Gilead : Une « small pharma » à fort potentiel

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Gilead : Une « small pharma » à fort potentiel
Une « small pharma »
à fort potentiel
La firme de biopharmacie californienne connaît une
croissance à faire pâlir d’envie bon nombre de ses pairs.
Le succès de cette ex-startup est bien parti pour durer.
E
ncore petite, elle a tout des promesses d’une
grande. Gilead pourrait – très bientôt – coiffer
au poteau quelques géants de l’industrie pharmaceutique. Il est déjà devenu un leader en virologie, spécialisé dans les traitements contre le VIH, avec
Truvada®, dont les ventes ont atteint la bagatelle de 1,6
milliard de dollars en 2007. A son actif : la découverte du
médicament vedette anti-grippe Tamiflu®, commercialisé
par Roche. Sa croissance a de quoi donner le vertige :
son chiffre d’affaires a progressé l’an dernier de 40 %,
après une envolée de 49 % en 2006. Et ce n’est sans doute
pas fini. Après avoir franchi la barre des quatre milliards
de dollars l’an passé, ses ventes pourraient cette fois-ci
atteindre un nouveau record de cinq milliards en 2008.
Cette ex-startup californienne joue désormais dans la
cour des grands.
La stratégie du laboratoire reste focalisée sur
ses trois domaines thérapeutiques.
Numéro quatre aux
USA
Le succès est au rendez
vous pour la société âgée
de vingt ans tout juste. C’est
aujourd’hui le numéro quatre
de la biotechnologie américaine en
chiffre d’affaires et la troisième capitalisation boursière, derrière Amgen et Genentech. Pour autant, ses dirigeants ne sont
pas intéressés par les classements mondiaux. Ils
ne veulent pas céder aux sirènes de la consolidation.
Acquisitions stratégiques
Pas question donc de procéder à une acquisition de
A la différence de bon nombre de sociétés
grande taille, même si des rachats ponctuels de
de biopharmacie, Gilead possède de nommolécules ou de technologies n’est pas exclu,
breux produits déjà commercialisés sur
si l’opportunité se présente. En cela, Gile marché. Au nombre de 11, ils apparlead se démarque de certains de ses pairs.
Priorité au
tiennent essentiellement au domaine
« Notre société est tournée vers la science
de la virologie, mais également de l’héet non vers le développement commerdéveloppement
patite B (Hepsera®) et des mycoses syscial. C’est une différence essentielle vis-àinterne
témiques (AmBisome®). Sans compter
vis d’autres entreprises de biotechnologie
plusieurs antiviraux que développe acou laboratoires pharmaceutiques. Certes,
tuellement la firme américaine. En 2006,
nous souhaitons bien vendre nos produits,
une nouvelle étape a été franchie. Gilead a
mais notre marketing est davantage orienté
procédé à deux acquisitions stratégiques : Myovers l’innovation. Ainsi, tous nos produits déjà sur
gen et Corus Pharma, ce qui lui a permis de se diversifier le marché ou en développement présentent des innovadans un nouveau domaine thérapeutique (ndlr : le res- tions sur le plan scientifique. L’un de nos objectifs est
piratoire). Ce leader de la virologie veut étendre ses do- d’accroître notre avance thérapeutique. En outre, nous
maines de prédilection au respiratoire, mais également au sommes très attentifs aux besoins des patients sur un plan
cardiovasculaire. Trop spécialisé, il ne pourrait pas conti- médical », explique Paul Carter, senior vice-président de
nuer à se développer au même rythme dans le futur. Pour Gilead. La priorité est donc donnée au développement
autant, pas question de se développer à tout va, dans les interne. La société s’appuie sa propre recherche, avec
vaccins prophylactiques ou thérapeutiques par exemple. quatre centres tous basés aux Etats-Unis. En 2007, Gi-
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PHARMACEUTIQUES - FÉVRIER 2008
Gilead Un labo au crible
DR
Un blockbuster en 2008
SITE CORPORATE
DE GILEAD À
FOSTER CITY
(CALIFORNIE).
Gilead a déjà pavé la voie pour pérenniser
sa croissance. De nombreux lancements sont en
cours ou planifiés à court terme. Ainsi le médicament
contre l’hypertension artérielle Letairis® vient d’être mis
sur le marché américain tandis qu’un traitement de la
mucoviscidose sera bientôt commercialisé de part et
d’autre de l’Atlantique. Surtout, le médicament antiVIH Atripla®, fraîchement commercialisé, a vu ses ventes atteindre les 900 millions de dollars en 2007. Il est
promis à un avenir radieux. Les analystes financiers de
Morgan Stanley prévoit qu’il deviendra un blockbuster
en 2008, avec des ventes estimées à 1,43 milliard de
dollars.
Pour autant, le succès ne monte pas à la tête de Gilead.
La société, qui a déjà commencé à rivaliser avec les plus
grands, garde les pieds sur terre. Ainsi, contrairement
à certaines « big pharma », sa structure n’a pas suivi le
même rythme que son chiffre d’affaires. Ainsi, a-t-elle
conservé une structure où les coûts sont réduits, et qui
colle aux besoins du marché. Son objectif est d’externaliser sa production, pour réaliser des économies sans
pour autant se départir d’une grande exigence de qualité. Cette démarche, qui vise à augmenter au maximum
50
COURS DE GILEAD SCIENCES (à New York, en dollars)
Le 29.01.2008
43,15 $
40
30
20
10
Le 1.1.1998
2,39 $
1998 1999
Source : Datastream.
lead a consacré 14 % de son chiffre d’affaires à la R&D.
La réussite est là. Déjà, deux blockbusters sont nés de
son département recherche, un traitement contre le VIH
Truvada® et Tamiflu®. Une belle performance pour une
société d’une taille encore modeste. Une autre orientation a été choisie pour poursuivre son expansion : nouer des alliances avec des firmes de
biotechnologie ou des grands groupes
pharmaceutiques. C’est un volet
important de sa stratégie. Paul
Carter donne un bon exemple
de collaboration entre trois
sociétés. « Atripla® est un
traitement contre le sida
en une prise par jour,
qui peut être utilisé
seul ou en combinaison avec d’autres
antirétroviraux. En
fait, c’est la combinaison de notre
antiviral Truvada®
et du Sustiva® de
BMS. Nous collaborons aussi avec
Merck & Co sur
ce produit. C’est
le type d’alliances
que nous pourrons
renouveler à l’avenir,
même si elles ne sont
pas toujours simples à
gérer », précise le viceprésident, qui se félicite
d’ailleurs de la bonne visibilité
dont bénéficie le pipeline.
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007
l’efficacité, a contribué à la constitution de beaux profits
de 2007. Après une perte en 2006, le résultat de Gilead
est ainsi l’an passé sorti du rouge pour atteindre 1,62
milliard de dollars. Et ce n’est pas fini. Pour 2008, les
analystes financiers s’attendent à une bonne cuvée. Le
bénéfice devrait donc avoisiner 1,83 milliard de dollars,
puis dépasser, en 2009, la barre des deux milliards de
dollars. Parmi les sources de revenues, les royalties ont
progressé l’an passé de 13 % à 497 millions de dollars.
L’essentiel provient des redevances pour le Tamiflu®, issu
de la recherche de Gilead. Si les ventes de ce produit
réalisées par son partenaire suisse Roche, ont atteint la
bagatelle de 2,08 milliards de francs suisses l’an passé,
elles devraient chuter cette année. Conséquence : les
royalties touchées par Gilead devraient fondre comme
neige au soleil. En effet, Roche prévoit un net recul des
ventes du Tamiflu®, les stocks liées à la pandémie ayant
déjà été constitués. C’est la seule incertitude qui pourrait affecter les résultats de Gilead, estime la communauté financière.
Le reste des fondamentaux de la firme américaine fait
preuve de la plus grande robustesse. Ce n’est donc pas un
hasard si bon nombre de gérants plébiscitent cette forte
croissance qui se reflète dans une valorisation conséquente. Ainsi de nombreux fonds détiennent une part
significative du capital comme Fidelity (6,8 %) ou encore Axa (5,31 %). Introduit en Bourse en 1992, le titre
a connu une ascension fulgurante. Le groupe pèse déjà
43 milliards de dollars en Bourse, soit presqu’autant que
BMS (47,5 Mds $). Pour autant, la belle histoire boursière n’est sans doute pas terminée. Toujours positif sur
le titre, Lehman Brothers vient de rehausser son objectif
de cours de 45 à 54 dollars. De même, Morgan Stanley
recommande l’achat de la valeur en visant un cours de
55 dollars à un horizon de douze mois. De quoi donner
encore de belles perspectives de gain en Bourse. n
Christine Colmont
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FÉVRIER 2008 - PHARMACEUTIQUES
Paul Carter, senior vice-president
Gilead veut rester
en adéquation, avec
son marché
Après son succès fulgurant dans la virologie,
la firme biopharmaceutique américaine
se diversifie dans le cardiovasculaire
et le respiratoire. Un développement
essentiellement basé sur la recherche
interne, mais qui pourrait être accéléré
par de nouvelles alliances.
Vous êtes devenus la troisième firme de biotechnologie américaine. Gilead est-elle encore une
société de biotech ou une biopharmaceutique ?
● Créée en 1987, Gilead vient de fêter son 20ème anniversaire. Au départ, c’était une société de recherche
aux revenus très faibles et uniquement focalisée sur son
pipeline. Ce n’est qu’il y a six ans qu’elle a véritablement
commencé à dégager une capacité d’autofinancement élevée (cash flow positif ). Gilead s’est ensuite transformée
en société commerciale, s’est dotée de forces de vente,
que nous avons recrutées essentiellement auprès de l’industrie biopharmaceutique. Nous voulons continuer à
bâtir ces capacités commerciales dans le monde entier.
Quels sont vos objectifs dans votre domaine thérapeutique principal, la virologie ?
● Pour l’heure, nous sommes focalisés sur les traitements
du VIH et de l’hépatite. Or, ces pathologies sont encore
mal soignées. En Europe et aux Etats-Unis, seules 50 %
des personnes atteintes du VIH sont traitées. Et parmi les
porteurs du virus en Europe, on estime qu’une personne
sur trois vivant avec le VIH ne soupçonne pas qu’elle est
infectée. Un des volets de notre stratégie est de traiter plus
en amont les patients touchés par le virus du VIH, en amé-
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PHARMACEUTIQUES - FÉVRIER 2008
PAUL CARTER,
SENIOR VICE-PRESIDENT, MISE SUR
LA VIROLOGIE, LE
CARDIOVASCULAIRE
ET LE RESPIRATOIRE.
liorant notamment le diagnostic. Ce n’est pas seulement
important pour la santé de chaque patient, mais aussi pour
les systèmes de santé dans leur ensemble pour le contrôle
de cette maladie.
Envisagez-vous de réaliser une acquisition majeure ?
● Nous ne cherchons pas à acquérir une autre société et
s’agissant d’une éventuelle fusion, nous n’avons pas l’intention, actuellement, de nous rapprocher d’une grande
société. En revanche, nous menons une veille sur le marché en vue d’acquérir des molécules ou des composés, pour
Gilead Un labo au crible
bue à l’amélioration de nos résultats. Notre structure de
management est réduite et notre force de vente est limitée
mais très efficace, car orientée uniquement vers les médecins spécialistes, ce qui nous permet de réagir très vite
et d’améliorer la prise de décision rapidement. Nous
Prévoyez-vous de diversifier vos domaines thérestons organisés comme une petite société de
rapeutiques ?
biotechnologie qui contrôle fortement ses
● Nous ne voulons pas bâtir une société
coûts. Le secret du succès de Gilead réside
entièrement focalisée sur un seul domaine
aussi dans sa forte adéquation avec son
thérapeutique. C’est la raison pour laNous sommes sûrs que nous
Les traitements du marché.
quelle nous avons souhaité nous diversiavons mis en place la meilleure orgafier. Nous avons organisé notre recherche
VIH représentent nisation. Début 2007, notre capitalisaautour de trois domaines thérapeutiques :
tion boursière approche les 45 milliards
75 % du CA
la virologie (VIH, hépatite, papillomavide dollars alors que nous ne sommes que
rus), le cardiovasculaire et le respiratoire.
4 000 personnes. A titre de comparaison,
Nos produits sont issus, pour la plupart,
Bristol Myers Squibb valait 51 milliards de
de notre recherche interne. Aujourd’hui, nous
dollars en Bourse et possède 43 000 employés.
dépensons un demi-million de dollars en R&D,
ce qui représente 1 % du budget mondial total investi Que pensez-vous de l’attractivité de la France ?
en la matière par la pharma. Nous sommes tout à fait ● C’est notre deuxième marché mondial après les
conscients que 99 % de la recherche se fait en dehors de Etats-Unis. Gilead est présent dans l’Hexagone depuis
Gilead. D’où notre intérêt pour des produits se trouvant 1996. Chaque mois, 25 000 patients y reçoivent notre
à un stade très précoce de développement, découverts par traitement contre le VIH, Truvada® et 9 000 patients
d’autres laboratoires, et que nous pourrions co-dévelop- Viread®. Un grand nombre est par ailleurs sous traiper pour renforcer nos trois domaines thérapeutiques. tement Hepsera® contre l’hépatite B. Nous commerPour l’heure, notre activité reste encore très orientée vers cialisons également un antifongique majeur contre les
la virologie, en particulier les traitements du sida, sur- infections fongiques sévères. En France, nos effectifs se
tout si l’on tient compte de nos accords de licence. Ainsi, montent à une centaine de personnes. Nos essais clini75 % de notre chiffre d’affaires sont réalisés dans le do- ques et notre développement sont menés notamment
maine du VIH. L’un de nos défis est de nouer de nouvelles avec des institutions académiques et des organismes de
alliances pour continuer à nous développer rapidement. recherche étatiques comme l’Agence nationale de recherches sur le sida et les hépatites virales (ANRS). n
Quels sont les prochains lancements de produits
prévus ?
● Letairis®, indiqué dans le traitement de l’hypertension artérielle, a été lancé avec succès aux Etats-Unis en
juin 2007. Egalement dans le respiratoire, nous préparons le lancement d’une molécule très prometteuse pour
Gilead et l’accès au médicament dans
traiter la mucoviscidose, aux Etats-Unis pour le troisièles pays en voie de développement.
me trimestre 2008 et en Europe pour le deuxième trimestre. Par ailleurs, nous venons de lancer Atripla® au
« Nous ne recherchons pas à gagner de l’argent sur
Canada ainsi qu’au Royaume-Uni, en Allemagne et en
les licences accordées aux génériqueurs installés
Autriche. Et nous pensons qu’il le sera dans les autres
dans les pays en développement. Nous essayons de
pays européens au cours des douze prochains mois. En
faire accéder le plus grand nombre de personnes à
France, nous attendons encore l’approbation de la Comnotre médecine. Les royalties demandées aux firmission de la Transparence. Par ailleurs, nous comptons
mes indiennes sont très faibles et ne couvrent que
lancer un médicament contre l’hépatite B, dans lequel
les coûts administratifs. Nous avons également des
nous nourrissons de grands espoirs, en Europe à la fin
accords de licence avec des sociétés sud-africaines.
du deuxième trimestre 2008. Ce produit, très bien toNous nous sommes engagés à faciliter l’accès aux
léré, offre un avantage indéniable pour les patients, sous
traitements des malades dans les pays en voie de
traitement de longue durée. Ensuite, une molécule pour
développement. Nous avons mis en place un prol’hypertension, actuellement en phase III. Enfin, nous
gramme substantiel d’accès aux médicaments contre
avons mis au point une nouvelle classe d’antiviraux
le sida dans les pays où les revenus sont insuffisants
VIH que nous anticipons être en phase III de développour prendre en charge le coût de tels traitements.
pement d’ici au deuxième trimestre 2008. ParallèleEt dans ceux où la situation économique est fragile,
ment, nous développons aujourd’hui plusieurs molécunous réduisons les prix et ne réalisons aucun bénéfice.
les dans l’hépatite, le papillomavirus et la bronchiatis.
Au total, nous avons d’ailleurs identifié 97 pays où
les fabricants indiens de génériques sont autorisés à
Comment s’explique la forte amélioration de votre
vendre sans restriction de prix ou objectif de prix. » .
rentabilité ?
● Nous maîtrisons fortement nos dépenses, ce qui contri-
DR
renforcer notre portefeuille de molécules. Nous sommes
convaincus dans notre propre capacité à travailler seul, en
nous appuyant sur notre propre R&D, dont l’excellente
qualité n’est plus à démontrer.
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