SANTE SEXUELLE DES GAYS ET VIH/SIDA AU TOGO

Transcription

SANTE SEXUELLE DES GAYS ET VIH/SIDA AU TOGO
Université de Lomé
UNITE DE RECHERCHE DEMOGRAPHIQUE
(URD)
BP 12971 – Tél. : (228) 221-17-21 - Fax : (228) 222-08-89
E-mail : [email protected]
http://www.urd-lome.org
Lomé – TOGO
SANTE SEXUELLE DES GAYS ET
VIH/SIDA AU TOGO
Rapport de Recherche
(Version provisoire)
Lomé, Juillet 2006
Financement
Population Services International
(PSI)
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
Citation recommandée :
URD (2006) - Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo, Rapport de Recherche, Lomé, URD,
34 p.
2
SOMMAIRE
SIGLES ET ABREVIATIONS....................................................................................................... 5
REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... 6
RESUME EXECUTIF..................................................................................................................... 7
INTRODUCTION ......................................................................................................................... 10
I- PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE
L’ETUDE........................................................................................................................................ 10
1- 1- PROBLEMATIQUE ........................................................................................................... 10
1-2- JUSTIFICATION DE L’ETUDE......................................................................................... 12
1.3. OBJECTIFS DE L’ETUDE.................................................................................................. 13
1.3.1- Objectif général ............................................................................................................. 13
1.3.2- Objectifs spécifiques...................................................................................................... 13
1-4- PORTEE SANITAIRE ET SOCIALE DE L’ETUDE......................................................... 13
1.5- DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE L’ETUDE......................................................... 13
1.5.1- Présentation du champ et de la population de l’étude ................................................... 13
1.5.2- Méthode et techniques de collecte des informations ..................................................... 14
1.5.3- Organisation et déroulement de l’étude......................................................................... 15
1.5.4- Limites de la méthodologie utilisée............................................................................... 17
II. RESULTATS DE L’ETUDE ................................................................................................... 18
2-1- FONDEMENTS HISTORIQUES ET SOCIO-CULTURELS DU PHENOMENE DE
L’HOMOSEXUALITE AU TOGO............................................................................................. 18
2-1-1- Contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité ................................. 18
2.1.2- Evolution des pratiques et de la population homosexuelles : rites, mythes et catégories
démographiques ....................................................................................................................... 20
2.2- GAYS DANS LA SOCIETE TOGOLAISE ACTUELLE................................................... 22
2.2.1- Profils socio-démographiques des gays et signes d’identification ................................ 22
2.2.2- Structures d’organisation et de pouvoir......................................................................... 24
2.2.3- Perceptions sociales, auto perceptions des gays et considérations juridiques............... 26
2.3- CONNAISSANCE DES GAYS EN MATIERE DES IST/VIH/SIDA................................ 28
2.3.1- Connaissance des IST.................................................................................................... 29
2.3.2. Connaissance du VIH/SIDA .......................................................................................... 29
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
4
2.4- COMPORTEMENTS SEXUELS DES GAYS ET LEURS RISQUES DE
VULNERABILITE...................................................................................................................... 31
2.4.1. Age et circonstances du premier rapport homosexuel ................................................... 31
2.4.2- Différents modes de la pratique homosexuelle..................... Erreur ! Signet non défini.
2.4.3. Partenariat sexuel ........................................................................................................... 32
2.4.4- Utilisation du préservatif ............................................................................................... 33
2.4.5- Différentes maladies dans la communauté gay et leur prise en charge ......................... 34
2.5- SUGGESTIONS DES GAYS EN SANTE SEXUELLE ET EN STRATEGIES DE LEUR
MISE EN ŒUVRE ...................................................................................................................... 35
2.5.1- En matière d’accès à l’information................................................................................ 36
2.5.2- En matière de mise à disposition des produits............................................................... 37
2.5.3- En matière de prise en charge........................................................................................ 38
2.5.4- En matière de counseling............................................................................................... 38
2.5.5- Autres suggestions......................................................................................................... 39
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ............................................................................ 40
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES .................................................................................... 44
ANNEXES ...................................................................................................................................... 44
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
SIGLES ET ABREVIATIONS
ATBEF
:
Association Togolaise pour le Bien –Être Familial
CCC
:
Communication pour le Changement de Comportement
IST
:
Infections Sexuellement transmissibles
OMS
:
Organisation Mondiale de la Santé
ONG
:
Organisation Non Gouvernementale
ONUSIDA
:
Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA
PSI
:
Population Services International
SIDA
:
Syndrome de l’Immunodéficience Acquise
URD
:
Unité de Recherche Démographique
VIH
:
Virus de l’Immunodéficience Humaine
5
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
6
REMERCIEMENTS
Au terme de cette étude, l’équipe d’exécution coordonnée par l’Unité de Recherche
Démographique (URD) de l’Université de Lomé, tient à adresser ses sincères remerciements aux
Institutions et Personnes suivantes :
•
Population Services International (PSI) pour la confiance faite à l’URD dans la réalisation
de cette étude mais aussi pour son soutien financier et ses conseils techniques à certaines
phases du projet ;
•
Le Personnel de l’Administration et des Finances, les Chercheurs, le Personnel de la
Documentation et le Personnel du Soutien Logistique de l’URD, pour leur contribution à la
réalisation de cette étude ;
•
Les facilitateurs, les enquêteurs, les agents de saisie et l’informaticien qui ont travaillé
d’arrache-pied pour que les données soient collectées et mises en forme à temps pour la
rédaction du rapport ;
•
Les gays et les personnes âgées des différentes localités visitées, qui ont accepté de
participer et de collaborer directement ou indirectement à la collecte des informations très
enrichissantes qui, contribueront à l’amélioration de la santé sexuelle des gays et par
ricochet, à la réduction de la propagation de la pandémie du VIH/SIDA au Togo.
A tous, merci.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
7
RESUME EXECUTIF
L’étude sur les homosexuels au Togo menée par l’URD, avec l’appui technique et financier de
PSI-Togo (Population Services International), a pour but de mettre à la disposition du
Gouvernement togolais et des Responsables de Programmes de Santé de la Reproduction (SR), des
informations fiables pour la lutte contre le VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels
hommes (gays). De façon plus spécifique, cette étude vise à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
Pour ce faire, une démarche essentiellement qualitative basée sur l’approche « ethnographie par
les pairs » 1 a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre de cette approche, des
entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés auprès de 122 gays et une vingtaine de
personnes âgées. L’étude a été principalement réalisée à Lomé et ses environs, mais aussi dans
trois villes de l’intérieur du Togo (Aného, Kpalimé et Kara). Les données ont été enregistrées sur
cassettes et retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH.
L’ensemble de l’étude a duré quatre mois (du 01 avril au 31 juillet 2006).
D’une façon générale, les sociétés togolaises désapprouvent d’autant plus fortement
l’homosexualité que le mariage hétérosexuel reste sacré pour la procréation. De ce fait, les gays
ont été unanimes à déclarer que la société les rejette. Or, pour ceux-ci, l’homosexualité est innée et
tout individu ayant ce penchant finira un jour ou l’autre par se découvrir gay.
Du fait donc de l’ostracisme dont ils font l’objet, les gays s’organisent en réseaux dont certains
sont structurés et fonctionnent comme de véritables associations ayant à leur tête un bureau
comprenant un président, un secrétaire et un trésorier alors que d’autres optent pour une gestion
collégiale des affaires. Dans un cas comme dans l’autre, les médias et l’Internet jouent un rôle
important dans la circulation d’informations entre les gays.
L’âge moyen aux premiers rapports homosexuels est de 17,6 ans. Le partenaire au premier rapport
homosexuel est dans la majorité des cas un ami ou un membre du cercle familial (oncle, cousin,
frère, etc.). Ces premières expériences, généralement consentantes, sont dictées par l’attirance
sentimentale ou physique et ont lieu sur initiative du partenaire.
Les gays se répartissent en quatre catégories : les ‘passifs’, les ‘actifs’, les ‘versatiles’ et les
bisexuels. Les passifs sont des gays qui affichent des maniérismes féminins (démarches
ondulantes, tresses, tenues moulantes, dépigmentation de la peau, geste des mains, etc.). Les actifs
sont ceux qui jouent le rôle de partenaires masculins des passifs. Les versatiles sont des gays qui
1
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes. Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la
collaboration de CARE International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des
Adolescents à Lusaka.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
8
par moment peuvent être passifs ou actifs alors que les bisexuels ont des rapports sexuels avec des
hommes et des femmes.
La connaissance des gays en matière d’IST a été évaluée à partir de l’approche syndromique. Il
ressort des résultats qu’un gay sur quatre ne connait aucun symptôme d’IST ou confond ces
symptômes avec ceux d’autres maladies. Pour les autres, la connaissance des IST n’est pas
parfaite. En cas d’infection aux IST, les gays hésitent à rechercher les soins auprès d’un personnel
de santé par peur ou par honte de se faire découvrir. Aussi, la plupart se soignent par
automédication ou renoncent carrément à se faire traiter.
Presque tous les 122 gays interrogés savent que le VIH/SIDA peut être contracté par voie sexuelle
et par l’utilisation d’objets tranchants. Environ 9 gays sur 10 ont cité le condom comme moyen de
prévention contre le VIH/SIDA, même si la majorité d’entre eux (79%) ne l’utilisent pas
systématiquement lors des rapports sexuels. Les raisons évoquées pour la non utilisation
systématique du préservatif sont l’ignorance (les gays pensent que c’est seulement par les rapports
hétérosexuels qu’on court le risque d’attraper le VIH/SIDA), la diminution du plaisir, la confiance
faite au partenaire, le refus du partenaire, l’effet de psychotropes (alcool, drogues, etc.), le coût des
préservatifs propres aux gays, etc. Environ la moitié des gays enquêtés (51%) disent avoir fait leur
test de dépistage du VIH/SIDA mais le quart (24%) de ceux qui ont fait ce test ne sont pas allés
chercher leur résultat par peur de découvrir leur statut sérologique.
En vue d’améliorer leurs connaissances sur les IST/VIH/SIDA et leur santé sexuelle, les gays
suggèrent troix axes d’actions au profit de leur communauté : des actions d’éducation et
d’information, des actions de mise à disposition de produits et des actions de prise en charge de
leurs problèmes de santé sexuelle.
En matière d’éducation et d’information
Les gays affirment ne pas se reconnaître dans les campagnes et publicités qui passent souvent sur
les médias et qui sont surtout destinées aux hétérosexuels. Aussi, proposent-ils d’avoir des
informations fiables sur :
o
o
o
o
o
o
Les comportements à risques (multi partenariat, non protection, etc.) ;
L’utilisation des préservatifs ;
Le dépistage volontaire ;
Les produits (gel, condoms, pommades, etc.) et leur utilisation ;
Les IST/VIH/SIDA (Modes de contamination des IST, risques d’infection au VIH/SIDA,
moyens de protection, de traitement, etc.) ;
Les risques encourus à travers les différentes formes de sexualité.
En matière de mise à disposition des produits
La plupart des gays ont évoqué d’énormes difficultés à accéder aux produits dont ils ont besoin tels
que les préservatifs, les lubrifiants et les gels adaptés à leur pratique sexuelle. Leur non accès à ces
produits est cause de douleurs lors des rapports sexuels et accroît leurs risques de vulnérabilité aux
IST/VIH/SIDA. Face à ces difficultés, les gays proposent la mise à disposition de ces produits à
des prix abordables.
En matière de prise en charge des problèmes de santé sexuelle
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
9
Les gays disent être confrontés à des problèmes de santé sans pouvoir accéder aux soins appropriés
par peur d’être découverts ou par crainte de stigmatisation de la part du personnel de santé. Aussi,
proposent-ils les actions suivantes :
o
o
o
o
La création d’ONG ou d’associations de prise en charge des gays atteints du VIH/SIDA ;
La création des services pour gays dans les formations sanitaires existantes ;
La formation et la sensibilisation du personnel de santé aux services spécifiques à fournir
aux gays ;
La promotion de programmes de santé sexuelle spécifiques.
Pour la mise en œuvre de ces actions, les gays suggèrent les stratégies suivantes :
A court terme, utiliser les réseaux gays pour :
o
o
o
o
o
Identifier les gays à former comme pairs éducateurs ;
Informer les gays à l’occasion des différentes manifestations qu’ils organisent ;
Sensibiliser les gays par l’intermédiaire des pairs éducateurs gays ;
Créer un circuit de distribution de produits (les lubrifiants, les gels, les préservatifs,
etc.) par les pairs éducateurs gays ou par les centres d’accueil gays ;
Créer un centre d’écoute psychologique pour les déprimés (gays).
A court terme, utiliser les endroits fréquentés par les gays (boîtes de nuit, discothèques, etc.) pour
l’affichage des panneaux d’information et de sensibilisation (de type CCC).
A moyen ou long termes, utiliser les canaux ou structures existants pour :
o
o
o
Sensibiliser les gays au même titre que les hétérosexuels (émissions radio et télé,
panneaux d’information et d’éducation) ;
Créer un centre de documentation et de fourniture de revues spécialisées ;
Mettre à disposition des produits pour gays dans les formations sanitaires,
pharmacies ordinaires, fournisseurs agréés, etc.
Autres suggestions
En marge des suggestions portant spécifiquement sur leur santé sexuelle, les gays ont proposé
d’autres actions dont les principales sont :
o
o
La reconnaissance officielle de l’homosexualité au Togo ;
L’initiation de débats sur le droit à la sexualité et la sensibilisation du grand public à
travers les médias.
Au total, l’étude a permis de connaître les problèmes de santé des gays et leurs suggestions de
solutions. Cependant, ces problèmes et suggestions restent circonscris aux homosexuels hommes.
Ces réalités sont-elles les mêmes dans la communauté homosexuelle femme ? En d’autres termes,
les membres de cette communauté sont-ils soumis à la même vulnérabilité aux IST/VIH/SIDA que
les gays ? C’est autant de questions qui devraient interpeller les intervenants dans la lutte contre le
VIH/SIDA et qui méritent qu’on entreprenne une étude d’envergure nationale sur l’homosexualité
(gays et lesbiennes) aussi bien dans les milieux urbains que ruraux.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
10
INTRODUCTION
Le VIH/SIDA constitue aujourd’hui, et certainement pour longtemps encore, une des
préoccupations majeures des communautés médicales, scientifiques, politiques et sociales. Et pour
cause, la vulnérabilité à laquelle elle expose les populations, la rapide progression de sa contagion,
l’absence de vaccins et de thérapies pour l’endiguer, son effet sur l’intégrité physique et morale
des personnes malades, bouleversent des vies et des familles au point que le VIH/SIDA est devenu
un réel problème de santé publique. Les programmes de prévention et de sensibilisation pour
l’adoption des comportements sexuels sains, restent les seuls moyens de lutte à une échelle large.
C’est pourquoi, ces programmes de communication en vue d’un Changement de Comportement
(CCC) doivent absolument toucher toutes les catégories de la population et toutes les localités.
Malheureusement, l’accessibilité de l’ensemble des groupes sociaux à ces programmes pose
problème à cause du caractère sectaire ou clandestin de certains groupes, notamment les
homosexuels. L’homosexualité est cette forme d’inclinaison sexuelle qui conduit un individu
(masculin ou féminin) à avoir des rapports sexuels avec une personne de même sexe. Ainsi, une
femme qui a des penchants sexuels ou intimes envers une autre femme est appelée ‘’gouine’’ ou
‘’lesbienne’’ ; de même un homme qui a des rapports sexuels avec un autre homme est appelé
‘’pédé’’ ou ‘’gay’’. Dans les deux cas de figure il y a ‘’homosexualité’’. Or, des études ont mis en
évidence une prévalence du VIH/SIDA très élevée dans cette communauté (ONUSIDA, 2000 ;
Niang, Cheikh Ibrahima et al., 2002 ; Djonoukou, 2003 ; etc.). Dans le cadre de la lutte contre les
IST/VIH/SIDA, un accent particulier doit être mis sur les groupes à haut risque. D’où la nécessité
d’approfondir les connaissances sur le groupe des homosexuels.
Cette évidence est partagée par PSI-TOGO et constitue l’une de ses préoccupations essentielles,
notamment à travers son programme, ¨Réduire les écarts : une approche intégrée de lutte contre le
VIH/SIDA¨.
La présente étude commanditée à cet effet, a pour but de mieux connaître la communauté
homosexuelle au Togo, d’évaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST/VIH/SIDA
et de recueillir les suggestions d’actions à mener dans cette communauté. Les résultats de cette
étude permettront de concevoir des axes de communication, d’information et d’éducation sur les
IST/VIH/SIDA au service de cette communauté pour une amélioration de la santé sexuelle de ses
membres.
Le présent rapport s’articule autour de deux parties : i) la première, présente la problématique, les
objectifs et la démarche méthodologique de l’étude ; ii) la deuxième expose les résultats à savoir :
les fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité au Togo, ses structures et son
organisation, le niveau de connaissance en matière des IST/VIH/SIDA et les comportements
sexuels des gays, les suggestions recueillies auprès de ces communautés pour l’amélioration de
leur santé sexuelle.
I - PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE
L’ETUDE
1-1 - PROBLEMATIQUE
La sexualité, quelque soit son orientation, est un élément essentiel dans la vie des jeunes et des
adultes qui ont tous le droit de la vivre sans être jugés, persécutés ou discriminés. Selon l’OMS, la
santé sexuelle est « un état de bien-être physique, affectif, psychologique et social lié à la
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
11
sexualité, et pas seulement comme l’absence de maladies, de dysfonctionnement ou d’infirmité »
(Picavet et Reiders, 2006). Elle implique une conception de la sexualité qui soit positive et fondée
sur le respect ainsi que sur la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sans
risques, à l’abri de toutes contraintes, discriminations ou violences.
Mais, aujourd’hui, cette sexualité est sujette à de nombreux risques de maladies dont le sida.
D’après le Rapport de l’ONUSIDA (2005), le nombre de nouvelles infections tend à s’accentuer
particulièrement en Afrique au Sud du Sahara où le nombre de personnes vivant avec le VIH est
passé de 3 millions en 2003 à 3,2 millions en 2005. Il importe que des efforts soient
perpétuellement déployés afin d’infléchir cette courbe de croissance exponentielle. Il faut donc,
non seulement poursuivre les programmes de prévention en IST/VIH/SIDA déjà amorcés, mais
aussi et surtout inventer de nouvelles réponses en prenant en compte les groupes spécifiques ou à
haut risque comme les migrants, les consommateurs de drogue et les homosexuels.
La problématique de l’homosexualité en rapport avec les IST/VIH/SIDA révèle des situations
assez complexes et assez graves dans la plupart des sociétés. En effet, l’homosexualité existe dans
la plupart des sociétés et présente un risque très élevé de transmission du VIH/SIDA dans la
mesure où le rapport sexuel est en fait un rapport anal avec pénétration.
Les homosexuels qui constituent un des groupes les plus vulnérables en matière d’IST/VIH/SIDA
sont oubliés dans les efforts d’amélioration de la santé sexuelle et des politiques visant à la
réduction de la propagation de la maladie. Or, selon l’ONUSIDA (2000), « les rapports sexuels
entre hommes existent dans la plupart des sociétés. C’est une réalité que la société réprouve
souvent, pour des raisons culturelles. La visibilité publique de la sexualité entre hommes varie
donc considérablement d’un pays à l’autre. La sexualité entre hommes englobe fréquemment le
rapport anal, qui comporte un risque très élevé de transmission du VIH pour le partenaire passif
(celui qui est pénétré) et un risque important bien que moindre, pour le partenaire actif (celui qui
pénètre) ».
Dans le contexte africain, la question de l’existence des gays rencontre généralement une hostilité
farouche (McKenna, 1996, cité par Niang Cheikh Ibrahima, 2002). Comparée à d’autres régions du
monde, l’Afrique a le plus bas niveau dans la prise de conscience et dans la communication au
sujet de l’homosexualité. 55 % des pays africains possèdent des lois contre les gays (McKenna,
1996, id.).
Les programmes de prévention du VIH/SIDA destinés aux homosexuels, d’après le rapport de
l’ONUSIDA 2 , rencontrent des difficultés de toute nature en Afrique. Il y a : i) l’insuffisance ou la
faible fiabilité des données épidémiologiques sur la transmission du virus entre homosexuels ; ii) la
méconnaissance ou la non visibilité de l’homosexualité et la difficulté de l’accès à cette population
considérée comme marginale ; iii) l’extension de cette pratique sexuelle à toutes les catégories
socio-démographiques (jeunes, élèves-étudiants, femmes-filles, toxicomanes) qui la rend de plus
en plus normale voire banale ; iv) le refus, dans les sociétés, d’accepter cette sexualité, voire
d’admettre son existence ; v) la stigmatisation et la criminalisation de l’homosexualité qui
expliquent largement cette marginalisation. L’illustration suivante montre bien les violences faites
aux gays au Ghana :
« In Ghana, male homosexuality is lumped in with bestiality, and gay activity brings
misdemeanor charges at minimum. The police have been known to arrest gay men,
rape them, and let them go. Last year in august, four young men were convicted
2
ONUSIDA, 2000, Le SIDA et les rapports sexuels entre les hommes : Actualisation ONUSIDA
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
12
of”indecent exposure” and”unnatural carnal knowledge” and sentenced to two
years each in prison”.
PSI/Togo s’intéresse aussi légitimement à toutes ces préoccupations, dans la mesure où l’ampleur
du phénomène est mal connue au Togo. Or, plusieurs études ont attesté de l’existence de
l’homosexualité dans le pays (Sallah, 1996 ; Acolatsé, 2001 ; Djonoukou, 2003). Ce phénomène
mériterait donc d’être cerné dans toutes ses dimensions : épidémiologiques, ethnologiques,
sociologiques, démographiques, gnoséologiques et comportementales.
Aussi, nous posons-nous les questions suivantes :
i)
ii)
iii)
iv)
v)
vi)
Quels sont les fondements historiques, ethnologiques, sociologiques,
démographiques et géographiques du phénomène de l’homosexualité au Togo ?
Comment les populations togolaises perçoivent cette orientation sexuelle et ceux
qui s’y adonnent ?
Quels sont les modes de vie et leur organisation quotidienne, les comportements
particuliers, les enjeux et valeurs, propres aux populations homosexuelles ?
Quelles sont leurs pratiques sexuelles et quel sens donnent-elles particulièrement à
leur sexualité ?
Quel est le niveau de leur connaissance sur les IST/VIH/SIDA et quels sont les
contours de la situation épidémiologique de ces infections dans ces populations ?
Quelles sont les stratégies, en termes de CCC, qui pourraient émerger de ces
milieux et servir de base d’une lutte plus systématique contre le SIDA dans les
mêmes milieux ?
1-2 - JUSTIFICATION DE L’ETUDE
Au Togo, le VIH/SIDA touche principalement la population productive dont 81,5% sont de la
tranche d’âges 19-49 ans. Le nombre de personnes vivant avec le VIH varie actuellement entre 150
000 et 200 000. La rapidité de l’évolution de l’épidémie est très préoccupante. Les estimations
établies à la fin de 2000 indiquent que le Togo compte plus de 95000 orphelins du VIH/SIDA, sans
compter les veuves et les veufs de la pandémie (PNLS-Togo, 2001).
De ce fait, les programmes de prévention du VIH s’adressant aux homosexuels se révèlent d’une
importance cruciale. De part les tabous qui entourent le phénomène, il s’agit d’une population
particulièrement difficile à toucher, de par sa tendance à s’isoler et de par la tendance des autres
populations à la criminaliser et à la marginaliser.
Il y a surtout, l’insuffisance de connaissances, aussi bien démographiques, sociologiques,
historiques qu’épidémiologiques, relatives aux IST/VIH/SIDA chez les homosexuels, qui entrave
la lutte contre cette infection dans ces milieux. L’étude aura à livrer des éléments d’appréciation
sur les connaissances et les pratiques de ces personnes en matière des IST/VIH/SIDA et à évaluer
chez elles la perception ou le degré de la prise de conscience des risques et des facteurs de
vulnérabilité liés à cette forme d’orientation sexuelle.
PSI-Togo, à travers son programme dénommé « réduire les écarts : une approche intégrée de lutte
contre le VIH/SIDA », a l’intention de concevoir un projet de communication pour l’adoption des
comportements sexuels sains chez les homosexuels. Ainsi, afin de mieux définir les axes de
communication de ce projet et de développer un programme à l’endroit des homosexuels, il
importe de connaître les contours de ce phénomène au Togo.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
13
1.3 - OBJECTIFS DE L’ETUDE
1.3.1 - Objectif général
L’objectif général de cette étude est de mettre à la disposition du gouvernement togolais, des ONG
(nationales et internationales) et des responsables de programmes, des informations fiables pour la
lutte contre les IST/VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels.
1.3.2 - Objectifs spécifiques
De façon plus spécifique, l’étude vise dans l’immédiat à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
1.4 - PORTEE SOCIALE DE L’ETUDE
Les résultats de cette étude vont déboucher sur des actions qui vont permettre une meilleure
connaissance des IST/VIH/SIDA par les gays et, par conséquent, l’adoption de meilleurs
comportements sexuels. Ces résultats devraient par ailleurs permettre de leur fournir des services
adaptés pour l’amélioration de leur santé sexuelle.
1.5 - DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE L’ETUDE
Pour atteindre les résultats escomptés, une démarche essentiellement qualitative basée sur
l’approche « ethnographie par les pairs » a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre
de cette approche, des entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés. Cette partie du
rapport présente le champ et la population d’étude, l’approche et les techniques de collecte, le
déroulement de l’étude et les limites de la méthodologie.
1.5.1 - Présentation du champ et de la population de l’étude
Les localités couvertes par l’étude sont Lomé, Kara, Kpalimé et Aného. La population cible est
composée d’homosexuels de sexe masculin, communément appelés gays. Au total, cent vingt deux
(122) gays dont l’âge varie entre 17 et 56 ans ont été interviewés. La plupart de ces gays sont
célibataires (85%). Si les gays enquêtés sont principalement togolais (89%), le groupe compte
également d’autres africains (8,5%) et des expatriés (2,5%). Ils ont un niveau d’instruction
relativement élevé (78% ont le niveau secondaire ou plus). Ils travaillent généralement dans le
domaine de la mode (stylistes, couturiers, coiffeurs, esthéticiens).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
14
1.5.2 – Approche et techniques de collecte des informations
Compte tenu de la délicatesse du sujet, l’approche « ethnographie par les pairs » de Hawkins et
Price a été retenue pour cette étude. Dans le cadre de cette approche, deux techniques de collecte
de données (focus groups et entretiens individuels approfondis) ont été utilisés.
•
L’approche « Ethnographie par les Pairs » de Hawkins et Price
Kirstan Hawkins et Neil Price ont conçu cet outil pour assister les agences de développement
travaillant dans les pays pauvres à renforcer leurs capacités d’intervention en matière de santé
sexuelle et reproductive des populations marginalisées 3 . Selon ces auteurs, le but de cette approche
est de produire des données qui permettent aux programmes de « comprendre et de développer la
santé sexuelle du point de vue des communautés elles-mêmes ». Il permet, par ailleurs, d’identifier
les groupes « marginalisés », « vulnérables » et « exclus » et de mettre en place les stratégies pour
les atteindre. Le principe de cette approche reste la démarche participative, à travers le dialogue et
les échanges que suscitent les « pairs chercheurs » au sein de leurs réseaux. Les informations
recueillies grâce à cette approche sont ensuite restituées par les pairs au programme.
Concernant la présente étude, l’ethnographie par les pairs homosexuels a consisté en des entretiens
individuels et discussions de groupe. Vingt (20) pairs homosexuels ont d’abord été identifiés et
ensuite chargés, après des sessions de formation, de rencontrer d’autres gays. Ceux-ci sont
généralement les membres de leurs réseaux 4 . Après plusieurs séances d’entretien, les restitutions
ont eu lieu, presque quotidiennement, sur chaque site d’enquête.
•
Les techniques de collecte
o
Les Focus Groups
Cette technique, encore appelée « discussion de groupe », a été utilisée avec les pairs homosexuels
en prélude à leurs sessions de formation. Les informations recueillies au cours de ces discussions
ont constitué un test des matériaux de collecte préalablement élaborés. Elles ont également permis
de recueillir de nouvelles idées pour enrichir les canevas d’entretiens individuels.
Les sujets de discussions des guides d’entretien ont porté sur la connaissance des fondements
socio-culturels de l’homosexualité, les modes d’organisation des homosexuels et leurs suggestions
en matière de santé sexuelle (cf. annexe…).
o
Les entretiens individuels approfondis
Ils ont été réalisés d’abord avec les pairs par l’équipe technique. Ensuite, les pairs les ont conduits
auprès des membres de leurs réseaux respectifs. Dans les deux cas, les entretiens ont porté sur les
3
4
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes.
Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la collaboration de CARE
International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des Adolescents à Lusaka.
Mais, précisent les auteurs, il peut s’appliquer à toute catégorie démographique et à tout programme de
santé sexuelle et reproductive.
Les réseaux peuvent être formels ou informels. Dans ce dernier cas, il s’agit des groupes d’amis sans aucune
organisation.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
15
sujets tels que : le comportement sexuel, les connaissances en matière d’IST/VIH/SIDA, les
suggestions en matière d’amélioration de la santé sexuelle (cf. annexe…).
Afin de mieux documenter les fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité, son
évolution et les discours ou représentations qu’elle suscite dans la société, des entretiens
individuels approfondis complémentaires ont été menés par l’équipe technique auprès d’une
dizaine de personnes âgées (cf. annexe…).
1.5.3 - Organisation et déroulement de l’étude
L’organisation pratique de cette étude a nécessité plusieurs étapes, telles que :
-
Les réunions techniques préparatoires ;
L’identification et le recrutement des pairs ;
L’élaboration des outils ;
La formation des pairs à la méthodologie de recherche ;
La collecte des données ;
L’exploitation et l’analyse des données.
•
Réunions techniques préparatoires
Organisées à partir de la seconde moitié du mois de mars 2006, les six (6) réunions techniques
préparatoires ont porté sur la compréhension collective des termes de référence et de la
méthodologie de l’appel d’offre. Le concours du commanditaire de l’étude (PSI) a été, à ce sujet,
très utile. La maîtrise de ces aspects théoriques et méthodologiques a permis l’élaboration des
outils de collecte des informations et du calendrier, le choix des sites d’enquête et des gays comme
type d’homosexuels à enquêter, l’élaboration du programme de formation de ceux-ci, la
programmation des autres tâches.
•
Identification et recrutement des pairs
Cette phase a démarré par l’identification des personnes ressources telles que des membres des
ONG intervenant dans le domaine des IST/VIH/SIDA qui ont facilité les premières rencontres de
l’équipe technique avec certains pairs. L’équipe technique a procédé ensuite avec l’aide des
premiers pairs retenus à l’identification et au recrutement des autres pairs. Ce premier contact
établi, l’équipe technique leur a présenté le bien-fondé de l’étude et les objectifs poursuivis par
cette dernière. Cette identification a été la phase la plus délicate de l’étude compte tenu d’une part,
de la méconnaissance du phénomène et des milieux de l’homosexualité par la quasi-totalité des
membres de l’équipe d’étude ; et, d’autre part, de la méfiance des gays envers toutes personnes
extérieures à leurs réseaux.
Une vingtaine de pairs ont ainsi été recrutés et formés pour assurer la collecte des données
primaires. Les critères de recrutement ont été surtout basés sur la capacité à comprendre les
canevas de discussion et sur la non appartenance à des réseaux communs. Ce dernier critère a
permis de diversifier les informations à recueillir.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
•
16
Elaboration des outils
Les outils ci-après (présentés en annexe) ont servi à la collecte des données :
-
Une fiche d’identification des gays ;
Un canevas pour les focus groups ;
Un canevas d’entretiens avec les personnes âgées ;
Un canevas d’entretien individuel avec les pairs ;
Un canevas d’entretien individuel avec les gay ;
Une grille de restitution pour les entretiens des pairs avec les gays.
Les outils ont été élaborés autour des axes thématiques suivants :
-
Fondements socioculturels de l’homosexualité ;
Mode d’organisation des homosexuels ;
Connaissance des IST/VIH/SIDA par les homosexuels ;
Comportement sexuel : première expérience homosexuelle, dernier rapport, multi
partenariat, utilisation ou non du préservatif, raisons ;
Suggestions.
•
Formation des pairs
La formation proprement dite a eu lieu au cours de la seconde moitié du mois d’avril 2006 et a
duré sept (7) jours. Les formateurs (équipe technique) ont, d’abord, présenté aux pairs le projet
d’étude à travers sa problématique, ses objectifs et sa portée sociale. Ils leur ont, ensuite, expliqué
la méthodologie, notamment la spécificité de l’approche « ethnographie par les pairs » et les
techniques de collecte retenues.
La méthode participative et interactive, utilisée par les formateurs, mérite d’être soulignée. Elle
rentre bien dans le cadre du type d’approche ethnographique imposée par l’étude et qui demande
une forte implication des enquêtés. Aussi, la familiarisation entre pairs suscitée par l’équipe depuis
le recrutement, les jeux de rôle, les prises de parole libres, les comptes-rendus et les synthèses
réalisés à chaque niveau par les pairs eux-mêmes, ont-ils beaucoup facilité la formation.
•
Collecte des données
La collecte des données s’est faite à trois niveaux :
- la collecte auprès des pairs par l’équipe technique (entretien individuel et focus groups) ;
- la collecte des données par les pairs auprès des autres gays et enfin ;
- la collecte auprès des personnes âgées par l’équipe technique.
Les données collectées auprès des pairs lors des focus groups ont été enregistrées sur support
audio. La collecte s’est relativement bien déroulée, compte tenu de l’ambiance de convivialité, des
rapports de confiance et de respect que l’équipe technique a su créer à toutes les rencontres, et
même au-delà avec les pairs.
La collecte des données par les pairs auprès des autres gays a duré trois semaines. Chaque pair a
interviewé 5 ou 6 gays. Au fur et à mesure qu’avançait la collecte, une restitution était faite par les
pairs aux chercheurs qui consignaient l’information dans une grille de restitution prévue à cet effet.
Après une semaine de collecte, une réunion d’évaluation a permis de recenser les difficultés
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
17
rencontrées par les pairs et les solutions à y apporter. Cette opération de collecte s’est déroulée
dans le strict anonymat, pour raison de sécurité des gays et de confidentialité de leurs propos.
Les entretiens avec les personnes âgées se sont déroulés en même temps que les restitutions des
pairs. Ces entretiens ont eu lieu à leurs domiciles et aux moments de leur convenance. Ceci a
permis de disposer d’un environnement favorable à une bonne collecte d’informations.
•
Exploitation et analyse des données
L’exploitation des données a commencé avec l’élaboration du plan d’analyse. Elle a duré trois
semaines. La méthode d’analyse de contenu a permis de synthétiser les résultats obtenus. Il s’agit,
dans cette synthèse, de prendre en compte les diversités et les ressemblances relevées auprès des
enquêtés (sur les plans culturel, socio-démographique, économique, etc.) pour une meilleure
définition des programmes d’intervention de PSI-Togo. Aussi, la méthode de l’analyse est-elle
qualitative, tout comme celle de la collecte. Les données ont été enregistrées sur cassettes et
retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH. Elle fait moins
place à des statistiques ou à des tableaux.
1.5.4 - Limites de la méthodologie utilisée
Même si l’approche « ethnographie par les pairs » s’est révelée appropriée dans le cadre de la
réalisation de cette étude, deux limites doivent néanmoins être mentionnées.
La première a trait à l’approche elle-même telle que suggérée par Hawkins et Price. En laissant la
collecte aux mains des pairs, sans aucun moyen de contrôle direct par l’équipe technique, cet outil
a présenté un risque majeur de biais des informations restituées. Il n’y a pas eu de possibilité pour
l’équipe de connaître les autres gays et de vérifier si tous ont réellement été enquêtés. La fiabilité
de l’outil réside en fait dans la ¨confiance¨ que l’équipe a faite aux pairs.
Or, et c’est là la deuxième limite, l’identification et le recrutement des pairs ont été fortement
influencés par le contexte particulier de leur milieu. Le caractère discret, ésotérique voire
clandestin de leur mode de vie a posé le problème de pouvoir rentrer en contact directement avec
la totalité des pairs et de permettre à l’équipe d’opérer un recrutement efficace. L’équipe a dû, dans
ce cas aussi, faire ¨confiance¨ à ceux qu’elle a directement recrutés pour identifier les autres.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
18
II - RESULTATS DE L’ETUDE
2.1 - FONDEMENTS HISTORIQUES ET SOCIO-CULTURELS DU PHENOMENE DE
L’HOMOSEXUALITE AU TOGO
Il s’agit de documenter, aussi bien par les sources bibliographiques que par l’enquête de terrain, les
contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité, les facteurs d’évolution de ses
pratiques et de sa population.
2.1.1 - Contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité
Deux versions venant de deux types de sources, assez contradictoires, s’affrontent sur ce sujet.
La première version est celle des personnes âgées. Les premières réactions sont celles de
désapprobation. L’on pense que c’est un phénomène nouveau et étranger aux mœurs, aux
convenances sociales sur la sexualité en vigueur dans les sociétés togolaises ; donc une pratique
impossible et inimaginable.
Des témoignages recueillis lors d’un entretien avec un notable de la ville de Kara, illustrent cette
version :
« La sexualité est tout à fait naturelle, elle existe dans toutes les sociétés. Mais, je
n’ai jamais appris que deux personnes de même sexe ont eu des rapports sexuels.
Pour quelle sensation ? L’homme cherche la femme parce que c’est le sexe
contraire. Dans quel orifice met-il son pénis ? Dans l’anus ou dans la bouche ?
C’est une question qui ne se pose pas. Ce sont les intellectuels qui posent de telles
problématiques en Afrique ».
Selon une autre personne âgée :
« L’homosexualité telle qu’elle existe aujourd’hui, était inconnue de nos sociétés
traditionnelles. Il n’existait pas de rapports sexuels entre deux personnes de même
sexe. Ce qu’on retrouvait dans nos sociétés comme sexualité était la masturbation.
Le prêtre traditionnel ou un chef désigné, avant d’entrer en fonction, faisait le
couvent, une réclusion au cours de laquelle il était préparé à assumer ses futures
fonctions. Loin de sa famille donc de ses femmes, le reclus était souvent amené à
faire de la masturbation pour se soulager en trouvant un moyen qui le conduirait à
l’éjaculation. C’est une homosexualité d’une autre forme si on peut s’exprimer
ainsi ».
C’est aussi l’opinion de la presse nationale et étrangère. En effet le journaliste Adjignon Gagnon
Mawuena 5 parle d’ « intrusion » de l’homosexualité « dont on impute la paternité à l’Occident ».
Il rapporte, à ce sujet, les propos de l’anthropologue Koffi Lanklonou qui indique que
historiquement, personne n’a évoqué l’existence de l’homosexualité dans aucune société. Il
rapporte également le point de vue des Eglises et autres institutions religieuses selon lequel « la
5
Adjignon Gagnon Mawuena, 2006, « L’intrusion sibylline de l’homosexualité dans nos sociétés. Un
phénomène qui choque nos mœurs » TOGO-PRESSE, 24 mars 2006
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
19
virilité » et le devoir de « perpétuer sa lignée par des enfants » est l’un des commandements de
Dieu, autrement dit un principe fondateur de l’humanité 6 .
A l’opposé, les renseignements recueillis auprès d’autres personnes âgées dans le Kloto (cantons
de Kpélé et de Kouma) et à Aného, attestent que cette forme de sexualité n’est pas totalement
étrangère aux cultures togolaises. Selon les sages traditionalistes, « il existait dans nos sociétés
anciennes des velléités, des tendances, des penchants et des attitudes à l’homosexualité chez
certains individus (des deux sexes). Cela est plus prononcé chez les hommes (masculins) ;
d’ailleurs on les appelait ‘’hommes-femmes’’ ou ‘’femmes-hommes’’ ou encore « hommes-enfemmes », « femmes-en-hommes », puisque ces individus paraissaient ou paraissent s’attacher un
peu trop aux individus de même sexe ».
« Dans le quartier Magna aujourd’hui à Aného, il y avait des homosexuels et ce
quartier s’appelait à l’époque Magna Magna c’est-à-dire désordre », (propos d’un
notable à Aného).
« On a appris dans les années 1960 qu’il y avait quelques délinquants, Apita et un
musicien griot de Pagouda qui étaient homosexuels». (Propos d’un chef coutumier
à Kara).
Par ailleurs, pour certains enquêtés si le Coran et la Bible avaient eu à condamner cette pratique,
c’est bien parce qu’elle existait déjà. D’après les propos d’un Pasteur à la retraite à Kara Tomdè :
« L’origine de l’homosexualité dans la société ancienne est soulignée dans la Bible
(Romains, chapitre 1). L’homosexualité existait déjà au temps des apôtres ».
D’après certaines personnes âgées, cette pratique existerait dans des cercles ésotériques et
initiatiques traditionnels où les membres, pour acquérir un pouvoir ou pour tester et valider
l’efficacité de certains gris-gris étaient amenés à avoir des rapports sexuels avec d’autres membres
(hommes). Très souvent c’est durant des moments critiques, où la situation politique de la cité est
vraiment critique ou bien quand il faut conjurer les sorts (guerres, maladies épidémiques,
intronisation, grande famine) que ces pratiques sont faites par des grands initiés, des prêtressacrificateurs. Donc c’est uniquement dans un but initiatique et sacrificiel que cela peut se passer
sans réprobation sociale.
La deuxième version est celle des gays qui, tout en récusant l’origine supposée occidentale de
l’homosexualité, démontrent qu’elle est un phénomène aussi naturel que l’hétérosexualité. On naît
homosexuel dans la mesure où on a une attirance naturelle pour les hommes et, dans le même
temps, une répugnance, elle aussi naturelle, vis-à-vis des femmes. L’homosexualité serait donc la
manifestation d’un besoin physiologique et biologique inscrit dans la personnalité psychologique
de base qui oriente dès l’enfance ce besoin de faire l’amour avec le même sexe. Certains racontent
que dès l’enfance, ils n’aimaient jouer à l’amour qu’avec leurs camarades garçons à qui ils
tripotaient le sexe ou l’anus. Les propos de certains pairs, en discussion de groupe, sont à ce sujet
très évocateurs :
6
Au Cameroun, par exemple (Luc Olinga, 2006, « Sexe, mensonge et politique », JEUNE AFRIQUE, N° 2357,
12 au 18 mars 2006), la presse relaie l’opinion populaire et religieuse qui dénonce elle aussi l’homosexualité
comme une pratique venue de l’Occident.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
20
« Un garçon qui naît, déjà à bas âge est avec ses amis garçons. Il a toujours envie
de se laver avec eux. Quand il va entrer en puberté, cette envie va toujours grandir,
et quand il sera grand, il va se rendre compte qu’il a plutôt une attirance envers le
même sexe » (focus group 2).
« L’homosexualité n’est jamais venue de quelque part. On est né comme ça, c’est
inné. Depuis ton enfance les habitudes que tu as, vont te montrer que toi-même tu
seras homosexuel. On ne le devient pas »(focus group 2).
« Un Blanc n’a jamais fabriqué quelque chose comme ça. On est né et on ressent
quelque chose pour la personne qui a le même sexe que nous » (focus group 2).
Cette émergence précoce de l’homosexualité chez la plupart des gays enquêtés semble être
confirmée par l’âge au premier rapport homosexuel qui se situe entre 9 et 20 ans.
Tout en récusant l’origine occidentale de l’homosexualité, les homosexuels démontrent aussi
qu’elle est une pratique ancienne dans les sociétés africaines. Elle se faisait dans deux situations.
D’une part, comme attirance naturelle entre deux hommes mais ceux-ci le faisaient en cachette,
parce que cela était interdit. Les hommes avaient l’obligation de se marier et faire des enfants, pour
se conformer aux règles de la société. Toutefois, les homosexuels, même mariés à des femmes, se
cachaient pour faire l’amour. D’autre part, elle se pratiquait dans des couvents (surtout dans le sud
du Togo) où les rites initiatiques entre des personnes de même sexe, recluses pour plusieurs jours,
suscitaient à un moment donné de l’attirance réciproque. A ce sujet, un pair a affirmé que :
« Il y a des gens dans les villages qui ont les mêmes pratiques que chez les
Occidentaux. Mais on n’a pas les mêmes façons de les appeler. Donc, je dirai que
l’homosexualité a des fondements dans nos sociétés traditionnelles, sauf que on ne
le connaît pas sous le vocable ‘homosexualité’ » (focus group).
En résumé, si pour la plupart des gays, l’homosexualité est naturelle, pour certaines personnes
âgées intérogées, son fondement social ou culturel n’est pas avéré.
2.1.2 - Evolution de l a pratique homosexuelle
La visibilité croissante de l’homosexualité aujourd’hui peut être imputée à des facteurs liés à
l’évolution actuelle de nos sociétés (internet, télévision, téléphone, etc.). Ce phénomène touche
beaucoup de couches sociales. C’est ainsi qu’on dénote l’homosexualité chez les jeunes et chez les
adultes, chez les femmes et chez les hommes, chez les célibataires et les mariés, etc. Mais, qu’en
est-il de l’évolution des pratiques, des rites, des mythes qui entourent l’homosexualité et de ceux
qui la pratiquent ?
Les gays pensent que ces pratiques, rites et mythes ont connu une évolution depuis les sociétés
anciennes. Le mythe du mariage et de la descendance naturelle est tombé avec le temps. De plus en
plus, le mariage n’est plus considéré comme une obligation. Ce qui permet donc aux homosexuels
de vivre sans se marier, sans avoir d’enfants et sans que cela ne leur pose un problème et ne soit
pas trop fustigé par la société. Il y a beaucoup plus de liberté aujourd’hui qu’hier, de rencontrer
d’autres homosexuels et de choisir son partenaire.
On assiste aujourd’hui à une augmentation du nombre des homosexuels et à leur diversification.
Hier, c’était beaucoup plus des adultes et des hommes, comme dans l’exemple donné par les
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
21
acteurs coutumiers. Aujourd’hui, ce sont des jeunes, voire des adolescents et des femmes qui
découvrent et pratiquent leur homosexualité.
Néanmoins, les résultats révèlent une apparition tardive de cette tendance chez certains gays. Les
contraintes de l’éducation familiale ayant confiné très tôt le garçon dans son statut d’homme et de
futur père, la pulsion homosexuelle ne pouvait pas émerger aussi tôt. La situation, aujourd’hui est
que beaucoup de ces homosexuels ¨tardifs¨ sont des bisexuels, c’est-à-dire qu’ils naviguent entre
une hétérosexualité socialement admise et une homosexualité naturellement ‘insistante’.
A la différence de ceux qui sont nés gays, aujourd’hui, certains acquièrent ce mode de vie de
différentes manières : on peut être entraîné par un ami ou un parent comme le témoigne un
enquêté :
« Je connais un orphelin qui a été recueilli par une famille aisée. Il y avait un
enfant dans la famille, qui était devenu l’ami de l’orphelin. Les deux enfants
faisaient tout ensemble. Ils mangeaient ensemble, dormaient dans le même lit,
jouaient ensemble, bref, ils étaient tout le temps ensemble. Un jour, l’enfant de la
famille aisée proposa à l’orphelin d’avoir un rapport sexuel avec lui. Ce dernier
refusa d’abord, mais devant les menaces de l’enfant aisé (surtout il lui dit qu’il
demanderait à sa maman de lui couper les vivres et tous les soins qu’on lui
apportait), il céda et devint son partenaire sexuel jusqu’à ce jour » (focus group).
L’homosexualité n’exprimerait donc pas une pulsion naturelle, mais plutôt une stratégie pour
gagner de l’argent ou acquérir des biens, surtout auprès des touristes (maisons, voyages,
financement d’une activité, etc.). Elle serait tout simplement une homosexualité « opportuniste ».
Elle est expliquée aussi comme le fait de céder à un chantage ou à une pression exercés par des
personnes homosexuelles, socialement puissantes, sur des jeunes et leurs familles. Un des pairs,
au cours du même entretien en focus group disait à ce sujet :
« On devient homosexuel par nécessité, par envie de faire comme mon ami. Voilà
quelqu’un qui n’a pas de soutien, un ami vient et lui propose de faire ça en
contrepartie de son aide. S’il n’a pas le choix, il n’a pas le choix, il le fait donc
pour assouvir ses besoins et faire ce qu’il veut financièrement. Et puis, il y a des
gens qui menacent des garçons à le faire, parce que s’ils ne le font pas, ils vont
licencier leurs parents. Là, tu le deviens sans le savoir, parce que une fois fait, tu as
envie de le faire et de le refaire et voilà, tu deviens homosexuel » (focus group).
Selon les enquêtés, le mode de vie féminin peut également entraîner à être gay :
« Quand on fait la compagnie des filles, et qu’on s’implique dans les activités
comme elles, on finit par s’identifier à elles sans que l’on s’en rende compte qu’on
fait exception dans ce groupe » (focus group 1).
On peut aussi devenir gay par la drague :
« Nous, on a été dragués. Supposons que moi je sois gay, si je trouve un hétéro qui
me plaît, je vais le draguer et je ferai tout pour l’entraîner dans mon milieu. S’il s’y
plaît, il y demeurera et deviendra gay » (focus group 1).
Selon les enquêtés, ceux qui ne sont pas de vrais gays, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas nés gays,
ceux qui sont entraînés à l’être ou qui le sont par snobisme, finissent tôt ou tard par abandonner ce
mode de vie.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
22
Sur ce point, concernant l’homosexualité opportuniste et non naturelle, les opinions semblent
converger entre les homosexuels ¨naturels¨, la presse et les autorités coutumières. Selon le
journaliste Adjignon Gagnon Mawuena (id.), les « facteurs » qui favorisent ce phénomène
seraient « les nationaux excentriques revenus des pays occidentaux qui ont importé leurs œuvres
d’adoption et ont su vite, le chômage et la misère aidant, trouver des adeptes parmi la jeunesse à
la recherche de sensations fortes, de nouvelles aventures distillées par les films pornographiques,
projetés à longueur de journées dans les vidéos clubs et sur Internet ».
Selon les autorités coutumières, l’émergence tardive, effervescente et opportuniste de
l’homosexualité dans les sociétés togolaises, s’explique par la modernité actuelle, caractérisée par
la dépravation sexuelle, l’irruption de l’argent et du matérialisme dans les relations sociales,
entraînant la marchandisation du sexe, le multi partenariat et la délinquance. A ces phénomènes
s’ajoute le fait que l’éducation et l’école d’origine occidentale créent les rencontres et les rapports
sexuels entre filles et garçons ; ce qui banaliserait le sexe et ne lui donnerait pas sa valeur
culturelle et sociale de l’époque ancienne. Pour l’un des notables de Kara, les deux « seuls »
homosexuels des années 1960, connus jusqu’à ce jour dans la ville de Kara et ses environs, sont
des « délinquants ». Selon un autre notable de Kara, l’homosexualité en Afrique n’aurait qu’un
caractère opportuniste dans la mesure où :
« Elle rend des services autres que la satisfaction sexuelle. On prétend que
l’homosexualité donne certaines forces surnaturelles ou extraordinaires qui
peuvent aider à atteindre certains objectifs sociaux ».
De ces informations et sources diverses, on peut retenir que l’homosexualité connaît réellement
une évolution de ses pratiques, de ses fondements et de sa population. Toute politique envers celleci devra prendre la mesure de cette évolution complexe. A Lomé, cette population tend d’ailleurs à
s’organiser et à se structurer en réseaux. Le paragraphe suivant abordera ces questions.
2.2 - GAYS DANS LA SOCIETE TOGOLAISE ACTUELLE
L’objet de ce paragraphe est de présenter les structures d’organisation et de pouvoir des gays, les
perceptions sociales dont ils font l’objet et les représentations qu’ils se font d’eux-mêmes.
2.2.1 - Signes d’identification des gays
•
Terminologies identitaires
Il existe des termes par lesquels on désigne les homosexuels ou par lesquels eux-mêmes se
désignent. Ils préfèrent le mot gay 7 à celui de homosexuel qui, d’après eux, apparaît péjoratif ou
trop générique, étant entendu que ce vocable regroupe aussi les homosexuelles ou lesbiennes. GAY
est en fait un acronyme anglais qui signifie Good As You (Aussi beau que toi). On pourrait y voir la
revendication d’une identité mais aussi d’une dignité, au même titre que celles dues aux
hétérosexuels.
7
Nous utiliserons indistinctement dans le texte les mots gay et homosexuel pour désigner les mêmes personnes.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
23
Chez les gays, on distingue les passifs, les actifs, les versatiles et les bisexuels.
Les passifs sont les ¨femmes¨. C’est eux qui, comme femmes ou filles, se font pénétrer par leurs
partenaires. Ils représentent 30% de l’échantillon. Cette pénétration se fait dans l’anus ou dans la
bouche. D’après eux, cette orientation sexuelle n’est ni un choix ni une mode, c’est une pulsion
naturelle :
« N’importe qui peut être gay et ce n’est pas son choix, mais sa nature, il est né
comme ça, quelle que soit la lutte qu’il fera, tôt ou tard il finira par se découvrir »
(focus group).
Les passifs se sentent réellement avoir un sexe féminin. Un ¨vrai¨ passif devient donc difficilement
un actif, un bisexuel ou un versatile. C’est cette tendance naturelle qui les confine dans les rôles et
métiers généralement réservés aux femmes. Plus que le métier et le rôle sexuel, c’est par des signes
extérieurs comme l’habillement, la démarche, la voix, que l’on reconnaît les passifs. Certains
enquêtés se distinguent effectivement des autres par leurs tenues moulantes, leurs maquillages,
leurs gestes de mains, leurs démarches et leurs voix très proches de celles des femmes.
Les actifs sont les ¨hommes¨. Parmi les enquêtés on dénombre 44% d’actifs. C’est eux, qui
pénètrent les passifs au cours de l’acte sexuel. Selon eux aussi, être actif n’est pas une question de
mode ou de simple choix, c’est une pulsion naturelle qui les fait préférer la pénétration de l’anus
ou la bouche d’un homme que celle du vagin. Comparativement aux passifs, il est difficile de
repérer un actif par quelques signes extérieurs que ce soit.
Les versatiles sont ceux qui sont à la fois passifs et actifs. Ils représentent 26% de l’échantillon.
Les circonstances ou les raisons de ce passage à l’un ou à l’autre de ces modes ne sont pas
connues. Il existerait ainsi des partenaires ou des couples qui vivent durablement cette versatilité
sexuelle. Ce qui pose aussi le problème de statut ou de genre dans ce partenariat, à savoir qui est
¨l’homme¨, qui est la ¨femme¨ ?
En dehors de ces trois types de gays, une partie des gays interrogés a reconnu être des bisexuels.
Ils représentent 12% de l’échantillon. Les rares bisexuels rencontrés parmi les pairs, expliquent
leur instabilité sexuelle par la découverte tardive de leur homosexualité, telle qu’elle a été
expliquée plus haut. Dans la plupart des cas, déjà mariés ou obligés socialement de l’être, ils ne
peuvent que cacher leur homosexualité : «Ils se sentent homosexuels mais couchent avec les
femmes pour cacher leur apparence ».
En langues locales qui sont des codes de langage propres aux gays, destinés à se désigner, à se
reconnaître et à ne pas se faire reconnaître des non gays. Ahintrin, Zangboin désignent le gay ;
Zangbointeur, l’Actif ; Zangbointé, le Passif et Zangbointoir l’endroit où se font les rapports
sexuels gay, sont souvent utilisés dans le sud du pays. Au nord, dans la région de Kara, on parle de
« Abaloyele » qui veut dire homme-femme ; nyonu-nusu est utilisé au sud pour désigner la même
chose. « Atchèkè et Adowè » sont plutôt des sobriquets insultants à l’endroit des gays.
De plus, on retrouve chez les gays togolais certaines expressions telles que « Tata, Mami Caro »
utilisées également dans le vocabulaire homosexuel camerounais (Olinga, id).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
•
24
Signes de reconnaissance
Interrogés sur la manière dont les gays arrivent à se reconnaître, les participants aux discussions de
groupes ont cité les signes suivants :
-
Habillement extravagant ;
Démarche ondulante ;
Signes des yeux, clins d’œil ou œillades ;
Port de boucles d’oreilles et d’autres bijoux (collier, gourmette, etc.) surtout chez les
passifs ;
Tresses ou coiffures de femmes ;
Dépigmentation de la peau chez certains passifs ;
Tendance à s’exprimer avec des gestes comme les femmes ;
Voix féminine.
« Très souvent, on se reconnaît par l’habillement, la démarche et puis les gays sont
très sexy, très classe et très à la mode » (focus group 1).
Ces signes de reconnaissance sont décrits dans Togo Presse du 24 mars 2006 de la manière
suivante :
« …. Les homosexuels eux aussi se sont créé une place dans cette cohorte, distincts
par leur démarche, par leurs vêtements moulants et extravagants, par leurs boucles
d’oreilles, par leurs bras estampillés de leur marque décorative, par leur salutation
cohésive indiquant que leur réunion est imminente ».
2.2.2 - Structures d’organisation et de pouvoir
Les homosexuels forment une communauté au sein de la nation togolaise, une communauté au
sens d’un groupe marqué par une forte identité, un groupe dont les membres se rencontrent
régulièrement et partagent des valeurs auxquelles ils croient fermement. C’est ainsi, qu’à l’instar
des communautés confessionnelles, professionnelles, migrantes ou ethniques, ils sont organisés en
réseaux, se retrouvent dans des espaces précis pour des réunions, pour de simples discussions ou
pour faire la fête, etc.
Groupes et réseaux
L’homosexualité est une pratique décriée et criminalisée davantage que la prostitution ou la
toxicomanie au point que ceux qui s’y adonnent sont contraints de vivre leur sexualité de façon
cachée ou discrète. Cette situation conduit à l’émergence des réseaux qui constituent en quelque
sorte une stratégie de vie des pratiquants devant la réprobation de la société.
Au début, ce sont des amis d’enfance, de quartier ou de profession, qui se retrouvent pour
bavarder, partager des repas, qui se rendent visite. Ils sont deux, trois ou quatre. Petit à petit, le
groupe s’élargit par l’entrée d’autres amis amenés par les amis du noyau de départ. En appliquant
le principe selon lequel ¨les amis de mes amis sont mes amis¨, tous finissent par devenir des amis.
L’intérêt à ce niveau est de faire connaissance avec les nouveaux venus, d’échanger avec eux sur
l’homosexualité et sur leurs problèmes, de se faire aimer ou de tomber amoureux et, pourquoi pas
de devenir partenaires.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
25
L’élargissement du groupe intervient par le recrutement de nouveaux amis ou par sa connexion
avec d’autres groupes d’amis. Souvent, c’est avec cet élargissement et la récurrence des
discussions sur les problèmes rencontrés par les uns et les autres, que l’idée de se constituer en
réseau formalisé émerge. Ces problèmes sont souvent ceux d’amour, d’affection, de santé
sexuelle, de profession, de famille et amènent les amis ou le groupe à leur trouver collectivement
des solutions, dans un cadre communautaire ou associatif. Le réseau qui naît ainsi, par la
formalisation du groupe ou d’un ensemble de groupes, se dote de textes fixant un règlement
intérieur et des statuts.
Au moins deux réseaux existent à Lomé, dans lesquels une partie des gays enquêtés est inscrite.
Mais, d’après eux, il en existerait d’autres, avec qui ils ont des contacts. Des contacts existent aussi
avec des réseaux d’Aného et même avec des réseaux du Bénin et du Ghana. Le président de l’un
des deux réseaux, impliqué dans l’étude, explique comment fonctionne son réseau :
« Un réseau qui fonctionne a des règlements. Avant de rentrer chez nous, il faut être
sûr que la personne est gay. Il faut voir si la personne peut se soumettre à nos
règlements, est-ce qu’elle a la bonne moralité. Moi je suis vraiment dur sur la
moralité, pour que les gens ne fassent pas n’importe quoi. Je veux des gens sérieux
et j’exige même qu’ils aient un emploi ou un objectif dans la vie » (focus group 2).
Le rôle sécuritaire du réseau est diversement apprécié par les homosexuels. Pour certains, il est
sécurisant d’appartenir à un réseau ou du moins à un groupe d’amis pour les raisons évoquées plus
haut. Pour d’autres, il est dangereux d’en faire partie à cause de la criminalisation dont sont
victimes les homosexuels, ce serait s’afficher ouvertement à travers le groupe et prendre le risque
de se faire injurier voire violenter. Les propos de deux pairs, lors du focus group révèlent bien cette
situation complexe :
« Il y en a qui se disent que peut-être ils vont être vus, qu’ils n’ont pas envie que les autres
sachent. Ils pensent qu’ils se suffisent. S’ils souffrent aujourd’hui, à qui ils vont le dire.
Moi, je trouve qu’il faut être en collectif ou en amicale pour devenir un groupement ou un
réseau plutôt que d’être seul. En étant comme ça, on partage beaucoup de choses, on se
donne des conseils. Et puis, quand quelqu’un souffre, on peut lui acheter des produits ou
lui indiquer ce qu’il faut faire, au moins pour sa santé » (focus group 2).
« J’aborderai dans le même sens que l’ami qui m’a précédé. Si je me rappelle bien, le
réseau dont le N° 15 8 a parlé a débuté à l’occasion des funérailles d’un parent d’un ami.
Ses amis se sont mobilisés pour les funérailles et pour le soutenir. Ils ont eu immédiatement
l’idée de former un réseau. Je trouve que pour un gay c’est quand même mieux de se
trouver en organisation, en réseau. Si on n’a pas eu le temps de le faire jusqu’à
aujourd’hui, c’est à cause de la législation que nous ne maîtrisons pas bien, on ne sait pas
si on a le droit de se regrouper en réseau ou pas » »(focus group 2).
Dans certains réseaux, les rôles entre passifs et actifs ne sont pas figés. On ne peut pas parler de
dominance d’une catégorie de gays par une autre comme le témoigne un participant :
« Dans un réseau c’est comme on dit maintenant, qu’il y a l’émancipation de la
femme : tout ce qu’une femme peut faire, un homme peut le faire ; de même tout ce
qu’un homme peut faire une femme peut le faire. Donc tout ce qu’un actif peut
8
Tous les pairs et autres homosexuels sont désignés par des numéros, pour garder l’anonymat autour de leur
identité et sauvegarder la confidentialité de leurs propos.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
26
faire, un passif peut le faire aussi, c’est comme ça ; il n’y a pas de dominance »
(focus group 1).
Néanmoins lors des manifestations qu’ils organisent les passifs peuvent choisir de se déguiser en
femmes et porter des tenues de femmes (robes de mariées, pagnes de femmes, etc.).
Modes de communication, espaces et occasions de rencontres
Les homosexuels communiquent, un peu comme tout le monde, par téléphone, par internet (site
« www.cybermen.com », par amis interposés (le ¨bouche à oreille¨). Tous les gays ont pratiquement
un téléphone mobile. Toutefois, cette communication utilise, comme il a été souligné plus haut,
des codes, pour des raisons de discrétion et de sécurité. Tout se passe dans le sens de l’engagement
commun et partagé pour planifier et agir de concert. Ainsi, on assure un processus de
dissémination rapide des informations (idées nouvelles, requêtes, questions intéressant le groupe).
Cela donne à ces membres un sens aigu de solidarité et de liaison par-delà les distances
géographiques en évitant l’isolement.
Leurs occasions de rencontres sont surtout les fêtes, les soirées 9 et les réunions qu’ils organisent et
les anniversaires des membres qu’ils célèbrent dans "des lieux réservés". Les espaces de rencontres
sont, par exemple, la plage, les boîtes de nuit, les bars. Mais des précautions sont prises pour la
discrétion et la sécurité.
2.2.3 - Perceptions sociales, auto perceptions des gays et considérations juridiques
Perceptions sociales et populaires
Les informations recueillies sur les fondements et l’évolution historiques et socio-culturels de
l’homosexualité (cf. 2-1-) indiquent que les gays sont, d’une façon générale, mal perçus par la
société.
Les autorités coutumières, dans leur rôle de garantes des bonnes mœurs, illustrent par leurs
représentations cette condamnation sociale et populaire de l’homosexualité. Elles affirment que :
« Cela peut déranger les divinités surtout s’il se trouve que les prêtres
sacrificateurs eux-mêmes commettent de tels sacrilèges ».
Pour un Pasteur, qui ne croit pas, comme ses collègues, à l’existence de l’homosexualité dans la
ville de Kara, ce serait quelque chose de « choquant », de « terrible », si c’était vrai. Et, selon lui,
pour la société :
« Ce serait une horreur. Cela proviendrait d’une malédiction. La société
commencerait à disparaître, parce qu’il n’y aurait plus de descendance, plus de
gens pour cultiver la terre, puisqu’il n’y aurait plus de procréation… Même les
gens qui n’ont pas d’attirance vers les femmes, soit parce qu’ils sont impuissants ou
stériles sont considérés comme une malédiction de Dieu ».
9
Au moment où l’équipe technique rédigeait ce rapport, un des réseaux gay a organisé une soirée dénommée
Miss Gay¨, à laquelle elle fut conviée. A cette occasion, des gays sont venus du Bénin, du Ghana, de la Côte
d’Ivoire, du Gabon et du Niger.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
27
Selon un autre pasteur : « l’homosexualité est un phénomène très récent au Togo et l’interdiction
de cette pratique est un commandement de Dieu à son peuple ». Un musulman pratiquant compare
l’homosexualité au SIDA : « l’homosexualité apparaît comme étant un fléau, une pandémie, un
mal du siècle comme l’est le SIDA pour nous. Elle comporte en elle une malédiction. Elle est
prohibée par l’islam » (Togo presse du 24 mars 2006).
Selon un autre informateur,
« Même celui qui sort avec la femme d’un autre, on dit dans la société qu’il est un
débile mental. Dire maintenant qu’un homme fait l’amour avec un autre homme,
c’est vraiment impensable… Imaginez la société togolaise à 80 % homosexuelle,
qu’est-ce que cela va devenir ? Non, oublions cette histoire ».
Pour le chef du canton de Lama :
« Imaginez que tout rapport sexuel en dehors du couple est interdit par la société et
la tradition, comment voulez-vous que l’homosexualité qui sort de l’ordinaire soit
tolérée sur le plan social africain ?... L’intimité sexuelle ne peut être que dans le
sens opposé….., c’est pour cela que Dieu a créé Adam et Êve. Donc, pour moi, dans
le contexte traditionnel, c’est une aberration, un non sens absolu. Même faire
l’amour avec une femme autre que la mienne ce n’est pas toléré, alors faire l’amour
avec un autre homme, c’est le comble. Je ne vois pas l’intérêt de cette sexualité
entre les gens d’un même sexe ».
L’homosexualité est aussi mal vue par l’opinion populaire. La preuve est une scène de lynchage
verbal dont l’équipe technique a été témoin au cours de la formation des pairs à l’URD. A la sortie
d’une session, un groupe de pairs cheminait ensemble à la recherche de taxi-motos pour rentrer
chez eux. C’est à ce moment qu’il a été pris à partie par les voisins, parmi lesquels les mécaniciens
d’un garage, les revendeuses, les passants. Sous les injures qui fusaient de partout, le groupe a vite
fait de presser le pas et se disperser pour se mettre à l’abri de ce lynchage. Ce rejet populaire a été
signalé aussi par certains pairs dans les quartiers où ils vivent.
Par contre, certains parents seraient au courant du comportement ou de tendance homosexuel de
leur fils. Ils ne s’en indignent outre mesure, puisqu’ils les acceptent au domicile lorsqu’ils sont en
compagnie d’autres garçons.
En définitive, il faut retenir que les mentalités ne sont pas encore disposées à tolérer ou à accepter
l’homosexualité qui est toujours considérée comme une pratique extra sociale, ¨anti-nature¨. Mais
comment les gays se perçoivent-ils eux-mêmes ?
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
28
Auto perceptions
Bien entendu, malgré cette condamnation sociale et populaire, certains gays vivent leur
homosexualité le plus naturellement du monde. Ils ont découvert cette tendance très tôt en euxmêmes et éprouvent spontanément, sans gêne, des attirances pour les individus du même sexe.
D’autres, par contre, ne se sentent pas fiers d’eux-mêmes. Ils se culpabilisent mais estiment être
incapables d’arrêter, pour diverses raisons. Par conséquent, de très nombreux gays mènent une
double vie avec tous les problèmes de honte et d'angoisse par peur d'être discriminés dans leur
famille ou sur leur lieu de travail.
Considérations juridiques
Les ‘’gays’’ sont obligés d’être dans l’invisibilité publique puisqu’ils sont sous le coup de la loi
(Djonoukou, 2003). Selon cette étude, l’homosexualité serait un délit du droit commun, passible
d’une peine d’emprisonnement, en vertu du code pénal. En effet, le Code pénal du Togo, en son
Chapitre 3, Titre 2 et Article 88 stipule : « Sera puni d’un emprisonnement de 1 à 3 ans et d’une
amende de 100.000 à 500.000F CFA, quiconque aura commis un acte impudique sur une personne
de son sexe ».
Il convient de préciser que selon les avis des juges et des autorités de la Police Criminelle, il ne
suffit pas qu’un individu soit reconnu ou identifié comme homosexuel ou soit soupçonné comme
tel pour être automatiquement arrêté, jugé et condamné. Encore faut-il qu’il soit coupable d’abus
sexuels ou de viol sur d’autres personnes de même sexe, car, en agissant ainsi il commet un délit.
Sur le plan de la loi, l’article du journal Togo-Presse (Adjignon, 2006) cité plus haut, révèle que le
Législateur mesure bien la pression sociale et n’ose pas ouvrir, pour l’instant, le débat sur ce sujet.
Selon cet article de presse, les homosexuels sont de plus en plus décidés aujourd’hui à faire
entendre leur voix, au nom d’un argument qui fait reculer le Législateur et les services de la
répression : celui des Droits de l’Homme.
En résumé, à ce paragraphe sur la vie des homosexuels dans la société togolaise, il importe de
retenir que l’homosexualité existe, qu’elle est une réalité et un ensemble de mœurs imbriquées
dans l’ensemble des mœurs nationales ou sociales, qu’elle est une pratique sexuelle parmi d’autres
et liée à elles. La communauté homosexuelle est composée, avant tout, de personnes insérées dans
la communauté nationale, sur le plan familial, professionnel, matrimonial, culturel, social. Elle
constitue donc une réalité que l’on ne peut plus nier ou contourner.
2.3 - CONNAISSANCE DES GAYS EN MATIERE DES IST/VIH/SIDA
Il s’agit, dans ce paragraphe, d’établir la connaissance, dans toute sa diversité, que les
homosexuels ont des IST, d’une part et du VIH/SIDA, d’autre part. Plus précisément, les sources
de connaissance, la connaissance des modes de transmission, de manifestation et de prévention de
ces maladies sont inventoriées, pour mesurer le niveau réel de connaissance et permettre une
politique d’intervention adéquate.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
29
2.3.1 - Connaissance des IST
Niveaux de connaissance
L’évaluation de la connaissance des IST chez les homosexuels, révèle que les gays qui connaissent
au moins une IST, ont cité dans la plupart des cas la gonococcie (71%) et la syphilis (49%).
Si la plupart des homosexuels ont pu donner au moins un nom d’IST, il y en a encore qui n’en
connaissent pas. Ils représentent près du 1/4 des enquêtés. La méconnaissance des noms ou même
de l’existence des IST est donc une réalité qu’il faut prendre en compte.
Au sein de la majorité qui en a la connaissance, il se pose aussi des problèmes de confusion. Si des
noms des IST courantes comme la gonococcie, la chaude pisse, la syphilis, le chancre mou, les
trichomonas vaginalis, sont donnés par la plupart d’entre eux, certains confondent encore celles-ci
au VIH/SIDA ou encore à leurs symptômes comme la fièvre, les pertes blanches, les boutons
rouges. Il y en a qui ont parlé de fièvre typhoïde et d’hépatite virale comme IST. Par ailleurs les
gays confondent ou ne savent pas distinguer les symptômes de ces infections (brûlures,
démangeaisons, écoulement de liquide blanchâtre). Cela montre assez clairement que nos enquêtés
ont des connaissances insuffisantes et à la limite erronées sur la nature des IST et leurs symptômes.
Par ailleurs, des confusions sont aussi faites entre des synonymes comme gonococcie et
blennorragie. Pire, des confusions sont faites avec des maladies virales comme l’hépatite.
Toutefois, il faut noter, à côté de ces confusions, le niveau de connaissance assez remarquable de
certains pairs (au cours des entretiens) sur certaines IST dont ils décrivent les manifestations, le
degré de gravité et les complications.
Sources d’information
Les principales sources d'informations sur les IST citées par les gays sont la radio (55,7 %) et la
télévision (54,9 %). Un certain nombre des gays (42%) sont informés à l'école. Les amis/parents et
les journaux constituent aussi des sources d'information non négligeables. Aucun des gays
interrogés n’a vraiment cherché à avoir des informations chez les personnes mieux indiquées
comme les médecins (gynécologues) ou autres agents de santé. De même les enquêtés ne
s’adressent pas aux structures ou formations médicales pour s’informer sur ces infections.
Si la plupart de ces homosexuels estiment être satisfaits par la connaissance qu’ils en ont, les autres
qui ne le sont pas, pensent combler leurs lacunes, en allant consulter un médecin, en demandant à
voir des infectés pour s’en convaincre, en allant dans des ONG comme PSI.
2.3.2 - Connaissance du VIH/SIDA
La connaissance du VIH /SIDA est quasi universelle chez les gays. Moins de 10% seulement des
gays ne connaissent pas le SIDA.
Connaissance des modes de transmission
Plus de ¾ des gays enquêtés connaissent au moins un mode de transmission du VIH/SIDA. Les
plus cités sont les rapports sexuels non protégés (40%), les objets tranchants (50%), les
transfusions sanguines (34%) et la transmission de la mère à l’enfant (22%).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
30
Par contre, l’ignorance et les confusions résident au niveau des voies supposées de transmission,
telles que les piqûres de moustiques, le partage des repas avec les malades ou les infectés. Les
mêmes réactions sont relevées en ce qui concerne les manifestations de la pandémie. Certains
croient, par exemple, qu’un individu de bonne apparence physique ne peut pas être séropositif.
Parallèlement, d’autres affirment pouvoir reconnaître un séropositif, par des tâches de rousseur sur
les lèvres ou le visage et l’apparence physique ; autant d’idées fausses que de difficultés à relever
sur la voie de prévention.
Connaissance des moyens de prévention
Le moyen de prévention le plus cité est l'utilisation du préservatif. Plus de 3/5 des gays affirment
que la fidélité reste un des meilleurs moyens de prévention. L'abstinence de rapports sexuels est
aussi souvent citée. Le quart des gays estime que pour prévenir le VIH/SIDA, il faut éviter les
objets tranchants. Les 3/5 des gays sont conscients qu'ils sont vulnérables au VIH/SIDA.
Dépistage volontaire
Un peu moins de la moitié des enquêtés ont fait le dépistage. Dans cette proportion, tous ne sont
pas allés chercher leur résultat, pour une raison qu’ils partagent avec ceux qui ne se sont pas
encore décidés à connaître leur statut sérologique.
Cette raison est la peur de connaître son statut, surtout s’il se révélait positif. En dehors de cette
raison principale, les autres sont : la confiance en soi, la non nécessité de le faire parce qu’on se
protège suffisamment, la négligence, le doute sur la crédibilité des résultats, la peur qu’on s’y
infecte au contraire.
On retrouve aussi dans les mêmes proportions, des gays qui connaissent ou ne connaissent pas
d’autres gays ayant fait leur test. Ces informations donnent des indications intéressantes sur la
mesure de la connaissance du VIH/SIDA par les gays.
Opinions des gays sur leur vulnérabilité
Deux opinions apparaissent à ce niveau. Certains pensent que les gays sont, comme tous les
groupes sociaux, vulnérables au VIH/SIDA, parce qu’ils sont exposés de la même manière. Ils ne
pensent pas que leur pratique sexuelle particulière les expose plus ou moins que les hétérosexuels.
Les raisons de cette vulnérabilité seraient, comme pour toute population aussi, le manque
d’informations sur la prévention, la non protection, l’appât du gain, l’isolement dû à la
stigmatisation sociale, le manque de contrôle de soi devant le sexe, l’ignorance des voies de
transmission, l’infidélité, etc.
D’autres soutiennent que les gays sont moins vulnérables que les autres populations. Une telle
appréciation dépend de la connaissance que les gays ont des modes de transmission du SIDA.
C’est ainsi que les gays disent :
« Comment peut-on attraper le SIDA si on ne couche pas avec une femme » ou
« nous sommes vierges car nous n’avons jamais couché avec des femmes, donc
nous ne pouvons pas attraper cette maladie ».
Ils l’expliquent par d’autres raisons : premièrement, ils prennent suffisamment de précautions pour
bien lubrifier l’anus de telle sorte qu’il n’y ait pas de lésion qui laisserait s’infiltrer le sperme de
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
31
l’actif dans les parois de l’anus du passif ; ce qui, du coup, ne créerait aucun risque de
transmission. Deuxièmement, le passif ne garde pas le sperme de l’actif, il défèque avec juste après
l’acte sexuel. Troisièmement, c’est seulement l’actif qui jouit, ce qui réduit le risque de
contamination, alors que chez les hétérosexuels, c’est l’homme et la femme qui jouissent en même
temps, ce qui augmente le risque de contamination.
2.4 - COMPORTEMENTS
VULNERABILITE
SEXUELS
DES
GAYS
ET
LEURS
RISQUES
DE
Les informations recueillies dans ce paragraphe visent à faire connaître les différents modes de la
pratique sexuelle des gays, leurs histoires sexuelles ainsi que les risques d’exposition au
VIH/SIDA qu’ils courent, notamment par rapport aux questions de partenariat et de protection ou
de non protection par le préservatif.
2.4.1 - Age et circonstances du premier rapport homosexuel
L’âge du premier rapport homosexuel se situe généralement entre 9 et 20 ans avec une moyenne de
17,6 ans. Il indique, d’une part, la précocité de celui-ci et d’autre part, la longue durée d’exposition
si aucun moyen de prévention n’a été utilisé.
Les circonstances de la première expérience homosexuelle témoignent d’un contexte d’attirance
sentimentale, physique et consentante. Ce qui s’explique par le fait que 76% de gays n’ont jamais
reçu d’argent ou de cadeaux en échange de ce rapport. Il est apparu que le premier rapport
homosexuel a eu lieu le plus souvent sur invitation à domicile du partenaire. L’initiative de rapport
vient généralement du partenaire (71%). Ensuite, vient le consentement mutuel, dans 16% des cas.
13% des enquêtés l’ont eux-mêmes voulu. Les circonstances qui entourent ce premier acte
diffèrent selon l’occasion de rencontre, le lieu et l’endroit où a eu lieu l’acte. Les résultats de cette
étude font ressortir les circonstances suivantes :
- Après une fête (festivités scolaires de fin d’année scolaire, soirée à l’hôtel, soirée
théâtrale, Noël, Pâques, anniversaires). « Ce dernier a apprécié la façon dont il a dansé lors d'une
fête, il l'a invité chez lui après la fête et a eu le rapport avec lui » « Je l’ai connu lors d’un concert
musical au palais des Congrès. Nous avions causé et échangé nos contacts. On a commencé à se
fréquenter. Un soir il m’a rendu visite (ma femme n’était pas là) j’étais au lit. Nous avions
beaucoup parlé et abordé aussi la sexualité et c’est là où tout a basculé »
- Après une sortie en boîte de nuit ou après la vision d’un film pornographique gay :
« Au Nigéria, au cours d’une sortie, ils étaient allés en boîte et ils ont beaucoup bu. Ils se sont
retrouvés ensuite dans le lit du Nigérian». « Un soir après m’avoir invité chez lui et m’ayant offert
des cadeaux comme d’habitude on suivait un film porno, et ainsi il en a trouvé l’occasion »
- Suite à une longue négociation et plusieurs tentatives de drague : « Ça a commencé
par des attouchements ; puis un week end, je voulais venir voir mes parents à Lomé et un prêtre
m’a proposé de me prendre dans sa voiture. Nous avons dormi dans un hôtel à Agbodrafo et c’est
là qu’a eu lieu le 1er rapport ». « Le camarade apprenti coiffeur lui faisait souvent des avances. Il
a fini par céder et ils se sont retrouvés un jour dans une auberge et c’est là qu’ils ont eu le premier
rapport Gay »
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
32
- Dans la douche en se douchant ensemble, au lit en dormant ensemble, des amis en
étant toujours ensemble : « Il prenait sa douche ensemble avec son oncle qui a l’habitude de se
masturber en sa présence et un jour il l’a invité à le pénétrer » « Il était plus âgé que moi. Il me
donnait le bain chaque fois qu'il allait se laver. On dormait sur le même lit ». « Comme il dort
avec son oncle dans la même chambre, son oncle le tripote la nuit jusqu’à éjaculer sur lui. Au
cours d’une sieste, il le tripotait encore, il ne dormait pas et s’est laissé faire. Il en a pris goût et à
chaque vacance, il va à Port Gentil voir son oncle ».
- Lors des voyages ou des vacances : « il était en vacances à Paris et a dormi dans la
même chambre que son cousin ». « Lors d’une rencontre pendant les vacances au Bénin. Le
rapport a eu lieu à l’hôtel ». « Ils se sont rencontrés au Burkina Faso, le Gay vivait au Burkina et
le français s'était rendu au Burkina »
- A l’occasion de cérémonies mystiques à la plage :
« J’avais une femme qui ne me donnait pas d’enfants. J’ai cherché chez les
charlatans, un féticheur qui a dit que ce n’est pas la femme de ma vie. Que l’on va
lui faire la cérémonie pour trouver sa vraie femme et cette cérémonie devrait se
faire à la plage la nuit et on lui a fait savoir que sa vraie femme sera la sirène.
C’est au cours de cette cérémonie qu’a eu lieu le premier rapport avec le
féticheur ».
Après la cérémonie, il déclare n’avoir plus d’attirance pour sa femme mais pour les hommes.
2.4.2 - Partenariat sexuel
Une grande majorité des gays interrogés a eu comme partenaire au premier rapport homosexuel un
ami (65%) comme l’illustrent ces propos :
«On était des amis très proches, on partageait tout et puis un soir c'est arrivé.
C'était chez moi ». « Lors d'une séance de groupe de travail, il s'est retrouvé seul
avec le camarade, les autres camarades étant absents ». « Ils étaient à l'Internet.
Il a appelé son ami de l'aider à faire des épreuves d'anglais. Et après ils sont
partis prendre leur bain. L'ami a rejoint le Gay dans sa douche ».
Ensuite la première expérience homosexuelle a eu lieu dans 19% des cas avec un partenaire lié par
un lien de parenté (cousin, oncle, parent, grand frère, etc.). Les partenaires occasionnels
représentent 7% et les expatriés, 3%.
Les partenaires au dernier rapport homosexuel restent en grande majorité des amis mais autres que
ceux du premier rapport homosexuel (49%), des partenaires occasionnels (21%) et des partenaires
habituels (14%). Environ 48% ont eu des rapports avec une femme avant ce premier rapport
homosexuel.
En ce qui concerne le multi partenariat, 18% des enquêtés n’ont pas de partenaires au moment de
l’enquête et 1 sur 2 n’a qu’un seul partenaire. Le reste des enquêtés ont plus de 2 partenaires. De
plus, près du tiers des enquêtés (30%) affirment avoir déjà assisté ou participé à une partouze
homosexuelle.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
33
2.4.3 - Utilisation du préservatif
L’utilisation du préservatif par les gays est généralement faible lors du premier rapport. Environ
32 % des gays de l’échantillon ont déclaré avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport
homosexuel. Cela n’est pas surprenant d’autant plus que pour la majorité d’entre eux ce premier
rapport a lieu à un jeune âge, au moment où ils ignoraient l’existence des IST/VIH/SIDA et du
préservatif (plus de 42 gays ont dit ne pas connaître le préservatif). De plus, l’initiative de ce
premier rapport venait rarement d’eux (82 gays sur 122 ont déclaré que l’initiative du premier
rapport gay venait du partenaire); ou ils étaient entraînés par des personnes plus âgées qu’eux.
« On était trop petit, on ne parlait pas beaucoup des maladies et on ne savait rien des
préservatifs » s’est confié un enquêté. Quelques uns d’entre eux n’avaient pas trouvé nécessaire
l’utilisation du préservatif puisqu’il n’y avait pas risque d’attraper une grossesse et qu’ils ne
savaient pas qu’on peut contracter les IST dans l’acte homosexuel.
Le dernier rapport des gays connaît un taux plus élevé d’utilisation de préservatif (60 %).
Tableau
Utilisation du préservatif
1er rapport gay
Dernier rapport gay
Tout rapport gay
Utilisation
Effectifs
%
39
32
73
59,8
25
20,5
Non utilisation
Effectifs
%
83
68
49
40,2
97
79,5
Total
122
122
122
Source : URD, Enquête HOMO, 2006
La raison de l’utilisation du préservatif la plus souvent évoquée (aussi bien pour le premier rapport
que pour le dernier rapport) est la protection contre les IST et surtout le VIH/SIDA. Du premier au
dernier rapport, il y a une prise de conscience accrue du danger que représentent les
IST/VIH/SIDA. Un nombre de plus en plus important de gays se disent être informés de
l’existence des maladies.
-
« J’avais peur des maladies ; mon partenaire avait des amis et aussi une femme et une
fille »
-
« J’ai peur d’attraper des maladies, des IST et surtout le SIDA. On parle beaucoup du
SIDA maintenant et je veux préserver ma vie ».
-
« J’ai découvert dans une brochure que les gays sont vulnérables au VIH/SIDA et qu’il
y a un fort pourcentage de séropositifs gays, c’est pourquoi je me protège ».
-
« Maintenant on est grand et tout le monde se protège ».
-
« J’ai acquis l’habitude d’utiliser systématiquement le condom ».
D’autres raisons telles que la méfiance à l’égard d’un partenaire occasionnel (7sur 122), l’exigence
du partenaire (6 sur 122), le désir de ne pas recevoir le sperme dans l’anus (3 sur 122) et la
grossesse ont été aussi soulignées.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
34
Bien qu’il y ait une progression du taux d’utilisation du condom du premier au dernier rapport gay,
il est à noter cependant que la proportion de gays qui n’utilise pas systématiquement le préservatif
lors de tout rapport reste très importante (80%).
Les raisons de la non utilisation systématique du préservatif lors de tout rapport sont :
•
La confiance et la fidélité à son partenaire. « Mon partenaire est fidèle à moi et j’ai
confiance en lui. J’utilise le condom uniquement pour les partenaires occasionnels ».
•
L’oubli et la non disponibilité du préservatif à portée de main lors du rapport
•
L’absence ou la diminution du plaisir. « Je préfère le corps à corps ; le préservatif
inhibe mon érection, ça ne me procure pas de plaisir ».
•
•
Refus du partenaire (raisons évoquées par des passifs)
Préjugés sur le condom. « Le condom n’est pas bon. Sur Internet, on a mis une croix
sur un gay qui porte le condom ».
L’on mesure aisément le risque de vulnérabilité auquel ces homosexuels ont pu s’exposer à chaque
fois, risques qui se trouvent accentués.
2.4.4 - Différentes maladies dans la communauté gay et leur prise en charge
Les focus groups et les entretiens individuels ont révélé que les IST et le SIDA existent bel et bien
dans la communauté des homosexuels. A l’unanimité, les enquêtés reconnaissent que les gays sont
souvent victimes des IST/VIH/SIDA, surtout ceux qui ont des relations sexuelles non protégées.
-
12% des enquêtés déclarent avoir été victimes des IST ;
36% disent connaître des gays ayant été victimes des IST ;
21% disent connaître des gays qui ont le VIH/SIDA.
Les IST les plus citées sont la blennorragie, la syphilis, le chancre mou et la chaude pisse. En plus
de ces maladies sexuellement transmissibles qu’on rencontre aussi bien chez les actifs que les
passifs, ces derniers souffrent d’autres affections telles que les hémorroïdes, les déchirures anales
et le ballonnement du ventre. Selon un enquêté passif, « le ballonnement du ventre provient du
sperme. Lors de l’éjaculation au cours du rapport non protégé, le sperme rentre dans le ventre et
provoque le ballonnement » (focus group1).
Mais, pour certains, la plus grave maladie des homosexuels est d’ordre psychologique. La
souffrance ou la difficulté qu’ils ont de pouvoir parler de leurs problèmes de santé à un docteur ou
de se confier à quelqu’un pour leurs problèmes d’amour. Ils dépriment quelques fois et cette
déprime est à la base d’autres maladies somatiques. Dans ces cas, la prise en charge psychologique
se fait par les amis homosexuels et c’est l’une des raisons de la création des réseaux ou des
groupes d’amis.
S’agissant des démarches thérapeutiques en cas d’infections et de la prise en charge des frais
médicaux, les enquêtés ont dit avoir eu recours à l’automédication (achat de produits au marché et
à la pharmacie villageoise). Très peu ont consulté des médecins car ils se disent que ces derniers ne
les comprennent pas. En réalité, c’est par peur qu’on découvre qu’ils sont homosexuels qu’ils
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
35
n’expliquent pas à fond leurs maux aux médecins. Par conséquent, pour contourner ces difficultés,
certains se font passer, devant le médecin, pour des gens qui sont juste venus demander des
renseignements pour des amis ou des parents, alors qu’il s’agit d’eux-mêmes.
2.5 - SUGGESTIONS DES GAYS EN SANTE SEXUELLE ET EN STRATEGIES DE
LEUR MISE EN ŒUVRE
Compte tenu des problèmes de santé spécifiques aux gays, la préoccupation essentielle développée
ici est de recueillir auprès d’eux des suggestions pour l’amélioration de leur santé sexuelle et pour
la meilleure façon de les faire accéder aux prestations de services. Les propositions des gays
couvrent un large éventail de domaines à savoir l’accès aux produits, à l’information et à la
formation, à une prise en charge en cas de besoin et à un counseling efficace. Ils n’ont pas oublié
d’autres problèmes relatifs à leur reconnaissance juridique, sociale et politique.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
36
2.5.1 - En matière d’accès à l’information
L’information sur les IST/VIH/SIDA à mettre à la disposition des gays est capitale. Ils affirment
ne pas se reconnaître dans les campagnes et publicités qui passent souvent sur les médias et qui
sont plus destinées aux hétérosexuels. Aussi proposent-ils d’avoir des informations fiables sur :
o
o
o
o
o
o
Les comportements à risques (multi partenariat, non protection…) ;
L’utilisation des préservatifs ;
Le dépistage volontaire ;
Les produits, leur utilité et leur utilisation (gel, condoms, pommades…) ;
Les IST/VIH/SIDA (Modes de contamination des IST, risques d’infection au VIH,
moyens de protection, de traitement) ;
Les risques encourus à travers les différentes formes de sexualité.
Toute la difficulté réside dans la manière pour eux d’accéder aux informations qui les concernent
spécialement. Les stratégies suivantes ont été proposées :
L’utilisation des réseaux gays
o
o
o
Information des gays à l’occasion de leurs anniversaires et soirées récréatives ;
Sensibilisation des gays par l’intermédiaire des pairs gays ;
Organisation des conférences débats, annonces, spectacles.
L’utilisation des canaux ou structures existants
Les gays ont insisté sur l’intérêt des émissions d’éducation et de sensibilisation par la publicité sur
les médias (radio, télévision) de façon à ce que l’information atteigne aussi les zones reculées.
o
o
o
Utilisation des mêmes canaux d’information et de sensibilisation que pour les
hétérosexuels (émissions sur radio et télé, média + panneaux publicitaires) ;
faire des publicités pour les gays au même moment que pour les hétérosexuels
(affiches publicitaires,…) ;
création d’un centre de documentation et fourniture en revues spécialisées.
Toutefois, les gays ne sont pas tous unanimes sur la manière de réaliser cette publicité. Les uns
approuvent cette publicité gay sur les médias (spots de sensibilisation à la radio, à la télé, sur les
panneaux), d’autres s’y opposent.
« Il serait préférable que la sensibilisation se fasse à travers les réseaux
puisqu’ils sont déjà en contact avec les multimédia de leurs zones. La pub,
c’est comme on se jette dans la tombe. Un hétéro peut le faire, dans ce cas il est
libre et à l’aise, car il ne va pas être doigté dans la rue comme étant un gay
parce qu’il a fait la publicité sur les gays » (focus group1).
L’utilisation des endroits fréquentés par les gays (boîtes de nuit, discothèques, etc.) pour
l’affichage des panneaux publicitaires
Cela peut se faire de la même manière que le projet Haute Protection où les affiches concernant les
militaires sont placées dans les casernes et commissariats.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
37
Même, si la majorité des participants à la discussion est pour la publicité, les gays redoutent des
effets de ces publicités sur une population fortement hostile à l’homosexualité. La crainte d’attiser
et d’éveiller le stigmate des gens explique l’opposition de certains gays à la publicité. Les affiches
peuvent se mettre dans des lieux visités par les gays comme certaines boîtes de nuit ou certaines
discothèques.
2.5.2 - En matière de mise à disposition des produits
La plupart des gays ont évoqué d’énormes difficultés à accéder aux produits dont ils ont besoin tels
que les préservatifs, les lubrifiants et les gels adaptés à leur pratique sexuelle. La non utiisation de
ces produits provoque des douleurs au cours des rapports sexuels et accroît le risque de
vulnérabilité comme l’attestent les propos d’un pair :
« Moi, j’avais eu des rapports avec un expatrié qui a utilisé un lubrifiant qu’il a
ramené de chez lui. Au cours du rapport, tu ne sens même pas la douleur alors
qu’entre nous, ce sont des cris de douleurs, des pleurs chaque fois. Le lendemain, tu
es très fatigué ».
Face à ces difficultés, les enquêtés proposent d’une part la mise à disposition complète de ces
produits à des prix réduits et d’autre part, de meilleures stratégies pour les leur faire accéder. Trois
grands types de stratégies sont proposés :
L’utilisation de leurs réseaux
Les gays désapprouvent les structures avec inscription, aussi proposent-ils de passer par leur
réseau pour éviter les discriminations et les lynchages, « le contact des réseaux en permanence
serait plus probable. Les réseaux de la région par exemple feront face au public gay et cela
éviterait les va et vient de tout un chacun des gays afin que ce centre ne soit doigté de tel ou tel
nom ». « Nous sommes des pairs éducateurs. Si on formait ces pairs et qu’on leur donnait les
informations et les moyens, les interventions pourraient se faire à travers eux. Par exemple, si un
gay a des condoms et il se trouve à Akodessewa, un autre a des lubrifiants, si quelqu’un a besoin
de tel ou tel produit il va chez le pair qui en dispose et l’accès aux produits par les gays se fait
alors par l’intermédiaire des pairs» (focus group1).
Le recours aux réseaux facilitera la :
o
o
o
o
Distribution des lubrifiants par des appels intimes ;
Distribution lors des soirées gays ;
Création d’un circuit de distribution par les pairs gays ;
Distribution par le circuit des centres d’accueil Gays.
L’utilisation des structures sanitaires et médicales existantes :
La suggestion de mettre les produits dans les pharmacies au même titre que les autres produits afin
que les Gays ne soient pas complexés d’aller les chercher dans des pharmacies spécialisées a été
faite. A ce sujet, ils ont proposé la formation des pharmaciens pour mieux répondre à leurs attentes
et besoins. Ils suggèrent la :
o Création d’un circuit de distribution par un fournisseur en toute discrétion ;
o Mise à disposition des produits pour Gays dans les centres de santé, pharmacies
ordinaires, centres de conseil.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
38
L’utilisation d’autres structures de distribution :
o Création de sex shop ;
o Création de pharmacies et boutiques gays discrètes
o Création de kiosques de distribution.
2.5.3 - En matière de prise en charge
Les gays sont confrontés à des problèmes de santé et ils ont besoin d’être pris en charge.
Cependant, la crainte d’être découvert et la peur de la réaction du personnel médical font que les
gays hésitent à se faire soigner pour leurs maladies liées à leurs pratiques sexuelles. Ils vivent
cachés et la consultation est pour eux synonyme de dévoilement. « Dans certains cas les gens
n’arrivent pas à expliquer ce qu’ils ont au docteur. Mais ils ont peur qu’on les découvre parce que
le docteur bien avant au cours de sa formation a eu à apprendre tout cela. C’est plutôt le patient
qui a peur qu’on le découvre donc il ne veut pas dire exactement ce qu’il a au docteur » (focus
group1).
Le personnel de santé n’est pas suffisamment préparé à la prise en charge des gays. « L’essentiel
c’est de faire comprendre aux médecins qu’être gay ce n’est pas un choix. Si quelqu’un se présente
à eux, qu’ils aient le courage de l’aider sans préjugés car certains médecins font des reproches à
leurs patients après les avoir écoutés » (focus group1).
Les gays ont proposé :
o
o
o
o
o
Création d’ONG ou associations gays de prise en charge des gays atteints du VIH/SIDA ;
Formation et sensibilisation du personnel de santé à la prise en charge des gays ;
Réduction du coût des médicaments ;
Création des centres de santé pour gays mais dans l’enceinte des centres de santé publics ;
Promotion de programmes de santé sexuelle spécifiques et ciblés.
2.5.4 - En matière de counseling
Ne disposant pas de sources d’information appropriées qui puissent les guider pour vivre
convenablement leur sexualité, les enquêtés aimeraient être de temps en temps conseillés sur les
conduites à tenir, les comportements sexuels à adopter afin d’être hors de danger ou de prendre
moins de risques. Aussi suggèrent-ils :
o
o
o
o
o
o
Création d’un centre d’écoute psychologique pour les déprimés (gays) ;
Mise à contribution des réseaux et des pairs ;
Création de maisons d’accueil de gays en difficultés ;
Amélioration de la qualité de l’accueil et de l’écoute dans les centres de santé actuels ;
Organisation de séances de counseling une fois par mois dans les centres ATBEF et
ONG pour les gays ;
Identification et formation des pairs éducateurs gays.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
39
2.5.5 - Autres suggestions
Elles portent essentiellement sur la reconnaissance sociale, juridique et politique des homosexuels.
A cet effet, les gays souhaitent l’intervention de l’Etat pour leur accorder la liberté de vivre leur
sexualité et de s’organiser. Plus qu’un accord, ils demandent le soutien officiel de celui-ci. Pour
eux, la mise en place d’une politique claire de lutte contre la discrimination serait déjà un grand
pas en avant dans la résolution de leurs problèmes de santé. Ils le disent en ces termes :
« L’essentiel est que les autres nous laissent un peu tranquilles vivre notre vie ».
« Les Gays doivent être libres vis à vis des autorités. Ils ne doivent pas être
inquiétés par la Police ni par la Gendarmerie ». «Il faut que les autorités
parviennent à légitimer l’homosexualité » « Je veux que les Gays aient un droit à
la vie, il faut les accepter comme les hétéro, et je pense que s’il y avait
l’autorisation, il devait y avoir la fidélité à un seul partenaire en se mariant. Et
comme çà il devait avoir réduction de transmission des maladies».
o
o
o
o
o
o
Reconnaissance officielle de l’homosexualité au Togo et dans tous les pays ;
Facilitation pour un dialogue social en faveur des gays ;
Création des ONG de défense des gays victimes des menaces et de discrimination ;
Création des conditions d’une meilleure sociabilité entre les gays et leurs familles ;
Débats sur les gays et sensibilisation du grand public à travers les médias ;
Aide aux homosexuels dans leurs activités génératrices de revenus.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
40
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
L’étude sur les homosexuels au Togo menée par l’URD, avec l’appui technique et financier de
PSI-Togo (Population Services International), a pour but de mettre à la disposition du
Gouvernement togolais et des Responsables de Programmes de Santé de la Reproduction (SR), des
informations fiables pour la lutte contre le VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels
hommes (gays). De façon plus spécifique, cette étude vise à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
Pour ce faire, une démarche essentiellement qualitative basée sur l’approche « ethnographie par
les pairs » 10 a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre de cette approche, des
entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés auprès de 122 gays et une vingtaine de
personnes âgées. L’étude a été principalement réalisée à Lomé et ses environs, mais aussi dans
trois villes de l’intérieur du Togo (Aného, Kpalimé et Kara). Les données ont été enregistrées sur
cassettes et retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH.
L’ensemble de l’étude a duré quatre mois (du 01 avril au 31 juillet 2006).
Les résultats de l’étude révèlent ainsi ce qui suit :
Du point de vue fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité au Togo, les jeunes
gays ont une opinion différente de celle de certaines personnes âgées. Si pour les gays enquêtés,
l’homosexualité est naturelle et est, de ce fait, intrinsèque au fondement de la personnalité et de la
culture des sociétés togolaises, pour certains acteurs coutumiers et des opinions nationales relayées
par la presse, elle n’a jamais existé et n’a aucun fondement social ou culturel local.
Sur le plan organisationnel, les gays forment des réseaux dont certains sont structurés et
fonctionnent comme de véritables associations. Les nouvelles technologies de l’information et de
la communication dont l’Internet offrent aux gays un moyen facile de se communiquer entre eux et
avec d’autres jeunes sur tous les sujets possibles y compris la sexualité dans toute sa diversité.
L’évaluation de la connaissance des IST chez les homosexuels a montré que près d’un quart des
gays enquêtés ne connaissent pas les IST. Parmi ceux qui connaissent au moins une IST, il se pose
aussi des problèmes de confusion avec d’autres maladies. Cela montre assez clairement que les
enquêtés ont des connaissances insuffisantes et à la limite erronées sur la nature des IST et leurs
symptômes.
10
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes. Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la
collaboration de CARE International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des
Adolescents à Lusaka.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
41
La plupart des gays interrogés savent que le VIH/SIDA peut être contracté par voie sexuelle et par
l’utilisation des objets tranchants. Les perceptions des gays vis-à-vis du SIDA sont tributaires de la
qualité de l’information reçue sur la pandémie. 90% d’entre eux ont cité le condom comme moyen
de prévention, même si son utilisation n’est pas systématique. Ainsi, c’est 79% des gays qui
n’utilisent pas systématiquement le condom.
L’âge moyen des gays au premier rapport homosexuel est de 17,6 ans. Les circonstances de cette
première expérience témoignent d’un contexte d’attirance sentimentale, physique et consentante,
généralement sur initiative du partenaire.
Les gays hésitent à rechercher les soins auprès d’un personnel de santé en cas d’infection aux IST
par peur ou par honte de se faire découvrir.
La méconnaissance des gays sur leurs risques d’exposition au VIH/SIDA interpelle les
responsables engagés dans la lutte pour plus de sensibilisation par les canaux adéquats en utilisant
des messages appropriés. A travers leurs interventions, on sent que les gays cherchent des
interlocuteurs valables à qui confier leurs problèmes. Ils sont conscients des innombrables
problèmes auxquels les gays sont confrontés en santé sexuelle. Ils ont proposé des suggestions aux
effets visibles et durables tant pour les structures que pour l’information et la prise en charge de la
santé sexuelle des gays.
Une grande majorité de gays a suggéré la création de centres, d’ONG ou d’associations pour les
gays, destinés à fournir des informations, à mener des activités de sensibilisation et de soutien sur
une large gamme de problèmes de santé. Une sensibilisation accrue sur le phénomène de
l’homosexualité serait une stratégie appropriée pour permettre une meilleure compréhension, un
meilleur soutien et davantage de liberté d’action des gays. Elle est susceptible d’apporter des
réponses aux défis actuels dans la prévention du sida auprès des gays et d’ouvrir une voie vers la
promotion qualitative de leur santé sexuelle.
Au vu de ces résultats, les recommandations pour une lutte efficace contre les IST/VIH/SIDA au
sein de la communauté des homosexuels peuvent être formulées :
-
Mener des campagnes d’éducation et de sensibilisations des gays sur les comportements à
risques, les modes de contamination des IST/VIH/SIDA, la nécessité de l’utilisation
systématique des préservatifs et les produits adaptés aux pratiques sexuelles des gays par
l’utilisation des réseaux gays et des canaux ou structures existants ;
-
Mettre en place des circuits de distribution des préservatifs, des gels et des lubrifiants à
moindre coût par le canal des réseaux, des structures sanitaires et médicales existantes ;
-
Former et sensibiliser le personnel de santé à la prise en charge socio sanitaire des gays ;
-
Identifier et former des pairs éducateurs gays ;
-
Créer un centre d’écoute psychologique où seront organisées des séances de counseling à
l’intention des gays ;
-
Entreprendre une étude d’envergure nationale sur l’homosexualité (gays et lesbiennes)
aussi bien dans les milieux urbains que ruraux ;
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
42
-
Mettre en place en même temps que l’intervention en santé sexuelle, des stratégies de lutte
contre la stigmatisation, les violences et l’exclusion dont sont victimes les homosexuels
dans leur environnement, ce qui leur faciliterait l’accès aux programmes de prévention ;
-
Encourager la collaboration entre ONG intervenant dans cette communauté en vue de
lancer avec les autorités compétentes un débat sur la reconnaissance, l’acceptation sociale
et juridique de l’homosexualité au Togo.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
43
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
44
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URD (2006). - Etude sur les connaissances, attitudes et pratiques en matière des IST/VIH/SIDA au
Togo, Rapport de recherche. - Lomé : URD, 86 p.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
45
ANNEXES
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
ANNEXE 1
46
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
47
Université de Lomé
UNITE DE RECHERCHE DEMOGRAPHIQUE
(URD)
BP 12971 – Tél. : (228) 221-17-21 - Fax : (228) 222-08-89
E-mail : [email protected] –
http://www.urd-lome.org
Lomé – TOGO
SANTE SEXUELLE DES GAYS ET
VIH/SIDA AU TOGO
Rapport de Recherche
(Version provisoire)
Lomé, Juillet 2006
Financement
Population Services International
(PSI)
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
48
Citation recommandée :
URD (2006) - Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo, Rapport de Recherche, Lomé, URD,
34 p.
SOMMAIRE
SIGLES ET ABREVIATIONS....................................................................................................... 5
REMERCIEMENTS ....................................................................................................................... 6
RESUME EXECUTIF..................................................................................................................... 7
INTRODUCTION ......................................................................................................................... 10
I- PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE
L’ETUDE........................................................................................................................................ 10
1- 1- PROBLEMATIQUE ........................................................................................................... 10
1-2- JUSTIFICATION DE L’ETUDE......................................................................................... 12
1.3. OBJECTIFS DE L’ETUDE.................................................................................................. 13
1.3.1- Objectif général ............................................................................................................. 13
1.3.2- Objectifs spécifiques...................................................................................................... 13
1-4- PORTEE SANITAIRE ET SOCIALE DE L’ETUDE......................................................... 13
1.5- DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE L’ETUDE......................................................... 13
1.5.1- Présentation du champ et de la population de l’étude ................................................... 13
1.5.2- Méthode et techniques de collecte des informations ..................................................... 14
1.5.3- Organisation et déroulement de l’étude......................................................................... 15
1.5.4- Limites de la méthodologie utilisée............................................................................... 17
II. RESULTATS DE L’ETUDE ................................................................................................... 18
2-1- FONDEMENTS HISTORIQUES ET SOCIO-CULTURELS DU PHENOMENE DE
L’HOMOSEXUALITE AU TOGO............................................................................................. 18
2-1-1- Contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité ................................. 18
2.1.2- Evolution des pratiques et de la population homosexuelles : rites, mythes et catégories
démographiques ....................................................................................................................... 20
2.2- GAYS DANS LA SOCIETE TOGOLAISE ACTUELLE................................................... 22
2.2.1- Profils socio-démographiques des gays et signes d’identification ................................ 22
2.2.2- Structures d’organisation et de pouvoir......................................................................... 24
2.2.3- Perceptions sociales, auto perceptions des gays et considérations juridiques............... 26
2.3- CONNAISSANCE DES GAYS EN MATIERE DES IST/VIH/SIDA................................ 28
2.3.1- Connaissance des IST.................................................................................................... 29
2.3.2. Connaissance du VIH/SIDA .......................................................................................... 29
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
2
2.4- COMPORTEMENTS SEXUELS DES GAYS ET LEURS RISQUES DE
VULNERABILITE...................................................................................................................... 31
2.4.1. Age et circonstances du premier rapport homosexuel ................................................... 31
2.4.2- Différents modes de la pratique homosexuelle..................... Erreur ! Signet non défini.
2.4.3. Partenariat sexuel ........................................................................................................... 32
2.4.4- Utilisation du préservatif ............................................................................................... 33
2.4.5- Différentes maladies dans la communauté gay et leur prise en charge ......................... 34
2.5- SUGGESTIONS DES GAYS EN SANTE SEXUELLE ET EN STRATEGIES DE LEUR
MISE EN ŒUVRE ...................................................................................................................... 35
2.5.1- En matière d’accès à l’information................................................................................ 36
2.5.2- En matière de mise à disposition des produits............................................................... 37
2.5.3- En matière de prise en charge........................................................................................ 38
2.5.4- En matière de counseling............................................................................................... 38
2.5.5- Autres suggestions......................................................................................................... 39
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS ............................................................................ 40
REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES .................................................................................... 44
ANNEXES ...................................................................................................................................... 44
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
SIGLES ET ABREVIATIONS
ATBEF
:
Association Togolaise pour le Bien –Être Familial
CCC
:
Communication pour le Changement de Comportement
IST
:
Infections Sexuellement transmissibles
OMS
:
Organisation Mondiale de la Santé
ONG
:
Organisation Non Gouvernementale
ONUSIDA
:
Programme commun des Nations Unies sur le VIH/SIDA
PSI
:
Population Services International
SIDA
:
Syndrome de l’Immunodéficience Acquise
URD
:
Unité de Recherche Démographique
VIH
:
Virus de l’Immunodéficience Humaine
3
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
4
REMERCIEMENTS
Au terme de cette étude, l’équipe d’exécution coordonnée par l’Unité de Recherche
Démographique (URD) de l’Université de Lomé, tient à adresser ses sincères remerciements aux
Institutions et Personnes suivantes :
•
Population Services International (PSI) pour la confiance faite à l’URD dans la réalisation
de cette étude mais aussi pour son soutien financier et ses conseils techniques à certaines
phases du projet ;
•
Le Personnel de l’Administration et des Finances, les Chercheurs, le Personnel de la
Documentation et le Personnel du Soutien Logistique de l’URD, pour leur contribution à la
réalisation de cette étude ;
•
Les facilitateurs, les enquêteurs, les agents de saisie et l’informaticien qui ont travaillé
d’arrache-pied pour que les données soient collectées et mises en forme à temps pour la
rédaction du rapport ;
•
Les gays et les personnes âgées des différentes localités visitées, qui ont accepté de
participer et de collaborer directement ou indirectement à la collecte des informations très
enrichissantes qui, contribueront à l’amélioration de la santé sexuelle des gays et par
ricochet, à la réduction de la propagation de la pandémie du VIH/SIDA au Togo.
A tous, merci.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
5
RESUME EXECUTIF
L’étude sur les homosexuels au Togo menée par l’URD, avec l’appui technique et financier de
PSI-Togo (Population Services International), a pour but de mettre à la disposition du
Gouvernement togolais et des Responsables de Programmes de Santé de la Reproduction (SR), des
informations fiables pour la lutte contre le VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels
hommes (gays). De façon plus spécifique, cette étude vise à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
Pour ce faire, une démarche essentiellement qualitative basée sur l’approche « ethnographie par
les pairs » 11 a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre de cette approche, des
entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés auprès de 122 gays et une vingtaine de
personnes âgées. L’étude a été principalement réalisée à Lomé et ses environs, mais aussi dans
trois villes de l’intérieur du Togo (Aného, Kpalimé et Kara). Les données ont été enregistrées sur
cassettes et retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH.
L’ensemble de l’étude a duré quatre mois (du 01 avril au 31 juillet 2006).
D’une façon générale, les sociétés togolaises désapprouvent d’autant plus fortement
l’homosexualité que le mariage hétérosexuel reste sacré pour la procréation. De ce fait, les gays
ont été unanimes à déclarer que la société les rejette. Or, pour ceux-ci, l’homosexualité est innée et
tout individu ayant ce penchant finira un jour ou l’autre par se découvrir gay.
Du fait donc de l’ostracisme dont ils font l’objet, les gays s’organisent en réseaux dont certains
sont structurés et fonctionnent comme de véritables associations ayant à leur tête un bureau
comprenant un président, un secrétaire et un trésorier alors que d’autres optent pour une gestion
collégiale des affaires. Dans un cas comme dans l’autre, les médias et l’Internet jouent un rôle
important dans la circulation d’informations entre les gays.
L’âge moyen aux premiers rapports homosexuels est de 17,6 ans. Le partenaire au premier rapport
homosexuel est dans la majorité des cas un ami ou un membre du cercle familial (oncle, cousin,
frère, etc.). Ces premières expériences, généralement consentantes, sont dictées par l’attirance
sentimentale ou physique et ont lieu sur initiative du partenaire.
Les gays se répartissent en quatre catégories : les ‘passifs’, les ‘actifs’, les ‘versatiles’ et les
bisexuels. Les passifs sont des gays qui affichent des maniérismes féminins (démarches
ondulantes, tresses, tenues moulantes, dépigmentation de la peau, geste des mains, etc.). Les actifs
sont ceux qui jouent le rôle de partenaires masculins des passifs. Les versatiles sont des gays qui
11
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes. Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la
collaboration de CARE International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des
Adolescents à Lusaka.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
6
par moment peuvent être passifs ou actifs alors que les bisexuels ont des rapports sexuels avec des
hommes et des femmes.
La connaissance des gays en matière d’IST a été évaluée à partir de l’approche syndromique. Il
ressort des résultats qu’un gay sur quatre ne connait aucun symptôme d’IST ou confond ces
symptômes avec ceux d’autres maladies. Pour les autres, la connaissance des IST n’est pas
parfaite. En cas d’infection aux IST, les gays hésitent à rechercher les soins auprès d’un personnel
de santé par peur ou par honte de se faire découvrir. Aussi, la plupart se soignent par
automédication ou renoncent carrément à se faire traiter.
Presque tous les 122 gays interrogés savent que le VIH/SIDA peut être contracté par voie sexuelle
et par l’utilisation d’objets tranchants. Environ 9 gays sur 10 ont cité le condom comme moyen de
prévention contre le VIH/SIDA, même si la majorité d’entre eux (79%) ne l’utilisent pas
systématiquement lors des rapports sexuels. Les raisons évoquées pour la non utilisation
systématique du préservatif sont l’ignorance (les gays pensent que c’est seulement par les rapports
hétérosexuels qu’on court le risque d’attraper le VIH/SIDA), la diminution du plaisir, la confiance
faite au partenaire, le refus du partenaire, l’effet de psychotropes (alcool, drogues, etc.), le coût des
préservatifs propres aux gays, etc. Environ la moitié des gays enquêtés (51%) disent avoir fait leur
test de dépistage du VIH/SIDA mais le quart (24%) de ceux qui ont fait ce test ne sont pas allés
chercher leur résultat par peur de découvrir leur statut sérologique.
En vue d’améliorer leurs connaissances sur les IST/VIH/SIDA et leur santé sexuelle, les gays
suggèrent troix axes d’actions au profit de leur communauté : des actions d’éducation et
d’information, des actions de mise à disposition de produits et des actions de prise en charge de
leurs problèmes de santé sexuelle.
En matière d’éducation et d’information
Les gays affirment ne pas se reconnaître dans les campagnes et publicités qui passent souvent sur
les médias et qui sont surtout destinées aux hétérosexuels. Aussi, proposent-ils d’avoir des
informations fiables sur :
o
o
o
o
o
o
Les comportements à risques (multi partenariat, non protection, etc.) ;
L’utilisation des préservatifs ;
Le dépistage volontaire ;
Les produits (gel, condoms, pommades, etc.) et leur utilisation ;
Les IST/VIH/SIDA (Modes de contamination des IST, risques d’infection au VIH/SIDA,
moyens de protection, de traitement, etc.) ;
Les risques encourus à travers les différentes formes de sexualité.
En matière de mise à disposition des produits
La plupart des gays ont évoqué d’énormes difficultés à accéder aux produits dont ils ont besoin tels
que les préservatifs, les lubrifiants et les gels adaptés à leur pratique sexuelle. Leur non accès à ces
produits est cause de douleurs lors des rapports sexuels et accroît leurs risques de vulnérabilité aux
IST/VIH/SIDA. Face à ces difficultés, les gays proposent la mise à disposition de ces produits à
des prix abordables.
En matière de prise en charge des problèmes de santé sexuelle
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
7
Les gays disent être confrontés à des problèmes de santé sans pouvoir accéder aux soins appropriés
par peur d’être découverts ou par crainte de stigmatisation de la part du personnel de santé. Aussi,
proposent-ils les actions suivantes :
o
o
o
o
La création d’ONG ou d’associations de prise en charge des gays atteints du VIH/SIDA ;
La création des services pour gays dans les formations sanitaires existantes ;
La formation et la sensibilisation du personnel de santé aux services spécifiques à fournir
aux gays ;
La promotion de programmes de santé sexuelle spécifiques.
Pour la mise en œuvre de ces actions, les gays suggèrent les stratégies suivantes :
A court terme, utiliser les réseaux gays pour :
o
o
o
o
o
Identifier les gays à former comme pairs éducateurs ;
Informer les gays à l’occasion des différentes manifestations qu’ils organisent ;
Sensibiliser les gays par l’intermédiaire des pairs éducateurs gays ;
Créer un circuit de distribution de produits (les lubrifiants, les gels, les préservatifs,
etc.) par les pairs éducateurs gays ou par les centres d’accueil gays ;
Créer un centre d’écoute psychologique pour les déprimés (gays).
A court terme, utiliser les endroits fréquentés par les gays (boîtes de nuit, discothèques, etc.) pour
l’affichage des panneaux d’information et de sensibilisation (de type CCC).
A moyen ou long termes, utiliser les canaux ou structures existants pour :
o
o
o
Sensibiliser les gays au même titre que les hétérosexuels (émissions radio et télé,
panneaux d’information et d’éducation) ;
Créer un centre de documentation et de fourniture de revues spécialisées ;
Mettre à disposition des produits pour gays dans les formations sanitaires,
pharmacies ordinaires, fournisseurs agréés, etc.
Autres suggestions
En marge des suggestions portant spécifiquement sur leur santé sexuelle, les gays ont proposé
d’autres actions dont les principales sont :
o
o
La reconnaissance officielle de l’homosexualité au Togo ;
L’initiation de débats sur le droit à la sexualité et la sensibilisation du grand public à
travers les médias.
Au total, l’étude a permis de connaître les problèmes de santé des gays et leurs suggestions de
solutions. Cependant, ces problèmes et suggestions restent circonscris aux homosexuels hommes.
Ces réalités sont-elles les mêmes dans la communauté homosexuelle femme ? En d’autres termes,
les membres de cette communauté sont-ils soumis à la même vulnérabilité aux IST/VIH/SIDA que
les gays ? C’est autant de questions qui devraient interpeller les intervenants dans la lutte contre le
VIH/SIDA et qui méritent qu’on entreprenne une étude d’envergure nationale sur l’homosexualité
(gays et lesbiennes) aussi bien dans les milieux urbains que ruraux.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
8
INTRODUCTION
Le VIH/SIDA constitue aujourd’hui, et certainement pour longtemps encore, une des
préoccupations majeures des communautés médicales, scientifiques, politiques et sociales. Et pour
cause, la vulnérabilité à laquelle elle expose les populations, la rapide progression de sa contagion,
l’absence de vaccins et de thérapies pour l’endiguer, son effet sur l’intégrité physique et morale
des personnes malades, bouleversent des vies et des familles au point que le VIH/SIDA est devenu
un réel problème de santé publique. Les programmes de prévention et de sensibilisation pour
l’adoption des comportements sexuels sains, restent les seuls moyens de lutte à une échelle large.
C’est pourquoi, ces programmes de communication en vue d’un Changement de Comportement
(CCC) doivent absolument toucher toutes les catégories de la population et toutes les localités.
Malheureusement, l’accessibilité de l’ensemble des groupes sociaux à ces programmes pose
problème à cause du caractère sectaire ou clandestin de certains groupes, notamment les
homosexuels. L’homosexualité est cette forme d’inclinaison sexuelle qui conduit un individu
(masculin ou féminin) à avoir des rapports sexuels avec une personne de même sexe. Ainsi, une
femme qui a des penchants sexuels ou intimes envers une autre femme est appelée ‘’gouine’’ ou
‘’lesbienne’’ ; de même un homme qui a des rapports sexuels avec un autre homme est appelé
‘’pédé’’ ou ‘’gay’’. Dans les deux cas de figure il y a ‘’homosexualité’’. Or, des études ont mis en
évidence une prévalence du VIH/SIDA très élevée dans cette communauté (ONUSIDA, 2000 ;
Niang, Cheikh Ibrahima et al., 2002 ; Djonoukou, 2003 ; etc.). Dans le cadre de la lutte contre les
IST/VIH/SIDA, un accent particulier doit être mis sur les groupes à haut risque. D’où la nécessité
d’approfondir les connaissances sur le groupe des homosexuels.
Cette évidence est partagée par PSI-TOGO et constitue l’une de ses préoccupations essentielles,
notamment à travers son programme, ¨Réduire les écarts : une approche intégrée de lutte contre le
VIH/SIDA¨.
La présente étude commanditée à cet effet, a pour but de mieux connaître la communauté
homosexuelle au Togo, d’évaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST/VIH/SIDA
et de recueillir les suggestions d’actions à mener dans cette communauté. Les résultats de cette
étude permettront de concevoir des axes de communication, d’information et d’éducation sur les
IST/VIH/SIDA au service de cette communauté pour une amélioration de la santé sexuelle de ses
membres.
Le présent rapport s’articule autour de deux parties : i) la première, présente la problématique, les
objectifs et la démarche méthodologique de l’étude ; ii) la deuxième expose les résultats à savoir :
les fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité au Togo, ses structures et son
organisation, le niveau de connaissance en matière des IST/VIH/SIDA et les comportements
sexuels des gays, les suggestions recueillies auprès de ces communautés pour l’amélioration de
leur santé sexuelle.
I - PROBLEMATIQUE, OBJECTIFS ET DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE
L’ETUDE
1-1 - PROBLEMATIQUE
La sexualité, quelque soit son orientation, est un élément essentiel dans la vie des jeunes et des
adultes qui ont tous le droit de la vivre sans être jugés, persécutés ou discriminés. Selon l’OMS, la
santé sexuelle est « un état de bien-être physique, affectif, psychologique et social lié à la
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
9
sexualité, et pas seulement comme l’absence de maladies, de dysfonctionnement ou d’infirmité »
(Picavet et Reiders, 2006). Elle implique une conception de la sexualité qui soit positive et fondée
sur le respect ainsi que sur la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sans
risques, à l’abri de toutes contraintes, discriminations ou violences.
Mais, aujourd’hui, cette sexualité est sujette à de nombreux risques de maladies dont le sida.
D’après le Rapport de l’ONUSIDA (2005), le nombre de nouvelles infections tend à s’accentuer
particulièrement en Afrique au Sud du Sahara où le nombre de personnes vivant avec le VIH est
passé de 3 millions en 2003 à 3,2 millions en 2005. Il importe que des efforts soient
perpétuellement déployés afin d’infléchir cette courbe de croissance exponentielle. Il faut donc,
non seulement poursuivre les programmes de prévention en IST/VIH/SIDA déjà amorcés, mais
aussi et surtout inventer de nouvelles réponses en prenant en compte les groupes spécifiques ou à
haut risque comme les migrants, les consommateurs de drogue et les homosexuels.
La problématique de l’homosexualité en rapport avec les IST/VIH/SIDA révèle des situations
assez complexes et assez graves dans la plupart des sociétés. En effet, l’homosexualité existe dans
la plupart des sociétés et présente un risque très élevé de transmission du VIH/SIDA dans la
mesure où le rapport sexuel est en fait un rapport anal avec pénétration.
Les homosexuels qui constituent un des groupes les plus vulnérables en matière d’IST/VIH/SIDA
sont oubliés dans les efforts d’amélioration de la santé sexuelle et des politiques visant à la
réduction de la propagation de la maladie. Or, selon l’ONUSIDA (2000), « les rapports sexuels
entre hommes existent dans la plupart des sociétés. C’est une réalité que la société réprouve
souvent, pour des raisons culturelles. La visibilité publique de la sexualité entre hommes varie
donc considérablement d’un pays à l’autre. La sexualité entre hommes englobe fréquemment le
rapport anal, qui comporte un risque très élevé de transmission du VIH pour le partenaire passif
(celui qui est pénétré) et un risque important bien que moindre, pour le partenaire actif (celui qui
pénètre) ».
Dans le contexte africain, la question de l’existence des gays rencontre généralement une hostilité
farouche (McKenna, 1996, cité par Niang Cheikh Ibrahima, 2002). Comparée à d’autres régions du
monde, l’Afrique a le plus bas niveau dans la prise de conscience et dans la communication au
sujet de l’homosexualité. 55 % des pays africains possèdent des lois contre les gays (McKenna,
1996, id.).
Les programmes de prévention du VIH/SIDA destinés aux homosexuels, d’après le rapport de
l’ONUSIDA 12 , rencontrent des difficultés de toute nature en Afrique. Il y a : i) l’insuffisance ou la
faible fiabilité des données épidémiologiques sur la transmission du virus entre homosexuels ; ii) la
méconnaissance ou la non visibilité de l’homosexualité et la difficulté de l’accès à cette population
considérée comme marginale ; iii) l’extension de cette pratique sexuelle à toutes les catégories
socio-démographiques (jeunes, élèves-étudiants, femmes-filles, toxicomanes) qui la rend de plus
en plus normale voire banale ; iv) le refus, dans les sociétés, d’accepter cette sexualité, voire
d’admettre son existence ; v) la stigmatisation et la criminalisation de l’homosexualité qui
expliquent largement cette marginalisation. L’illustration suivante montre bien les violences faites
aux gays au Ghana :
« In Ghana, male homosexuality is lumped in with bestiality, and gay activity brings
misdemeanor charges at minimum. The police have been known to arrest gay men,
rape them, and let them go. Last year in august, four young men were convicted
12
ONUSIDA, 2000, Le SIDA et les rapports sexuels entre les hommes : Actualisation ONUSIDA
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
10
of”indecent exposure” and”unnatural carnal knowledge” and sentenced to two
years each in prison”.
PSI/Togo s’intéresse aussi légitimement à toutes ces préoccupations, dans la mesure où l’ampleur
du phénomène est mal connue au Togo. Or, plusieurs études ont attesté de l’existence de
l’homosexualité dans le pays (Sallah, 1996 ; Acolatsé, 2001 ; Djonoukou, 2003). Ce phénomène
mériterait donc d’être cerné dans toutes ses dimensions : épidémiologiques, ethnologiques,
sociologiques, démographiques, gnoséologiques et comportementales.
Aussi, nous posons-nous les questions suivantes :
vii)
viii)
ix)
x)
xi)
xii)
Quels sont les fondements historiques, ethnologiques, sociologiques,
démographiques et géographiques du phénomène de l’homosexualité au Togo ?
Comment les populations togolaises perçoivent cette orientation sexuelle et ceux
qui s’y adonnent ?
Quels sont les modes de vie et leur organisation quotidienne, les comportements
particuliers, les enjeux et valeurs, propres aux populations homosexuelles ?
Quelles sont leurs pratiques sexuelles et quel sens donnent-elles particulièrement à
leur sexualité ?
Quel est le niveau de leur connaissance sur les IST/VIH/SIDA et quels sont les
contours de la situation épidémiologique de ces infections dans ces populations ?
Quelles sont les stratégies, en termes de CCC, qui pourraient émerger de ces
milieux et servir de base d’une lutte plus systématique contre le SIDA dans les
mêmes milieux ?
1-2 - JUSTIFICATION DE L’ETUDE
Au Togo, le VIH/SIDA touche principalement la population productive dont 81,5% sont de la
tranche d’âges 19-49 ans. Le nombre de personnes vivant avec le VIH varie actuellement entre 150
000 et 200 000. La rapidité de l’évolution de l’épidémie est très préoccupante. Les estimations
établies à la fin de 2000 indiquent que le Togo compte plus de 95000 orphelins du VIH/SIDA, sans
compter les veuves et les veufs de la pandémie (PNLS-Togo, 2001).
De ce fait, les programmes de prévention du VIH s’adressant aux homosexuels se révèlent d’une
importance cruciale. De part les tabous qui entourent le phénomène, il s’agit d’une population
particulièrement difficile à toucher, de par sa tendance à s’isoler et de par la tendance des autres
populations à la criminaliser et à la marginaliser.
Il y a surtout, l’insuffisance de connaissances, aussi bien démographiques, sociologiques,
historiques qu’épidémiologiques, relatives aux IST/VIH/SIDA chez les homosexuels, qui entrave
la lutte contre cette infection dans ces milieux. L’étude aura à livrer des éléments d’appréciation
sur les connaissances et les pratiques de ces personnes en matière des IST/VIH/SIDA et à évaluer
chez elles la perception ou le degré de la prise de conscience des risques et des facteurs de
vulnérabilité liés à cette forme d’orientation sexuelle.
PSI-Togo, à travers son programme dénommé « réduire les écarts : une approche intégrée de lutte
contre le VIH/SIDA », a l’intention de concevoir un projet de communication pour l’adoption des
comportements sexuels sains chez les homosexuels. Ainsi, afin de mieux définir les axes de
communication de ce projet et de développer un programme à l’endroit des homosexuels, il
importe de connaître les contours de ce phénomène au Togo.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
11
1.3 - OBJECTIFS DE L’ETUDE
1.3.1 - Objectif général
L’objectif général de cette étude est de mettre à la disposition du gouvernement togolais, des ONG
(nationales et internationales) et des responsables de programmes, des informations fiables pour la
lutte contre les IST/VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels.
1.3.2 - Objectifs spécifiques
De façon plus spécifique, l’étude vise dans l’immédiat à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
1.4 - PORTEE SOCIALE DE L’ETUDE
Les résultats de cette étude vont déboucher sur des actions qui vont permettre une meilleure
connaissance des IST/VIH/SIDA par les gays et, par conséquent, l’adoption de meilleurs
comportements sexuels. Ces résultats devraient par ailleurs permettre de leur fournir des services
adaptés pour l’amélioration de leur santé sexuelle.
1.5 - DEMARCHE METHODOLOGIQUE DE L’ETUDE
Pour atteindre les résultats escomptés, une démarche essentiellement qualitative basée sur
l’approche « ethnographie par les pairs » a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre
de cette approche, des entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés. Cette partie du
rapport présente le champ et la population d’étude, l’approche et les techniques de collecte, le
déroulement de l’étude et les limites de la méthodologie.
1.5.1 - Présentation du champ et de la population de l’étude
Les localités couvertes par l’étude sont Lomé, Kara, Kpalimé et Aného. La population cible est
composée d’homosexuels de sexe masculin, communément appelés gays. Au total, cent vingt deux
(122) gays dont l’âge varie entre 17 et 56 ans ont été interviewés. La plupart de ces gays sont
célibataires (85%). Si les gays enquêtés sont principalement togolais (89%), le groupe compte
également d’autres africains (8,5%) et des expatriés (2,5%). Ils ont un niveau d’instruction
relativement élevé (78% ont le niveau secondaire ou plus). Ils travaillent généralement dans le
domaine de la mode (stylistes, couturiers, coiffeurs, esthéticiens).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
12
1.5.2 – Approche et techniques de collecte des informations
Compte tenu de la délicatesse du sujet, l’approche « ethnographie par les pairs » de Hawkins et
Price a été retenue pour cette étude. Dans le cadre de cette approche, deux techniques de collecte
de données (focus groups et entretiens individuels approfondis) ont été utilisés.
•
L’approche « Ethnographie par les Pairs » de Hawkins et Price
Kirstan Hawkins et Neil Price ont conçu cet outil pour assister les agences de développement
travaillant dans les pays pauvres à renforcer leurs capacités d’intervention en matière de santé
sexuelle et reproductive des populations marginalisées 13 . Selon ces auteurs, le but de cette
approche est de produire des données qui permettent aux programmes de « comprendre et de
développer la santé sexuelle du point de vue des communautés elles-mêmes ». Il permet, par
ailleurs, d’identifier les groupes « marginalisés », « vulnérables » et « exclus » et de mettre en
place les stratégies pour les atteindre. Le principe de cette approche reste la démarche
participative, à travers le dialogue et les échanges que suscitent les « pairs chercheurs » au sein de
leurs réseaux. Les informations recueillies grâce à cette approche sont ensuite restituées par les
pairs au programme.
Concernant la présente étude, l’ethnographie par les pairs homosexuels a consisté en des entretiens
individuels et discussions de groupe. Vingt (20) pairs homosexuels ont d’abord été identifiés et
ensuite chargés, après des sessions de formation, de rencontrer d’autres gays. Ceux-ci sont
généralement les membres de leurs réseaux 14 . Après plusieurs séances d’entretien, les restitutions
ont eu lieu, presque quotidiennement, sur chaque site d’enquête.
•
Les techniques de collecte
o
Les Focus Groups
Cette technique, encore appelée « discussion de groupe », a été utilisée avec les pairs homosexuels
en prélude à leurs sessions de formation. Les informations recueillies au cours de ces discussions
ont constitué un test des matériaux de collecte préalablement élaborés. Elles ont également permis
de recueillir de nouvelles idées pour enrichir les canevas d’entretiens individuels.
Les sujets de discussions des guides d’entretien ont porté sur la connaissance des fondements
socio-culturels de l’homosexualité, les modes d’organisation des homosexuels et leurs suggestions
en matière de santé sexuelle (cf. annexe…).
o
Les entretiens individuels approfondis
Ils ont été réalisés d’abord avec les pairs par l’équipe technique. Ensuite, les pairs les ont conduits
auprès des membres de leurs réseaux respectifs. Dans les deux cas, les entretiens ont porté sur les
13
14
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes.
Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la collaboration de CARE
International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des Adolescents à Lusaka.
Mais, précisent les auteurs, il peut s’appliquer à toute catégorie démographique et à tout programme de
santé sexuelle et reproductive.
Les réseaux peuvent être formels ou informels. Dans ce dernier cas, il s’agit des groupes d’amis sans aucune
organisation.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
13
sujets tels que : le comportement sexuel, les connaissances en matière d’IST/VIH/SIDA, les
suggestions en matière d’amélioration de la santé sexuelle (cf. annexe…).
Afin de mieux documenter les fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité, son
évolution et les discours ou représentations qu’elle suscite dans la société, des entretiens
individuels approfondis complémentaires ont été menés par l’équipe technique auprès d’une
dizaine de personnes âgées (cf. annexe…).
1.5.3 - Organisation et déroulement de l’étude
L’organisation pratique de cette étude a nécessité plusieurs étapes, telles que :
-
Les réunions techniques préparatoires ;
L’identification et le recrutement des pairs ;
L’élaboration des outils ;
La formation des pairs à la méthodologie de recherche ;
La collecte des données ;
L’exploitation et l’analyse des données.
•
Réunions techniques préparatoires
Organisées à partir de la seconde moitié du mois de mars 2006, les six (6) réunions techniques
préparatoires ont porté sur la compréhension collective des termes de référence et de la
méthodologie de l’appel d’offre. Le concours du commanditaire de l’étude (PSI) a été, à ce sujet,
très utile. La maîtrise de ces aspects théoriques et méthodologiques a permis l’élaboration des
outils de collecte des informations et du calendrier, le choix des sites d’enquête et des gays comme
type d’homosexuels à enquêter, l’élaboration du programme de formation de ceux-ci, la
programmation des autres tâches.
•
Identification et recrutement des pairs
Cette phase a démarré par l’identification des personnes ressources telles que des membres des
ONG intervenant dans le domaine des IST/VIH/SIDA qui ont facilité les premières rencontres de
l’équipe technique avec certains pairs. L’équipe technique a procédé ensuite avec l’aide des
premiers pairs retenus à l’identification et au recrutement des autres pairs. Ce premier contact
établi, l’équipe technique leur a présenté le bien-fondé de l’étude et les objectifs poursuivis par
cette dernière. Cette identification a été la phase la plus délicate de l’étude compte tenu d’une part,
de la méconnaissance du phénomène et des milieux de l’homosexualité par la quasi-totalité des
membres de l’équipe d’étude ; et, d’autre part, de la méfiance des gays envers toutes personnes
extérieures à leurs réseaux.
Une vingtaine de pairs ont ainsi été recrutés et formés pour assurer la collecte des données
primaires. Les critères de recrutement ont été surtout basés sur la capacité à comprendre les
canevas de discussion et sur la non appartenance à des réseaux communs. Ce dernier critère a
permis de diversifier les informations à recueillir.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
•
14
Elaboration des outils
Les outils ci-après (présentés en annexe) ont servi à la collecte des données :
-
Une fiche d’identification des gays ;
Un canevas pour les focus groups ;
Un canevas d’entretiens avec les personnes âgées ;
Un canevas d’entretien individuel avec les pairs ;
Un canevas d’entretien individuel avec les gay ;
Une grille de restitution pour les entretiens des pairs avec les gays.
Les outils ont été élaborés autour des axes thématiques suivants :
-
Fondements socioculturels de l’homosexualité ;
Mode d’organisation des homosexuels ;
Connaissance des IST/VIH/SIDA par les homosexuels ;
Comportement sexuel : première expérience homosexuelle, dernier rapport, multi
partenariat, utilisation ou non du préservatif, raisons ;
Suggestions.
•
Formation des pairs
La formation proprement dite a eu lieu au cours de la seconde moitié du mois d’avril 2006 et a
duré sept (7) jours. Les formateurs (équipe technique) ont, d’abord, présenté aux pairs le projet
d’étude à travers sa problématique, ses objectifs et sa portée sociale. Ils leur ont, ensuite, expliqué
la méthodologie, notamment la spécificité de l’approche « ethnographie par les pairs » et les
techniques de collecte retenues.
La méthode participative et interactive, utilisée par les formateurs, mérite d’être soulignée. Elle
rentre bien dans le cadre du type d’approche ethnographique imposée par l’étude et qui demande
une forte implication des enquêtés. Aussi, la familiarisation entre pairs suscitée par l’équipe depuis
le recrutement, les jeux de rôle, les prises de parole libres, les comptes-rendus et les synthèses
réalisés à chaque niveau par les pairs eux-mêmes, ont-ils beaucoup facilité la formation.
•
Collecte des données
La collecte des données s’est faite à trois niveaux :
- la collecte auprès des pairs par l’équipe technique (entretien individuel et focus groups) ;
- la collecte des données par les pairs auprès des autres gays et enfin ;
- la collecte auprès des personnes âgées par l’équipe technique.
Les données collectées auprès des pairs lors des focus groups ont été enregistrées sur support
audio. La collecte s’est relativement bien déroulée, compte tenu de l’ambiance de convivialité, des
rapports de confiance et de respect que l’équipe technique a su créer à toutes les rencontres, et
même au-delà avec les pairs.
La collecte des données par les pairs auprès des autres gays a duré trois semaines. Chaque pair a
interviewé 5 ou 6 gays. Au fur et à mesure qu’avançait la collecte, une restitution était faite par les
pairs aux chercheurs qui consignaient l’information dans une grille de restitution prévue à cet effet.
Après une semaine de collecte, une réunion d’évaluation a permis de recenser les difficultés
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
15
rencontrées par les pairs et les solutions à y apporter. Cette opération de collecte s’est déroulée
dans le strict anonymat, pour raison de sécurité des gays et de confidentialité de leurs propos.
Les entretiens avec les personnes âgées se sont déroulés en même temps que les restitutions des
pairs. Ces entretiens ont eu lieu à leurs domiciles et aux moments de leur convenance. Ceci a
permis de disposer d’un environnement favorable à une bonne collecte d’informations.
•
Exploitation et analyse des données
L’exploitation des données a commencé avec l’élaboration du plan d’analyse. Elle a duré trois
semaines. La méthode d’analyse de contenu a permis de synthétiser les résultats obtenus. Il s’agit,
dans cette synthèse, de prendre en compte les diversités et les ressemblances relevées auprès des
enquêtés (sur les plans culturel, socio-démographique, économique, etc.) pour une meilleure
définition des programmes d’intervention de PSI-Togo. Aussi, la méthode de l’analyse est-elle
qualitative, tout comme celle de la collecte. Les données ont été enregistrées sur cassettes et
retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH. Elle fait moins
place à des statistiques ou à des tableaux.
1.5.4 - Limites de la méthodologie utilisée
Même si l’approche « ethnographie par les pairs » s’est révelée appropriée dans le cadre de la
réalisation de cette étude, deux limites doivent néanmoins être mentionnées.
La première a trait à l’approche elle-même telle que suggérée par Hawkins et Price. En laissant la
collecte aux mains des pairs, sans aucun moyen de contrôle direct par l’équipe technique, cet outil
a présenté un risque majeur de biais des informations restituées. Il n’y a pas eu de possibilité pour
l’équipe de connaître les autres gays et de vérifier si tous ont réellement été enquêtés. La fiabilité
de l’outil réside en fait dans la ¨confiance¨ que l’équipe a faite aux pairs.
Or, et c’est là la deuxième limite, l’identification et le recrutement des pairs ont été fortement
influencés par le contexte particulier de leur milieu. Le caractère discret, ésotérique voire
clandestin de leur mode de vie a posé le problème de pouvoir rentrer en contact directement avec
la totalité des pairs et de permettre à l’équipe d’opérer un recrutement efficace. L’équipe a dû, dans
ce cas aussi, faire ¨confiance¨ à ceux qu’elle a directement recrutés pour identifier les autres.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
16
II - RESULTATS DE L’ETUDE
2.1 - FONDEMENTS HISTORIQUES ET SOCIO-CULTURELS DU PHENOMENE DE
L’HOMOSEXUALITE AU TOGO
Il s’agit de documenter, aussi bien par les sources bibliographiques que par l’enquête de terrain, les
contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité, les facteurs d’évolution de ses
pratiques et de sa population.
2.1.1 - Contextes sociaux et culturels d’émergence de l’homosexualité
Deux versions venant de deux types de sources, assez contradictoires, s’affrontent sur ce sujet.
La première version est celle des personnes âgées. Les premières réactions sont celles de
désapprobation. L’on pense que c’est un phénomène nouveau et étranger aux mœurs, aux
convenances sociales sur la sexualité en vigueur dans les sociétés togolaises ; donc une pratique
impossible et inimaginable.
Des témoignages recueillis lors d’un entretien avec un notable de la ville de Kara, illustrent cette
version :
« La sexualité est tout à fait naturelle, elle existe dans toutes les sociétés. Mais, je
n’ai jamais appris que deux personnes de même sexe ont eu des rapports sexuels.
Pour quelle sensation ? L’homme cherche la femme parce que c’est le sexe
contraire. Dans quel orifice met-il son pénis ? Dans l’anus ou dans la bouche ?
C’est une question qui ne se pose pas. Ce sont les intellectuels qui posent de telles
problématiques en Afrique ».
Selon une autre personne âgée :
« L’homosexualité telle qu’elle existe aujourd’hui, était inconnue de nos sociétés
traditionnelles. Il n’existait pas de rapports sexuels entre deux personnes de même
sexe. Ce qu’on retrouvait dans nos sociétés comme sexualité était la masturbation.
Le prêtre traditionnel ou un chef désigné, avant d’entrer en fonction, faisait le
couvent, une réclusion au cours de laquelle il était préparé à assumer ses futures
fonctions. Loin de sa famille donc de ses femmes, le reclus était souvent amené à
faire de la masturbation pour se soulager en trouvant un moyen qui le conduirait à
l’éjaculation. C’est une homosexualité d’une autre forme si on peut s’exprimer
ainsi ».
C’est aussi l’opinion de la presse nationale et étrangère. En effet le journaliste Adjignon Gagnon
Mawuena 15 parle d’ « intrusion » de l’homosexualité « dont on impute la paternité à l’Occident ».
Il rapporte, à ce sujet, les propos de l’anthropologue Koffi Lanklonou qui indique que
historiquement, personne n’a évoqué l’existence de l’homosexualité dans aucune société. Il
rapporte également le point de vue des Eglises et autres institutions religieuses selon lequel « la
15
Adjignon Gagnon Mawuena, 2006, « L’intrusion sibylline de l’homosexualité dans nos sociétés. Un
phénomène qui choque nos mœurs » TOGO-PRESSE, 24 mars 2006
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
17
virilité » et le devoir de « perpétuer sa lignée par des enfants » est l’un des commandements de
Dieu, autrement dit un principe fondateur de l’humanité 16 .
A l’opposé, les renseignements recueillis auprès d’autres personnes âgées dans le Kloto (cantons
de Kpélé et de Kouma) et à Aného, attestent que cette forme de sexualité n’est pas totalement
étrangère aux cultures togolaises. Selon les sages traditionalistes, « il existait dans nos sociétés
anciennes des velléités, des tendances, des penchants et des attitudes à l’homosexualité chez
certains individus (des deux sexes). Cela est plus prononcé chez les hommes (masculins) ;
d’ailleurs on les appelait ‘’hommes-femmes’’ ou ‘’femmes-hommes’’ ou encore « hommes-enfemmes », « femmes-en-hommes », puisque ces individus paraissaient ou paraissent s’attacher un
peu trop aux individus de même sexe ».
« Dans le quartier Magna aujourd’hui à Aného, il y avait des homosexuels et ce
quartier s’appelait à l’époque Magna Magna c’est-à-dire désordre », (propos d’un
notable à Aného).
« On a appris dans les années 1960 qu’il y avait quelques délinquants, Apita et un
musicien griot de Pagouda qui étaient homosexuels». (Propos d’un chef coutumier
à Kara).
Par ailleurs, pour certains enquêtés si le Coran et la Bible avaient eu à condamner cette pratique,
c’est bien parce qu’elle existait déjà. D’après les propos d’un Pasteur à la retraite à Kara Tomdè :
« L’origine de l’homosexualité dans la société ancienne est soulignée dans la Bible
(Romains, chapitre 1). L’homosexualité existait déjà au temps des apôtres ».
D’après certaines personnes âgées, cette pratique existerait dans des cercles ésotériques et
initiatiques traditionnels où les membres, pour acquérir un pouvoir ou pour tester et valider
l’efficacité de certains gris-gris étaient amenés à avoir des rapports sexuels avec d’autres membres
(hommes). Très souvent c’est durant des moments critiques, où la situation politique de la cité est
vraiment critique ou bien quand il faut conjurer les sorts (guerres, maladies épidémiques,
intronisation, grande famine) que ces pratiques sont faites par des grands initiés, des prêtressacrificateurs. Donc c’est uniquement dans un but initiatique et sacrificiel que cela peut se passer
sans réprobation sociale.
La deuxième version est celle des gays qui, tout en récusant l’origine supposée occidentale de
l’homosexualité, démontrent qu’elle est un phénomène aussi naturel que l’hétérosexualité. On naît
homosexuel dans la mesure où on a une attirance naturelle pour les hommes et, dans le même
temps, une répugnance, elle aussi naturelle, vis-à-vis des femmes. L’homosexualité serait donc la
manifestation d’un besoin physiologique et biologique inscrit dans la personnalité psychologique
de base qui oriente dès l’enfance ce besoin de faire l’amour avec le même sexe. Certains racontent
que dès l’enfance, ils n’aimaient jouer à l’amour qu’avec leurs camarades garçons à qui ils
tripotaient le sexe ou l’anus. Les propos de certains pairs, en discussion de groupe, sont à ce sujet
très évocateurs :
16
Au Cameroun, par exemple (Luc Olinga, 2006, « Sexe, mensonge et politique », JEUNE AFRIQUE, N° 2357,
12 au 18 mars 2006), la presse relaie l’opinion populaire et religieuse qui dénonce elle aussi l’homosexualité
comme une pratique venue de l’Occident.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
18
« Un garçon qui naît, déjà à bas âge est avec ses amis garçons. Il a toujours envie
de se laver avec eux. Quand il va entrer en puberté, cette envie va toujours grandir,
et quand il sera grand, il va se rendre compte qu’il a plutôt une attirance envers le
même sexe » (focus group 2).
« L’homosexualité n’est jamais venue de quelque part. On est né comme ça, c’est
inné. Depuis ton enfance les habitudes que tu as, vont te montrer que toi-même tu
seras homosexuel. On ne le devient pas »(focus group 2).
« Un Blanc n’a jamais fabriqué quelque chose comme ça. On est né et on ressent
quelque chose pour la personne qui a le même sexe que nous » (focus group 2).
Cette émergence précoce de l’homosexualité chez la plupart des gays enquêtés semble être
confirmée par l’âge au premier rapport homosexuel qui se situe entre 9 et 20 ans.
Tout en récusant l’origine occidentale de l’homosexualité, les homosexuels démontrent aussi
qu’elle est une pratique ancienne dans les sociétés africaines. Elle se faisait dans deux situations.
D’une part, comme attirance naturelle entre deux hommes mais ceux-ci le faisaient en cachette,
parce que cela était interdit. Les hommes avaient l’obligation de se marier et faire des enfants, pour
se conformer aux règles de la société. Toutefois, les homosexuels, même mariés à des femmes, se
cachaient pour faire l’amour. D’autre part, elle se pratiquait dans des couvents (surtout dans le sud
du Togo) où les rites initiatiques entre des personnes de même sexe, recluses pour plusieurs jours,
suscitaient à un moment donné de l’attirance réciproque. A ce sujet, un pair a affirmé que :
« Il y a des gens dans les villages qui ont les mêmes pratiques que chez les
Occidentaux. Mais on n’a pas les mêmes façons de les appeler. Donc, je dirai que
l’homosexualité a des fondements dans nos sociétés traditionnelles, sauf que on ne
le connaît pas sous le vocable ‘homosexualité’ » (focus group).
En résumé, si pour la plupart des gays, l’homosexualité est naturelle, pour certaines personnes
âgées intérogées, son fondement social ou culturel n’est pas avéré.
2.1.2 - Evolution de l a pratique homosexuelle
La visibilité croissante de l’homosexualité aujourd’hui peut être imputée à des facteurs liés à
l’évolution actuelle de nos sociétés (internet, télévision, téléphone, etc.). Ce phénomène touche
beaucoup de couches sociales. C’est ainsi qu’on dénote l’homosexualité chez les jeunes et chez les
adultes, chez les femmes et chez les hommes, chez les célibataires et les mariés, etc. Mais, qu’en
est-il de l’évolution des pratiques, des rites, des mythes qui entourent l’homosexualité et de ceux
qui la pratiquent ?
Les gays pensent que ces pratiques, rites et mythes ont connu une évolution depuis les sociétés
anciennes. Le mythe du mariage et de la descendance naturelle est tombé avec le temps. De plus en
plus, le mariage n’est plus considéré comme une obligation. Ce qui permet donc aux homosexuels
de vivre sans se marier, sans avoir d’enfants et sans que cela ne leur pose un problème et ne soit
pas trop fustigé par la société. Il y a beaucoup plus de liberté aujourd’hui qu’hier, de rencontrer
d’autres homosexuels et de choisir son partenaire.
On assiste aujourd’hui à une augmentation du nombre des homosexuels et à leur diversification.
Hier, c’était beaucoup plus des adultes et des hommes, comme dans l’exemple donné par les
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
19
acteurs coutumiers. Aujourd’hui, ce sont des jeunes, voire des adolescents et des femmes qui
découvrent et pratiquent leur homosexualité.
Néanmoins, les résultats révèlent une apparition tardive de cette tendance chez certains gays. Les
contraintes de l’éducation familiale ayant confiné très tôt le garçon dans son statut d’homme et de
futur père, la pulsion homosexuelle ne pouvait pas émerger aussi tôt. La situation, aujourd’hui est
que beaucoup de ces homosexuels ¨tardifs¨ sont des bisexuels, c’est-à-dire qu’ils naviguent entre
une hétérosexualité socialement admise et une homosexualité naturellement ‘insistante’.
A la différence de ceux qui sont nés gays, aujourd’hui, certains acquièrent ce mode de vie de
différentes manières : on peut être entraîné par un ami ou un parent comme le témoigne un
enquêté :
« Je connais un orphelin qui a été recueilli par une famille aisée. Il y avait un
enfant dans la famille, qui était devenu l’ami de l’orphelin. Les deux enfants
faisaient tout ensemble. Ils mangeaient ensemble, dormaient dans le même lit,
jouaient ensemble, bref, ils étaient tout le temps ensemble. Un jour, l’enfant de la
famille aisée proposa à l’orphelin d’avoir un rapport sexuel avec lui. Ce dernier
refusa d’abord, mais devant les menaces de l’enfant aisé (surtout il lui dit qu’il
demanderait à sa maman de lui couper les vivres et tous les soins qu’on lui
apportait), il céda et devint son partenaire sexuel jusqu’à ce jour » (focus group).
L’homosexualité n’exprimerait donc pas une pulsion naturelle, mais plutôt une stratégie pour
gagner de l’argent ou acquérir des biens, surtout auprès des touristes (maisons, voyages,
financement d’une activité, etc.). Elle serait tout simplement une homosexualité « opportuniste ».
Elle est expliquée aussi comme le fait de céder à un chantage ou à une pression exercés par des
personnes homosexuelles, socialement puissantes, sur des jeunes et leurs familles. Un des pairs,
au cours du même entretien en focus group disait à ce sujet :
« On devient homosexuel par nécessité, par envie de faire comme mon ami. Voilà
quelqu’un qui n’a pas de soutien, un ami vient et lui propose de faire ça en
contrepartie de son aide. S’il n’a pas le choix, il n’a pas le choix, il le fait donc
pour assouvir ses besoins et faire ce qu’il veut financièrement. Et puis, il y a des
gens qui menacent des garçons à le faire, parce que s’ils ne le font pas, ils vont
licencier leurs parents. Là, tu le deviens sans le savoir, parce que une fois fait, tu as
envie de le faire et de le refaire et voilà, tu deviens homosexuel » (focus group).
Selon les enquêtés, le mode de vie féminin peut également entraîner à être gay :
« Quand on fait la compagnie des filles, et qu’on s’implique dans les activités
comme elles, on finit par s’identifier à elles sans que l’on s’en rende compte qu’on
fait exception dans ce groupe » (focus group 1).
On peut aussi devenir gay par la drague :
« Nous, on a été dragués. Supposons que moi je sois gay, si je trouve un hétéro qui
me plaît, je vais le draguer et je ferai tout pour l’entraîner dans mon milieu. S’il s’y
plaît, il y demeurera et deviendra gay » (focus group 1).
Selon les enquêtés, ceux qui ne sont pas de vrais gays, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas nés gays,
ceux qui sont entraînés à l’être ou qui le sont par snobisme, finissent tôt ou tard par abandonner ce
mode de vie.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
20
Sur ce point, concernant l’homosexualité opportuniste et non naturelle, les opinions semblent
converger entre les homosexuels ¨naturels¨, la presse et les autorités coutumières. Selon le
journaliste Adjignon Gagnon Mawuena (id.), les « facteurs » qui favorisent ce phénomène
seraient « les nationaux excentriques revenus des pays occidentaux qui ont importé leurs œuvres
d’adoption et ont su vite, le chômage et la misère aidant, trouver des adeptes parmi la jeunesse à
la recherche de sensations fortes, de nouvelles aventures distillées par les films pornographiques,
projetés à longueur de journées dans les vidéos clubs et sur Internet ».
Selon les autorités coutumières, l’émergence tardive, effervescente et opportuniste de
l’homosexualité dans les sociétés togolaises, s’explique par la modernité actuelle, caractérisée par
la dépravation sexuelle, l’irruption de l’argent et du matérialisme dans les relations sociales,
entraînant la marchandisation du sexe, le multi partenariat et la délinquance. A ces phénomènes
s’ajoute le fait que l’éducation et l’école d’origine occidentale créent les rencontres et les rapports
sexuels entre filles et garçons ; ce qui banaliserait le sexe et ne lui donnerait pas sa valeur
culturelle et sociale de l’époque ancienne. Pour l’un des notables de Kara, les deux « seuls »
homosexuels des années 1960, connus jusqu’à ce jour dans la ville de Kara et ses environs, sont
des « délinquants ». Selon un autre notable de Kara, l’homosexualité en Afrique n’aurait qu’un
caractère opportuniste dans la mesure où :
« Elle rend des services autres que la satisfaction sexuelle. On prétend que
l’homosexualité donne certaines forces surnaturelles ou extraordinaires qui
peuvent aider à atteindre certains objectifs sociaux ».
De ces informations et sources diverses, on peut retenir que l’homosexualité connaît réellement
une évolution de ses pratiques, de ses fondements et de sa population. Toute politique envers celleci devra prendre la mesure de cette évolution complexe. A Lomé, cette population tend d’ailleurs à
s’organiser et à se structurer en réseaux. Le paragraphe suivant abordera ces questions.
2.2 - GAYS DANS LA SOCIETE TOGOLAISE ACTUELLE
L’objet de ce paragraphe est de présenter les structures d’organisation et de pouvoir des gays, les
perceptions sociales dont ils font l’objet et les représentations qu’ils se font d’eux-mêmes.
2.2.1 - Signes d’identification des gays
•
Terminologies identitaires
Il existe des termes par lesquels on désigne les homosexuels ou par lesquels eux-mêmes se
désignent. Ils préfèrent le mot gay 17 à celui de homosexuel qui, d’après eux, apparaît péjoratif ou
trop générique, étant entendu que ce vocable regroupe aussi les homosexuelles ou lesbiennes. GAY
est en fait un acronyme anglais qui signifie Good As You (Aussi beau que toi). On pourrait y voir la
revendication d’une identité mais aussi d’une dignité, au même titre que celles dues aux
hétérosexuels.
17
Nous utiliserons indistinctement dans le texte les mots gay et homosexuel pour désigner les mêmes personnes.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
21
Chez les gays, on distingue les passifs, les actifs, les versatiles et les bisexuels.
Les passifs sont les ¨femmes¨. C’est eux qui, comme femmes ou filles, se font pénétrer par leurs
partenaires. Ils représentent 30% de l’échantillon. Cette pénétration se fait dans l’anus ou dans la
bouche. D’après eux, cette orientation sexuelle n’est ni un choix ni une mode, c’est une pulsion
naturelle :
« N’importe qui peut être gay et ce n’est pas son choix, mais sa nature, il est né
comme ça, quelle que soit la lutte qu’il fera, tôt ou tard il finira par se découvrir »
(focus group).
Les passifs se sentent réellement avoir un sexe féminin. Un ¨vrai¨ passif devient donc difficilement
un actif, un bisexuel ou un versatile. C’est cette tendance naturelle qui les confine dans les rôles et
métiers généralement réservés aux femmes. Plus que le métier et le rôle sexuel, c’est par des signes
extérieurs comme l’habillement, la démarche, la voix, que l’on reconnaît les passifs. Certains
enquêtés se distinguent effectivement des autres par leurs tenues moulantes, leurs maquillages,
leurs gestes de mains, leurs démarches et leurs voix très proches de celles des femmes.
Les actifs sont les ¨hommes¨. Parmi les enquêtés on dénombre 44% d’actifs. C’est eux, qui
pénètrent les passifs au cours de l’acte sexuel. Selon eux aussi, être actif n’est pas une question de
mode ou de simple choix, c’est une pulsion naturelle qui les fait préférer la pénétration de l’anus
ou la bouche d’un homme que celle du vagin. Comparativement aux passifs, il est difficile de
repérer un actif par quelques signes extérieurs que ce soit.
Les versatiles sont ceux qui sont à la fois passifs et actifs. Ils représentent 26% de l’échantillon.
Les circonstances ou les raisons de ce passage à l’un ou à l’autre de ces modes ne sont pas
connues. Il existerait ainsi des partenaires ou des couples qui vivent durablement cette versatilité
sexuelle. Ce qui pose aussi le problème de statut ou de genre dans ce partenariat, à savoir qui est
¨l’homme¨, qui est la ¨femme¨ ?
En dehors de ces trois types de gays, une partie des gays interrogés a reconnu être des bisexuels.
Ils représentent 12% de l’échantillon. Les rares bisexuels rencontrés parmi les pairs, expliquent
leur instabilité sexuelle par la découverte tardive de leur homosexualité, telle qu’elle a été
expliquée plus haut. Dans la plupart des cas, déjà mariés ou obligés socialement de l’être, ils ne
peuvent que cacher leur homosexualité : «Ils se sentent homosexuels mais couchent avec les
femmes pour cacher leur apparence ».
En langues locales qui sont des codes de langage propres aux gays, destinés à se désigner, à se
reconnaître et à ne pas se faire reconnaître des non gays. Ahintrin, Zangboin désignent le gay ;
Zangbointeur, l’Actif ; Zangbointé, le Passif et Zangbointoir l’endroit où se font les rapports
sexuels gay, sont souvent utilisés dans le sud du pays. Au nord, dans la région de Kara, on parle de
« Abaloyele » qui veut dire homme-femme ; nyonu-nusu est utilisé au sud pour désigner la même
chose. « Atchèkè et Adowè » sont plutôt des sobriquets insultants à l’endroit des gays.
De plus, on retrouve chez les gays togolais certaines expressions telles que « Tata, Mami Caro »
utilisées également dans le vocabulaire homosexuel camerounais (Olinga, id).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
•
22
Signes de reconnaissance
Interrogés sur la manière dont les gays arrivent à se reconnaître, les participants aux discussions de
groupes ont cité les signes suivants :
-
Habillement extravagant ;
Démarche ondulante ;
Signes des yeux, clins d’œil ou œillades ;
Port de boucles d’oreilles et d’autres bijoux (collier, gourmette, etc.) surtout chez les
passifs ;
Tresses ou coiffures de femmes ;
Dépigmentation de la peau chez certains passifs ;
Tendance à s’exprimer avec des gestes comme les femmes ;
Voix féminine.
« Très souvent, on se reconnaît par l’habillement, la démarche et puis les gays sont
très sexy, très classe et très à la mode » (focus group 1).
Ces signes de reconnaissance sont décrits dans Togo Presse du 24 mars 2006 de la manière
suivante :
« …. Les homosexuels eux aussi se sont créé une place dans cette cohorte, distincts
par leur démarche, par leurs vêtements moulants et extravagants, par leurs boucles
d’oreilles, par leurs bras estampillés de leur marque décorative, par leur salutation
cohésive indiquant que leur réunion est imminente ».
2.2.2 - Structures d’organisation et de pouvoir
Les homosexuels forment une communauté au sein de la nation togolaise, une communauté au
sens d’un groupe marqué par une forte identité, un groupe dont les membres se rencontrent
régulièrement et partagent des valeurs auxquelles ils croient fermement. C’est ainsi, qu’à l’instar
des communautés confessionnelles, professionnelles, migrantes ou ethniques, ils sont organisés en
réseaux, se retrouvent dans des espaces précis pour des réunions, pour de simples discussions ou
pour faire la fête, etc.
Groupes et réseaux
L’homosexualité est une pratique décriée et criminalisée davantage que la prostitution ou la
toxicomanie au point que ceux qui s’y adonnent sont contraints de vivre leur sexualité de façon
cachée ou discrète. Cette situation conduit à l’émergence des réseaux qui constituent en quelque
sorte une stratégie de vie des pratiquants devant la réprobation de la société.
Au début, ce sont des amis d’enfance, de quartier ou de profession, qui se retrouvent pour
bavarder, partager des repas, qui se rendent visite. Ils sont deux, trois ou quatre. Petit à petit, le
groupe s’élargit par l’entrée d’autres amis amenés par les amis du noyau de départ. En appliquant
le principe selon lequel ¨les amis de mes amis sont mes amis¨, tous finissent par devenir des amis.
L’intérêt à ce niveau est de faire connaissance avec les nouveaux venus, d’échanger avec eux sur
l’homosexualité et sur leurs problèmes, de se faire aimer ou de tomber amoureux et, pourquoi pas
de devenir partenaires.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
23
L’élargissement du groupe intervient par le recrutement de nouveaux amis ou par sa connexion
avec d’autres groupes d’amis. Souvent, c’est avec cet élargissement et la récurrence des
discussions sur les problèmes rencontrés par les uns et les autres, que l’idée de se constituer en
réseau formalisé émerge. Ces problèmes sont souvent ceux d’amour, d’affection, de santé
sexuelle, de profession, de famille et amènent les amis ou le groupe à leur trouver collectivement
des solutions, dans un cadre communautaire ou associatif. Le réseau qui naît ainsi, par la
formalisation du groupe ou d’un ensemble de groupes, se dote de textes fixant un règlement
intérieur et des statuts.
Au moins deux réseaux existent à Lomé, dans lesquels une partie des gays enquêtés est inscrite.
Mais, d’après eux, il en existerait d’autres, avec qui ils ont des contacts. Des contacts existent aussi
avec des réseaux d’Aného et même avec des réseaux du Bénin et du Ghana. Le président de l’un
des deux réseaux, impliqué dans l’étude, explique comment fonctionne son réseau :
« Un réseau qui fonctionne a des règlements. Avant de rentrer chez nous, il faut être
sûr que la personne est gay. Il faut voir si la personne peut se soumettre à nos
règlements, est-ce qu’elle a la bonne moralité. Moi je suis vraiment dur sur la
moralité, pour que les gens ne fassent pas n’importe quoi. Je veux des gens sérieux
et j’exige même qu’ils aient un emploi ou un objectif dans la vie » (focus group 2).
Le rôle sécuritaire du réseau est diversement apprécié par les homosexuels. Pour certains, il est
sécurisant d’appartenir à un réseau ou du moins à un groupe d’amis pour les raisons évoquées plus
haut. Pour d’autres, il est dangereux d’en faire partie à cause de la criminalisation dont sont
victimes les homosexuels, ce serait s’afficher ouvertement à travers le groupe et prendre le risque
de se faire injurier voire violenter. Les propos de deux pairs, lors du focus group révèlent bien cette
situation complexe :
« Il y en a qui se disent que peut-être ils vont être vus, qu’ils n’ont pas envie que les autres
sachent. Ils pensent qu’ils se suffisent. S’ils souffrent aujourd’hui, à qui ils vont le dire.
Moi, je trouve qu’il faut être en collectif ou en amicale pour devenir un groupement ou un
réseau plutôt que d’être seul. En étant comme ça, on partage beaucoup de choses, on se
donne des conseils. Et puis, quand quelqu’un souffre, on peut lui acheter des produits ou
lui indiquer ce qu’il faut faire, au moins pour sa santé » (focus group 2).
« J’aborderai dans le même sens que l’ami qui m’a précédé. Si je me rappelle bien, le
réseau dont le N° 15 18 a parlé a débuté à l’occasion des funérailles d’un parent d’un ami.
Ses amis se sont mobilisés pour les funérailles et pour le soutenir. Ils ont eu immédiatement
l’idée de former un réseau. Je trouve que pour un gay c’est quand même mieux de se
trouver en organisation, en réseau. Si on n’a pas eu le temps de le faire jusqu’à
aujourd’hui, c’est à cause de la législation que nous ne maîtrisons pas bien, on ne sait pas
si on a le droit de se regrouper en réseau ou pas » »(focus group 2).
Dans certains réseaux, les rôles entre passifs et actifs ne sont pas figés. On ne peut pas parler de
dominance d’une catégorie de gays par une autre comme le témoigne un participant :
« Dans un réseau c’est comme on dit maintenant, qu’il y a l’émancipation de la
femme : tout ce qu’une femme peut faire, un homme peut le faire ; de même tout ce
qu’un homme peut faire une femme peut le faire. Donc tout ce qu’un actif peut
18
Tous les pairs et autres homosexuels sont désignés par des numéros, pour garder l’anonymat autour de leur
identité et sauvegarder la confidentialité de leurs propos.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
24
faire, un passif peut le faire aussi, c’est comme ça ; il n’y a pas de dominance »
(focus group 1).
Néanmoins lors des manifestations qu’ils organisent les passifs peuvent choisir de se déguiser en
femmes et porter des tenues de femmes (robes de mariées, pagnes de femmes, etc.).
Modes de communication, espaces et occasions de rencontres
Les homosexuels communiquent, un peu comme tout le monde, par téléphone, par internet (site
« www.cybermen.com », par amis interposés (le ¨bouche à oreille¨). Tous les gays ont pratiquement
un téléphone mobile. Toutefois, cette communication utilise, comme il a été souligné plus haut,
des codes, pour des raisons de discrétion et de sécurité. Tout se passe dans le sens de l’engagement
commun et partagé pour planifier et agir de concert. Ainsi, on assure un processus de
dissémination rapide des informations (idées nouvelles, requêtes, questions intéressant le groupe).
Cela donne à ces membres un sens aigu de solidarité et de liaison par-delà les distances
géographiques en évitant l’isolement.
Leurs occasions de rencontres sont surtout les fêtes, les soirées 19 et les réunions qu’ils organisent
et les anniversaires des membres qu’ils célèbrent dans "des lieux réservés". Les espaces de
rencontres sont, par exemple, la plage, les boîtes de nuit, les bars. Mais des précautions sont prises
pour la discrétion et la sécurité.
2.2.3 - Perceptions sociales, auto perceptions des gays et considérations juridiques
Perceptions sociales et populaires
Les informations recueillies sur les fondements et l’évolution historiques et socio-culturels de
l’homosexualité (cf. 2-1-) indiquent que les gays sont, d’une façon générale, mal perçus par la
société.
Les autorités coutumières, dans leur rôle de garantes des bonnes mœurs, illustrent par leurs
représentations cette condamnation sociale et populaire de l’homosexualité. Elles affirment que :
« Cela peut déranger les divinités surtout s’il se trouve que les prêtres
sacrificateurs eux-mêmes commettent de tels sacrilèges ».
Pour un Pasteur, qui ne croit pas, comme ses collègues, à l’existence de l’homosexualité dans la
ville de Kara, ce serait quelque chose de « choquant », de « terrible », si c’était vrai. Et, selon lui,
pour la société :
« Ce serait une horreur. Cela proviendrait d’une malédiction. La société
commencerait à disparaître, parce qu’il n’y aurait plus de descendance, plus de
gens pour cultiver la terre, puisqu’il n’y aurait plus de procréation… Même les
gens qui n’ont pas d’attirance vers les femmes, soit parce qu’ils sont impuissants ou
stériles sont considérés comme une malédiction de Dieu ».
19
Au moment où l’équipe technique rédigeait ce rapport, un des réseaux gay a organisé une soirée dénommée
Miss Gay¨, à laquelle elle fut conviée. A cette occasion, des gays sont venus du Bénin, du Ghana, de la Côte
d’Ivoire, du Gabon et du Niger.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
25
Selon un autre pasteur : « l’homosexualité est un phénomène très récent au Togo et l’interdiction
de cette pratique est un commandement de Dieu à son peuple ». Un musulman pratiquant compare
l’homosexualité au SIDA : « l’homosexualité apparaît comme étant un fléau, une pandémie, un
mal du siècle comme l’est le SIDA pour nous. Elle comporte en elle une malédiction. Elle est
prohibée par l’islam » (Togo presse du 24 mars 2006).
Selon un autre informateur,
« Même celui qui sort avec la femme d’un autre, on dit dans la société qu’il est un
débile mental. Dire maintenant qu’un homme fait l’amour avec un autre homme,
c’est vraiment impensable… Imaginez la société togolaise à 80 % homosexuelle,
qu’est-ce que cela va devenir ? Non, oublions cette histoire ».
Pour le chef du canton de Lama :
« Imaginez que tout rapport sexuel en dehors du couple est interdit par la société et
la tradition, comment voulez-vous que l’homosexualité qui sort de l’ordinaire soit
tolérée sur le plan social africain ?... L’intimité sexuelle ne peut être que dans le
sens opposé….., c’est pour cela que Dieu a créé Adam et Êve. Donc, pour moi, dans
le contexte traditionnel, c’est une aberration, un non sens absolu. Même faire
l’amour avec une femme autre que la mienne ce n’est pas toléré, alors faire l’amour
avec un autre homme, c’est le comble. Je ne vois pas l’intérêt de cette sexualité
entre les gens d’un même sexe ».
L’homosexualité est aussi mal vue par l’opinion populaire. La preuve est une scène de lynchage
verbal dont l’équipe technique a été témoin au cours de la formation des pairs à l’URD. A la sortie
d’une session, un groupe de pairs cheminait ensemble à la recherche de taxi-motos pour rentrer
chez eux. C’est à ce moment qu’il a été pris à partie par les voisins, parmi lesquels les mécaniciens
d’un garage, les revendeuses, les passants. Sous les injures qui fusaient de partout, le groupe a vite
fait de presser le pas et se disperser pour se mettre à l’abri de ce lynchage. Ce rejet populaire a été
signalé aussi par certains pairs dans les quartiers où ils vivent.
Par contre, certains parents seraient au courant du comportement ou de tendance homosexuel de
leur fils. Ils ne s’en indignent outre mesure, puisqu’ils les acceptent au domicile lorsqu’ils sont en
compagnie d’autres garçons.
En définitive, il faut retenir que les mentalités ne sont pas encore disposées à tolérer ou à accepter
l’homosexualité qui est toujours considérée comme une pratique extra sociale, ¨anti-nature¨. Mais
comment les gays se perçoivent-ils eux-mêmes ?
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
26
Auto perceptions
Bien entendu, malgré cette condamnation sociale et populaire, certains gays vivent leur
homosexualité le plus naturellement du monde. Ils ont découvert cette tendance très tôt en euxmêmes et éprouvent spontanément, sans gêne, des attirances pour les individus du même sexe.
D’autres, par contre, ne se sentent pas fiers d’eux-mêmes. Ils se culpabilisent mais estiment être
incapables d’arrêter, pour diverses raisons. Par conséquent, de très nombreux gays mènent une
double vie avec tous les problèmes de honte et d'angoisse par peur d'être discriminés dans leur
famille ou sur leur lieu de travail.
Considérations juridiques
Les ‘’gays’’ sont obligés d’être dans l’invisibilité publique puisqu’ils sont sous le coup de la loi
(DJONOUKOU, 2003). Selon cette étude, l’homosexualité serait un délit du droit commun,
passible d’une peine d’emprisonnement, en vertu du code pénal. En effet, le Code pénal du Togo,
en son Chapitre 3, Titre 2 et Article 88 stipule : « Sera puni d’un emprisonnement de 1 à 3 ans et
d’une amende de 100.000 à 500.000F CFA, quiconque aura commis un acte impudique sur une
personne de son sexe ».
Il convient de préciser que selon les avis des juges et des autorités de la Police Criminelle, il ne
suffit pas qu’un individu soit reconnu ou identifié comme homosexuel ou soit soupçonné comme
tel pour être automatiquement arrêté, jugé et condamné. Encore faut-il qu’il soit coupable d’abus
sexuels ou de viol sur d’autres personnes de même sexe, car, en agissant ainsi il commet un délit.
Sur le plan de la loi, l’article du journal Togo-Presse (Adjignon, idem) cité plus haut, révèle que le
Législateur mesure bien la pression sociale et n’ose pas ouvrir, pour l’instant, le débat sur ce sujet.
Selon cet article de presse, les homosexuels sont de plus en plus décidés aujourd’hui à faire
entendre leur voix, au nom d’un argument qui fait reculer le Législateur et les services de la
répression : celui des Droits de l’Homme.
En résumé, à ce paragraphe sur la vie des homosexuels dans la société togolaise, il importe de
retenir que l’homosexualité existe, qu’elle est une réalité et un ensemble de mœurs imbriquées
dans l’ensemble des mœurs nationales ou sociales, qu’elle est une pratique sexuelle parmi d’autres
et liée à elles. La communauté homosexuelle est composée, avant tout, de personnes insérées dans
la communauté nationale, sur le plan familial, professionnel, matrimonial, culturel, social. Elle
constitue donc une réalité que l’on ne peut plus nier ou contourner.
2.3 - CONNAISSANCE DES GAYS EN MATIERE DES IST/VIH/SIDA
Il s’agit, dans ce paragraphe, d’établir la connaissance, dans toute sa diversité, que les
homosexuels ont des IST, d’une part et du VIH/SIDA, d’autre part. Plus précisément, les sources
de connaissance, la connaissance des modes de transmission, de manifestation et de prévention de
ces maladies sont inventoriées, pour mesurer le niveau réel de connaissance et permettre une
politique d’intervention adéquate.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
27
2.3.1 - Connaissance des IST
Niveaux de connaissance
L’évaluation de la connaissance des IST chez les homosexuels, révèle que les gays qui connaissent
au moins une IST, ont cité dans la plupart des cas la gonococcie (71%) et la syphilis (49%).
Si la plupart des homosexuels ont pu donner au moins un nom d’IST, il y en a encore qui n’en
connaissent pas. Ils représentent près du 1/4 des enquêtés. La méconnaissance des noms ou même
de l’existence des IST est donc une réalité qu’il faut prendre en compte.
Au sein de la majorité qui en a la connaissance, il se pose aussi des problèmes de confusion. Si des
noms des IST courantes comme la gonococcie, la chaude pisse, la syphilis, le chancre mou, les
trichomonas vaginalis, sont donnés par la plupart d’entre eux, certains confondent encore celles-ci
au VIH/SIDA ou encore à leurs symptômes comme la fièvre, les pertes blanches, les boutons
rouges. Il y en a qui ont parlé de fièvre typhoïde et d’hépatite virale comme IST. Par ailleurs les
gays confondent ou ne savent pas distinguer les symptômes de ces infections (brûlures,
démangeaisons, écoulement de liquide blanchâtre). Cela montre assez clairement que nos enquêtés
ont des connaissances insuffisantes et à la limite erronées sur la nature des IST et leurs symptômes.
Par ailleurs, des confusions sont aussi faites entre des synonymes comme gonococcie et
blennorragie. Pire, des confusions sont faites avec des maladies virales comme l’hépatite.
Toutefois, il faut noter, à côté de ces confusions, le niveau de connaissance assez remarquable de
certains pairs (au cours des entretiens) sur certaines IST dont ils décrivent les manifestations, le
degré de gravité et les complications.
Sources d’information
Les principales sources d'informations sur les IST citées par les gays sont la radio (55,7 %) et la
télévision (54,9 %). Un certain nombre des gays (42%) sont informés à l'école. Les amis/parents et
les journaux constituent aussi des sources d'information non négligeables. Aucun des gays
interrogés n’a vraiment cherché à avoir des informations chez les personnes mieux indiquées
comme les médecins (gynécologues) ou autres agents de santé. De même les enquêtés ne
s’adressent pas aux structures ou formations médicales pour s’informer sur ces infections.
Si la plupart de ces homosexuels estiment être satisfaits par la connaissance qu’ils en ont, les autres
qui ne le sont pas, pensent combler leurs lacunes, en allant consulter un médecin, en demandant à
voir des infectés pour s’en convaincre, en allant dans des ONG comme PSI.
2.3.2 - Connaissance du VIH/SIDA
La connaissance du VIH /SIDA est quasi universelle chez les gays. Moins de 10% seulement des
gays ne connaissent pas le SIDA.
Connaissance des modes de transmission
Plus de ¾ des gays enquêtés connaissent au moins un mode de transmission du VIH/SIDA. Les
plus cités sont les rapports sexuels non protégés (40%), les objets tranchants (50%), les
transfusions sanguines (34%) et la transmission de la mère à l’enfant (22%).
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
28
Par contre, l’ignorance et les confusions résident au niveau des voies supposées de transmission,
telles que les piqûres de moustiques, le partage des repas avec les malades ou les infectés. Les
mêmes réactions sont relevées en ce qui concerne les manifestations de la pandémie. Certains
croient, par exemple, qu’un individu de bonne apparence physique ne peut pas être séropositif.
Parallèlement, d’autres affirment pouvoir reconnaître un séropositif, par des tâches de rousseur sur
les lèvres ou le visage et l’apparence physique ; autant d’idées fausses que de difficultés à relever
sur la voie de prévention.
Connaissance des moyens de prévention
Le moyen de prévention le plus cité est l'utilisation du préservatif. Plus de 3/5 des gays affirment
que la fidélité reste un des meilleurs moyens de prévention. L'abstinence de rapports sexuels est
aussi souvent citée. Le quart des gays estime que pour prévenir le VIH/SIDA, il faut éviter les
objets tranchants. Les 3/5 des gays sont conscients qu'ils sont vulnérables au VIH/SIDA.
Dépistage volontaire
Un peu moins de la moitié des enquêtés ont fait le dépistage. Dans cette proportion, tous ne sont
pas allés chercher leur résultat, pour une raison qu’ils partagent avec ceux qui ne se sont pas
encore décidés à connaître leur statut sérologique.
Cette raison est la peur de connaître son statut, surtout s’il se révélait positif. En dehors de cette
raison principale, les autres sont : la confiance en soi, la non nécessité de le faire parce qu’on se
protège suffisamment, la négligence, le doute sur la crédibilité des résultats, la peur qu’on s’y
infecte au contraire.
On retrouve aussi dans les mêmes proportions, des gays qui connaissent ou ne connaissent pas
d’autres gays ayant fait leur test. Ces informations donnent des indications intéressantes sur la
mesure de la connaissance du VIH/SIDA par les gays.
Opinions des gays sur leur vulnérabilité
Deux opinions apparaissent à ce niveau. Certains pensent que les gays sont, comme tous les
groupes sociaux, vulnérables au VIH/SIDA, parce qu’ils sont exposés de la même manière. Ils ne
pensent pas que leur pratique sexuelle particulière les expose plus ou moins que les hétérosexuels.
Les raisons de cette vulnérabilité seraient, comme pour toute population aussi, le manque
d’informations sur la prévention, la non protection, l’appât du gain, l’isolement dû à la
stigmatisation sociale, le manque de contrôle de soi devant le sexe, l’ignorance des voies de
transmission, l’infidélité, etc.
D’autres soutiennent que les gays sont moins vulnérables que les autres populations. Une telle
appréciation dépend de la connaissance que les gays ont des modes de transmission du SIDA.
C’est ainsi que les gays disent :
« Comment peut-on attraper le SIDA si on ne couche pas avec une femme » ou
« nous sommes vierges car nous n’avons jamais couché avec des femmes, donc
nous ne pouvons pas attraper cette maladie ».
Ils l’expliquent par d’autres raisons : premièrement, ils prennent suffisamment de précautions pour
bien lubrifier l’anus de telle sorte qu’il n’y ait pas de lésion qui laisserait s’infiltrer le sperme de
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
29
l’actif dans les parois de l’anus du passif ; ce qui, du coup, ne créerait aucun risque de
transmission. Deuxièmement, le passif ne garde pas le sperme de l’actif, il défèque avec juste après
l’acte sexuel. Troisièmement, c’est seulement l’actif qui jouit, ce qui réduit le risque de
contamination, alors que chez les hétérosexuels, c’est l’homme et la femme qui jouissent en même
temps, ce qui augmente le risque de contamination.
2.4 - COMPORTEMENTS
VULNERABILITE
SEXUELS
DES
GAYS
ET
LEURS
RISQUES
DE
Les informations recueillies dans ce paragraphe visent à faire connaître les différents modes de la
pratique sexuelle des gays, leurs histoires sexuelles ainsi que les risques d’exposition au
VIH/SIDA qu’ils courent, notamment par rapport aux questions de partenariat et de protection ou
de non protection par le préservatif.
2.4.1 - Age et circonstances du premier rapport homosexuel
L’âge du premier rapport homosexuel se situe généralement entre 9 et 20 ans avec une moyenne de
17,6 ans. Il indique, d’une part, la précocité de celui-ci et d’autre part, la longue durée d’exposition
si aucun moyen de prévention n’a été utilisé.
Les circonstances de la première expérience homosexuelle témoignent d’un contexte d’attirance
sentimentale, physique et consentante. Ce qui s’explique par le fait que 76% de gays n’ont jamais
reçu d’argent ou de cadeaux en échange de ce rapport. Il est apparu que le premier rapport
homosexuel a eu lieu le plus souvent sur invitation à domicile du partenaire. L’initiative de rapport
vient généralement du partenaire (71%). Ensuite, vient le consentement mutuel, dans 16% des cas.
13% des enquêtés l’ont eux-mêmes voulu. Les circonstances qui entourent ce premier acte
diffèrent selon l’occasion de rencontre, le lieu et l’endroit où a eu lieu l’acte. Les résultats de cette
étude font ressortir les circonstances suivantes :
- Après une fête (festivités scolaires de fin d’année scolaire, soirée à l’hôtel, soirée
théâtrale, Noël, Pâques, anniversaires). « Ce dernier a apprécié la façon dont il a dansé lors d'une
fête, il l'a invité chez lui après la fête et a eu le rapport avec lui » « Je l’ai connu lors d’un concert
musical au palais des Congrès. Nous avions causé et échangé nos contacts. On a commencé à se
fréquenter. Un soir il m’a rendu visite (ma femme n’était pas là) j’étais au lit. Nous avions
beaucoup parlé et abordé aussi la sexualité et c’est là où tout a basculé »
- Après une sortie en boîte de nuit ou après la vision d’un film pornographique gay :
« Au Nigéria, au cours d’une sortie, ils étaient allés en boîte et ils ont beaucoup bu. Ils se sont
retrouvés ensuite dans le lit du Nigérian». « Un soir après m’avoir invité chez lui et m’ayant offert
des cadeaux comme d’habitude on suivait un film porno, et ainsi il en a trouvé l’occasion »
- Suite à une longue négociation et plusieurs tentatives de drague : « Ça a commencé
par des attouchements ; puis un week end, je voulais venir voir mes parents à Lomé et un prêtre
m’a proposé de me prendre dans sa voiture. Nous avons dormi dans un hôtel à Agbodrafo et c’est
là qu’a eu lieu le 1er rapport ». « Le camarade apprenti coiffeur lui faisait souvent des avances. Il
a fini par céder et ils se sont retrouvés un jour dans une auberge et c’est là qu’ils ont eu le premier
rapport Gay »
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
30
- Dans la douche en se douchant ensemble, au lit en dormant ensemble, des amis en
étant toujours ensemble : « Il prenait sa douche ensemble avec son oncle qui a l’habitude de se
masturber en sa présence et un jour il l’a invité à le pénétrer » « Il était plus âgé que moi. Il me
donnait le bain chaque fois qu'il allait se laver. On dormait sur le même lit ». « Comme il dort
avec son oncle dans la même chambre, son oncle le tripote la nuit jusqu’à éjaculer sur lui. Au
cours d’une sieste, il le tripotait encore, il ne dormait pas et s’est laissé faire. Il en a pris goût et à
chaque vacance, il va à Port Gentil voir son oncle ».
- Lors des voyages ou des vacances : « il était en vacances à Paris et a dormi dans la
même chambre que son cousin ». « Lors d’une rencontre pendant les vacances au Bénin. Le
rapport a eu lieu à l’hôtel ». « Ils se sont rencontrés au Burkina Faso, le Gay vivait au Burkina et
le français s'était rendu au Burkina »
- A l’occasion de cérémonies mystiques à la plage :
« J’avais une femme qui ne me donnait pas d’enfants. J’ai cherché chez les
charlatans, un féticheur qui a dit que ce n’est pas la femme de ma vie. Que l’on va
lui faire la cérémonie pour trouver sa vraie femme et cette cérémonie devrait se
faire à la plage la nuit et on lui a fait savoir que sa vraie femme sera la sirène.
C’est au cours de cette cérémonie qu’a eu lieu le premier rapport avec le
féticheur ».
Après la cérémonie, il déclare n’avoir plus d’attirance pour sa femme mais pour les hommes.
2.4.2 - Partenariat sexuel
Une grande majorité des gays interrogés a eu comme partenaire au premier rapport homosexuel un
ami (65%) comme l’illustrent ces propos :
«On était des amis très proches, on partageait tout et puis un soir c'est arrivé.
C'était chez moi ». « Lors d'une séance de groupe de travail, il s'est retrouvé seul
avec le camarade, les autres camarades étant absents ». « Ils étaient à l'Internet.
Il a appelé son ami de l'aider à faire des épreuves d'anglais. Et après ils sont
partis prendre leur bain. L'ami a rejoint le Gay dans sa douche ».
Ensuite la première expérience homosexuelle a eu lieu dans 19% des cas avec un partenaire lié par
un lien de parenté (cousin, oncle, parent, grand frère, etc.). Les partenaires occasionnels
représentent 7% et les expatriés, 3%.
Les partenaires au dernier rapport homosexuel restent en grande majorité des amis mais autres que
ceux du premier rapport homosexuel (49%), des partenaires occasionnels (21%) et des partenaires
habituels (14%). Environ 48% ont eu des rapports avec une femme avant ce premier rapport
homosexuel.
En ce qui concerne le multi partenariat, 18% des enquêtés n’ont pas de partenaires au moment de
l’enquête et 1 sur 2 n’a qu’un seul partenaire. Le reste des enquêtés ont plus de 2 partenaires. De
plus, près du tiers des enquêtés (30%) affirment avoir déjà assisté ou participé à une partouze
homosexuelle.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
31
2.4.3 - Utilisation du préservatif
L’utilisation du préservatif par les gays est généralement faible lors du premier rapport. Environ
32 % des gays de l’échantillon ont déclaré avoir utilisé un préservatif lors du premier rapport
homosexuel. Cela n’est pas surprenant d’autant plus que pour la majorité d’entre eux ce premier
rapport a lieu à un jeune âge, au moment où ils ignoraient l’existence des IST/VIH/SIDA et du
préservatif (plus de 42 gays ont dit ne pas connaître le préservatif). De plus, l’initiative de ce
premier rapport venait rarement d’eux (82 gays sur 122 ont déclaré que l’initiative du premier
rapport gay venait du partenaire); ou ils étaient entraînés par des personnes plus âgées qu’eux.
« On était trop petit, on ne parlait pas beaucoup des maladies et on ne savait rien des
préservatifs » s’est confié un enquêté. Quelques uns d’entre eux n’avaient pas trouvé nécessaire
l’utilisation du préservatif puisqu’il n’y avait pas risque d’attraper une grossesse et qu’ils ne
savaient pas qu’on peut contracter les IST dans l’acte homosexuel.
Le dernier rapport des gays connaît un taux plus élevé d’utilisation de préservatif (60 %).
Tableau
Utilisation du préservatif
1er rapport gay
Dernier rapport gay
Tout rapport gay
Utilisation
Effectifs
%
39
32
73
59,8
25
20,5
Non utilisation
Effectifs
%
83
68
49
40,2
97
79,5
Total
122
122
122
Source : URD, Enquête HOMO, 2006
La raison de l’utilisation du préservatif la plus souvent évoquée (aussi bien pour le premier rapport
que pour le dernier rapport) est la protection contre les IST et surtout le VIH/SIDA. Du premier au
dernier rapport, il y a une prise de conscience accrue du danger que représentent les
IST/VIH/SIDA. Un nombre de plus en plus important de gays se disent être informés de
l’existence des maladies.
-
« J’avais peur des maladies ; mon partenaire avait des amis et aussi une femme et une
fille »
-
« J’ai peur d’attraper des maladies, des IST et surtout le SIDA. On parle beaucoup du
SIDA maintenant et je veux préserver ma vie ».
-
« J’ai découvert dans une brochure que les gays sont vulnérables au VIH/SIDA et qu’il
y a un fort pourcentage de séropositifs gays, c’est pourquoi je me protège ».
-
« Maintenant on est grand et tout le monde se protège ».
-
« J’ai acquis l’habitude d’utiliser systématiquement le condom ».
D’autres raisons telles que la méfiance à l’égard d’un partenaire occasionnel (7sur 122), l’exigence
du partenaire (6 sur 122), le désir de ne pas recevoir le sperme dans l’anus (3 sur 122) et la
grossesse ont été aussi soulignées.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
32
Bien qu’il y ait une progression du taux d’utilisation du condom du premier au dernier rapport gay,
il est à noter cependant que la proportion de gays qui n’utilise pas systématiquement le préservatif
lors de tout rapport reste très importante (80%).
Les raisons de la non utilisation systématique du préservatif lors de tout rapport sont :
•
La confiance et la fidélité à son partenaire. « Mon partenaire est fidèle à moi et j’ai
confiance en lui. J’utilise le condom uniquement pour les partenaires occasionnels ».
•
L’oubli et la non disponibilité du préservatif à portée de main lors du rapport
•
L’absence ou la diminution du plaisir. « Je préfère le corps à corps ; le préservatif
inhibe mon érection, ça ne me procure pas de plaisir ».
•
•
Refus du partenaire (raisons évoquées par des passifs)
Préjugés sur le condom. « Le condom n’est pas bon. Sur Internet, on a mis une croix
sur un gay qui porte le condom ».
L’on mesure aisément le risque de vulnérabilité auquel ces homosexuels ont pu s’exposer à chaque
fois, risques qui se trouvent accentués.
2.4.4 - Différentes maladies dans la communauté gay et leur prise en charge
Les focus groups et les entretiens individuels ont révélé que les IST et le SIDA existent bel et bien
dans la communauté des homosexuels. A l’unanimité, les enquêtés reconnaissent que les gays sont
souvent victimes des IST/VIH/SIDA, surtout ceux qui ont des relations sexuelles non protégées.
-
12% des enquêtés déclarent avoir été victimes des IST ;
36% disent connaître des gays ayant été victimes des IST ;
21% disent connaître des gays qui ont le VIH/SIDA.
Les IST les plus citées sont la blennorragie, la syphilis, le chancre mou et la chaude pisse. En plus
de ces maladies sexuellement transmissibles qu’on rencontre aussi bien chez les actifs que les
passifs, ces derniers souffrent d’autres affections telles que les hémorroïdes, les déchirures anales
et le ballonnement du ventre. Selon un enquêté passif, « le ballonnement du ventre provient du
sperme. Lors de l’éjaculation au cours du rapport non protégé, le sperme rentre dans le ventre et
provoque le ballonnement » (focus group1).
Mais, pour certains, la plus grave maladie des homosexuels est d’ordre psychologique. La
souffrance ou la difficulté qu’ils ont de pouvoir parler de leurs problèmes de santé à un docteur ou
de se confier à quelqu’un pour leurs problèmes d’amour. Ils dépriment quelques fois et cette
déprime est à la base d’autres maladies somatiques. Dans ces cas, la prise en charge psychologique
se fait par les amis homosexuels et c’est l’une des raisons de la création des réseaux ou des
groupes d’amis.
S’agissant des démarches thérapeutiques en cas d’infections et de la prise en charge des frais
médicaux, les enquêtés ont dit avoir eu recours à l’automédication (achat de produits au marché et
à la pharmacie villageoise). Très peu ont consulté des médecins car ils se disent que ces derniers ne
les comprennent pas. En réalité, c’est par peur qu’on découvre qu’ils sont homosexuels qu’ils
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
33
n’expliquent pas à fond leurs maux aux médecins. Par conséquent, pour contourner ces difficultés,
certains se font passer, devant le médecin, pour des gens qui sont juste venus demander des
renseignements pour des amis ou des parents, alors qu’il s’agit d’eux-mêmes.
2.5 - SUGGESTIONS DES GAYS EN SANTE SEXUELLE ET EN STRATEGIES DE
LEUR MISE EN ŒUVRE
Compte tenu des problèmes de santé spécifiques aux gays, la préoccupation essentielle développée
ici est de recueillir auprès d’eux des suggestions pour l’amélioration de leur santé sexuelle et pour
la meilleure façon de les faire accéder aux prestations de services. Les propositions des gays
couvrent un large éventail de domaines à savoir l’accès aux produits, à l’information et à la
formation, à une prise en charge en cas de besoin et à un counseling efficace. Ils n’ont pas oublié
d’autres problèmes relatifs à leur reconnaissance juridique, sociale et politique.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
34
2.5.1 - En matière d’accès à l’information
L’information sur les IST/VIH/SIDA à mettre à la disposition des gays est capitale. Ils affirment
ne pas se reconnaître dans les campagnes et publicités qui passent souvent sur les médias et qui
sont plus destinées aux hétérosexuels. Aussi proposent-ils d’avoir des informations fiables sur :
o
o
o
o
o
o
Les comportements à risques (multi partenariat, non protection…) ;
L’utilisation des préservatifs ;
Le dépistage volontaire ;
Les produits, leur utilité et leur utilisation (gel, condoms, pommades…) ;
Les IST/VIH/SIDA (Modes de contamination des IST, risques d’infection au VIH,
moyens de protection, de traitement) ;
Les risques encourus à travers les différentes formes de sexualité.
Toute la difficulté réside dans la manière pour eux d’accéder aux informations qui les concernent
spécialement. Les stratégies suivantes ont été proposées :
L’utilisation des réseaux gays
o
o
o
Information des gays à l’occasion de leurs anniversaires et soirées récréatives ;
Sensibilisation des gays par l’intermédiaire des pairs gays ;
Organisation des conférences débats, annonces, spectacles.
L’utilisation des canaux ou structures existants
Les gays ont insisté sur l’intérêt des émissions d’éducation et de sensibilisation par la publicité sur
les médias (radio, télévision) de façon à ce que l’information atteigne aussi les zones reculées.
o
o
o
Utilisation des mêmes canaux d’information et de sensibilisation que pour les
hétérosexuels (émissions sur radio et télé, média + panneaux publicitaires) ;
faire des publicités pour les gays au même moment que pour les hétérosexuels
(affiches publicitaires,…) ;
création d’un centre de documentation et fourniture en revues spécialisées.
Toutefois, les gays ne sont pas tous unanimes sur la manière de réaliser cette publicité. Les uns
approuvent cette publicité gay sur les médias (spots de sensibilisation à la radio, à la télé, sur les
panneaux), d’autres s’y opposent.
« Il serait préférable que la sensibilisation se fasse à travers les réseaux
puisqu’ils sont déjà en contact avec les multimédia de leurs zones. La pub,
c’est comme on se jette dans la tombe. Un hétéro peut le faire, dans ce cas il est
libre et à l’aise, car il ne va pas être doigté dans la rue comme étant un gay
parce qu’il a fait la publicité sur les gays » (focus group1).
L’utilisation des endroits fréquentés par les gays (boîtes de nuit, discothèques, etc.) pour
l’affichage des panneaux publicitaires
Cela peut se faire de la même manière que le projet Haute Protection où les affiches concernant les
militaires sont placées dans les casernes et commissariats.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
35
Même, si la majorité des participants à la discussion est pour la publicité, les gays redoutent des
effets de ces publicités sur une population fortement hostile à l’homosexualité. La crainte d’attiser
et d’éveiller le stigmate des gens explique l’opposition de certains gays à la publicité. Les affiches
peuvent se mettre dans des lieux visités par les gays comme certaines boîtes de nuit ou certaines
discothèques.
2.5.2 - En matière de mise à disposition des produits
La plupart des gays ont évoqué d’énormes difficultés à accéder aux produits dont ils ont besoin tels
que les préservatifs, les lubrifiants et les gels adaptés à leur pratique sexuelle. La non utiisation de
ces produits provoque des douleurs au cours des rapports sexuels et accroît le risque de
vulnérabilité comme l’attestent les propos d’un pair :
« Moi, j’avais eu des rapports avec un expatrié qui a utilisé un lubrifiant qu’il a
ramené de chez lui. Au cours du rapport, tu ne sens même pas la douleur alors
qu’entre nous, ce sont des cris de douleurs, des pleurs chaque fois. Le lendemain, tu
es très fatigué ».
Face à ces difficultés, les enquêtés proposent d’une part la mise à disposition complète de ces
produits à des prix réduits et d’autre part, de meilleures stratégies pour les leur faire accéder. Trois
grands types de stratégies sont proposés :
L’utilisation de leurs réseaux
Les gays désapprouvent les structures avec inscription, aussi proposent-ils de passer par leur
réseau pour éviter les discriminations et les lynchages, « le contact des réseaux en permanence
serait plus probable. Les réseaux de la région par exemple feront face au public gay et cela
éviterait les va et vient de tout un chacun des gays afin que ce centre ne soit doigté de tel ou tel
nom ». « Nous sommes des pairs éducateurs. Si on formait ces pairs et qu’on leur donnait les
informations et les moyens, les interventions pourraient se faire à travers eux. Par exemple, si un
gay a des condoms et il se trouve à Akodessewa, un autre a des lubrifiants, si quelqu’un a besoin
de tel ou tel produit il va chez le pair qui en dispose et l’accès aux produits par les gays se fait
alors par l’intermédiaire des pairs» (focus group1).
Le recours aux réseaux facilitera la :
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o
o
o
Distribution des lubrifiants par des appels intimes ;
Distribution lors des soirées gays ;
Création d’un circuit de distribution par les pairs gays ;
Distribution par le circuit des centres d’accueil Gays.
L’utilisation des structures sanitaires et médicales existantes :
La suggestion de mettre les produits dans les pharmacies au même titre que les autres produits afin
que les Gays ne soient pas complexés d’aller les chercher dans des pharmacies spécialisées a été
faite. A ce sujet, ils ont proposé la formation des pharmaciens pour mieux répondre à leurs attentes
et besoins. Ils suggèrent la :
o Création d’un circuit de distribution par un fournisseur en toute discrétion ;
o Mise à disposition des produits pour Gays dans les centres de santé, pharmacies
ordinaires, centres de conseil.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
36
L’utilisation d’autres structures de distribution :
o Création de sex shop ;
o Création de pharmacies et boutiques gays discrètes
o Création de kiosques de distribution.
2.5.3 - En matière de prise en charge
Les gays sont confrontés à des problèmes de santé et ils ont besoin d’être pris en charge.
Cependant, la crainte d’être découvert et la peur de la réaction du personnel médical font que les
gays hésitent à se faire soigner pour leurs maladies liées à leurs pratiques sexuelles. Ils vivent
cachés et la consultation est pour eux synonyme de dévoilement. « Dans certains cas les gens
n’arrivent pas à expliquer ce qu’ils ont au docteur. Mais ils ont peur qu’on les découvre parce que
le docteur bien avant au cours de sa formation a eu à apprendre tout cela. C’est plutôt le patient
qui a peur qu’on le découvre donc il ne veut pas dire exactement ce qu’il a au docteur » (focus
group1).
Le personnel de santé n’est pas suffisamment préparé à la prise en charge des gays. « L’essentiel
c’est de faire comprendre aux médecins qu’être gay ce n’est pas un choix. Si quelqu’un se présente
à eux, qu’ils aient le courage de l’aider sans préjugés car certains médecins font des reproches à
leurs patients après les avoir écoutés » (focus group1).
Les gays ont proposé :
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Création d’ONG ou associations gays de prise en charge des gays atteints du VIH/SIDA ;
Formation et sensibilisation du personnel de santé à la prise en charge des gays ;
Réduction du coût des médicaments ;
Création des centres de santé pour gays mais dans l’enceinte des centres de santé publics ;
Promotion de programmes de santé sexuelle spécifiques et ciblés.
2.5.4 - En matière de counseling
Ne disposant pas de sources d’information appropriées qui puissent les guider pour vivre
convenablement leur sexualité, les enquêtés aimeraient être de temps en temps conseillés sur les
conduites à tenir, les comportements sexuels à adopter afin d’être hors de danger ou de prendre
moins de risques. Aussi suggèrent-ils :
o
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Création d’un centre d’écoute psychologique pour les déprimés (gays) ;
Mise à contribution des réseaux et des pairs ;
Création de maisons d’accueil de gays en difficultés ;
Amélioration de la qualité de l’accueil et de l’écoute dans les centres de santé actuels ;
Organisation de séances de counseling une fois par mois dans les centres ATBEF et
ONG pour les gays ;
Identification et formation des pairs éducateurs gays.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
37
2.5.5 - Autres suggestions
Elles portent essentiellement sur la reconnaissance sociale, juridique et politique des homosexuels.
A cet effet, les gays souhaitent l’intervention de l’Etat pour leur accorder la liberté de vivre leur
sexualité et de s’organiser. Plus qu’un accord, ils demandent le soutien officiel de celui-ci. Pour
eux, la mise en place d’une politique claire de lutte contre la discrimination serait déjà un grand
pas en avant dans la résolution de leurs problèmes de santé. Ils le disent en ces termes :
« L’essentiel est que les autres nous laissent un peu tranquilles vivre notre vie ».
« Les Gays doivent être libres vis à vis des autorités. Ils ne doivent pas être
inquiétés par la Police ni par la Gendarmerie ». «Il faut que les autorités
parviennent à légitimer l’homosexualité » « Je veux que les Gays aient un droit à
la vie, il faut les accepter comme les hétéro, et je pense que s’il y avait
l’autorisation, il devait y avoir la fidélité à un seul partenaire en se mariant. Et
comme çà il devait avoir réduction de transmission des maladies».
o
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Reconnaissance officielle de l’homosexualité au Togo et dans tous les pays ;
Facilitation pour un dialogue social en faveur des gays ;
Création des ONG de défense des gays victimes des menaces et de discrimination ;
Création des conditions d’une meilleure sociabilité entre les gays et leurs familles ;
Débats sur les gays et sensibilisation du grand public à travers les médias ;
Aide aux homosexuels dans leurs activités génératrices de revenus.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
38
CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS
L’étude sur les homosexuels au Togo menée par l’URD, avec l’appui technique et financier de
PSI-Togo (Population Services International), a pour but de mettre à la disposition du
Gouvernement togolais et des Responsables de Programmes de Santé de la Reproduction (SR), des
informations fiables pour la lutte contre le VIH/SIDA au sein de la communauté des homosexuels
hommes (gays). De façon plus spécifique, cette étude vise à :
•
•
•
•
•
Documenter les contours de l’homosexualité notamment à travers ses fondements
(historiques, socio-culturels, etc.) et sa pratique actuelle ;
Evaluer le niveau de connaissance des gays en matière d’IST et de VIH/SIDA ;
Cerner les comportements sexuels des gays ;
Identifier les besoins des gays en santé sexuelle, en informations, en prise en charge et en
conseils ;
Recueillir les suggestions des gays sur les meilleures stratégies d’intervention dans leur
communauté.
Pour ce faire, une démarche essentiellement qualitative basée sur l’approche « ethnographie par
les pairs » 20 a été utilisée pour la collecte des données. Dans le cadre de cette approche, des
entretiens approfondis et des Focus Groups ont été menés auprès de 122 gays et une vingtaine de
personnes âgées. L’étude a été principalement réalisée à Lomé et ses environs, mais aussi dans
trois villes de l’intérieur du Togo (Aného, Kpalimé et Kara). Les données ont été enregistrées sur
cassettes et retranscrites. L’analyse de contenu a été faite à l’aide du logiciel ETHNOGRAPH.
L’ensemble de l’étude a duré quatre mois (du 01 avril au 31 juillet 2006).
Les résultats de l’étude révèlent ainsi ce qui suit :
Du point de vue fondements historiques et socio-culturels de l’homosexualité au Togo, les jeunes
gays ont une opinion différente de celle de certaines personnes âgées. Si pour les gays enquêtés,
l’homosexualité est naturelle et est, de ce fait, intrinsèque au fondement de la personnalité et de la
culture des sociétés togolaises, pour certains acteurs coutumiers et des opinions nationales relayées
par la presse, elle n’a jamais existé et n’a aucun fondement social ou culturel local.
Sur le plan organisationnel, les gays forment des réseaux dont certains sont structurés et
fonctionnent comme de véritables associations. Les nouvelles technologies de l’information et de
la communication dont l’Internet offrent aux gays un moyen facile de se communiquer entre eux et
avec d’autres jeunes sur tous les sujets possibles y compris la sexualité dans toute sa diversité.
L’évaluation de la connaissance des IST chez les homosexuels a montré que près d’un quart des
gays enquêtés ne connaissent pas les IST. Parmi ceux qui connaissent au moins une IST, il se pose
aussi des problèmes de confusion avec d’autres maladies. Cela montre assez clairement que les
enquêtés ont des connaissances insuffisantes et à la limite erronées sur la nature des IST et leurs
symptômes.
20
Hawkins et Price, 2002, A Peer Ethnographic Tool. For Social Appraisal and Monotoring of Sexual and
Reproductive Health Programmes. Cette technique a été testée pour la première fois en 2000 en Zambie, avec la
collaboration de CARE International, dans le projet de Partenariat pour la Santé Sexuelle et Reproductive des
Adolescents à Lusaka.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
39
La plupart des gays interrogés savent que le VIH/SIDA peut être contracté par voie sexuelle et par
l’utilisation des objets tranchants. Les perceptions des gays vis-à-vis du SIDA sont tributaires de la
qualité de l’information reçue sur la pandémie. 90% d’entre eux ont cité le condom comme moyen
de prévention, même si son utilisation n’est pas systématique. Ainsi, c’est 79% des gays qui
n’utilisent pas systématiquement le condom.
L’âge moyen des gays au premier rapport homosexuel est de 17,6 ans. Les circonstances de cette
première expérience témoignent d’un contexte d’attirance sentimentale, physique et consentante,
généralement sur initiative du partenaire.
Les gays hésitent à rechercher les soins auprès d’un personnel de santé en cas d’infection aux IST
par peur ou par honte de se faire découvrir.
La méconnaissance des gays sur leurs risques d’exposition au VIH/SIDA interpelle les
responsables engagés dans la lutte pour plus de sensibilisation par les canaux adéquats en utilisant
des messages appropriés. A travers leurs interventions, on sent que les gays cherchent des
interlocuteurs valables à qui confier leurs problèmes. Ils sont conscients des innombrables
problèmes auxquels les gays sont confrontés en santé sexuelle. Ils ont proposé des suggestions aux
effets visibles et durables tant pour les structures que pour l’information et la prise en charge de la
santé sexuelle des gays.
Une grande majorité de gays a suggéré la création de centres, d’ONG ou d’associations pour les
gays, destinés à fournir des informations, à mener des activités de sensibilisation et de soutien sur
une large gamme de problèmes de santé. Une sensibilisation accrue sur le phénomène de
l’homosexualité serait une stratégie appropriée pour permettre une meilleure compréhension, un
meilleur soutien et davantage de liberté d’action des gays. Elle est susceptible d’apporter des
réponses aux défis actuels dans la prévention du sida auprès des gays et d’ouvrir une voie vers la
promotion qualitative de leur santé sexuelle.
Au vu de ces résultats, les recommandations pour une lutte efficace contre les IST/VIH/SIDA au
sein de la communauté des homosexuels peuvent être formulées :
-
Mener des campagnes d’éducation et de sensibilisations des gays sur les comportements à
risques, les modes de contamination des IST/VIH/SIDA, la nécessité de l’utilisation
systématique des préservatifs et les produits adaptés aux pratiques sexuelles des gays par
l’utilisation des réseaux gays et des canaux ou structures existants ;
-
Mettre en place des circuits de distribution des préservatifs, des gels et des lubrifiants à
moindre coût par le canal des réseaux, des structures sanitaires et médicales existantes ;
-
Former et sensibiliser le personnel de santé à la prise en charge socio sanitaire des gays ;
-
Identifier et former des pairs éducateurs gays ;
-
Créer un centre d’écoute psychologique où seront organisées des séances de counseling à
l’intention des gays ;
-
Entreprendre une étude d’envergure nationale sur l’homosexualité (gays et lesbiennes)
aussi bien dans les milieux urbains que ruraux ;
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
40
-
Mettre en place en même temps que l’intervention en santé sexuelle, des stratégies de lutte
contre la stigmatisation, les violences et l’exclusion dont sont victimes les homosexuels
dans leur environnement, ce qui leur faciliterait l’accès aux programmes de prévention ;
-
Encourager la collaboration entre ONG intervenant dans cette communauté en vue de
lancer avec les autorités compétentes un débat sur la reconnaissance, l’acceptation sociale
et juridique de l’homosexualité au Togo.
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
41
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
42
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Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
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ANNEXES
Santé sexuelle des gays et VIH/SIDA au Togo
ANNEXE 2
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