vidéo de cette activité a ensuite servi de support de discussion lors de la démarche
d’analyse fonctionnelle du besoin, qui dans le cas présent, a été réalisée par un groupe de travail restreint
avec un suivi informel par l’expert INRS.
Innovation, recherche de concepts de solution
Réflexions et transfert de technologies
L’observation de cette activité et les discussions lors de l’analyse fonctionnelle nous ont rapidement amené
à faire une analogie entre cette opération d’étêtage et celle de dénudement d’un câble électrique. L’entaille
de la peau au niveau de la tête de la sardine, c’est celle pratiquée sur la gaine ; l’œsophage qu’on ne doit
pas couper, c’est le fil de cuivre.
Si par le passé les électriciens utilisaient un couteau (ou un cutter) pour réaliser ce type d’opération, ils ont
aujourd’hui à leur disposition un outil dédié : la pince à dénuder (cf. figure 3).
Figure 3 : Pince à dénuder manuelle et automatique
De cette analogie, l’idée est venue d’essayer de réaliser un outil spécifique, basé sur le principe de la pince
à dénuder, pour l’étêtage des sardines. Le principe général de ce type d’outil est de couper autour d’un
élément qu’il faut conserver : les viscères, dans le cas présent, afin de pouvoir les extraire totalement. Le
principe des mâchoires en forme de « V » de la pince à dénuder manuelle a été transposé aux lames d’un
ciseau (cf. figure 4).
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Ciseaux du commerce Avant-projet d’outil d’étêtage
Figure 4 : Avant-projet d’un outil d’étêtage et d’éviscération
à partir d’une paire de ciseaux du commerce
Ce concept de solution imaginé, il reste encore à le transformer en un produit industriel accepté par les
futurs utilisateurs. Pour cela, nous suivons une démarche itérative (cf. figure 5) basée sur l’alternance de
phase de conception et de mise en situation à l’aide de maquettes numériques ou physiques (prototypes). En
effet, ces objets sont accessibles et compréhensibles par tous et de ce fait, ils jouent un rôle de coordination
et de médiation entre les acteurs [3]. Le groupe de travail se sent alors impliqué dans la réalisation du
produit final et son appropriation en est facilitée.
Figure 5 : Processus de développement itératif
Validation et pérennisation de la solution
Intégration d’un fabricant
Pour la réalisation de prototypes fonctionnels de l’outil envisagé, il nous fallait trouver un industriel
compétent qui ait le savoir-faire du coutelier et de l’artisan à la fois. Développeur d’outils à main spécifiques,
la société EPROSE, située à Thiers (63), le berceau de la coutellerie française, a mis toutes ses compétences
et son savoir-faire dans ce projet. Son directeur explique que ce développement s’est fait en plusieurs
étapes : « Tout d’abord, la validation d’une conception 3D à partir du principe de l’INRS puis la recherche
d’une forme d’anneaux ergonomiques et ambidextres sur un panel de ciseaux du commerce et d’un test
sur un panel de personnes. La réalisation d’un premier prototype en frittage de poudre est venue valider
la taille et l’ergonomie puis les essais de prototypes hybrides : lames en matière réelles et anneaux en
frittage de poudre sur ligne en conserverie. Le groupe a ensuite tenu compte des premières remarques des
utilisateurs et des points à améliorer ».
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
La version définitive de l’outil d’étêtage répondant au plus près des besoins des utilisateurs comprend (cf. figure 6) :
deux branches en inox, avec des anneaux surmoulés, démontables en les séparant au niveau du pivot de
l’axe de rotation facilitant le nettoyage et l’affûtage des parties tranchantes ;
une section tranchante (1), la plus proche de l’axe de rotation, qui va entamer la partie ventrale de la sardine ;
une section micro-dentée (2), à proximité, entamera la peau et la chair des parties latérales, sous les ouïes
de la sardine, tout en préservant les viscères ;
une zone coupante (3) comme une paire de ciseaux classique sectionnera la partie supérieure la plus
charnue ainsi que l’épine dorsale ;
une partie surmoulée (4) à l’extrémité de chaque branche, qui forme une pince pour retirer les viscères qui
auraient été désolidarisés de la tête lors de l’opération.
Figure 6 : Illustrations de l’outil CISARE
En accord avec l’INRS, ce partenaire industriel a ensuite réalisé des produits définitifs répondant aux
besoins des utilisateurs et aux normes alimentaires. Les essais réalisés en situation réelle de production
avec ces outils ont montré que leur emploi permet effectivement de réduire les contraintes biomécaniques
au niveau du poignet tenant l’outil et de celui tenant la sardine (cf. figure 7). Seule subsiste une légère
rotation du poignet tenant l’outil, au moment de l’extraction de la tête et des viscères.
La réalisation d’outillages d’injection plastique pour le surmoulage des anneaux et des becs a finalisé la
démarche d’industrialisation de cet outil aujourd’hui dénommé CISARE 4.
Figure 7 : Opérations d’étêtage et d’éviscération avec CISARE Conclusion
. Marque déposée par l’INRS
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SAVOIR-FAIRE ET CHANGEMENT
Comme nous venons de le voir au travers de cet exemple, la démarche que nous suivons dans le cadre de
notre activité d’assistance aux entreprises s’apparente à une démarche de conception participative dans
laquelle nous impliquons différents acteurs internes et externes à l’entreprise : opérateurs, encadrement,
chargés de prévention, fabricant…
Notre intervention consiste ensuite à aider ce groupe dans les différentes étapes de cette démarche, de
l’analyse des besoins à la mise en œuvre de la solution proposée. Lorsqu’un nouveau concept d’outil est
développé, comme ici dans le cas de CISARE, la réussite ne repose pas uniquement sur la qualité et les
performances techniques de la solution, mais aussi et surtout sur son acceptation par l’ensemble des
acteurs. Dans le cas présent, le groupe de travail a très bien fonctionné et le résultat (CISARE) a été validé
par la direction de la conserverie et la CARSAT. En effet, non seulement les contraintes angulaires au
niveau des poignets sont réduites, mais les performances en termes de qualité et de productivité sont au
moins équivalentes à celles réalisées avec le couteau. De plus, cet outil demande moins d’expertise dans
le geste et, de ce fait, les saisonniers novices sont très rapidement opérationnels. Toutefois, comme le
rappelle la société EPROSE, et comme nous l’avons également constaté, « les utilisateurs expérimentés,
ayant le savoir-faire au couteau, se sont plus difficilement adaptés au changement d’habitudes ». Cette
attitude défensive face à la nouveauté est connue. Il est alors nécessaire de mettre en place une stratégie
(information/formation, phase d’adaptation, montée en production…) pour accompagner ce changement,
faute de quoi l’outil risque d’être rejeté malgré ses qualités.
Bien que nous l’accompagnions dans cette étape, la réussite finale dépend là encore essentiellement de
l’engagement de l’entreprise. La direction et l’encadrement qui ont été parties prenantes de la démarche
doivent être les porteurs de la solution mise en place.
Bibliographie
1. L’HUILLIER J.-C., MARSOT J. - Assistance technique en entreprise : retour d’expérience sur une
démarche d’intervention centrée sur l’innovation technologique. Hygiène et sécurité du travail, ND 2328,
2ème trimestre 2010, 219, pp. 41-48.
2. A FAV - Exprimer le Besoin - Application de la démarche Fonctionnelle. AFNOR, Paris, 1989, ISBN 2-12476911-1, 372 p.
3. M
ARSOT J., CLAUDON L. - Design and Ergonomics - Methods and Tools for integrating ergonomics at
the design stage of hand tools. International Journal of Occupational Safety and Ergonomics (JOSE) 2004,
vol. 10, No. 1, pp. 11-21.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
La pluridisciplinarité au service
de la prévention des TMS :
quand l’association entre psychologie
du travail et biomécanique devient,
pour les professionnels, support
d’analyse des gestes de métier
Pascal Simonet
Équipe clinique de l’activité, CRTD/Conservatoire
national des arts et métiers, Paris (France)
driana Savescu, Clarisse Gaudez, Agnès
A
Aublet-Cuvelier
Institut national de recherche et de sécurité
(INRS) (France)
Muriel Van Trier
SMPP Ville de Paris (France)
C
ette contribution revient sur les traces de la construction d’une association pluridisciplinaire entre
psychologie du travail et biomécanique mise en œuvre au sein de collectifs de fossoyeurs de la ville
de Paris et au contact permanent de leur médecin du travail. Cette coopération entre deux disciplines
qui relèvent d’une conceptualisation et d’histoires très éloignées l’une de l’autre a pris place et fait sens
dans le cadre d’une intervention clinique de l’activité de prévention durable des TMS ouverte aux échanges
interdisciplinaires 1 (Simonet, 2009). En effet, au moment de l’association avec la biomécanique, l’histoire
de cette intervention était déjà inscrite dans l’échange interdisciplinaire avec la médecine du travail (Van
Trier, 2010) et l’ergonomie de l’activité (Simonet & Caroly, 2008 ; Simonet, Caroly & Clot, 2011). Mais c’est
sur l’association entre psychologues du travail cliniciens de l’activité et biomécaniciens de l’INRS que nous
concentrerons l’essentiel de ce texte (Savescu et al., 2010 ; Simonet et al., 2010).
Le contexte de l’association pluridisciplinaire avec la biomécanique
Une action initiée à la demande du service de médecine du travail
Le service de médecine préventive et professionnelle (SMPP) de la ville de Paris a entrepris une démarche
de prévention durable des TMS sur la base des préconisations du PST 2005-2009 2 et des conclusions
scientifiques tirées du rapport remis au ministère du Travail en 2008 sur la prévention durable des TMS 3
(Caroly et al., 2008). Ce service fait le constat d’une recrudescence de plaintes liées à des douleurs
ressenties au niveau du bas du dos et des épaules dans le métier de fossoyeur. Pour tenter de comprendre
l’augmentation des TMS chez les fossoyeurs, le médecin et l’infirmière du travail ont décidé d’agir en
convoquant l’ensemble des agents fossoyeurs en consultation médicale mais aussi en se rendant, sur le
tiers-temps, dans les cimetières afin de mieux observer leurs tâches quotidiennes.
Un peu moins d’une centaine de fossoyeurs (des hommes d’une moyenne d’âge de 44 ans et d’une ancienneté
moyenne dans le métier de 12 ans) :
• creusent des fosses, déblayant des milliers de mètres cubes d’une terre parfois friable, grasse, gelée ou
encore collante ;
• démolissent des monuments funéraires (en pierre de granit, en pierre calcaire ou en marbre) le plus
souvent manuellement à l’aide de masses de 3 à 5 kilos et parfois en utilisant un perforateur ;
• inhument par portage à la main ou à l’épaule des cercueils atteignant parfois jusqu’à 150 kg et exhument
des cercueils en plomb ou en zinc en pleine terre (à 1,50 mètre ou deux mètres de profondeur) ou en
caveaux (d’une profondeur qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres) et parfois dans des chapelles.
1. Nous conserverons dans cet article le terme de pluridisciplinarité comme terme générique en cohérence avec l’intitulé de l’atelier du congrès. Cependant, nous nous
reconnaissons davantage dans la définition suivante : « l’interdisciplinarité suppose un dialogue, un échange ou une confrontation entre plusieurs disciplines. Il ne s’agit
pas d’une simple juxtaposition, mais d’une interaction et d’une interpénétration. Les disciplines en ressortent alors transformées, même si les changements ne sont
souvent que périphériques » (D. Vinck, 2002).
2. PST 2005-2009 : Plan Santé au Travail du gouvernement préconisant des actions de prévention des TMS.
3. ”La prévention durable des TMS : quels freins, quels leviers ?” : rapport rédigé en partenariat avec le réseau ANACT et des laboratoires de recherche universitaires,
remis à la direction générale du Travail en janvier 2008.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Le médecin du travail réalise une démarche clinique de dépistage des TMS selon les critères du protocole
standardisé SALTSA 4 pour les membres supérieurs et recense également les cas de lombalgies : 12% de
TMS membres supérieurs (TMS ms) et 24% de lombalgies sont diagnostiqués. Mais devant les difficultés
d’interprétations des observations de l’activité concrète de travail des fossoyeurs et d’analyse des écarts
entre ce qui se dit et ce qui se fait dans ce métier, le SMPP décide d’inscrire la démarche de prévention
durable des TMS des fossoyeurs dans la pluridisciplinarité en faisant appel à la Chaire de psychologie du
travail du CNAM.
Objectif général et architecture globale de l’intervention en clinique de l’activité
Le cadre méthodologique clinique de l’activité (Clot et al., 2001) ambitionne de donner aux professionnels
engagés dans la situation l’occasion de développer les conditions de réalisation de leur activité et de
participer à la conception de la tâche effectivement accomplie (Clot & Leplat, 2005). Comme nous y invite
la distinction entre tâche prescrite et tâche effective (Leplat & Hoc, 1983), nous devons distinguer entre
les buts déterminés par les prescripteurs et ceux que poursuivent les opérateurs dans l’effectuation de
la tâche prescrite. Cette conceptualisation de la tâche invite à distinguer deux sphères décisionnelles de
l’organisation du travail en développant des actions, d’une part, avec les collectifs d’opérateurs et, d’autre
part, avec les différents métiers de la ligne hiérarchique. L’intervention s’est organisée dans deux types
d’instances d’analyse du travail :
• au sein d’un collectif de fossoyeurs associés à l’analyse de leur activité à partir de traces filmées
auxquelles ils ont été confrontés individuellement et collectivement en séances d’autoconfrontations
simples et croisées ;
• au sein d’un comité de pilotage 5 dans lequel l’intervenant chercheur psychologue du travail a mobilisé les
analyses conduites par les fossoyeurs avec leur accord, en vue de confronter la hiérarchie aux limites de
sa maîtrise et de sa compréhension du réel de l’activité du fossoyeur.
Il s’agit d’implanter au sein de ces deux instances - l’une étant pensée comme le support de l’autre - les
conditions de l’échange contradictoire entre « pairs » afin d’ouvrir chacun sur de nouvelles potentialités de
réalisation de son activité propre. Nous allons voir plus particulièrement comment l’action pluridisciplinaire
avec la biomécanique a été l’occasion pour les fossoyeurs d’analyser, d’une manière originale, l’un de leurs
gestes de métier : le geste du « jeté arrière » 6.
L’action pluridisciplinaire avec la biomécanique comme support du développement du geste 7
Nous souhaitons montrer les conditions concrètes de réalisation de l’action pluridisciplinaire dans ses
objectifs, ses hésitations, ses techniques de réalisation, ses résultats, ses limites et ses perspectives pour
la prévention durable des TMS au sein de la ville de Paris.
La description du ”jeté arrière”
Le « jeté arrière » consiste pour un fossoyeur, une fois placé dans la fosse en contrebas par rapport à la
surface, à extraire la terre de la fosse en la lançant dos tourné jusqu’à son point de stockage à la surface.
Une fois la terre recueillie sur la lame de son outil, il doit le passer par-dessus sa tête ou par-dessus son
épaule droite ou gauche, derrière lui, effectuant ainsi un geste de circumduction de l’épaule. Compte tenu
4. SALTSA est un groupement de trois organisations syndicales de salariés suédois dont l’objectif est de favoriser les recherches sur la santé au travail en Europe. Un
groupe d’experts européens a développé un outil de recueil des TMSms liés au travail qui permet de recueillir de façon standardisée les altérations du membre supérieur
à un stade débutant ou au cours de son évolution. Le but étant de permettre au médecin du travail de promouvoir efficacement les actions de prévention nécessaires.
(Meyer et coll., 2002)
5. Un comité de pilotage composé des membres de la hiérarchie de proximité et de la direction, des membres du service de médecine préventive et professionnelle, du
service de prévention des risques professionnels ainsi que des chercheurs.
6. Cette demande émane des fossoyeurs eux-mêmes à l’issue d’un premier travail d’analyse de leur activité de creusement des fosses. Pour le médecin du travail, la
réalisation de ce geste semble poser des problèmes scapulaires et lombaires. Elle suggère alors d’objectiver les sollicitations musculaires en jeu dans la réalisation de
ce ”jeté arrière” qui fait débat entre fossoyeurs.
7. Nous nous référons ici à la conceptualisation du développement du geste par l’analyse psychologique du mouvement (Clot & Fernandez, 2005)
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
des contraintes extérieures entourant la fosse, le fossoyeur est obligé de lancer la terre très loin et très en
hauteur derrière lui en supportant le poids de l’outil chargé de la terre extraite. Au cours de son creusement,
le fossoyeur n’est pas toujours dans la même position par rapport au lieu de stockage de la terre expulsée.
Aussi, pour sortir sa terre, il alterne, généralement le « jeté arrière » avec d’autres types de jetés, comme le
« jeté avant » qui consiste à jeter la terre en avant de lui ou le « jeté de côté » quand il peut stocker la terre
sur le côté ou qu’il peut utiliser une brouette. Mais quelles que soient les contraintes environnantes et les
conditions de sa réalisation, le geste du « jeté arrière » est un geste incontournable en particulier dès que
la fosse atteint une profondeur d’environ 1 m et qu’il faut encore creuser à une profondeur de 1,50 m à 2 m.
Définition du protocole pluridisciplinaire : objectifs et hésitations
Objectifs de l’association pluridisciplinaire avec la biomécanique
L’objet de l’association a consisté à faire des outils de la métrologie biomécanique des outils de développement
de l’observation des fossoyeurs sur leur propre activité dans le cadre méthodologique des autoconfrontations.
L’enjeu consistait à faire en sorte que les fossoyeurs se saisissent de ces méthodes quantitatives dans le
cadre méthodologique clinique de l’activité pour se confronter aux détails de leurs réalisations gestuelles
et de celles de leurs collègues. L’objectif poursuivi était de soutenir leurs efforts d’élaboration à partir d’une
activité d’analyse instrumentée, les conduisant à se comparer et à s’essayer à d’autres manières de concevoir
leur gestuelle dans l’exécution du creusement d’une fosse. Le statut de l’analyse biomécanique devait ainsi se
déplacer : de source de connaissances pour les chercheurs, ce qu’elle ne devait pas cesser d’être, elle devait
devenir technique de développement de la connaissance du geste étudié pour les fossoyeurs. Elle devait
participer au développement du geste en alimentant les controverses professionnelles des fossoyeurs durant
les autoconfrontations. C’était le pari de cette association.
Un chemin semé d’hésitations
Plusieurs versions méthodologiques ont été envisagées puis abandonnées, comme par exemple : réaliser
les mesures en laboratoire, choisir une autre « unité d’analyse « comme le geste du « coup d’épaule »
(geste également discuté), définir un seul « geste étalon » sur la base des analyses quantitatives. Nous ne
reviendrons pas ici sur l’ensemble de ces variantes envisagées ni même sur les longues discussions qu’elles
ont suscitées. Nous cherchions à répondre à cette question : à quel geste confronter les fossoyeurs ? Les
cliniciens de l’activité voyaient dans la coopération avec l’INRS la possibilité de confronter les fossoyeurs
à « un seul geste défini » à partir des analyses biomécaniques réalisées. L’idée était de les confronter
et de leur faire s’essayer à une sorte de « jeté arrière prototypique » dont le seul avantage que nous lui
accordions était d’engager les fossoyeurs à le critiquer pour étayer leurs controverses 8. Ce projet n’a pas
été retenu et nous nous sommes orientés vers un autre type de protocole.
Le protocole expérimental pluridisciplinaire finalement réalisé
Huit fossoyeurs volontaires ont participé à l’étude : quatre étaient débutants dans le métier de fossoyeur (avec
une expérience comprise entre quelques mois et un an) et quatre autres étaient des fossoyeurs expérimentés
(avec une expérience comprise entre sept et trente-huit ans). Les participants à l’étude étaient préalablement
informés du déroulement de l’expérimentation et avaient donné leur consentement pour y participer.
Le protocole expérimental de l’enregistrement biomécanique 9
Les conditions expérimentales ont été les suivantes :
• l’enregistrement des données biomécaniques en situation réelle de travail de creusement d’une fosse
réunissant les caractéristiques suivantes : emplacement de la terre expulsée dos au fossoyeur, présence
d’un coffrage pour stocker la terre expulsée, chemin de traverse entre la fosse creusée et le coffrage,
choix d’une fosse à terre plutôt grasse, d’une profondeur comprise entre 1.5 m et 2 m;
8. Nous suivions la voie tracée par Wallon pour lequel, c’est quelquefois « en utilisant des milieux factices, de vrais milieux de laboratoire qu’il devient possible de rompre
les associations fâcheuses de la vie courante » (Wallon, 1954/ 1976, p. 305).
9. Nous faisons ici le choix de ne pas insister sur la procédure d’enregistrement EMG ainsi que sur la normalisation des signaux EMG.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
• l’activité observée : sortir la terre en « jeté arrière », absence de brouette, creusement (re-creusement)
effectué seul, cadence libre;
• consignes données : « travailler comme d’habitude en sortant la terre en jetés arrières » ; faire usage des
outils habituels (louchet, pelle, fourche);
• les fossoyeurs étaient instrumentés avec les moyens de mesure de l’activité musculaire de surface
(électromyographie).
En complément des données biomécaniques, un enregistrement vidéo synchrone a été réalisé. Prenant en
compte l’activité musculaire de chaque muscle et la vidéo de l’activité, un geste de « jeté arrière » a été
défini par les chercheurs : le début du geste commence au moment où l’outil chargé de terre se prépare
à quitter la terre de la fosse ; la fin de ce geste est considérée quand la terre n’est plus en contact avec
l’outil. Cette définition a été choisie pour focaliser l’attention des fossoyeurs sur le « jeté arrière » et non
pas sur la préparation de la terre, l’exhumation ou encore le nettoyage de l’outil. Une vidéo d’une durée
moyenne d’1’30 environ est réalisée pour chaque fossoyeur faisant apparaître à l’image uniquement les
« jetés arrière » les moins et les plus sollicitants.
L’instrumentation des autoconfrontations
L’objectif poursuivi en autoconfrontation simple était d’ouvrir le fossoyeur sur un dialogue intérieur engagé
à l’occasion de l’échange avec le chercheur et sur la base des traces filmées de son activité réalisée 10.
Pour alimenter cet échange d’une heure, compte tenu de la courte durée de la vidéo transmise par l’INRS,
nous décidons alors de confronter le fossoyeur aux vidéos voire aux graphiques illustrant les sollicitations
biomécaniques des collègues les plus éloignés de ses propres résultats. Cette décision a induit, à l’étape
de l’autoconfrontation simple, une comparaison « à distance » entre fossoyeurs.
Pour réaliser les autoconfrontations croisées, nous avons organisé les binômes de fossoyeurs de façon
à créer les conditions de la controverse professionnelle sur cette même règle reposant sur les écarts
les plus marqués entre membres d’un binôme, tant au niveau des résultats biomécaniques que de leur
manière respective d’effectuer le « jeté arrière ».
En résumé, la confrontation redoublée du fossoyeur à l’exécution de son « jeté arrière » s’est donc organisée
à partir de deux supports :
• des vidéos des « jetés arrière » définies en laboratoire (chaque réalisation a été numérotée) :
• des graphiques illustrant l’évolution des sollicitations biomécaniques élaborées à partir des « jetés
arrière » les moins sollicitants (définissant une gamme verte) et des « jetés arrière » les plus sollicitants
(définissant une gamme rouge). La numérotation figurant sur le graphique permet au fossoyeur de
retrouver l’exécution de tel « jeté arrière » sur le film support (dans l’exemple présenté, le numéro 15
étant « un jeté arrière » « dans le vert » exécuté à la fourche) :
Résultats et discussion de l’apport repéré de l’association pluridisciplinaire
Nous devons insister sur un point particulièrement remarquable : les autoconfrontations en simple ou
en croisé comportent toutes, à des degrés divers, des simulations et des controverses gestuelles entre
fossoyeurs. C’est le cas dans cet extrait d’autoconfrontation croisée entre deux jeunes fossoyeurs qui
s’essayent lors de l’autoconfrontation à différentes manières de réaliser leur propre « jeté arrière » dans
une controverse à la fois verbale et gestuelle.
Extrait d’autoconfrontation croisée
Ch 1 : vous trouvez qu’il peine là dans ce que vous lui voyez faire ? (…)
DB 2 : on devrait refaire une vidéo je serais dans le vert même des deux côtés maintenant.
Ch 3 : ça fait sourire votre collègue
La durée de la vidéo retraçant des séquences de l’activité concrète de travail analysée fait rarement moins d’un quart d’heure dans les autoconfrontations en clinique
de l’activité et l’activité filmée ne fait pas toujours l’objet de découpage au montage.
10.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
GD 4 : même comme tu le dis c’est pareil hein (1”) Tu ne serais pas dans le vert quand même.
Ch 5 : qu’est ce qui fait qu’il ne serait pas dans le vert avec ce que vous lui voyez faire à votre collègue ?
GD 6 : il serait tordu ben même en changeant ses jambes ben je sais pas, il se tord quand même parce que
tu te mets comme ça quand tu jettes comme ça ? (pause 3”) Les jambes elles sont bien placées là ?
Ch 7 : mettez-vous à côté, là
GD 8 : vas-y (DB se lève) tu jettes de ce côté-là quoi !
DB 9 : j’ai l’outil comme ça
GD 10: ouais
DB 11: hop je fais appui et je le pose
GD 12: ouais mais regarde ton épaule (pause 2”) Elle fait carrément ça
DB 13: non mon bras il est il, il reste comme ça
GD 14: ouais mais tu fais
DB 15: il n’est pas
GD 16: ça quand même
DB 17: il n’est pas en l’air hein
GD 18: mais même si tu n’es pas en l’air tu fais ça quand même ! Que quand tu fais comme ça regarde
mon épaule elle bouge pas je fais ça et mon bras il coulisse tout simplement / essaye de faire
dans l’autre sens comme moi comme ça
DB 19: ha non là je fais comme toi je fais tranquille
GD 20: ha ben voilà ben moi je trouve que là comme ça tu peines moins que dans l’autre sens je sais pas.
(Silence)
Nous devons ici renoncer à une analyse exhaustive de ce dialogue. Nous pointerons néanmoins deux
marqueurs du développement du geste propre dans l’analyse :
• la reprise répétée par les fossoyeurs de la référence à la gamme verte des « jetés arrière » les moins
sollicitants comme instrument d’étayage de leurs répétitions gestuelles ;
• la comparaison de soi à l’autre comme moyen d’examiner son engagement corporel dans la fosse en
revisitant le positionnement de ses mains ou celui de ses jambes, dans ce cas particulier.
Nous pouvons nous demander dans quelle mesure la transformation du geste du « jeté arrière » par les
analyses biomécaniques et sa circulation chez les fossoyeurs mais aussi au sein de la hiérarchie dans le
comité de pilotage ont permis :
• aux premiers, de créer un contexte nouveau de mise en circulation des variantes génériques corporelles ;
• aux seconds, de s’engager dans une redéfinition de la prévention durable des TMS par l’analyse de
l’activité corporelle 11.
Dans quelle mesure aussi cette dynamique permet-elle d’étayer le constat fait par le médecin du travail
selon lequel les fossoyeurs qui ont participé à l’action orientent davantage qu’auparavant la visite médicale
sur la complexité de leurs gestes de métier que sur leurs plaintes ?
Perspectives en cours de réalisation
Nous avons souligné l’importance de l’action menée avec la hiérarchie au sein du comité de pilotage. Nous
pouvons aussi en mesurer les résultats. Ses membres ont en effet décidé la généralisation de l’action
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11. Les échanges entre les membres du comité de pilotage alimentés par l’analyse de l’activité des fossoyeurs ont provoqué des déplacements importants en matière de
perception des TMS et des liens avec les gestes répétés. Ces gestes perçus comme facteurs de risques au début de l’action sont devenus, dans le cadre de leur analyse
par les fossoyeurs, des ressources potentielles de prévention des TMS. De nouvelles actions de prévention ont émergé comme cela est mentionné dans la dernière partie
de cette contribution.
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
entreprise avec deux équipes de fossoyeurs à l’ensemble des fossoyeurs de la ville. Ces derniers sont
devenus des interlocuteurs possibles de la direction en matière de conception des actions préventives.
Une psychologue du travail clinicienne de l’activité a été recrutée par la ville de Paris pour réaliser avec
les fossoyeurs un outil de formalisation et de généralisation des analyses conduites sur leurs gestes de
métier. Cette démarche doit redéfinir la formation et la transmission aux gestes du métier de fossoyeur.
Enfin, une autre action sur les risques biologiques est venue solliciter d’autres fossoyeurs. Ces derniers,
s’inspirant de leurs collègues ayant travaillé sur le geste du « jeté arrière » ont su imposer des modalités
participatives sur la base de la construction d’un nouveau collectif pour s’engager dans cette action d’un
nouveau genre. De nouvelles voies se sont ouvertes à la prévention pérenne des TMS au sein de cette
organisation du travail.
Bibliographie
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prévention durable des TMS : Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport d’étude pour la Direction Générale du
Travail. Disponible sur le site www.anact.fr, dans le dossier thématique TMS.
Clot Y., Faïta, D., Fernandez, G., & Scheller, L. (2001). Entretiens en autoconfrontation croisée : une méthode en
clinique de l’activité. Éducation Permanente n°146, 17-25.
Clot Y. et Leplat, J., (2005). La méthode clinique en ergonomie et en psychologie du travail. Le Travail humain, 68/4,
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Clot Y., & Fernandez, G., (2005). Analyse psychologique du mouvement : apport à la compréhension des
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Préparer le Lys des Incas en qualité
et en sécurité : une intervention
pluridisciplinaire dans le secteur
de la floriculture colombienne
Nelcy Arevalo Pinilla
Fondation Ergoideal (Colombie)
Introduction
D
e façon générale, les entreprises tendent à privilégier les résultats de production et économiques sur
les considérations relatives à la protection de la santé et sécurité des travailleurs. En conséquence de
quoi la législation colombienne du travail sur les risques professionnels stipule que « les employeurs
ont obligation de mettre en œuvre et de maintenir une ambiance de travail présentant les conditions
adéquates d’hygiène et de sécurité, ainsi que d’établir des méthodes de travail comportant le minimum de
risques pour la santé dans le processus de production »1.
Cette observation vaut d’autant plus pour les entreprises du secteur floriculteur qu’une étude
épidémiologique réalisée par le ministère de la Protection Sociale 2 en 2004 a montré que cette activité
économique concentre à elle seule 9% de l’ensemble des diagnostics de maladies professionnelles du
pays, pathologies essentiellement manifestées sous forme de syndromes du canal carpien résultant des
travaux de coupe des plants de fleurs.
De plus, confronté à la chute tendancielle du dollar, ce même secteur (massivement exportateur de sa
production, principalement vers les Etats-Unis et l’Europe) a réagi en privilégiant comme « principal
moyen d’améliorer la productivité, l’augmentation des volumes de production en sollicitant toujours plus un
rendement maximum de la part de la main-d’œuvre » (Corporation Cactus, 2010). Bien que cette politique
d’entreprise se soit accompagnée de la recherche de méthodes de travail susceptibles de protéger la santé
des travailleurs, elle se traduit par une grande exigence biomécanique de répétition et des angulations
excessives de mouvements.
Dans ce contexte économique et social, la demande qui nous a été adressée par quatre entreprises
productrices et exportatrices de la variété Alstroemeria (ou Lys du Pérou) de l’un des principaux groupes
économiques de ce secteur de la floriculture colombienne a conduit à formuler une proposition visant à
mettre en relation les exigences de santé, de qualité et de productivité.
En collaboration avec le service de santé au travail du groupe demandeur, nous avons mis en place un
collectif de travail pluridisciplinaire et pluri-acteurs. Celui-ci était composé du médecin du travail, de
l’ingénieur qualité et de l’ingénieur technique du groupe ainsi que, pour chaque entreprise participante,
des responsables des ressources humaines et techniques, des ingénieurs de production et d’exportation,
de la maîtrise et d’ouvriers volontaires.
Pour illustrer divers problèmes observés, la figure 1 montre quatre exemples de pratiques de travail
altérant, d’une part, la qualité des fleurs, feuillages et tiges, et contribuant, d’autre part, à altérer la santé
des opérateurs. Ces pratiques ont par conséquent dû être modifiées.
2.
Loi 9 de 1979, titre 3 Article 84 (nous mettons en italiques).
Homologue colombien du ministère français du Travail, de l’Emploi et de la Santé.
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1.
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Figure 1
Observations de terrain (1ère série) :
exemples de pratiques portant atteinte à la qualité des plants et à la santé des opérateurs
Dans le contexte de travail pluridisciplinaire et pluri-acteurs de l’action menée, l’approche de l’ergonomie
centrée sur l’activité apparaît déterminante, notamment parce qu’elle est porteuse d’une préconisation
d’intervention en cohérence avec les conceptions les plus actuelles en matière de prévention des TMS. Ces
dernières énoncent en effet qu’en vue d’aborder une telle problématique, il est nécessaire de prendre en
compte, depuis la dimension organisationnelle, le système ou l’activité de travail. Ceci afin d’appréhender
correctement la nature des sollicitations biomécaniques du travailleur, dans une configuration d’objectifs
économiques donnés par l’entreprise, en vertu desquels le fonctionnement du système de production ou
de prestation de services a été pensé, conçu et planifié 3.
En accord finalement avec la définition des TMS proposée par Harichaux (Harichaux et alii., 2003), stipulant
que « les TMS correspondent à une maladie organisationnelle qui se manifeste symptomatiquement
auprès de travailleurs », une finalité de l’analyse ergonomique pour l’intervention présentée revient ainsi à
chercher à comprendre et à préciser :
• quel est le moment le plus critique de l’activité de coupe de l’astroemeria,
• quels sont les dangers qui se maintiennent potentiellement sur la plus importante durée,
• quels sont les stratégies et modes opératoires utilisés par les travailleurs pour atténuer ou faire
disparaître (notamment par la réduction des durées d’exposition) les dangers.
Ces attendus doivent être pris en compte à partir des logiques de travail habituellement mises en œuvre par
les intéressés et dans lesquelles sont mises en jeu les variables de santé, sécurité, qualité et productivité.
Ces logiques ou stratégies observables peuvent s’exprimer sous la forme de quatre tendances générales
couramment observées :
1. C
hercher à satisfaire les objectifs de qualité et de productivité établis par l’entreprise, ceci en prenant des
risques susceptibles de mettre en péril la santé et la sécurité (situation la plus fréquemment rencontrée
dans la population de travail colombienne).
2. Conditionner l’obtention de résultats de qualité et de productivité à la protection de la santé et de la
sécurité (stratégie identifiable notamment avec des travailleurs proches de l’âge de départ en retraite).
3. Mettre en œuvre des pratiques de travail qui n’apparaissent favorables ni pour satisfaire aux objectifs
de qualité et de productivité, ni pour satisfaire à ceux de la santé et de la sécurité (situation observée
avec des travailleurs novices en phase d’établissement et de stabilisation de leurs connaissances
professionnelles, ou encore auprès de travailleurs présentant des carences fonctionnelles avérées).
4. Établir des pratiques de travail favorisant ensemble les aspects de qualité, de productivité, de santé et de
sécurité (la situation prioritaire à repérer, à analyser et à mettre en œuvre dans une entreprise).
3.
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Position conceptuelle et méthodologique revenant à promouvoir une prévention durable.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Mise en place de la démarche
L’intervention s’est déroulée entre le second semestre de l’année 2006 et l’année 2011. La demande
provenait de l’un des dirigeants-propriétaires des quatre entreprises intéressées. Inspiré par la philosophie
comparative du benchmarking, il demanda ainsi que soit réalisée une étude du processus de travail en
cours dans chacune des entreprises. La finalité retenue était l’identification et la mise en œuvre des
meilleures pratiques de travail, autrement dit celles permettant l’obtention d’un produit de qualité, ceci
dans le respect des quantités requises mais avec toutes les garanties d’une protection optimale de la santé
des opérateurs.
On voit que cette formulation rejoint la quatrième logique présentée en introduction, où il s’agit d’optimiser
l’atteinte de résultats satisfaisants en termes de prévention autant que de production. On notera en outre
qu’ainsi formulée, la demande exprimée conduit à considérer de fait que les logiques de travail existent
non seulement au niveau des individus mais aussi bien au niveau des organisations. Le déroulement de
l’intervention mise en place peut être formulé en trois étapes 4. Chacune d’elles fait intervenir une variété de
contributeurs, désignés par les responsables des ressources humaines de chaque entreprise participante :
1. Une étape analytique d’analyse et de diagnostic ergonomique : opérateurs, maîtrises, ergonome.
2. U
ne étape créative de proposition de solutions d’amélioration de l’existant : opérateurs, ergonome,
ingénieur de maintenance, dessinateur industriel, directeur de production.
3. Une étape de mise en application des propositions énoncées : opérateurs, maîtrises, ergonome
Étape analytique : analyse et diagnostic ergonomique
Le premier contact de terrain s’est effectué depuis le service central de santé au travail du groupe, en
présence des directeurs de production de chacune des quatre entreprises, ceci afin de se concerter quant
à la méthodologie et la durée de l’intervention. Décision a été prise de mobiliser une série d’analyses qui
seraient conduites selon les principes et méthodes de l’ergonomie (d’origine francophone) de l’activité.
La démarche consistait à faire usage de diverses techniques d’observations et de verbalisations avec les
opérateurs, puis à valider les informations recueillies auprès des maîtrises et des ingénieurs de production,
en s’appuyant en tant que de besoin sur la documentation relative aux procédés techniques de l’entreprise.
Outre permettre de caractériser l’activité en termes de contenu, du point de vue technique, organisationnel
et temporel, la mise en forme de l’information 5 aide à documenter la situation réelle de travail, en mettant
en relation les conditions d’exécution du travail avec les conséquences pour les individus (santé et sécurité),
ainsi que pour l’organisation (productivité et qualité).
Après avoir consolidé les données en provenance des quatre entreprises participantes, nous avons procédé
à la formulation du diagnostic ergonomique. Ce dernier prend en considération la situation globale du
système formé par les entreprises impliquées, c’est-à-dire les diverses composantes organisationnelles,
technologiques et humaine. Les observations de terrain effectuées ont notamment facilité l’observation des
angulations excessives de l’épaule et de la main, et des inclinaisons antérieures importantes et répétées
de la colonne vertébrale. Les documents photographiques (Figure 2) illustrent de telles situations.
Cependant, pour réduire l’exposé de la démarche, nous proposons de regrouper les deux dernières étapes en une seule.
Mise en forme effectuée au moyen d’un formulaire d’enregistrement conçu en 2006 par la fondation ergoIDEAL (dont nous sommes la fondatrice et la responsable) et
mobilisé depuis à l’occasion d’autres interventions ergonomiques.
4.
5.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Figure 2
Observations de terrain (2ère série) :
exemple de contraintes biomécaniques observées durant l’activité horticole
En complément de ces observations qualitatives, ajoutons que compte tenu des niveaux de rendement
exigés par chacune des entreprises de l’étude, un dépassement significatif des valeurs maximales de
répétitivité du mouvement de l’épaule recommandées 6 était systématiquement observé (Figure 3).
Figure 3
Rendements exigés et indices de répétitivité associés
6.
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Soit 2,5 mouvements / minute (référentiel Kilbom) Å [1994]. Repetitive work of the upper extremity Part II : The scientific basis for the guide. Int J Ind Erg 14 :59-86).
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
À l’observation des données apparaissant à la Figure 3, le risque musculosquelettique résultant de la
répétitivité excessive de mouvement de l’épaule, en l’occurrence durant les opérations d’arrachage des
plants (ou tiges), apparaît patent (nombre de mouvements observés entre 2 et 3 fois supérieur à la norme
NIOSH). L’exposition ainsi identifiée se voit encore aggravée si l’on ajoute cette observation supplémentaire
qu’outre la concentration de tels mouvements au-delà des valeurs limites autorisées, ces derniers
s’effectuent en dehors de l’angle de sécurité admis (soit entre 145° et 180°).
Étape créative-applicative : proposition et mise en application des recommandations
Rappelons qu’il était convenu que toutes les propositions et recommandations prennent en compte aussi
bien les contraintes technologiques et organisationnelles (pour lesquelles les ingénieurs et responsables
techniques ont été plus particulièrement mobilisés) qu’humaines (objet des analyses effectuées). Il
convient cependant d’indiquer que pour ces deux dernières étapes, c’est la participation de la maîtrise et
des ressources humaines qui a été la plus importante.
L’orientation initiale des propositions privilégiait l’élimination de mouvements jugés superflus, la
réduction du nombre de mouvements nécessaires ou encore celle de leur amplitude. Établies à partir de
la compréhension du comportement opératoire des travailleurs et la validation terrain des possibilités
d’amélioration, nous avons en particulier été conduits à recommander et à agir afin :
• de réduire tout geste ou mouvement jugé inutilement sollicitant (ex. : en optimisant le mode opératoire
de chargement des fleurs sur les chariots de récolte, par le changement d’outillages de taille, en
améliorant la direction du regard durant l’opération d’arrachage de la fleur) ;
• de diminuer les occurrences de mouvements particulièrement à risque pour un segment corporel donné
(ex. : par la modification du circuit d’arrachage des plants) ;
• de minimiser les amplitudes articulaires afin d’atténuer d’autres risques de dommages physiques (ex. :
en modifiant la hauteur de prise en main du plant en vue de son arrachage).
À noter qu’une action favorable à la mise en application des propositions indiquées aura été d’assurer une
formation des opérateurs concernant le fonctionnement du système musculosquelettique. La connaissance
ainsi acquise contribuait en effet à mieux faire comprendre les enjeux de santé et donc à favoriser les
propositions de modifications les plus appropriées aux situations de travail. Cependant, une difficulté
aura été l’impossibilité de faire bénéficier de ces informations les opérateurs absents ou nouvellement
embauchés.
La figure 4 illustre et commente de telles propositions au moyen de 7 champs d’action d’amélioration mis
en œuvre. De façon générale, les propositions de modifications présentées découlent de l’observation de
l’activité des opérateurs, exception faite de la 5e proposition, directement suggérée par l’ergonome.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Figure 4
Observations de terrain (3ème série) :
illustration et commentaire de 7 propositions d’améliorations
À noter que jusqu’à présent, la mise en application de ces diverses propositions d’amélioration a pu être
conduite auprès de 2 des 4 entreprises impliquées dans l’intervention. Concernant les 2 autres, seule la
première des propositions a été appliquée.
Conclusion
À la suite de l’intervention conduite et venant d’être présentée, on indiquera en conclusion que la préparation
des alstroemeria a été simplifiée dans son ensemble : par arrachage individuel des plants, chargement sur
les chariots de récolte, déplacement prédéfini dans les zones de plantation, enfin empaquetage des fleurs
et évacuation des déchets.
Sur le plan de la démarche suivie, nous nous sommes efforcés de montrer que grâce à la méthodologie
d’intervention ergonomique, il est possible de redéfinir les activités en intégrant les dimensions de santé,
sécurité, qualité et productivité, en mobilisant à la fois un travail pluridisciplinaire et une pluralité d’acteurs
(ici internes aux entreprises qui nous ont sollicités).
Concernant la mise en œuvre des propositions effectuées, il aura été déterminant que les ingénieurs de
productivité voient l’intérêt et donc comprennent et acceptent la conception portée par ce travail, selon
laquelle santé, qualité et productivité sont en mesure de s’intégrer sans s’opposer, de façon satisfaisante
au sein de la réalisation de l’activité.
Bibliographie
1. CORPORACIÓN CACTUS. Informe sobre la floricultura colombiana febrero 2010. Bogotá: 2010, 35 p.
2. KILBOM, Å (1994). Repetitive work of the upper extremity Part II: The scientific basis for the guide. Int J
Ind Erg 14:59-86).
3. H ARICHAUX, P., LIBERT, J-P, BRAULT, J-F, TELLIEZ, F, & VIEL, E. (2003). Ergonomie et prévention des
risques professionnels : Tome 2, Les contraintes musculosquelettiques et leur prévention. Paris : Chiron.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Du mouvement à la représentation
du travail, collaboration pluridisciplinaire dans un CAT
Arnaud Désarménien
Service Santé au Travail, Le Mans (France)
Introduction
E
n France, depuis une dizaine d’année, la majorité des Services de Santé au Travail mettent en place
la « pluridisciplinarité ». Il s’agit d’adjoindre à un dispositif essentiellement centré sur une approche
médicale (médecins du travail) depuis sa création, des ressources (tout d’abord humaines) provenant
d’autres disciplines contribuant à la prévention des risques professionnels et à la promotion de la santé :
ergonomie, hygiène du travail, psychologie du travail, toxicologie industrielle…
En parallèle à ce mouvement réalisé en interne, des expériences de collaboration entre les services de
santé au travail et d’autres partenaires institutionnels agissant partiellement ou en totalité sur le même
champ (ARACT, CARSAT 7, OPPBTP 8…) se sont développées.
La conception multidimensionnelle des gestes professionnels
Dans le cadre de la pluridisciplinarité, l’apport de différentes disciplines a contribué à développer des
approches multidimensionnelles sur différents objets, permettant ainsi d’enrichir le regard et la
compréhension des différents acteurs.
Dans le cas du geste, traditionnellement, celui-ci est analysé sur ses dimensions physiques (articulations
sollicitées, mouvements, force appliquée, postures…) dans le but d’en évaluer les probables conséquences
en termes de santé : troubles musculo-squelettiques (TMS), risques accidentels (plaies, coupures,
heurts…)… Une fois l’évaluation réalisée, une recherche de solution va être opérée, mais qui va souvent se
limiter à une mise en place de solutions techniques ou à viser l’adoption du « bon geste » par l’opérateur.
À la fin des années 1990, c’est développé en ergonomie le modèle multidimensionnel du geste entendue
comme geste professionnel [1 et 2] :
• dimension physique : le geste est un mouvement dans l’espace, le temps et l’effort pour réaliser l’action ;
• dimension cognitive : le geste est une construction intellectuelle, une reconstruction finalisée en situation
réelle et mouvante ;
• dimension psychologique : le geste est une mobilisation de ressources qui permet de faire face aux
contraintes ;
• dimension sociale : le geste est un signifiant pour soi, pour les autres.
L’aspect multidimensionnel du geste est non seulement nécessaire à la compréhension, mais constitue
également une ressource pour la transformation de la situation.
7.
8.
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Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail
Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
L’apport de la pluridisciplinarité dans l’analyse multidimensionnel :
un exemple d’intervention
L’entreprise et son activité
Il s’agit d’un atelier protégé, sous tutelle de l’ADAPEI 9 de la Sarthe, qui emploie une centaine de personnes.
L’atelier, réparti sur trois sites, réalise diverses activités, notamment des travaux d’ébavurage pour des
équipementiers automobiles et des activités orientées vers le secteur du bois (pour l’essentiel des travaux
de menuiserie et de fabrication de lits).
L’activité d’ébavurage consiste à enlever de la matière sur des pièces métalliques en les mettant en contact
avec un tour mécanique. Dans l’atelier sont traités des fûts de transmission en deux opérations : ébavurage des
gorges, puis ébavurage des paliers. L’opérateur saisit une pièce des deux mains dans un bac (pièces brutes) ou
sur une table (pièces avec gorges ébavurées), la met en place auprès du tour en mouvement, puis commence
à ébavurer. Des deux mains, il exerce une pression du fût sur le disque de meulage et le déplace (de gauche à
droite par section et rotation pour atteinte des différentes faces) au fur et à mesure afin d’enlever la matière aux
différents endroits prévus (gorges ou paliers) tout en contrôlant visuellement la bonne réalisation de l’opération
(recherche d’un aspect lisse). Une fois la pièce terminée, l’opérateur la « valide » (appui sur un bouton différent
selon l’état) et la dépose sur une table (pièces avec gorges ébavurées ou table de contrôle).
Figure 1
Opérations d’ébavurage d’un fût de transmission
Lors des visites médicales réalisées auprès du personnel réalisant les opérations d’ébavurage, le médecin
du travail repère la présence de traces d’usure sur la peau des phalanges des doigts (zones rouges,
irritations), voire des plaies pour certains. Les opérateurs expliquent ce phénomène par le fait que leurs
mains frottent sur la tablette d’appui positionnée devant le tour.
À la suite de ces constatations, ce médecin du travail effectue une visite de l’atelier et remarque que les
gants de protection présentent d’importantes traces d’usure au niveau des phalanges, mais pas pour
l’ensemble des opérateurs.
La gravité des plaies ayant nécessité de retirer un des opérateurs de l’activité, le médecin décide de solliciter
l’intervention d’un ergonome afin d’étudier la situation de travail et d’aider à la recherche et à la mise en place
de solutions aussi bien sur la question des atteintes à la main (avérées) que sur celle des TMS (anticipées).
Il est à remarquer que sur la même période, la CARSAT intervient sur la question de la ventilation au
poste et que le directeur de la structure a sollicité l’ARACT pour une aide concernant la mise en place du
Document Unique.
Consécutivement à une rencontre entre les acteurs des différentes institutions présentes, il est décidé de
structurer l’ensemble des interventions autour de l’activité d’ébavurage.
Association départementale des amis et parents d’enfants inadaptés
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9.
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Premiers enseignements de l’analyse de l’activité : la dimension physique et ses différents niveaux
Les observations de l’activité de travail et les échanges avec les opérateurs révèlent différents niveaux de
repères dans la réalisation de la gestuelle, dont le croisement permet à la fois de caractériser les gestes et
les postures, mais également le risque d’atteinte à la santé (risque TMS, risque de plaies) :
• la posture :
Posture « décontractée »
Le tronc est relevé, les épaules
relativement ouvertes.
Posture « crispée »
Le tronc est penché en avant,
les épaules tournées vers
l’intérieur.
Figure 2 : Types de posture
• le type de prise :
Prise « serrage »
La pièce est maintenue
en prise « pince ».
Prise « main inversée »
La main est retournée
et l’ensemble des doigts enserre
la pièce.
Figure 3 : Types de prise
• l’endroit de la prise :
Figure 4 : Endroit de la prise
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Prise aux extrémités
La pièce est maintenue par les
deux extrémités de la pièce.
Prise au centre
La pièce est tenue au centre par
au moins une des mains.
• le sens de l’ébavurage :
1
2
3
4
1
Sens « fût entier »
Les zones sont
traitées les unes
après les autres de
gauche à droite
3
3
2
Sens « 2 extrémités »
Les zones les plus
externes sont traitées
l’une après l’autre
puis le centre
1
2
2
3
Sens « 1 extrémité »
L’extrémité de gauche
est traitée
en premier puis les
2 zones du centre
pour terminer par
la 2e extrémité.
Figure 5 : Sens de l’ébavurage
À partir des différents niveaux de repères identifiés, une grille d’observation systématique est construite.
L’animatrice hygiène-sécurité de la structure observe alors l’ensemble des opérateurs avec cette grille en
notant également pour chacun la présence ou l’absence de signes de frottement (état des gants, présence
de traces sur les mains), cette partie étant complétée à partir du retour d’information du médecin du travail.
L’analyse de ces données montre une corrélation entre le type de gestuelle et le niveau de frottement.
Présence de signes
de frottements
Absence de signes
de frottements
Type de posture
Posture « crispée »
Posture « décontractée »
Type de prise
Prise « main inversée »
Prise « serrage »
Endroit de la prise
Prise au centre
Prise aux extrémités
Sens de l’ébavurage
Sens « fût entier »
Sens « 2 extrémités »
Sens « 1 extrémité »
Figure 6
Corrélation entre les traces de frottement et les niveaux de repères
La présence de traces de frottement est expliquée par le niveau de la force appliquée par la main sur la tablette,
la durée du contact entre la main et la tablette qui diffèrent donc en fonction des caractéristiques de la gestuelle.
Autres dimensions du geste professionnel
L’observation systématique de la gestuelle ayant montré que chaque opérateur combine de manière
particulière les différents niveaux de repères, un travail de compréhension des mécanismes de construction
et d’adoption de la gestuelle est initié à la suite d’une présentation en entreprise.
En collaboration avec une chargée de mission de l’ARACT, nous avons organisé des groupes d’échanges sur
la pratique réunissant des opérateurs, le chef ou un animateur d’atelier et l’animatrice hygiène-sécurité.
Ces groupes ont pour objectifs de partager le diagnostic sur la gestuelle avec les opérateurs et de les
faire échanger sur leur propre gestuelle (critères de construction, adoption de stratégie d’économie et de
préservation de la santé).
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
À partir des informations recueillies, il apparaît que le type de gestuelle adopté dépend non seulement
des capacités physiques, mais également des capacités cognitives des opérateurs. On note également une
forte influence de la représentation que les opérateurs se sont construit sur la question du niveau de
productivité et du niveau de qualité à obtenir. Ainsi, plusieurs personnes cherchent à atteindre un fort niveau
de productivité (le maximum de pièces traitées en un minimum de temps) en négligeant parfois la qualité
finale de la pièce et allant au-delà des exigences de production de l’atelier (jusqu’à provoquer la rupture
de pièces par un traitement trop rapide des pièces disponibles). L’atteinte de tels niveaux de production
se fait par l’adoption de la gestuelle la plus rapide possible (posture crispée, mouvements rapides, peu
de changement de prise des mains…) et au détriment de la préservation de la santé. Un phénomène de
compétition entre certains opérateurs est également présent, être le plus rapide étant considéré comme
valorisant dans le groupe.
Au niveau de l’atelier, la construction et l’adoption d’une gestuelle semblent un processus très individuel,
peu sujet aux régulations du collectif de travail et peu sous l’influence de l’encadrement. Ainsi, les
personnes en apprentissage de l’activité d’ébavurage sont accueillies par le chef ou les moniteurs d’atelier
qui leur explique la tâche. Peu d’éléments pouvant contribuer à la construction d’une gestuelle incorporant
des stratégies de préservation de la santé sont donnés aux opérateurs. C’est davantage un phénomène de
mimétisme (construction d’une gestuelle par imitation totale ou partielle des mouvements des collègues)
qu’une élaboration individuelle et pensée.
Construction des axes de prévention, une démarche pluridisciplinaire
À partir de l’ensemble des éléments recueillis, 2 axes de travail principaux sont dégagés :
• Démarche de construction de gestes professionnels intégrant la question de la préservation de la santé :
sensibilisation des opérateurs aux risques d’atteinte à la santé et aux facteurs de risque, allongement du
temps d’apprentissage avec recherche d’une réflexion de la part de l’apprenti, surveillance plus stricte
du rythme de travail des opérateurs de la part des encadrants afin de limiter les accélérations, mise en
discussion de la gestuelle au sein du collectif de travail.
• Conception de nouveaux postes et de nouvelles zones de travail : mise en place d’îlots de production
regroupant des poste d’ébavurage gorge, d’ébavurage palier et de contrôle, réflexion sur les
dimensionnements des postes, l’ambiance lumineuse (éviter les postures crispées pour bien voir la
pièce), la surface de la tablette, recherche d’une solution adaptée de captation des poussières d’ébavurage.
Différentes simulations d’implantation ont été réalisées et un prototype de poste a créé pour validation
après essais par les opérateurs.
L’ensemble des recherches et de construction de solutions s’est fait dans le cadre d’une démarche
participative impliquant aussi bien les acteurs internes à la structure (opérateurs, encadrants, direction,
animatrice hygiène-sécurité) que les acteurs des organismes externes (médecin et ergonome du service
de santé au travail, chargée de mission de l’ARACT, contrôleur et ingénieur-conseil de la CARSAT). Ceci a
permis de construire et de partager collectivement le diagnostic et les axes d’amélioration.
Conclusion
L’approche pluridisciplinaire, la clé de compréhension de l’aspect pluridimensionnel de la gestuelle
professionnelle
D’une question au départ tournée vers la survenue de plaies, l’analyse de l’activité a montré la nécessité
d’ouvrir non seulement vers d’autres types de risque (TMS), mais également d’aborder l’ensemble des
dimensions du geste bien au-delà de celle purement physique initialement incriminée. Cette ouverture
vers les autres aspects du geste (cognitif, psychologique, social) est non seulement nécessaire pour
la compréhension de la problématique, mais est également source de ressources lors de l’étape de
transformation.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Dans la situation, les acteurs (opérateurs, encadrement, médecin du travail) ont rapidement fait le lien
entre la survenue des atteintes à la main et certaines dimensions de la gestuelle (frottements, forcée
appliquée sur la tablette), mais sans que se dégagent d’autres pistes d’amélioration qu’un changement de
type de gant de protection. Une fois les divers niveaux de la dimension physique identifiés, l’idée que selon
le type de gestuelle adopté le niveau de risque est différent a amené à réfléchir sur le gain que pouvait
offrir un changement de geste. Cependant, au vu du poids des habitudes prises par les opérateurs, de
telles transformations semblaient difficiles à obtenir. L’ouverture de la compréhension vers les autres
dimensions a permis non seulement d’appréhender certaines résistances constatées, mais également de
comprendre comment contribuer à transformer la situation : mise en place d’échanges sur la question
du geste, redéfinition des règles de qualité et de productivité, et des modalités de leur diffusion et de leur
maintien. Ainsi, le fait de regrouper les postes d’ébavurage et les postes de contrôle permet de mieux
suivre le niveau de qualité et le rythme de travail de chacun.
La poursuite d’une telle démarche nécessite à la fois de bénéficier de différentes sources de renseignement
(données de santé issues des entretiens médico-professionnels, chroniques d’activité provenant des
observations, informations sur les stratégies et les représentations des opérateurs obtenues lors des
échanges avec ceux-ci) et de disposer des champs conceptuels afin de mettre l’ensemble des éléments
réunis en relation, de les interpréter, de leur donner un sens en vue de la transformation de la situation et
de l’amélioration des conditions de travail. Cela a été le cas dans cette intervention où l’action du médecin
du travail a été complétée par celle de l’ergonome, ce qui a permis d’aboutir aux résultats escomptés en
termes de santé.
Bibliographie
BOURGEOIS F., HUBAULT F. – Prévenir les TMS. De la biomécanique à la revalorisation du travail, l’analyse du geste dans toutes ses dimensions. @ctivités, volume 2 numéro 1 http://www.activites.
org/v2n1/bourgeois.pdf
BOURGEOIS F., LEMARCHAND C., HUBAULT F., BRUN C., POLIN A., FAUCHEUX JM. - Tr o ub l e s
Musculo-Squelettiques et Travail : quand la santé interroge l’organisation. ANACT, Lyon, 2000, ISBN
2-913488-04-8
CAZAMIAN P., HUBAULT F., NOULIN M. – Traité d’ergonomie. OCTARES, Toulouse, 1996, ISBN 2-906769-29-0
pour
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ISBN :
978-2-913488-68-4
GUÉRIN F., LAVILLE A., DANIELLOU F., DURAFFOURG J., KERGUELEN A. – Comprendre le travail
le transformer. La pratique de l’ergonomie. ANACT, Lyon, 1997, ISBN 2-903540-85-3
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
L’approche du geste dans un groupe
aéronautique : construction de la
pluridisciplinarité et développement
de la prévention des TMS à partir d’un
dispositif de formation
Michèle Bassargette
Air France Cargo (France)
Olivier Decourcelle
Ergos-Concept (France)
Laurent Guisot
Groupe Servair et Filiales (France)
Sylvie Martin-Boulineau, Sonia Sutter
Unité d’Ergonomie Air France (France)
Introduction
A
u sein de la compagnie Air France, en matière de politique de sécurité au travail, la priorité est donnée
à la lutte contre les accidents du travail, encore élevés dans de nombreux secteurs. De nombreux
accidents avec arrêts sont classés sous l’item « douleurs », pouvant pour certains s’apparenter à des
troubles musculo-squelettiques 1 (TMS).
Le secteur du fret aérien a été le premier à mettre fin aux démarches « gestes et postures » et à construire
un dispositif de prévention des accidents du dos intitulé PRADOS.
Genèse du dispositif PRADOS dans le fret aérien
Contexte
Le nombre de déclarations de lombalgies au sein de la société Air France Cargo au début des années 2000
est une préoccupation importante pour l’entreprise. En 2002, le nombre de jours perdus pour accident du
travail ayant pour cible une atteinte du rachis lombaire était de plus de 1500 jours par an pour environ 800
opérateurs de terrain confrontés aux contraintes de manutention. A contrario, le nombre de jours perdus
pour maladie professionnelle (tableau 98) restait faible (moins de 50 j/an).
Mise en place d’une démarche participative
En octobre 2002, la société Air France Cargo fait appel à un cabinet de conseil en ergonomie ayant des
compétences en biomécanique appliquée afin de « participer à la mise en place d’une démarche pilote de
prévention des lombalgies » comportant 3 phases : l’évaluation ergonomique des postes, la conception
d’un programme de formation pour la prévention des TMS et la formation des formateurs pour en faire des
relais de terrain.
Cette démarche de prévention s’inscrit au sein d’un accord cadre pour le personnel au sol, “global
compagnie“, contractualisé avec les partenaires sociaux, pour une durée de trois ans. Cet accord révèle le
souhait de l’entreprise Air France de se pencher sur la prévention du problème de TMS. Nous verrons plus
loin que malgré cet engagement, il aura fallu plusieurs années pour que cette démarche « s’exporte » du
fret de Roissy pour être proposée dans d’autres secteurs de l’entreprise.
La démarche est menée en mode projet. Elle regroupe au sein du comité de pilotage des acteurs
pluridisciplinaires : médecin du travail, ergonomes, kinésithérapeutes, responsable ressources humaines,
responsable sécurité. Cette démarche s’inscrit également dans une dimension participative, grâce à la
À noter qu’au sein d’Air France, le nombre des maladies professionnelles (MP) de type TMS est faible, moins de 50 par an pour une population d’environ 52 000 agents.
Les accidents du travail de type « douleurs » représentent quant à eux 30% du total des AT avec arrêt. En comparaison, pour Servair SA, 16 MP TMS ont été déclarées en
2010 sur un secteur de plus de 3000 agents.
1.
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240
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
mise en place d’une liaison constante avec les partenaires sociaux et la direction de l’établissement.
Une démarche itérative entre les différents acteurs du projet et une stratégie de déploiement se mettent en
place : elles vont permettre de définir un cadre de fonctionnement déterminant pour la réussite du projet.
Les acteurs-clés du projet et les freins à lever avant la mise en place de la démarche sont identifiés. Les
objectifs sont définis collectivement, de même que le protocole de recueil de données à partir de l’activité
réelle de travail. Ce dernier inclut notamment la sélection de situations de travail à analyser, la nature des
données recueillies et l’ordre de recueil.
Si la réussite de la démarche repose sur l’approche pluridisciplinaire et multi-acteurs, elle passe également
par des engagements comme :
• la restitution des résultats des études de poste auprès de la direction de l’entreprise;
• les préconisations de modification des situations accidentogènes (matérielles ou organisationnelles);
• la mise en place d’un « fil rouge » d’actions correctives et d’un budget échelonné à court (ex : ajout de
genouillères dans les pantalons de travail,) moyen et long termes pour les actions les plus coûteuses
(ex : mécanisation progressive des quais de chargement).
In fine, il s’agit de construire une formation spécifique et dédiée aux métiers du cargo concernés par la
prévention des lombalgies, construite à partir du « bilan 2 » ergonomique initial des postes. Cet outil de
formation s’inscrit dans un plan plus global de prévention des TMS.
Analyse des situations de travail
Le secteur du fret aérien se caractérise par des métiers à forte manutention manuelle, fonctionnant 24h
sur 24h, et dépendant des plages de Hub (alternance de pics et de creux d’exploitation) en zone sous douane.
Le travail est effectué dans un environnement dont les surfaces sont à l’échelle d’un avion cargo où sont
utilisés des engins spécifiques. Les « colis » se caractérisent par de grandes variations de poids et de
volume. Des colis « spéciaux » font également partie des envois, comme des réceptions. Á titre d’exemple,
il n’est pas rare de trouver des voitures de collections, des œuvres d’art, des cercueils « occupés », des
denrées périssables, des animaux vivants, etc.
Cette grande diversité de colis à gérer est à l’origine d’une multitude de situations de travail à explorer.
Les critères de sélection des situations de travail à analyser sont définis avec le groupe de travail et les
partenaires sociaux, en fonction de leur caractère « facile », « difficile » ou « intermédiaire ». Les critères
qu’ils ont soulevés sont soit en lien avec une accidentologie présente (statistiques médicales), soit avec
une pénibilité exprimée par les opérateurs. L’exploration des pathologies au travail nous fournit également
les circonstances de certains accidents, et donc les heures et les services où ils se sont passés. Pour
chacune des situations, au moins un opérateur est observé, l’idéal étant d’avoir au moins chacun des trois
types d’opérateur pour chacune des situations : novice (jeune embauché ou 4 mois d’ancienneté au plus au
poste), intermédiaire (de 4 mois à 3 ans d’ancienneté), expert (opérateur de plus de 3 ans au poste). Les
critères d’expertise retenus sont construits sous forme de grille, après échanges avec le groupe de travail,
et validés par les partenaires sociaux. Au total, 27 opérateurs ont été observés sur 9 services. Le choix des
outils de recueil de données est effectué en considérant qu’ils doivent être les moins invasifs possible de
manière à ne pas gêner l’activité des opérateurs.
Le choix s’est porté sur la cardiofréquencemétrie (CFM), couplée à la prise d’informations vidéo et photo de
l’activité réelle de travail. L’acquisition des données a été réalisée dans tous les services de manutention
du fret aérien de Roissy.
Á partir des données issues de la cardiofréquencemétrie, des séquences filmées de l’activité réelle
de l’opérateur sont sélectionnées : elles correspondent aux pics et aux creux de fréquence cardiaque.
L’analyse de ces séquences est ensuite réalisée, notamment à partir d’entretiens réalisés a posteriori avec
les opérateurs pour comprendre dans quel contexte elles se sont déroulées.
Appelée comme tel dans le cahier des charges de la mission.
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2.
Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Construction de la formation : du geste professionnel à l’« économie posturale (3) »
Les analyses décrites plus haut ont pour but de construire une banque de données servant de base à
l’élaboration des supports pédagogiques. La cible des supports est en relation avec les sommes de
séquences isolées d’expression gestuelle d’opérateurs en activité. Ces séquences choisies représentent
plusieurs enchaînements de postures simples et exécutées dans la réalité (Figure 1).
Figure 1
Opérateur enlevant un filet (poids mouillé =20 Kg)
en utilisant une posture simple : « UN BALANCIER »
Ces postures simples isolées sont comme les lettres d’un alphabet (gestuel). On se rend rapidement
compte que l’enchaînement de cet alphabet (gestuel) ne s’exprime pas de la même façon en fonction de
l’âge, de l’expérience, de la morphologie et de l’environnement dans lequel se trouve l’opérateur. Cette
combinaison de postures est aussi le propre de chaque opérateur : c’est son style de mobilité. Néanmoins,
cet enchaînement de postures successives, exécuté dans un but à atteindre, est-il toujours le plus
économique possible du point de vue de l’effort ? Autrement dit, d’un point de vue de l’astreinte cardiaque
ou de l’astreinte articulaire (souvent les deux), les enchaînements de choix de postures simples réalisés par
l’opérateur pour accomplir son activité, sont-ils pour lui ceux qui lui coûtent le moins d’effort ? L’économie
des ressources (cardiaques et articulaires) de l’opérateur, supportée par un enchaînement de postures
simples successives, représente la base du concept de formation à l’ « économie posturale » (3).
L’économie posturale (3) repose sur le principe suivant :
Avec les mêmes conditions d’organisation et d’activité à réaliser, nous nous rendons compte que les
opérateurs ne bougent pas de la même façon. Cette faculté particulière de bouger, dans un système de
production spécifique, est dépendante du style de mobilité que connaît ou non l’opérateur.
Lorsque l’opérateur s’engage dans son activité, il la régule en fonction de la perception qu’il a de ce qu’on lui
demande, de ses ressources disponibles, et des réserves dont il dispose pour accomplir son travail (quand
tout va bien). Cette régulation est très dépendante de l’expérience qu’a l’opérateur de son environnement
de vie et de travail. En fonction de son expérience, l’opérateur exprime un geste qui est un compromis
entre ces différents aspects. Lorsque ce geste impacte le moins possible la ressource de l’opérateur, tout
en respectant les critères de production, on parle de geste économique, dont découle la notion d’économie
posturale.3
Les différents styles de mobilité expriment donc différents gestes d’économie posturale. Pour la formation,
à partir des analyses issues des séquences vidéo sélectionnées, différents styles de mobilité sont ainsi
3.
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« Économie Posturale » est une marque d’Ergos-Concept Sarl déposée à l’INPI N° 103704865.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
identifiés et regroupés par famille. Leurs circonstances organisationnelles d’expression sont précisées.
Les séquences des gestes professionnels recueillis sur le terrain serviront de support à la formation, ce
qui en facilite l’appropriation par les opérateurs.
Vient ensuite la phase de construction du dispositif de formation, qui comprend :
• la définition des objectifs de la formation (quantitatif et qualitatif), le programme et le planning de
déploiement, la logistique (lieu, matériel, espace de mise en situation) ;
• le recrutement des acteurs-clés de la formation (les relais de terrain), le programme de formation de ces
acteurs-clés et leur formation proprement dite;
• les rendez-vous de points d’avancement par rapport aux objectifs, la nature des attendus compte tenu
des objectifs ;
• la conception d’un simulateur de la situation de travail (dans ce cas, une soute à bagages d’un avion) afin
d’échanger sur les techniques gestuelles utilisées et de porter un regard croisé (figures 2 et 3).
Toutes ces étapes ont fait l’objet d’un suivi régulier avec des points d’avancement en référence aux objectifs.
Figure 2
Fixation de filet pénible pour le rachis
Figure 3
fixations de filet non pénible pour le rachis
Illustration : dans la partie théorique comme dans la partie pratique (simulateur d’un conteneur avion),
échanges et discussion autour des stratégies de fixation d’un filet, et partage des différentes stratégies
mises en œuvre par les opérateurs.
Démultiplier, un objectif de transformer le regard sur la prévention des TMS
Après presque 10 ans de recul sur le dispositif PRADOS, et dans le cadre de la refonte nécessaire des
dispositifs réglementaires existants [par exemple, le dipsositif “Gestes et Postures“ PRAP (prévention des
risques liés à l’activité physique)], le moment (2009) nous paraissait opportun pour démultiplier ce type
de démarche sur les autres secteurs de l’entreprise (y compris les filiales). Dans un premier temps, la
démultiplication est prioritairement mise en place pour les métiers désignés comme subissant de fortes
contraintes physiques et physiologiques : travail en horaires décalés ou en horaires postés, environnement
contraint lié à la forme de l’avion, en particulier pour les métiers de maintenance et de piste, manque de
marges de manœuvre, manutention manuelle (par exemple : bagages, caisse à outils). Il est prévu que
dans un deuxième temps soient concernés les autres métiers : travail sur écran dans les activités de type
tertiaire, charge cognitive élevée, en particulier en salle d’exploitation…
Il fallait trouver un moyen d’adapter le dispositif sans qu’il perde du sens, en conservant les facteurs-clés
qui ont fait la réussite de celui déployé au fret et ce, dans un contexte d’augmentation des accidents du
travail et de crise économique avec tous ses retentissements sur le transport aérien.
L’objectif poursuivi était de faire évoluer la représentation sur la formation à la prévention des TMS, en faire
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
autre chose qu’une réponse aux obligations réglementaires, et de s’inscrire dans une réelle démarche de
prévention durable des TMS adaptée à l’activité réelle de travail. Pour cela, il a été nécessaire de s’appuyer
sur le réseau de formation central.
Photo 4
La conception actuelle des « armoires » (position dans le galley avion, emplacement des poignées, etc.)
entraîne des contraintes fortes pour les poignets, coudes et épaules. L’analyse du geste et des stratégies
d’économie posturale déployées par les agents permet de définir avec précision le besoin, notamment en
ce qui concerne le positionnement des poignées sur ces contenants.
Le dispositif de formation à la prévention des TMS est le fruit, là encore, d’un travail pluridisciplinaire,
incluant ergonomes, kinésithérapeutes, médecins du travail, QSE, formation en central, achats généraux,
etc.
Plusieurs raisons ont en parallèle poussé la filiale Servair (catering, nettoyage avion, etc.) à démultiplier la
démarche au sein de ses différents métiers :
• un impact plus ou moins direct de la démarche sur les indicateurs utilisés en santé et sécurité perçu par
les décideurs (baisse du taux de fréquence des accidents du travail 4) ;
• un secteur caractérisé par une population vieillissante5, devant faire face à l’augmentation des restrictions
médicales ;
• un intérêt d’intégrer dès la conception les éléments des situations de travail remontés des observations
et échanges lors des formations ;
• le constat du manque d’efficacité des formations “Gestes et Postures“ actuelles, remonté par les
formateurs et les agents : trop théoriques et donc déconnectées des actions sur les postes, des spécificités
des métiers (perte de sens par rapport à l’activité de travail), une démarche exclusivement axée sur les
individus.
Les premiers bilans sont très positifs :
• de l’avis des opérateurs, la formation paraît plus proche de la réalité, coordonnée avec les actions sur le
poste ;
• c’est un moment d’expression collective sur le travail réel, par exemple des regards croisés sur les
techniques gestuelles ;
• les relais de terrain font vivre la démarche, les agents référents remontent les éléments du réel pour
améliorer les situations de travail et partager les bonnes pratiques (qui ne doivent pas être imposés) ;
• via le levier des formations « Gestes et Postures », la démarche a amené au sein de l’entreprise une
démarche de prise de conscience de la nécessité d’une vision plus globale sur la prévention des TMS, il y
a eu un changement de regard de l’entreprise sur le sujet.
4. À partir de statistiques de recensement, issues du service de médecine au travail, ciblant les souffrances déclarées du rachis pour les populations attachées à l’entreprise, il a été constaté que sur une base 100 des résultats de 2004, il y a eu en 2009 une baisse de 59% et en 2010 de 31%)
5. En 2015, plus d’1/3 des salariés auront plus de 55 ans
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Limites et perspectives
Il peut paraître risqué pour des ergonomes d’aller sur le terrain des formations réglementaires de type
« Gestes et Postures ». En premier lieu, celui d’être instrumentalisé, de laisser croire qu’une « bonne »
formation sera LA réponse au risque TMS, en excluant toute analyse systémique permettant de trouver
d’autres réponses aux dysfonctionnements matériels et organisationnels. Dans le cas présent, n’était-il
pas plus risqué encore de laisser ce terrain à des experts de la sécurité qui n’intègrent que le point de vue
réglementaire dans leur démarche ?
Mais cette stratégie demande une présence continue, elle requiert de faire bloc pour refuser de dévoyer
le dispositif à la demande des managers. Pour cela, il est nécessaire d’avoir un pilote de la démarche,
convaincu qu’une prévention pérenne sur les TMS s’appuie sur des actions en parallèle sur le poste de
travail et sur les agents, et ce de manière pluridisciplinaire. Parmi les points de vigilance, il convient
de noter la nécessité d’une coordination et d’un pilotage serrés pour éviter toute dérive de la démarche
(instrumentalisation).
Conclusion
Malgré les difficultés rencontrées, nous tenions à témoigner, au travers de l’histoire des formations à la
prévention des TMS dans notre entreprise, de la richesse de ces démarches et de leur rôle dans la prévention
durable des TMS. Certes, des garde-fous doivent être posés, mais la puissance de ces démarches menées
en pluridisciplinarité est indéniable lorsqu’on pose comme postulat qu’elles ne résoudront rien si elles
ne s’inscrivent pas dans un dispositif plus global de prévention durable des TMS, incluant notamment un
volet organisationnel. Et nous sommes convaincus que notre rôle en tant qu’ergonome est de faciliter cette
articulation.
Bibliographie
Cahour B. et Falzon, P., Intellectica, 1991/2, p. 159-186
Falzon, P., (1984), The analysis and understanding of an operative language. In Proceedings of INTERACT’84,
1st IFIP Conference Human-Computer Interaction, Londres, 4-7 Septembre 1984.
Falzon P. (1991), Les activités verbales dans le travail
Falzon P., (1989), Ergonomie cognitive du dialogue. Presses Universitaires de Grenoble.
Leplat, J. et Cuny, X., (1966), Le codage des communications de travail dans une équipe d’ouvriers. Bulletin
du CERP, 15 (2), 119-143
Leplat, J., (1985). Erreur humaine, fiabilité humaine dans le travail In: A. Colin, Éditions Collection Universitaire,
p 100-120.
Rasmussen, J., (1986), Information processing and human-machine interaction. An approach to cognitive engineering.
Amsterdam: North Holland.
« Économie Posturale » est une marque déposée d’Ergos-Concept Sarl, enregistrement INPI N° 103704865.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Atelier 10
La surveillance épidémiologique
et le suivi des statistiques de santé
en entreprise : comment les « chiffres »
peuvent-ils aider à la compréhension
des TMS ?
Catherine Ha
Institut de veille sanitaire (InVS) (France)
Susan Stock
Institut national de santé publique du Québec
(INSPQ) et Université de Montréal (Canada)
velyne Escriva
É
Agence nationale pour l’amélioration
des conditions de travail (ANACT) (France)
Introduction
L
es résultats de la surveillance épidémiologique et le suivi des statistiques en entreprise permettent
de repérer les populations à risques de TMS. La description de l’incidence et de la prévalence des
principaux TMS et des facteurs de risque, ainsi que la description du suivi de leur évolution au cours
du temps, contribuent à informer les acteurs de la prévention et de la santé au travail. Ces informations
peuvent être utiles pour les pouvoirs publics, les professionnels de la santé au travail, les entreprises et
les employeurs, les représentants des travailleurs et autres partenaires sociaux, les caisses d’assurance
maladie, etc. Elles permettent de rendre le poids des facteurs professionnels plus visible dans le débat social
et peuvent par ailleurs être utiles à une meilleure définition des politiques publiques et à l’identification des
priorités d’interventions préventives ainsi que des critères de reconnaissance et de réparation.
Le traitement des données de santé en entreprise, intégrant une approche populationnelle, donne quant à
lui un éclairage sur une situation singulière d’un établissement confronté à la survenue de TMS (étendue,
gravité des symptômes et des effets, populations exposées, fragilisées…). Cette source de connaissances
peut alimenter la réflexion des acteurs dans leur démarche de prévention de TMS au cours du temps (alerte,
suivi) et contribuer ainsi à son efficacité (analyse de la situation, évaluation des actions).
Objectifs
Cet atelier a pour objectifs de présenter :
• des sources de données de surveillance épidémiologique dans plusieurs régions francophones (Québec,
Algérie, France) et l’application de certains résultats par des réseaux de préventeurs au niveau national,
régional ou local pour favoriser la prévention des TMS ;
• des pratiques d’entreprises et d’organismes de prévention dans l’usage des données quantifiées
accompagnant les démarches de prévention des TMS.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Construction d’indicateurs
synthétiques à partir des données
de surveillance épidémiologique des TMS
atherine Ha, Julien Brière, Julie Plaine,
C
Natacha Fouquet, Ellen Imbernon
Département santé travail, InVS, Saint-Maurice
(France)
Yves Roquelaure, Natacha Fouquet
Leest-Unité associée, InVS, Angers (France)
Introduction
U
n programme de surveillance épidémiologique, mis en œuvre depuis 2002 dans la région des Pays de la Loire
a, parmi ses objectifs, d’estimer l’incidence et la prévalence des TMS dans la population générale et celle
des travailleurs, d’évaluer les niveaux d’exposition aux facteurs de risque professionnels et la proportion
de cas attribuables au travail, selon le sexe, l’âge et les caractéristiques professionnelles. Ce programme a
largement contribué à mieux décrire la morbidité liée aux TMS, description jusqu’alors essentiellement basée
sur les statistiques de reconnaissance en maladie professionnelle. Des travaux sont engagés pour construire
des indicateurs synthétiques, couvrant les aspects suivants : (1) impact sur la santé (fréquence des TMS,
fractions de risque attribuables au travail) ; (2) exposition aux facteurs de risque ; (3) réparation (reconnaissance
en maladie professionnelle, indemnisation). Ces indicateurs se placent au cœur d’une réflexion sur la manière
dont on peut élaborer une synthèse compréhensible et fiable des résultats issus de l’épidémiologie afin que les
acteurs de la prévention des risques professionnels (pouvoirs publics, partenaires sociaux, professionnels de la
santé au travail, entreprises et employeurs, caisses d’assurance maladie…) puissent se les approprier.
Méthode
Les fractions de risque de syndrome du canal carpien (SCC) attribuables au travail pour une catégorie
professionnelle représentent la proportion des cas observés dans l’ensemble de la population qui serait
évitée si cette catégorie professionnelle ne présentait pas un excès de risque par rapport aux autres. Leurs
fourchettes ont été estimées pour la France métropolitaine en utilisant les intervalles de confiance des
risques relatifs observés dans l’étude conduite dans le Maine-et-Loire portant sur 1 168 patients pour
lesquels un diagnostic électromyographique de SCC a été porté entre 2002 et 2004.
Les indicateurs d’exposition au risque de TMS sont issus, quant à eux, des données d’un échantillon de 3
710 salariés tirés au sort par les 83 médecins du travail des Pays de la Loire participant au programme de
surveillance. Des scores ont été construits pour décrire la fréquence des expositions à plusieurs facteurs
de risque, biomécaniques et psychosociaux, de TMS.
Résultats
À titre d’exemple, quelques résultats sont présentés dans ce résumé. Les fractions de risque attribuable
au travail en France sont, pour le SCC, comprises entre 16% et 33% pour les femmes employées, entre 8%
et 16% pour les ouvrières, entre 30% et 56% pour les ouvriers.
Parmi les salariés de la région des Pays de la Loire, 24% des femmes et 19% des hommes sont exposés à la
fois à au moins une posture extrême plus de 2 heures par jour et à une répétitivité élevée plus de 4 heures
par jour, et 20% des femmes et 17% des hommes sont exposés à la fois à ces deux facteurs et à un travail
en force plus de 2 heures par jour.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Discussion
Ces indicateurs peuvent aider les entreprises à hiérarchiser, mettre en œuvre et évaluer les actions de
prévention. Pour améliorer leur fiabilité et les rendre plus utiles, il est nécessaire de vérifier avec d’autres
données la validité des estimations utilisées, de produire ces indicateurs à un niveau plus détaillé des
secteurs économiques et des professions, de les produire périodiquement, d’en produire pour d’autres TMS
tels que le syndrome de la coiffe des rotateurs et la hernie discale lombaire qui, comme le SCC, peuvent
être considérés comme des traceurs épidémiologiques des TMS du membre supérieur et des lombalgies.
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Session 6
Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
La surveillance épidémiologique
des TMS au Québec et son application
pour favoriser la prévention des TMS
par le Réseau québécois de santé
publique en santé au travail
Susan Stock
Institut national de santé publique du Québec
(INSPQ), Université de Montréal (Canada)
Paule Pelletier
Direction de santé publique de Montérégie (Canada)
Contexte de la santé au travail et de la prévention des TMS au Québec
D
epuis 30 ans au Québec, la santé au travail (SAT) fait partie de la santé publique. Les activités de
la SAT comprennent, notamment, la surveillance de l’état de santé de la population québécoise,
inscrite dans la Loi sur la santé publique et d’autres lois de santé et sécurité du travail. La SAT au
Québec consiste en un grand réseau, le Réseau de santé publique en santé au travail (RSPSAT), qui a
trois paliers : provincial, régional et local ; chacun composé de différents acteurs ayant des mandats qui
leur sont propres mais dont les activités sont interdépendantes. Au niveau provincial, ce réseau est sous
l’autorité du ministère de la Santé et des services sociaux du Québec (MSSS) et inclut l’Institut national
de santé publique du Québec (INSPQ), la Table de concertation nationale de santé au travail (TCNSAT) et
le Comité provincial des représentants régionaux en ergonomie (CPRE). Chacune des 18 régions sociosanitaires du Québec a une équipe régionale de santé au travail ainsi qu’un à sept centres de santé et
des services sociaux locaux désignés en santé au travail avec des équipes locales de SAT composées de
médecins, d’infirmiers, de techniciens en hygiène et, occasionnellement, d’ergonomes. Le Réseau travaille
de concert avec la Commission de santé et sécurité du travail du Québec (CSST) qui lui confie, par contrat,
le mandat de prévention des maladies professionnelles dans certains secteurs et fournit les budgets des
équipes régionales et locales de SAT. La complexité de cette structure teinte les défis à relever lors des
interventions dans les milieux de travail.
La prévention des TMS liés au travail est une priorité du Programme québécois (national) de santé publique
2003-2012, ainsi qu’une priorité d’action du Plan stratégique 2010-2014 de la CSST. Au niveau provincial,
l’INSPQ, par le biais de son Groupe scientifique sur les troubles musculosquelettiques liés au travail (GSTMS), mène, depuis 2001, des activités de surveillance épidémiologique et de recherche pour, entre autres,
établir l’ampleur de la problématique des TMS et suivre son évolution, mieux comprendre les combinaisons
de facteurs de risque associés à différents types de TMS et identifier les groupes de travailleurs les plus
à risques qui pourront être ciblés pour des interventions de prévention. Ces activités de surveillance et
de recherche s’intègrent également dans une programmation provinciale de la prévention des TMS liés
au travail du RSPSAT (Stock et al, 2006). Elles incluent le développement et l’analyse des enquêtes de
santé et des conditions de travail, l’analyse des données d’indemnisation de lésions professionnelles et
le développement d’outils de surveillance active des TMS ainsi que des études sur la prévention des TMS.
Par ailleurs, les équipes locales ont pour mandat l’identification des risques pour la santé des travailleurs
et la recommandation d’activités de prévention au sein d’un Programme de santé spécifique à un
établissement (PSSE), ceci conformément au mandat confié par la CSST. Depuis deux ans, dans plusieurs
régions du Québec, les risques de TMS sont plus rigoureusement identifiés et inscrits aux PSSE. Cependant,
présentement, les établissements de seulement 15 des 32 secteurs d’activités économiques du Québec,
établis comme « prioritaires » par la CSST il y a 30 ans, bénéficient des services des équipes de santé au
travail et possèdent des PSSE.
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Sources de données de surveillance
Les différentes sources de données de surveillance des TMS permettent l’identification de divers groupes
à risques de TMS à cibler pour des interventions de prévention. Par exemple, l’analyse des données
annuelles des lésions professionnelles indemnisées par la CSST permet d’estimer le nombre total et le
taux d’incidence de cas de TMS indemnisés et leur durée, selon le sexe, l’âge, le sous-secteur et le type
de profession, ainsi que leur évolution au cours des années. Mais les cas indemnisés ne représentent que
la partie émergée de l’iceberg de la prévalence des TMS. Les données d’enquêtes populationnelles (ex :
Enquête québécoise sociale et de santé de 1998 auprès de 11 750 travailleurs, Enquête québécoise sur
des conditions de travail, d’emploi, de santé et de sécurité du travail, réalisée en 2007-2008 auprès de 5
000 travailleurs, Enquête québécoise de la santé de la population réalisée en 2008 auprès de plus de 20
000 travailleurs) nous permettent de mieux estimer l’ampleur réelle des TMS et des absences au travail
associées, ainsi que d’explorer les liens entre les expositions professionnelles et les TMS.
Application des données de surveillance pour cibler les interventions : défi s et
perspectives
Le RSPSAT cherche à utiliser les données de surveillance disponibles afin de mieux cibler les activités de
prévention de TMS, cela dans les limites de son mandat. Ainsi, les méthodes de recherche élaborées par le
GS-TMS pour étudier l’ampleur des TMS au niveau provincial ont été adaptées par l’équipe de surveillance
en santé au travail de l’INSPQ et un comité de représentants régionaux, pour permettre des estimations
de l’ampleur des TMS indemnisés par la CSST et l’identification, dans chacune des régions du Québec,
des sous-groupes à risque. Un exemple concret d’utilisation de ces données par une équipe régionale
permettra d’illustrer notre propos : la mise sur pied d’un projet pilote de prévention des TMS lors des
tâches de manutention dans deux secteurs d’activités.
L’identification des sous-groupes à risque de TMS par la surveillance peut favoriser d’autres pistes d’action,
nécessitant une réorganisation, du moins partielle, du mode de fonctionnement. Par exemple, la mise
sur pied des programmes spécifiques d’intervention dans des secteurs d’activités économiques les plus
à risque même s’ils ne sont pas ciblés actuellement par les PSSE. De même, les résultats des enquêtes
montrent la contribution des combinaisons de contraintes physiques, organisationnelles et psychosociales
à la genèse des TMS et suggèrent que les intervenants des équipes locales doivent agir sur l’ensemble de
ces contraintes.
Plusieurs idées novatrices pour l’intervention découlent des données de surveillance. Toutes ces
perspectives impliquent le développement de nouveaux outils spécifiques pour l’intervention, et de
programmes de formation pour les milieux de travail, mais aussi pour les intervenants des équipes
locales de santé au travail. De plus, nous devrons surmonter les défis organisationnels et structurels qui
empêchent ou ralentissent l’utilisation des données de surveillance par les équipes régionales et locales
ou l’implantation des activités de prévention ciblées.
Stock S., Caron D., Gilbert L., Gosselin L., Tougas G., Turcot A., La prévention des troubles musculosquelettiques :
réflexion sur le rôle du réseau de santé publique et orientations proposées pour la santé au travail, Institut national de
santé publique du Québec, 2006.
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Les outils et méthodes mobilisés par les acteurs de prévention
Les enjeux de la surveillance
des TMS en Algérie
thmane Ghomari, Benali Beghdadli,
O
Abdelkrim Kandouci
Laboratoire de recherche
en environnement et santé
Université Djilali Liabes, Sidi Bel Abbès (Algérie)
Introduction
L
es troubles musculo-squelettiques (TMS) longuement considérés comme une préoccupation majeure
en santé au travail des pays industrialisés tendent à s’accroître dans les pays en voie de développement
du fait probablement de la délocalisation des entreprises et du développement économique et industriel
propre à chaque pays.
En Algérie, les TMS n’apparaissent pas comme une préoccupation majeure de santé au travail. Avec un
seul régime général pour les salariés, la réparation des maladies professionnelles (MP) est régie par 85
tableaux et aucun d’entre eux ne correspond aux TMS. L’ampleur du phénomène TMS est noyée, du fait
probablement de l’absence de système de recueil de données, d’information et une difficulté de traçabilité.
Les seules études transversales menées jusqu’à présent (la plus importante a porté sur une population de
1 750 salariés) concernent quelques secteurs fortement exposés [1]. Ces études bien que n’ayant pas les
mêmes bases méthodologiques montrent des prévalences élevées en matière de plaintes et de TMS avérés.
Cependant, elles n’ont pas eu d’impact en termes de politiques publiques du fait de l’absence de données
longitudinales qui mettent en relief l’incidence de la maladie. Ce type d’étude est très difficile à réaliser
en absence de financement (fonds de prévention). Là encore l’éventail des acteurs est aussi restreint, se
résumant aux universitaires qui s’activent dans des laboratoires ou mènent des projets de recherche avec un
financement minime ne permettant pas le renouvellement et la pérennisation d’enquêtes épidémiologiques.
Néanmoins, en 2010, le conseiller du ministre du Travail, lors de son allocution aux Journées de santé au
travail, a clairement rapporté l’urgence de réviser les tableaux de MP en considérant les TMS comme une
priorité. Par ailleurs, la politique d’aide sociale du pays empêche le licenciement des salariés. Ainsi, les
répercussions socioprofessionnelles et financières des TMS sont supportées par les entreprises (baisse
de productivité, de qualité, et d’absentéisme…) d’une part, et par le système de soins (rhumatologie,
rééducation), d’autre part.
La surveillance médicale des salariés est une obligation réglementaire en Algérie régie par un système
de convention. Il n’existe pas de service interentreprises, les services de santé au travail sont implantés
dans les Centres hospitaliers universitaires (CHU) et les polycliniques du secteur de la santé publique. Les
grandes entreprises possèdent leurs propres services.
Structuration de l’emploi
Au quatrième trimestre 2010, la structure de l’emploi selon le secteur d’activité montre la prépondérance
du secteur tertiaire (commerce et services) qui absorbe plus de la moitié des emplois (55.2%), suivi par le
BTP (19.4%), l’industrie (13.7%) et enfin l’agriculture (11.7%). En moyenne, deux occupés sur trois travaillent
dans le secteur privé ou mixte (68% hommes, 49.5% femmes). Le salariat constitue la forme d’emploi qui
concerne deux occupés sur trois (66.3%) ; 33.4% des occupés sont des salariés permanents et 32.9% des
salariés non permanents et des apprentis. L’entreprenariat et l’emploi indépendant constituent 29.5% de la
main-d’œuvre totale, alors que 4.2% des occupés sont des aides familiaux [2].
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La population en chômage au sens du BIT, est estimée à 1.076.000 personnes, soit un taux de chômage
de 10%, avec des disparités assez significatives selon l’âge, le sexe et le niveau d’instruction ; le taux de
chômage s’établit à 8.1% chez les hommes et atteint 19.1% chez les femmes. Il touche principalement les
jeunes : le chômage des 16-24 ans atteint 21.5%, soit 1 jeune actif sur 5, alors que celui des adultes (25 ans
et plus) s’établit à 7.1%.
Matériels et méthodes
Nous avons instauré au niveau de notre service un suivi des arrêts de travail en vue d’un recensement de
la morbidité des salariés. Ce recueil de données nous a permis de voir qu’en matière de TMS les salariés
s’orientent vers les médecins spécialistes en rééducation et en rhumatologie. Une faible proportion
est diagnostiquée par les médecins du travail. Ceux-ci récupèrent les salariés à un stade avancé de la
pathologie avec ou sans séquelles nécessitant un changement ou un aménagement de poste de travail ou
une réorientation professionnelle. Ceci souligne une prise en charge tardive des TMS, en l’absence d’une
politique de dépistage et de prévention.
Ayant constaté, dans notre service de santé au travail, une augmentation des plaintes et des TMS avec
arrêt de travail, nous avons expérimenté, en 2008, la mise en place d’une surveillance épidémiologique des
TMS du membre supérieur en adaptant le protocole de surveillance en entreprise des Pays de la Loire en
France [3]. Cette surveillance a été menée, grâce à la participation de 11 médecins du travail qui avaient
tous reçu une formation à la démarche du consensus européen SALTSA [4]. Une formation qui a porté sur
un échantillon de 933 salariés de huit entreprises relevant de secteurs industriels et agroalimentaires [5].
Résultats
Les résultats montrent que près d’un salarié sur deux et un salarié sur quatre ont souffert de symptômes
musculo-squelettiques respectivement au cours des 12 derniers mois et des sept derniers jours. L’épaule
et la nuque étaient les régions les plus marquées par les plaintes sur les 12 derniers mois devant les
coudes, poignets et les doigts. Chez un salarié sur cinq les symptômes ressentis ont une tendance à la
chronicité (Tableau 1)
Tableau 1
Prévalence (%) des symptômes musculo-squelettiques
au cours des 12 derniers mois et des 7 derniers jours
Symptômes
Nuque
Epaules
Coudes
Poignets
Doigts
Membres
supérieurs
Au cours des 12
derniers mois
19,7 [17,1-2,3]
31,2 [28,2-4,2]
12,4 [10,3-14,5]
11,6 [9,5-13,7]
6,3 [4,7-7,9]
49,7 [46,5-52,9]
Pendant un mois
ou plus
6 [4,5-7,5]
10,6 [8,6-12,6]
3,5 [2,3-4,7]
4,9 [3,5-6,3]
3,1 [2,2-4,4]
19,8 [17,2-22,4]
Quotidiennement
1,6 [0,8-2,4]
2,3 [1,3-3,3]
0,8 [0,4-1,6]
1,6 [0,8-2,4]
1,5 [0,7-2,3]
5,3 [3,9-6,7]
Au cours des7
derniers jours
8,5 [6,7-10,3]
14,9 [12,6-17,2]
6,9 [5,3-8,5]
8,6 [6,8-10,4]
5,9 [4,4-7,4]
25,8 [23-28,6]
La prévalence des TMS diagnostiqués était élevée : 12% des salariés avaient au moins une forme unilatérale
et/ou bilatérale avérée des six principaux TMS du membre supérieur, inclus dans la surveillance. L’épaule
est la région la plus touchée par les TMS, suivie du poignet et du coude. Le syndrome de la coiffe des
rotateurs et celui du canal carpien étaient plus fréquents chez les femmes, sans différence pour
l’épicondylite latérale au niveau du coude (tableau.2). La prévalence des TMS avérée augmentait avec l’âge
et le faible niveau de qualification professionnelle.
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Tableau 2
Prévalence des formes unilatérales et/ou bilatérales des principaux TMS
(Les cas sont comptabilisés par sujet n =933)
TMS (Pathologies)
Prévalence globale
(%) IC 95%
Prévalence hommes
(%) IC 95%
Prévalence femmes
(%) IC 95%
Syndrome de la coiffe
des rotateurs
6,3 [4.7 -7.9]
3,8 [2.1-5.5]
9,4 [6.6-12.2] ***
Epicondylite latérale
1,6 [0.8-2.4]
2 [0.8-3.2]
1,2 [0.5-2.8]
Syndrome du tunnel
cubital
0,5 [0.2-1.2]
0,4 [0.1-1.4]
0,7 [0.2-2]
Syndrome du canal
carpien
2,8 [1.7-3.9]
1,6 [0.8-3.1]
4,2 [2.3-6.1] *
Tendinites des
extenseurs /
fléchisseurs des doigts
et du poignet
0,6 [0.3-1.3]
0,6 [0.2-1.7]
0,7 [0.2-2]
Ténosynovite de De
Quervain
0,8 [0.4-1.6]
0,6 [0.2-1.7]
0,9 [0.3-2.3]
Au moins un des six
principaux TMS
11,8 [9.7-13.9]
8,7 [6.2-11.2]
15,5 [12.1-15.9]***
p<0, 05, ** p<0, 01, ***P<0,001
Un salarié sur deux était exposé à au moins deux facteurs de risque biomécanique et psychosocial reconnu
des TMS du membre supérieur. Les salariés cumulaient en moyenne trois facteurs de risque de TMSms
(cou exclu), ce qui est considérable du fait du caractère multiplicatif des modèles de risque de TMS, avec
une nette surexposition chez les femmes. L’intensité de l’exposition ne variait pas avec l’âge chez les deux
sexes quelle que soit la zone anatomique du membre supérieur. Les salariés les plus jeunes (20-29 ans)
étaient autant exposés que ceux plus âgés (50-59 ans). La catégorie « ouvrière qualifiée ou non » était la
plus exposée.
Discussion
Les résultats de cette surveillance expérimentale montrent des prévalences de TMS et une intensité
d’exposition aux facteurs de risque similaires à celles rapportées dans d’autres pays [6].
La mise en place d’une surveillance épidémiologique des TMS du membre supérieur dans notre contexte
se heurte à certains freins et difficultés :
• Condition d’accès à l’entreprise, le système de convention en médecine du travail restreint le champ
d’action du médecin en matière d’accès aux entreprises non conventionnées entravant la généralisation
de la surveillance à l’ensemble des entreprises.
• L’autorisation de l’employeur est souvent difficile. Les chefs d’entreprise ont souvent une perception
négative du médecin du travail du fait probablement qu’ils ne sont confrontés à ce dernier qu’en termes
d’aménagement et de changement de poste. Ils ne perçoivent pas pour la plus part le bénéfice apporté
par ce type d’enquête en matière de prévention, de dépistage et de rentabilité de l’entreprise. De plus la
position du médecin du travail en tant qu’acteur de la prévention dans l’entreprise est difficile à tenir dans
certains cas, car il est partagé entre les contraintes marchandes de l’entreprise, les doléances des
partenaires sociaux et les plaintes des salariés.
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• Méthodologie et adaptation des outils de surveillance pour notre population : il n’était pas possible
d’utiliser un auto-questionnaire. Au cours des visites médicales périodiques, le médecin du travail
interrogeait le salarié sur les différents items du questionnaire en français et en arabe dialectal
préalablement homogénéisés pour l’ensemble des médecins du travail du réseau. En moyenne le
médecin consacre une heure pour chaque salarié (questionnaire et examen clinique). Ceci constitue
d’une part, une charge de travail importante pour le médecin du travail réduisant ainsi l’effectif des
salariés inclus dans le temps si l’enquête est menée de manière transversale, et entravant le
fonctionnement de l’entreprise, chose qui n’est pas bien perçue par les chefs d’ateliers et par la direction
de l’entreprise.
• Intégrer la durée des absences des salariés dans les données de l’enquête.
• Potentialisation des plaintes au cours de l’interrogatoire (effet blouse blanche) : dans ce type d’enquête,
le médecin du travail va servir de passerelle pour la transmission des plaintes et doléances à la direction,
ce qui amène le médecin à expliquer les objectifs et les attendus.
• Mobilisation des médecins du travail : l’absence d’un programme de prévention et d’évaluation des
risques professionnels fait que la collaboration du médecin du travail est souvent du ressort du volontariat
ou de l’intéressement à une pathologie donnée. À ceci s’ajoute l’absence de rémunération qui semble être
un très fort déterminant, en plus de la dépendance de certains médecins du travail de leurs employeurs.
• L’absence de financement : dans notre cas, nous avons obtenu un financement en inscrivant notre projet
de surveillance épidémiologique comme projet de recherche à l’Agence nationale de développement et
de recherche en santé qui nous a octroyé un financement minime de l’ordre de 5000 euros.
• Formation des médecins sur le protocole : la formation nécessite plusieurs séances avec une formation
théorique et pratique (examen clinique standardisé) afin de garantir l’homogénéité et l’objectivité des
pratiques. Ceci nécessite la disponibilité du médecin du travail qui n’est pas toujours autorisée par son
employeur vu qu’elle ne s’inscrit pas dans un programme de prévention et d’évaluation des risques
professionnels. Les médecins du travail utilisent souvent leur tiers-temps pour cette disponibilité.
• Manque de formation des acteurs de prévention : dans le champ de la santé publique, la prévention du
risque TMS concerne en priorité les acteurs de la prévention des risques professionnels que sont les
médecins et infirmières du travail, les ergonomes, les responsables hygiènes et sécurité ainsi que les
institutionnels de la prévention des risques professionnels (agents des services prévention des Caisses
d’assurance maladie , des Agences régionales d’amélioration des conditions de travail , inspecteurs et
médecins inspecteurs du travail et de la main-d’œuvre). À l’échelle nationale, il existe une seule structure
qui est l’Institut national de la prévention des risques professionnels (INPRP).
• Structuration de l’âge où les moins de 30 ans (2/3 de la population) sont souvent en manque de qualification
et d’expérience. Ils sont orientés vers des emplois pénibles dans des entreprises privées où existent un
turn-over important et une disparité de l’emploi, hommes/femmes. Ceci rend compte de la difficulté
inhérente à identifier les populations et les groupes les plus à risque par les dispositifs de surveillance
longitudinale, pour avoir une image réelle des plaintes, des TMS, et de l’exposition professionnelle.
La surveillance épidémiologique des TMS est un outil de connaissance pour l’entreprise lui permettant
de mieux appréhender les risques auxquels elle expose ses salariés et de cibler les interventions
ergonomiques sur les situations de travail les plus à risque.
Des stratégies de surveillance pertinentes sont disponibles, sous réserve de certaines précautions
méthodologiques. Pour cela, il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence des indicateurs de santé et
des méthodes d’évaluation des risques en fonction de la taille de l’entreprise et de ses spécificités.
Le défi est de pouvoir structurer notamment les médecins du travail en réseaux de surveillance locorégionale,
afin de disposer de chiffres fiables et actualisés. C’est un préalable indispensable à l’établissement et au
pilotage d’une politique de prévention des TMS.
Mettre en place des structures de formation et de réorientation professionnelle, pour la prise en charge du
retour à l’emploi, souvent problématique, après consolidation des TMS.
La surveillance des TMS demeure un dispositif phare dans l’arsenal de la prévention, susceptible d’influencer
les politiques de prévention à tous les niveaux. Dès lors, la prévention des TMS doit être conçue et conduite
dans un cadre national et/ou institutionnel, organisée dans les branches, les secteurs ou les métiers et
réalisée dans les entreprises.
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Bibliographie
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travail, 2007 ;12 : 14-20.
2. Office national des statistiques, http://www.ons.dz/
3. H
a C., Roquelaure Y. : Réseau expérimental de surveillance épidémiologique des troubles musculosquelettiques dans les Pays de la Loire. Protocole de la surveillance dans les entreprises (2002-2004).
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Algérien. Arch Mal,Prof, Envir,2010,71,781-9.
6. Ha C., Roquelaure Y., Leclerc A., Touranchet A., Goldberg M., Imbernon E. : The French Musculoskeletal
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Stivab, une étude pluridisciplinaire
sur la santé et les conditions de travail
dans la filière viande bretonne.
Quelles difficultés à mettre en débat
les résultats et à passer de l’étude
à l’action ?
Patrick Morisseau
Mutualité sociale agricole des Portes de Bretagne
(France)
Adeline Pornin
Caisse centrale de la mutualité sociale agricole
(CCMSA) (France)
Le contexte et le montage du projet
L
a filière viande regroupe essentiellement l’abattage et la découpe des gros animaux et des volailles.
Les salariés de ces entreprises peuvent dépendre du régime général de Sécurité sociale ou du Régime
agricole (MSA). Elle est largement implantée en Bretagne où elle représente près de 30% de l’effectif
salarié national de ce secteur.
Au début des années 2000, les salariés de cette filière dépendant du Régime agricole étaient au nombre
d’environ 6000 en Bretagne, répartis sur 16 entreprises de 40 à plus de 1000 salariés. Cette filière relativement
jeune dans son mode actuel d’organisation industrielle devait alors faire face à de graves difficultés dans
sa politique d’emploi : problèmes de santé des salariés, absentéisme et turn-over importants, difficultés à
recruter et à fidéliser les salariés, mauvaise image de marque.
Les salariés de la filière viande étaient connus pour être exposés à de multiples risques professionnels,
dont le risque élevé d’accident du travail, spécialement en abattage et découpe des gros animaux, avec
des contraintes articulaires et posturales, du bruit, du froid ou de l’humidité, des agents biologiques, ainsi
que de fortes contraintes organisationnelles. De nombreuses pathologies professionnelles pouvaient
être mises en relation avec ces contraintes multiples, au premier rang desquelles les troubles musculosquelettiques (TMS).
Des actions de prévention avaient déjà été réalisées dans cette filière mais, de façon générale, les
entreprises partageaient avec les « préventeurs » de la MSA, les médecins du travail et les conseillers
en prévention, le sentiment que ces actions, telles qu’elles avaient jusqu’alors été élaborées, répondaient
insuffisamment aux problèmes posés.
En 1999, le CRPSS1 de Bretagne demande à la MSA de comprendre les facteurs entrant en jeu dans
l’apparition et la pérennisation des difficultés dans sa politique d’emploi. Face à cette demande complexe,
les caisses de MSA de Bretagne2, mettent en place un groupe de travail régional « santé-sécurité au
travail » en 2000, constitué d’un médecin du travail et d’un conseiller en prévention de chaque caisse et
de la directrice déléguée de l’AROMSA3. Ce groupe de travail a mené une réflexion sur les modalités de
l’action à conduire pour aborder la question de la façon la plus complète possible. Les difficultés identifiées
touchant des aspects de santé et d’emploi, la décision prise fut de réaliser une enquête pluridisciplinaire
articulant trois approches : l’épidémiologie, la psychodynamique du travail et l’ergonomie.
Pour cela, le groupe de travail s’adjoint les compétences d’experts scientifiques de ces différentes
disciplines :
• l’InVS (Institut de veille sanitaire) et l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale)
concernant la partie épidémiologie ;
• le cabinet OMNIA pour l’ergonomie ;
• le laboratoire de psychologie du travail et de l’action du CNAM (Conservatoire national des arts et métiers).
Ce groupe enrichi devient alors le groupe-pilote qui élabore et suit la démarche nommée « Échec et réussite de
la fidélisation des salariés aux postes de la filière viande bretonne : interroger le travail et la santé pour agir ».
L’objectif de la démarche est alors d’identifier et mesurer les paramètres qui entrent en cause dans l’échec
ou la réussite de l’intégration d’un salarié et de la poursuite de sa carrière, afin d’identifier des leviers pour
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réduire les effets délétères du travail sur la santé physique et mentale des salariés. Cet objectif global a
été servi par l’articulation des approches (objectives et subjectives, qualitatives et quantitatives) de chaque
discipline dont les apports enrichissaient les autres au fur et à mesure de l’avancée des travaux.
À la fin de l’année 2002, l’intégralité de la démarche a été présentée aux directions et instances
représentatives des salariés des entreprises de la filière et a reçu un accueil favorable.
Méthodes
Les approches épidémiologique, ergonomique et de psychodynamique du travail ont été menées parallèlement de
2003 à 2004. L’approche épidémiologique consistait en une enquête transversale, dont une première partie a porté
sur l’ensemble des 6000 salariés de la filière agricole bretonne. La santé perçue était mesurée par l’Indicateur
de Santé Perçue de Nottingham (ISPN). Les facteurs psychosociaux au travail étaient principalement décrits
en utilisant le questionnaire de Karasek (demande, latitude et soutien social au travail). Une seconde partie de
l’enquête a porté sur un échantillon représentatif de 1099 salariés de production tirés au sort. Pour ceux-ci, les
TMS ont été évalués par le questionnaire dit « nordique » lors d’une visite médicale du travail. Parallèlement, les
contraintes physiques et organisationnelles des postes de production ont été expertisées par les médecins du
travail et conseillers en prévention de la MSA dans l’objectif de construire une matrice emplois-expositions.
Résultats
Le taux de participation à l’enquête postale était de 49,5%, et 80% des 3000 salariés constituant l’échantillon
analysé travaillent en production, depuis la réception des animaux vivants jusqu’à l’expédition des produits
finis. Pour toutes les dimensions du questionnaire de Karasek, les valeurs observées pour les salariés
de production traduisent des contraintes plus élevées que pour les salariés hors production (tableau 1),
une demande psychologique plus forte, une latitude décisionnelle plus faible, un soutien social au travail
plus faible et une tension au travail plus fréquente. Cette différence est très importante pour toutes les
dimensions à l’exception de la demande psychologique chez les hommes. Pour toutes les dimensions, ces
résultats montrent des contraintes plus élevées chez les femmes que chez les hommes.
Tableau 1
Contraintes psychosociales du travail (questionnaire de Karasek), prévalence des salariés exposés à
une demande psychologique forte, une latitude décisionnelle faible, un soutien social faible et à une
tension au travail selon le sexe et le poste de travail principal (production - hors production)
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Sur les 1099 salariés de production prévus à l’inclusion de la seconde partie de l’enquête, 998 ont été
enquêtés et retenus pour l’analyse, soit un taux de participation de 90,8%.
La prévalence des TMS se révèle particulièrement élevée chez les salariés de production, avec 65% des
hommes et 79% des femmes ayant ressenti, au cours des 12 derniers mois, des symptômes au niveau des
membres supérieurs (tableau 2).
Tableau 2
Salariés de production - Prévalence des TMS dans les 12 derniers mois,
répartition selon le sexe (N = 998)
Restitution, mise en débat dans les entreprises et passage aux actions de prévention
Le parti pris de cette démarche pluridisciplinaire était d’utiliser de façon concomitante des méthodes
différentes, quantitative et clinique, afin de s’éclairer mutuellement pour mieux comprendre les problèmes
posés et pouvoir ainsi proposer des pistes d’action. Il en est résulté la volonté de présenter l’ensemble
des résultats obtenus sous la forme d’un rapport transversal rendant compte de leur complémentarité et
servant de support à leur restitution dans les entreprises. Les directions des entreprises et les fédérations
professionnelles de la filière, parties prenantes de la démarche dès son début, ont ainsi été destinataires
fin 2004 d’un rapport pour chaque discipline mobilisée ainsi que du rapport transversal.
Même si une majorité des chefs d’entreprise pouvaient individuellement reconnaître la cohérence des
résultats observés avec ce qu’ils vivaient, de vives réactions ont cependant vu le jour de la part des
fédérations professionnelles et de certaines entreprises. En effet, alors que le rapport transversal mettait
globalement en évidence une concordance des résultats en ce qui concerne les facteurs de risques
psychosociaux, quelles que soient les méthodes utilisées, ces réactions se focalisaient essentiellement
sur les résultats cliniques, au travers des expressions de ressenti subjectif des salariés ayant participé
aux enquêtes. La crainte d’une dévalorisation supplémentaire de l’image de marque de la filière auprès du
grand public transparaissait fortement au travers de ces réactions.
La mise en place des actions de prévention nécessaires au vu des résultats de l’étude ne pouvait se passer
de l’assentiment des directions quant au bien-fondé de ces résultats et des pistes d’action proposées. Des
discussions prolongées durant toute l’année 2005 entre le groupe-pilote et les directions et fédérations
ont permis de lever les malentendus et d’aboutir à une issue favorable, sous réserve de ne pas diffuser
publiquement le rapport transversal. La restitution des résultats, sous la forme qui était prévue, a ainsi pu se
faire dans les entreprises de fin 2005 à mi 2006 devant les directions et les CHSCT pour 13 des 16 entreprises.
Elle a nécessité l’élaboration préalable par le groupe-pilote d’un argumentaire précis à destination des
conseillers en prévention et médecins du travail qui l’ont réalisée dans chacune de leur entreprise.
À l’issue de ces restitutions, trois situations ont pu être individualisées dans les entreprises :
• des entreprises où aucune action d’envergure n’a pu être envisagée dans les suites de l’étude, mais sans
que soient exclues les possibilités de collaboration avec la MSA sur des projets ponctuels ;
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• des entreprises où un climat propice à des actions de prévention existait et que la présentation des
résultats STIVAB a pu dynamiser ;
• trois entreprises qui ont résolument décidé de s’engager dans des actions préventives importantes visà-vis des TMS à la suite de la présentation des résultats. Pour ces 3 entreprises, ceci s’est fait dans le
cadre de d’une formation-action grâce à l’intervention d’un consultant externe et avec la collaboration
des médecins du travail et conseillers en prévention de la MSA. Elles ont toutes les trois abouti à des
actions d’amélioration des conditions de travail spécifiques dans certains ateliers.
Dans tous les cas, que des actions aient pu être réalisées dans les suites immédiates de cette étude ou non, les
conseillers de prévention et médecins du travail ont eu le sentiment de retombées positives. D’une part, cela
leur a permis de mieux appréhender la complexité et l’intrication des facteurs de risque de TMS et de RPS,
et d’autre part, cela a été une opportunité d’aborder dans les entreprises ces problèmes de santé-sécurité et
d’organisation du travail qui n’avaient pu être traités auparavant de cette manière et avec cette authenticité.
Quelles pistes de travail ressortent pour les entreprises ?
Cette enquête propose un croisement de regards qui permet de comprendre un certain nombre d’impasses
dans lesquelles les entreprises se retrouvent malgré les solutions qu’elles cherchent à mettre en place
afin de prévenir un certain nombre de difficultés.
En effet, les entreprises de la filière viande (comme dans n’importe quel autre secteur) doivent faire face
à des problèmes récurrents (turn-over, maladies professionnelles, absentéisme…) et vont chercher à les
résoudre par des solutions connues de tous pour y répondre.
Prenons, par exemple, le cas de la polyvalence qui va s’envisager comme un moyen de réduire les temps
d’exposition à de la pénibilité physique ou à de la monotonie. La mise en œuvre de cette polyvalence va
devoir s’articuler à d’autres problèmes qui se présentent classiquement à l’entreprise mais dont on se rend
compte que la polyvalence peut aussi être le moyen d’y répondre. Cette solution va donc permettre à un
opérateur de remplacer au pied levé un autre opérateur mais sans que soient pris en compte les aspects
de pénibilité qui étaient à l’origine de sa mise en œuvre.
Nous voyons ici qu’un « cercle vicieux » s’installe qui va potentiellement être la source de problèmes de
santé pour les salariés et de perte d’efficacité pour l’entreprise.
L’enquête montre aux entreprises, que la majorité des problèmes qui se posent ont une origine
multifactorielle et que pour agir efficacement, il est nécessaire d’agir sur plusieurs plans en même temps.
Si l’on reprend l’exemple de la polyvalence, l’étude montre que dans les entreprises elle est considérée
comme une réponse de prévention, mais :
• elle n’est pas réellement organisée et planifiée,
• elle s’effectue sur des postes comportant des tâches différentes mais pas des gestes ou contraintes
différents ;
• le temps d’appropriation pour chaque poste n’est pas ou peu pris en compte ;
• elle génère une mobilité imprévisible qui peut nuire aux collectifs de travail…
Il apparaît donc qu’organiser la polyvalence implique de la part des entreprises une véritable conduite de
projet permettant de prendre en compte différents aspects d’organisation du travail, d’aménagement de
poste et de management.
Conclusion
Cette étude a aider à faire des liens entre conditions de travail, production et état de santé des salariés. Elle
n’a pas mis en évidence des éléments inconnus des entreprises, mais elle les a quantifiés et envisagés sous
un angle nouveau, ce qui a permis d’en retirer des pistes de réflexion toujours d’actualité aujourd’hui dont
les entreprises n’ont plus qu’à se saisir pour les rendre opérationnelles et efficaces.
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Les affections périarticulaires
et les données « chiffrées »
dans l’entreprise
Daniel Depincé, Joël Maline
ARACT Basse-Normandie (France)
L
es nombreuses études réalisées par les communautés scientifiques francophones et mondiales, depuis
quelques décennies, sur la problématique des affections périarticulaires ont montré que de nombreux
facteurs sont à l’origine de ces pathologies. Outre les facteurs biomécaniques et psychosociaux, les
différentes analyses ont mis en exergue des dysfonctionnements inhérents à l’organisation du travail en
vigueur dans l’entreprise comme causes potentielles de survenue de ces difficultés de santé pour les
salariés.
Face à l’apparition, en son sein, de ces problématiques santé, les entreprises se retournent généralement
vers la passation d’un questionnaire pour avoir des éléments de compréhension sur leurs origines et ainsi
pouvoir mettre en œuvre des actions de prévention. Malgré le fait qu’il est difficile dans un questionnaire
de cibler de façon précise l’organisation du travail au sein de situations de travail, cet outil peut être
intéressant dans les entreprises avec un nombre de salariés conséquent et ayant à sa disposition un acteur
interne chargé de le déployer (élaboration, passation, analyse). Par contre, il s’avère peu efficace et difficile
à utiliser dans les petites entreprises.
Hormis les questionnaires, il existe dans les entreprises de nombreuses sources d’informations qui
peuvent renseigner l’organisation du travail et ainsi faire un lien avec la survenue des problématiques
santé dont les affections périarticulaires. On peut citer les procès-verbaux des organes institutionnels
(CHSCT, CE, réunion des DP…), les indicateurs du climat social…. Les données chiffrées en sont une autre,
mais elles sont généralement sous-exploitées alors qu’elles sont partout présentes dans l’entreprise, et
qu’elles peuvent servir soit d’outil d’intervention, d’outil de médiation, ou d’outil de suivi.
Les données chiffrées dans l’entreprise
Les entreprises s’appuient sur des données, des indicateurs qui leur permettent d’avoir une vision sur leurs
activités et de définir des priorités. Au niveau des directions, ces indicateurs sont globaux et rassemblent
l’ensemble des différentes données concernant le fonctionnement général. On les retrouve en partie dans
le bilan social.
Quel que soit le domaine ou le secteur de l’entreprise, chaque responsable ou dirigeant, a mis, lui aussi,
en place un recueil de données lui permettant de suivre au plus près le fonctionnement de son service.
Renseignés par les opérateurs ou l’encadrement de proximité, ces indicateurs d’activité sont collationnés
au niveau du service pour être exploités immédiatement (ce qui leur permet de réagir au plus tôt) et être
rassemblés pour servir de tableau de bord à l’activité du service.
Principales données existantes dans l’entreprise par domaines
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Difficulés lors du recueil et précautions de traitement
La première difficulté qui peut apparaître quand il s’agit de recueillir les données en entreprise est
d’identifier l’interlocuteur qui gère les données. Si dans les entreprises où existent des services spécialisés
(RH, comptabilité…) cela s’avère relativement facile, dans les petites et moyennes entreprises il faut souvent
se retourner vers la personne chargée du suivi administratif.
L’absence de certaines données et leur niveau de qualité constituent une deuxième difficulté. En effet :
• Certaines peuvent être absentes au sein de la structure car l’entreprise n’a jamais eu besoin de s’en
servir ou n’a jamais eu l’intérêt de s’en servir (Exemple : lors d’une intervention, il n’existait ni pyramide
des âges, ni pyramide de l’ancienneté). Dans ce cas, l’entreprise a dû élaborer ce nouvel indicateur.
• Certaines ne sont pas exploitables. Les intervenants peuvent se voir présenter un fichier existant,
quelquefois incomplet, non mis à jour mais n’ayant jamais fait l’objet d’un quelconque traitement.
• Il est parfois difficile de suivre les données « historisées ». Dans certaines entreprises, les changements
fréquents de système d’exploitation informatique entraînent des pertes d’informations; dans ce contexte,
il est donc difficile voire impossible de suivre l’évolution au fil des temps de ces indicateurs.
• Elles peuvent être globales, et quand l’intervenant souhaite avoir un zoom sur un secteur, il est nécessaire
de reconstituer les données pour ce secteur. (Exemple : les données sur le turn-over sont globales (un
taux) alors qu’il peut être intéressant en fonction de la thématique travaillée d’avoir cette information par
secteur de l’entreprise).
• Elles sont de temps à autre hétérogènes au sein de l’entreprise. En effet, chaque service peut n’avoir
collationné que les données le concernant et les présenter sous des références différentes. Il est difficile
dans ce cas-là de les croiser. Par exemple : lors d’une intervention concernant les accidents du travail, le
service sécurité renseignait les individus, le poste de travail, son implantation et le lieu même de
l’accident (niveau atelier) alors que les données RH pointaient uniquement un département (celui-ci étant
composé de nombreux ateliers).
L’élaboration des fichiers de données est souvent chronophage, aussi faut-il des fois patienter avant de les
recueillir et les traiter.
Par ailleurs, les données doivent être abordées avec précaution, car elles peuvent présenter des
incohérences liées au mode de gestion et ne pas s’appuyer sur la réalité du travail. Par exemple : lors d’une
intervention sur l’absentéisme dans une entreprise de l’agro-alimentaire, il apparaît qu’une qualification
(conducteur) concentre le maximum d’absences par rapport aux autres. L’analyse montre que les salariés
incriminés effectuent, en fonction de la charge de travail et des effectifs présents, les tâches relatives
au métier mais également de nombreuses activités liées à d’autres métiers (aide-conducteur, agent de
production).
L’utilité des données « chiffrées »
Outil d’intervention (au sens d’élément servant à résoudre un problème)
Elles ont un rôle prépondérant pour éclairer la compréhension de la problématique dans l’entreprise si cela
repose sur un traitement progressif et ciblé. Elles n’ont pas vocation à être toutes analysées, traitées et au
même moment. En fonction de la phase de l’intervention, certaines seront interrogées pour déclencher,
quantifier, caractériser ou révéler les phénomènes à l’œuvre dans l’entreprise.
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Utilité des données en fonction de l’avancement de la réflexion
cc Une donnée seule ne suffit pas à comprendre la genèse des problèmes étudiés. Il est nécessaire, lors
des phases de traitement et d’interprétation, de la mettre en relation avec d’autres, de les lier, de les
croiser. Deux temps d’analyse sont à effectuer :
• un premier temps où l’on croise les données collectées entre elles;
• un second temps où l’on relie les données collectées avec celles issues de l’analyse des conditions de
réalisation du travail.
Ce travail pourra s’effectuer à l’aide d’un seul graphique (histogramme, camembert, diagramme
triangulaire…) ou en mettant en parallèle deux ou trois graphiques dédiés à une donnée.
En préalable à l’analyse du travail, ce traitement permet de « faire parler » les données et de voir apparaître
des premières hypothèses de compréhension. Par exemple, le croisement « âge/ ancienneté/ date
d’apparition des pathologies/ secteur » permettra de repérer les populations et secteurs de l’entreprise
qui feront l’objet d’une attention soutenue dans l’analyse. Un croisement « accident du travail/ évolution
de la production/ évolution de la qualité » éclairera la survenue des accidents du travail et interrogera
l’organisation du travail en place à l’époque concernée. Une mise en parallèle « évolution des MP/ évolution
des effectifs/ évolution de la production » permettra d’interroger l’organisation du travail en place depuis,
par exemple, la période de suppression de postes.
Trop souvent, les données fournies par les entreprises sont globales (taux d’absentéisme, nombre de MP…).
Pour pouvoir comprendre et mettre en débat la problématique, il est nécessaire que les données soient
élaborées à un niveau pertinent par rapport à ce qui doit être analysé (ateliers, services, bureaux…). Par
exemple : dans cette entreprise, le travail des données d’absentéisme, par secteur, montre qu’en l’espace
de trois années, le secteur laboratoire, qui ne représente que 2% des opérateurs, a vu sa représentation des
jours d’arrêt, en pourcentage, passer de 1% à 12%. Ce qui a interpellé l’entreprise lors de la présentation
de ces informations en CHSCT.
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L’analyse des observations du travail produit également des données quantifiées issues des conditions
concrètes de réalisation du travail. Le travail des opérateurs peut être transcrit en données chiffrées
(longueur des déplacements, nombre de mouvements des membres supérieurs…). Ces informations ne
sont pas toujours connues ou prises en compte par les encadrants et ne font pas, au sein des services,
l’objet d’un recueil spécifique. Pourtant quand elles sont reliées aux données générales, elles peuvent
apporter un supplément de compréhension à la survenue des pathologies. Par exemple : dans une
entreprise, la mise en place par le service qualité de la traçabilité des produits nécessite l’apposition sur
les produits finis d’une étiquette spécifique. Cette tâche supplémentaire entraîne pour l’opératrice en poste
3600 pincements de doigts en une journée. Depuis quelques temps, il est noté par le service santé une
évolution positive des pathologies relevant du tableau de maladie professionnelle numéro 57 au niveau de
ce secteur d’activité. L’apport de la donnée issue du travail réel de l’opératrice permet de préciser l’origine
de ces pathologies.
Outil de médiation (au sens d’élément d’information servant de point de départ à un raisonnement
partagé)
La présentation des données chiffrées traitées au cours des réunions des instances représentatives du
personnel permet de réfléchir ensemble sur les indicateurs. Chaque pic ou creux est décortiqué et sujet
à des interprétations de la part des uns et des autres. Souvent le lien avec l’histoire et les changements
dans l’entreprise sont inévitables et permettent, à terme, un consensus autour de la table sur l’explication.
Il apparaît fréquemment qu’autour de ces éléments révélés, les représentants du personnel détiennent
habituellement la mémoire de l’entreprise.
Les données deviennent alors un outil du dialogue social. Par exemple : dans cette entreprise, la
présentation de l’évolution du nombre de pathologies engendrées depuis 2000 a interpellé les membres du
CHSCT. La nouvelle direction, arrivée depuis peu, s’est fait expliquer par les représentants du personnel
les évolutions de l’organisation de l’entreprise à cette période.
Les données ne fournissent pas « la vérité » mais constituent le point de départ à la mise en place de la
réflexion. Elles participent de la médiation sociale dans l’entreprise dans la mesure où elles permettent
de construire une représentation partagée d’une situation et jettent les bases d’une action future reposant
sur des critères objectivés.
L’action future envisagée par l’entreprise peut prendre deux directions. La première qui est, à partir de
l’état des lieux constitué par les données chiffrées, d’engager des actions de correction des situations
existantes. C’est ce cas d’espèce (entreprise A) qui est le plus souvent rencontré dans les interventions.
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Dans d’autres entreprises (B), mais de façon moins automatique, les données chiffrées (état des lieux)
sont corrélées avec des modifications prévues dans l’entreprise (organisation, poste de travail…). Elles
permettent ainsi d’enrichir la vision prospective des futures situations de travail et des « pathologies
futures possibles » et de proposer des actions d’amélioration des situations de travail
Dans cette entreprise A, l’analyse des données montre que les pathologies ne sont pas apparues chez les
opérateurs en 2010 quand la plus part d’entre eux avaient plus de 50 ans, mais quand ils avaient moins de
45 ans et pour beaucoup plus de 15 ans d’ancienneté.
Ce travail sur les données croisant âge, ancienneté et pathologie réinterroge l’entreprise sur la relation de
cause à effet entre vieillissement et dégradation de la santé. Dans ce cas, la santé n’est pas dégradée à cause
de l’âge des salariés mais bien à cause d’une durée d’exposition à des conditions de travail qui semblent
être pénibles. Cela pousse à caractériser la pénibilité et à poser la question des parcours professionnels.
Dans cette autre entreprise B, un Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) a été déployé. De nombreux
emplois ont été supprimés et de nouvelles organisations du travail ont été instituées dans les ateliers de
production. A l’initiative du CHSCT, une étude sur les futures conditions de travail a été réalisée.
Le traitement des données démographiques, RH, sécurité, santé, qualité et production fait apparaître :
• une population vieillissante et avec beaucoup d’ancienneté (en particulier les femmes) dans les secteurs
de production (et en particulier dans deux secteurs : coupe et façonnage) ;
• un absentéisme « maladie » qui augmente plus vite que l’absentéisme global ;
• soixante-dix départs de l’entreprise (dont 33% liés à des licenciements) pour 15 arrivées sur 5 ans ;
• une diminution des réclamations clients ;
• au niveau des pathologies, deux services particulièrement touchés (coupe et façonnage).
70% des pathologies apparaissent après 10 ans d’ancienneté.
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Certains métiers au façonnage sont plus « pathogènes » que d’autres. Des fonctions (conducteurs) ne
présentent plus de pathologies maintenant, alors que d’autres (agents de production) dans le même secteur
en voient apparaître de nouvelles.
Lors de la présentation de ces indicateurs au CHSCT, le lien a été établi avec le PSE qui va entraîner la
suppression de 18 postes d’agents de production et une nouvelle organisation du travail au façonnage. Des
craintes d’apparition de nouvelles pathologies chez ce personnel (qui en plus de son travail de conducteur
assurera une partie du travail des agents de production) ont été évoquées. Après discussion, la Direction
a souhaité qu’une analyse du travail dans ce secteur soit réalisée afin d’envisager le plus tôt possible, et
avant l’apparition éventuelle de pathologies, des actions de prévention pertinentes.
Outil de suivi (au sens de représentation d’une information en vue d’un traitement automatique)
Le travail de mise en forme des données destiné à la présentation pour que celles-ci soient facilement
assimilées par les différents acteurs de l’entreprise permet de formaliser, à un moment donné, les
« traces » présentes dans l’entreprise. Les graphiques et histogrammes ainsi conçus ne demandent qu’à
être complétés année par année afin de suivre l’évolution des éléments qu’ils représentent. Ils deviennent
donc des « tableaux de bord » sur lesquels l’entreprise peut s’appuyer pour suivre les résultats de ses
actions de prévention et repérer des dérives pouvant générer de nouvelles pathologies.
Conclusion
Traiter de la santé au travail (et en particulier des affections péri-articulaires) nécessite de traiter des
données et surtout dans la durée. S’il est important de posséder des données épidémiologiques pour
pouvoir définir des politiques de santé au niveau national ou au niveau des branches professionnelles, il est
indispensable de posséder et d’utiliser des données « chiffrées » locales, propres à l’entreprise lorsque
celle ci souhaite mettre en place des actions de prévention correctives ou préventives.
Pour que l’apport de connaissances nécessaires à la construction de la prévention qu’elles permettent et le
débat social qui peut s’engager autour d’elles soient profitables, il apparaît nécessaire que :
• Les entreprises se dotent de données homogènes, « historisées », non seulement globales mais
également par service. Étant actuellement peu présentes, incomplètes ou hétérogènes il est nécessaire,
pour pouvoir les utiliser, de les construire. Cette construction va demander du temps et quelquefois
générer des freins de la part de certains. Freins qui pourront avoir pour origine le secret médical, le
secret industriel, la charge de travail des acteurs, les cloisonnements inhérents au fonctionnement de
l’entreprise… Pour qu’elles puissent disposer de ces outils, les entreprises devraient s’engager dans une
conduite de projet sur la mise en place (définition, caractéristiques, éléments à recueillir) et le suivi des
indicateurs qu’elles jugent pertinents et nécessaires en leur sein pour « éclairer » leur politique de
prévention.
• Les intervenants internes (responsable sécurité, infirmière…) et extérieurs (médecin du travail,
intervenant en santé au travail, consultant ergonome…) puissent réaliser les analyses adéquates (analyse
démographique, des indicateurs RH, santé, etc.) en utilisant les outils dédiés (histogrammes,
histogrammes décalés, diagramme triangulaire…) et les croiser ensemble afin d’aider les décideurs de
façon rétrospective et/ou prospective.
Il est essentiel de clarifier les différents outils utilisés dans les entreprises pour éclairer les problématiques
santé. La sur-représentation des questionnaires, que beaucoup d’acteurs utilisent comme outils
d’information principaux, a souvent évacué l’analyse globale des données « chiffrées » de la réflexion initiale.
Or l’expérience montre que les questionnaires ne sont pas suffisants en eux-mêmes, qu’ils nécessitent un
temps d’élaboration, de passation et d’exploitation non négligeable et que les liens avec l’organisation sont
difficiles à mettre en évidence. Les données « chiffrées » permettent, par la mise en exergue d’un creux ou
d’un pic, de s’interroger sur cet état et de faire rapidement le lien avec les organisations du travail mises
en place.
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Bibliographie
Caroly S., Coutarel F., Escriva E., Roquelaure Y., Schweitzer J.M., et Daniellou F. (coord.) (2008). La
prévention durable des TMS : Quels freins ? Quels leviers d’action ? Rapport d’étude pour la Direction Générale du
Travail. Disponible sur le site www.anact.fr, dans le dossier thématique TMS.
Caroly, S., Depincé, D, Lecaille, P. (2008). Organizational Design For Sustainable Prevention Of
Musculoskeletal Disorders. Congress ODAM, Sao-Paulo, 19-21 mars 2008.
Depincé, D., Escriva, E., Maline, J. (2002) Sur quoi et comment communiquer pour décaler les représentations
et permettre une nouvelle approche des risques et de la prévention ? XVI congrès mondial sur la santé et la
sécurité au travail Vienne (Autriche).
Guérin, F., Laville, A., Daniellou, F., Duraffourg, J., Kerguelen, A. (1997) Comprendre le travail pour le transformer :
la pratique de l’ergonomie, éditions ANACT.
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