Le point de vue de nos voisins étrangers, Grande-Bretagne
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Le point de vue de nos voisins étrangers, Grande-Bretagne
La société à directoire, Forme d'élection de la gouvernance LE POINT DE VUE DE NOS VOISINS ETRANGERS La Grande-Bretagne Mike BUTCHER General Counsel, Veolia UK Je suis honoré d’être invité à prendre la parole devant un public aussi éminent. Je le fais à titre personnel et mes commentaires ne reflètent que mon opinion et non celle de Veolia Environnement. Le débat d’aujourd’hui porte sur la pratique d'une bonne gouvernance au sein de la société à directoire. Je vais essayer de vous donner les grandes lignes de nos actions au RoyaumeUni. Malheureusement pour moi, cette forme n'existe pas au Royaume Uni. Nous sommes « monistes ». Nous n'avons pas de structure dualiste. Je vais donc essayer de vous donner les grandes lignes de la gouvernance au Royaume-Uni, avec quelques réflexions d’ordre général. La gouvernance d’entreprise au Royaume-Uni Chez nous, la gouvernance d’entreprise est une prolongation de la protection de l’investisseur. Les deux sources principales de réglementation dans ce domaine sont la loi – Common law et equity – et les exigences du marché par le biais de ce qu’on appelle des contrats de cotation. Il s’agit de contrats établis entre les sociétés et le marché boursier de Londres pour utiliser les services de ce dernier. Les sociétés cotées sont désormais tenues de suivre les règles de gouvernance telles que définies dans le Combined Code. Le Combined Code consiste en une série de recommandations faites par d’éminents personnages, très respectés à la City de Londres, et qui font partie de ceux que l'on appelle en Angleterre « the great and the good ». Ils sont souvent soit l’un soit l'autre mais jamais les deux à la fois… Les sociétés doivent faire mention des recommandations du Combined Code qu’elles n’auraient pas suivies. Le rôle des administrateurs (Directors), leur rémunération, leurs responsabilités, l’audit, les relations avec les actionnaires et particulièrement les actionnaires institutionnels, tous ces sujets sont traités dans les lignes directrices sur la responsabilité des administrateurs non dirigeants (non executive directors). Le code intègre également d’autres lignes directrices sur le contrôle interne (rapport Turnbull), sur les comités d’audit (rapport Smith) et des suggestions de bonne pratique à l’attention du président (Chairman) et des non executive directors (rapport Higgs), ainsi qu’un récapitulatif des fonctions principales du comité des rémunérations, une liste des vérifications préalables à la nomination des membres du board et des listes sur l’évaluation des performances. http://www.creda.ccip.fr 1 La société à directoire, Forme d'élection de la gouvernance Par le passé, le législateur et la jurisprudence cherchaient, dans la plupart des cas, à protéger uniquement les intérêts des actionnaires contre des actes injustifiés d’actionnaires majoritaires ou de dirigeants qui auraient agi dans leur intérêt personnel. On prend désormais également en compte les intérêts des « stakeholders », que je traduis par « parties prenantes », et qui comprend la grande famille de toutes les personnes susceptibles d’être affectées par le comportement de l’entreprise. L’accent était donc mis sur l’intérêt de la personne morale. Les administrateurs avaient des devoirs envers elle. Un Director se devait d’agir au mieux des intérêts de l’entreprise au sein du Board de laquelle il siégeait. Et comme il n’existe qu’un Board, les Directors qu'ils soient executive ou non-executive sont traités de façon identique par la loi. En théorie, les Directors disposaient des mêmes pouvoirs. Ces pouvoirs étaient dispersés plutôt que concentrés dans les mains du Chairman ou du Chief Executive Officer, lesquels ont, longtemps, été mis sur la touche par des Directors dès lors que ceux-ci le jugeaient opportun. Des grandes sociétés anglaises ont cherché des fonds en introduisant des actions en bourse plutôt qu’en recourant à des prêts bancaires, bien que ce dernier mode de financement soit aussi très important. Il est indéniable que le marché mondial des obligations, a, au cours de ces dernières années, pris une grande ampleur. Pour pouvoir accéder à ce marché, les entreprises durent se conformer à ses règles. Cela a été fait par le biais du contrat de cotation avec les autorités. Ce contrat détaillait le comportement que la société devait respecter. Si elle ne se comportait pas correctement, les services du marché lui étaient interdits et son capital devenait alors plus difficile à augmenter et plus onéreux. Plus le capital se révélait onéreux et plus dure était la concurrence avec ceux dont le capital coûtait moins cher. Le marché anglo-saxon n’avait aucun intérêt dans une structure dualiste: les Anglais sont capitalistes pas marxistes ! Le Companies Act de 2006 Des changements radicaux dans le droit britannique des sociétés, proposés par un gouvernement travailliste, et approuvés par le Parlement ont abouti aux plus grandes mesures législatives jamais adoptées auparavant. La nouvelle loi sur les sociétés contient, entre autres, des réformes essentielles sur les fonctions et les devoirs des administrateurs. Ces nouvelles fonctions et devoirs sont des éléments de la responsabilité sociale de l’entreprise et donnent la primauté aux administrateurs pour que dans le cadre de leurs fonctions, ils favorisent la réussite de l’entreprise au profit des actionnaires. Mais ils devront également désormais faire attention à l’impact des décisions sur les autres parties prenantes (stakeholders). C'est un reflet du concept de « l’actionnaire éclairé »: même si le devoir principal d’un administrateur reste de promouvoir la réussite de l’entreprise au profit des actionnaires, il devra aussi tenir compte d’autres considérations. Cela dit, lorsqu’il existe un conflit d’intérêts fondamental, par exemple dans le cas d’une fermeture d’usine, les intérêts des actionnaires l’emportent sur ceux des employés. http://www.creda.ccip.fr 2 La société à directoire, Forme d'élection de la gouvernance De nouvelles règles vont être introduites pour faciliter la communication électronique. Une société aura la possibilité de se conformer à ces dispositions au début de l’année prochaine. Il est prévu qu’une société souhaitant bénéficier de ces mesures pour réduire ses coûts pourra proposer une résolution aux actionnaires à cette fin ; dans le cas d’une entreprise publique, elle pourra l’inclure à l’ordre du jour de son assemblée générale ordinaire. Les réformes concernant le rapport d’activité de l'entreprise ont fait l’objet de controverses : à l’avenir, une société cotée devra inclure certaines informations prévisionnelles dans son rapport, ainsi que des informations sur des questions d’environnement, sur les employés, sur des questions sociales et communautaires ainsi que sur les personnes avec qui le groupe a des liens contractuels majeurs ou autres. Il existe également de nouvelles réglementations qui vont apporter une certaine flexibilité dans les procédures concernant l’autorisation de donations à des partis politiques. Pour conclure sur ce sujet, il est bon de noter que la proposition la plus débattue et qui exigeait que l’investisseur institutionnel d’une société cotée indique sa manière de voter est, pour le moment, en suspens. Le gouvernement a cependant maintenu la possibilité d’introduire un régime obligatoire à un stade ultérieur. La France vue du Royaume-Uni La situation était donc un peu différente en France où, avant l'arrivée de la société à directoire, les entreprises se tournaient davantage vers les banques pour obtenir des prêts que vers le marché boursier parisien dont le rôle originel d’apporteur de capital a été bien plus limité que pour son homologue londonien. Les banques, et leurs amis les « noyaux durs » d’actionnaires, n’ont pas eu besoin de rechercher des fonds sur les marchés boursiers, ni de réclamer des lois pour les protéger, car elles ont favorisé des méthodes commercialement plus sûres et plus pratiques consistant à nommer leurs propres représentants au conseil des sociétés auxquelles elles prêtaient de l’argent. Ces représentants faisaient partie du conseil d’administration de l’entreprise pour agir dans l’intérêt de l’entreprise les ayant désignés, et pas nécessairement dans l’intérêt de la société au conseil de laquelle ils étaient nommés. Ceci est en opposition totale avec l’obligation fiduciaire de l’administrateur d’une société anglaise qui doit agir seulement au mieux des intérêts de la société dans laquelle il siège. Traditionnellement, et comme dans de nombreux autres domaines de la vie française, le président-directeur général centralisait tout le pouvoir du conseil d’administration. En cela, et parce que c’était généralement un homme, il ne semblait guère différent d’un pape ou d’un roi ; en fait, il était les deux à la fois. Il choisissait les administrateurs, souvent ses amis, parmi une élite d’énarques ou de polytechniciens – et pourtant qualifiés d’indépendants. Je laisse à d’autres, mieux qualifiés que moi, le soin de juger si la société à directoire a vraiment changé cela ou si c'est les demandes des marchés de capitaux qui ont provoqué les changements. http://www.creda.ccip.fr 3 La société à directoire, Forme d'élection de la gouvernance Un récent article du Financial Times concernant les litiges survenus chez Vinci et Safran, indiquait que les Présidents étaient en désaccord avec les directeurs. Cela était sans doute révélateur non d’un conflit de personnalités mais plutôt de la mise en question de la gouvernance d’entreprise française, indépendamment du fait que la France soit l’un des premiers pays d’Europe continentale à avoir adopté sa propre version du Code Cadbury britannique avec le rapport Viénot en 1995. De l’autre côté de la Manche, ces brouilles au sein du conseil d’administration sont un signe évident que les vieux réseaux de tutoiement sont peut-être sur le point de s’effriter. En outre, il semble qu'environ la moitié des plus grandes sociétés françaises aurait maintenant séparé les fonctions de Président et de Directeur général et que le nombre d’administrateurs réellement indépendants augmente rapidement, 27 % de ceux-ci étant des étrangers. Il sera intéressant de voir s’ils seront aussi disposés à destituer le PDG que le sont leurs homologues anglo-saxons – la durée de vie d’un CEO est habituellement bien inférieure à une dizaine d’années alors que le PDG peut exercer ses fonctions à vie, comme cela est le cas pour notre Reine. Les Français ne renouvellent pas facilement leurs élites. Il semble également significatif que la traditionnelle concentration du pouvoir dans les mains d’un actionnaire dominant se dissipe actuellement. Selon Proxinvest, seules 44 % des 120 plus grandes entreprises françaises sont dirigées par un seul actionnaire, contre 51 % en 2003. L’activisme des actionnaires en place sur ce qu’ils perçoivent comme des excès est également en progression. Ainsi, l'année dernière, 30 résolutions, nombre sans précédent, présentées aux actionnaires par la direction des plus grandes entreprises françaises lors des assemblées générales annuelles ont été rejetées. Où cela va-t-il nous conduire ? La gouvernance d’entreprise est-elle seulement motivée par des facteurs internes tant en France qu’en Grande-Bretagne ? Je ne le pense pas. Dans un monde où l’apport de capital est majoritairement fourni par les Anglo-saxons, les demandeurs de capital doivent aussi satisfaire ces pourvoyeurs en leur montrant que leur investissement se trouve entre des mains avisées. On peut penser que l’adoption de règles de gouvernance d’entreprise, qui sont à présent courantes, permettra des retours sur investissement plus importants et plus sûrs. Mais pour l’instant, il n’y a guère de preuve que cela soit véritablement le cas. Peut-être que cette approche est curieusement cartésienne et que la France et le monde anglo-saxon auraient mieux fait d'adopter Montaigne comme guide intellectuel. http://www.creda.ccip.fr 4