Point chaud - Disparition des dinosaures - CHSS

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Point chaud - Disparition des dinosaures - CHSS
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Date de création : 19 février 2013
Le Devoir
Actualités, lundi, 18 février 2013, p. A1
Point chaud - Disparition des dinosaures: les "météoristes" ont gagné
"Une controverse scientifique est terminée jusqu'à preuve du contraire", dit le sociologue des sciences
Yves Gingras
Stéphane Baillargeon
Le hasard, c'est " la rencontre de
deux séries causales indépendantes
", selon une célèbre formule du
mathématicien
Antoine-Augustin
Cournot, père du modèle de l'offre
et de la demande. Eh bien, le hasard
travaillait très fort vendredi quand
deux événements astronomiques
rares, marquants et autonomes ont
surgi en même temps.
Une météorite a d'abord implosé dans
l'atmosphère provoquant une pluie de
débris célestes et la panique dans un
recoin de la grande Russie. Quelques
heures plus tard, le gros astéroïde
2012 DA14 frôlait notre planète en y
laissant une longue traînée de sueur
froide.
Ces événements n'ont a priori aucun
lien entre eux. Comme il est tout aussi
fortuit, mais franchement fascinant
qu'au même moment, la revue
américaine Science publie un article
pour clore une fois pour toutes le long
et sinueux débat sur les causes de la
grande extinction de la fin du crétacé,
il y a environ 66 millions d'années. La
publication de l'équipe du professeur
Paul
Renne,
du
centre
de
géochronologie de Berkeley, donne
finalement raison au clan dit des "
météoristes " contre celui des "
volcanistes ". Le hasard, ce peut aussi
être la rencontre de trois séries
causales indépendantes...
Selon l'hypothèse développée en 1980
par le physicien Luis Alvarez et son
fils Walter, les dinosaures ont disparu
après la chute sur Terre d'une
météorite de quelque 10 km de
diamètre. En étudiant les couches
géologiques, Paul Renne et ses
coauteurs montrent maintenant que
l'impact et la grande débâcle
dinosaurienne se sont produits au
mieux à 32 000 ans d'écart, soit
presque rien en fonction des marges
d'incertitudes. Science siffle la fin de
la partie et le triomphe d'une nouvelle
" révolution scientifique " selon une
bonne vieille expression de l'historien
des sciences Thomas Kuhn.
" Quand on parle de révolution
scientifique, on pense généralement à
de grands bouleversements : Copernic
arrive et bouleverse la cosmologie.
Mais depuis le XVIIIe siècle, il n'y a
plus de grands bouleversements
semblables. On observe plutôt ce que
j'appellerais des microrévolutions
scientifiques
",
explique
Yves
Gingras, historien et sociologue des
sciences, professeur au département
d'histoire de l'UQAM. Les Presses
universitaires de France publieront
dans quelques jours sa synthèse
intitulée Sociologie des sciences,
3950e livre de la célèbre collection "
Que sais-je ? ". " L'explication de la
disparition des dinosaures est de cet
ordre micro plutôt que macro. Cette
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explication ne change pas nos
conceptions de base de la science. En
plus, la thèse météoriste date de
plusieurs
décennies.
Elle
était
révolutionnaire quand les Alvarez
l'ont formulée. À la longue, elle s'est
imposée. "
Dans son nouveau livre, Yves Gingras
donne
un
autre
exemple
de
microchangement,
celui
de
la
découverte du rôle de l'helicobacter
pylori dans le développement des
ulcères et des gastrites qui a valu le
prix Nobel de médecine à une équipe
australienne en 2005. " Jusque-là,
tous les manuels disaient que le stress
causait les ulcères, explique-t-il en
entrevue. Les malades prenaient des
antiacides. Je me souviens de mon
père qui buvait du Maalox. "
Évidemment,
les
compagnies
d'antiacides ne l'ont pas digéré. "
L'acceptation des preuves dans la
communauté peut être perturbée par
des éléments économico-sociaux, dit
le sociologue des sciences. On
imagine facilement que les médecins
qui travaillaient pour les fabricants de
médicaments contre les ulcères ont été
sceptiques un peu plus longtemps
devant la microrévolution. "
Deux types de controverse
La dernière partie de Sociologie des
sciences porte sur ces déterminants
contextuels
des
connaissances
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scientifiques en général et des
controverses
scientifiques
en
particulier, les contenus de la science
ne dépendant pas uniquement de
critères rationnels. Il existe deux
types de controverses, explique alors
le spécialiste. Il y a d'abord la
controverse scientifique, comme celle
autour de la cause de la disparition
des dinosaures.
" En fait, une controverse scientifique
est terminée jusqu'à preuve du
contraire, dit-il. Pendant 2000 ans, on
croyait que la Terre était immobile au
centre de l'univers et on avait de très
bons arguments pour le croire. À
partir de Copernic, des preuves du
contraire l'emportent. "
L'autre type de controverse est de
nature publique et les exemples
abondent : OGM, effet des ondes
électromagnétiques, réchauffement de
la planète... " Des peurs s'en mêlent et
le débat peut devenir complètement
irrationnel. Sur Terre, il n'y a pas un
expert en science de l'atmosphère qui
remet en cause les preuves du
réchauffement.
Ce
sont
les
idéologues, des marchands du doute
rattachés à des think tanks de droite
qui remettent par exemple en cause
l'existence d'un trou dans la couche
d'ozone. En général, les controverses
publiques sont liées à la technologie,
aux applications de la science. "
Là
encore,
les
interprétations
s'affrontent. Les objets célestes euxmêmes stimulent les interprétations,
surtout quand leur surgissement
simultané attise la curiosité et les
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explications
rationnelles.
plus
ou
moins
" Les météorites ont toujours été des
signes de quelque chose d'important,
conclut Yves Gingras. Le signe qu'un
roi allait naître ou mourir ou gagner
une guerre par exemple, selon les
interprétations des astrologues. À
partir du XVIIIe siècle, les mêmes
objets
perdent
leurs
références
extranaturelles pour devenir des
signes de menaces mécaniques.
Seulement, les gens sont toujours
prêts à interpréter les signes de
manière non scientifique. Ils sont
encore plus stimulés quand les objets
venant du ciel, le lieu des mystères, se
pointent par paire, en même temps.
Mais ce n'est qu'un hasard... "

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