PATRIMOINE ET DEBATS PUBLICS Un enjeu citoyen

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PATRIMOINE ET DEBATS PUBLICS Un enjeu citoyen
C O N S E I L I N T E R NAT I O NAL D E S M O N U M E N T S E T D E S S I T E S
PATRIMOINE ET DEBATS PUBLICS
Un enjeu citoyen
Questionnements et perspectives pour l’organisation d’un colloque sur ce thème
Après les travaux sur « Le patrimoine : un modèle de développement durable » en 2010-2011 et «
Patrimoine et accessibilité » en 2012-2013, ICOMOS France a inscrit à son programme d’actions une
réflexion sur le thème : “Patrimoine et débats publics” ou comment associer les citoyens aux décisions
concernant la protection des monuments, des sites et des paysages ?
En effet, depuis 2008, l'introduction de l'article 7 de la Charte de l'environnement inscrite dans la
Constitution de la République oblige à la concertation et aux débats avant toute décision publique. La
participation des publics concernés aux décisions modifiant leur environnement est une innovation de
portée considérable pour les maîtres d'ouvrage. C’est ainsi que les nouvelles modalités de mises en oeuvre
de concertation avec la société civile, les citoyens, les usagers, méritent d'être évaluées par rapport à leurs
intentions, à leurs résultats, pour que le patrimoine monumental, urbain, paysager soit l’affaire de tous. Les
premiers travaux menés sur ce sujet de société doivent faire l’objet d’une confrontation d’idées lors du
prochain colloque organisé sur ce thème par ICOMOS France. Différentes expériences, en France comme à
l’étranger, enrichiront cette présentation pour témoigner des avancées méthodologiques et faciliter les
échanges entre participants autour de plusieurs questionnements.
La protection du patrimoine peut-elle être un processus démocratique ?
Une crise inédite de confiance des citoyens envers les institutions, un désabusement devant les prises de
position politique marquent aujourd’hui avec un éloignement croissant entre la démocratie élective et la
démocratie participative, entre le débat parlementaire et l’expression citoyenne véhiculée par les réseaux
sociaux. Face à la montée des revendications et des conflits, il s'agit pour les décideurs publics de chercher
l'adhésion des citoyens concernés, de leur donner la parole pour les entendre, de convaincre plutôt que
d’imposer.
En matière de patrimoine, les débats sont permanents et souvent passionnels. Monuments, sites, paysages
forment notre héritage, notre bien commun, et chacun peut s’exprimer largement, encouragé par
l’efficacité de l’internet et des blogs. Cependant la décision publique reste encore un domaine de sachants,
de commissions de spécialistes au service de l’Etat. L’irruption de la parole citoyenne dans le discours
patrimonial dérange cette légitimité historique acquise en France depuis les lois de 1913 et 1930. Au
moment où les compétences des collectivités locales se trouvent renforcées, comment réduire la distance
entre expressions citoyennes et savoirs d’expert pour des politiques patrimoniales plus et mieux partagées
?
L'obligation de concertation peut-elle renforcer la légitimité de la protection ?
Les débats se traduisent par des formes d'expressions multiples entre acteurs.
Les associations militantes pour la sauvegarde du patrimoine peuvent n’être informées que tardivement
des projets et sont rarement associées à l’amont. Elles se mobilisent en négatif, contre la disparition du
patrimoine, contre la dégradation des sites et des paysages, contre des décisions parfois déjà prises.
Les avis d’expert sont incompréhensibles pour les non-spécialistes. La multiplicité des procédures, le millefeuille des décisions, restent obscurs pour les citoyens et conduisent à une méfiance générale envers les
décideurs. La complexité des sujets porte à controverses, sinon à polémiques. Ces expressions plurielles des
acteurs, entre associations, experts et citoyens, reposent sur des appréciations parfois subjectives et ne
sont pas perçues comme motivées par des arguments scientifiques et techniques indéniables. La loi, les
règles en ce qui concerne le patrimoine sont là insuffisantes, inefficaces pour juger des cas sensibles,
uniques, particuliers à des mémoires, à des histoires, à des identités culturelles. La conclusion se retrouve
alors devant les tribunaux avec des recours contentieux aussi coûteux que lents.
Comment apaiser les conflits et faire prévaloir l’intérêt général ? Comment favoriser la participation des
différentes parties prenantes à la décision de protection des biens patrimoniaux ? Comment associer les
populations locales concernées à la gestion de ces biens, tout particulièrement en ce qui concerne les biens
inscrits sur la Liste du patrimoine mondial ?
Comment répondre à l'obligation de concertation ? De la règle à la pratique
La Charte de l'environnement de valeur constitutionnelle comprend deux articles, les articles 2 et 7, qui
promettent une véritable évolution quant à la participation du public aux décisions dans le domaine de
l'environnement, de l'urbanisme et de l'élaboration de divers documents et par la même en ce qui
concerne les protections patrimoniales.
L'article 2 indique que : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration
de l'environnement »
L'article 7 précise : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi,
d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de
participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».
En effet, l'information sans possibilité de débats tient trop souvent lieu de concertation et l'enquête
publique est trop tardive pour entendre l'expression de différents points de vue. La concertation doit être
mise en oeuvre pour son efficacité dès l'amont des projets. Ainsi, les textes d'application de la Charte, à la
fois dans le Code de l'environnement (article L120-1 du 5 août 2013) et dans le Code de l'urbanisme (article
L 300-2 du 5 janvier 2012), définissent les principes de participation du public à l'élaboration des projets
d'aménagement et les modalités de concertation associant les habitants, les associations locales et les
autres personnes concernées à l'élaboration de certains documents d'urbanisme. Une synthèse des
observations recueillies permet d'établir un bilan de la concertation avant enquête publique, avant toute
décision publique. Ces récentes règles ont été précédées de plusieurs expérimentations volontaristes de la
part de maîtres d'ouvrage pionniers dans ce domaine. Comment éviter les échecs, faire connaître les
réussites ? Comment généraliser les pratiques innovantes et évaluer leurs portées ?
Quelles méthodes et moyens de réussite de la concertation ?
Dans le domaine de la protection et de la gestion du patrimoine, qui décide d'engager une concertation ?
Avec quelles parties prenantes ? Selon quelles méthodes ou modalités pratiques et avec quels moyens ?
Quels sont les avantages ou bénéfices au regard des limites ou insuffisances de la concertation ? Comment
garantir l'indépendance absolue des chargés de la concertation par rapport aux porteurs de projet de
protection patrimoniale, sous peine de manque de crédibilité auprès des publics ? Comment développer la
contre-expertise, mettre à l'étude des solutions alternatives ? Comment mesurer l'efficacité de la
concertation pour les citoyens ? Ces changements de méthodes réclament de nouvelles compétences,
ouvrent à de nouveaux métiers. Comment favoriser ces évolutions ?
Face à ces questionnements, quelles perspectives pour un colloque « Patrimoine et débats
publics : un enjeu citoyen » ?
Il s’agira à la fois de :
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Capitaliser les bonnes pratiques de la concertation encore peu inventoriées dans le
domaine du patrimoine et les faire connaître des acteurs, notamment des collectivités
territoriales, Régions et métropoles ;
Présenter des analyses comparatives entre pays européens ou à l’international, par
exemple entre le Québec et la France, sur la montée en puissance de la règle et
l’institutionnalisation du débat public et de la concertation ;
Identifier les difficultés et obstacles méthodologiques pour s’assurer de la représentativité
des publics et de la mobilisation des « publics absents » ;
Montrer la diversité des objets patrimoniaux : monuments, centres historiques, sites et
paysages urbains et ruraux, face à la spécificité des méthodes de concertation :
référendum, débat public, conférence de citoyens, concertation…
Michèle Tilmont
Architecte-Urbaniste
Administratrice d’ICOMOS France

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