L`Amertume et ses récepteurs

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L`Amertume et ses récepteurs
Synthèse Bibliographique en Biologie et Biotechnologies
L'Amertume et
ses récepteurs
2013
Auteur :
Servane de FERRAND
Tuteur :
Alain BARON
Chercheur à l'INRA Rennes – UR Cidricoles
MASTER 2 BIOLOGIE GESTION – UNIVERSITE DE RENNES I – UFR SVE
SBBB – Servane de FERRAND
2013
REMERCIEMENTS
Je tiens à remercier Monsieur Alain BARON, chercheur à l'INRA de Rennes, sans qui ce
travail n'aurait pas été possible. Merci pour la confiance et le temps qu'il m'a accordés ainsi que
L'amertume et ses récepteurs
pour ses précieux conseils qui m'ont beaucoup aidée.
Note des responsables du diplôme : "Le tuteur chercheur a pour rôle de conseiller l'étudiant,
l'orienter dans ses recherches bibliographiques, l'aider à comprendre les articles, en faire une
synthèse de manière logique et rigoureuse. Il ne peut vérifier toutes les citations et interprétations
de l'étudiant. Il ne peut donc s'engager vis à vis d'éventuelles erreurs".
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SBBB – Servane de FERRAND
2013
L'amertume et ses récepteurs
Servane de Ferrand
Master Biologie Gestion, Université de Rennes I
263 Avenue du Général Leclerc - 35042 Rennes Cedex
Résumé :
Le système gustatif des mammifères permet la détection et l'analyse de la nourriture afin
d'étudier leur effet potentiel sur l'organisme. Des cinq goûts perçus par les humains (salé, sucré,
acide, umami et amer), le goût amer revêt une importance particulière, car il est souvent associé
à de nombreuses molécules toxiques. Ce système de détection passe par l'action de récepteurs
qui sont chargés de détecter ces molécules. Dans le cas de la sensation amère, c'est une famille
multigène de récepteurs découverte récemment, les T2R, qui en est la clef. Actuellement au
stade de l'étude, leur structure, leur fonctionnement ou leur expression génétique sont connus
de plus en plus précisément afin de faciliter leur compréhension. Outre leur structure, leur
localisation dans les cellules gustatives et leur rapport avec les autres goûts est également une
source d'informations sur la perception des goûts.
Mots clés : T2R, cellules gustatives, perception gustative, tannins, composés phénoliques
L'amertume et ses récepteurs
Sommaire
L'amertume et ses récepteurs ...................................................................................... 2
I.
Introduction ......................................................................................................... 3
II.
La perception des cinq goûts ................................................................................. 5
A.
Organisation du système gustatif ..........................................................................................5
B.
Les cinq goûts et leurs récepteurs .........................................................................................6
Salé et acide : implication d'un canal ionique ............................................................................7
III. L'amertume et ses récepteurs ..............................................................................11
A.
Présentation de composés amers connus .......................................................................... 11
B.
Les récepteurs à l'amertume : la famille des T2R ............................................................... 13
Structure des récepteurs ......................................................................................................... 13
Quelques couples ligand - récepteur ....................................................................................... 14
Fonctionnement des récepteurs .............................................................................................. 15
Expression génétique des T2R et polymorphismes ................................................................. 16
Voie neuronale induite ............................................................................................................ 17
IV. Conclusion ...........................................................................................................19
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Liste des abréviations
AMPc : Adénosine monophosphate cyclique
ENaC : Canal Sodique Epithélial
DAG : Diacylglycérol
GDP : Guanosine Diphosphate
GPCR : Protéine G couplée à un Récepteur
GTP : Guanosine Triphosphate
PIP2 : Phosphatidylinositol-4,5-diphosphate
IP3 : Inositol Triphosphate
PKD2L1 : canal ionique membre des TRP
PROP : Propylthiouracil
PLCβ2 : Phospholipase C β2
PTC : Phénylthiocarbamide
SNP : Single Nulceotide Polymorphism
T1R : famille de récepteur au sucré et à l'umami
T1R2 /T1R3 : récepteur au sucré
T1R1/T1R3 : récepteur à l'umami
T2R : famille de récepteurs à l'amer
L'amertume et ses récepteurs
TCR : Taste Cell Receptor (cellule du goût réceptrice)
TRMP5 : canal ionique membre des TRP (spécialisé dans la transduction amère, sucrée et umami)
TRP : Transcient Receptor Potential (famille de canaux ioniques)
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Introduction
Le système gustatif des mammifères permet de détecter et d'analyser la nourriture afin
de déterminer si elle est potentiellement bénéfique ou toxique pour l'organisme. Cette détection
combine plusieurs sens (vision, olfaction, goût), mais c'est le goût qui prédomine et qui sera
responsable de la décision finale (Scott, 2005). Nous pouvons percevoir et distinguer cinq
saveurs principales : salé, acide, amer, sucré et umami (goût du mono glutamate de sodium)
(Zhang et al., 2003; Upadhyaya et al., 2010). Cette perception et cette analyse sont essentielles à
notre survie. En effet, si les composés sucrés et umamis sont généralement signe d'une
nourriture riche en nutriments et au goût agréable, les composés fortement amers ou acides sont
souvent signes de toxicité ou de poison pour l'organisme (Chandrashekar et al., 2000; Zhang et
al., 2003).
La détection de ces composés se fait dans la cavité buccale par l'intermédiaire de
récepteurs situés sur la langue (Montmayeur et Matsumami, 2002). Ils sont exclusivement situés
dans des cellules gustatives, qui sont réparties en bourgeons sur tout le système gustatif (mais
essentiellement sur la langue) (Adler et al., 2000; Scott, 2005). L'activation de ces récepteurs va
moduler une cascade de transduction qui sera responsable de la perception finale du goût par le
cerveau.
Les composés les plus toxiques étant généralement très amers, il est essentiel de pouvoir
les percevoir le mieux possible. C'est pourquoi l'amertume fait l'objet d'études particulières
L'amertume et ses récepteurs
depuis quelques années. Cependant, la diversité de ces composés (caféine, strychnine,
dénatonium, polyphénols…) rend son étude assez complexe (DuBois et al., 2008). Pour pouvoir
répondre au mieux à ces dangers éventuels, une connaissance de ces récepteurs à l'amertume
est primordiale. Dans ce but, des travaux ont permis de découvrir une nouvelle famille de
récepteurs chez la souris à la fin des années 1990 : les T2R (Adler et al., 2000; Chandrashekar et
al., 2000; Lindemann, 2001). Très vite, cette famille s'est retrouvée assimilée aux récepteurs à
l'amer.
Plusieurs questions se posent. Comment sont organisés ces récepteurs? Une même
cellule peut-elle percevoir les cinq goûts ? La cascade de transduction est-elle la même pour
tous? Comment une cellule peut-elle percevoir autant de composés amers différents? L'objectif
de cette étude est de faire un état des lieux de l'avancée des recherches en ce qui concerne les
récepteurs à l'amertume, tout en les comparants à ceux des quatre autres goûts.
La première partie de cette synthèse sera une revue de l'organisation générale du
système gustatif et des récepteurs des cinq saveurs principales, tandis que la seconde permettra
de se focaliser plus en détails sur les récepteurs à l'amertume.
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I. La perception des cinq goûts
Notre système gustatif nous permet de percevoir les cinq saveurs principales : salé, acide,
sucré, amer et umami (perception du glutamate). Cette capacité est essentielle, puisqu'elle nous
permet d'analyser la nourriture afin de juger si elle est potentiellement toxique ou dangereuse
(Chandrashekar et al., 2000; Montmayeur et Matsumami, 2002). En effet, de nombreuses
molécules bénéfiques à notre organisme sont souvent sucrées, peu acides ou peu amères, tandis
que beaucoup de composés toxiques sont fortement acides ou amers, nous évitant ainsi de les
ingérer.
Longtemps, un modèle de "carte du goût" (figure 1) a été proposé, où la langue était
divisée en plusieurs parties, chacune spécialisée dans la perception d'une seule saveur
(Lindemann, 2001; Scott, 2005; Reed et al., 2006). Des recherches plus récentes ont prouvé
qu'aucune ségrégation des goûts n'était faite et que tous étaient perçus sur la langue sans
discrimination (Scott, 2005; Reed et al., 2006).
A. Organisation du système gustatif
La perception des saveurs commence au niveau de la cavité buccale. L'organe principal
est la langue, mais d'autres parties de la bouche telles que l'épiglotte, le palais ou le pharynx sont
également impliquées dans cette perception.
La détection des molécules chimiques se fait au niveau de la langue, par les cellules
L'amertume et ses récepteurs
gustatives (Scott, 2005). Ces cellules, plutôt petites, sont regroupées en bourgeons gustatifs qui
sont des amas de 50 à 150 cellules (Zhang et al., 2003; Scott, 2005). On y trouve des cellules de
soutien, des précurseurs mais surtout, ces fameuses cellules gustatives qui sont des cellules
neuroépithéliales (Zhang et al., 2003). Elles sont exposées à la cavité buccale à leur partie apicale
et connectées à des dendrites à leur partie basale. Ce ne sont pas des neurones, elles n'envoient
pas de projections axonales vers le cerveau mais génèrent des potentiels d'action et libèrent des
neurotransmetteurs qui eux activeront des neurones afférents. Elles sont organisées en plusieurs
parties (Lindemann, 2001; Simon et al., 2006) :
−
La partie apicale communique avec la cavité buccale grâce à un pore gustatif qui passe à
travers l'épithélium. On y trouve de nombreuses microvillosités qui contiennent les
récepteurs responsables de la perception des saveurs. Ces microvillosités sont largement
impliquées dans la détection de molécules du goût.
−
Juste en-dessous, on trouve des tight-junctions qui protègent des dommages causés à
l'intérieur de la bouche et permettent aux cellules d'être connectées entre elles.
−
A la base de ces cellules, on trouve une synapse, formant un contact nerveux avec le nerf
afférent qui transmettra les informations aux centres du goût dans le cerveau.
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Ces bourgeons sont exclusivement exprimés dans les papilles présentes sur la langue
(Adler et al., 2000). On distingue trois types de papilles impliquées dans la transduction des
différentes saveurs (figure 1) (Adler et al., 2000; Lindemann, 2001; Scott, 2005) :
−
Les papilles caliciformes, situées sur la partie postérieure de la langue, près de la gorge
−
Les papilles foliées, situées sur les côtés et sur la partie postérieure de la langue
−
Les papilles fongiformes, situées sur la partie antérieure de la langue.
La première rencontre avec une molécule chimique se fait à la surface apicale de la
cellule gustative. La molécule va ainsi être reconnue par un récepteur et cette reconnaissance va
activer une cascade de transduction activant la synapse et menant ainsi à l'excitation d'une fibre
nerveuse (Lindemann, 2001).
Papilles caliciformes
Amer
Papilles foliées
Acide
Salé
Papilles fongiformes
Sucré
L'amertume et ses récepteurs
a
b
Figure 1 │ Organisation du système gustatif sur la langue. 1a : organisation des 3 types de papilles sur la
langue : papilles caliciformes au fond, foliées sur les côtés et fongiformes sur la partie antérieure. Les points
bleus au niveau des papilles représentent les bourgeons gustatifs. 1b : Carte de la ségrégation des goûts sur
la langue longtemps admise.
Pour résumer, la perception du goût démarre par l'activation de récepteurs gustatifs
situés dans des cellules spécifiques : les cellules gustatives. Exprimées sélectivement dans
l'épithélium de la cavité buccale, celles-ci sont organisées en bourgeons (amas de 50 à 150
cellules) qui sont répartis dans les papilles.
B. Les cinq goûts et leurs récepteurs
Les cinq saveurs principales sont perçues et analysées finement. Cette perception se fait
par l'intermédiaire de récepteurs situés dans les cellules gustatives : les TCR (Cellules gustatives
exprimant un récepteur). Chaque saveur possède des récepteurs et un mécanisme de
transduction propres.
On peut cependant regrouper les mécanismes de transduction en deux groupes
(Lindemann, 2001; Chandrashekar et al., 2006) (tableau 1):
6
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−
La perception du salé et de l'acide implique l'activation de canaux ioniques
−
La perception du sucré, de l'amer et de l'umami implique l'activation de récepteurs (T1R
ou T2R)
Tableau 1 │ Tableau récapitulatif de la perception des 5 saveurs de base.
Type de saveur
Salé
Acide
Amer
Sucré
Umami
Molécules impliquées
Chlorure de Sodium (Na+)
Protons (H+)
Divers composés amers
Sucres, édulcorants
Mono-glutamate de sodium
Type de récepteur
Canal Na+ (ENaC)
Canal TRP de type PKD2L1
T2R
T1R2 + T1R3
T1R1 + T1R3
Salé et acide : implication d'un canal ionique
La perception des saveurs salées et acides passe par l'entrée d'un ion (H+ ou Na+) dans la
cellule grâce à un canal ionique (Lindemann, 2001; Chandrashekar et al., 2006). Cette entrée
provoque une dépolarisation de la cellule, d'où une entrée d'ions Ca2+ puis une libération de
neurotransmetteur dans la synapse sous-jacente.
La perception du salé :
C'est la présence de Na+ dans la cavité buccale qui est responsable de la perception de la
saveur salée (Lindemann, 2001). La majorité des ions entre dans la cellule par les Canaux
L'amertume et ses récepteurs
Sodiques Epithéliaux (ENaC) situés sur la langue. Ils sont inhibés par l'amiloride (composé dérivé
de la guanidine) et formés de trois sous-unités (α, β, γ). L'entrée de Na+ dans la cellule provoque
sa dépolarisation, puis une entrée massive de Ca2+ grâce à de canaux calciques voltage
dépendants (qui s'ouvrent lors d'une dépolarisation de la cellule) (Lindemann, 2001;
Chandrashekar et al., 2006). Cette entrée de Ca2+ provoque une libération de neurotransmetteur,
puis une dépolarisation des cellules voisines (figure 3).
Ces canaux ont le rôle de récepteurs à la saveur salée dès que la concentration en Na+ est
suffisante dans la cavité buccale (Lindemann, 2001). D'après certaines études menées sur la
saveur salée, l'action de l'amiloride sur la langue n'inhibe pas totalement la perception du salé, ce
qui laisse penser qu'un autre type de récepteur serait également impliqué.
La perception de l'acide :
La saveur acide est agréable en faible quantité, mais devient vite désagréable en quantité
plus importante. Ce côté désagréable permet d'éviter les problèmes de régulation acide/base et
d'éviter des dommages tissulaires liés à une acidité excessive (Lindemann, 2001).
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Cette saveur acide est directement liée à la présence de protons H+ dans la cavité buccale
(Gilbertson et al., 2000). Ils viennent des différents acides présents dans la nourriture. Les
protons peuvent entrent dans les cellules gustatives grâce au PKD2L1, un canal ionique membre
des TRP (figure 3) (Chandrashekar et al., 2006). Ce canal est exprimé de façon sélective dans les
cellules gustatives présentes sur la langue. C'est la variation de pH due à la présence de protons
qui permet son ouverture. Leur entrée provoque une dépolarisation, qui va entraîner une entrée
de Ca2+ grâce à des canaux calciques voltage dépendants. Comme pour la saveur salée, on
observa une libération de neurotransmetteur et une dépolarisation des cellules voisines.
Amer, sucré et umami : implication d'un récepteur.
La perception des saveurs sucrées, amères et umamis passe par l'activation d'un
récepteur : T1R ou T2R, qui sont des GPCR (Protéine G Couplée à un Récepteur) (Lindemann,
2001; Zhang et al., 2003; Chandrashekar et al., 2006).
−
Perception du sucré : combinaison T1R2/T1R3
−
Perception de l'umami : combinaison T1R1/T1R3
−
Perception amère : famille des T2R (25 membres)
La famille des récepteurs T1R responsable de la perception du sucré et de l'umami ne
compte que trois membres : T1R1, T1R2 et T1R3 capables de reconnaître tous les composés en
s'associant en dimères. En revanche, les T2R sont au nombre de 25, afin de reconnaître la
multitude de composés amers existants.
Pour ces trois saveurs, l'activation du récepteur entraîne la même cascade de
L'amertume et ses récepteurs
transduction. Le récepteur est lié sous la membrane plasmique à une protéine G trimérique : la
gustducine (trois sous-unités α, β, γ). La liaison du ligand entraîne la dissociation de la gustducine,
ce qui va activer la PLCβ2 (Phospholipase C β2), qui va alors cliver le PIP2 en IP3 et DAG. La
présence d'IP3 va entraîner la libération de Ca2+ des vésicules calciques, ce qui va dépolariser la
cellule et activer le canal TRMP5 (figure 2). Cette cascade aboutie à la libération de
neurotransmetteur dans la synapse et à la dépolarisation des cellules voisines (Chandrashekar et
al., 2006).
T1R ou T2R
TRMP5
αβ
PIP2
PLCβ2
γ
DAG
IP3
2+
Ca
Figure 2 │ Cascade de transduction commune aux saveurs sucrées, amères et umamis, de
l'activation du récepteur à la dépolarisation de la cellule et la libération de neurotransmetteur.
PIP2 = Phosphatidylinositol-tri-phosphate, PLCβ2 = Phospholipase C β2, DAG = DiacylGlycérol, IP3 =
Inositol-tri-Phosphate, TRMP5 = canal cationique, αβγ = 3 sous-unités de la gustducine
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Plusieurs expériences ont montré qu'un KO (Knock-Out) de la gustducine, de la PLCβ2 ou
du canal TRPM5 entraînait une incapacité à percevoir ces trois saveurs correctement chez les
souris (Chandrashekar et al., 2006).
Enfin, si l'amer, le sucré et l'umami partagent la même voie de transduction, celle-ci se
fait dans des cellules différentes. En effet, d'après plusieurs études, il existe deux catégories de
cellules gustatives : certaines expriment des T2R et sont sensibles à l'amertume, et d'autres
expriment des T1R et sont sensibles au sucré et à l'umami (Scott, 2005).
La perception du sucré :
Les molécules sucrées sont en général très appréciées, le sucré étant associé à un fort
effet hédonique. Les molécules responsables du goût sucré sont de natures chimiques variées
dont une grande partie sont des hydrates de carbone (Lindemann, 2001).
La perception sucrée est possible grâce à la liaison d'une molécule sucrée à un dimère de
récepteurs : T1R2/T1R3. Ces récepteurs sont des GPCR à sept hélices transmembranaires avec un
long domaine N-terminal extracellulaire impliqué dans la reconnaissance et la liaison du ligand
(Chandrashekar et al., 2006). L'activation du dimère T1R2/T1R3 entraîne la cascade de
transduction décrite figure 2, qui va mener à la libération d'un neurotransmetteur et à la
dépolarisation des cellules voisines.
Une autre voie de transduction existerait pour certains composés sucrés et est
actuellement étudiée. Lors de la liaison du composé au récepteur, la dissociation de la gustducine
L'amertume et ses récepteurs
entraînerait l'activation de l'Adénylate Cyclase (Enzyme), ce qui ferait augmenter la concentration
en AMPc dans la cellule et causerait une dépolarisation (Gilbertson et al., 2000). De la même
façon que pour les autres voies, cette dépolarisation entraînerait un relargage de Ca2+ puis une
libération de neurotransmetteur.
Ce dimère T1R2/T1R3 est capable de reconnaître une multitude de composés différents à
lui seul, grâce aux nombreux de sites de liaison présents sur sa partie extracellulaire (Zhao et al.,
2003; Temussi, 2009).
La perception de l'umami :
La saveur umami vient du Japon où le mot veut dire "délicieux". C'est un goût très
plaisant qui se rapproche du sucré, et qui est dû à la présence de L-Glutamate (Lindemann, 2001;
Chandrashekar et al., 2006).
Pendant longtemps, le récepteur supposé de cette saveur a semblé être une forme
tronquée du récepteur mGlu4 (Lindemann, 2001; Zhang et al., 2003). Des recherches plus
récentes ont démontré qu'il s'agit en réalité du dimère T1R1/T1R3 qui est très proche du
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récepteur au sucré (Gilbertson et al., 2000; Chandrashekar et al., 2006). Lors de la liaison du
ligand à son récepteur, la cascade de transduction est la même que celle décrite pour la
perception du sucré impliquant la PLCβ2 (figure 2) (Gilbertson et al., 2000; Chandrashekar et al.,
2006). Ces récepteurs sont sensibles aux vingt L-acides aminés que l'on retrouve dans les
protéines mais pas à leurs énantiomères les D-acides aminés.
La perception de l'amer :
La perception des composés amers est un véritable rempart contre les molécules
toxiques ou dangereuses pour l'organisme (Adler et al., 2000; Lindemann, 2001; Mueller et al.,
2005; Scott, 2005). En effet, une forte amertume étant très désagréable, un fort effet de
répulsion évite leur ingestion et tous dommages pour l'organisme.
La perception de l'amer est assurée par une famille de récepteurs : les T2R (Adler et al.,
2000; Chandrashekar et al., 2000; Lindemann, 2001). Très proches des GPCR, ils induisent la
même cascade de transduction que le sucré et l'umami, qui sera décrite plus en détail dans la
seconde partie de cette étude. Cette transduction conduit à la dépolarisation de la cellule puis à
la libération de neurotransmetteur et la dépolarisation des cellules voisines.
Composé acide
Composés amers,
sucrés, umamis
PKD2L1
Composé salé
T2R ou T1R
ENaC
L'amertume et ses récepteurs
αβγ
+
PLCβ2
H
+
Na
PIP2
2+
Canal Ca
DAG
TRPM5
IP3
Cellule
gustative
2+
Ca
DEPOLARISATION
Libération de
Neurotransmetteur
Figure 3 │ Schéma récapitulatif des cascades de transduction des cinq saveurs principales : le salé, l'acide,
l'amer, l'umami et le sucré. (d'après Simon et al., 2009) C'est un schéma de synthèse : les T1R et T2R ne sont
pas retrouvés dans les mêmes cellules.
Les saveurs salées et acides partagent une voie induite par l'activation d'un canal ionique, tandis que le sucré,
l'umami et l'amer partagent une voie induite par l'activation d'un récepteur. PIP2 = Phosphatidylinositol-triphosphate, PLCβ2 = Phospholipase C β2, DAG = DiacylGlycérol, IP3 = Inositol-tri-Phosphate, ENaC = Canal Sodique
Epithélial, TRMP5 = canal cationique, αβγ = 3 sous-unités de la gustducine
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II. L'amertume et ses récepteurs
A. Présentation de composés amers connus
Dès sa naissance, un nouveau-né est capable de percevoir les différentes saveurs. Une
cuillère d'eau sucrée est instantanément appréciée, de l'eau peu acide ou salée est relativement
bien acceptée, tandis qu'un composé amer sera instinctivement rejeté. Ce rejet de l'amer vient
d'un réflexe de survie des hommes préhistoriques dont la cueillette contenait souvent des
composés amers qui s'avéraient la plupart du temps très toxiques.
Plus que pour les autres goûts, le seuil de détection des molécules amères est très bas : 1
µmol suffit. Par exemple, le seuil de détection de la quinine est de 25 µmol/L, tandis que celui du
saccharose est de l'ordre de 10 000 µmol/L (Drewnowsky et Gomez-Carneros, 2000). De plus, ces
molécules sont très nombreuses et de nature chimique souvent bien différentes. Ainsi, on trouve
entre autres des acides aminés (9 d'entre eux) et des peptides, des phénols et polyphénols (dont
les flavonoïdes), des urées et thio-urées, des esters et lactones, des acides gras, ou encore des
terpènes (Sanoner et al., 1999; Drewnowsky et Gomez-Carneros, 2000; Renard et al., 2011). Une
autre source riche en composés amers est l'ensemble des réactions, dont les produits issus des
réactions de Maillard et des fermentations. Cette diversité n'est pas étonnante au vu de la taille
de la famille des T2R (récepteurs étudiés en III-B).
En plus de la
diversité des composés amers, on observe également de grandes
différences entre les individus au niveau de leur perception. C'est notamment le cas en présence
L'amertume et ses récepteurs
du Propylthiuracil (PROP) et de la Phénylthiocarbamide (PTC) (figure 4a) qui sont perçus comme
très amers par certains et dépourvus d'amertume pour d'autres (Bauer et al., 2010). Certaines
personnes appelées "super-gouteurs" les perçoivent même comme extrêmement amers. Cette
variabilité de perception d'un même composé est très intéressante pour les généticiens qui ont
pu ainsi avancer sur l'expression génétique des récepteurs de ces composés. Cette variation de
sensibilité est directement liée aux différents allèles du gène codant pour le récepteur qui lui est
propre.
A
B
Figure 4a │ Structures chimiques du Propylthiouracile (PROP) (A) et de la Phénylthiocarbamide (PTC) (B),
composés fortement amers.
Il n'existe pas d'inventaire des molécules amères. Cependant, on estime que leur nombre
se monte à plusieurs centaines rien que pour les composés naturels (Meyerhof et al., 2010).
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Beaucoup d'entre eux sont retrouvés dans la nourriture et les boissons (Bauer et al., 2010) dont
un certain nombre de polyphénols. Rien que pour les plantes, au moins 10% d'entre elles
synthétisent des métabolites qui sont amers. C'est même une des caractéristiques de la bière, et
de certains vins et cidres. Voici certains de ces composés amers qu'on peut retrouver dans
l'alimentation :
−
Les flavonones : sous-groupe des flavonoïdes qui ont généralement une partie glycosylée.
La naringine présente dans le pamplemousse et la néohespéridine présente dans les
agrumes sont des flavonones particulièrement amers (figure 4b).
OH OH
OH
OH OH
OH
OCH3
H O
H
O
H
HO
HO
O
H
H
H
H
H O
O
H
OH
CH3
H
H
H
C
O
HO
HO
O
H
H
H
OH
OHO
O
H
OH
OHO
O
H
OH
CH3
H
O
D
H
H
Figure 4b │ Structure chimique de la naringine (C) et de la néohespéridine (D), composés amers de la
famille des flavonones (polyphénols).
L'amertume et ses récepteurs
−
Les procyanidines : polymères de catéchine ou d'épicatéchine qu'on retrouve dans les
pommes à cidre et dans certains vins. Ce sont des composés dont l'amertume varie en
fonction du degré de polymérisation. (figure 4c)
E
Figure 4c │ Structure chimique de la procyanidine B2 (E), composés amers de la famille des procyanidines
(polyphénols).
−
Les alcaloïdes : on trouve ces métabolites secondaires azotés dans de nombreuses
plantes. La caféine et la quinine, composés connus pour leur amertume en font partie
(figure 4d).
F
G
Figure 4d │ Structure chimique de la caféine (F) et de la quinine (G), composés amers de la famille des
alcaloïdes.
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En plus de ces composés amers naturels, certains sont obtenus par synthèse. C'est le cas
du benzoate de dénatonium, un des composés les plus amers qui soit. Il est aussi amer que la
quassine, qui est le composé naturel le plus amer connu. C'est une des références amères les plus
utilisées dans les études sur l'amertume, grâce à sa reconnaissance par les humains et les souris.
De façon générale, les composés amers les plus connus sont la quinine, la strychnine, la
caféine, la quassine, le dénatonium, le cycloheximide, le PTC et le PROP,
B. Les récepteurs à l'amertume : la famille des T2R
A la fin des années 1990, une nouvelle famille multigène de récepteurs a été découverte
et identifiée comme récepteurs amers : les T2R (Adler et al., 2000; Chandrashekar et al., 2000;
Lindemann, 2001). Ils sont exprimés exclusivement dans les cellules gustatives. La découverte de
ces récepteurs s'est faite lors de recherche sur les différences de perception des composés amers
entre plusieurs souris (Montmayeur et Matsumami, 2002).
On dénombre 25 T2R chez les humains (Adler et al., 2000; Lindemann, 2001;
Montmayeur et Matsumami, 2002; Singh et al., 2011). Ils sont apparentés à la famille des GPCR
dont ils sont très proches. En tant que tels, ils fonctionnent avec une protéine G (la gustducine) et
un second messager (l'IP3) (Adler et al., 2000; Montmayeur et Matsumami, 2002). Les T2R sont
d'ailleurs co-exprimés dans les TCR avec la gustducine. Il est intéressant de constater que les
composés amers sont reconnus par une famille contenant 25 récepteurs, alors que les composés
L'amertume et ses récepteurs
sucrés et umamis ne sont reconnus que par un seul récepteur chacun.
On retrouve des T2R dans 15% des bourgeons gustatifs. Si les papilles caliciformes et
foliées ont la même densité importante de T2R dans leurs bourgeons, on en retrouve beaucoup
moins dans les papilles fongiformes (Adler et al., 2000). Chaque cellule exprimant des T2R en
exprime de nombreux, voire tous, ce qui permet à une même cellule gustative de pouvoir
reconnaître beaucoup de composés différents (Adler et al., 2000; Finger et Simon, 2002). La
reconnaissance des composés se fait avec une grande sélectivité ligand/récepteur.
Structure des récepteurs
À ce stade de leur étude, la structure des T2R commence à être relativement connue. Ils
sont très proches des GPCR dont ils partagent plusieurs caractéristiques (Adler et al., 2000;
Chandrashekar et al., 2000; Montmayeur et Matsumami, 2002). Voici quelques éléments de leur
structure :
−
Ils ont sept hélices transmembranaires (TM1 à TM7) (Adler et al., 2000; Matsumami et
al., 2000; Scott, 2005; Singh et al., 2011)
−
Ils font entre 290 et 333 acides aminés de long (Singh et al., 2011)
13
SBBB – Servane de FERRAND
−
2013
Ils possèdent une courte extrémité N-terminale extracellulaire et une extrémité Cterminale intracellulaire (Adler et al., 2000; Singh et al., 2011)
−
Il existe de nombreux récepteurs pour de nombreux ligands très variés
−
25 membres : ce nombre est corrélé au nombre très important de composés amers avec
des structures très variées (Travers et Geran, 2009).
On retrouve 30 à 70 % d'identité au niveau des acides aminés entre les membres de cette
famille. D'après de nombreuses études, cette diversité est probablement corrélée à la variété
très importante de ligans amers existants (Adler et al., 2000). La plupart des membres partagent
une séquence très conservée dans les trois premiers segments transmembranaires et dans la
boucle cytoplasmique numéro 2 (Adler et al., 2000; Montmayeur et Matsumami, 2002). Dans
tous les T2R, les boucles intracellulaires ont des séquences très similaires tandis que c'est dans
les portions extracellulaires qu'on retrouve les plus grandes disparités (Singh et al., 2011).
Quelques couples ligand - récepteur
Les humains peuvent percevoir plus d'une centaine de composés amers de natures
chimiques très différentes avec seulement 25 récepteurs (Meyerhof et al., 2010). Si certains sont
reconnus par de nombreux récepteurs, certains d'entre eux ne le sont que par quelques-uns. De
la même façon, de nombreux récepteurs reconnaissent un grand nombre de composés alors que
les autres ne reconnaissent qu'un seul type et sont ainsi plus spécialisés.
Sur les 25 récepteurs de la famille, seuls cinq sont toujours orphelins actuellement, les 20
L'amertume et ses récepteurs
autres ayant été assimilés à leurs ligands (tableau 2) (Behrens et al., 2005; Meyerhof et al.,
2010).
Tableau 2 │ Tableau récapitulatif des ligands connus s'associant aux récepteurs de la famille des T2R
(non exhaustif). (D'après Shi et al., 2003; Behrens et al., 2004; Behrens et al., 2005; Brockhoff et al., 2011)
T2R
Ligand(s)
hTAS2R1
hTAS2R3
hTAS2R4
hTAS2R5
hTAS2R7
hTAS2R8
hTAS2R9
hTAS2R10
hTAS2R13
hTAS2R14
hTAS2R16
hTAS2R38
hTAS2R39
Quelques ligands dont les humulones
1 ligand synthétique
De nombreux ligands dont Denatonium, PROP et la quassine
Cycloheximide
Nombreux ligands dont la strychnine
Quelques ligands
Strychnine, cycloheximide
Quelques ligands
Au moins 33 ligands dont l'acide artistlochique et les humulones
β-glucopyranosides
Ligands synthétiques dont PROP et PTC
Nombreux ligands dont la quinine
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SBBB – Servane de FERRAND
hTAS2R40
hTAS2R41
hTAS2R42
hTAS2R43
hTAS2R44
hTAS2R45
hTAS2R46
hTAS2R47
hTAS2R48
hTAS2R49
hTAS2R50
hTAS2R60
2013
Plusieurs ligands dont les humulones et la quinine
Acide artistlochique, saccharine, acesulfame K
Acide artistlochique, saccharine, acesulfame K, Denatonium
Très nombreux ligands dont la strychnine
Nombreux ligands dont le denatonium
Quelques ligands
Quelques ligands
6-Nitro-saccharine
Fonctionnement des récepteurs
Ces récepteurs fonctionnent comme des GPCR avec l'activation d'une protéine G puis
d'un second messager comme intermédiaire. Lorsque des molécules amères se trouvent dans la
cavité buccale, chacune va se lier à un T2R, ce qui va provoquer son activation. L'activation de ces
récepteurs va provoquer une cascade de transduction aboutissant à la libération de
neurotransmetteur et à la perception de la saveur amère par le cerveau. Cette cascade de
transduction implique plusieurs molécules exprimées sélectivement dans les cellules gustatives :
la gustducine, la PLCβ2 et le canal TRPM5 (Chandrashekar et al., 2000; Zhang et al., 2003;
Chandrashekar et al., 2006).
L'amertume et ses récepteurs
−
La gustducine : C'est une protéine G à trois sous-unités (α, β, γ) co-exprimée dans les cellules
exprimant des récepteurs à l'amer (Adler et al., 2000; Ueda et al., 2003) et presque
exclusivement exprimée dans les cellules gustatives (Simon et al., 2006). La sous-unité α (Gα)
est indispensable à la transduction amère, notamment en tant que signal d'initiation (Ozeck
et al., 2004). Lors de l'activation du récepteur, Gα qui est initialement liée à un GDP va se lier
à un GTP, ce qui entraîne sa dissociation du dimère Gβγ (Sainz et al., 2007).
−
La PLCβ2 : C'est une des quatre isoformes de la PLCβ, qui est exprimée dans les cellules
gustatives (Zhang et al., 2003). Elle intervient en tant qu'élément indispensable dans la
transduction de l'amer. Des expériences sur les souris ont montré qu'un KO de la PLCβ2
donnait des animaux viables et ne présentant pas d'anomalies dans la distribution des T2R ou
de la gustducine. En revanche, ces animaux présentent une perte totale de la perception
amère (Zhang et al., 2003; Scott, 2004; Chandrashekar et al., 2006). La PLCβ2 apparaît donc
comme étant un élément indispensable à la transduction amère.
−
Le canal TRMP5 : C'est un membre de la famille des TRP (canaux cationiques impliqués dans
les cascades de transduction). On les retrouve exprimés dans 50% des cellules gustatives et
chaque T2R est co-exprimé avec un TRMP5 (Zhang et al., 2003). Les souris sur qui un KO de
TRMP5 a été réalisé n'ont plus aucune réponse à des stimuli amers (ni même umami ou
15
SBBB – Servane de FERRAND
2013
sucré), même en présence de très fortes concentrations. Ce canal est donc indispensable à la
transduction amère (Zhang et al., 2003; Scott, 2004).
C'est la liaison d'une molécule amère à un T2R dans la cavité buccale qui enclenche la
cascade de transduction (Zhang et al., 2003; Scott, 2004; Chandrashekar et al., 2006). Cela active
la dissociation de la gustducine grâce à un échange GDP/GTP. La sous-unité α va ainsi activer la
PLCβ2 qui va ainsi cliver le PIP2 en IP3 et DAG. La présence d'IP3 dans la cellule va entraîner la
libération massive de Ca2+ et donc la dépolarisation de la cellule. C'est ce cation qui va permettre
l'ouverture du canal TRMP5, qui laissera entrer des ions Na+. Cette cascade va mener à la
libération de neurotransmetteur au niveau de la fente synaptique, puis à la dépolarisation des
cellules voisines (figure 5).
T2R
TRMP5
α
PLCβ2
β
γ
α
2+
PIP2
L'amertume et ses récepteurs
DAG
IP3
Ca
Figure 5 │ Cascade de transduction de la saveur amère, de l'activation du récepteur à la dépolarisation de
la cellule et la libération de neurotransmetteur. PIP2 = Phosphatidylinositol-tri-phosphate, PLCβ2 =
Phospholipase C β2, DAG = DiacylGlycérol, IP3 = Inositol-tri-Phosphat, TRMP5 = canal cationique, αβγ = 3
sous-unités de la gustducine
Si la voie de transduction est relativement bien connue, le site de liaison d'une molécule
amère à son récepteur semble être plus compliqué à étudier. D'après de récentes études, ce
serait la petite partie extracellulaire qui permettrait cette liaison. Cette étude est plus
compliquée à mener : les ligands amers et de leur nature chimique sont très variés.
Expression génétique des T2R et polymorphismes
Chez l'homme, les gènes responsables de l'expression des 25 membres des T2R sont
localisés sur trois chromosomes, qui sont homologues des chromosomes 6 et 15 de la souris où
sont localisés les gènes des récepteurs à l'amertume (Adler et al., 2000; Matsumami et al., 2000;
Shi et al., 2003) :
−
9 gènes sur le Chromosome 7 (7q31)
−
15 gènes sur le Chromosome 12 (12p13)
−
1 gène sur le Chromosome 5 (5p15)
16
SBBB – Servane de FERRAND
2013
Dans une même zone, on retrouve à des emplacements très proches à la fois les gènes de
récepteurs très proches ou très éloignés d'un point de vue génétique. Ces gènes sont
généralement liés à des loci de composés impliqués dans l'amertume tels que celui de la
gustducine et du PROP (un des composés les plus amers existants) (Adler et al., 2000; Shi et al.,
2003). Il est important de noter que d'une personne à l'autre, la perception d'un même composé
amer peut être très différente. Actuellement, plusieurs études sont en cours pour comprendre
pourquoi ces différences existent.
Pour chaque gène codant pour un T2R, on retrouve de nombreux allèles naturels (Adler
et al., 2000; Chandrashekar et al., 2000). Ces différents allèles correspondent aux différences de
perception qu'on constate d'un individu à l'autre, qui sont souvent héréditaires et spécifiques à
chaque composé. Ce sont généralement des substitutions d'acides aminés. Ce sont ces différents
allèles qui modifient le comportement et les réponses cellulaires de chaque personne aux
multiples composés amers (Reed et al., 2006).
Prenons le cas du récepteur T2R38, qui est sensible au PROP et à la PTC. Les différents
allèles du gène sont responsables des différences entre individus au niveau de leur capacité à
percevoir ces deux composés. Une étude génétique au sein d'une même famille a permis
d'identifier ce récepteur comme étant celui du PTC (Prodi et al., 2004). Ici, le polymorphisme est
une variation de trois nucléotides, qui donne 5 haplotypes possibles qui influent sur sa sensibilité.
Une homozygotie entraîne une forte sensibilité à la PTC tandis qu'une hétérozygotie diminue
fortement cette sensibilité. Généralement, les polymorphismes des T2R sont le plus souvent des
SNP (Single-Nucleotide Polymorphism) (Ueda et al., 2001).
L'amertume et ses récepteurs
Si les récepteurs aux saveurs sucrées, umamis et amères induisent la même cascade de
transduction, leur expression est, elle, totalement indépendante (Reed et al., 2006; Travers et
Geran, 2009). Dans les cellules exprimant des T2R, on ne retrouve jamais de T1R et inversement.
Les T2R sont généralement les seuls récepteurs gustatifs présents dans une cellule.
Voie neuronale induite
Les cellules gustatives ne sont pas des neurones et n'envoient donc pas d'axones vers le
système nerveux. Elles sont connectées à des fibres sensitives venant de trois nerfs crâniens
(Scott, 2005) :
−
Des fibres sensorielles de la corde du tympan (nerf crânien VII) innervent les papilles
fongiformes de la langue antérieure et le palais
−
Des fibres sensorielles glossopharyngiennes (nerf crânien IX) innervent les papilles
foliées et caliciformes de la langue
−
Des fibres sensorielles de la branche laryngée supérieure (nerf crânien X) innervent
l'épiglotte et le larynx
17
SBBB – Servane de FERRAND
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Les cellules gustatives se régénérant tous les dix jours, les nerfs afférents doivent donc
s'en détacher et former de nouvelles synapses avec les nouvelles cellules (Lindemann, 2000;
Scott, 2005). Il apparaît clairement que certains neurones sont spécialisés dans la transduction
des informations amères (Singh et al., 2011).
La libération de neurotransmetteur par une cellule gustative va dépolariser la cellule
voisine mais surtout activer la fibre nerveuse à qui elle est connectée (fibre des nerfs VII, IX ou X).
Les informations sont transmises jusqu'au noyau rostral du tractus solitaire qui fait office de
relais gustatif primaire (Lemon et Smith, 2005; Travers et Geran, 2009). Les neurones vont alors
projeter sur la formation réticulée ou sur le noyau para-brachial du pont. Après ce relais, les
informations seront transmises au cortex gustatif (au niveau de l'insula) après un dernier relais
L'amertume et ses récepteurs
dans le noyau ventro-postéro médian du thalamus (Purves et al., 2005; Chen et al., 2011).
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III. Conclusion
Les humains disposent d'un système gustatif suffisamment développé pour détecter et
analyser avec précisions les cinq saveurs principales. Des études de cette perception des saveurs
a permis de mettre en évidence deux types de perception : celle du salé et de l'acide impliquant
l'activation d'un canal ionique; et celle de l'amer, du sucré et de l'umami impliquant l'activation
d'un récepteur. La perception de ces trois dernières apparaît comme assez liée, chacune
induisant une même cascade de transduction décrite dans cette étude.
A cause de son association à des molécules souvent toxiques pour notre organisme,
l'amertume mérite peut-être une attention particulière. D'autant plus qu'en raison du grand
nombre de composés amers existant, c'est la saveur la plus méconnue et la plus difficile à
étudier. Faisant l'objet de nombreuses études, les récepteurs à l'amertume (les T2R) sont de
mieux en mieux connus. Outre leur structure et leur mode de fonctionnement dont l'étude est
déjà assez avancée, c'est la liaison du ligand à son récepteur qui pose de nombreuses questions.
La variation important de nature et de structure chimique des composés amers est une
difficulté dans l'étude des récepteurs. Certains composés sont identifiés en tant que ligand pour
certains T2R mais c'est loin d'être leur cas à tous. C'est notamment le cas des polyphénols, dont
de nombreux sont connus comme molécules amères voire très amères. Pourtant, les études
portant sur ces T2R n'en font que très rarement mention, et ils ne sont pas testés comme ligands
potentiels. Il serait intéressant pour des recherches futures de tester ces polyphénols sur ces
récepteurs, notamment les procyanidines, qui sont responsables, entre autres, de l'amertume
L'amertume et ses récepteurs
des cidres.
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