Whitehouse, Merzbow, Maurizio Bianchi, The Haters
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Whitehouse, Merzbow, Maurizio Bianchi, The Haters
As Loud as Possible As Loud as Possible Concert de Hanatarash, Toritsu Kasei Loft, Tokyo, 1985 (Photos : Gin Satoh) Concert de Hanatarash, Toritsu Kasei Loft, Tokyo, 1985 (Photos : Gin Satoh) Whitehouse, Merzbow, Maurizio Bianchi, The Haters, Hanatarash, The Gerogerigege, Massona, Prurient, John Wiese… Un parcours parmi les grandes figures du harsh noise, au sein de l’internationale du bruit sale de ses origines à nos jours. 48 AS LOUD AS POssible. Whitehouse, Merzbow, Maurizio Bianchi, The Haters, Hanatarash, The Gerogerigege, Massona, Prurient, John Wiese… A tour among the major figures in harsh noise, within dirty Noise International—from its inception to the present day. 49 Fenêtre ouverte. Le bruit, c’est ce son fronde, indomptable, discordant, une puanteur dans l’oreille, comme l’a écrit Ambrose Bierce dans son Devil’s Dictionary, ce que tout oppose et tout interdit à la musique. Le bruit sévère, le bruit dur, le harsh noise, c’est, pire encore, le chaos volontaire, la crasse en liberté, même pas la musique de son-bruits rêvée par Luigi Russolo dès 1913, même pas le bruit des machines ou un miroir sale, mais plutôt le vide exagéré par la violence électrique. Il n’est pas moderne, il n’est pas industriel, il est pire. Russolo voyait l’art des bruits des machines comme le possible dans le creux de l’oreille nouvelle : le harsh noise, terminal, envisage juste détruire jusqu’à cette oreille-là. Le harsh noise est un trou noir. Le harsh noise asservit ses praticiens servants, ses militants. Le harsh noise est, dans la musique, l’ennemi sensible, une extrémité horrible. Le harsh noise n’est pas anxiogène, mais, pire encore, un assaut volontaire, une menace littérale pour le corps, un marteau piqueur, un livre sans narrateur ni personnages, un cylindre de douleur, une aberration au monde à moudre du signe, ce qui n’aurait jamais dû s’incarner, en quelque sorte. Le harsh noise, c’est un bruit volontairement libéré, un labyrinthe de feedbacks autogénéré, autodévorant en même temps, avec juste une main pour sculpter, une intention pour guider, à peine une idée pour le conceptualiser. Il n’est pas une musique bruyante mais une musique-bruit taillée, pas un genre, encore moins un mélange, car s’il est né d’amonts lisibles dans l’histoire de la musique, dans l’histoire du XXe siècle, il n’a dans sa pratique et sa nature d’autre horizon que ses propres vertus terminales, il n’a d’autre filiation que le petit paradoxe technologique qui lui permet d’exister. Il convient à cet effet de ne pas se perdre dans les méandres des mélodies sculptées, éventuellement mises à mal par le bruit, l’électricité, les logiciels, de la musique produite, en cherchant désespérément le harsh noise, puisqu’il n’est lié à la technologie que dans ses mésusages, la violence qu’il inflige aux machines en les dérivant avec elles-mêmes, en lacérant membranes par le volume, en forçant les épousailles avec les pires artefacts de junk technologique récupéré dans la poubelle du voisin puis branché tel, ou un peu éventré, dans la mixette épuisée ; il convient de comprendre que le harsh noise est né au bout du siècle de l’information, en essayant de faire sans elle, en s’incarnant en poussière exagérée des musiques électriques, en cendre de mort de musique sacrifiée, annulation saturée. Mais comment la musique a-t-elle osé muter en ça ? Objectivement, si on regarde la tête du harsh noise, son nom, il faut tout de même se pencher un peu en arrière, le XXe siècle brouhaha, pour comprendre cette « birth-death experience », si l’on m’autorise à citer le titre d’un disque de Whitehouse, le premier de surcroît. Jacques Attali écrit dans son Bruits de 1977 (hors-sujet, quand même, n’en déplaise aux universitaires du noise qui adorent venir y piocher des explications), que « la vie est bruyante, bruits du travail, bruits des hommes, bruits des bêtes », mais ce qui est surtout arrivé en même temps que les machines et les véhicules, c’est la musique qui a envahi la vie, qui est devenue ce bruit de fond total sans filiation avec l’art, quand les supports de stockage eux-mêmes (disques, bandes, ondes et fréquences dématérialisées dans les airs, dans les mémoires virtuelles, dans les réseaux) sont devenus sources supplémentaires. Dans l’art, le parcours est un éclat dans toutes les directions du monde, l’invasion progressive des glissandi et des tessitures dans l’orchestre, Henri Barzun et la simultanéité dans la poésie pour « boucaner », Dada, ses bruits de tambour et ses monceaux d’ordures, Russolo et ses machines de musique de guerre, Schwitters et « la pensée dans la bouche », Varèse et ses sirènes, Varèse et ses tambours, les radios et les platines sur la scène de l’auditorium avec Milhaud, avec Cowell, avec Cage, l’interlude de la musique de bruits enregistrés (et, c’est hors-sujet, organisés) de Schaeffer, le Le harsh noise, c’est le chaos volontaire, la crasse en liberté, le vide exagéré par la violence électrique. Le harsh noise est un trou noir...une extrémité horrible. 50 Texte / Text : Olivier Lamm Harsh noise is deliberate chaos, filth set free, the void exaggerated by electric violence. Harsh noise is a blak hole... a horrible extreme. An open window. Noise is that rebellious, uncontrollable, discordant sound, “a stench in the ear,” as Ambrose Bierce wrote in his Devil’s Dictionary, what everything opposes to music and forbids music from being. Loud noise, hard noise, “harsh noise” is worse still: it is deliberate chaos, filth set free, not even the noise-sound music dreamt up by Luigi Russolo as early as 1913, not even the noise of machines or a dirty mirror, but rather the void exaggerated by electric violence. It isn’t modern, it isn’t industrial, it’s worse. Russolo saw the art of the noises made by machines as the potential in the hollow of the new ear: terminal harsh noise envisages only destroying that selfsame ear. Harsh noise is a black hole. Harsh noise enslaves its serving practitioners, its militants. In music harsh noise is the perceptible enemy, a horrible extreme. Harsh noise does not generate anxiety, worse still it is a deliberate assault, a literal threat to the body, a pneumatic drill, a book with no narrator or characters, a cylinder of pain, an aberration in the world of sign-grinding, what should never have been embodied, in a way. Harsh noise is a deliberately released noise, a self-generated and likewise self-devouring labyrinth of feedbacks, with just a hand to sculpt it, an intention to guide it, barely an idea to conceptualise it. It is not noisy music but hewn noise-music, not a genre, still less a mixture, because it is born of sources detectable farther back in the history of music, in the history of the 20th century, in its practice and its nature it has no horizon other than its own terminal virtue, it has no filiation other than the little technological paradox that allows it to exist. It is therefore appropriate not to get lost in the meanders of sculpted melodies, possibly undermined by noise, electricity, software, music produced searching desperately for harsh noise, since it is linked to technology only in its misuses, the violence it inflicts on machines by using them to bypass themselves, by lacerating membranes with volume, by forcing a union with the worst artefacts of technological junk retrieved from the neighbour’s rubbish bin and plugged in as it is, or eviscerated a little on the exhausted mixing table; it is appropriate to understand that harsh noise was born at the end of the information century, trying to do without it, being embodied in the exaggerated dust of electric music, in the ashes of sacrificed music, in saturated cancellation. But how did music dare to change into that? Objectively, if we look at the first feature of harsh noise, its name, we need to turn back a little, to the 20th-century hubbub, to understand this “birth-death experience,” if I may quote the title of a record by Whitehouse, their first what’s more. Jacques Attali wrote in Noise, published in 1977 (irrelevant, even so, whatever university academics of “noise” who love digging around in it for explanations may think), that “life is noisy, work noises, human noises, animal noises,” but above all what happened at the same time as machines and vehicles was the invasion of our lives by music, which became that total background noise with no relation to art, when the very means of storing it (records, tapes, waves and frequencies dematerialised in the air, in virtual memories, in networks) became supplementary sources of noise. In art, the path taken was an explosion to all corners of the world, the gradual invasion of the orchestra by glissandi and tessituras, Henri Barzun and simultaneity in poetry for making a racket, Dada, its drum noises and its mounds of rubbish, Russolo and his war music machines, Schwitters and “thought made in the mouth,” Varèse and his sirens, Varèse and his drums, radios and turntables on the stage of the auditorium with Milhaud, with Cowell, with Cage, the interlude of music consisting of noises recorded (and organized, though this is irrelevant) by Schaeffer, the pure sound-effects happiness of nascent electronic music, Stockhausen who made white noise with hymns in praise of war, Cage again, less important for his violation of music electrophilia Black Noise Practitioner (Skul, 2004) En 1997, Steven Parrino concevait ce qui devait devenir sa nouvelle tendance musicale : un son électrique et brutal. Après quelques obscurs concerts, Electrophilia était né. En 2002, Jutta Koether, ellemême artiste noise et performeuse de longue date, rejoignait le groupe. Avec Koether et Parrino comme agitateurs d’idées et de sons, Electrophilia s’est imposé et a marqué de sa présence divers shows new-yorkais. Ces concerts ont été enregistrés, et quatre d’entre eux rassemblés sur un nouvel album : Black Noise Practitioner. Le son d’ Electrophilia s’apparente à un mélange de la densité sonore du Metal Machine Music de Lou Reed, de la stridence libératrice d’Albert Ayler, des intrusions radicales de Merzbow et de la brutalité obscène des Stooges. Noise psychédélique radical, Electrophilia mêle la manipulation brutale des basses électriques aux textures glaçantes des synthés. In 1997 Parrino conceptualized what was to be his new musical focus, a sound electric and brutal, and after a few small obscure shows, Electrophilia was born. In 2002 Jutta Koether, long time noise & performance artist in her own right, joined the band. With Koether and Parrrino mashing ideas and sounds Electrophilia has expanded and made its presence felt in shows around NYC. These shows have been documented, and four have been collected and turned into this double LP release: Black Noise Practitioner. The sound of Electrophilia evokes a mix of the sonic denseness of Lou Reed’s Metal Machine Music, the free screech of Albert Ayler, the extreme attack of Merzbow and the raw dirt of the Stooges. Electrophilia is extreme psychedelic noise; brutal electric bass manipulations interwoven with freezing synth textures. 51 hanatarash The Hanatarashi (Alchemy, 1984) Hanatarash (traduire par « morve au nez » ) est formé en 1984 à Osaka par un dénommé Eye Yamatsuka, futur leader des Boredoms, qui n’aime alors rien tant que de tout saccager sur scène en hurlant et faire du boucan par tous les moyens possibles, comme un enfant-roi sans garde-fou. La fureur incontrôlable qui s’empare de lui s’apparente à une forme de rite sacrificiel où les accessoires sont des matériaux de construction industriels auxquels sont apposés le logo du groupe. Si l’esthétique renvoie à la transgression punk (le mot cock est décliné dans chaque titre), le contenu est une entité sonore hors normes qui condense l’énergie destructrice la plus pure qui soit, totalement étrangère à toute forme musicale préexistante. Le bruit y est indissociable du geste qui le produit, résultant d’une action proche d’une crise de démence. Tout n’est que folie et violence à l’état pur, larsens, cris et percussions saturées. Eye y vomit toute forme d’académisme, de stratégie intellectuelle, de politesse ou de bon goût. 52 Hanatarash (which can be translated as “snot”) was formed in Osaka in 1984 by someone called Eye Yamatsuka, the future leader of the Boredoms, who at that time liked nothing better than to lay waste to everything on the stage while howling and making a racket by every possible means, like an imperious child without a safety rail. The uncontrollable frenzy that gripped him was like a form of sacrificial rite in which the accessories were industrial building materials with the group’s logo affixed to them. While the aesthetics refer back to punk transgression (the word “cock” crops up in every title), the content is an exceptional sound entity that condenses the purest destructive energy in existence, totally alien to any pre-existing musical form. The noise cannot be dissociated from the gesture that produces it, resulting from action that is close to an attack of madness. Everything is just insanity and violence in its pure state, feedback, screams and saturated percussions. Eye abhors any form of academicism, intellectual strategy, good manners or good taste. — Julien Bécourt pur bonheur bruiteur de la musique électronique qui naît, Stockhausen qui fait du bruit blanc avec des hymnes va-t-enguerre, Cage à nouveau, moins important pour son viol de la musique par la vie que pour son championing de la pratique amateur tous azimuts, de l’aléatoire total dans la pièce de musique, des boîtes en plastique pour jouer, AMM, le Nihilist Spasm Band et les autres, Maciunas qui casse un piano, Persepolis de Xenakis qui délivre, dès 1971, bruits métalliques écrasés et grincements saturés de poussière, du vrai noise volontaire dans le fond de la bande, la poésie sonore de Henri Chopin ou François Dufrêne qui mettent le micro dans la gorge pour amplifier le corps-orchestre et achever de démanteler, après le signe, la voyelle jusqu’au bruit pur. Et puis, lisiblement, les noces de la musique et de la violence, la mise au monde de l’aberration rock, Bo Diddley, la course au boucan de la British Invasion (de mémoire, les plus durs, c’était The Creation), puis l’escalade infinie, Blue Cheer, les Sonics et le Velvet, Metal Machine Music ou le bruit de rien dans la machine mainstream, les Rallizes Denudés, Pere Ubu, l’industriel total de Throbbing Gristle, P16.D4, SPK, NON ou Neubauten, Branca et ses enfants, les Swans, Discharge puis Napalm Death, Slayer, le black metal, l’Everest de bruit sur la page de JR de William Gaddis en 1975, et, enfin, en même temps, juste avant, juste après, la pure boucle de mort, Whitehouse, Merzbow, Hanatarash, le harsh noise. Ce truc dégueulasse. Au bout du tunnel de la saturation des sources, les découvreurs du harsh ont réussi à en imiter les effets (meilleure instance a posteriori, Play Standards, chef d’œuvre de 1997 de l’orchestre de bruit du monde Ground Zero, concentration absolue de sources mêlées, parasitées et parasites mêlés) en supprimant la source : ils ont branché la machine-relais, la mélangeuse sur elle-même, et ont réussi à ne garder de l’euphorie de violence du rock que l’euphorie, que la violence. C’est Jojo Hiroshige, à la tête de Hijokaidan et d’Alchemy Records, harsh noiser since 1979, qui explique, « Nous adorions l’euphorie live de Deep Purple, Black Sabbath ou Hendrix, ils arrivaient sur scène avec ces immenses murs de feedback. Ce que Hijokaidan a fait, c’est se débrouiller sans les mélodies, sans les solos de guitares, pour aller directement au feedback, à la décharge orgasmique de bruit qui s’échappe des enceintes explosées. » Le bruit est ce signal impur et irrégulier, chaos flou de fréquences simultanées, qui parasite un message codé en démantelant le code. Il n’existe pas par lui-même, ainsi une musique de bruit est un néant qui doit se parasiter lui-même pour se faire entendre. S’il a aussi commencé en empilant et saturant les déchets (les premiers pas du Merzbow de Masami Akita, en lien direct avec le Merzbau de Schwitters qui lui a donné son nom, célébraient les monticules d’ordures du monde moderne), s’il aime parfois s’apposer à la pop et s’exhiber en excès théorique de la musique occidentale impé- rialiste comme altérateur, le harsh noise, s’est ainsi presque immédiatement constitué en signaux purs sabotés, retournés, bouclés par et sur eux-mêmes. Akita a entendu la power electronics de Whitehouse, amas purulent de fréquences synthétisées, bruits accidentels en invasion et de scansions dégueulasses, il a rencontré le pionnier Maurizio Bianchi, et la matière harsh noise, ultradensité qui impose ses propres enjeux, ses propres procédés d’écoute, est venue, presque accidentellement, au monde. L’idiot la tête dans la bouche du lion. D’abord calquée sur les raccourcis de la power electronics de Whitehouse, des Haters de GX Jupitter-Larsen ou Con-Dom, héritiers des jeux subversifs de l’indus, Throbbing Gristle, Brighter Death Now ou NON, cette extrémité empirique nouvelle s’est vue promouvoir et avancer tous les motifs de la déviance et des art de la limite, porno, guerre, viol, techno, merde — ce n’est pas par hasard que l’écrivain Peter Sotos, editor de la subversion totale du fanzine Pure, ait été membre de Whitehouse, ce n’est pas par hasard que Tetsuya Endoh de The Gerogerigegege (gero pour vomi, geri pour diarrhée) se branle sur scène à toutes les occasions, ce n’est pas par hasard que Mayuko Hino de C.C.C.C soit une ancienne star du porno bondage —, mais la vérité, c’est que le raccourci est moins logique qu’historique, les racines du noise nippon étant plus à trouver dans le rock psychédélique, le garage As Loud as Possible by life than for his all-out championship of amateurism, of the totally random in pieces of music, plastic boxes for playing, AMM, the Nihilist Spasm Band and the others, Maciunas who breaks a piano, Persepolis by Xenakis who as early as 1971 delivered crushed metal noises and dusty saturated grinding sounds, real deliberate noise in the background of the tape, the sound poetry of Henri Chopin or François Dufrêne who put the microphone in the throat to amplify the body-orchestra and finish dismantling the vowel, after the sign, to make it pure noise. And then, as we can read, the marriage of music with violence, the begetting of the rock aberration, Bo Diddley, the rush towards racket of the British Invasion (from memory, the harshest were The Creation), then the endless escalation, Blue Cheer, the Sonics and Velvet, Metal Machine Music or the nothing noise in the mainstream machine, the Rallizes Denudés, Pere Ubu, the total industrialism of Throbbing Gristle, P16. D4, SPK, NON or Neubauten, Branca and its children, the Swans, Discharge, then Napalm Death, Slayer, black metal, the Everest of noise on the page of JR by William Gaddis in 1975, and finally, at the same time, just before, just after, the pure death loop, Whitehouse, Merzbow, Hanatarash, harsh noise. This lousy thing. At the end of the tunnel of the saturation of sources, the discoverers of harsh noise have succee- ded in imitating its effects (the best a posteriori instance, Play Standards, the 1997 masterpiece of the Ground Zero world orchestra of noise, a total concentration of mixed, parasitized sources and mixed parasites) by doing away with the source: they have plugged the feed machine, the mixer into itself, and of the euphoria of violence of rock have succeeded in retaining only the euphoria, only the violence. Hiroshige, leader of Hijokaidan and head of Alchemy Records and a harsh noiser since 1979, explains: “We just loved the live euphoria of bands like Deep Purple, Black Sabbath and Hendrix. They would really let go on stage with massive walls of feedback. What Hijokaidan did was to dispense with tunes and guitar solos, and cut straight to the feedback, the orgasmic release of noise from speakers broken in the process. ” Noise is that impure, irregular signal, a blurred chaos of simultaneous frequencies, that parasitizes a coded message by dismantling the code. It doesn’t exist through itself, so noise music is a nothing that has to parasitize itself to make itself heard. If it also started by piling up and saturating garbage (the first steps of Masami Akita’s Merzbow, directly linked with Merzbau by Schwitters which gave it its name, celebrated the rubbish heaps of the modern world), if it sometimes likes to latch on to pop and display itself in a theoretical excess of western imperialist music as a debaser, harsh noise was thus almost immediately constituted in pure botched, turned-back signals looped by and on themselves. Akita heard Whitehouse’s power electronics, a purulent heap of synthesized frequencies, invasive accidental noises and lousy scansions, he met the pioneer Maurizio Bianchi, and harsh noise as an entity, an ultra-density that sets its own agenda, imposes its own listening procedures, came into the world, almost by accident. The idiot with his head in the lion’s mouth Initially modelled on the power electronics shortcuts of Whitehouse, The Haters, GX Jupitter-Larsen or Con-Dom, the heirs of the subversive games of industrial music, Throbbing Gristle, Brighter Death Now or NON, this novel empirical extremism found itself being promoted and advancing all the motifs of deviancy and the marginal arts, pornography, war, rape, techno, shit—it’s no accident that the writer Peter Sotos, editor of the total subversion of the fanzine Pure, was a member of Whitehouse, it’s no accident that Tetsuya Endoh of The Gerogerigegege (gero for vomit, geri for diarrhoea) tosses off on stage at every opportunity, it’s no accident that Mayuko Hino of C.C.C.C is a former porno bondage star—, but the truth is that the shortcuts are less logical than historical: the roots of Japanese noise are to be found more in psychedelic rock, amateur garage recording or in Zen, the depiction of harsh noise being far more problematic than that of the harsh noiser. So the 53 As Loud as Possible Concert de Hanatarash, Shibuya Lamama, Tokyo, 1985 (Photos : Gin Satoh) amateur ou dans le zen, la représentation du harsh noise étant bien plus problématique que celle du harsh noiser. L’école occidentale de la noise music, sadienne, bataillenne, fouille donc d’abord le lubrique et met le corps, cette « usine qui ignore le silence » comme dit Henri Chopin, au centre du boucan, le met en scène, tout puissant ou docile, souffreteux (William Bennett de Whitehouse, qui expose un torse chétif en mimant les pleins pouvoirs), incarnant le bruit sans visage en monstre tortionnaire en prenant le raccourci de ses effets sur le corps qui écoute. Sans se voiler la face, le bruit est cet assaut qui prend à partie et éprouve, et le noise occidental, au moins dans sa frange post-indus, est une affaire de pouvoir, et la mise en scène, sur les pochettes dégueulasses des cassettes, ou sur scène, en leather boys musculeux, d’une ascendance sur le bruit tout puissant, ou, en corps ravagé et figure misérable, d’une mise à mort par le bruit (voir les rapports privilégiés que la scène harsh américaine, via le Prurient de Dominick Fernow, entretient ces temps avec le black metal dépressif ou le doom metal miséreux). Power electronics, ça signifie un peu, pour crâner ou pour mourir, la tête dans la bouche du lion. Plus près de nous, le harsh noiser est aussi ce clown désespéré qui met en scène son amateurisme, ce musicien volontairement dépassé par ses outils et par la musique, qui hurle la subversion technologique et le sabotage du progrès au moins autant que celui de son corps, et qui ne doit surtout pas avouer de surconscience dans ses gestes maladroits et dérisoires. Qu’on se le dise, le harsh noise est facile à faire, mais il demande, comme l’idiotie, une dévotion totale. Grand Impassible. À l’inverse, le harsh noiser au Japon, après les excès de mise en scène de Hanatarash (le premier groupe de Eye Yamatsuka, qui aimait bien détruire les concert halls à la pelleteuse), les cris primaux de Yamazaki « Maso » Takushi a.k.a. Masonna, ou les affinités d’Akita avec le bondage, n’a rien à montrer, tout à faire entendre. Violent Onsen Geisha, Aube, Hijokaidan, les deux salarymen d’Incapacitants, MSBR (R.I.P.) ou Solmania (R.I.P.) sont ces travailleurs impassibles, serviteurs presque fascinés, comme frappés de mutisme, cloîtrés et entièrement dévoués à la cause esthétique du harsh pur, simple. Comme l’écrit Matthias Huss pour le magazine Release, « J’ai aimé le noise japonais avant même en avoir entendu. C’était le black des intellos, je me suis dit, insupportable pour les gens ordinaires, et pourtant exigeant et mystérieux bien plus que nécessairement evil […]. D’après les revues, il y avait ce gars intello appelé Akita qui ne parlait pas beaucoup, mais qui montait sur scène pour faire LA MUSIQUE LA PLUS EXTRÊME DU MONDE. » C’est le mystère du Grand Impassible, qui permute le grand déballage du corps transgressé et le geste invisible, doigt à 54 55 western school of noise music, influenced by de Sade, by Bataille, first rummages around in lewdness and puts the body, that “factory that is ignorant of silence” as Henri Chopin describes it, at the centre of the racket, puts it on stage, all-powerful or docile and sickly (William Bennett of Whitehouse, who exposes a puny torso while miming omnipotence), embodying faceless noise as a torturing monster by taking the shortcut of its effects on the listening body. Without covering its face, noise is that assault that sets about us and tests us, and western noise, at least in its post-industrial fringe, is a question of power, and the presentation, on the lousy cassette sleeves or on stage as muscular leather boys, of an ascendancy over all-powerful noise, or the presentation, as a wasted body and a wretched face, of death by noise (see the special relationship that exists right now between the U.S. harsh scene, through Dominick Fernow’s Prurient, and depressive black metal or down-and-out doom metal). Power electronics more or less means putting your head in the lion’s mouth, in order to show off or to die. Closer to us, a harsh noiser is also that desperate clown who makes a feature of his amateurism, that musician deliberately out-of-his-depth with his tools and with music, who bellows technological subversion and the sabotage of progress at least as much as the sabotage of the body, and whatever happens must not confess to any superconsciousness in his clumsy pathetic gestures. Let’s say it, harsh noise is easy to make, but like idiocy it requires total dedication. The Great Impassive. The harsh noiser in Japan on the other hand, after the excesses of the staging of Hanatarash (Eye Yamatsuka’s first group which delighted in destroying concert halls with a mechanical shovel), the primal screams of Yamazaki “Maso” Takushi a.k.a. Masonna, or Akita’s affinities with bondage, has nothing to show, and everything to make heard. Violent Onsen Geisha, Aube, Hijokaidan, the two salarymen of the Incapacitants, MSBR (R.I.P.) or Solmania (R.I.P.) are impassive workers, almost fascinated, mute, cloistered servants, completely dedicated to the aesthetic cause of harsh noise pure and simple. As Matthias Huss writes for the magazine Release, “I liked Japanese noise even before hearing it. It was the black of intellectuals, I told myself, unbearable for ordinary people, yet demanding and mysterious far more than necessarily evil […]. According to the magazines, there was this highbrow chap called Akita who didn’t talk much, but got up on stage and made THE MOST EXTREME MUSIC IN THE WORLD.” It is the mystery of the Great Impassive who swaps the large-scale unpacking of the violated body for the invisible gesture, a barely moving finger on the pedal control or, bet- peine mouvant sur le potard de la pédale ou, mieux encore, sur le pad du Powerbook — c’est la plus belle révolution du noise numérique, mieux que les impassibles finlandais de Pan Sonic et leurs machines magiques, le harsh noise Apple (Pita, Russell Haswell) n’a plus besoin de se mettre en scène du tout. On dira ainsi ce qu’on veut sur ce qu’a perdu la musique de Merzbow en rentrant dans l’ordinateur, à tort ou à raison : sur scène, Akita immobile avec un laptop qui délivre le bruit total, qui ne peint rien, propose l’expérience ultime d’un vertige insondable, sépulcral, abyssal, le regard vide de Gilles de Rais. The Ideology of Noise. Attali écrit que « la musique dans l’espace des bruits est une canalisation de la violence », et l’auditeur de harsh noise, le hard disk bourré de rips MP3 de 45 tours ou de cassettes de noise obscur du début des années 1980 et de black metal latvien est en droit de se demander : qu’est-ce que c’est, donc, un bruit exagéré dans un espace de bruits ? C’est quoi, le bonheur du fan de harsh noise ? Il y a la catharsis de l’hétérogène, de l’informe dionysiaque, l’immanence acoustique de l’immersion, la submersion dans la violence, et la pure jouissance de l’anxiogène, la grande contradiction, maso, juvénile, qu’importe, la reconnaissance animale du bruit sur le corps, dans le corps. Et puis, juste avant et juste après : la reconnaissance connaisseuse du gourmet, qui sait pénétrer dans la boule de feu pour en apprécier les matières, les monticules, les crevasses et les contours, car la vérité, pour le noisehead, c’est que le harsh est fabuleusement riche, généreux, varié. L’internationale Noise se porte ainsi à merveille, pulsant à pleins poumons en éditions-mystères, cassettes en or (si, si, cassettes), split singles et 33 tours super épais, festivals-marathons, coffrets sans échelle, fanzines actifs et forums super exclusifs, titillée par les engouements hippie, métal sombre, spazz, idiot-rock qui emplissent les souterrains arty de toute la planète. Aux États-Unis, après les légendes Emil Beaulieu (à la tête du label RRR), Bastard Noise, Kevin Drumm, les poster-boys parfaits de Wolf Eyes ont quasi chacun une base de ralliement entre les mains (Dilloway fait Nelson Records, Olson fait American Tapes, Connelly fait Gods of Tundra), et sont autant de rouages au sein d’une scène tentaculaire, pleine de noms magiques et autant de groupe one-shot, actifs ou inactifs, tous emmêlés, Nautical Almanach, Sickness, Forcefield, Lockweld, Sissy Spacek, LHD (ces trois-là avec le héros As Loud as Possible Loud as Possible Steven Parrino, sans titre, 1994, collaboration avec / collaboration with Alix Lambert, chewing gum sur photo / chewing gum on pho- tograph, coll. de la famille Parrino / of the Parrino family, Gagosian Gallery, New York (photo : Didier Barroso) Sur scène, Merzbow immobile avec un laptop qui délivre le bruit total, propose l’expérience ultime d’un vertige insondable, sépulcral, abyssal, le regard vide de Gilles de Rais. 56 As Loud as Possible 57 On stage, Merzbow motionless with a laptop, serving up total noise, painting nothing, offers the ultimate experience of an unfathomable, sepulchral, abyssal vertigo, the empty gaze of Gilles de Rais. ter still, the pad of the Powerbook—it’s the finest development of digital noise, better than the impassive Finns of Pan Sonic and their magic machines, and Apple harsh noise (Pita, Russell Haswell) no longer need appear on stage at all. So people can say what they like about what Merzbow’s music being lost by going back into the computer, wrongly or rightly: on stage, Akita, motionless with a laptop, serving up total noise, painting nothing, offers the ultimate experience of an unfathomable, sepulchral, abyssal vertigo, the empty gaze of Gilles de Rais. The Ideology of Noise. Attali writes that “music in the noise space is a channelling of violence,” and the hearer of harsh noise, the hard disk stuffed with MP3 rips of EPs or of cassettes of obscure noise from the early 1980s and Latvian black metal, is entitled to wonder : So what is an exaggerated noise in a noise space? What is the happiness of the harsh noise fan? There is the catharsis of the heterogeneous, of Dionysiac shapelessness, the acoustic immanence of immersion, submersion in violence, and the pure enjoyment of what engenders anxiety, the great contradiction, masochistic or juvenile, what does it matter, the animal recognition of noise on the body, in the body. And then, just before and just after: the connoisseur’s recognition of the gourmet who knows how to penetrate the ball of fire to savour its materials, its hummocks, crevices and contours, for the truth is that for the noisehead harsh noise is fabulously rich, generous and varied. The Noise International is really thriving, pulsating with full lungs in mystery editions, gold cassettes (yes, really, cassettes), split singles and super thick LPs, marathon festivals, outsize record boxes, active fanzines and super exclusive forums, titillated by hippie, dark metal, spazz, idiot-rock infatuations which fill arty underground rooms right round the planet. In the United States, after legends like Emil Beaulieu (head of the RRR label), Bastard Noise, Kevin Drumm, practically every one of the perfect poster-boys of Wolf Eyes has a rallying base under his control (Dilloway does Nelson Records, Olson does American Tapes, Connelly does Gods of Tundra), and they are all just cogs within a tentacular scene, full of magic names and lots of one-shot groups, active or inactive, all intermingled, Nautical Almanach, Sickness, Forcefield, Lockweld, Sissy Spacek, LHD (the last three with the hero John Wiese, the founder of the Helicopter label), John Wiese, fondateur du label Helicopter), Kites, Metalux, Marcia Bassett (Zaimph, Hototogisu), Pedestrian Deposits, Oubliette, Prurient et le label Hospital. En Europe, il y a le grand Matthew Bower (Hototogisu, Skullflower), Andy Bolus, le nordic noise de Sewer Election, Anus Presley, Number Sore, Grunt, Jazkammer et Lasse Marhaug (et son label Jazzasin), et on me glisse à l’oreille que la scène parisienne (Hélicoptère Sanglante, Tourette, Vomir ou Fred Nipi) a beaucoup de bruit à dire, pour rien, pour tout. C’est que, si le harsh ne saura jamais se vassaliser, dans sa forme pure, au monde pop, il est capable d’imposer ses propres modes d’écoute, de critique, de terreur et de bonheur (la discographie infinie et infiniment variée de Merzbow, en horizon, semble contenir tous les bruits du corps et tous les bruits du monde, toutes les intentions, toutes les mal intentions), et si l’on ne pourra jamais retirer au harsh noise sa suprématie, sa dangerosité, son essence de stockage de mort, sa production immense et ses publics pourraient bien l’incarner, aussi, en bout de course, en activité constitutive, définitive, de l’animal humain. - Olivier Lamm est musicien de musique électronique et journaliste. Il a publié trois albums entre electronica, chaos numérique et techno poppy, et participe aux projets Section Amour et Labranisch. Il écrit régulièrement pour le magazine Chronicart et achevé plusieurs travaux de recherche dans le domaine du postmodernisme en littérature américaine. 58 Kites, Metalux, Marcia Bassett (Zaimph, Hototogisu), Pedestrian Deposits, Oubliette, Prurient and the Hospital label. In Europe, there is the great Matthew Bower (Hototogisu, Skullflower), Andy Bolus, Sewer Election’s nordic noise, Anus Presley, Number Sore, Grunt, Jazkammer and Lasse Marhaug (and his Jazzasin label), and it is being murmured in my ear that the Parisian scene (Hélicoptère Sanglante, Tourette, Vomir or Fred Nipi) has a lot of noise to contribute, for good or for bad. If harsh noise in its pure form could never became a vassal of the pop world, it is nonetheless capable of imposing its own methods of listening, criticizing, its own forms of terror and happiness (Merzbow’s infinite and infinitely varied discography, looked at all round, seems to contain all the noises of the body and all the noises of the world, all intentions, all misintentions), and while it will never be possible to take its supremacy, its dangerousness and its essence of storing death away from harsh noise, at the end of the day its huge output and its audiences could well also embody it as a constitutive, definitive activity of the human animal. - Olivier Lamm is a musician working in the electronic music sector, and a journalist. He has published three albums lying somewhere between electronica, digital chaos and poppy techno, and is taking part in the Section Amour and Labranisch projects. He writes regularly for the magazine Chronicart and has completed several pieces of research in the field of postmodernism in American literature. whitehouse incapacitants merzbow wolf eyes Birthdead Experience (Come Organisation, 1980) As Loud as Possible (Zabriskie Point, 1995) Pulse Demon (Release, 1995) Human Animal (Sub Pop, 2006) Whitehouse, groupe fondé en 1980 par William Bennet, fut le pionnier anglais du power electronics : genre musical consistant en vagues de feedback, pulsations de sub-basses ou d’ultrasons générés par des synthétiseurs analogiques, paroles hurlées et distordues, généralement haineuses ou offensives, le tout complètement atonal et sans aucun rythme ni mélodie. La définition en fut donnée par Bennet lui-même sur les notes de pochette de l’album 33 tours Psychopathia Sexualis. Birthdeath Experience contient tous ces éléments, dont quelques lyrics d’une rare violence (notamment ce qui ressemble à une séquence de viol ou de séquence sado-maso sur Mindphaser, Bennet psalmodiant « Feel the pain with pleasure ! » sur une fréquence radio figée). Tel une bande originale de snuff movie, Birthdeath Experience se vit comme un trip malsain, la plongée en un Enfer digne d’une Divine Comédie contemporaine, où le Diable serait seul à hurler au milieu de ses suppliciés. Révolutionnaire et totalement déviant. Pionniers du noise électronique, le duo Incapacitants est fondé en 1981 par Toshiji Mikawa, employé de banque de son état, rejoint bientôt par Fumio Kosakai, qui travaille pour une agence gouvernementale. Leur but affirmé est de produire une masse de bruit pur dégagé de toute intention musicale et de tout référent humain, à l’aide d’une batterie d’effets électroniques et de machines interconnectées. Leur noise est caractérisée par son impénétrable densité et sa frénésie épileptique ; c’est un vortex de fréquences d’une brutalité sidérante où viennent se fracasser des cris distordus noyés dans des vagues de feedback. Entre le grondement statique d’Apoptosis et l’écran de bruit crissant et saturé de Necrosis pousse une jungle sonore où les stridences électroniques obstruent l’ouïe comme des lianes. Hautement convulsives, leurs rares performances repoussent les limites physiques de l’expérience sonore. Le « Merz » de Kurt Schwitters, art basé sur la récupération de détritus, et particulièrement son Merzbau, ou « bâtiment Merz », furent à l’origine du projet Merzbow, du tokyoïte Masami Akita, créé en 1978. Il transposa cette rhétorique à la musique en réintroduisant le bruit (déchet sonore ou matière dérivée) dans ses compositions. Pulse Demon est une de ses œuvres les plus radicales, les plus sombres, s’alignant tout du long sur une pulsation, une ligne sourde de fréquences graves, presque rythmique, lardée de saillies en ultra hautes fréquences grésillantes, sursaturées. Merzbow produit là une noise progressive et psychédélique, sur des titres pouvant durer plus de 24 minutes. Provoquant d’étranges hallucinations sonores (des voix dans la machine), Pulse Demon est une expérience extrême, qui met à l’épreuve nos limites aurales et se joue des distinctions entre bruit et musique, matière et forme, hasard et composition. Depuis son apparition au début des années 2000 et plus de deux cent productions K7 et CD-R à son actif, Wolf Eyes s’est imposé comme l’un des piliers de la nouvelle scène noise américaine, chaînon manquant entre le hardcore, le power electronics et le free jazz. Avec le départ d’Aaron Dilloway, remplacé par Mike Connelly de Hair Police, ce disque marque un aboutissement dans la discographie du groupe. Avec ses fréquences lancinantes, ses guitares distordues, ses borborygmes abjects, ses chuintements de saxophone et ses coups de massue électroniques, Human Animal distille un climat surnaturel qui s’installe sournoisement dans le cortex. Aucune échappatoire dans ce magma électro-statique pétri dans le feedback et la distorsion, jugulé par la pulsation sourde de circuits imprimés en bout de course. Abrasive et viscérale, aussi glauque qu’un film d’horreur cracra des années 1970, la musique de Wolf Eyes exorcise la part maudite de l’Amérique, un territoire occulte hanté par des démons white trash. Whitehouse, a group founded in 1980 by William Bennet, was the English pioneer of power electronics, a musical genre consisting of waves of feedback, pulses of sub-basses or ultrasounds generated by analog synthesizers, words howled and distorted, generally hateful or offensive, the whole thing completely atonal, and with no rhythm or melody. The definition was given by Bennet himself on the sleeve notes of the LP album Psychopathia Sexualis. Birthdeath Experience contains all these elements, including some lyrics of unusual violence (in particular what seems like a rape sequence or a sadomasochism sequence on Mindphaser, with Bennet intoning “Feel the pain with pleasure!” on a fixed radio frequency). Like an original snuff movie tape, Birthdeath Experience is experienced like a bad trip, a dive into an Inferno worthy of a contemporary Divine Comedy, where the Devil would be howling alone amid those he tortures. Revolutionary and completely deviant. — Wilfried Paris Pioneers of electronic noise, the Incapacitants duo was founded in 1981 by Toshiji Mikawa, a bank clerk by profession, soon joined by Fumio Kosakai, who worked for a government office. Their stated aim was to produce a mass of pure noise, freed of any musical intention and any human reference, with the help of an electronic effects drum kit and interconnected machines. Their noise is characterized by its impenetrable density and its epileptic frenzy; it is a vortex of frequencies of stunning brutality where distorted screams drowned in waves of feedback crash into one another. Between the static rumbling of Apoptosis and the screen of squealing, saturated noise in Necrosis a sound jungle emerges where the electronic stridencies obstruct hearing like creepers. Their rare performances are convulsive in the extreme, and push back the physical boundaries of the sound experience. Kurt Schwitters’ “Merz” art based on the retrieval of rubbish, and his Merzbau or “Merz building” in particular, were the starting point for the Merzbow project, created by Tokyoite Masami Akita in 1978. He transposed the same rhetoric to music by reintroducing noise (sound waste or diverted material) into his compositions. Pulse Demon is one of his most radical and darkest works, aligning itself throughout on one beat, one muted line of low, almost rhythmic frequencies, interlarded with bursts of crackling, supersaturated ultra high frequencies. Merzbow here produces a progressive psychedelic noise, above titles that can last more than 24 minutes. Giving rise to strange sound hallucinations (voices in the machine), Pulse Demon is an extreme experience which tests our aural limits and plays fast and loose with the distinctions between noise and music, matter and form, chance and composition. — J. B. — W. P. Since it first appeared in the early 2000s and with over 200 K7 and CD-R releases to its credit, Wolf Eyes has established itself as one of the pillars of the new American noise scene, the missing link between hardcore, power electronics and free jazz. With the departure of Aaron Dilloway, replaced by Mike Connelly of Hair Police, this disk marks a culmination in the group’s discography. With its monotonous frequencies, its distorted guitars, its abject stomach rumbles, its saxophone hisses and electronic bludgeon blows, Human Animal distils a supernatural climate that stealthily establishes itself in the cortex. No way out of this electrostatic magma moulded out of feedback and distortion, stifled by the muffled beat of printed circuits at full stroke. Abrasive and visceral, as flaky as a 1970s crap horror film, the music of Wolf Eyes exorcizes the cursed aspect of America, a hidden territory haunted by white trash demons. — J. B. 59