Se restaurer à bord des trains

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Se restaurer à bord des trains
LES GRANDES ETAPES DE LA RESTAURATION A BORD DES TRAINS
1880 Le panier à emporter
A partir de 1880, Victor Buffrety, tenancier du buffet de Tergnier (et futur concessionnaire du buffet
de la gare du Nord, à Paris) donne aux voyageurs empruntant la ligne de Paris à Bruxelles la
possibilité d’acquérir et emporter des paniers garnis à savourer en cours de route, et d’éviter ainsi les
affres de l’arrêt-buffet tant décrié. L’idée est reprise deux ans plus tard par la Compagnie des
chemins de fer de l’Ouest. Se faisant l’écho de cette « amélioration qui sera vivement appréciée des
gens pressés et fera les délices des estomacs délicats », le Journal des débats du 19 novembre 1882
précise que ce service est déjà proposé sur plusieurs réseaux étrangers, notamment en Autriche. Il
s’applique ici à l’express Paris-Le Havre (départ 8 h du matin, arrivée 1 h du soir) qui ne s’arrête que
dix minutes à Rouen. « Où déjeuner dans ces conditions ? – A Paris, c’est trop tôt ; au Havre, c’est
trop tard. » D’où l’initiative du buffetier de Rouen de proposer des paniers composés d’une demibouteille de vin, d’une assiette froide (bœuf, mouton, veau, jambon) et d’un dessert. Ce repas,
« renfermé dans un récipient aussi élégant que commode », est vendu au prix de trois francs (3,50 F
pour un quart de volaille au lieu d’une portion de viande). Pris à Rouen, le panier est rendu à
Motteville, quarante minutes après, ce qui laisse « tout le temps de déjeuner à son aise ». L’année
suivante, le panier garni est disponible dans vingt-et-une des principales gares du réseau. « Cela est
fort commode, rapporte le chroniqueur mondain du Figaro du 8 août 1883, et le voyageur n’est pas
obligé d’engloutir hâtivement le repas des buffets ; commodément installé il mange à son loisir et, le
repas achevé, le panier vide est enlevé par le conducteur du train. »
© Bruno Carrière / Rails et histoire – 2015.
© Site www.ahicf.com - pour citer cet article : Référence électronique, Br. Carrière, « Les grandes étapes de la restauration à
bord des trains (1) ». [En ligne|, 2015, mis en ligne mars 2015, consulté ……. URL : http://www.ahicf.com
Adolphe Joanne et Auguste Le Pileur, Les bains d'Europe : guide descriptif et médical des eaux
d'Allemagne, d'Angleterre, de Belgique, d'Espagne, de France, d'Italie et de Suisse (2e édition), L.
Hachette, Paris, 1880.
1882 Le wagon-restaurant
Si George Pullman obtient de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, en 1882, de pouvoir faire
circuler un « salon-restaurant » entre Paris et Le Havre, c’est bien à Georges Nagelmackers,
promoteur de la Compagnie internationale des wagons-lits, que l’on doit d’avoir introduit en France
le concept de la voiture-restaurant. Commandée le 10 mai 1882, une première voiture-restaurant lui
est livrée en septembre par le constructeur munichois Rathgebert. Cette voiture (n° 107) – composés
d’une cuisine centrale et de deux salles de 12 places chacune (réservée l’une aux dames et aux nonfumeurs, l’autre aux messieurs et fumeurs) reliées par un couloir – effectue un premier service entre
Marseille et Nice avant d’être incorporée du 10 au 14 octobre au train d’essais de Paris à Vienne,
puis en janvier 1883 à un train de luxe spécial organisée pour les courses de Nice, enfin de juin à
septembre au premier Orient-Express. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Nagelmackers obtient à
son tour de la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, la mise en marche, à partir du 30 juin 1883,
de voitures-restaurants sur les relations Paris-Trouville et Paris-Caen. Mieux, il reprend, à compter
du 1er août, le service antérieurement assuré par Pullman sur Paris-Le Havre. Enfin, le 8 décembre, il
inaugure son second train de luxe de Calais à Rome par Nice : une rame composée, comme l’OrientExpress, de deux voitures-lits et d’une voiture-restaurant.
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1896 Le wagon-bar
En 1896, les deux frères Desouches, l’un banquier, l’autre constructeur de matériel ferroviaire sis à
Pantin (Desouches, David et Cie), s’entendent avec la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest pour
l’exploitation sur ses lignes de banlieue de « wagons-bars » de leur conception. Testés le 17 août, ces
matériels en bois de teck verni, à deux essieux et plateformes d’extrémité semi fermées, sont divisés
en deux salles de dimensions égales (19 places pour le « Café » réservé aux voyageurs de 1re classe ;
23 places pour la « Buvette » ouverte à ceux de 2e classe) séparées par un bar avec glacière,
fourneaux à gaz, etc. Librement accessibles « sans surtaxe » comme on pouvait le lire sur la caisse,
ils offrent, pour 30 à 50 centimes, café, chocolat avec brioches ou croissant le matin, apéritifs le soir,
servis par un « bar-man » et deux « bariers » en veste blanche. Le 23 août, deux de ces wagons-bars
entrent dans la composition de la rame chargée de conduire de Paris-Saint-Lazare à Saint-Germainen-Laye les personnalités invitées à l’inauguration du tramway à vapeur de Saint-Germain à Poissy.
Officiellement adoptés, ils sont mis service dès le lendemain sur la ligne de Saint-Germain. L’accueil
qui leur est fait conduit à la constitution, le 3 décembre 1896, de la « Compagnies des wagons-bars »
et à leur déploiement progressif sur les lignes de Versailles RD (1896), de La Garenne (1897),
d’Argenteuil (1898), d’Auteuil (1899), de Paris-Saint-Lazare à Paris-Nord (1899), des Moulineaux
(1899), de Mantes (1902), de Versailles RG (1902), des Invalides via Moulineaux (1913). De cinq en
1896, le nombre des wagons-bars passe à vingt-cinq en 1897 et à trente-trois en 1902. Si l’on excepte
leur retrait des lignes de Paris-Saint-Lazare à Paris-Nord dès 1900, d’Auteuil et des Moulineaux en
1902 et de Versailles RG en 1903, ils continuent de circuler jusqu’à la déclaration de guerre du 3
août 1914.
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1902 Le wagon-buffet
Attaquée par les ligues antialcooliques, boudée par les autres compagnies qui se refusent de traiter
avec elle, la Compagnies des wagons-bars essaie de trouver son salut en proposant, en 1901,
d’introduire, dans les trains échappant à la tutelle de la CIWL, des « wagons-buffets » tournés vers
une clientèle plus populaire, à commencer sur les lignes de Paris à Cherbourg et de Paris à Granville.
Pour parvenir à ses fins, elle n’a pas hésité, un an plus tôt, à modifier sa raison sociale en
« Compagnie française des wagons-buffets », et à réviser l’article 1 de ses statuts. Non contente de
poursuivre l’exploitation de ses wagons-bars sur les lignes de l’Ouest, elle se réserve désormais « le
droit d’établissement, d’acquisition, de construction et d’exploitation de wagons-buffets-restaurantscafés, bars, salons, etc., sur toutes autres lignes de chemin de fer ». Directement menacée dans ses
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intérêts, la CIWL n’hésite pas à en prendre le contrôle en 1902. Outre la mise au pas d’un
concurrent, celle-ci dispose désormais d’une formule susceptible d’être avantageusement substituée à
quelques-uns de ses services de wagons-restaurants déficitaires. De fait, la CIWL obtient aussitôt de
l’Administration des chemins de fer de l’Etat, sous le couvert de sa nouvelle « filiale », la mise en
service de wagons-buffets entre Bordeaux et Nantes, Nantes et Poitiers, Bressuire et Les Sablesd’Olonne. C’est ensuite au tour des Compagnies des chemins de fer de l’Est (à partir de 1903 entre
Saint-Dizier et Laon) et de l’Ouest (à partir de 1904 entre Paris et Dieppe, Paris et Caen, Rennes et
Brest, Rennes et Le Mans1) de répondre aux souhaits de la CIWL. Pour faire face à ses nouvelles
activités, la Compagnie française des wagons-buffets fait procéder à la transformation de quatre de
ses wagons-bars et passe commande de quatre wagons-restaurants à deux essieux. Cependant, ceuxci s’avérant peu adaptés à la vitesse de certains express, notamment sur l’Est, elle est amenée à
racheter à la CIWL quelques-uns de ses anciens wagons-restaurants (huit unités entre 1902 et 1913).
Mais, contrairement aux espérances, la frugalité des repas servis et leur moindre coût (pour les 1re et
2e classes, déjeuner/dîner vin non compris à 2,25/3,50 francs au lieu de 3,50/5,00 francs à bord des
wagons-restaurants ; pour la 3e classe, déjeuner/dîner à 2 francs prix unique) ne suffisent pas à
équilibrer les comptes, les pertes devant être compensées par les recettes des wagons-bars. Tout
comme les wagons-bars, les wagons-buffets sont retirés de la circulation le 3 août 1914. Aussi, la
décision des Chemins de fer de l’Etat, clairement exprimée en 1915, de ne pas renouveler les contrats
liés aux services des wagons-bars une fois la guerre finie (pour cause d’électrification des lignes de
banlieue), conduit la Compagnie française des wagons-buffets à se dissoudre le 31 juillet 1916 (tout
comme les voitures-bars, les voitures-buffets ont cessé de circuler le 3 août 1914).
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1
Service Rennes-Le Mans supprimé fin 1904. Service Nantes-Bordeaux repris par la CIWL en 1912.
1926 La restauration à la place
Le 28 août 1926, la CIWL procède à l’inauguration des nouvelles « voitures-salons » Pullman du
Sud-Express reconnaissables à leur livrée marron et crème.
● « Parti de la gare d’Orsay à 10 heures, le train Pullman arrivait en gare de Biarritz à 20 h 45 après
avoir révélé à ses hôtes, au cours du voyage, les secrets du luxe le plus raffiné. Dans les voitures
Pullman, chaque voyageur peut se faire servir, à sa place, non seulement diverses consommations ou
des petits déjeuners, mais encore les principaux repas. Le train est formé de voitures couplées.
Chaque couplage se compose d’une voiture-salon avec cuisine et d’une autre sans cuisine. Les
voitures d’un même couplage sont attelées avec la cuisine au centre, de manière à pouvoir être
desservies toutes les deux » (Le Temps, 1er septembre 1926).
● « A la gare d’Orsay, le voyageur s’assied devant une petite table, dans un fauteuil qui doit être
enchanté, dont le siège monte et descend, dont le dossier s’incline et se redresse sur un signe de son
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occupant. Plus de compartiment : la voiture est un grand salon que meublent douze de ces tables et
fauteuils très obéissants. A côté, pour les poètes et leur muse, voire pour les joueurs de bridge, sont
deux petits salons.
« Le train s’ébranle. Le voyageur n’a plus à bouger. Veut-il manger ? Il sonne : on le sert à sa place.
Veut-il son thé, son petit déjeuner, une citronnade glacée ? Il sonne…
« Les Pullman s’en vont deux par deux : au milieu d’elles est leur cuisine. Mais on a tout prévu : une
salle de restaurant sera aussi à la disposition de ceux qui ne peuvent point se passer du commerce des
hommes » (Le Figaro, 1er septembre 1926).
Mais c’est avec la Flèche d’Or, le nouveau train de luxe de jour de la Compagnie du chemin de fer
du Nord, mis en circulation entre Paris et Calais le 12 septembre de cette même année (en
correspondance avec les services maritimes transmanche), que la CIWL pérennise véritablement la
restauration à la place. Elle l’étend dès l’année suivante aux voyageurs de 2 e classe à bord de l’Etoile
du Nord, autre train Pullman du Nord qui relie Paris à Bruxelles et Amsterdam.
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1932 La voiture-buffet et la voiture-restaurant-bar
En 1932, le réseau de l’Etat met en service douze « voitures-buffets destinées à remplacer les
wagons-restaurants, dans certains trains où ils sont insuffisamment utilisés, et éventuellement donner
aux voyageurs une commodité nouvelle dans les trains qui ne comportent pas de wagonsrestaurants ». Aménagées à partir de voitures-fourgons BD et CD, elles comportent chacune une
cuisine et un buffet-comptoir. La dépense liée à leur transformation (600 000 francs) est prise en
charge pour un tiers par les chemins de fer de l’Etat, pour deux tiers par la CIWL chargée d’en
assurer le service. Le 29 janvier 1932, Raoul Dautry, qui estime cette dépense peu élevée au regard
des économies d’exploitation à attendre de « cette innovation », tant pour le réseau (frais de traction)
que pour la CIWL (réduction du personnel), visite l’une de ces voitures garée en gare de SaintLazare, entouré de son état-major. La Revue illustrée des chemins de fer de l’Etat, signale dans son
édition du mois de mars qu’une voiture-buffet est régulièrement attelée à certains trains entre Dieppe
et Le Mans ainsi qu’entre Paris et Cherbourg, et offre des repas à la carte et consommations diverses.
Elle précise « que les voyageurs de 1re et 2e classes sont servis, s’ils le demandent, dans leurs
compartiments ». En novembre de la même année, ses lecteurs sont informés même que ce type de
matériel circule désormais dans certains trains des parcours suivants : Dieppe-Le Mans, Paris-Le
Havre, Paris-Cherbourg, Paris-Bagnoles-de-l’Orne, Paris-Argentan, Saint-Malo-Bordeaux, ParisDieppe et Paris-Le Havre.
Le 5 août 1932, le conseil du réseau de l’Etat examine une proposition de la CIWL visant à mettre en
place « une solution intermédiaire » entre la voiture-restaurant et la voiture-buffet : la « voiturerestaurant-bar », obtenue par le réaménagement de voitures-restaurants traditionnelles : « un
comptoir sera installé dans la salle voisine de l’office, l’autre salle conservera sa disposition
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actuelle ». A titre d’essai, ce nouveau matériel sera incorporé aux trains 799-798 Paris-La Rochelle
et 573-572 Paris-Le Mans, à la place des wagons-restaurants actuels. En novembre 1932, la Revue
illustrée des chemins de fer de l’Etat fait état de leur mise en service : « Une formule nouvelle : le
wagon-restaurant-bar. Toujours soucieux du bien-être des voyageurs, les Chemins de fer de l’Etat
viennent de mettre en circulation des wagons-restaurants-bars entre Paris-La Rochelle, Paris-Rennes,
et vice-versa. Ces wagons sont divisés en deux parties dont l’une conserve l’affectation ancienne de
restaurant, et l’autre est un bar où, indépendamment des consommations froides et chaudes
courantes, le public peut se ravitailler en sandwiches, paniers-repas, etc. »
Les autres réseaux sont également sollicités par la CIWL. le 2 octobre 1932, des voitures-buffets et
des voitures-bars-restaurants sont simultanément introduites sur le PLM ; les premières sur les
relations transversales Strasbourg-Lyon (trains 743/744 et 748/749 sur tout le parcours,), GenèveBordeaux (entre Lyon et Saint-Germain-des-Fossés) et Bordeaux-Milan (entre Bordeaux et Lyon à
l’aller et Saint-Germain des-Fossés et Bordeaux au retour) ; les secondes dans les trains 23/24 ParisNice (entre Avignon et Nice). Les voitures-buffets résultent de la transformation de voitures PLM de
la série C11yfi dont sept des onze compartiments ont été affectés « à une buvette avec comptoir en
équerre, suivie d’une cuisine-office, qui donne elle-même sur une petite salle de restaurant offrant 12
à 14 places assises et située en bout de voiture ». Les voitures-bars-restaurants sont le résultat du
réaménagement de wagons-restaurants dans lesquels « la salle qui se trouve du côté de la cuisine et
de l’office a été démunie de ses tables et pourvue d’un comptoir longitudinal, la seconde salle
subsistant sans modification ». Le Bulletin du PLM du mois de novembre 1932, d’où sont issus ces
renseignements, donne également quelques détails sur le service offert à la clientèle des voituresbuffets : « Au comptoir, les voyageurs peuvent se procurer, à toute heure, des consommations
chaudes et froides, des paniers-repas, des fruits, sandwiches, etc. A la petite salle de restaurant, ils
trouvent une carte de mets variés, vendus à des prix très abordables : pour 12 à 15 francs, le menu
offre les éléments d’un repas substantiel, pouvant se composer, au choix, de grillades, choucroute,
cassoulet, viande froide, etc. avec fromage, fruits, café et une demi-bouteille de vin et de bière. La
cuisine de cette voiture est dotée de toutes les installations nécessaires pour assurer une préparation
rapide et soignée des plats, ainsi que la conservation des denrées et des boissons. »
Le 1er novembre 1932, le Nord, à son tour, met en service une voiture-buffet entre Paris et
Dunkerque, voiture « accessible aux voyageurs de toutes classes et leur permettant de se restaurer
« dans des conditions très économiques » (Chronique des transports, 10 novembre 1932).
© Bruno Carrière / Rails et histoire – 2015.
[A suivre]
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