Source : Le journal de l`Institut http://www.institut

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Source : Le journal de l`Institut http://www.institut
Source : Le journal de l’Institut
http://www.institut-expression.com/Pages/index.php?idRubrique=2&idArticle=222
Entretien avec le journaliste Marc AUTHEMAN
L'Institut : La conception et la présentation d'un journal radio ou TV est un exercice très
particulier. Vous devez être soumis à des règles bien précises ?
Marc AUTHEMAN : En ce qui me concerne, j'ai fait ce métier par amour de l'information et je considère
l'expression journalistique comme étant totalement au service de cette information. Il s'agit avant tout
d'être crédible, honnête, digne de confiance. Nous nous adressons, lorsque nous intervenons pour le
compte de grands medias, à des millions de personnes. Même si, par essence, l'expression orale est
volatile, nous avons une lourde responsabilité. Nous avons le devoir de rester le plus neutre possible. Par
ailleurs, nous adressant au "grand public", nous devons être compris de tous, jeunes ou adultes, cultivés
ou non. Utiliser une expression simple peut-être parfois vécu comme une frustration, mais plus souvent
comme un exercice très riche : il faut être précis sans avoir recours à une terminologie savante. Certains
considèrent que cette expression journalistique est dégradée, vulgarisée. Je ne le pense pas car elle
garde ses qualités propres qui sont de manier non pas une langue sophistiquée mais une langue qui a le
mérite d'atteindre son but : celui d'informer, d'expliquer.
L'Institut : Quelle est pour vous la principale qualité du langage d'un présentateur ?
Marc AUTHEMAN : La neutralité, j'y reviens : pas de jugement personnel. Le seul commentaire qui vaille
est celui qui aide à comprendre l'événement. Ensuite, la clarté et la concision. J'adhère à la célèbre
consigne de l'un de mes rédacteurs en chef à Europe 1 : "sujet, verbe, complément ; pour l'adjectif venez
me demander l'autorisation" ! Toute la difficulté - et l'attrait - de l'exercice est là : expliquer en quelques
mots, rendre compréhensible une situation parfois complexe, dans un laps de temps extrêmement court.
L'Institut : La neutralité interdit-elle un style personnel ?
Marc AUTHEMAN : Chacun a, bien entendu, son style et certains le cultivent. Pour ma part, je cherche à
être le plus neutre possible. Cela passe par le verbe, mais aussi par l'attitude, la gestuelle, par le
vêtement ou la coiffure même ! On m'a parfois reproché d'être "triste". Je n'ai à être ni triste ni gai : je n'ai
pas à accrocher le regard, à être regardé pour moi-même. C'est ma conviction, en tous les cas dans le
cadre de l'information. Nous ne sommes pas des acteurs, nous ne sommes pas formés pour cela, et la
présentation de l'information n'est pas un numéro.
Je pense en revanche que c'est dans le traitement de l'information, dans la construction du sujet que doit
résider le style.
L'Institut : A cet égard, quelles sont vos convictions, votre méthode ?
Marc AUTHEMAN : J'ai toujours admiré la manière de faire des présentateurs anglo-saxons et je
m'inspire d'eux pour lancer mes sujets, en quatre points :
- le "lead", c'est-à-dire la question centrale posée par le reportage qui donne la tonalité
- l'information stricte, le fait même
- sa mise en perspective - contexte, antériorité...
- l'angle de traitement choisi - recours à un témoin...
L'Institut : le journalisme à la manière anglo-saxonne diffère-t-il beaucoup de notre
modèle ?
Marc AUTHEMAN : Assez fondamentalement. Les journalistes américains se considèrent comme un
relais de l'opinion publique vers le pouvoir politique. Ils n'ont pas peur du pouvoir et prennent des risques
dans les interviews. Ce fut notamment le cas lors de la préparation des élections américaines où un
journaliste célèbre prit très violemment à partie George Bush (père) qui refusait de répondre à l'une de
ses questions. En France, nous sommes plutôt relais du pouvoir vers l'opinion publique. Il n'est que de
voir la provenance de nombre de directeurs de rédaction qui sont d'anciens chefs de service politiques.
L'approche des anglo-saxons est pour moi véritablement journalistique et très construite.
L'Institut : Comment préparez-vous un journal ? Avez-vous tout de même recours à l'écrit
?
Marc AUTHEMAN : Chacun à ses méthodes. Pour ma part, je n'écris pas ; je dicte, de tête. Cette
manière de faire présente pour moi deux avantages : d'abord de m'entendre dire - et de sentir
instantanément - "si cela passe" ou non ; ensuite de tester auprès de mon assistante qui, elle, écrit, si
mon propos est clair.
L'Institut : La volatilité de votre travail n'est-elle pas parfois frustrante ? N'avez-vous pas
eu envie de "passer" à l'écrit ?
Marc AUTHEMAN : J'ai une profonde culture littéraire, mais je reste très attiré par les medias
audiovisuels. Leur immédiateté me fascine. Il n'y a aucun intermédiaire. Il est vrai que, parfois, nous
avons un peu le vertige car, terminant ce que nous considérons comme un bon journal, nous sommes
heureux... et le lendemain matin, la page est à nouveau blanche, tout est à recommencer !
L'Institut : En revanche, vous êtes en recherche de nouvelles expressions télévisuelles...
Marc AUTHEMAN : Oui ! D'une part, de nouveaux supports vont probablement permettre l'apparition de
contenus plus alternatifs, moins contraints par l'argent ou les moyens techniques. Cette évolution est
passionnante pour des journalistes professionnels car elle nécessite non seulement de la créativité en
terme de programmes, de contenus, mais une véritable maîtrise des médias. D'autre part, la
multiplication des modes de communication provoque une vraie révolution dans nos vies. Nous
échangeons plus, nous avons plus d'impact et plus rapidement, mais, surtout, l'impromptu, l'imprévu
interfèrent de plus en plus dans nos vies. Un appel sur le portable et le programme de notre journée peut
basculer instantanément. Nous vivons quotidiennement le grand phénomène chaotique qui consiste à
trouver ce qu'on ne cherche pas !
Pourtant, notre paysage audiovisuel est toujours extrêmement formaté, à l'inverse de ce principe
chaotique. Grilles de programme très serrées, formats d'émission figés...
Je me suis donc penché sur la conception d'un système télévisuel non formaté qui permettrait de rester à
l'antenne tant qu'il y a quelque chose à voir et à dire ou, en revanche, d'arrêter une émission si elle a tout
dit ou si l'invité est mauvais ! C'est aussi inviter des personnes ou traiter des sujets que l'on ne voit jamais
à la télévision. A l'inverse de la télévision actuelle qui répond à une demande analysée par des services
marketing, je rêve d' une télévision de l'offre, une télévision plus créative qui laisse sa part à
l'improvisation et à la surprise, avec une grille totalement évolutive. Un cadre, certes, mais dans lequel on
laisse les choses vivre...
L'Institut : A côté de vos grands projets télévisuels, vous accompagnez de temps en
temps des entreprises. Que leur apportez-vous ?
Marc AUTHEMAN : Je trouve très intéressant d'aider quelqu'un à exprimer ses idées, de manière plus
efficace, plus honnête, plus convaincante, d'inculquer une vraie capacité de débat par exemple.
Le langage, dans cet univers de l'entreprise, est très souvent banalisé. J'ai parfois osé dire à des
hommes d'entreprises que j'accompagnais lors de conventions que non seulement je ne comprenais pas
grand-chose à leur propos, mais que l'on aurait pu remplacer le nom de leur entreprise par n'importe quel
autre tant ce propos était banal ! Il faut chercher l'expression juste et, surtout, savoir être percutant, savoir
faire court. Le plus difficile, souvent, reste de les convaincre qu'il ne faut pas nécessairement tout dire,
qu'il faut hiérarchiser et faire des impasses à bon escient. Personnellement, je préfère le "Je suis un
berlinois" de Kennedy à Berlin en 1962 aux discours fleuves à la manière soviétique...
Vingt-cinq ans de journalisme enseignent l'art de la concision !
IC
>>> Ancien journaliste reporter et présentateur de journaux à Europe 1, RTL Télévision et France 2
(journaux du matin), rédacteur en chef et présentateur aux éditions nationales France 3 (19/20, Soir3)
jusqu'en 2003, Marc AUTHEMAN se consacre aujourd'hui à la conception et à la réalisation de
programmes de télévision novateurs.