Conférence 2 - Franciscains de Toulouse

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Conférence 2 - Franciscains de Toulouse
Les Admonitions 2, 3, 4 de saint François.
Le titre Admonitions n'est guère usité aujourd'hui. Il faut inclure en ce terme
l'enseignement et la formation évangéliques donnés par François oralement à ses frères.
L'introduction liturgique du Notre Père telle qu'elle était prononcée autrefois en latin dit
expressément l'admonition au temps de François. Les admonitions sont les transpositions écrites
des paroles de vie de François aux frères. La première traite de Jésus Eucharistie et Pain de vie.
Les admonitions 2 3 4 se rapportent à la vie fraternelle.
ADMONITION 2 : Le péché de volonté propre.
--------------^---------Le Seigneur dit à Adam: Tu peux manger des fruits de tous les arbres; mais ne touche pas
à l'arbre de la science du bien et du mal (Genèse 2, 16-17). Adam avait donc le droit de manger
des fruits de tous les arbres du paradis; tant qu'il resta dans l'obéissance, il fut sans péché.
Manger des fruits de la science du bien signifie: s'approprier sa volonté, s'attribuer
orgueilleusement le bien que l'on fait, alors qu'en réalité c'est le Seigneur en nous qui l'accomplit
en paroles et en actes. Mais on préfère écouter les insinuations du démon, on enfreint la défense,
alors le fruit de la science du bien se transforme en fruit de la science du mal et il faut en subir le
châtiment.
Que vient-elle apporter à la vie fraternelle?- Elle la relie à la source de tous les soins
auxquels il faut se consacrer quand on s'est engagé à la vivre. Voici donc en cet écrit le Paradis, la
parole du Seigneur et la Volonté d'Adam.
LE PARADIS.
L'admonition est un résumé des deux chapitres 1 et 2 de la Genèse dont le style est imagé
et le contenu réel accessible par le recours aux symboles.
L'envers.
Imaginons -nous pressés, visiter une ville et longer une cathédrale, cette masse
généralement sombre, même par temps clair. Nous pouvons être tentés d'avancer une rue plus
loin pour voir enfin ce qui ressemble à quelque chose de moins énigmatique. Bref, de passer pardessus cette admonition 2 sans plus attendre aux admonitions 3 et 4. Cette admonition 2, dit-elle
seulement le Dieu du commandement et de l'interdit, le Dieu qui sanctionne? Entrons dans
l'édifice avec François (Première Règle 22 1-5)
L'endroit.
Nos yeux sont ravis par la contemplation d'un vitrail puis d'un autre. C 'est toujours le même
paradis mais vu du dedans. François s'enthousiasme:
« Tout-puissant, très saint , et souverain Dieu , Père saint et juste, Seigneur, roi du ciel et
de la terre, nous te rendons grâces pour toi-même, car par ta sainte volonté et par ton Fils unique
avec l'Esprit Saint, tu as créé toutes choses spirituelles et corporelles; et nous, faits à ton image et
à ta ressemblance, tu nous a placés dans le paradis. Et nous, par notre faute nous sommes tombés.
Et nous te rendons grâces car, de même que tu nous as créés par ton Fils, de même par ta vraie et
sainte affection dont tu nous a aimés, tu l'as fait naitre, vrai Dieu et vrai homme de la Glorieuse
Vierge Sainte Marie. »
Qui ne perçoit la différence de l'envers à l'endroit! Le Seigneur est Père, Créateur aimant
qui fait l'homme à son image. Il le place dans le paradis. Mot à mot : il le dépose au paradis comme
est déposé délicatement un enfant dans le berceau. L'homme pèche mais le Créateur (moins encore
qu'une mère) n'oublie pas son enfant déposé dans son berceau car son amour est éternel et se
révèle dans la naissance de son propre Fils.
Le Royaume.
Le Fils du Père est Jésus qui prend, au nom de son Père, fait et cause pour nous, pour notre
salut, notre vie:
Père saint, je leur ferai connaître ton Nom pour que l'affection dont tu m'as aimé soit en eux
et moi en eux. Père, ceux que tu m'as donnés, je veux que là où je suis, ceux-là aussi soient avec
moi, pour qu'ils voient ta clarté dans ton Royaume. (Jean 17)
LA PAROLE DU SEIGNEUR
Les trois admonitions sont introduites par :Le Seigneur dit. Nous sommes accoutumés à
l'expression et à d'autres du genre: Parole du Seigneur, Oracle du Seigneur, Acclamons la
Parole de Dieu. Plus regrettable encore est l'accoutumance si nous y voyons une redondance de
style. Car la Parole du Seigneur est Autorité et donne son assurance à François. Nous le verrons à
propos de l'obéissance. Retenons pour le moment la Parole adressée à Adam. Elle est Parole et
Ordre. Elle est Vouloir et Action. Nous en voyons l'envers si nous n'entrons pas avec François à
l'endroit où se reconnaît Bénédiction et motifs d'action de grâces.
Elle est la Parole au Nouvel Adam Jésus à l'heure de son Baptême dans les eaux du
Jourdain: Tu es mon Fils en qui j'ai tout mis mon plaisir. Comme précédemment le diable a écouté
avec malveillance et tente avec Jésus, en se targuant de connaissances scripturaires communes, un
marchandage donnant-donnant, service contre service. La réplique de Jésus le laisse coi: Tu
adoreras le Seigneur ton Dieu, c'est lui seul que tu serviras.
La Parole est semée à profusion. François insère de larges extraits de la parabole du
semeur dans la Première Règle des Frères Mineurs. C’est rappeler l'importance de la Parole de
Dieu à ses yeux pour l'instruction des frères. Il craint qu'elle ne soit pas bien accueillie dans les
cœurs. Il les avertit : Nous qui avons tout quitté, qu'avons-nous d'autre à faire que de nous
appliquer à suivre la volonté du Seigneur. Prenons bien garde, ne soyons pas cette terre du chemin,
ni cette terre caillouteuse et envahie de ronces, dont le Seigneur parle dans l'Evangile (1 Reg 22).
Puisque le Seigneur parle, commençons par écouter. A un scribe qui lui demandait quel
était dans la Loi le premier commandement, Jésus cite : Ecoute Israël. (Marc 12,28-34). Avant de
peser, sous peser, discuter, argumenter et interpréter, tendre l'oreille à d'autres voix comme celle
d'incroyants et bien entendu du tentateur, le croyant écoute.
LA VOLONTE D’ADAM
Adam est volonté en son entièreté d'esprit et de corps, d'homme et de femme. Unique dans
la création la volonté s'est montrée faible et vulnérable. Parlant de l'Incarnation du Verbe (la
Parole) François est plein de reconnaissance envers le Seigneur qui a envoyé son Fils partager
notre condition d'humaine fragilité et la sauver par sa croix. Adam, en effet a cédé et ne s'est pas
appliqué à écouter le Seigneur. Le résultat est qu'il a plié, s'est recourbé sur lui-même, s'est
complu dans ses projets et dans ses œuvres, s'est attribué ce que le Seigneur disait et accomplissait
en lui. Il a perdu et il s'est trouvé nu (Genèse) .Le péché d'Adam ou le péché d'appropriation par
la volonté, c'est tout un.
La mythologie grecque et la philosophie moderne occidentale illustrent ce mal de volonté
propre. Narcisse est ce héros mythique qui aimait se contempler, cherchait à s'identifier à ce qu'il
pensait être sa beauté. Se mirant un jour dans l'eau pure, il s'en approcha tant qu'il l'effleura et
brouilla à son contact sa propre image. Echo est une autre figure mythique de vaine complaisance
en soi . Tout jeune rural s'est pris un temps, de préférence dans le silence de la nuit au jeu de
réentendre sa voix lui revenir.
La volonté peut encore se complaire en le mal-être dont la capacité de séduction donne le
vertige à la pensée. La philosophie moderne tente en effet depuis quelques siècles déjà par un
effort inhumain de se reconstruire à partir du néant soit en niant son origine soit en déconstruisant
la culture qui la précède. La civilisation moderne occidentale qui en est le fruit amer a pu être
qualifiée de civilisation de mort. Celui qui veut sauver sa vie la perdra avait dit Jésus. François en
disciple de Jésus a dénoncé par sa foi le risque qu'encourt de tout perdre celui qui veut
s'approprier le bien qu'il a reçu ou le bien qu'il opère.
Saint Paul s'était écrié : « Qui me sauvera de ce corps de mort? » Et de répondre : Jésus Christ qui au lieu de retenir pour lui sa vie l'a offerte librement et par amour à Dieu son Père qui
l'a sauvé personnellement de la mort et a ouvert pour nous le chemin de la vie.
ADMONITION 3 : obéissance parfaite et obéissance imparfaite
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1-2 Le Seigneur dit dans l'Evangile: Celui qui n'abandonne pas tout ce qu'il possède ne peut
être mon disciple (Lc 14, 28-33); et encore: Qui veut sauver son âme doit la perdre (Lc 9,24)
La Parole du Seigneur ouvre cette Admonition 3 sur l'obéissance. Le Seigneur, à savoir
Jésus parlant à ses disciples, est clé et accès à la parole de François. Jésus a inventé, selon
l'évangéliste Luc, deux paraboles fort instructives (Luc 14,33) :Si l'un de vous pense à se bâtir
une tour ne va-t-il pas d'abord s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il ira jusqu'au bout... Puis:
si un roi part en guerre contre un autre roi, ne va-t-il pas d'abord s'asseoir et voir s'il peut avec dix
mille hommes affronter celui qui en amène vingt mille? Ces deux paraboles de sagesse invitant à
commencer par s'asseoir signifient que la volonté d'obéissance est intelligence et réflexion. L'autre
référence évangélique à Luc (9,23-24) est à la fois exigeante et personnalisée : « Si quelqu'un
veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive! Oui,
celui qui veut se sauver lui-même se perdra, mais celui qui se sacrifie pour moi se sauvera. »
Ces deux paraboles, puisqu’elles sont paraboles ne peuvent pas être fondues en une. Obéir
c'est s'asseoir et penser, obéir c'est marcher et donner foi à Jésus.
3-4 Comment faire pour abandonner tout ce que l'on possède...Tout ce que fait et tout ce
que dit un sujet est acte d'obéissance véritable à deux conditions: d'une part qu'il s'agisse
objectivement d'une bonne action; d'autre part que l'on soit sûr de ne pas aller contre la volonté du
supérieur.
Le duo sujet-supérieur est un décalque du fonctionnement de la société globale au Moyen
Age. Le corps social était en équilibre plus ou moins assuré sur ces entités se tenant l'une l'autre.
Mais l'inspiration des Admonitions vient du Dieu Saint, Créateur et Père. « Vous êtes tous frères
» supérieur ou non, martèle François. L'accord présumé du supérieur pour une bonne action est
acte d'obéissance véritable.
5-6 Un sujet croit parfois sentir qu'une autre orientation serait meilleure et plus utile pour
son âme que celle qui lui est imposée: Qu'il fasse à Dieu le sacrifice de son projet et qu'il se mette
en devoir d'appliquer plutôt celui du supérieur. Voilà de la véritable obéissance qui est aussi de
l'amour: Elle contente à la fois Dieu et le prochain.
Les exégètes de ce texte y ont décelé la recommandation de l'apôtre Pierre aux chrétiens :
En obéissant à la vérité vous avez sanctifié vos âmes pour vous aimer sincèrement comme des
frères (1 P 1,22). Nous lisons , au gré des traducteurs compétents, obéissance parfaite, obéissance
véritable, obéissance d'amour, obéissance qui va vers l'amour, qui vient de l'amour, obéissance de
charité, obéissance caritative. Il faut tenir fidèlement liées vérité et charité envers Dieu et le
prochain dans la durée plus encore que dans des actes même nombreux. L'obéissance est relation
forte entre des personnes. Restent à distance de l'obéissance véritable, l'obéissance servile et
intéressée, l'obéissance condescendante à un supérieur, l'obéissance craintive, l'obéissance profil
bas.
7-9 Mais si le supérieur donnait un ordre contraire au salut de notre âme, il faudrait refuser
de lui obéir sans pour autant, rompre avec lui ou le quitter. Encourrait-on les persécutions de
certains à cause de cette attitude, on ne devrait que les aimer davantage pour l'amour de Dieu, car
celui qui, bien loin de divorcer d'avec ses frères, préfère supporter leur hostilité, celui-là reste
dans l'obéissance parfaite : l’obéissance qui va jusqu'à donner sa vie pour ses frères.
Nous voyons se dessiner le visage entier du véritable obéissant à la suite du Christ qui a
supporté l'hostilité alors qu'il passait partout en faisant le bien, qu'il a donné sa vie pour ses frères.
François envisage l'objection de conscience qui ne justifie cependant pas la rupture du lien fraternel.
L'Admonition traite de l'obéissance de personne à personne. Il est évident qu'elle vaut aussi
de personne à communauté, de frère à fraternité comme ce fut le cas pour frère Léon, des
premiers compagnons de saint François, qui se trouvait en décalage par rapport à l'ensemble des
frères par suite de leur évolution. François, percevant sa souffrance lui écrivit ces paroles:
Mon fils, je te parle comme une mère à son enfant, qu'elle que soit la manière qui te
semblera la meilleure de plaire au Seigneur Dieu et de suivre ses traces et sa pauvreté, adopte-la
avec la Bénédiction du Seigneur et ma permission. Et si cela est nécessaire pour ton âme et la
consolation de ton cœur, et si tu désirais simplement, Léon, venir me voir, viens!
Ce billet est conservé à Assise. Qui a vécu l'obéissance le comprend à fond. Le Père saint et vrai,
juste et bon, plein de miséricorde et de tendresse donne à François de parler comme une mère à
son enfant éprouvé.
10-11 Bien des religieux, malheureusement, s'imaginent découvrir qu'il y a mieux à faire
que ce qu'ordonnent leurs supérieurs; ils regardent en arrière (Lc 9,62)et retournent à leur
vomissement (Proverbes 25,11) c'est-à-dire à leur volonté propre...
L'Admonition prend fin sur une rude parole de Jésus à quelqu'un se proposant de le suivre
, semble-t-il, de sa propre initiative: Je te suivrai, Seigneur, mais permets-moi d'abord de prendre
congé des miens. Jésus lui répondit: Quiconque a mis la main à la charrue et regarde en arrière est
impropre au Royaume de Dieu. Cet homme, vient de lui-même, s'ouvre de son projet et demande
de le planifier. Pour l'avoir eu en point de mire, François a vu en lui quelqu'un d'indisponible parce
qu'attaché à sa volonté propre.
S'il est disciple qui ait accepté de renoncer à son plan et ne soit pas retournée en arrière à
cause du Royaume de Dieu, n'est-ce pas Claire ce Dimanche des Rameaux 18 mars 1212 quand
François la recevant à l'obéissance la conduisit aussitôt par des frères dans un monastère de
soeurs bénédictines? Elle fit volontairement obéissance entre ses mains et partit sans regarder en
arrière ni vers les frères ni vers sa famille pour une vie dont elle n'avait pas conçu le projet ( Règle
et Testament) et qui allait devenir le lieu pour elle de la volonté du Père: la petite église saint
Damien.
ADMONITION 4 : ne pas s'approprier les charges
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1-3 Ce n'est pas pour être servi que je suis venu, dit le Seigneur, mais pour servir.
Cette Parole du Seigneur ouvrant l'Admonition 4 est Bonne Nouvelle pour les hommes
de tous les temps. François disait : « Vous êtes tous frères » , tous serviteurs les uns des autres.
Quand on a reçu autorité sur les autres, on ne doit pas plus en tirer gloire que si l'on était
affecté à l'emploi de leur laver les pieds. Etre plus désemparé de perdre un supériorat que de
perdre l'emploi de laver les pieds, c'est amasser comme Judas, un trésor frauduleux, au péril de
son âme; et plus grand est le trouble, plus grand est l'avarice.
La surprise bouleversante du lavement des pieds (Jean 13) fait ici école. Le Maitre et le
Seigneur aime tant ses disciples qu'il leur lave les pieds. François écrivit (première Règle 22,9) :
Sur aucun homme mais surtout sur aucun autre frère, nul frère ne se prévaudra jamais d'aucun
pouvoir de domination.
Il se démit volontairement de la direction de l'Ordre pour ne pas commander. Et pourtant il
ne put s'empêcher de s'inquiéter de ses frères.
Un rêve en témoigne: une petite poule noiraude étendait ses ailes sur ses nombreux poussins
vigoureux et turbulents. Elle ne peut les maintenir à l'abri et ils se dispersent. Rêve qu'il interpréta:
la petite poule c'est moi petit homme brun, les poussins ce sont mes frères entreprenants, qui
prennent leur essor et s'en vont de par le monde comme de juste annoncer la paix et la joie du
Seigneur. Petit pauvre, il apprit l'obéissance de la dépossession et du service humble comme le
laver les pieds des frères. (2 Celano 144 et 188 et autres textes).
Des frères reçoivent autorité et sont portés à s'en glorifier en oubliant qu'ils l'ont reçue.
François dénonce jusqu'au désir d' appropriation, souvent inconscient, des dons du Seigneur. Le
diable trouve en cet appétit de possession un point faible à faire céder. Céder au penchant de
convoiter, de retenir des charges, de se lamenter parce que le temps est venu de laisser la place à
d'autres, c'est amasser un trésor frauduleux comme Judas le fit. La sanction est la perte du trésor et
du propriétaire. Car la plus secrète des cachettes trouble l'âme. Le trésor frauduleux, c'est le
magot, c'est la caisse noire, c'est la réserve « au cas où ».
C 'est donc le coeur qui triche et qui retient le pouvoir confié et le détourne de sa finalité.
Il est, aux dires de Jésus, perdu d'avance car il ne résistera ni aux rouilles ni aux mites. A savoir à
l'inquiétude et au soupçon. Il ne rendra pas heureux.
Soyons disposés quel que soit notre état de vie à rendre grâces à Dieu avec le petit
pauvre, notre serviteur, frère François:
Et tous les biens, rendons-les au Seigneur, Dieu très-haut et souverain et
reconnaissons que tous les biens sont à lui et rendons-lui grâces de tout, à lui dont tous les biens
procèdent. Et lui, très-haut et souverain, seul vrai Dieu qu'il est et que lui soient rendus et qu'il
reçoive tous les honneurs et révérences, toutes les louanges et bénédictions, toutes les grâces et
toute gloire lui à qui est tout bien, qui seul est bon.
.Amen

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