La dernière marche - Le CRDP d`Aquitaine
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La dernière marche - Le CRDP d`Aquitaine
PISTES D'ANALYSE AVEC DES LYCEENS Tim Robbins, ou l’intelligence de l’engagement. « Il semble évident que Tim Robbins pratique en toute conscience un cinéma d’intervention. D’avant la political correctness. » J. P. Jeancolas, Positif n°422, avril 1996. Dans un premier temps, Il semble inutile d’étudier ce film à travers la grille d’analyse des « Trois Temps » : (Récit, Caméra, Spectateur). Certes, cette fiction a déjà presque 6 ans, mais sa vision par un jeune public de 2001 ne devrait poser aucun problème de référents historiques ou culturels : les récentes exécutions aux Etats-Unis, très médiatisées, permettent aux spectateurs d’être immédiatement de plain-pied dans l’histoire. Néanmoins, une analyse plus fine sur les spécificités des Etats-Unis (place de la religion, fonctionnement de la machine judiciaire avec la différence Etat/fédéral) et de la Louisiane (les noms d’origine française, les plans sur les champs de coton) pourra renforcer, avec une démarche pluridisciplinaire type Français/Anglais/Histoire-géo, l’efficacité du propos du réalisateur. Autre évidence, la dimension universelle du film : comme toute fiction bien pensée et bien écrite, le particulier renvoie au général et pourquoi pas à l’intemporel. Dans un deuxième temps, l’erreur à ne pas commettre serait de réduire le film à un plaidoyer abolitionniste. Certes, le point de vue de l’auteur n’est certainement pas de justifier la politique d’exécutions massives de certains états américains : on retrouve dans le schéma fictionnel tous les arguments du mouvement abolitionniste des Etats-Unis (le procès bâclé, l’accusé mal défendu faute d’argent, l’instrumentalisation des exécutions par les politiciens locaux, le poids dramatisant des médias, etc) ; le tout étant renforcé par des dialogues très explicites (« Il n’y a que des pauvres dans ce couloir de la mort » ; ou encore plus derrière les paroles de Poncelet : « Je crois que tuer, c’est mal, peu importe celui qui tue, que ce soit moi, vous, ou le gouvernement »). Pourtant, ranger Dead Man Walking parmi la famille des films à thèse des années 70 en Europe serait réduire la qualité du travail cinématographique de Tim Robbins, à la fois sur la forme et sur le fond. La forme : J. P. Jeancolas, dans Positif, parle d’un « vrai travail de metteur en scène. Outre la direction d’acteurs […] Tim Robbins contrôle rigoureusement les espaces, joue sur les éléments qui séparent les grilles, les guichets… ». On le verra plus loin, et également dans deux exemples de découpage séquentiel, le film de Tim Robbins est très écrit et très construit. Le fond : le récit est construit très classiquement, mais refuse deux « moteurs » qui auraient surdramatisé le film : d’abord l’absence totale de suspense, car deux évidences s’imposent vite aux yeux du spectateur : il n’y a pas d’erreur judiciaire (la seule inconnue étant le rôle exact de Poncelet dans le double meurtre) donc l’exécution s’avère inéluctable après l’échec du recours devant la commission des grâces. De même, le réalisateur n’insiste pas beaucoup sur les derniers efforts du condamné (les plans sur le détecteur de mensonge, l’extrême rapidité de l’annonce par le directeur de la prison du refus de la cour fédérale) ou sur le fonctionnement de la machine judiciaire (peu de plans de procès, peu de plans sur le travail de l’avocat…). Ensuite, et c’est peut-être l’aspect le plus important, tout est fait pour éviter, sauf à la toute fin, la compassion du spectateur envers le condamné : le meurtre est gratuit, pervers ; le meurtrier est frustré culturellement mais intelligent ; il est récidiviste, raciste (ses discours sur les Noirs ou Hitler…) à tel point qu’il fait vaciller Sœur Helen elle-même. Enfin, le jeu d’acteur de Sean Penn, renforcé de détails corporels (les tatouages, la « barbiche à la Méphisto » selon François Gorin dans Télérama n°2411 de mars 1996), empêche l’identification entre le spectateur et le condamné : Poncelet est indéfendable. On le voit donc, Dead Man Walking est un film complexe qui résiste à une grille d’analyse simple. Tim Robbins a donc fait le pari, tout en filmant somme toute de manière assez classique, de placer le spectateur – et donc l’analyste – en position de questionnement permanent. Par quels angles « attaquer » alors l’analyse du film ? On peut suggérer, très subjectivement, trois pistes : 1°) La volonté du réalisateur de prendre en compte toutes les facettes du récit, tous les points de vue : on pourrait parler de film « multipolaire ». 2°) L’omniprésence du religieux (et non pas de l’institution religieuse) 3°) Le dialogue comme moyen d’obtenir la rédemption. Un film multipolaire Dès la séquence inaugurale (voir partie C) le réalisateur monte ses plans de façon complexe pour établir à la fois des passerelles temporelles ou fictionnelles, mais aussi pour établir des parallèles. Cette recherche du parallélisme est une constante du film. On peut en retrouver au moins huit exemples différents : - La vie / la mort : des dialogues ou des situations humoristiques succèdent sans transition au tragique ; le personnage du médecin qui soigne Sœur Helen mais qui prépare l’exécution de Poncelet ; l’entrevue finale entre Poncelet et sa famille où les larmes et le silence succèdent au rire… - La vie quotidienne : Poncelet (quelques plans suffisent à montrer la misère matérielle et culturelle de cette famille de « petits blancs ») / Prejean (le repas de famille riche suit immédiatement la première entrevue entre Sœur Helen et la mère du condamné). - La douleur de la mère du condamné / celle des parents des victimes. - Les préjugés raciaux de Poncelet / les préjugés des victimes sur les condamnés à mort (« tous ces monstres »). - Les photos : enfance des victimes / enfance de Poncelet / meurtre. - Les citations de la Bible : l’ambiguïté du « Tu ne tueras point » / La brutalité du « œil pour œil » / l’amour de « toute personne vaut mieux que la pire des actions »… Deux parallèles semblent même encore plus appuyés que les précédents : - La violence du condamné / celle de tous les personnages (le récit de l’envie de meurtre de Mr. Percy, ou plus finement encore, le flash back sur l’enfance de Sœur Helen où même elle est capable de violence à l’égard d’un oppossum déjà mort ou de sa propre mère). - L’exécution / le meurtre des deux adolescents : c’est évidemment le point d’orgue du film, c’est aussi la séquence la plus construite (voir partie C). Ainsi, le spectateur, en quelque sorte « habitué » à ces constants parallèles ne peut que s’interroger, que douter. Le parallèle final peut même être interprété comme abolitionniste (le meurtre froid de l’état au même niveau, voir plus terrible, que le meurtre brutal dans la forêt) mais aussi, et à l’opposé, comme une justification « égalitaire » de la peine de mort : au meurtre répond le meurtre. Enfin, ces parallèles permanents empêchent le film d’être récupéré par une lecture unilatérale, disons même militante (même s’il est très peu probable que les « pro » peine de mort réclament à cause de la rédemption, et qu’il est plus probable que le film serve plus, à cause justement de sa finesse, le camp abolitionniste). Cette construction du (des) point(s) de vue n’implique pourtant pas une construction filmique complexe : le récit est presque totalement linéaire, avec des indicateurs temporels précis : on apprend après la commission des grâces que le condamné n’a plus que 7 jours à vivre, les jours restants sont scandés par les dialogues. De même, l’exécution est filmée en temps réel (avec la récurrence, peut-être excessive, des gros plans sur l’horloge). Les seuls flash-back concernent la vie passée de Sœur Helen (alors que très symboliquement, ce n’est pas le cas pour Poncelet : risque de compassion pour un meurtrier enfant ou victime !) ; le meurtre (le récit du couple Percy, le déroulement du meurtre lui-même, distillé entre le début et la fin du film) et la période entre le jugement et la rencontre avec Sœur Helen). Mais même ces retours en arrière participent au parallélisme recherché par Tim Robbins : les plans sur l’opossum, on l’a vu, mais aussi par exemple le récit de la disparition des enfants : la durée (6 jours) rejoint la durée de l’agonie de Poncelet (7 jours). La multipolarité est enfin renforcée par les sorties de la caméra en dehors de la prison. De fait, le film, en dehors de la séquence inaugurale informative, aurait pu se passer intégralement dans la prison, si le propos du réalisateur n’avait pas porté que sur le point de vue de Sœur Helen, du condamné, ou sur son propre point de vue envers les deux personnages, leurs rapports et leur évolution. Tim Robbins refuse ce choix, l’extérieur ne reste pas hors champ : voir les séquences sur la vie et l’action de Sœur Helen, sur la manifestation lors de l’exécution qui précède celle de Poncelet, sur l’entrevue avec le gouverneur et la duplicité de celui-ci (on retrouve ici l’argument de Bob Roberts ) et surtout les séquences de dialogue entre Sœur Helen et la mère du condamné d’une part, et les parents des victimes d’autre part. Ainsi, même si l’essentiel de l’action est bien sûr constitué des entrevues entre la religieuse et Poncelet, Tim Robbins prend le temps d’élargir son propos : les personnages secondaires ne sont pas négligés. C’est donc un film multipolaire qui empile les points de vue, mais non un film éclaté : sa construction reste très classique, avec très peu de recours à la caméra subjective : le spectateur est toujours en position de témoin. L’omniprésence du religieux. Thierry Valletoux, qui a tout compris au film, indique dans Studio Magazine d’avril 1996 que [le film est] « loin de toute considération religieuse ». Qu’on permette à l’auteur de ces lignes de réfuter totalement cette thèse ! Prenons simplement comme exemple la première séquence : le flash-back sur l’enfance et l’adolescence de Sœur Helen, filmé en fausse caméra amateur, montre les différences étapes de sa foi et de son ordination ; encore plus significative est la dernière image de cette même séquence qui montre en gros plan la croix sur la poitrine de la religieuse passant au détecteur de métal : c’est le seul petit objet qui fait sonner l’appareil, comme si la foi animant la religieuse était tout de suite montré comme élément perturbateur de la routine carcérale. Deuxième exemple, la musique off. Elle est utilisée dès l’amorce du film, accompagne les flash-back et structure la séquence de l’exécution ainsi que l’épilogue. Le choix des musiques révèle alors une double recherche de la part du réalisateur : d’abord, elle renforce l’aspect « propos particulier touchant à l’universel ». Si Bruce Springsteen signe la chanson Dead Man Walking, accompagnant le générique de fin (qui de plus américain que le « Boss » ?), si des références à la country music ou au Gospel apparaissent assez souvent, les séquences essentielles sont accompagnées d’adaptations de chants traditionnels religieux arméniens et surtout de chants pakistanais Nusrat Fateh Ali Khan, le maître du Qâwâli, une des expressions musicales et religieuses les plus sophistiquées du monde musulman. Ensuite, la musique est un des vecteurs de l’apaisement et de la rédemption du condamné. Lors de la dernière entrevue entre Sœur Helen et Poncelet, la religieuse, interdite d’appareil, chante « Be not afraid » a capella, donc dans son expression la plus épurée. Troisième exemple : les citations de la Bible sont nombreuses dans tous les dialogues du film, y compris avec les gardiens (dont un dit symboliquement « Je ne jouerais pas au jeu des citations avec vous, je suis sûr de perdre »). Ces citations, ou la Bible elle même, sont elles aussi un des vecteurs de la rédemption de Poncelet : de manière assez décalée, Sœur Helen présente même sa lecture comme une « échappatoire » à l’exécution. Quatrième et dernier exemple : l’exécution « christique » de Poncelet : gros plans sur les pieds et les mains attachés et plan américain lors de ses dernières paroles à l’adresse des parents des victimes : c’est le Christ en croix encadré par deux gardiens (les deux larrons ? les soldats romains ?). Alors, Dead Man Walking, une bondieuserie à l’américaine ? (Télérama va jusqu’à écrire, par l’intermédiaire de François Gorin, « Comment filmer la grâce ? ») Difficile de balayer l’argument d’un revers de main. C’est vrai que le réalisateur insiste parfois lourdement peut-être sur cet aspect. N’oublions pas d’abord qu’un point de vue européen, a fortiori français, a du mal à appréhender cette réalité des Etats-Unis. Ensuite, comme pour contrebalancer son propos, Tim Robbins oppose plutôt la foi pure – donc aussi le doute, la fragilité – de Sœur Helen à l’institution catholique personnifiée par l’aumônier Farley. Passons sur quelques « piques » à propos du Vatican et intéressons nous plutôt sur sa mise en place dans le film et du traitement de ce personnage par l’image : dans la première entrevue avec Sœur Helen, un champ / contre-champ classique, la caméra resserre le cadre et dramatise avec le récit du meurtre par Farley. C’est donc par le prisme de la hiérarchie que Sœur Helen rentre dans l’histoire. Autre exemple, les conseils et instructions pour le moins prudentes données à la religieuse par l’aumônier lorsqu’elle décide d’aller jusqu’au bout avec Poncelet : « obtenir qu’il accepte les saints sacrements de l’Eglise [...] ni plus ni moins ». Enfin, encore plus symptomatique, sa place dans la séquence de l’exécution : il apparaît en plan américain en train de bénir l’accusé qui arrive vers lui (travelling avant et rare utilisation de la caméra subjective) mais est très vite « effacé » par l’arrivée brutale d’un gardien par la droite du cadre : « Vous n’avez pas le droit d’aller plus loin », mais il s’adresse à Sœur Helen et n’accorde même pas un regard à l’aumônier, comme s’il était totalement étranger à l’action. La foi de la religieuse elle-même est mise en péril par ses doutes sur l’accusé (les plans sur sa réaction après le discours de Poncelet sur Hitler, agrémenté de propos négationniste) et sur sa difficulté de contrebalancer son empathie chaotique mais réelle avec le condamné et son empathie avec la douleur des parents Delacroix et Percy : eux-mêmes sont présentés comme très religieux ; mais si le personnage de Delacroix, complexe, est un des enjeux de la rédemption, l’entrevue avec les Percy tourne à la confusion. Symboliquement, Mr Percy assène à Sœur Helen un « Vous ne pouvez pas jouer sur les deux tableaux » on ne peut plus déstabilisant, à la fois pour le personnage de la religieuse, mais aussi pour le spectateur, voire pour l’auteur du film lui-même ! Donc, Tim Robbins ne veut surtout pas montrer Sœur Helen comme une « Mère Térésa » parfaite des condamnés : dès la première séquence, elle est qualifiée amicalement de « Sœur Helen des éternels retards » et son poème est sorti « tout bavouilleux » dans le journal du centre social. Enfin, lors de ces dialogues avec Poncelet, elle n’épargne rien au condamné : elle fait mouche sur la question de la responsabilité inéductible de celui-ci. C’est donc un amour christique qui est donné à voir ici, mais sans aveuglement béat et toujours sur la corde raide : Susan Sarandon a indiqué qu’avec son personnage elle avait « constamment l’impression d’être toujours au bord de l’abîme ». Le dialogue comme recherche et obtention de la rédemption Le film aborde en champ/contre-champ, figure classique du traitement du dialogue au cinéma. Néanmoins, on peut noter des variantes plus subtiles : lors de la première entrevue de découverte entre Sœur Helen et Poncelet, la séparation opère comme un voile translucide entre les deux protagonistes, puis s’efface progressivement quand le dialogue devient plus profond ; autre figure de ce style récurrente, le resserrement du cadre (quelquefois jusqu’à faire disparaître séparations et barreaux) lors des échanges les plus intimes ; enfin, la caméra perpendiculaire à la séparation, abolissant le champ/contre-champ et les barrières. Si Sœur Helen peut dialoguer avec tous les pôles de l’histoire, c’est qu’elle est caractérisée d’abord comme une « ouvreuse de portes » : celle de la prison, bien sûr, mais aussi celle de l’avocat Barber (leur première entrevue n’est même pas montrée, ce qui souligne l’évidence de la capacité de conviction de la religieuse). On peut y ajouter la porte de la mère de Poncelet, celle des parents des victimes, mais aussi celle – symbolique – de la rédemption de Poncelet. Lors de leur dernière entrevue, à l’inverse des précédentes, les barreaux et les séparations ne disparaissent presque jamais du cadre : cela montre à la fois l’impossibilité d’une fusion totale des deux individus, mais aussi que l’essentiel va au delà de la séparation définitive entre deux protagonistes. La caméra de Tim Robbins reste néanmoins pudique (avec quelques écarts, on le verra plus loin) lors des rencontres ou lors des situations extrêmes. Premier exemple, le traitement à l’image de la douleur de la mère : lorsqu’elle apprend le rejet de la commission des grâces, elle est au fond du cadre, hors de la salle d’audience. De même, la dernière entrevue entre Poncelet, sa mère et ses frères, est filmée à distance, y compris la douleur maternelle. Deuxième exemple, la première entrevue entre Sœur Helen et Mr. Delacroix : quand le dialogue commence à s’instaurer vraiment, la caméra « zoome » en arrière et s’éloigne donc pour éviter tout pathos excessif. Rédemption par le dialogue, donc. Partons du titre : « Dead Man Walking ». Prosaïquement, c’est tout simplement la phrase que prononce un des gardiens, pour marquer le début de la procédure finale de l’exécution (traduit en version française par « Le mort est en marche »). Plus symboliquement, il s’agit bien sûr d’une marche vers la rédemption (on le verra dans le découpage séquentiel, la première partie de l’exécution, rythmée par une musique « angélique », d’ailleurs contestable, est articulée autour de la marche du condamné ; elle s’arrête, ainsi que la musique, avec le sanglage sur la table d’exécution). Le titre de la version française, une fois n’est pas coutume, traduit bien cette double signification : dernière translation horizontale vers la mort, dernière étape, dernière révélation qui transcende le trajet du corps pour arriver à la rédemption de l’âme. Toute la fin du film est donc conçue en fonction de cet objectif, et toujours avec le parallélisme des situations : on le verra un peu plus loin, ce n’est pas seulement la rédemption de Poncelet qui est en jeu, mais aussi celle de Delacroix, qui apparaît comme rédemption, contrepoint aussi difficile, sinon plus, que celle du condamné. Là encore, Tim Robbins essaye d’éviter la facilité : comme le dit Sœur Helen à Poncelet, « la rédemption, ça se mérite ». Elle refuse la position de victime, et la comparaison avec Jésus (accordée par le réalisateur par l’image). La rédemption du condamné apparaît donc à l’écran comme un accouchement, une maïeutique. Pas à pas, ou plutôt mot à mot, Poncelet « accouche » de l’aveu final et de sa compassion à l’égard des victimes ; après être allé jusqu’au bout de l’aveuglement et de la haine en leur reprochant d’être responsable par leur seule présence dans les bois la nuit du meurtre. Symboliquement, au moment de la séparation finale dans la cellule, le condamné laisse apparaître un visage enfin apaisé et des larmes sincères. La matérialisation de la rédemption peut alors s’effectuer en position christique lorsqu’il s’adresse aux parents (à l’image, le visage de Delacroix, en retrait, semble plus recevoir ses paroles que les Percy, toujours fermés au premier plan). Enfin, dans un troisième plan, l’accompagnement de Sœur Helen se termine par un parallèle à l’image entre la ligne horizontale du reflet de Poncelet et le bras de la religieuse qui touche symboliquement le corps du supplicié (par commodité, on appellera ce plan « R » dans le découpage séquentiel). Le « Je vous aime » final et les deux regards à très gros plans sur l’aspect froid et clinique de l’exécution, peut alors s’exprimer, mais sans oublier la réalité de l’acte de Poncelet (ultime recours au parallélisme, voir découpage séquentiel). Le cinéaste n’en reste pas là (c’est peut-être une des principales critiques à lui apporter) et traite en épilogue de la deuxième rédemption celle de Delacroix. Après un raccord son (prière des morts) et un fondu enchainé, l’enterrement de Poncelet est, là encore, une « ouverture » de portes : Sœur Helen voit hors-champ Delacroix, qui est immobile en plan américain lors de l’image suivante : c’est bien sûr la religieuse qui fait la démarche de l’ouverture et du dialogue, avec la séquence finale de la prière à l’église. En guise de conclusion, on ne peut donc que constater la construction très précise et très écrite (images, dialogues, bande son) de Tim Robbins. La rigueur du traitement, l’intelligence du (des) point (s) de vue, le refus de la facilité sans évacuer toute émotion ne peuvent qu’entrainer l’adhésion des spectateurs et des critiques (voir partie III). C’est donc un excellent support à la fois d’analyse filmique (on est bien au delà du produit « standard » hollywoodien) et de débat au delà du film sur la complexité des sentiments humains… et bien sûr sur la peine de mort (l’absence de thèse précise, le refus du pamphlet permettent donc une approche plus générale, sans être consensuelle). Ceci dit, quelques points sont critiquables : Sur la forme, d’abord : La rigueur extrême de la construction de la séquence de l’exécution laisse apparaître pourtant deux « faux pas » : d’abord, l’accompagnement musical de la première partie, terriblement angélique, qui souffre de la comparaison avec Nussat Fateh Ali Khan ; ensuite et surtout, le court ralenti et le gros plan sur l’épaule de Poncelet avec la main de Sœur Helen qui clôt ce même ralenti : l’ensemble n’apporte rien de plus que les plans précédents et alourdit – pour ne pas dire gâche – le propos filmique du réalisateur. Sur le fond ensuite : Le film aurait pu (dû ?) s’arrêter à la fin de l’exécution. L’épilogue fait trop « retour à la normale ». Sœur Helen retrouve son centre social où elle est accueillie par des dessins d’enfants, ces mêmes enfants qui l’avaient rejeté à cause de son soutien à Poncelet ; et, comme on l’a déjà vu, la seconde partie de l’épilogue est consacré à la rédemption de Delacroix. On n’est pas très loin du « Happy End »… Enfin, le propos même du réalisateur souffre peut-être d’un excès de qualité : sa volonté d’envisager toutes les données du problème et les effets parfois trop appuyés du parallélisme dans cette optique, risquent de décontenancer certains jeunes spectateurs, si on commençait l’analyse du film par un trop brutal « Ce film est-il pour ou contre la peine de mort ? ». Mais l’ambiguïté ne fait-elle pas partie intégrante des films de qualité ? Une réalisation à sens unique serait certainement plus facile à appréhender… donc moins riche en discussions et analyses contradictoires. Un film engagé, donc, mais avec intelligence !