Le marché de la voiture de course de collection

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Le marché de la voiture de course de collection
Le sport automobile
Entre passions, légitimités et enjeux sociétaux
Le marché de la voiture de course de collection
Hervé Poulain
Commissaire-priseur
Président fondateur du SYMEV (Syndicat National des Maisons de ventes aux
enchères) et du CNMA (Conseil National du Marché de l'Art)
Merci de cette présentation flatteuse. Je suis le commissaire-priseur « le plus rapide du
monde » et je vais essayer de rattraper le retard pris par les débats.
« Tous les progrès de la civilisation ne sont qu’utilisés, l’automobile elle, est vécue ». Cette
phrase de Pierre Gascar établit la dimension du mythe automobile, mais celui-ci s’est
beaucoup dégradé (banalisation des modèles, pollution, engorgement des voies de
circulation, limitations de vitesse, hécatombe dominicale...). Cependant il survit dans sa
forme nostalgique, la collection, et dans sa forme héroïque, la course. J’ai la chance
d’avoir passé ma vie au centre de ces deux activités. L’on me demande de vous parler du
marché.
1) Le marché
Une remarque préliminaire : le public mesure la beauté des choses notamment par la
sanction du marché. Quand j’adjuge « Le Baiser » de Doisneau pour 150 000 euros, le
public pense : « Ah, la photo, c’est donc un art ! » Quand j’adjuge la couverture de « Tintin
en Amérique » 1,35 million d’euros, le public dit : « Ah, la BD, c’est donc un art ! » Quand
Artcurial a adjugé l’année passée la voiture de Vadim 4,5 millions, le public se dit que
l’automobile ce n’est pas seulement un art d’application ou un art d’industrie, c’est un art
tout court !
Les ateliers du CCFA – 27 juin 2013
Le sport automobile
Entre passions, légitimités et enjeux sociétaux
Le marché obéit aux mêmes critères d’appréciations que les autres spécialités de l’art.
Mais il a quelques spécificités.
La première c’est que la notion de progrès n’a aucun sens en Art alors qu’elle est
essentielle en matière d’automobile. C’est ainsi que peu à peu les collectionneurs
amateurs de vétérans disparaissent au profit de nouvelles générations sensibles à la
vitesse, au freinage et à la fiabilité.
Toutes les créations humaines visent plus ou moins l’esthétisme. C’est vrai pour
l’automobile classique, l’époque de son Age d’or où l’amateur allait chez son carrossier,
choisissait la ligne à partir du châssis mais encore l’aménagement intérieur, les draps, les
accessoires : une recherche de beauté a priori. Il en va tout autrement des voitures de
course dont la beauté est le fruit de l’efficience et découle de l’efficacité de ses appuis
pour tenir la route et de sa finesse pour aller vite. C’est une beauté a posteriori.
Le plaisir suprême d’un collectionneur est de conduire son automobile. On n’utilise pas un
tableau. On n’utilise pas une commode ou si peu. Dans les critères d’appréciation,
l’éligibilité des autos soit aux concours d’élégance soit dans les compétitions classiques,
compte énormément.
Il y a aussi une différence entre la provenance d’un objet et le palmarès d’une automobile
de course. Je dis souvent, un peu à titre de provocation que je vends un pedigree, des
expositions, une bibliographie, une histoire et que je donne le tableau. Ainsi des
automobiles qui ont appartenu à des célébrités. Mais nous sommes là dans un domaine
subjectif et fétichiste. Il en va de même pour le bolide qui aura été animé par un pilote
mythique. Mais ce qui donnera sa plus value incomparable à une voiture de course c’est
qu’elle soit une gagnante. Elle est née pour une finalité qui est la victoire et n’atteint sa
plénitude d’objet qu’en franchissant la ligne devant les autres. C’est une donnée objective.
Les ateliers du CCFA – 27 juin 2013
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2) Le marché et la position de la France sur ce marché.
En 1955, Paris occupait 50 % du marché de l’art mondial. Aujourd’hui, il représente un
petit 5 %. Je vous laisse méditer sur cette dégringolade alors que nous nous donnons
toujours des grands airs. Le patrimoine s’est beaucoup exporté. Si vous ouvrez un
catalogue de vente à New York, vous verrez que les tableaux impressionnistes, cubistes
et abstraits sont à New York depuis déjà des générations. Il y a deux raisons à cela.
La première, le pouvoir d’achat. J’ai vendu des œuvres impressionnistes alors que le
dollar était à dix francs. Les Américains faisaient leur marché sans se déchirer.
Et puis, il y a eu les pouvoirs publics ont joué un rôle néfaste en ne reconnaissant pas les
mérites des collectionneurs, et je parle sous le contrôle d’un magnifique Conservateur,
Directeur du Patrimoine, Monsieur Rapetti, que le mot « marché » n’effraie pas et qui aime
l’automobile. Les pouvoirs publics n’ont pas, comme dans les autres pays, donné au
collectionneur un statut et la reconnaissance qui s’y attache car tous nos musées ont été
enrichis par les dations et les successions. Nous sommes le seul pays au monde dans
lequel un collectionneur qui prête une œuvre cache son identité.
Et, c’est pareil pour l’automobile : le collectionneur français est considéré par son
administration comme un spéculateur sinon un fraudeur !
Lors de la vente Rétromobile l’an passé, 22 voitures ont dépassé les 100 000 euros. 4
sont restées en France ! Participent à ces achats des pays émergents. Les Russes
jusqu’à présent, étaient au téléphone ou représentés par des intermédiaires. Lors de la
vente Lecoq les Russes étaient physiquement présents dans la salle.
J’ouvre une parenthèse en apercevant Christian Huet qui a été mon premier expert dans
les ventes en 1973, c’était un tout jeune homme, un adolescent pubère ; c’était l’âge béni
pour les experts ; deux lignes, une photo en noir et blanc ; aujourd’hui, il faut écrire
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plusieurs pages sur chaque voiture.
Conclusion
Devant la carence des pouvoirs publics incapables de dégager des budgets pour
empêcher l’hémorragie exportatrice, il n’y a d’autre rempart que les collectionneurs privés.
Or, je vous mets au défi, à part la collection de notre cher Bardinon, de citer aujourd’hui,
une collection significative française. Je vous mets au défi, de me citer, comme les
Seydoux jadis, un nom qui pèserait sur le marché en France.
Tout cela est pathétique et révélateur : il y a une règle historique, maintes fois vérifiée :
qu’il existe une corrélation entre le pouvoir créateur d’un pays et son pouvoir créateur. Or,
aujourd’hui, nous n’exportons plus nos artistes. Nos créateurs contemporains sont au bord
du chemin. Ils n’intéressent absolument plus le marché international et il y a deux ou trois
zéros d’écart entre eux et les artistes des marchés dominants. Que nous ayons du mal à
vendre nos automobiles ne me surprend pas…
Ce sont des appréciations que je vous livre à toute allure. J’en ai même perdu une
conclusion que je voulais optimiste.
Pascal Griset
Merci pour ce lien entre création et design. Marcel Dassault disait qu’un bel avion volait
bien. En France, l’on continue à faire de beaux avions qui volent encore et je crois que l’on
continuera. Donc, tout espoir n’est pas perdu.
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Hervé Poulain
Le point d’actualité que l’on pourra évoquer nous vient de l’administration qui souhaite
réduire la qualité d’œuvre d’art pour la plupart des automobiles anciennes, lesquelles ne
seraient plus exonérées de l’ISF…
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