L`intégration adaptative des chaînes de soins

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L`intégration adaptative des chaînes de soins
L’intégration adaptative des chaînes de soins – le cas du dispositif MAIA
Wei Guan, doctorant, Aix Marseille Univ, CRET-LOG, Aix-en-Provence, France
[email protected]
Nathalie Sampieri-Teissier, MCF, Aix Marseille Univ, CRET-LOG, Aix-en-Provence, France [*]
[email protected]
Nathalie Fabbe-Costes, PR, Aix Marseille Univ, CRET-LOG, Aix-en-Provence, France
[email protected]
[*] auteur correspondant
Adresse des trois auteurs :
CRET-LOG
413 Avenue Gaston Berger
13 625 Aix-en-Provence, Cedex 1
France
Résumé :
L’intégration est un concept clé pour deux champs de littérature que l’article rapproche :
logistique / SCM et management de la santé. Leur point commun : intégrer les activités d’une
multitude d’acteurs hétérogènes autour d’un client/bénéficiaire final pour améliorer la
performance et la création de valeur du processus dans son ensemble. A travers l’analyse de
sources secondaires traitant d’un cas original d’intégration de services de santé en France, le
dispositif MAIA (Méthode d’Action pour l’Intégration des services d’aide et de soins dans le
champ de l’Autonomie), l’article contribue à la compréhension de l’intégration adaptative des
chaînes de soins. Les mécanismes et outils facilitateurs de l’intégration prévus dans le
dispositif MAIA ainsi que les deux modalités de pilotage des processus identifiés pour
répondre de manière efficace et efficiente aux besoins différenciés des patients méritent d’être
étudiés de manière plus approfondie pour confirmer certains résultats de la recherche.
Mots clés :
Intégration de la chaîne logistique, chaînes de soins multi-acteurs, Santé, MAIA
1
L’intégration adaptative des chaînes de soins – le cas du dispositif MAIA
Introduction
Pour de nombreux auteurs dans le domaine de la logistique et du Supply Chain Management
(SCM), une plus grande intégration des chaînes logistiques serait un gage d’une plus grande
performance (Gimenez et Ventura, 2005 ; Flynn et al, 2010 ; Prajogo et Olhager, 2012). Or,
malgré des avancées notables, la littérature en SCM réclame toujours plus de preuves
empiriques sur ce lien de causalité intégration / performance (ou création de valeur pour le
client). De plus, les chercheurs intéressés par la question relèvent une limite empirique
importante : la difficulté à observer le phénomène sur l’intégralité d’une chaîne logistique.
Parallèlement, ce besoin d’intégration est également souligné dans un autre champ de
littérature, celui du management de la santé. Là aussi, l’intégration est perçue comme le
meilleur moyen pour parvenir à une plus grande performance au service du patient (Armitage
et al., 2009 ; Wistow et Dickinson, 2012). Cette intégration est d’autant plus cruciale que le
patient a une pathologie chronique et évolutive, qui peut l’affecter sur un plan physique,
psychologique et donc social. Cet état nécessite l’intervention d’une multitude d’acteurs tout
au long de sa prise en charge : des acteurs médicaux, médico-sociaux, sociaux, institutionnels
financeurs, etc. Pour faciliter l’intégration des prestations de cette constellation d’acteurs, un
dispositif original s’est développé progressivement en France depuis 2008 appelé MAIA
(Méthode d’Action pour l’Intégration des services d’aide et de soins dans le champ de
l’Autonomie), dont l’objectif est de faciliter et d’améliorer la prise en charge de patients en
situation de perte d’autonomie.
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A travers l’exploration du secteur de la santé, en particulier du cas du dispositif MAIA,
l’objectif de cet article est d’une part de mieux comprendre comment de multiples acteurs
peuvent s’articuler pour mieux intégrer les chaînes de soins destinées à une population cible et,
d’autre part, d’analyser si l’intégration est différenciée selon les situations des patients. Dans
une première partie, une revue de littérature sur l’intégration en logistique / SCM et dans le
secteur de la santé met en évidence à la fois l’intérêt, les limites et critiques de l’intégration
« totale », et les proximités de ces deux champs de littérature. Dans une seconde partie, la
présentation du dispositif MAIA démontre la pertinence de ce terrain pour étudier la
dynamique de l’intégration des chaînes de soins multi-acteurs ; puis, l’étude de ce dispositif
permet d’identifier différentes modalités d’intégration pour s’adapter à des configurations
diverses de patients. La conclusion ouvre des pistes de recherche pour approfondir certains
résultats de cette recherche.
1. Revue de littérature sur l’intégration en SCM et santé : débats et questionnements
1.1 L’intégration dans la littérature logistique et SCM
L’intégration est une notion importante en logistique et en SCM ; sujet de nombreuses études,
souvent mobilisée et pourtant encore très polysémique. Elle pourrait s’apparenter à une sorte
de graal, toujours recherchée mais jamais atteinte, et insuffisamment questionnée.
L’intégration des chaînes logistiques est identifiée dans la littérature comme un concept
multidimensionnel reposant sur différentes couches interdépendantes d’intégration
(Fabbe-Costes et Jahre, 2008) : les flux (physiques, information, financiers) ; les processus et
activités (opérationnels, support, pilotage) ; les systèmes et technologies (physiques,
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informationnels) ; et les acteurs (individus, équipes, fonctions, entreprises).
L’intégration des flux est recherchée car elle permet à l’offre (produits et services) de
rencontrer la demande. Les trois autres couches d’intégration représentent des conditions
requises pour obtenir l’intégration des flux. Chen et al. (2009), qui adoptent une approche
processuelle, mettent en avant deux dimensions clés de l’intégration des processus d’une
chaîne logistique : la connectivité, qui renvoie à la facilité de se connecter et de fonctionner de
manière seamless (le plug-and-play) et la simplification, qui suggère d’éliminer tout ce qui est
inutile (et fait perdre du temps ou représente un surcoût). Leuschner et al. (2013) considèrent
l’intégration informationnelle, l’intégration opérationnelle et l’intégration relationnelle
comme les trois couches clés de l’intégration des chaînes logistiques, ce qui renforce une
vision de l’intégration combinant échanges d’information, coordination d’activités et
collaboration entre les acteurs.
Etudier l’intégration des chaînes logistiques suppose également de considérer son étendue (la
nature et le nombre d’organisations ou participants impliqués) : intra-organisationnelle,
inter-organisationnelle, multi-chaînes ou réseau, voire sociétale. Si sur le plan théorique,
l’intégration d’une chaîne logistique dans son ensemble est présentée comme un vecteur de
performance, il semble toutefois difficile, en pratique, d’aller au delà de l’intégration de
dyades (deux membres d’une chaîne logistique) (Jin et al., 2013).
Malgré un effort de clarification, la confusion terminologique et conceptuelle sur la définition
de l’intégration des chaînes logistiques persiste, limitant la compréhension du phénomène
(Autry et al., 2014). Ce manque de clarté est probablement à l’origine d’une controverse dans
la littérature en SCM. Il semble exister une hypothèse générale autour de l’intégration des
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chaînes logistiques : plus la chaîne logistique serait intégrée, meilleure serait sa
performance. Malgré tout, plusieurs chercheurs dénoncent l’absence de preuves empiriques
convaincantes soutenant cette hypothèse, notamment lorsque l’étendue de l’intégration va
au-delà de relations dyadiques dans la chaîne logistique (Claye-Puaux et al., 2014). En
parallèle de cette hypothèse générale, un autre courant de pensée dans la littérature sur
l’intégration des chaînes logistiques (Bask et Juga, 2001 ; Fabbe-Costes et Jahre, 2008)
appelle à adopter une vision critique de l’intégration, du moins une vision plus nuancée. Aussi,
certains auteurs suggèrent-ils de considérer les chaînes logistiques comme semi-intégrées.
Concrètement, le degré « idéal » d’intégration des flux, des processus, des systèmes et/ou des
organisations ne serait pas nécessairement uniforme (et maximal), mais devrait être adapté
aux situations auxquelles les chaînes logistiques et les entreprises, qui y participent, font face.
De plus, certaines recherches, sans remettre en cause le principe d’intégration des chaînes
logistiques, mettent en garde les organisations quant aux risques liés à une trop forte
intégration qui, si elle favorise l’adaptation, peut limiter l’adaptabilité (Jahre et Fabbe-Costes,
2005).
1.2. L’intégration dans la littérature en santé
Dans le secteur de la santé, l’intégration fait aussi l’objet d’une préoccupation internationale
depuis les années 1990 (Leutz, 1999 ; Armitage et al., 2009 ; Wistow et Dickinson, 2012). Il
n’existe cependant pas de consensus sur la définition de l’intégration dans la littérature
relative au management de la santé (Armitage et al., 2009). Ceci s’explique notamment par la
diversité des points de vues vis-à-vis de la notion d’intégration, pour des acteurs intervenant à
5
différents niveaux : stratégique, organisationnel et opérationnel (Wistow et Dickinson, 2012).
L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) (2008, p.4) propose la définition suivante de
l’intégration des services de santé : « un ensemble de démarches managériales et
organisationnelles de la prestation de services de santé pour que les patients puissent
recevoir un continuum de services de santé préventifs et curatifs, en fonction de leurs besoins
au fil du temps, à travers les différents niveaux du système de santé ». Selon cette définition,
la démarche d’intégration correspond à un objectif de continuité des services de santé
fournis tout au long du parcours de santé des patients (Wistow et Dickinson, 2012 ; ARS,
2012 ; HAS, 2014), la continuité étant entendue ici comme « la manière dont le patient
bénéficie de la coordination entre les soignants » selon l’HAS (2012, p.7). Assurer cette
continuité nécessite la délivrance complémentaire de différents types de soins et de
services, en s’adaptant aux besoins des patients qui évoluent au fil du temps. L’évaluation
de la continuité consiste à vérifier si ces services sont fournis dans la bonne séquence, au bon
moment et de façon cliniquement appropriée. Ceci est particulièrement important au moment
des transitions ou interfaces entre les différents niveaux et structures de soins. En outre, il est
important de souligner le fait que le parcours de santé du patient devrait se structurer en
fonction de ses besoins. En effet, ce sont les spécificités du bénéficiaire qui déterminent
quels sont les acteurs de santé à intégrer et la manière d’articuler les différentes prestations de
service (soins et aides sociaux) tout au long du parcours.
Par conséquent, une plus grande intégration des chaînes de soins devrait permettre au patient
de bénéficier des bons services, au bon moment, au bon endroit, et dans la bonne séquence.
Cette performance peut être évaluée via l’accessibilité des services, la continuité dans la
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délivrance des services complémentaires ainsi que la flexibilité pour associer des
prestations de services adaptées aux besoins du bénéficiaire. La réponse aux besoins d’un
patient repose donc sur la capacité à personnaliser l’assemblage de services. L’intégration
des chaînes de soins permettrait de faciliter le pilotage des flux pour atteindre cette
performance (Fredendall et al., 2009 ; Guan et Sampieri-Teissier, 2016).
La volonté d’améliorer la continuité des services de santé conduit ainsi les acteurs à travailler
« en réseau » et à développer des dispositifs qui facilitent leur coordination (Bruyère, 2008).
L’objectif est de fonctionner selon un mode « plug-and-play/unplug » (Bruyère et
Fabbe-Costes, 2011), pour combiner/recombiner de manière rapide et efficiente les activités et
ressources nécessaires à la prise en charge des patients. Dans le domaine de l’humanitaire
d’urgence, l’impératif de réactivité et de déploiement rapide conduit par ailleurs à développer
la modularité et la standardisation (Jahre et Fabbe-Costes, 2015) ; principe de modularité qui
pose la question des interfaces au sein des chaînes de soins (De Blok et al., 2010, 2014).
1.3 Synthèse
La revue de littérature sur l’intégration en logistique et SCM révèle à la fois l’enjeu de
l’intégration comme vecteur de performance des chaînes logistiques, mais également les
limites empiriques pour à la fois appréhender ce phénomène au-delà d’une dyade et démontrer
ses effets sur la performance de la chaîne. Elle met en évidence la complexité des mécanismes
d’intégration qui se déploient sur de multiples couches. Ces questions trouvent un écho dans
le domaine de la santé pour lequel l’intégration semble aussi un moyen pour mieux prendre en
charge les patients. Cependant, selon Leutz (1999, p.7), l’intégration des services dans le
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secteur de la santé n’a pas pour objectif de chercher une intégration totale et uniformisée des
services pour tous les bénéficiaires, et l’OMS (2008, p.1) soutient cette idée en insistant sur le
fait que les services de santé à intégrer sont variés dans la pratique. Le secteur de la santé
semble donc rechercher une intégration adaptée et adaptable des chaînes de soins et reconnaît
la complexité du management des chaînes de soins pour en assurer la continuité. Les deux
revues de littérature invitent à étudier plus finement les mécanismes d’intégration susceptibles
de préserver aussi l’adaptabilité des chaînes.
Cette double revue de littérature nous conduit à formuler la question de recherche suivante : si
l’on admet que l’intégration améliore la performance des chaînes de soins, quel type
d’intégration permet aussi leur adaptabilité ? Autrement dit, comment concilier une réponse
adaptée à une large population cible avec la délivrance de prestations de service
personnalisées ? Comment de multiples acteurs peuvent-ils s’articuler pour mieux intégrer les
chaînes de soins destinées à une population cible ? L’intégration est-elle différenciée selon les
situations / les besoins des patients ?
Dans le secteur de la santé, en France, le dispositif MAIA constitue un terrain propice pour
étudier l’intégration des chaînes de soins. Après avoir défini et présenté ce dispositif, nous
expliquerons ce qu’il apporte à la compréhension de l’intégration adaptative des chaînes de
soins.
2. Le dispositif MAIA : le choix d’une intégration totale et adaptative dans le secteur
français de la santé
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Méthodologie
Afin d’apporter des réponses aux questions soulevées par notre recherche, nous avons
analysé, dans ce travail exploratoire, un ensemble de données secondaires concernant le
dispositif MAIA : de la construction du dispositif au pilotage des chaînes de soins (les sources
sont présentées en annexe 1). Les sources de ces données se répartissent en trois grandes
catégories : les documents institutionnels, le cadrage réglementaire et les documents
professionnels. Elles sont analysées à l’aune de la revue de littérature présentée en première
partie, recherchant des éléments attestant d’efforts d’intégration sur les différentes couches
ainsi que de mécanismes destinés à faciliter cette intégration, et identifiant les différents types
d’intégration mis en œuvre.
2.1 Présentation du dispositif MAIA : une volonté d’intégration adaptative et des
mécanismes et outils associés
Dans le secteur de la santé, l’intégration fait partie des politiques publiques en France depuis
2008 (Somme et al., 2013 ; De Stampa et al., 2013), en particulier au travers de la création du
dispositif MAIA. Ce dispositif accueille, informe, oriente les personnes âgées en perte
d'autonomie ainsi que leur entourage et coordonne les interventions des acteurs
pluridisciplinaires et intersectoriels de proximité via l’intégration des services d’aide et de
soins. L’objectif est de planifier un parcours personnalisé de prise en charge du bénéficiaire
des services.
Dans chaque département, l’ARS (Agence Régionale de Santé) est en collaboration avec
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l’EPN (Equipe de Pilotage National) attachée à la CNSA (Caisse Nationale de Solidarité pour
l’Autonomie) et le Conseil Départemental sur l’implantation du dispositif MAIA. L’ARS
lance d’abord un appel à candidature et sélectionne un « porteur » de projet qui lui-même
recrute, avec les acteurs mentionnés précédemment, un pilote MAIA. Le pilote MAIA est
responsable de l’ensemble de la mise en œuvre du dispositif, plus spécifiquement, il anime et
fait le lien entre les trois principaux mécanismes d’intégration suivants : la concertation, le
guichet intégré et la gestion de cas (voir détails Annexe 2). La concertation vise à faire
dialoguer (autour d’une table) toutes les parties prenantes de la prise en charge des patients,
les documents utilisent d’ailleurs souvent l’expression « tables de concertation ». Le guichet
intégré cherche à apporter une prestation harmonisée, complète, populationnelle,
intersectorielle des services de santé, adaptée aux besoins des patients (accueil de la
demande ; analyse de la situation ; repérage des besoins, y compris ceux que la personne
n’exprime pas spontanément ; orientation). En outre, lorsque la situation des personnes est
jugée « complexe » (isolement, refus de soins, conflits familiaux, situation sociale précaire,
etc.), celles-ci bénéficient de l’intervention complémentaire d’un gestionnaire de cas pour un
suivi plus personnalisé.
Le fonctionnement du dispositif MAIA repose sur des outils standardisés (voir détails
Annexe 2) facilitant le partage d’information : un système d’informations partageables,
l’analyse et l’évaluation des besoins multidimensionnels (sous forme de formulaires) et le
suivi personnalisé des prestations de service (le plan de service individualisé – PSI). La
Tableau 1 résume les étapes d’organisation du dispositif MAIA en reprenant les couches
d’intégration identifiées dans la littérature SCM.
10
[ Insérer ici Tableau 1 ]
Selon nous, ce dispositif relève bien d’une volonté d’améliorer l’intégration de la chaîne de
soins, tout en souhaitant qu’elle s’adapte aux besoins spécifiques de certains patients. En
outre, il permet de dépasser les recherches existantes en SCM qui sont souvent limitées à des
dyades ou triades d’acteurs, le dispositif MAIA reposant sur un réseau multi-acteurs.
L’analyse du dispositif tel que présenté dans les sources secondaires atteste d’un travail sur
plusieurs couches interdépendantes (système d’informations, acteurs, processus et activités),
la standardisation contribuant conjointement à la simplification et la connectivité pour assurer
la continuité (fluidité) des soins.
2.2 Intégration et adaptabilité : identification de deux modes de pilotage des chaînes de
soins
Le dispositif MAIA traduit une volonté d’intégrer l’action d’une multitude d’acteurs
médicaux, sociaux et médicaux-sociaux qui, selon les caractéristiques du patient et de son
entourage, vont assembler les ressources nécessaires à la réalisation d’activités multiples et
coordonner les acteurs qui vont les réaliser pour assurer sa prise en charge optimale. Comme
le précise le tableau 2, le dispositif prévoit deux cas de figure : le cas « simple » où le patient
(et son entourage) sont pris en charge selon une modalité relativement standardisée et le cas
« complexe » où la personnalisation sera plus grande et le pilotage adapté au cas.
[ Insérer ici Tableau 2 ]
Les cas « simples » correspondent à des patients dont les besoins sont en général
11
prévisibles, les prestations de service à assembler sont plutôt standardisées et routinières.
La coordination des interventions (assemblage) est assurée par les professionnels du
guichet intégré avec lesquels les bénéficiaires sont en contact. Le pilotage de ces chaînes
de soins adaptées et pour partie planifiées ex ante peut être associée au mode « jeu de
l’oie » (processus de prise en charge prédéfini, coordonné) (Bruyère, 2008).
Les cas « complexes » demandent une plus grande personnalisation qui est réalisée par
les gestionnaires de cas. Ceux-ci s’apparentent à des pivot-assembleurs qui mobilisent in
itinere de manière dynamique les prestataires de services nécessaires à la prise en charge
des patients. Le pilotage de ces chaînes de soins adaptables et co-construites avec les
acteurs peut être associée au mode « jeu de dame » (processus itératif et émergent qui se
construit chemin faisant en fonction de l’évolution des besoins du bénéficiaire) (Bruyère,
2008).
L’analyse du dispositif tel que présenté dans les sources secondaires atteste d’une
intégration différenciée des chaînes de soins selon le caractère prévisible (ou non) des
besoins des patients, le guichet intégré et les gestionnaires de cas jouant un rôle
important dans l’intégration adaptative des chaînes de soins qui repose sur deux modes
de pilotage.
2.3. Les modalités de l’intégration adaptative des chaînes de soins du dispositif MAIA
Le dispositif MAIA repose avant tout sur le principe d’un guichet intégré qui qualifie la
nature du « cas » ce qui oriente la chaîne de soins vers l’un des deux modes de pilotage, ce
qui permet de mobiliser uniquement les prestataires de services nécessaires à la prise en
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charge tout en assurant une personnalisation de la prise en charge, si nécessaire. Il semble par
ailleurs mettre l’accent sur le partage d’informations pour assurer l’adaptation et la continuité
de la prise en prise en charge des patients et donc l’intégration des flux.
L’intégration informationnelle entre les membres de la chaîne de prestation de services (quel
que soit le mode de pilotage de la chaîne) est facilitée par le système d’informations
partageables ainsi que les outils standardisés utilisés par les acteurs du réseau pour réaliser les
différentes activités. Grâce à la standardisation des outils, les informations portées par ces
outils peuvent être transmises sous le bon format et reconnues facilement par les différents
acteurs. Ils fournissent un langage commun minimum indispensable à toute coordination
multi-acteurs. Ils fournissent par ailleurs une traçabilité des processus de soins.
L’intégration des processus de soins dans le dispositif MAIA repose sur un principe de
standardisation qui soutient à la fois l’adaptation et l’adaptabilité avec des outils
standardisés visant à assurer la cohérence et la continuité de la délivrance des prestations
de service, comme les protocoles de prestations de soins à respecter strictement, le plan de
service individualisé (PSI) et le dossier patient, et des outils standardisés cherchant à
apporter de la flexibilité et de la variété dans la composition et l’enchaînement des
membres de la chaîne de prestation de services : l’annuaire et référentiel d’interventions de
tous les acteurs du réseau, le formulaire d’analyse multidimensionnelle rapide des besoins du
bénéficiaire ainsi que l’outil d’évaluation multidimensionnelle.
L’intégration organisationnelle repose, quant à elle, sur la concertation, tant en amont de la
mise en place du dispositif qu’au cours de son fonctionnement et de son ajustement suite à
l’observation d’éventuels dysfonctionnements, un aspect encore peu développé dans les
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documents qui ont été analysés.
L’analyse du dispositif MAIA tel que présenté dans les sources secondaires témoigne de la
volonté d’améliorer la prise en charge de patients qui combine un ensemble d’activités
réalisées par des acteurs multiples. Les mécanismes et outils envisagés visent à améliorer la
connectivité et à simplifier la prise en charge, en jouant sur toutes les couches qui permettent
l’intégration des chaînes de soins. L’orientation par le guichet intégré vers l’un ou l’autre des
modes de pilotage est un aspect clé du dispositif, de même que les efforts de standardisation
pour assembler des prestations qui peuvent être vues comme des modules pour réaliser des
chaînes de soins continues, et ce quel que soit le mode de pilotage retenu.
Conclusion
Dans cet article, nous avons cherché à mieux comprendre les modalités de l’intégration
adaptative des chaînes de soins via l’étude du dispositif MAIA. Ce dispositif confirme la
pertinence du débat sur l’intégration des supply chains ainsi que les enjeux de la combinaison
adaptation / adaptabilité. Il renforce certains résultats déjà identifiés dans les littératures
mobilisées, dont le rapprochement se révèle pertinent.
Les résultats de cette recherche exploratoire apportent des éléments de réponse aux questions
de recherche sur l’intégration adaptative des chaînes de soins : le caractère différencié du
pilotage des chaînes de soins (en mode jeu de l’oie ou jeu de dames), le rôle du guichet
intégré pour orienter vers l’un des modes de pilotage, ainsi que des gestionnaires de cas qui
peuvent être vus comme des pivots-assembleurs pour les cas complexes, le rôle de la
standardisation pour améliorer la connectivité et simplifier le fonctionnement des processus,
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tout comme le principe de concertation au niveau gouvernance du dispositif MAIA.
Le travail exploratoire a mis en lumière des résultats qu’il convient cependant d’approfondir.
Les sources secondaires mobilisées représentent probablement une vision idéale, voire
idéalisée, du dispositif MAIA. Compte tenu du caractère récent du dispositif MAIA, qui est
en cours de déploiement, les sources secondaires analysées ne restituent qu’une
compréhension incomplète des situations de gestion auxquelles ce dispositif confronte les
acteurs. Par ailleurs, il convient de vérifier l’hypothèse formulée sur la performance du
dispositif. De plus, les documents, issus des recherches sur les sites professionnels et
institutionnels, sont peu explicites sur certains aspects du dispositif, notamment le système
d’informations partageables. Il convient aussi d’étudier de manière plus précise les
interactions entre les différents éléments du dispositif MAIA. Enfin, le cas semble mettre
l’accent sur le rôle de la standardisation dans l’intégration plus que sur la modularité, ce qui
demande aussi à être confirmé.
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d'intégration Gérontologie et société, vol.2, pp.201-226.
Wistow, G., Dickinson, H. (2012), Integration: work still in progress, Journal of health
organization and management, vol.26, n°6, pp.676-684.
17
Tableau 1 : les principaux éléments clé de la construction du dispositif MAIA
Processus et activités
Acteurs clés
Mise en cohérence de l’offre de service
au sein d’un réseau d’acteurs
hétérogènes sur le territoire via la mise
en place d’instances de concertation
Les représentants
des instances de
concertation, le
porteur, le pilote
Fonctionnement du réseau d’acteurs en
guichet intégré: mise en lien des acteurs
hétérogènes du réseau via
l’harmonisation ou la standardisation
du processus d’analyse, d’orientation
des demandes
Le pilote, les
professionnels
fonctionnant en
guichet intégré
Systèmes et
Outils
Les rapports de
réunion, les supports
de présentation et de
discussion
L’annuaire et le
référentiel
d’interventions ;
le formulaire d’analyse
multidimensionnelle
rapide ; le système
d’informations
partageables
Flux, via les
besoins patients
Besoins
généraux de la
population cible
Identification et
classification des
besoins
spécifiques
Tableau 2 : deux cas de pilotage de chaînes de soins prévus par le dispositif MAIA
Processus et activités
Acteurs clés
Cas simple : l’orientation
directe de la demande de
bénéficiaire aux prestataires
de services concernés
Les
professionnels
fonctionnant en
guichet intégré,
le bénéficiaire
Cas complexe :
l’orientation par le
gestionnaire de cas qui
construit avec le
bénéficiaire et les
prestataires de service
concernés un ensemble de
services adaptés à ses
besoins spécifiques
Le gestionnaire
du cas, les
professionnels
fonctionnant en
guichet intégré,
le bénéficiaire
Systèmes et
Outils
L’annuaire et le référentiel
d’interventions ;
le formulaire d’analyse
multidimensionnelle rapide ;
le système d’informations
partageables
Flux, via les
besoins patients
Réponse planifiée
aux besoins
spécifiques non
complexes de
chaque
bénéficiaire
L’annuaire et le référentiel
d’interventions ; l’outil
d’évaluation
multidimensionnelle ; le PSI ;
le système d’informations
partageables
Réponse
co-construite en
fonction des
besoins spécifiques
complexes de
chaque
bénéficiaire
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ANNEXE 1
Sources secondaires analysées : références principales
Les documents institutionnels
De Stampa M., et Somme D (2010) [2011], Rapport final expertise MAIA première phase
expérimentale 2009-2010 [deuxième phase expérimentale 2010-2011] – Plan National
Alzheimer, avec le soutien de l’équipe projet national, Direction générale de la santé.
MAIA, Méthode d’action pour l’intégration des services d’aide et de soins dans le champ de
l’autonomie, Les Cahiers pédagogiques de la CNSA, 2014. Le lien internet:
http://www.cnsa.fr/documentation/CNSA_CahierPe_dagogique_MAIA_HD.pdf
Texte règlementaire
Circulaire interministérielle DGCS/DGOS/CNSA no 2013-10 du 10 janvier 2013 relative à la
mise en œuvre de la mesure 4 du plan Alzheimer : déploiement des maisons pour
l’autonomie et l’intégration des malades Alzheimer (MAIA) - Ministère des Affaires
sociales et de la santé. Le lien internet :
http://circulaire.legifrance.gouv.fr/pdf/2013/01/cir_36426.pdf
Un exemple de dispositif MAIA dans l'agglomération clermontoise
La présentation pour la MAIA de l’agglomération clermontoise, de la concertation, du guichet
intégré et de la gestion de cas. Voir :
http://www.clic-agglo-clermont.fr/pour-les-professionnels/maia
19
ANNEXE 2
Les 6 composantes du dispositif MAIA
3 mécanismes interdépendants :
• La concertation, permet de décloisonner les différents secteurs et de construire un projet
commun entre tous les acteurs, décideurs, financeurs et responsables des services d’aide et de
soins.
• Le guichet intégré permet de fournir, à tout endroit du territoire, une réponse harmonisée et
adaptée aux besoins des usagers, en les orientant vers les ressources adéquates par
l’intégration de l’ensemble des guichets d’accueil et d’orientation du territoire. Cette
organisation est notamment permise par la démarche de concertation.
• La gestion de cas. Pour les personnes âgées en situation complexe, un suivi intensif au long
cours (y compris pendant les périodes d’hospitalisation) est mis en œuvre par un gestionnaire
de cas (c’est là une nouvelle compétence professionnelle). Il est l’interlocuteur direct de la
personne, du médecin traitant, des professionnels intervenant à domicile et devient le référent
des situations complexes. Ce faisant, il contribue à améliorer l’organisation du système de
prise en charge en identifiant les éventuels dysfonctionnements observés sur le territoire. Pour
chaque dispositif MAIA, 2 à 3 gestionnaires de cas sont recrutés.
3 outils permettent d’observer l’écart entre la demande de la personne âgée et les ressources
existantes, et de s’assurer que l’ensemble des besoins est couvert :
• Le formulaire d’analyse multidimensionnelle (utilisé par les professionnels des guichets
intégrés) et l’outil d’évaluation multidimensionnelle (utilisé par les gestionnaires de cas).
• Le plan de service individualisé (PSI). C’est un outil de gestion de cas servant à définir, à
planifier et à suivre de manière cohérente et continue l’ensemble des interventions assurées
auprès d'une personne âgée en situation complexe.
• Le système d’informations partageables entre les professionnels du territoire dans un
objectif de continuité des parcours de vie des personnes.
Source : Les Cahiers pédagogiques de la CNSA, 2014
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