Golden Earring: les Who hollandais, tout simplement

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Golden Earring: les Who hollandais, tout simplement
SAMEDI 20 DÉCEMBRE 2014 LE JOURNAL DU JURA
RIFFS HIFI 19
NOSTALGIE (4) Les meilleurs albums live des années 70 (1976-1979)
MITCH GASSER & FRIENDS
MARCEL GASSER
Depuis l’âge de 50 ans, notre pote d’enfance Marcel Gasser,
accessoirement traducteur retors du JdJ, fête tous les 5 ans son
anniversaire en offrant un concert rock gratuit à ses amis, aux amis de
ses amis et aux amateurs de bonne musique de tous horizons. Après
ceux du 50e et du 55e, le concert du 60e anniversaire a donc eu lieu
fin mars, à La Case à Chocs de Neuchâtel. Précisons d’emblée que
l’idée ne tombe pas de nulle part, puisque son fils Mitch est guitariste.
Formé à Londres, titulaire d’un Master en composition musicale de la
Haute école de musique de Lausanne, le guitarero a forcément baigné
depuis sa plus tendre enfance dans ce rock mélodieux des seventies
lâchement imposé par son géniteur. Ce concert unique a été filmé et
enregistré. Un DVD ainsi qu’un double CD (21 titres) immortalisent
l’événement. Les musiciens et la chanteuse (six en tout!) sont anglais
ou irlandais, et le répertoire fait la part belle aux standards des années
70, de Thin Lizzy à Wishbone Ash, de Joe Satriani aux Who, en passant
par Jethro Tull, Dire Straits, John Mayall, Lynyrd Skynyrd, etc. Là-bas, on
aurait dit: «Guitar-oriented classic rock, with beautiful female vocals».
Mitch Gasser & Friends: «The 60th Birthday Concert», 2014
Pour obtenir le CD et/ou le DVD: [email protected] PABR
Golden Earring: les Who
hollandais, tout simplement
Dernier volet de notre série
consacrée aux grands albums du
rock, qui sont souvent des albums live. Jouissance garantie!
10. Lynyrd Skynyrd: «One
More From the Road », 1976
Lynyrd Skynyrd, c’est incontestablement LE groupe rock sudiste. Non sans démagogie, mais
avec aussi une bonne dose d’autodérision, il cultiva sur scène
une esthétique de rebelles, d’irréductibles représentants d’un
Sud libéré de la tyrannie yankee.
Bannière des Etats confédérés
dans le dos, le groupe alignait
sur scène trois lead guitaristes
(Allen Collins, Gary Rossington
et Steve Gaines) comme autant
de
francs-tireurs.
Lynyrd
Skynyrd, c’est d’abord un bluesrock bien gras, un brin paresseux, terrien pour ne pas dire
rustique, qui excelle dans les registres traînants, servi par une
voix râpeuse et enjôleuse. Puis
ce sont des breaks secs et des
guitares voraces, qui vous entraînent dans de superbes ballades. Torride et énergique, à la
fois carré et subtil. Avec au
moins trois grands moments:
«Sweet home Alabama», «Searching» et «Free bird».
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable
de
Lynyrd
Skynyrd reste le premier album,
«Lynyrd Skynyrd», 1973
11. Peter Frampton: «Frampton comes Alive!», 1976
Les lecteurs qui ont lu ici la
chronique consacrée à Humble
Pie, «Performance Rockin’ the
Fillmore» (1971), se souviennent certainement du jeune Anglais Peter Frampton. Il quitta le
groupe l’année suivante, se lança
dans une carrière solo, composa
quatre albums plutôt discrets,
s’installa aux Etats-Unis et connut son apogée en 1976 avec cet
album live qui fit de lui, du jour
au lendemain, une véritable
star. Six millions d’albums vendus rien qu’aux States, 11 millions à travers le monde! Des
morceaux
comme
«Something’s happening», Show
me the way» ou «Baby I love
your way» cartonnèrent dans
les charts. Sur «Do you feel like
we do», Frampton fut l’un des
premiers à utiliser la talkbox, un
accessoire permettant de moduler les sons d’une guitare avec la
bouche via un tube. Rock léché,
tendance FM, précurseur, en
plus authentique, des gros bras
que furent par la suite Boston ou
Foreigner.
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable de Peter Frampton reste «I’m in you», 1977
12. Golden Earring: «Live»,
1977
Honteusement snobé par la
presse spécialisée durant les seventies, le groupe Golden Earring n’avait en fait qu’un seul défaut: il était hollandais. Pas
anglais, pas américain, ni même
français. Autant dire indigne du
moindre intérêt. Après 10 ans
de galère, ces quatre potes pro-
Rocking (all night long) for father Marcel
BRYAN FERRY
Esprit de Roxy Music, es-tu là?
Fondé en 1961(!), Golden Earring est toujours en activité. Et il cartonne littéralement en Hollande. LDD
duisirent pourtant entre 1973 et
1978, cinq superbes albums:
«Moontan» (73), «Switch»
(75), «To the hilt» (76), «Contraband» (76) et «Grab it for a
second» (78). Ce «Live», un des
tout grands de la décennie, a
donc le mérite de les saisir au
sommet de leur art. Les standards y sont: «Radar love», «Vanilla queen», «Fighting windmills», «Eight miles high»…
Golden Earring, c’est un groove
implacable au service d’un rock
mélodieux, un excellent chanteur, des guitares affûtées
(Kooymans), un son original et
immédiatement reconnaissable, des compositions intelligentes, raffinées, et un sens incroyable de la mélodie. Un classique
qui n’a pas pris une ride.
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable de Golden Earring reste «Moontan», 1973
13. Thin Lizzy: «Live and dangerous», 1978
Catalogué un peu rapidement
comme vulgaire groupe de hard
rock, voire de heavy metal, Thin
Lizzy détonnait à l’époque par
ses racines celtiques, ses twin
guitars éthérées et les compositions subtiles de son leader, le
bassiste et chanteur Phil Lynott,
dont la voix chaude, presque
soul, et le groove particulier surprenaient la clientèle. Plus près
de Wishbone Ash que de
Motörhead, Thin Lizzy fut trop
atypique pour atteindre une
gloire qu’il aurait pourtant cent
fois méritée. Les guitares (le Californien Scott Gorham, l’Ecossais Brian Robertson, puis l’Irlandais Gary Moore en
personne et enfin le très Londonien Snowy White, le plus raffiné) assuraient un rock mélodieux,
aux
harmonies
peaufinées, jamais tapageur,
toujours séduisant et original.
Un groupe attachant, qui ne
manque ni de classe, ni d’allure.
Pour les réfractaires aux albums live, les chefs-d’œuvre incontournables de Thin Lizzy
restent «Johnny the fox», 1976
(Scott Gorham/Brian Robertson), «Black rose, a rock legend»,
1979
(Scott
Gorham/Gary Moore) et «Renegade», 1981 (Scott Gorham/
Snowy White)
14. UFO: «Strangers in the
night», 1979
Il y a trois grands problèmes
dans le rock: les chanteurs y
sont rarement bons (ils éructent
plus qu’ils ne chantent), les guitaristes sont certes énergiques et
tonitruants, mais souvent confus et techniquement limités, et
les compositions manquent
pour le moins d’envergure. Avec
UFO, rien de tout ça. Phil Mogg,
le chanteur, est un tout grand,
de l’acabit d’un Paul Rodgers:
phrasé impeccable, voix mâle et
bien posée, un instrument à elle
seule. Le guitariste, l’Allemand
Michael Schenker, est tout simplement un des plus brillants de
la planète: lyrique et virtuose,
Golden Earring
n’avait qu’un
défaut: il était
hollandais. Pas
anglais, pas
américain...
d’une précision chirurgicale
dans ses solos, implacable dans
ses rythmiques, il sait ménager
ses effets comme personne.
Avec UFO, le hard rock devient
autre chose qu’une stupide
course métallique en avant, tête
baissée, dans le fracas et la tourmente. Vigoureux mais aérien,
inspiré, précis, ce «Strangers in
the night» a quelque chose de
magistral.
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable de UFO reste
«Phenomenon», 1974
15. Neil Young and Crazy
Horse: «Live Rust», 1979
Neil Young est un paradoxe:
avec sa voix de fausset et son jeu
de guitare très aléatoire, il n’avait
a priori rien pour devenir une
rock star. Et pourtant. Ce prince
du grunge avant l’heure, que
Kurt Cobain vénérait, est un vrai
tueur. Deux notes pourries de
«Cinammon girl» ou de «Like a
hurricane», et vous êtes à genoux. Les solos ne sont pas des
solos, mais d’incroyables chevauchées, portées par des guitares lancinantes et hypnotiques.
Les morceaux progressent
comme un rouleau compresseur, lentement, inexorablement, implacablement. Ce
«Live Rust» montre les deux facettes du bonhomme, aussi authentiques l’une que l’autre: une
partie acoustique, tendance folk
intimiste, et une partie défonce
électrique. Neil Young, c’est plus
de 40 ans de carrière, une flopée
de compositions qui resteront
dans l’histoire. De quoi inspirer
le respect.
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable de Neil Young
reste «Tonight’s the night», 1975
16. Frank Zappa: «Sheik Yerbouti», 1979
Frank Zappa méritait de clore
cette décennie, même si cet album n’est pas un live à 100%.
Explication: toutes les parties de
guitare du maître ont été jouées
en public, mais tout le reste a été
reconstruit en studio. Le procédé
est discutable, mais il faut reconnaître qu’il est efficace. Surtout
si l’on sait que les concerts de
Zappa ressemblaient souvent à
un joyeux foutoir. Ici, rien de
tout ça: des guitares vraiment
magnifiques («Yo’Mama»), des
morceaux très accessibles (si,
si!) finalement très blues et très
rock, bref l’album qui devrait
convaincre les plus allergiques
que ce compositeur et musicien
exceptionnel, mais difficile à
force de complexité, pouvait
faire simple et populaire. Les aficionados des Mothers of Invention vont hurler à la trahison, les
guitarreux continueront de se
passer en boucle «Shut Up’ N
Play Yer Guitar», mais les faits
demeurent: cet album à taille
humaine est absolument parfait.
Pour les réfractaires aux albums live, le chef-d’œuvre incontournable de Frank Zappa
reste «One size fits all», 1975.
FIN
Quatorzième album solo, déjà, pour le chanteur et leader historique de
Roxy Music, le dandy glam Bryan Ferry. Pas de cataclysme à l’horizon,
mais toujours cette classe unique, ce phrasé inimitable et cette cool
attitude qui rappellent «Avalon». Sur «Avonmore» (distribution Phonag),
l’esthète distille une pop aussi indémodable qu’intemporelle. Certes, il
ne force plus trop sa voix. Mais l’a-t-il vraiment fait un jour? Certes
encore, la révolution (musicale) n’est pas son fait. Mais on retrouve ici
avec jouissance le charme unique et désuet du bonhomme. Et quel
casting pour l’accompagner! Johnny Marr, Nile Rodgers et même
Marcus Miller: excusez du peu. Un album très années 80, finalement.
Quand ça correspond aux productions de l’époque de Roxy Music, il
est recommandé de prendre cela pour un compliment! PABR
PETE TOWNSHEND
Au secours des orchestres classiques
On le savait plutôt gonflé, Pete Townshend. Figurez-vous que le
guitariste des Who a décidé de voler au secours des orchestres
classiques qui, selon lui, ont un public vieillissant. Sa recette? Il a
retravaillé son opéra «Quadrophenia» avec le Philharmonique de
Londres et le ténor Alfie Boe pour remplacer Roger Daltrey. Cette œuvre
sera interprétée au Royal Albert Hall le 5 juillet prochain. Elle a été
enregistrée et paraîtra sur le prestigieux label classique Deutsche
Grammophon. Quant au bon Alfie Boe, il aurait juré qu’entre Mozart et
Beethoven, il y avait une place pour la postérité réservée à Pete
Townshend. D’autres, plus cyniques, ont estimé que ce n’est pas grâce à
«Quatrophenia» qu’on rajeunirait le public classique. Sacré Pete! PABR
CHANSON FRANÇAISE
Une antho des bourdes
Détracteurs de la chanson française, ou simple consommateurs
dudit genre s’il en est un, l’«Anthologie des bourdes et autres curiosités de la chanson française»
est un ouvrage pour vous. Drôle
et pertinent dans pas mal de ses
recoins, ce bouquin, signé du
chanteur Alister et paru aux éditions La Tengo, énumère, répertorie les erreurs et autres aberrations des paroles de chansons.
Erreurs simples, historiques,
géographiques ou scientifiques,
fautes de prononciation et liaisons erronées, fautes de syntaxe
(Michel Fugain: «Le monde sera
ce que tu le feras»), fautes de
genre, illogismes, charabias, et
autres hallucinations auditives
vous attendent de page en page.
Fallait quand même les trouver,
même si réunies ainsi dans un
bouquin, elles semblent sauter
aux yeux (Johnny Hallydaychantant «Je te promets des nuits rouges
comme tes règles», fallait l’oser,
non?).
Toutes les aberrations
Passent également à la moulinette les traducteurs français réécrivant les Beatles, les clichés favoris de nos auteurs sacrés,
l’utilisation du mot «m...» dans
cette chanson française pas si
proprette que ça, les textes les
plus incompréhensibles, les plagiats, et les pochettes les plus...
différentes. Un voyage ironique
L’auteur de cette anthologie des
bourdes de la chanson française, le
chanteur Alister, a déjà fait paraître
deux albums chez Barclay. LDD
franchement pas méchant dans
la création parolière, des fifties à
aujourd’hui. Un recensement à
risque, venant d’un auteur?
«Ayant la fâcheuse habitude de
mettre les rieurs de mon côté, je
constatais, année après année, que
mon corpus gonflait au fil de découvertes, anomalies, qui, en plus
d’animer des fins de repas joviales,
m’en apprenaient toujours plus sur
ce drôle d’exercice qu’est l’écriture
d’une chanson», note Alister dans
son avant-propos.
PIERRE-YVES THEURILLAT

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