Diminution des jours de congés en cas d`absence pour maladie

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Diminution des jours de congés en cas d`absence pour maladie
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Diminution des jours de congés en cas d’absence pour
maladie : récupération prohibée ?
le 11 janvier 2016
SOCIAL | Temps de travail
L’accord collectif, qui octroie, en sus des jours de congés payés annuels, d’autres jours de congé
dont le nombre est déterminé en fonction du temps de travail effectif dans l’année, ne prévoit pas
la récupération prohibée des jours d’absence pour maladie du salarié.
Soc. 16 déc. 2015, FS-P+B+R+I, n° 14-23.731
L’article L. 3122-27 du code du travail prévoit la récupération des heures perdues par suite
d’interruption du travail lorsque celle-ci résulte soit de causes accidentelles, d’intempéries ou de
cas de force majeure, soit d’inventaire, soit, enfin, du chômage d’un jour ou de deux jours
ouvrables compris entre un jour férié et un jour de repos hebdomadaire ou d’un jour précédant les
congés annuels. Il s’agit d’une faculté pour l’employeur de reporter le travail de ses salariés,
qu’aucun d’eux n’a pu accomplir, à une période ultérieure. Cependant, par sa lettre et son esprit (V.
J.-Cl. Trav., fasc. 21-12, v° Temps de travail – Organisation, par M. Morand, nos 158 et 161), le texte
établit une liste limitative d’hypothèses où la récupération est autorisée et, a contrario, prohibe tout
autre cas ou forme de récupération (V. Soc. 13 oct. 1993, n° 89-42.056, Dalloz jurisprudence ; 28
janv. 1997, n° 92-44.976, Dalloz jurisprudence). C’est la raison pour laquelle, encore récemment, la
Cour de cassation a condamné la pratique consistant pour un employeur à retirer un jour de
réduction de temps de travail (RTT) au salarié en raison de son absence pour maladie car elle avait
pour effet d’entraîner une récupération prohibée par l’ancien article L. 212-2-2 du code du travail,
devenu L. 3122-27 du même code (V. Soc. 3 nov. 2011, n° 10-18.762, Bull. civ. V, n° 251 ; Dalloz
actualité, 13 déc. 2011, obs. L. Perrin ; D. 2011. 2804 ; RDT 2012. 106, obs. M. Véricel ; JCP S
2011. 1567, obs. M. Morand). En effet, le retrait d’un jour de RTT conduit le salarié à travailler un
jour où, par l’effet de ce dispositif, il n’aurait normalement pas dû travailler : il y a donc bien report
de la journée des heures de travail perdues. Or l’absence pour maladie n’entre pas dans les
prévisions de l’article L. 3122-27 du code du travail.
Il semble que la chambre sociale, par un arrêt du 16 décembre 2015, ait décidé d’apporter une
nouvelle pierre à son édifice jurisprudentiel.
Elle avait à connaître de l’accord du 13 janvier 2000 relatif à la durée et l’organisation du temps de
travail au Crédit Agricole qui, en son article 2.1 de l’annexe 2 chapitre II, prévoit que l’ensemble des
salariés a un droit sur l’année à cinquante-six jours de congés payés, dont vingt-cinq jours ouvrés
de congés payés annuels et trente et un jours dénommés AJC (autres jours de congé)
correspondant aux jours chômés dans l’entreprise et aux demi-journées ou journées résultant de la
réduction du temps de travail. Il y était, plus particulièrement, stipulé que, « sans préjudice des
règles relatives aux congés payés annuels, l’acquisition du nombre de jours de congé est
déterminée en fonction du temps de travail effectif dans l’année ». Un salarié a contesté devant la
juridiction prud’homale le fait d’avoir été privé d’un jour de réduction de temps de travail en raison
d’une absence pour maladie. Ce retrait, effectué en application de l’accord collectif précité,
constituait, selon lui, une récupération prohibée par l’article L. 3122-27 du code du travail.
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par le salarié. Elle estime, en effet, que l’accord
prévoit non pas la récupération prohibée des jours d’absence pour maladie du salarié par le retrait
d’autant de jours de congé AJC auxquels il a droit mais un calcul de son droit à des jours de congé
AJC proportionnellement affecté par ses absences non assimilées à du temps de travail effectif,
conforme aux dispositions des articles L. 3141-5 et L. 3141-6 du code du travail.
Cela signifie, en d’autres termes, que toute diminution des jours de congé, notamment
conventionnels, en raison d’une absence du salarié, pour une cause ne figurant pas à l’article L.
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3122-27 du code du travail, n’emporte pas nécessairement récupération prohibée des heures alors
non travaillées. En cela, le présent arrêt ne s’oppose pas frontalement à celui du 3 novembre 2011
qui a qualifié de récupération prohibée le retrait d’un jour de RTT en raison d’une absence pour
maladie. Il viendrait, au contraire, le compléter.
La différence, certes subtile, repose essentiellement, comme le suggère la Cour de cassation, sur
l’interprétation faite du texte ou de l’accord qui octroie les jours de congé. En toute hypothèse, le
quantum des jours de congé dont dispose le salarié diminue in fine. Seulement, dans un cas, la
diminution intervient a posteriori et vient retrancher à des jours de congé acquis un ou plusieurs
jours pour compenser une absence ; dans l’autre, la diminution intervient en quelque sorte a priori
puisque l’absence conditionne directement et avant toute attribution des jours de congé la
détermination de leur nombre.
La Cour finit par justifier cette différence en considérant que ce mode de calcul, qui affecte le droit
à des jours de congé conventionnels proportionnellement aux absences non assimilées à du temps
de travail effectif, est conforme aux dispositions des articles L. 3141-5 et L. 3141-6. La chambre
sociale éclaire l’affirmation dans une note explicative diffusée sur le site internet de la Cour de
cassation et destinée à figurer au rapport annuel aux côtés de l’arrêt lui-même. Il est ainsi précisé :
« Or, un tel mode de calcul n’est pas contraire aux dispositions de l’article L. 3141-5 du code du
travail, selon lesquelles l’absence pour maladie non professionnelle n’est pas assimilée à des
périodes de travail effectif pour le calcul du droit à congé, ni à celles de l’article L. 3141-6 du même
code aux termes desquelles l’absence du salarié ne peut avoir pour effet d’entraîner une réduction
de ses droits à congé plus que proportionnelle à la durée de cette absence. Un exemple permet de
l’illustrer : un salarié en forfait en jours, qui doit effectuer, au sein du Crédit Agricole, 205 jours de
travail dans l’année, doit, pour perdre un des 31 jours de congé AJC auquel il a théoriquement droit,
être absent 6,61 (205/31) jours. Cet exemple chiffré montre, si besoin était, qu’il ne résulte pas de
l’accord une stricte égalité arithmétique entre le nombre de jours d’absence pour maladie du
salarié et le nombre de jours de congé dont il est privé, alors que cette égalité arithmétique est la
condition nécessaire pour qu’il y ait une récupération prohibée dénoncée par le salarié ».
La démonstration paraît convaincante. D’un côté, il est de jurisprudence constante que,
conformément à la liste limitative établie par l’article L. 3141-5 du code du travail, la période de
suspension du contrat de travail consécutive à une maladie ou un accident non professionnels n’est
pas assimilée à du temps de travail effectif et, partant, ne contribue pas à déterminer la durée des
congés payés auxquels le salarié a droit ni, par conséquent, les droits à indemnités qui y sont
attachés (V. Soc. 29 avr. 1975, n° 74-40.637, Bull. civ. V, n° 218 ; 8 juin 1994, n° 90-43.014, Dalloz
jurisprudence ; 13 mars 2013, n° 11-22.285, Bull. civ. V, n° 73 ; Dalloz actualité, 8 avr. 2013, obs. B.
Ines ; D. 2013. 778 ; Dr. soc. 2013. 564, obs. S. Laulom ; ibid. 576, chron. S. Tournaux ; RDT
2013. 341, obs. M. Véricel ; RTD eur. 2014. 435, obs. B. Le Baut-Ferrarese ; ibid. 460, obs. B. de
Clavière ). D’un autre, l’absence pour maladie peut effectivement contribuer à diminuer la durée
des congés mais à la seule condition de ne pas être plus que proportionnelle à la durée de
l’absence ; autrement dit, la réduction des droits à congé ne doit pas excéder la part représentée
par la durée de l’absence au cours de la période de référence d’attribution d’un certain nombre de
jours de congé (C. trav., art. 3141-3 : deux jours et demi ouvrables par mois de travail). Cela ressort
expressément de l’article L. 3141-6 du code du travail.
Le raisonnement, et surtout le fondement sur lequel est assis la solution, est néanmoins fragile. Si
la Cour de cassation persiste encore à écarter les absences pour maladie ou accident d’origine non
professionnelle des périodes assimilées à du temps de travail effectif conformément à la lettre de
l’article L. 3141-5 du code du travail, c’est parce qu’elle ne dispose pas des moyens nécessaires
pour modifier le droit positif interne. Il est, en effet, acquis que la disposition précitée est contraire
au droit de l’Union européenne et, plus précisément, à l’article 7 de la directive n° 2003/88/CE du 4
novembre 2003 concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail. La Cour de
justice de l’Union européenne (CJUE) a estimé que l’article 7 de cette directive n’opérait aucune
distinction entre les travailleurs absents pendant la période de référence en vertu d’un congé de
maladie et ceux qui ont effectivement travaillé au cours de cette période et a fortiori selon que
l’absence est consécutive à une maladie ou un accident survenus sur le lieu de travail ou ailleurs
(V. CJUE 24 janv. 2012, Maribel Dominguez c. Centre informatique du Centre-Ouest Atlantique,
Préfet de Région Centre, aff. C-282/10, pt 30 ; Dalloz actualité, 24 févr. 2012, obs. L. Perrin ; D.
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2012. 369 ; ibid. 901, obs. P. Lokiec et J. Porta ; RDT 2012. 371, obs. M. Véricel ; ibid. 578,
chron. C. Boutayeb et E. Célestine ; RFDA 2012. 961, chron. C. Mayeur-Carpentier, L. Clément-Wilz
et F. Martucci ; RTD eur. 2012. 490, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 2013. 677, obs. F. Benoît-Rohmer
; RMCUE 2014. 243, chron. Ekaterini Sabatakakis ; JCP S 2012. 1135, note E. Andréo et J. Misslin).
Les périodes d’absence pour maladie ou accident d’origine non professionnelle devraient être ainsi
assimilées, à l’instar des périodes d’absence pour maladie ou accident d’origine professionnelle qui
figurent expressément dans la liste limitative de l’article L. 3141-5 du code du travail, à des
périodes de travail effectif pour la détermination de la durée du congé. Cependant, les directives
sont dépourvues d’effet direct horizontal (V. CJCE 14 juill. 1994, Faccini Dori, aff. C-91/92, Rec.
CJCE, p. I-3325, pt 20 ; D. 1994. 192 ; RTD eur. 1995. 11, étude F. Emmert et M. Pereira de
Azevedo ; 5 oct. 2004, Pfeiffer, aff. C-397/01, Rec. CJCE, p. I-8835, pt 114 ; AJDA 2004. 2261,
chron. J.-M. Belargey, S. Gervasoni et C. Lambert ; 19 janv. 2010, Kücükdeveci, aff. C-555/07, Rec.
CJCE, p. I-365, pt 48 ; Rev. UE 2013. 313, chron. Ekaterini Sabatakakis ; AJDA 2010. 248, chron. M.
Aubert, E. Broussy et F. Donnat ; RDT 2010. 237, obs. M. Schmitt ; RTD eur. 2010. 113, chron. L.
Coutron ; ibid. 599, chron. L. Coutron ; ibid. 673, chron. S. Robin-Olivier ; ibid. 2011. 41, étude E.
Bribosia et T. Bombois ) qui permettrait alors à un requérant d’en réclamer l’application dans un
litige entre particuliers. En outre, contrairement à ce qui a été affirmé (V. S. Laulom, préc. ; S.
Tournaux, préc.), l’interprétation du droit interne à la lumière d’une directive est suspendue à la
teneur du droit interne : il ne doit pas être procédé à une interprétation contra legem du droit
interne (V. CJCE 15 avr. 2008, Impact, C-268/06, Rec. CJCE, p. I-2483, pt 100 ; CJUE 24 janv. 2012,
Dominguez, préc., pt 25 ; 15 janv. 2014, aff. C-176/12, Association de médiation sociale c. Union
locale des syndicats CGT et a., pt 39 ; Dalloz actualité, 21 févr. 2014, obs. B. Ines ; AJDA 2014. 336,
chron. M. Aubert, E. Broussy et H. Cassagnabère ; D. 2014. 705 , note S. de La Rosa ; ibid. 2374,
obs. P. Lokiec et J. Porta ; Dr. soc. 2014. 408, étude J. Icard ; RDT 2014. 312, étude E. Carpano et
E. Mazuyer ; RTD civ. 2014. 843, obs. L. Usunier ; RTD eur. 2014. 409, étude E. Dubout ; ibid.
523, obs. S. Robin-Olivier ; ibid. 904, obs. L. Coutron ; ibid. 2015. 160, obs. F. Benoit-Rohmer ;
RMCUE 2015. 33, étude S. Platon ). Or l’article L. 3141-5 du code du travail établit une liste
limitative et vise exclusivement les absences pour maladie ou accident d’origine professionnelle :
assimiler les absences pour maladie ou accident d’origine non professionnelle à celles consécutives
à une maladie ou un accident d’origine professionnelle ou bien ajouter ces absences à une liste
limitative reviendrait, dans un cas comme dans l’autre, à opérer une interprétation contra legem.
Alors oui, la Cour de cassation n’a pas véritablement le choix tant que le législateur n’aura pas pris
ses responsabilités. Mais le fondement de la position ici adoptée par la Cour peine à convaincre
totalement.
Une faculté reste néanmoins ouverte au salarié dont la durée des congés conventionnels est
diminuée par ses absences pour maladie. Si le parallèle avec les congés légaux est mené à son
terme et que le fondement de l’article L. 3141-5 du code du travail est retenu en tant que tel, ce
salarié pourrait très bien engagé la responsabilité de l’État pour ne pas avoir mis en conformité le
droit interne avec la directive n° 2003/88/CE du 4 novembre 2003 (V. CJCE 19 nov. 1991,
Francovich, aff. C-6/90 et C-9/90, Rec. CJCE, p. I-5357 ; AJDA 1992. 143 , note P. Le Mire ; ibid.
253, chron. J.-D. Combrexelle, E. Honorat et C. Soulard ; D. 1992. 1 ; RDI 1992. 141, chron. H.
Périnet-Marquet ; RFDA 1992. 1, note L. Dubouis ; RTD eur. 1992. 27, étude F. Schockweiler ;
ibid. 1993. 81, chron. E. Traversa ; RMCUE 2015. 425, étude C. Blumann ; ibid. 562, étude Sean
Van Raepenbusch ).
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par Bertrand Ines
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