Images du pouvoir en Égypte

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Images du pouvoir en Égypte
Images du pouvoir en Égypte
à la fin du Moyen Empire et à la Deuxième Période
Intermédiaire
Simon CONNOR
Thèse présentée en vue de l’obtention du
grade académique de Docteur en Histoire, Art
et Archéologie, sous la direction de Monsieur
le Professeur Laurent BAVAY
Année académique 2013-2014
« À tous les gens qui voient cette statue, récitez : une
offrande que le roi donne pour le majordome Ipepy, né
de Keky, la justifiée. Quand vous adorez vos dieux
locaux, donnez-leur le reste de vos pots et le fond de
vos cruches. Dites-leur "pour le ka d’Ipepy, le
justifié". Vos dieux vous le rendront en vous
accordant l’éternité. »
Statue d’Ipepy (Brooklyn 57.140)
« (Ô vous vivants,) qui êtes sur terre, vous qui passez
devant cette statue, vous rendant vers le Nord ou vers
le Sud, aussi vrai que vous aimez (votre dieu), vous
direz "Un millier de (pains et bières) pour l’intendant
Ânkhou, le justifié". »
Statue d’Ânkhou (Saqqara 16896)
2
La réalisation de cette thèse n’a été possible que grâce au soutien et à la collaboration de
nombreuses personnes auxquelles j’adresse toute ma gratitude. Mes plus vifs remerciements vont aux
conservateurs qui m’ont ouvert les collections dont ils ont la charge et m’ont donné accès aux pièces
qui ont fait l’objet de cette étude :
-
en Allemagne, Regine Schulz et Matthias Seidel (Hildesheim, Roemer- und PelizaeusMuseum), Christian Loeben (Hanovre, August Kestner Museum), Claudia Saczecki, Frederike
Seyfried et Frank Marohn (Berlin, Ägyptisches Museum), Dina Faltings (Heidelberg,
Ägyptologisches Institut der Universität), Dietrich Raue (Leipzig, Ägyptisches Museum der
Universität),
-
en Autriche, Regina Hoelz et Michaela Huettner (Vienne, Kunsthistorisches Museum),
-
en Belgique, Luc Delvaux (Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire),
-
au Danemark, Mogens Jørgensen (Copenhague, Glyptothèque Ny Carlsberg)
-
en Égypte, Yasmin el-Shazly, Ghada Tarek et Doha Fathy (Le Caire, Musée Égyptien),
-
aux Etats-Unis, Denise Doxey, Lawrence Berman et Rita Freed (Boston, Museum of Fine
Arts), Marden Nichols (Baltimore, Walters Art Museum), Jennifer Houser Wegner
(Philadelphia), Alan Francisco (Chicago, Field Museum), Lorien Yonker (Chicago, Art
Institute), Nii Quarcoopome (Détroit, Institute of Art), Dave Smart (Cleveland, Museum of
Art), Janet Richards (Ann Arbor, Kelsey Museum of Archaeology), Peter Schertz (Richmond,
Virginia Museum of Art), Isabel Stünkel, Dorothea et Dieter Arnold (Metropolitan Museum
of Art, New York), Edward Bleiberg (Brooklyn Museum),
-
en France, Fleur Morfoisse (Lille, Palais des Beaux-Arts)
-
en Hongrie, Eva Liptay, Katalin Kothay et Petrik Maté (Budapest, Museum of Fine Arts),
-
au Portugal, Maria Rosa Figueiredo (Lisbonne, Museu Calouste Gulbenkian),
-
au Royaume-Uni, Campbell Price (Manchester Museum), Ashley Cooke (Liverpool, World
Museum), Stephen Quirke (Petrie Museum, Londres), Marcel Marée (British Museum,
Londres), Carolyn Graves-Brown (Swansea University, Egypt Centre),
-
en Suède, Sofia Häggman (Stockholm, Medelhavsmuseet),
-
en Suisse, Jean-Luc Chappaz (Genève, Musée d’Art et d’Histoire), André Wiese (Bâle,
Antikenmuseum), Carole Guinard (Lausanne, Fondation Jacques-Édouard Berger), France
Terrier (château d’Yverdon-les-Bains).
Pour les photographies et informations au sujet des pièces conservées dans leurs institutions, je
remercie également Tine Bagh (Copenhague, Glyptothèque Ny Carlsberg), Alexandra Urruty
(Bayonne, Musée Bonnat), Nathalie Denninger (Besançon, Musée des Beaux-Arts et d’Archéologie),
3
Rachel Grocke (Durham, Oriental Museum), Leena Ruonavaara (Helsinki, Suomen Kansallismuseo),
Vesna Koprivnik (Maribor, Museum).
Pour leur confiance et l’accès privilégié qu’ils m’ont accordé à leurs collections ou à leurs
galeries, j’adresse également tous mes remerciements à George Ortiz (Genève), Jean Claude Gandur
(Genève, Fondation Gandur pour l’Art), Jacques Billen (Bruxelles, Galerie Harmakhis), la galerie
Rupert Wace (Londres), la galerie Puhze (Fribourg) et d’autres encore, désirant rester anonymes et qui
se reconnaîtront.
Pour la partie expérimentale de cette thèse (réalisation d’outils, essais de peinture et de relief,
sculpture et cuisson de figurines en stéatite), j’ai bénéficié de l’aide indispensable de Moustapha
Hassan Moussa (Gourna), Thierry De Putter (Musée royal de l’Afrique Centrale), Hugues Tavier et
Alexis Den Doncker (Université de Liège).
L’aide au Soudan de Faïza Drici (Université de Lille III) et en Égypte d’Ali Hassan et Abdelrazk
Ali (Gourna) m’a été précieuse pour accéder à de nombreux sites.
Les voyages et séjours d’étude réalisés dans le cadre de cette thèse de doctorat ont été rendus
possibles grâce à au soutien financier du Fonds de la Recherche Scientifique, à une bourse de voyage
du Fonds Reuse (The J. Reuse Memorial Traveling Lectureship) et à une bourse doctorale octroyée par
l’Institut français d’Archéologie Orientale du Caire, sous la direction de Béatrix Midant-Reynes.
Enfin et surtout, pour leur support moral, leurs commentaires et conseils durant la recherche et la
rédaction, ainsi que pour leurs relectures attentives, j’adresse toute ma reconnaissance à mes proches,
à mon directeur de thèse Laurent Bavay (Université libre de Bruxelles), à Gabi Pieke (Mannheim,
Reiss-Engelhorn-Museen), Hugues Tavier (Université de Liège), Wolfram Grajetzki (Londres),
Dimitri Laboury (Université de Liège), Luc Delvaux (Bruxelles, Musées royaux d’Art et d’Histoire),
Regine Schulz (Hildesheim, Roemer- und Pelizaeus-Museum), Biri Fay (Berlin), Marcel Marée
(Londres, British Museum), Sylvain Dhennin (Le Caire, Institut français d’Archéologie orientale),
Jean-Guillaume Olette-Pelletier (Paris IV), Stéphane Polis (Université de Liège), Julien Siesse (Paris
IV), Alexis Den Doncker (Université de Liège), Dieter et Dorothea Arnold (New York, Metropolitan
Museum of Art), Helmut Brandl (Berlin), Edith Bernhauer (Munich), Annie Gasse (Université de
Montpellier) et Tom Hardwick (Houston / Le Caire).
4
Introduction
L’objet de cette étude est la représentation en ronde-bosse des souverains, dignitaires et
particuliers de la période s’étendant de la deuxième moitié de la XIIe dynastie à la fin de la XVIIe
dynastie, le Moyen Empire tardif et la Deuxième Période Intermédiaire, c’est-à-dire d’environ 1850 à
1550 avant J.-C.
Extraits des carrières, des blocs de pierre ont été sculptés pour donner vie à des statues. Celles-ci
ont été soignées, polies, peintes, ont servi à des rites, ont été regardées, honorées, déplacées, parfois
transformées, copiées, brisées, enterrées, oubliées, puis retrouvées, vendues, restaurées, collectionnées,
parfois rangées et à nouveau oubliées, parfois exposées et contemplées par le visiteur moderne. Ces
objets que nous voyons aujourd’hui dans les musées sont les témoins d’une part importante de la
culture égyptienne.
Mille cinq cents pièces figurent au catalogue de cette thèse. L’exhaustivité est assurément une
illusion. Cependant, le recensement du plus grand nombre possible d’objets d’un même type et de la
même phase de l’histoire permet la confrontation des œuvres, le relevé des tendances. Ces tendances
semblent se préciser toujours au fur et à mesure que le répertoire s’agrandit – tout en réservant son lot
d’exceptions pour les nuancer.
Parmi les centaines de pièces rassemblées, certaines, très célèbres, figurent dans tous les livres
d’art égyptien ; le plus grand nombre était au contraire inconnu, oublié dans les réserves des musées
ou dissimulé chez des collectionneurs privés.
Plusieurs de ces œuvres ont été par le passé l’objet de publications scientifiques souvent très
précises, qui n’ont pris en compte qu’une sélection de pièces, une portion du répertoire. Les statues
réunies dans cette recherche appartiennent aux chefs-d’œuvre de la sculpture aussi bien qu’au niveau
le plus rudimentaire. Or, si chacune de ces sculptures possède son intérêt en propre, si chacune
constitue un témoin de la société égyptienne à la fin du Moyen Empire, elle ne révèle une grande
partie du message qu’elle recèle qu’au sein de l’ensemble dont elle provient.
Toutes les statues réunies ici appartiennent aux trois siècles séparant l’âge classique du Moyen
Empire de celui de la XVIIIe dynastie. Elles sont le produit de différents ateliers et représentent des
individus de rangs variés, attachés à diverses régions du pays. Très peu ont été retrouvées à l’endroit
où elles avaient été placées originellement ; la mobilité des statues, même colossales, est
particulièrement notable, dès la Deuxième Période Intermédiaire. Souvent privé de contexte
archéologique, il faut recueillir toutes les informations contenues dans le matériel lui-même, procéder
à la mise en série en même temps qu’à l’examen individuel des pièces, faire appel aux méthodes de
l’histoire de l’art pour développer des critères de datation, pour identifier les matériaux et les
5
ensembles stylistiques, parfois aussi pour déjouer les tours des faussaires.
Cette étude permet de faire sortir de l’ombre une large part d’un vaste répertoire et de proposer un
réexamen d’œuvres plus connues. L’objectif est ici de renouveler la grille d’analyse d’une des
productions majeures de la société égyptienne de la fin du Moyen Empire et de la Deuxième Période
Intermédiaire, une phase de l’histoire qui occupe un nombre grandissant de chercheurs depuis une
quinzaine d’années. Il s’agit d’intégrer en une même analyse la statuaire royale et la statuaire privée,
deux domaines complémentaires, bien que souvent dissociés, qui permettent de préciser les relations
entre le souverain et ses dignitaires.
Notre connaissance du Moyen Empire tardif et de la Deuxième Période Intermédiaire repose
essentiellement sur l’interprétation des textes et de certaines sources archéologiques et épigraphiques :
documents administratifs, scarabées-sceaux, stèles royales et privées, la tradition manéthonienne ou
encore les listes royales du Papyrus de Turin et de la Chambre des Ancêtres de Karnak1. L’histoire de
l’art, en revanche, a été très largement négligée dans les études portant sur ces dynasties. Seules la
statuaire de Sésostris III et celle d’Amenemhat III ont véritablement été le sujet d’études
approfondies2. Certaines statues de cette période ont également fait l’objet d’articles ponctuels3, ou de
notices de catalogues de musées ou d’expositions4. En revanche, ce répertoire n’a jamais été envisagé
dans son ensemble. Jusqu’à présent, l’évolution de l’image de cette période, tant royale que privée, n’a
pas été suffisamment étudiée.
Or, le domaine de la sculpture, comme il apparaîtra dans cette recherche, permet d’apporter des
informations précises sur la société égyptienne, sur l’idéologie royale, sur le rapport entre le souverain
et ses dignitaires, sur les pratiques cultuelles, sur le circuit des matériaux et des artefacts.
L’usage rituel des statues est bien attesté5. Les recherches menées ces dernières décennies sur la
statuaire royale et la statuaire privée ont établi le lien étroit qui existe entre la façon de représenter le
souverain ou le dignitaire6 et le discours politique et idéologique de l’État, et démontrent ainsi l’apport
1
Voir notamment VON BECKERATH 1964 ; BELL 1975 ; QUIRKE 1991 ; VANDERSLEYEN 1995 ; RYHOLT 1997 ;
BEN-TOR, ALLEN et ALLEN 1999 ; GRAJETZKI 2006a.
2
EVERS 1929 ; VANDIER 1958 ; TEFNIN 1992 ; POLZ 1995 ; FREED 2002 ; VERBOVSEK 2006.
3
BOTHMER 1959, 1960, 1968-1969 ; ALDRED 1970 ; DAVIES 1981 ; JUNGE 1985 ; ROMANO 1985 ; FAY 1988 ;
KOTHAY 2007.
4
Parmi de nombreux exemples, WILDUNG 1984 ; DELANGE 1987 ; BOURRIAU 1988.
5
Voir entre autres BRYAN 1993 et 1997 ; SEIDEL 1996 ; FREED 2002 ; BERNHAUER 2006 et 2010.
6
Il apparaît dans la thèse de DELVAUX 2008, portant sur les objets donnés en récompense de la part du roi, que la
création des images officielles des dignitaires était liée à des événements particuliers d’expression du pouvoir, et que le
message idéologique, transmis par l’association des signes iconographiques et stylistiques et des inscriptions, servait
l’idéologie politique royale, sans la concurrencer. Je remercie ici L. Delvaux de l’accès qu’il a bien voulu me donner à sa
recherche.
6
essentiel de l’analyse de l’image pour la compréhension de l’histoire7. L’image représente en effet un
moyen d’expression et une source de renseignements bien différents des textes, qui pour cette époque
sont en grande partie de nature administrative. L’image transmet un message beaucoup plus général.
Elle traduit la nature que l’individu veut présenter de lui-même : humaine, divine, puissante, sage,
soucieuse, sereine. De cette manière, elle est un moyen d’aborder le regard que rois et dignitaires
portaient sur eux-mêmes et souhaitaient véhiculer8.
Jusqu’à présent, les études se sont concentrées sur la statuaire d’un roi9, sur celle des privés d’une
époque ou d’une catégorie précises10, ou encore sur des statues d’un type spécifique11. La particularité
de cette thèse est de considérer la statuaire royale et privée comme un ensemble. Le catalogue ainsi
constituté, aussi exhaustif que possible, se révèle suffisamment vaste pour définir les rapports entre le
souverain et les particuliers. Il s’agit d’associer l’analyse des différentes données contextuelles, de
replacer les statues au sein d’une phase de l’histoire, d’une région, d’un environnement, d’un type
d’édifice, d’un emplacement dans un bâtiment, d’un programme iconographique, au sein d’un groupe
stylistique.
Premières recherches
H.G. Evers est le premier à avoir procédé à une analyse de la sculpture royale du Moyen Empire.
Il a développé une typologie pour les caractéristiques iconographiques qui est encore aujourd’hui une
base pour la discussion12.
J. Vandier a quant à lui établi les critères de l’évolution stylistique de la statuaire royale et privée à
travers l’histoire égyptienne. Le Moyen Empire y occupe bien sûr une place importante ; la Deuxième
Période Intermédiaire y est par contre quelque peu négligée 13 . Faute surtout de contextes
archéologiques sûrs et de personnages attestés par d’autres sources, son examen comporte un certain
nombre d’erreurs qu’il est seulement possible de corriger aujourd’hui – la connaissance de cette
époque a considérablement progressé depuis un demi-siècle et permet de reconstituer des ensembles et
de préciser la datation de nombreux monuments. J. Vandier évoque aussi la question des ateliers de
sculpture : il propose une division régionale des ateliers en fonction du lieu de découverte des statues.
7
TEFNIN 1979a, 1979b et 1992 ; POLZ 1995 ; DELVAUX 1996 et 2008 ; LABOURY 1998b, 2003 et 2009 ; HILL
2004 ; BRANDL 2008.
8
ASSMANN 1996b.
9
TEFNIN 1979b ; LABOURY 1998b ; VERBOVSEK 2006 ; LORAND 2011.
10
VERBOVSEK 2004 ; HEMA 2005 ; BRANDL 2008 ; DELVAUX 2008.
11
SCHULZ 1992 ; BERNHAUER 2006.
12
EVERS 1929.
13
VANDIER 1958, p. 170-288.
7
Comme nous le verrons, cette approche doit être réexaminée à la lumière des données récentes.
Plusieurs études ont par la suite porté sur un aspect (stylistique14, typologique15) de la statuaire de
cette époque, dans un cadre chronologique relativement restreint (un ou deux règnes en général). Ces
travaux apparaîtront au fil des différents chapitres de cette thèse.
Plus récemment, A. Verbovsek a publié un catalogue extensif des sculptures non-royales de
l’Ancien et du Moyen Empire découvertes dans des temples16. Plusieurs questions sur la fonction de
ces statues et surtout sur les différences stylistiques et les critères de datation y restent néanmoins
ouvertes.
Cadre chronologique de l’étude
L’intérêt de la période choisie réside dans l’abondance du répertoire conservé, qui permet de
mener des analyses approfondies et de procéder à des comparaisons précises entre l’image du roi et
celle des particuliers de différents niveaux sociaux. Comme nous le verrons, cette période est
cohérente du point de vue politique et administratif. Les productions statuaires y présentent des
caractéristiques stylistiques communes. Elle est également suffisamment longue pour mettre en
évidence des tendances et leur évolution.
Les trois siècles que couvre cette thèse marquent d’abord l’apogée puis le terme d’une des grandes
périodes de stabilité de l’histoire égyptienne. Elle se caractérise par deux longs règnes fertiles en
monuments, puis par la succession, en un peu plus de deux siècles, de plusieurs dizaines de
souverains, pour la plupart méconnus, et par la prise de pouvoir d’une dynastie d’origine procheorientale, les Hyksôs, dans le Nord de l’Égypte. Dès le début du Nouvel Empire (env. 1580-1070 av.
J.-C.), la période couvrant les règnes de Montouhotep II à Amenemhat IV (env. 2050-1800 av. J.-C.)
fut considérée comme un âge classique de l’Égypte, et constitua désormais un modèle à suivre. En
revanche, les dynasties XIII à XVII semblent avoir sombré dans l’oubli. Cela s’explique probablement
par le manque de règne marquant et l’absence de vaste programme de construction, ainsi que par la
perte de l’unité du pays.
Du point de vue du système politique, très bureaucratique, comme du point de vue de la culture
matérielle (pratiques funéraires, production de stèles et de statues) ou de celui des sources textuelles,
le Moyen Empire tardif et la Deuxième Période Intermédiaire forment un ensemble cohérent, en dépit
14
POLZ 1996.
15
FREED 2002.
16
VERBOVSEK 2004.
8
de changements progressifs au cours des trois siècles qu’ils couvrent. La rupture est plus nette entre la
première moitié du Moyen Empire (de la moitié de la XIe à la moitié de la XIIe dynastie) et le Moyen
Empire tardif (de la moitié de la XIIe aux deux tiers de la XIIIe dynastie)17. C’est surtout sous le règne
de Sésostris III que s’opère ce changement : les frontières sont repoussées et fixées pour près d’un
siècle et demi, l’agriculture et la circulation se développent grâce à l’aménagement des canaux et des
digues18. L’administration, de plus en plus centralisée, devient le cœur du système politique, au
détriment du pouvoir des grandes familles régionales. Le système mis en place se poursuit jusqu’à la
fin de la XVIIe dynastie. La rupture entre Moyen Empire tardif et Deuxième Période Intermédiaire,
difficile à cerner à partir du matériel archéologique, semble s’opérer plus progressivement, face à la
menace grandissante des princes koushites en Nubie et face au pouvoir de plus en plus important des
chefs asiatiques dans le Delta oriental puis dans toute la partie nord du pays, qui entraîne un repli de la
royauté égyptienne en Haute-Égypte. La chronologie de ce passage entre les deux périodes se situe
dans la dernière partie de la XIIIe dynastie. Elle se précise peu à peu grâce aux recherches menées au
cours des dernières décennies19. Quant à la distinction entre Deuxième Période Intermédiaire et
Nouvel Empire, elle se matérialise très nettement également par la reprise du pouvoir dans le pays tout
entier par Ahmosis, qui initie la XVIIIe dynastie.
D’un point de vue stylistique, au sein de la statuaire, on observe également une césure
relativement nette entre Moyen Empire et Moyen Empire tardif (vers 1850 av. J.-C.). Le style de la
Deuxième Période Intermédiaire se différencie aussi assez clairement de celui du début du Nouvel
Empire (la césure a lieu aux alentours de 1550 av. J.-C.). Entre ces deux dates, l’évolution du style est
plus difficile à préciser. La distinction a toujours été très malaisée entre une statue de la deuxième
moitié de la XIIe dynastie et une statue de la XIIIe dynastie. De même, la production du Moyen Empire
tardif est souvent confondue avec celle de la Deuxième Période Intermédiaire. Comme nous le verrons
au cours des chapitres suivants, l’existence de différents ateliers, de style parfois divergent, trouble
encore la reconstruction chronologique. Cette recherche s’emploie à identifier ces différents niveaux
de production et à préciser leur datation. La délimitation chronologique, bien que large, entre ces deux
césures est donc la plus cohérente ; la datation des monuments était trop imprécise pour se permettre
de ne choisir que la fin de la XIIe, la XIIIe ou la XVIIe dynastie.
Pendant cette période, la production statuaire semble augmenter sensiblement, tant pour le roi
(surtout pour la deuxième moitié de la XIIe et la première moitié de la XIIIe dynastie) que pour les
particuliers (surtout à partir de la fin de la XIIe dynastie, et jusqu’à la fin de la XVIIe). Un premier
aperçu des contextes archéologiques montre que c’est précisément au Moyen Empire tardif que la
17
QUIRKE 1990, p. 2.
18
On observe notamment le creusement d’un canal à la Première Cataracte pour faciliter le passage des navires, ainsi que la
mise en valeur de la région du Fayoum (TALLET 2005, p. 41-42 et 98-108).
19
Voir notamment QUIRKE 1991, 2004 et 2010 ; RYHOLT 1997 ; BEN-TOR, ALLEN et ALLEN 1999 ;
GRAJETZKI 2000, 2009 et 2010 ; DAVIES 2003 ; ARNOLD 2010 ; MARÉE 2010 ; SHIRLEY 2013.
9
sculpture privée devient particulièrement abondante sur certains sites, comme la nécropole d’Abydos
ou le sanctuaire d’Héqaib à Éléphantine. Cet accroissement s’explique davantage par une modification
des pratiques cultuelles que par une nouvelle montée en puissance des élites locales ou par une
véritable « popularisation » 20 de la statuaire.
Constitution du corpus
La première tâche nécessaire à cette recherche a été la constitution d’un catalogue aussi exhaustif
que possible des statues, tant royales que privées, du Moyen Empire tardif et de la Deuxième Période
Intermédiaire. Ce catalogue a été réalisé sous forme d’une base de données informatique, qui permet
une recherche aisée au sein du répertoire par sites de provenance, matériaux, dimensions, type
statuaire, attributs, datation, etc. Étant donné la quantité des statues réunies et donc des fiches
collectées, près de 1500, ce catalogue est fourni au lecteur en format numérique sur le DVD joint à ce
volume.
Ce corpus a été constitué à partir de la littérature portant sur le Moyen Empire et la Deuxième
Période Intermédiaire, des catalogues de musées et de leurs sites Internet, des catalogues de vente des
galeries d’art, des publications de fouilles des différents sites d’Égypte et du Proche-Orient, ainsi que
par la visite personnelle des différents musées et sites dans lesquels sont conservés ces monuments –
dans de très nombreux cas, ce fut l’occasion de découvrir un vaste répertoire inédit.
Il était indispensable de se rendre dans le plus grand nombre de ces sites et de ces musées, dans la
mesure où une étude d’histoire de l’art nécessite un examen personnel et attentif des pièces, que les
seules publications ne peuvent permettre. Observer la pièce dans toute sa dimension permet
d’identifier le matériau (ce qui n’est pas toujours aisé d’après une photographie), d’analyser le niveau
d’exécution, de relever les éventuelles retouches et modifications, de se rendre compte des dimensions
réelles (très souvent, les reproductions photographiques dans les livres donnent une impression
involontairement trompeuse de monumentalité), d’identifier, enfin, dans certains cas, l’authenticité de
la pièce en considérant différents angles de vue.
L’idéal eût été bien sûr d’étaler devant soi les 1500 statues qui font l’objet de cette étude, afin de
pouvoir les comparer toutes matériellement. Pour pallier à cette utopie, il faut donc procéder, dans la
mesure du possible, à l’observation personnelle de chacun de ces objets, ainsi qu’à la prise
systématique de clichés photographiques des différents angles de vue, dans des conditions si possible
similaires.
20
KOTHAY 2007.
10
J’ai ainsi étudié le matériel conservé dans les institutions suivantes :
-
en Allemagne, à Hildesheim (Roemer- und Pelizaeus-Museum), Hanovre (Kestner-Museum),
Berlin (Ägyptisches Museum), Leipzig (Ägyptisches Museum der Universität), Munich
(Staatliche Sammlung Ägyptischer Kunst), Tübingen (Ägyptische Sammlung der Universität),
Heidelberg (Ägyptologisches Institut der Universität), Frankfort-sur-le-Main (Liebieghaus) et
Bonn (Ägyptisches Museum der Universität) ;
-
en Autriche, à Vienne (Kunsthistorisches Museum) ;
-
en Belgique, à Bruxelles (Musées royaux d’Art et d’Histoire), Anvers (Museum aan de
stroom) et Morlanwelz (Musée royal de Mariemont) ;
-
au Danemark, à Copenhague (Glyptothèque Ny Carlsberg) ;
-
en Égypte, au Caire (Musée Égyptien), à Alexandrie (Musée National), Saqqara (Musée
Imhotep), Assouan (Musée de Nubie et Musée d’Éléphantine), aux musées de Louqsor, Beni
Suef et Ismaïlia ;
-
en Espagne, à Barcelone (Museu Egipci) ;
-
aux États-Unis, à New York (Metropolitan Museum of Art), Brooklyn (Brooklyn Museum),
Boston (Museum of Fine Arts), Philadelphie (Penn Museum), Baltimore (Walters Art
Museum et John Hopkins University, Archaeological museum), Richmond (Virginia Museum
of Fine Art), Chicago (Field Museum of Natural History, Art Institute et Oriental Institute),
Détroit (Institute of Art), Cleveland (Museum of Art) et Pittsburgh (Carnegie Museum of
Natural History) ;
-
en France, à Paris (Musée du Louvre et Bibliothèque Nationale), à Lille (Palais des BeauxArts) à Lyon (Musée des Beaux-Arts) ;
-
en Hongrie, à Budapest (Szépmúvészeti Múzeum) ;
-
en Italie, à Rome (Museo Barracco, Palazzo Altemps et Vatican, Museo Gregoriano Egizio),
Bologne (Museo Civico Archeologico), Turin (Museo Egizio) et Florence (Museo
Archeologico) ;
-
aux Pays-Bas, à Leyde (Rijksmuseum van Oudheden) et Amsterdam (Allard Pierson
Museum) ;
-
au Portugal, à Lisbonne (Museu Gulbenkian) ;
-
au Royaume-Uni, à Londres (British Museum et Petrie Museum, University College),
Cambridge (Fitzwilliam Museum), Oxford (Ashmolean Museum), Bristol (Bristol Museum),
Swansea (Egypt Centre), Liverpool (World Museum), Bolton (Bolton Museum) et Manchester
(Manchester Museum) ;
-
au Soudan, à Khartoum (Musée National) et Kerma (musée du site) ;
11
-
en Suède, à Stockholm (Medelhavsmuseet) ;
-
en Suisse, à Genève (Musée d’Art et d’Histoire), Lausanne (Fondation Jacques-Édouard
Berger), Yverdon-les-Bains (Château) et Bâle (Antikenmuseum).
À cela s’ajoutent également les particuliers qui m’ont ouvert les portes de leurs collections
(G. Ortiz et J. C. Gandur, Genève) et les galeries d’art qui m’ont aimablement fourni l’autorisation
d’étudier leurs pièces : Harmakhis (Bruxelles), Cybèle (Paris), Hixenbaugh Ancient Art Ltd (New
York), Günter Puhze (Fribourg) et Rupert Wace (Londres).
Certains sites archéologiques exposent encore des statues du Moyen Empire : Karnak (temples
d’Amon et de Khonsou), Gourna (temple de Sethi Ier), Médamoud (magasin en plein air du site),
Abydos (temple de Séthi Ier), Hawara (complexe funéraire d’Amenemhat III), Medinet Madi (temple
de Sobek et Rénénoutet). La participation en 2010 à la mission du Metropolitan Museum de New
York à Dahshour (complexe funéraire de Sésostris III) m’a également permis d’y observer le matériel
statuaire mis au jour lors des fouilles.
Le catalogue
Le catalogue de cette recherche est organisé en deux parties principales : la statuaire royale (roi et
reine) et la statuaire privée. Un troisième fichier, plus restreint, reprend les œuvres trop fragmentaires
pour que l’on puisse identifier la nature du personnage représenté, royale ou non.
Dans le texte de cette thèse, la référence à chacune des statues répertoriées dans le catalogue sera
indiquée en gras, en reprenant le nom de la ville où elle est conservée, ainsi que son numéro
d’inventaire (ex : Turin 4265 désigne la statue du gouverneur Ouahka III, conservée au Museo Egizio
de Turin sous le n° 4265). En revanche, lorsqu’une pièce d’un musée qui n’apparaît pas dans le
catalogue sera mentionnée (s’il s’agit donc d’un autre objet qu’une statue ou bien d’une statue d’une
autre période que celle étudiée ici), son numéro d’inventaire sera indiqué en caractères normaux.
Les pièces du catalogue sont organisées en suivant l’ordre alphabétique de ces lieux de
conservation. Lorsque ce lieu est inconnu, c’est le site de découverte qui sera indiqué à la place (ex : le
fragment de base de statue du chef des troupes Amenemhat, découvert à Karnak et publié en 1875 par
Mariette, est enregistré dans le catalogue sous l’appellation Karnak 1875).
Enfin, lorsque la pièce se trouve dans une collection privée et qu’on en ignore la provenance, elle
sera inventoriée comme suit : Priv. + nom du propriétaire, de la galerie d’art ou de la salle de vente +
n° inventaire au sein de la collection ou date d’apparition sur le marché de l’art. Par exemple, la statue
en cuivre du trésorier Senebsoumâ, Priv. Ortiz 34, a été publiée sous le n° 34 dans la publication de la
12
collection de George Ortiz. La statuette debout en stéatite d’un certain Intef, enregistrée dans le
catalogue sous l’entrée Priv. Sotheby 1974, faisant probablement aujourd’hui partie d’une collection
privée, a été vendue chez Sotheby’s en 1974.
Chaque statue fait l’objet d’une fiche comportant les éléments suivants :
-
Lieu de conservation et numéro d’inventaire.
-
Provenance, origine supposée (si elle est différente de la provenance ou si la pièce provient du
marché de l’art ou d’une collection privée) et informations sur le mode d’acquisition de la
pièce (fouilles, galerie, etc.).
-
Datation : dynastie, règne (lorsqu’il est possible de le déterminer) et méthode de datation
(personnage connu par d’autres sources, contexte archéologique, critères stylistiques, etc.).
-
Identification du personnage représenté : nom, filiation et titres.
-
Matériau et dimensions. La hauteur originelle estimée est toujours indiquée, de même que
celle de la tête (même lorsqu’elle est manquante), afin de permettre un classement des statues
par dimensions. Un numéro de format (de 1 à 6) a été attribué dans ce même but, en fonction
de la hauteur de la tête (cf. chapitre 3).
-
Position, gestuelle, vêtement et coiffure du personnage représenté. La séparation de ces
différents critères facilite la recherche d’éventuelles corrélations entre l’apparence du
personnage et son statut, son contexte archéologique ou sa datation.
-
Inscriptions : translittération et traduction.
-
Suggestions de raccords entre deux pièces du catalogue.
-
Photographies de la pièce et crédits photographiques.
-
Éventuelles notes concernant l’histoire de la pièce, les commentaires de différents auteurs ou
les autres sources permettant de dater le personnage représenté.
-
Une croix est indiquée dans la case située à l’angle supérieur droit de la page lorsque l’accès
personnel à la pièce a été possible. Il est en effet nécessaire de préciser si les commentaires
stylistiques développés dans cette thèse ont pu être réalisés grâce à un examen visuel ou
seulement d’après photographies. Il n’est pas rare en effet qu’un avis sur la datation (ou même
l’authenticité) d’une pièce puisse être influencé par les conditions d’éclairage ou un angle de
vue particulier.
13
La statuaire royale et privée du règne de Sésostris II est intégrée dans cette recherche et dans le
catalogue, bien que le Moyen Empire tardif commence véritablement sous son successeur
Sésostris III.
La raison est double : tout d’abord stylistique, la distinction entre le style du règne de Sésostris III
et de Sésostris II étant parfois malaisée, surtout pour la statuaire privée (voir chapitres 7.3 et 7.4). En
revanche, on distingue beaucoup plus clairement une différence entre Amenemhat II (prédécesseur de
Sésostris II) et Sésostris III (successeur de Sésostris II). Le règne de Sésostris II, constituant ainsi,
d’un point de vue stylistique, la charnière entre Moyen Empire « ancien » et Moyen Empire « tardif »,
est donc inclus dans le répertoire.
La deuxième raison est que les changements observables dans la statuaire au Moyen Empire tardif
se mettent en place déjà sous Sésostris II : la multiplication des statues privées (beaucoup plus rares
dans la première moitié du Moyen Empire) et leur apparence (le choix des types statuaires et des
attributs, costumes et perruques).
Analyse du matériel d’étude : méthodologie
La statuaire est un moyen pour l’Égyptien de l’Antiquité de matérialiser sa présence dans les
sanctuaires, grâce à la nature performative de l’art égyptien, de se trouver face aux divinités, de leur
faire don d’offrandes en échange de leurs bienfaits, de rendre hommage à ses prédécesseurs. C’est
aussi une façon d’exprimer un message par le choix du matériau, du type statuaire, par la physionomie
de la statue et son emplacement dans un temple, une chapelle ou une tombe. Certains détails stylisés
sont à interpréter comme des hiéroglyphes, par exemple l’accentuation plastique des oreilles et des
yeux21 . C’est ce discours que pouvaient lire les contemporains du titulaire de la statue et qu’il
appartient à l’égyptologue de démêler. Pour mettre en œuvre ce décryptage, il convient idéalement de
considérer les caractères suivants :
-
L’étude du contexte architectural et archéologique permet d’observer la relation entre
l’œuvre sculptée et son environnement. La pièce étudiée, exposée dans une vitrine ou
reproduite sur le papier, apparaît aujourd’hui – à tort – en tant qu’élément auto-suffisant. Il est
nécessaire de chercher à reconstituer le contexte pour lequel la statue a été créée et dans lequel
elle agissait, à titre d’ex-voto22 ou objet principal d’un culte, associée à d’autres statues ou
entourée de reliefs, dressée à l’entrée d’un bâtiment ou dissimulée dans une partie sacrée. On a
21
Voir notamment à ce sujet les articles fondateurs de TEFNIN 1979a et 1992.
22
Par ex-voto, on entendra objet offert comme à une divinité (y compris un homme divinisé). Définition cf. LÄ VI, col.
1077-1081 (« Votivgabe »).
14
pu retrouver les statues dans des chapelles privées, des grands temples divins ou des
sanctuaires dédiés à un « ancêtre » 23 divinisé. Certaines statues jouaient aussi, parfois a
posteriori, le rôle d’intermédiaire entre le monde terrestre et le monde des divinités24. Comme
nous le verrons dans le chapitre 2, le contexte manque pour une grande part du répertoire.
Certains sites, comme le sanctuaire d’Héqaib à Éléphantine, la Terrasse du Grand Dieu à
Abydos, les temples d’Ezbet Rushdi, de Saqqara, Hawara ou Abydos-Sud, les nécropoles
d’Abydos, de Haraga, de Lisht ou de Gaou el-Kebir permettent néanmoins d’acquérir une idée
des différents environnements et des types statuaires qui y sont associés. Le chapitre 2,
consacré à l’étude contextuelle statuaire, reprend les différents sites de provenance des
sculptures en les décrivant de façon détaillée. Il faut noter que sont regroupés dans cette partie
les sites dans lesquels les statues ont été trouvées dans leur contexte primaire et ceux dans
lesquels des statues ont été déplacées (contexte secondaire). Ce chapitre se termine par une
étude associant les différentes fonctions des lieux et les différentes catégories de statues et de
commanditaires.
-
les dimensions, dépendantes de différents critères, tels que le statut du commanditaire,
l’environnement entourant la statue, seront examinées dans le chapitre 3.
-
le statut social du personnage représenté : souverain, membre de la famille royale, ministre,
dignitaire provincial, fonctionnaire de rang intermédiaire, serviteur ou simple particulier.
Certaines fonctions apparaissent particulièrement souvent dans le répertoire statuaire, tandis
que d’autres en sont totalement absentes. Le chapitre 4 envisagera le lien entre la position du
commanditaire au sein de la hiérarchie et le type de statue choisi (dimensions, matériau,
niveau d’exécution), ainsi que le contexte dans lequel elle était placée.
-
le matériau dans lequel la statue est taillée. Nous verrons dans quelle mesure le choix de ce
matériau correspond au statut du personnage représenté. Le chapitre 5 mettra en évidence
quels matériaux étaient l’apanage du souverain et du sommet de l’élite et quels matériaux,
parfois transformés pour paraître plus « nobles », étaient réservés aux niveaux plus modestes
de la hiérarchie.
-
la typologie et l’iconographie, comme la position, les gestes, la coiffure, le costume, les
attributs : debout, assis sur un siège, assis en tailleur, agenouillé, les mains à plat sur les
cuisses, portées à la poitrine ou encore paumes tournées vers le ciel, les personnages
représentés peuvent porter différents costumes et attributs qui sont autant de signes censés
symboliser un état, induire un message. Nous verrons dans le chapitre 6 si ces critères
23
Le terme d’« ancêtre » ne désigne pas ici le fondateur réel d’une lignée, mais un humain réel, souverain ou dignitaire,
divinisé plus ou moins longtemps après sa mort.
24
C’est ce qui apparaît lorsque le texte inscrit sur les genoux de la statue, par exemple, est orienté vers le spectateur et non
vers le personnage lui-même, ou encore si la statue porte des traces de frottements répétés (LÄ IV, col. 161-163).
15
dépendent plutôt du statut et des fonctions du personnage ou du contexte dans lequel les
statues étaient installées.
-
la position de la statue au sein du développement stylistique : le chapitre 7 s’emploiera à
caractériser la statuaire royale et privée de chaque règne (ou phase) du Moyen Empire et de la
Deuxième Période Intermédiaire, à partir des monuments datés, de leur contexte et de
l’identification des personnages connus par d’autres sources. Nous verrons dans quelle mesure
la statuaire privée peut être comparée à celle du souverain. L’étude du développement
stylistique permet aussi de relever les innovations notables au sein du répertoire. Replacer une
statue au sein de son contexte chronologique est également nécessaire pour qualifier le niveau
d’exécution et identifier les ateliers de sculpture.
-
la facture ou niveau d’exécution de la sculpture. Nous verrons dans le chapitre 8 ce qui
permet de mettre en évidence l’existence d’ateliers de sculpture de niveaux variés et à quelle
clientèle ils sont attachés : le souverain et ses proches, une élite régionale, des fonctionnaires
de rang intermédiaire ou encore des particuliers.
En conclusion, par ces différents angles d’approche, nous tenterons d’apporter de nouvelles voies
de réflexion sur le Moyen Empire tardif et la Deuxième Période Intermédiaire, basées sur l’histoire de
l’art et une approche contextuelle de la statuaire royale et privée, une des productions majeures de
cette époque. Par le choix de ce vaste répertoire et d’une époque large mais précise, nous proposerons
également un mode d’analyse renouvelé de la statuaire égyptienne. Cette étude ne cherche pas
seulement à exploiter un large corpus de statues, mais à formuler un ensemble de questions pour
obtenir une meilleure et plus vaste compréhension de tous les facteurs impliqués dans la production et
l’usage de la statuaire, ainsi que des implications sociales qui y sont attachées.
Précisions terminologiques
Avant d’entrer dans le vif du sujet, une précision terminologique s’impose à propos du mot
« portrait », qui sera employé à certains endroits et à dessein dans cette thèse, ainsi qu’au sujet des
termes de « réalisme » et « naturalisme ».
Dans toutes les cultures, le portrait inclut nécessairement une part de subjectivité25, puisqu’il
25
La question du « réalisme » fait encore fréquemment débat, bien qu’il apparaisse aujourd’hui évident que la statuaire
égyptienne ne cherche pas à représenter de manière objective les traits de l’individu (voir notamment TEFNIN 1979a,
1979b et 1992, POLZ 1995, ASSMANN 1996b, LABOURY 2009). Ainsi, les grandes oreilles et les paupières lourdes
que l’on retrouve en général sur les effigies des XIIe et XIIIe dynasties ne peuvent évidemment être propres à tous les
16
choisit de représenter différents aspects de la personne en une même œuvre (outre son apparence
physique, sa personnalité, un âge particulier, son statut réel ou non), passés par le filtre culturel et le
degré d’habileté du sculpteur, du peintre ou du photographe.
L’essentiel n’est peut-être pas de décider quel est le degré de « réalisme objectif » de l’art
égyptien. Il faut plutôt considérer que l’Égyptien du Moyen Empire se reconnaissait dans l’image en
trois dimensions destinée à le représenter. Ceci ne veut pas dire que nous-mêmes, à travers nos yeux
du XXIe siècle, l’aurions reconnu. C’est d’autant plus vrai que plusieurs indices développés dans cette
thèse poussent à considérer que dans bon nombre de cas, les statues n’étaient pas réalisées pour un
individu en particulier, mais pour une catégorie d’acquéreurs.
Lorsque la physionomie de la statue apparaît nettement individualisée, et bien que le terme de
« portrait » puisse contenir une connotation trop moderne, il sera néanmoins parfois utilisé dans ce
texte puisqu’il s’agit bien de la représentation voulue de l’individu, qu’elle corresponde ou non à nos
critères.
Par « réalisme », nous entendrons la reproduction de manière objective, photographique, du
physique d’un individu – phénomène qui n’est en aucun cas attesté à la période envisagée. Nous
pourrons, en revanche, assister à un certain « naturalisme », c’est-à-dire à une représentation de
l’individu qui apparaît – à nos yeux – « humainement vraisemblable », fidèle à l’observation de la
nature humaine en général, dans le traitement des proportions, du modelé des chairs et de la texture de
la peau.
personnages représentés ; on imagine mal que l’homme du Moyen Empire ait systématiquement été doté de pavillons
démesurés. De même, le pagne long dissimulant un abdomen proéminent, très courant à la XIIIe dynastie, correspond à la
représentation d’un code vestimentaire ou stylistique, non à l’observation de la nature, à moins qu’il ne faille considérer
que tous les dignitaires de l’époque aient été ventripotents. La présence d’un menton avancé ou fuyant, de rides
particulièrement prononcées, d’un nez à la forme inhabituelle (quand il est conservé) pourrait quant à elle démarquer
volontairement le personnage, peut-être pour la raison qu’il était véritablement ainsi ou que cette physionomie dénotait
un trait de caractère particulier, ou encore faisait référence à la représentation d’un « ancêtre ».
17
Table des matières
INTRODUCTION 5 Premières recherches 7 Cadre chronologique de l’étude 8 Constitution du corpus 10 Le catalogue 12 Analyse du matériel d’étude : méthodologie 14 Précisions terminologiques 16 1. CONTEXTE HISTORIQUE 18 1.1. Cadre chronologique : les dynasties 21 1.2. Cadre chronologique : distinction entre Moyen Empire tardif et Deuxième Période 22 Intermédiaire 1.3. Développement politique et sociétal 24 2. ETUDE DES DIFFERENTS SITES DE PROVENANCE ET DE LEUR MATERIEL STATUAIRE 29 2.1. Sites égyptiens 32 2.1.1. Forteresses de Nubie : Semna, Koumma, Ouronarti, Mirgissa, Bouhen, Aniba 32 2.1.2. Éléphantine (temples divins et sanctuaire d’Héqaib) 35 2.1.2.1. Temple de Satet 35 2.1.2.2. Le « sanctuaire d’Héqaib » 36 2.1.2.2.1. Développement chronologique 38 2.1.2.2.2. Les personnages présents dans le sanctuaire 44 2.1.2.2.3. Les proscynèmes 45 2.1.2.2.4. La destruction du sanctuaire et des statues 49 2.1.3. Edfou 50 2.1.3.1. Le mastaba d’Isi 51 512
2.1.4. Esna 55 2.1.5. Asfoun el-­‐Matana (Asphynis / Hesfoun) 56 2.1.6. Gebelein, temple de Hathor 57 2.1.7. Armant (Hermonthis) 58 2.1.8. Tôd 59 2.1.9. Louqsor (Thèbes) 59 2.1.9.1. Karnak, temple d’Amon 59 2.1.9.2. Deir el-­‐Bahari, temple de Montouhotep II 64 2.1.9.3. Temple de Gourna 66 2.1.9.4. Nécropole thébaine 67 2.1.9.4.1. La « Nécropole du Ramesseum » 67 2.1.9.4.2. Assassif et Deir el-­‐Bahari 71 2.1.9.4.3. Dra Abou el-­‐Naga 72 2.1.10. Médamoud 73 2.1.11. Khizam / Khozam ? 76 2.1.12. Coptos 76 2.1.13. Hou (Diospolis Parva) 77 2.1.14. El-­‐Amra 79 2.1.15. Abydos 79 2.1.15.1. Tombeau d’Osiris 80 2.1.15.2. Le temple d’Osiris-­‐Khentyimentiou 81 2.1.15.3. La Terrasse du Grand Dieu 82 2.1.15.4. Les nécropoles abydéniennes 84 2.1.15.4.1. Le temple funéraire de Sésostris III 86 2.1.15.5. Le temple/la chapelle d’Amenemhat III ? 86 2.1.16. Gaou el-­‐Kebir (Antaeopolis) 87 2.1.17. El-­‐Atawla 89 2.1.18. Meir (nécropole) 90 2.1.19. Ehnasya el-­‐Medina (Hérakléopolis Magna) 90 2.1.20. Fayoum 92 2.1.20.1. Biahmou 92 2.1.20.2. Medinet el-­‐Fayoum/Kiman Fares (Shedet / Crocodilopolis) 93 2.1.20.3. Lahoun / Kahoun 95 2.1.20.4. Haraga 97 2.1.20.5. Hawara 100 2.1.20.6. Medinet Madi / Narmouthis 106 2.1.21. Lisht 108 2.1.21.1. Lisht, Résidence royale d’Itj-­‐taouy ? 109 2.1.21.2. La statuaire du Moyen Empire tardif à Lisht 111 2.1.22. Nécropole memphite 116 513
2.1.22.1. Dahshour 116 2.1.22.2. Saqqara 118 2.1.22.3. Abousir 120 2.1.23. Giza, complexe du Sphinx 122 2.1.24. Toura 122 2.1.25. Mit Rahina (Memphis) 123 2.1.26. Tell Hisn (Héliopolis) 126 2.1.27. El-­‐Qatta 126 2.1.28. Kôm el-­‐Hisn (Imaou) 127 2.1.29. Tell Basta (Bubastis) 129 2.1.30. Tell el-­‐Dab ‘a, Ezbet Rushdi, Khatâna (Avaris) 132 2.1.30.1. Ezbet Rushdi es-­‐Saghira (temple d’Amenemhat Ier) 134 2.1.31. San el-­‐Hagar (Tanis) 138 2.1.32. Tell el-­‐Moqdam (Léontopolis) 139 2.1.33. Tell el-­‐Ruba (Mendès) 141 2.1.34. Kôm el-­‐Shatiyin / Tanta 141 2.1.35. Aboukir / Canope 142 2.1.36. Serabit el-­‐Khadim 142 2.2. Sites non-­‐égyptiens 145 2.2.1. Soudan 145 2.2.1.1. Kawa, Tabo (île d’Argo), Dokki Gel 145 2.2.1.2. Kerma 146 2.2.2. Sites du Levant : Byblos, Beyrouth, Tell Hizzin, Mishrifa (Syrie), Megiddo, Ougarit / Ras 150 Shamra (temple de Ba’al) 2.2.3. Italie : Rome et Bénévent 152 2.3. Examen des données relatives aux provenances du matériel : les différents types de contextes et leur association à des catégories de statues 154 2.3.1. Différences géographiques 154 2.3.2. Différences contextuelles 156 2.3.2.1. Les nécropoles et la Terrasse du Grand Dieu 157 2.3.2.2. Les sanctuaires dédiés aux « saints », hauts dignitaires divinisés 159 2.3.2.3. Les temples divins et les temples funéraires royaux 162 3. FORMAT DES STATUES 168 4. STATUT SOCIAL DES PERSONNAGES REPRESENTES 174 4.1. Le vizir (TAty) 179 514
4.2. Le trésorier (imy-r xtm.t) 180 4.3. Les principaux subordonnés du vizir 181 4.4. Les principaux subordonnés du trésorier 183 4.5. Autres fonctionnaires du bureau du vizir 186 4.6. Autres fonctionnaires du bureau du trésorier 193 4.7. Gouverneurs provinciaux 197 4.8. Titres militaires 204 4.9. Titres sacerdotaux 210 4.10. Titres recouvrant apparemment différents niveaux sociaux 218 4.11. Artisans et titres apparemment domestiques 223 4.12. La femme 234 4.13. Conclusion : statues et statut 238 4.13.1. Le souverain 240 4.13.2. La reine, les fils royaux, les filles royales 242 4.13.3. Les détenteurs du titre de xtmw bity, les principaux ministres 244 4.13.4. Les détenteurs du seul titre de rang iry-pa.t HAtya 245 4.13.5. Les détenteurs d’un titre de fonction sans titre de rang 246 4.13.6. Les personnages apparemment dépourvus de tout titre 248 5. MATERIAUX 252 5.1. Granodiorite (diorite, gabbro, « granit gris », « granit noir ») 255 5.2. Grauwacke 257 5.3. Basalte 260 5.4. Quartzite (grès silicifié) 260 5.5. Granit (« granit rose ») 263 5.6. Calcaire 267 5.7. Calcite (« albâtre ») 273 515
5.8. Grès 275 5.9. Gneiss anorthositique 278 5.10. Obsidienne 279 5.11. Anhydrite, Calcédoine 280 5.12. Serpentinite et stéatite 281 5.13. Composites 286 5.14. Alliage cuivreux 287 5.15. Bois 289 5.16. Bilan : matériaux, contextes et statut 291 6. TYPOLOGIES ICONOGRAPHIQUES : POSITIONS, GESTES ET ATTRIBUTS 293 6.1. Types statuaires : positions et gestes des personnages 294 6.1.1. Assis sur un siège 294 6.1.2. Debout 295 6.1.3. Assis en tenue de heb-­‐sed 296 6.1.4. Osiriaque 298 6.1.5. Agenouillé 298 6.1.6. Assis en tailleur (accroupi) 299 6.1.7. Cube 300 6.1.8. Sphinx 301 6.1.9. Groupes statuaires 302 6.1.9.1. Groupes familiaux 302 6.1.9.2. Le roi 302 6.1.9.3. Le roi… et le roi 304 6.2. Attributs, vêtements et coiffures 306 6.2.1. Pagne long 306 6.2.2. Pagne-­‐shendjyt 308 6.2.3. Manteau 309 6.2.4. Coiffures 310 6.2.4.1. Perruques 310 6.2.4.2. Crâne rasé 311 6.2.5. Parures, colliers et bracelets 312 516
7. DEVELOPPEMENT STYLISTIQUE 314 7.1. Le début du Moyen Empire 316 7.2. Amenemhat II 320 7.3. Sésostris II 324 7.4. Sésostris III 332 7.4.1. La statuaire royale 332 7.4.1.1. Les statues du « groupe de Brooklyn » 333 7.4.1.2. Les statues au visage marqué 340 7.4.1.3. Les statues au visage archaïsant 348 7.4.1.4. Conclusions sur le « portrait » de Sésostris III 351 7.4.2. La statuaire privée du règne de Sésostris III 7.4.2.1. Héqaib, Imeny-­‐seneb et Héqaibânkh : famille de gouverneurs à Éléphantine 7.5. Amenemhat III 354 356 359 7.5.1. La statuaire royale 359 7.5.1.1. Formes et types statuaires nouveaux (ou réinterprétés) 360 7.5.1.2. Variétés dans la physionomie 363 7.5.1.3. Une évolution stylistique au sein du règne ? 369 7.5.1.4. Différences régionales ou fonctionnelles ? 371 7.5.2. La statuaire privée du règne d’Amenemhat III 372 7.6. Amenemhat IV et Néférousobek 375 7.7. Le début de la XIIIe dynastie 381 7.7.1. La statuaire royale 381 7.7.2. La statuaire privée du début de la XIIIe dynastie 390 7.8. Khendjer -­‐ Marmesha -­‐ Antef V -­‐ Sobekhotep III (Sekhemrê-­‐Séouadjtaouy) 395 7.8.1. Khendjer et le vizir Ânkhou 395 7.8.2. Marmesha 398 7.8.3. Antef V -­‐ Sobekhotep III 400 7.9. Néferhotep Ier 404 7.9.1. La statuaire royale 404 7.9.2. La statuaire privée du règne de Néferhotep Ier 409 7.9.3. De la statuaire privée à la statuaire royale : différents styles pour le même règne ? 412 7.10. Sobekhotep IV Khânéferrê – Sobekhotep V Khâhoteprê – Sobekhotep Khâânkhrê 414 7.10.1. La statuaire royale 414 517
7.10.2. La statuaire privée du troisième « quart » de la XIIIe dynastie 7.11. Sobekhotep VI 418 427 7.11.1. La statuaire royale 427 7.11.2. La statuaire privée des environs du règne de Sobekhotep VI 429 7.12. Néferhotep II -­‐ Sobekhotep VII -­‐ Montouhotep V -­‐ Sésostris IV 431 7.12.1. La statuaire royale de la fin de la XIIIe dynastie 431 7.12.2. 435 La statuaire privée de la fin de la XIIIe dynastie 7.13. La Deuxième Période Intermédiaire 439 7.13.1. La statuaire royale de la Deuxième Période Intermédiaire 440 7.13.2. La statuaire privée de la Deuxième Période Intermédiaire 445 8. DIFFERENCES DE FACTURE : MAINS ET « ATELIERS » 451 8.1. Définition du terme « atelier » 452 8.2. Comment déceler l’existence d’ateliers ? 453 8.3. Différents ateliers de sculpture au Moyen Empire tardif 457 8.3.1. Ateliers liés à la Résidence royale ? 457 8.3.2. Les artisans de la Résidence ailleurs qu’à Itj-­‐taouy 458 8.3.3. Ateliers locaux, associés à un lieu d’installation 459 8.3.4. Ateliers dépendant du matériau 464 8.3.5. État actuel de la question des ateliers 468 CONCLUSION : LE POUVOIR ET LES APPARENCES 469 ANNEXE : EXPERIMENTATIONS 482 BIBLIOGRAPHIE 488 TABLE DES MATIERES 512 518

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