Un feu de camp, un refrain dans le vent

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Un feu de camp, un refrain dans le vent
KEYSTONE
JURA BERNOIS
LE JOURNAL DU JURA / VENDREDI 25 MARS 2011
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TRAMELAN
Le Dylan français à la Marelle dimanche 10 avril
Aujourd’hui, le folk singer
se contente de chanter sa vie
Depuis l’époque glorieuse du Concours hippique national de Tramelan, où il s’était produit
à deux reprises par l’entremise de son ami Yves Piaget, on n’avait plus revu Hugues
Aufray aux Reussilles. Ni à Tramelan, d’ailleurs. Cette lacune sera comblée dimanche 10
avril, à 17h, à la Salle de la Marelle. Réservations dans les BCBE du Jura bernois. /pabr
«Même si on m’a pris pour un doux rêveur, un idéaliste
trop plein de candeur, un cow-boy, un faiseur de pluie, si j’ai
chanté la terre, la mer, le printemps, j’ai chanté les rêves,
les chagrins d’enfants, aujourd’hui, je chante ma vie.»
HUGUES AUFRAY
Un feu de camp, un refrain dans le vent
Depuis toujours, il a fait figure
de jeune homme à côté des
«vieux» chanteurs français de
son âge, Hugues Aufray. A
82 ans, ce cavalier émérite
franchit les écueils de la
mode avec une élégance rare.
Son secret? L’universalité de
ses mots et mélodies, peutêtre. Avant que Tramelan le
retrouve avec émotion, Le JdJ
s’est entretenu avec lui.
donc que l’icône n’est pas encore assez connue et exploitée?
En répondant par l’affirmative à l’autre bout du fil, notre
interlocuteur ajoute qu’il ne se
lassera jamais de little big Bob:
«Dylan est bien vivant et évolue encore par rapport à luimême. Il n’interprète plus ses
chansons comme jadis. Par
contre, ses textes et sa philosophie demeurent inchangés.»
PIERRE-ALAIN BRENZIKOFER
■ Mr. Tambourine man
F
rappée depuis une éternité du syndrome Antoine - Alice Cooper, la
mère du soussigné n’a
jamais aimé les cheveux longs.
«Il n’y a pas à dire, cela vieillit,
glissa-t-elle imprudemment et
récemment en découvrant Hugues Aufray à la TV lors de son
récent passage à l’Auditorium
Stravinsky.» Lâchement, on lui
rétorqua rudement que le
«vieilli» avait 82 ans. L’exorcisme d’années de frustration!
Reste que chez le Bel Hugues, difficile de soupeser le
poids des ans. L’homme déborde de projets, d’énergie! Rêveur, mais néanmoins lucide, il
a eu l’intelligence – et l’élégance – de faciliter la tâche de
ses futurs biographes en livrant, en quelque sorte, son
testament dans la magnifique
chanson parue sur «Hugh» en
2007, «Ensemble, on est moins
seul»: «Quand j’arriverai au
poste frontière le moment
venu de faire l’inventaire de
ma vie, de la regarder droit
dans les yeux (...). Je ne suis
qu’un feu de camp, juste un refrain dans le vent...»
Juste après ça, pourtant, Aufray a décidé de consacrer pour
la troisième fois un disque à
Bob Dylan, avec traduction du
maître américain. Dernier album en date, «New Yorker» a
été publié en 2009. Serait-ce
Pour son apologiste français,
il faut opiniâtrement accorder
à certains artistes le droit
d’évoluer au cœur de leur système. Comme à Picasso, par
exemple. «Dès lors, ceux qui ne
suivent plus Dylan sont ceux
qui ne l’ont pas compris au début. Et pour l’artiste, l’évolution est naturelle, mais tous ne
parviennent pas à l’escorter
jusqu’au bout. Nombreux sont
ceux qui dépriment quand ils
ne retrouvent pas l’idole de
leur jeunesse, avec ses longs
cheveux et son beau visage.»
Chez Hugues, c’est tout le
contraire: «Dylan est meilleur
que jamais, mais on ne lui reconnaît pas le droit d’évoluer.»
Toujours est-il qu’en l’adaptant et le traduisant pour la
troisième fois, notre interlocuteur s’est mis dans la peau dupetit Français qui doit se la
jouer modeste: «Je ne puis que
faire découvrir le côté standard
et passe-partout de l’artiste. Le
traduire parce que les Français
ne parlent pas l’anglais. Bref, je
mets Dylan à la portée du populaire. Et j’accepte les critiques. J’affadis, j’embourgeoise.
Mais quand je reprends «Don’t
think twice, it’s all right» avec
Carla Bruni, qui prendrait au
sérieux cette chanson de rupture, alors que ma partenaire
est la femme du président?»
On ferme la parenthèse Dylan? Récemment, les Suisses
ont eu la chance d’applaudir
ou de découvrir à la télé le fantastique spectacle d’Hugues à
Montreux, avec une chorale de
200 enfants vaudois et valaisans. Document rare, à en
croire l’artiste: «Ma carrière
consiste en un mélange de succès et de chance, de malchance
et d’insuccès aussi. J’ai eu des
ratages, parfois par manque de
temps et de moyens. Ainsi, des
trucs exceptionnels n’ont jamais été filmés.»
On le sent en effet mélancolique, le chanteur, quand il
avoue qu’il lui faudra léguer
une carrière où les images sont
plutôt rares. «J’aurais peut-être
mérité de grands photographes. Mais Tony Frank s’en est
allé pour rejoindre Johnny
Hallyday.»
Le cinéma? Il y a bien eu ce
projet avec Brigitte Bardot.
Mais notre homme s’est cassé
après deux jours parce qu’il
voulait justement casser la
gueule à Henri-Georges Clouzot, le réalisateur. Regrets?
«Même les mauvais films de
Johnny restent des témoignages. Et moi qui n’ai jamais
tourné en Allemagne, où j’étais
trè populaire, ni en Amérique
du Sud alors que je parle parfaitement l’espagnol!»
■ Pas à cause des profs
Oui, le concert filmé de
Montreux est pour lui une première. Pourtant, Hugues Aufray continue à être chanté
dans toutes les écoles. Faut-il
pour ça remercier les profs qui
n’auraient
jamais
oublié
«Adieu M. le professeur», composé en plein Mai 68?
Eh bien, à notre grand étonnement, l’interpellé assure ne
rien leur devoir: «C’était déjà
comme ça avant. Dans les années 60, j’étais le chanteur de
toutes les collectivités de jeunesse, qu’elles soient protestan-
HUGUES AUFRAY Lors d’un tout récent passage à Paléo. L’archétype de l’idole exemplaire?
tes, juives, catholiques ou laïques. J’allais dans les colos. Et
puis, toutes les écoles qui portent mon nom ont fait ce choix
suite à un vote démocratique.»
Sous-entendu: les enfants devaient désigner leur chanteur
favori. Quand Hugues l’emportait, il acceptait de donner
son nom. «Vous voyez que ce
ne sont pas les profs qui choisissaient. Pour l’anecdote,
Pierre Perret n’a jamais chanté
Pour le protest singer, toujours des raisons de protester
Le protest singer que vous êtes trouve-t-il
toujours des motifs de protester?
Peu de raisons d’espérer, alors?
Même si le coq ne fait pas se lever le
soleil en chantant, il chante. Alors, que le
chanteur qui chante la justice sans la faire
progresser continue de chanter! Ce n’est
pas un mal.
Evidemment! L’autre jour, un type a
trouvé une fortune en euros, l’a rapportée
à son proprio qui lui en a offert cinq! Là,
on a envie de prendre une grenade. Les
parachutes dorés me révoltent tout autant.
Au fait, vous avez retrouvé une maison de
disques...
Résigné?
Je ne crois plus en la gauche ni en la
droite comme systèmes. Entre le
capitalisme individuel et celui d’Etat, c’est
bonnet blanc et blanc bonnet. Moi,
j’aimerais qu’on introduise de la morale
dans ces doctrines. Si les communistes
en avaient eu, ils ne se seraient pas
effondrés. Et si les capitalistes en avaient,
il n’y aurait pas de traders.
Si j’ai travaillé 25 ans en solitaire, c’est
aussi parce que je l’ai voulu. Mais je n’ai
jamais été abandonné par le public. Et j’ai
eu un mécène qui s’appelle Yves Piaget.
Et à quel show doit-on s’attendre à
Tramelan?
A TRAMELAN Un spectacle intimiste.
(KEY)
L’artiste, dans tout ça?
Sur scène, je fais de la morale. Je
m’attaque aux gens qui vivent sans tenir
compte de cette morale inspirée par
l’humanisme. Mais il ne faut pas être naïf.
Quand je vois tous ces intellectuels qui,
après 14-18, croyaient qu’il suffirait d’être
pacifiste pour éviter Munich! Les
intellectuels se trompent toujours.
Une petite formule à quatre guitares,
unplugged. Encore que dans cet
aphorisme, toutes les grattes sont
branchées sur des amplis. Quant au
répertoire que je proposerai, il sera censé
inspirer la paix, la sérénité et le calme.
Oui, quelque chose de différent par
rapport à ce que j’ai offert à Paléo. /pabr
dans les colonies de vacances.»
Même les jolies...
■ Au revoir, adieu?
A part ça, et alors qu’il reprend la route pour la énième
fois, on ose supposer qu’il ne
nous fera jamais le coup de la
tournée d’adieux. Il préférerait
en effet éviter la formule,
même si ça pourrait le concerner dans deux ans. «Je ne parlerais alors pas de retraite, mais
de changement de formule.
Des concerts originaux, des
spectacles avec les chevaux, davantage d’émissions TV.» Sans
forcément se priver du plaisir
commercial de la tournée
d’adieux? «Voyez Johnny! Il se
débrouille pour dénicher un
scandale chaque mois. HubertFélix Thiéfaine, c’est le contraire. Il s’est fabriqué une
image de chanteur maudit et il
y tient. Comme Jean Ferrat:
pourtant, c’est un mensonge
historique que de prétendre
qu’il a été interdit de télé. Mais
il faut se forger une identité...»
Hugues Aufray, lui, ne se
veut ni provocateur, ni Voici
ou Gala: «Néanmoins, il faut
être prudent quand on tourne
beaucoup comme moi. Eddy
Mitchell a rempli sa tournée
d’adieux. Moi, comme je
m’adresse à des enfants, j’opterai plus pour une tournée d’au
revoir que d’adieux. L’idée de
la mort leur déplairait.»
Et quand on est proche de la
(KEYSTONE)
nature, on est sensibilisé par le
drame japonais? «Vous savez,
je ne suis jamais négatif. Tout
le monde, d’ailleurs, n’évolue
que par les expériences négatives. Et d’une négation apparaît
toujours une leçon. Le Japon
constitue déjà un net progrès
par rapport à Tchernobyl. Hélas, les gens voudraient un
monde au risque zéro. Ça n’arrivera jamais! Si l’homme veut
quitter la Terre pour visiter
l’espace, il a encore beaucoup
de progrès techniques à réaliser. Il devra se muer en surhomme. Personnellement, je
crois au surhomme. Comme à
l’homme des cavernes! José
Bové en est un. Mais c’est surtout un escroc qui prend
l’avion et possède un natel.»
■ Allègre, ce surhomme
Et le surhomme? Tiens, notre homme cite l’ancien ministre Claude Allègre, «qui a compris le monde de demain, recherche la vérité scientifique et
non le mensonge. Personnellement, quand je m’enorgueillis
des œufs bio produits dans ma
ferme, je suis un petit escroc: je
rentre à Paris en TGV.»
Un dernier passage au Japon? «C’est très triste, ces
morts. Mais il y en a eu 20 000,
pas 300 000. Il y a 50 ans, un
désastre similaire se serait
soldé par 300 000 décès.»
Allez le faire comprendre à
certains... /PABR