L`AGRICULTURE SUR L`EAU EN MILIEU URBAIN Les
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L`AGRICULTURE SUR L`EAU EN MILIEU URBAIN Les
L'AGRICULTURE SUR L'EAU EN MILIEU URBAIN Les hortillonnages d'Amiens et les chinampas de Xochimilco ALAIN MUSSET* *EHESS-Paris. Ce document n'est qu'une version préliminaire et encore inaboutie du texte destiné au congrès de Buenos Aires. INTRODUCTION La comparaison est souvent un exercice périlleux, qui expose son auteur à bien des déconvenues quand elle n'est pas menée avec toute la rigueur nécessaire, ou quand elle s'applique de manière purement mécanique à des objets sans liens entre eux. Pourtant, comme le disait Pierre Gourou en parlant des modes d'occupation de la forêt amazonienne : " la comparaison, arme du géographe, est ici le meilleur garde-fou " (Gourou, 1982-179). En effet, cette " arme du géographe " permet, à travers l'extrême variété des paysages, de montrer l'existence de phénomènes universels qui prouvent l'unité du monde et la cohérence des sociétés humaines. Elle est néanmoins à double à double tranchant, puisqu'elle peut entraîner son auteur vers la facilité, en favorisant des démarches tautologiques du genre " seul ce qui se ressemble est comparable ", la comparaison ne servant alors qu'à justifier le point de départ du postulat. Le cas inverse révèle du même système de pensée : A et B sont complètement différents, donc les deux objets ne sont pas comparables et la comparaison le prouve de manière à la fois logique, absurde et paradoxale. C'est pourquoi l'exercice comparatif ne présente un véritable intérêt que s'il permet d'identifier des formes, des thèmes ou, de manière plus générale, des éléments qui se distinguent les uns des autres dans des situations en apparence semblables. Elle permet alors d'identifier ce qui ressort du " culturel ", c'est-à-dire du particulier, dans des environnements a priori identiques. De la même manière, repérer les points communs dans deux situations qui diffèrent beaucoup permet d'identifier ce qui, dans les sociétés humaines, relève de l'universel. Cet aller-retour permanent entre le particulier et le général est l'essence même de la comparaison. C'est ce qui lui donne tout son sens à l'heure où les discourse convenus sur la mondialisation rendent toujours plus nécessaire une véritable réflexion sur les différentes échelles qui s'interposent entre le local et le global. Vouloir comparer les hortillonnages d'Amiens et les chinampas de Xochimilco ressort a priori du premier système comparatif, celui où la démarche tautologique qui tend à comparer l'incomparable peut apparaître comme un exercice vain, ou comme un simple tour de force intellectuel. En effet, outre le fait que la France, vieux pays industrialisé, et le Mexique, jeune nation en voie de développement, ne jouent pas dans la même catégorie sur le plan économique, il peut paraître hasardeux de vouloir mettre sur le même plan Amiens, modeste préfecture de 160 000 habitants, et Mexico, capitale d'État et métropole internationale dont la population dépasse les vingt millions d'âmes. Pourtant, l'étude comparée des hortillonnages et des chinampas ne se limite pas à un exercice de style géographique, puisque, dans les deux cas, on retrouve des éléments qui mettent en valeur un aspect méconnu des relations qu'entretiennent l'eau, la ville et le monde rural - au delà des frontières culturelles et des modèles économiques. Certes, les hortillonnages d'Amiens ne couvrent pas plus de 150 hectares, alors que les chinampas de Xochimilco couvrent une superficie dix fois plus grande, mais, de part et d'autre de l'Atlantique, les formes d'occupation et d'exploitation de l'espace présentent de nombreux points communs. Les paysages élaborés par plusieurs générations de paysans sont identiques et, dans un contexte marqué par une forte pression foncière, les luttes pour le contrôle des derniers terrains agricoles conquis sur les marais peuvent se solder par de très fortes tensions entre groupes sociaux aux intérêts divergents. La comparaison permet donc de travailler sur des écosystèmes en grande partie artificiels, mais qui, dans les deux agglomérations, sont présentés comme des espaces " naturels " fragiles, menacés par la croissance urbaine. En mettant en valeur ce qui, dans des contextes géographiques et culturels entièrement différents, dépend de l'universel, l'exercice relativise la valeur des découpages socio-économiques traditionnels et montre que, plus que jamais, il est nécessaire de penser systématiquement l'organisation des territoires à l'échelle de la parcelle comme à celle du monde. NAISSANCE D'UN PAYSAGE ORIGINAL À Mexico et à Amiens, le site de la ville et de ses faubourgs agricoles est directement lié à l'eau, même si le contexte topographique et bioclimatique apparaît très différent. En effet, fondée en 1325 par les Aztèques dans une cuvette endoréique, puis confirmée dans son rôle politique par les conquérants espagnols, la capitale mexicaine bénéficie d'un climat tropical tempéré par l'altitude (plus de 2000 mètres). Cette zone est marquée par l'alternance d'une saison des pluies (de mai à septembre) et d'une saison sèche (octobre / avril) qui, depuis l'époque préhispanique, a rythmé le calendrier de travail des agriculteurs indigènes. En revanche, Amiens appartient au domaine dit " océanique ", caractérisé par des précipitations bien réparties sur toute l'année (de 800 à 1 000 mm en moyenne) et une amplitude thermique annuelle faible. Cependant, à Mexico comme à Amiens, la présence de zones marécageuses à proximité du noyau urbain initial a favorisé la mise en place d'espaces agricoles originaux qui, après avoir perdu au fil du temps une grande partie de leurs fonctions productives, font aujourd'hui l'objet d'une attention particulière - non seulement de la part des habitants, soucieux de leur bienêtre, mais aussi des autorités locales, désireuses de conserver des paysages désormais considérés comme un véritable patrimoine historique. Deux sites liés à l'eau Située à soixante-dix kilomètres de la mer, l'ancienne Samarobriva, évoquée par Jules César dans sa Guerre des Gaules, est installée sur la rive droite de la Somme qui, à cet endroit, présente un débit moyen de l'ordre de 27 à 28 m3/s. La vallée est ici à la fois un obstacle et un point de pasaje (carte n° 1) : alors que, sur le versant sud, le plateau picard s'abaisse progressivement vers le lit du fleuve, passant de cent à vingt mètres d'altitude, le versant nord est marqué par un fort talus qui atteint vingt mètres de haut. La vallée, humide et tourbeuse, recouverte de marécages, traversée par les bras multiples de la Somme, est large de plus d'un kilomètre en amont et en aval de la cité, mais elle ne dépasse pas 500 ou 600 mètres à la hauteur d'Amiens. En outre, un petit vallon échancre le versant nord, ce qui facilite le passage entre les deux rives. Depuis sa fondation, la capitale picarde assure donc une double fonction : defensive (grâce à l'obstacle de la vallée marécageuse) et commerciale (grâce au croisement de la voie d'eau par les routes terrestres). Carte n° 1 : Le site d'Amiens (d'après la carte au 1/50 000 de l'IGN). On notera cependant que le site initial de la ville se situe à l'écart du cours d'eau, sur une terrasse dominant de quelques mètres le fond de la vallée. Les habitants se protégeaient ainsi non seulement de l'humidité générée par les marécages, mais aussi des inondations provoquées par les crues périodiques de la Somme - dont on a pu observer les effets dévastateurs au printemps 2001, quand plusieurs villes et villages de la région sont restés au moins trois mois sous les eaux. L'ancienne Xochimilco, en revanche, était une ville en grande partie lacustre. Dès leur arrivée dans la vallée de Mexico, en 1519, les compagnons de Cortés remarquèrent que les habitations étaient en grande partie bâties sur l'eau : " Pues, como caminamos para Xochimilco, que es una gran ciudad, y toda la m*s della est*n fundadas las casas en la laguna de agua dulce [...] " (Díaz del Castillo, 1983 : 317). Sa richesse était fondée à la fois sur une agriculture prospère et sur sa position privilégiée au bord des lacs qui recouvraient une grande partie du bassin de Mexico avant l'arrivée des Espagnols (carte n° 2). Les travaux de drainage entrepris par les conquérants pour protéger leur capitale des inondations qui, de manière périodique, menaçaient leurs vies et leurs biens, entraîna une réduction inéluctable des étendues lacustres et des marécages d'où les populations indigènes tiraient une grande partie de leur subsistance (Musset, 1991). En 1866, le lac de Xochimilco couvrait encore 63 km2, pour une profondeur moyenne de 2,10 mètres. Carte n° 2 : Les lacs du bassin de Mexico au XVIe siècle. Les écosystèmes de la vallée de la Somme ont connu une évolution différente, mais qui s'est soldée par une situation tout aussi délicate. En effet, les faubourgs d'Amiens se sont progressivement étendus sur des parcelles difficilement gagnées sur les zones humides. Au XIIe siècle, des fossés furent construits autour des remparts pour mieux assurer la sécurité de l'agglomération. Avec l'accord des autorités municipales, cinq pêcheries se sont installées sur leurs berges. Bon an, mal an, leurs propriétaires sortaient des douves cinq tonnes de poissons, intégralement destinés au marché local. Bien que rémunératrice, la pêche n'était pourtant qu'une activité assez marginale dans l'économie de la cité. Les véritables enjeux du contrôle de l'eau tournaient autour de l'agriculture et des moulins. En 1060 on en comptait déjà douze en activité, bâtis sur les différents chenaux de la Somme. Afin de mieux exploiter l'énergie hydraulique fournie par le fleuve, de grands travaux furent entrepris dès le XIIe siècle : approfondissement des canaux, construction de quais en pierre. Le nouveau quartier de Saint-Leu fit son apparition, au nord de la ville, tandis que les paysans entreprenaient la lente conquête agricole des marais voisins. Cette évolution fit d'Amiens une " petite Venise ", pour reprendre l'expression attribuée au roi Louis XI au cours d'un séjour en Picardie. Archétype européen de la cité lacustre, Venise servait déjà de modèle de référence aux voyageurs cultivés. Quatre siècles plus tard, quand Cortés découvrit Mexico-Tenochtitlán, c'est à la cité des Doges qu'il compara à son tour la capitale aztèque. L'étude des cartes anciennes nous permet de reconstituer l'ensemble des paysages urbains et péri-urbains qui caractérisaient à cette époque la ville picarde. En effet, la carte de 1542, étrangement orientée vers le sud, montre que les fortifications englobent désormais le quartier Saint-Leu, bâti sur le lit du fleuve, au milieu des marais (carte n° 3). Dans cette partie de la ville, rues et canaux suivent en parallèle le tours est-ouest de la Somme. Une grande rue transversale, " la chaussée ", relie les deux parties de la ville, depuis la place de la Belle Croix jusqu'à l'église de Saint-Sulpice, et permet de passer d'une berge à l'autre à pied sec. Ponts et passerelles facilitent la circulation intérieure entre les différentes îles qui, au fil du temps, ont été artificiellement réunies. En amont de la cité fortifiée, la rivière de Morevil et le lit principal de la Somme encadrent l'espace utile des hortillonnages, dont on distingue parfaitement la structure, composée de petits îlots de forme carrée ou rectangulaire séparés par d'étroits chenaux et bordés d'arbres. Cependant, cette situation ne va pas durer. Au XVIIe siècle, les modes et les systèmes de production proto-industriels évoluent rapidement. L'eau n'est plus considérée comme une richesse, mais comme une entrave à la circulation et comme une source d'infections et de miasmes qu'il s'agit d'éliminer si l'on veut assurer la sécurité et le bien-être des habitants. Progressivement, les canaux sont bouchés et les moulins fermés. Le XIXe siècle, fondé sur l'usage intensif de la vapeur, condamne l'énergie hydraulique à ne plus être qu'une force d'appoint. Dans ce contexte, seuls les hortillonnages ont tiré leur épingle du jeu car la forte productivité des sols régulièrement amendés par les déchets domestiques de la cité permettait d'obtenir des récoltes abondantes, dont les débouchés étaient assurés grâce à la proximité d'un grand marché consommateur. Deux systèmes agricoles originaux Dans les deux cas, les besoins alimentaires de la population urbaine ont favorisé le développement, puis le maintien d'une agriculture maraîchère très productive. L'humidité permanente apportée par les étangs et les canaux favorisait la croissance des plantes. Pour renforcer des conditions naturelles favorables, les cultivateurs ont eu recours à des méthodes identiques : apport de terre, de vase et de débris végétaux pour enrichir les sols, amendement par fumier naturel, d'origine humaine ou animale (guano de dindon et de chauve-souris à Xochimilco, par exemple). Aux portes d'Amiens, des emplacements étaient réservés au déversement des déchets domestiques, qui étaient ensuite utilisés pour fertiliser les champs. Les hortillonnages servaient ainsi à recycler une partie des ordures ménagères produites par les habitants de la cité. À bien des égards, on peut comparer ce type d'agriculture à la " culture de case " caractéristique de nombreuses sociétés africaines : large éventail de plantes cultivées, techniques de pointe et soins attentifs, sol cultivé sans relâche, proximité des lieux de travail et de résidence. L'entretien des canaux est une des principales contraintes de ce type d'agriculture. En effet, à Amiens comme à Xochimilco il faut éviter l'envasement provoqué par l'éboulement des berges, l'apport d'alluvions ou le rejet intempestif des déchets agricoles. Dans le cas des hortillonnages, il est nécessaire d'assurer l'écoulement des eaux, afin de permettre à la Somme de suivre son cours sans risquer de noyer les parcelles patiemment gagnées sur les marais. C'est pourquoi, deux fois par an (15 mai/15 juin et 15 septembre/15 octobre), les hortillons doivent faucarder les berges c'est-à-dire les nettoyer à l'aide d'un râteau à quatre dents (la faucarde). Régulièrement, on procède au curetage des fossés pour en extraire la vase, la boue ou les restes des légumes pourris et les répandre dans les champs. Cette opération permet à la fois de consolider et de fertiliser les parcelles cultivées. À Amiens, la première mention officielle des hortillonnages date de 1492 - date fatidique ! Pourtant, selon la légende locale, c'est en 1220 que deux hortillons auraient donné le terrain nécessaire pour bâtir la cathédrale qui allait faire la gloire de la cité. Selon les estimations les plus probables, les hortillonnages couvraient déjà 1 500 hectares au XVe siècle. Ce milieu " naturel ", très humanisé, était le résultat d'un long travail de préparation et d'entretien. Les jardins à primeurs installés au milieu des étangs étaient divisés en îlots (baptisés localement " aires "), séparés par d'étroits canaux de drainage (les " rieux "). Ils étaient généralement de forme rectangulaire et ne couvraient que quelques dizaines de mètres carrés, afin de conserver l'humidité nécessaire à la production des légumes destinés à la ville voisine. Le découpage des parcelles n'était pas homogène : certaines étaient bordées par un ou plusieurs fossés (ou par un étang) ; d'autres étaient enclavées et ne disposaient pas d'un accès direct aux eaux de la Somme ou de ses affluents. Les rythmes agricoles étaient soumis à l'alternance des saisons et à la variété des produits cultivés par les paysans. Le cycle productif traditionnel s'étalait sur trois ans. La première année, on semait à la volée, vers la mi-février, pour produire des radis, des salades, des carottes, des poignons et des poireaux. La deuxième année demandait un investissement plus lourd, puisqu'il fallait labourer et fumer les champs, redresser rigoles et canaux, renforcer les berges, avant de planter pois, pommes de terre, choux et salades. La troisième année, marquée par de nouveaux labours et un nouvel apport d'engrais, permettait de récolter radis et salades. À ces productions annuelles, il fallait en outre ajouter des cultures permanentes, principalement des arbres fruitiers. À Xochimilco, les paysages ruraux rappellent ceux des hortillonnages, mêmeles systèmes agraires sont différents. Les chinampas, improprement appelés " jardins flottants ", forment le paysage agraire le plus original de l'agglomération mexicaine. Ces grandes parcelles laniérées, bordées de canaux, sont l'héritage d'une des plus anciennes formes de l'agriculture préhispanique et, à ce titre, l'UNESCO les a classées patrimoine mondial de l'humanité. La technique utilisée par les populations précolombiennes pour créer leurs champs artificiels était assez simple : sur un treillis de joncs et de branches, on déposait une certaine quantité de terre. Le radeau ainsi formé s'enfonçait progressivement dans l'eau et l'on rajoutait, au fur et à mesure, de nouvelles couches de boue extraite des marécages. Quand le treillis touchait le fond, les arbres plantés sur le pourtour de la parcelle (en général des saules ou des peupliers) prenaient racine et consolidaient le terrain. Il semble cependant que la majorité des parcelles cultivées était gagnée sur des terres marécageuses drainées par un réseau dense de canaux. Dès l'origine, la chinampa avait une forme étroite (cinq à dix mètres au maximum), afin de lui permettre de rester humide en permanence et de faciliter l'arrosage des différents végétaux traditionnellement produits par les paysans : maïs, haricots, piments, amarante, mais aussi fleurs destinées au service des temples ou au plaisir égoïste des nobles. À Xochimilco, la superficie minimale d'un lot de chinampas oscillait entre un et deux hectares, ce qui permettait de nourrir un groupe de quinze à vingt personnes. La richesse du terreau accumulé sur ces parcelles permettait de pratiquer une agriculture intensive. Les rendements étaient encore améliorés par l'emploi d'engrais naturels, d'origine humaine ou animale. Au XVIe siècle, l'espace des chinampas (champs et canaux) se concentrait autour de la capitale et sur les lacs d'eau douce du sud de la vallée. On l'estime à presque 120 km2, dont les deux tiers étaient occupés par les terrains cultivés1. Les travaux de drainage entrepris à partir du XVIIe siècle ont entraîné la décadence d'un système agricole très productif, mais très fragile, fondé sur le contrôle permanent des ressources en eau du bassin. Au XXe siècle, la croissance de l'urbanisation a directement menacé ce qui restait des espaces ruraux épargnés par la politique hydraulique de l'époque coloniale (politique poursuivie au XIXe siècle par le Mexique indépendant)2. À l'heure actuelle, la zone chinampera de Xochimilco ne représente plus qu'une douzaine de km2, mais une grande partie des paysages ruraux hérités de l'époque préhispanique a été conservée. Quand on se promène en barque le long des canaux qui bordent chaque parcelle encore exploitée, on est frappe par la permanence des modes d'occupation du sol, même si de nombreux espaces agricoles sont aujourd'hui très dégradés. Le rôle des transports À Amiens comme à Xochimilco, malgré la présence de rues et de routes, les moyens de transport traditionnels n'ont pas été entièrement abandonnés, car ils correspondent à une nécessité et à une contrainte - la présence de nombreux canaux. Dans les hortillonnages, le bateau à cornet (photographie n°) n'est plus désormais qu'un élément récréatif, qui a perdu une grande partie de ses fonctions originelles. Il s'agit d'une barque à fond plat, dont le faible tirant d'eau lui permet de passer même quand les rieux sont peu profonds. Les bords sont relevés, afin de faciliter l'abordage des parcelles qui émergent de l'eau. Elle est propulsée par une rame ou par une perche. Ce type d'embarcation fait désormais partie de l'imagerie locale et sert à marquer l'identité culturelle de la population amiénoise, même si elle a peu conservé de relation avec le système économique et le mode de vie lié aux hortillonnages (photographie n°). Photographie n° : Un bateau à cornet. Photographie n° : sur un pont d'accès à une maison d'hortillon, une peinture naïve représente le bateau à cornet typique de la région. À Xochimilco, on est aujourd'hui loin des deux cent mille embarcations qui, selon Gibson, sillonnaient les lacs du bassin de Mexico au début du XVIe siècle. On constate cependant que les habitants continuent à utiliser un moyen de transport parfaitement adapté au milieu amphibiequi les entoure. À l'origine, il s'agissait de pirogues monoxyles qui pouvaient atteindre quinze mètres de long et transporter jusqu'à une tonne de marchandises. Avec le temps, l'architecture des embarcations se compliqua afin de répondre à des usages multiples. On les divisa en compartiments, on les couvrit d'une bâche qui protégeait les marchandises et les passagers de la pluie et du soleil. Comme à Amiens, leur faible tirant d'eau et leur étroitesse permettaient aux indigènes de naviguer facilement entre des canaux souvent exigus et peu profonds. La plus grande partie des trajineras est destinée au transport des touristes. Le seul embarcadère de Caltongo en compte plus de deux cents. Photographie n° : Une trajinera de Xochimilco. HORTILLONS ET CHINAMPEROS : UN MONDE À PART ? Indubitablement, les paysans de Xochimilco et d'Amiens forment un monde à part dans les deux agglomérations, même si, sur le plan statistique et démographique, leur situation ne paraît pas comparable. En revanche, la permanence des gestes quotidiens liés au travail des champs, le maintien de traditions séculaires, tout comme la revendication historique et culturelle de leur identité, font que ces deux communautés partagent des valeurs qui dépassent largement le cadre géographique de leur activité. Des populations homogènes À partir du Moyen Âge, les hortillons ont formé une micro-société très hiérarchisée, dotée à sa tête d'un capitaine et de deux lieutenants. À la fin du XVIIIe siècle, cette " corporation " comptait officiellement 47 membres de droit (sans compter les nombreux employés et ouvriers agricoles), qui se transmettaient leur titre de père en fils. C'est ainsi que sont nées de véritables dynasties, comme celle des Cardon, des Dargent ou des Azerondes, dont on peut suivre le parcours sur plusieurs générations. Depuis le début du XXe siècle, les recensements montrent que la population des hortillons tend à décroître inexorablement : 950 en 1906, 110 en 1960, et pas plus d'une vingtaine à l'aube du troisième millénaire. De manière paradoxale, ces paysans ne sont pas des ruraux, puisque leer lieu de résidence se situe en ville. On pourrait presque dire que ce sont des " rurbains " à l'envers. À l'inverse les chinamperos de Xochimilco ne sont pas des urbains à part entière, même s'ils habitent au c¦ur d'une des plus grandes agglomérations du monde. Malgré la présence envahissante de Mexico et des ses banlieues, ils ont en grande partie conservé les modes de vie du monde rural. De fait, avec presque 55 000 travailleurs répertoriés sur l'ensemble de l'Aire Métropolitaine de Mexico, les employés du secteur primaire représentaient en 1990 à peine plus de 1 % de la population active totale. C'est un chiffre évident très faible, mais qui masque de fortes disparités selon les zones étudiées puisque, à la même époque, les municipes conurbains regroupaient à eux seuls plus de 65 % des paysans officiellement recensés par les services de l'État (carte n° 4). Le District fédéral en comptait alors 19 145, soit à peine plus de 0,6 % de la population active travaillant au c¦ur de l'agglomération mexicaine. Cinq ans plus tard, lors du Conteo Nacional réalisé en 1995 pour répondre aux critiques formulées par de nombreux spécialistes qui mettaient en doute les résultats du dernier recensement, cette participation était tombée à 0,44 %. Les femmes ne forment que 35 % de cet ensemble, preuve qu'il s'agit d'une activité essentiellement masculine, contrairement au secteur du commerce et des services où le partage des tâches se fait, en apparence, de manière plus équitable. À l'intérieur même du District fédéral, les disparités sont fortes entre les délégations du centre ville, très urbanisées, où les activités agricoles sont complètement absentes, et celles de la périphérie, moins densément occupées, où l'on trouve encore d'importants espaces ruraux. Sur 20 078 unités de production enregistrées par le recensement agricole de 1991, plus de 80 % sont regroupées dans les quatre délégations du sud, situées entre l'ancien lac de Xochimilco et la chaîne montagneuse de l'Ajusco3. Carte n° 4 : distribution des employés du secteur primaire dans l'AMCM. Malgré leur petit nombre et leur faible poids économique, les paysans de Mexico existent. Ils forment des noyaux de population rurale isolés dans un milieu essentiellement urbain, mais qui ont conservé une grande partie de leurs traditions agraires et de leurs pratiques sociales. En fait, l'urbanisation croissante des modes de vie dans le District fédéral n'a pas encore gommé toutes les traces du passé agricole de la capitale mexicaine et, malgré les apparences, on peut parler pour cet espace densément peuplé et très urbanisé, de véritables sociétés rurales. Or, toutes les études le montrent, les habitants des zones rurales du District Fédéral sont en général plus pauvres et moins bien équipés que les autres habitants de Mexico. Comme les paysans de Milpa Alta, les chinamperos de Xochimilco ne sont pas reliés aux canalisations d'eau potable et, dans cette zone, le réseau d'égout est très peu développé : moins de 60 % des habitations de la délégation y ont accès, et ce pourcentage devient presque nul quand on sort des espaces urbanisés. Près de 20 % des enfants n'ont pas accès à l'éducation primaire (chiffre qui augmente encore pour les fils d'agriculteurs) et presque 40 % des habitants de Xochimilco et de Tlahuac n'ont pas fait d'études secondaires, ce qui les place au dernier rang du DF et les rapproche des populations les plus déshéritées de la périphérie orientale de l'agglomération (Nezahualcoyotl, Ecatepec...). Pourtant, dans ce monde rural encerclé par la ville, de nombreuses traditions se sont maintenues, parfois contre la volonté de l'État ou des autorités municipales, désireuses d'en finir avec l'image d'une communauté paysanne archaïque, soumise à des coutumes et à des rituels d'un autre temps. C'est ainsi que, chaque année, les habitants de Xochimilco participent à l'élection de "la plus belle fleur de l'ejido" (photographie n°). Il ne s'agit pas de couronner la plus belle rose cultivée dans les jardins de la délégation, mais bien de désigner la reine de beauté des chinamperos. Or, cette fête remonte à l'époque coloniale, puisqu'elle date de 1785, quand quand le vice-roi comte de Galves décida de la célébrer sur les bords d'une des plus belles promenades du Mexico de l'époque, le canal de Santa Anita. Durant la révolution, les festivités furent interrompues mais, dès 1936, on procéda de nouveau à l'élection de la plus belle jeune fille de la communauté paysanne. Photographie n° : La plus belle fleur de l'ejido. De la même manière, les paysans et les canotiers de la délégation continuent à célébrer la fête des Amapolas (coquelicots), malgré l'interdiction du gouvernement, en 1958, pour des raisons politiques : il s'agissait d'en finir avec des pratiques jugées contrerévolutionnaires parce qu'elles se fondaient sur des traditions anciennes. À cette occasion, le Front Unique des Canotiers (Frente Unico de los Canoeros) s'opposa vigoureusement au diktat des autorités et décida de maintenir la tradition, de manière plus ou moins clandestine. En revanche, la grande fête de la Cosecha (la Récolte), qui se déroulait au cours de la première semaine de novembre, est tombée en désuétude au milieu des années 1950, faute d'ouvriers agricoles pour assurer la permanence d'une coutume directement liée aux travaux des champs. En effet, les agapes se déroulaient à la fois sur les parcelles et dans la maison du maître (aux frais de celui-ci), mais le recul des activités agricoles a entraîné la disparition des quelques exploitations qui employaient encore de la main-d'¦uvre salariée. Parmi les traditions les plus vivaces et les plus ancrées dans la mentalité paysanne des habitants de Xochimilco, il ne faut pas oublier le culte du Niño Pan - représentation coloniale de l'enfant Jésus. Cette poupée confectionnée sur une armature de roseaux et de feuilles de maïs symbolise la relation étroite qu'entretiennent les chinamperos avec leur milieu lacustre. Chaque année, un majordome héberge le Niño Pan dans sa maison. Cet honneur immense se payecher, puisque l'heureux élu doit décorer à ses frais tout le quartier, inviter à sa table tous les pélerins venus saluer l'enfant sacré et faire de sa demeure une véritable chapelle, dédiée à ce fils illégitime de la Vierge Marie et de Tlaloc - dieu de la pluie des anciens mexicains4. Les cadeaux et les offrandes (vêtements, jouets, bouquets de fleurs), affluent en permanence dans la maison d'accueil, transformée en véritable entrepôt. Malgré les contraintes et les frais occasionnés par la venue du Niño Pan, les candidats au poste de majordome doivent s'inscrire sur une liste d'attente s'ils veulent un jour avoir la chance de le recevoir chez eux : en moyenne, l'attente dure une vingtaine d'années. Au-delà de l'aspect purement religieux de cette tradition paysanne, le culte du Niño Pan traduit les revendications identitaires d'une population qui tient à se distinguer des autres habitants de Mexico. Comme le dit un poème écrit par Victor Manuel Otero González à l'occasion du changement de majordome (le 2 février 1996) : "Xochimilco tout entier te vénère Depuis déjà quatre cents ans, de toute sa foi, Parce que tu es déjà, O Niño Pan, Une partie de son histoire, une partie de lui-même". En revanche, la quasi disparition des hortillons d'Amiens a entraîné la décadence des fêtes traditionnelles qui étaient organisées en l'honneur de Saint Fiacre. Depuis plusieurs années, une association essaie néanmoins de ranimer la flamme du marché afin de rendre une partie de son lustre à une activité qui avait presque complètement disparu, privant les habitants d'un élément essentiel de sociabilité (dans le meilleur des cas, les produits frais issus des hortillonnages ne représentent plus que 5 % des fruits et légumes vendus dans les magasins d'Amiens). La ville : un partenaire ambigu Ni les hortillonnages d'Amiens ni les chinampas de Xochimilco ne peuvent s'expliquer sans la présence proche d'une ville avec laquelle les activités agricoles entretiennent des relations de plus en plus ambiguës. En effet, même si les deux agglomérations ont connu des rythmes de croissance très différents, les deux espaces agricoles conquis sur les marais - et qui restent marqués en profondeur par la présence de l'eau -, se retrouvent aujourd'hui enclavés, cernés par les zones d'habitat ou par les activités industrielles. Au XIIIe siècle, Amiens ne dépassait pas 15 000 habitants et couvrait moins de 45 hectares. À la veille de la Révolution française, la superficie urbanisée avait doublé et la population atteignait 43 000 âmes. En 1900, on comptait plus de 90 000 habitants répartis sur 1 000 hectares. Une lente croissance, perturbée par les deux guerres mondiales, conduisit la capitale picarde à 105 000 habitants en 1963 - contre plus de 160 000 à la fin du siècle pour l'ensemble de l'agglomération. Xochimilco, en revanche, a connu une croissance démographique spectaculaire entre le début des années 1960 (70 000 habitants enregistrés) et l'an 2000 (presque 400 000, selon le dernier recensement). Ces chiffres ne doivent cependant pas masquer la réalité car, dans les deux cas, il faut raisonner à l'échelle de l'agglomération. Si les hortillonnages ont situés presque au centre d'une ville de taille moyenne, les chinampas appartiennent à l'une des plus grandes mégapoles du monde. En 1970, l'espace bâti de l'aire métropolitaine de Mexico couvrait 650 km2. Aujourd'hui, il dépasse les 1 500 km2 : il a plus que doublé en 20 ans (carte n° ). Autour du noyau central (le District fédéral, auquel appartient la délégation Xochimilco), s'agglutine toute une série de villes périphériques dont la gestion est assurée en théorie par l'État de Mexico, mais qui appartiennent à une entité statistique reconnue par tous les acteurs de la vie politique et économique mexicaine : l'Aire Métropolitaine de Mexico (AMCM). Ce vaste ensemble regroupe les 16 Délégations du District fédéral (plus de 8 millions d'habitants recensés en 2000) et 27 municipalités conurbaines (presque 7 millions d'habitants comptabilisés lors du dernier recensement). Trop souvent présentée comme un monstre dévoreur d'espace et d'énergie, Mexico n'en reste pas moins une ville qui crée e n permanence de la richesse et qui n'a pas encore digéré tous les espaces ruraux situés sur ses marges - et parfois au c¦ur même de l'aire métropolitaine. En effet, celle-ci couvre un peu plus de 4 600 km2, dont à peine le tiers est effectivement urbanisé. Même le District Federal n'échappe pas à cette règle : sur 1 500 km2, les espaces non bâtis (parcs et jardins, réserves écologiques, terres cultivées) représentent encore 40 % du territoire. Carte n° : la mégapole mexicaine. En plein c¦ur de l'agglomération mexicaine, Xochimilco apparaît donc toujours comme un espace rural homogène, marqué par des traits caractéristiques : omniprésence de l'eau (canaux, étendues lacustres),importance du boisement (arbres plantés pour maintenir en place les champú gagnés sur les marécages), exiguïté des parcelles, faiblesse de la mécanisation, éparpillement de l'habitat. Sur une surface totale de 127,4 km2 (8,5 % de la superficie du District fédéral), moins de 20 % des terrains sont urbanisés. À elle seule, la délégation de Xochimilco représente le tiers des surfaces agricoles du District fédéral. L'eau joue un rôle essentiel dans l'organisation du territoire comunal puisque, à côté des terrains agricoles, une partie de la ville est toujours traversée par des canaux. De nombreuses familles vivent encore sur leer parcelle et doivent employer une barque pour rejoindre la terre ferme. À Amiens, le quartier Saint Leu, bâti au Moyen Âge sur d'anciens hortillonnages, a conservé une partie de ses caractéristiques, malgré le comblement de la plupart des canaux. Après avoir connu une longue période de décadence, marqué par la dégradation du bâti traditionnel et l'installation de populations défavorisées, il connaît désormais une nouvelle jeunesse grâce à une politique active de réhabilitation et de rénovation urbaine (photographie n°). La présence en amont des hortillonnages encore en activité est un attrait de plus pour les nouveaux arrivants, qui espèrent ainsi profiter d'un espace " naturel " particulièrement original, garant d'une meilleure qualité de vie. Photographie n° : Le quartier Saint-Leu. Cet attrait pour un espace agricole qui a perdu une grande partie de ses fonctions et qui apparaît de plus en plus comme une coquille vide, ou pour mieux dire comme un " paysage relique " destiné à l'agrément des citadins, est la manifestation la plus évidente des relations ambiguës qu'entretient la ville avec son environnement. DES SITES MENACÉS Malgré l'intérêt qu'ils représentent pour les populations urbaines proches - ou à cause de cet intérêt, les hortillonnages et les chinampas sont des terrains agricoles de plus en plus menacés par la croissance urbaine et par le déclin des activités traditionnelles. La faible rentabilité des exploitations empêche les unités de production de faire face à la concurrence des activités urbaines et à l'expansion des espaces bâtis. Mais cette évolution, souvent présentée comme inéluctable, n'est pas la seule menace qui pèse sur l'avenir de l'agriculture sur l'eau, à Amiens comme à Mexico. Le difficile maintien d'une vocation agricole Le principal problème de cette agriculture dépasse le cadre purement local, puisque la révolution des transports, avec un temps de décalage entre Xochimilco et Amiens, a fait perdre aux maraîchers des deux agglomérations leur principal avantage : la proximité du marché urbain. En effet, si l'on respecte au pied de la lettre le vieux schéma de Von Thunen, hortillonnages et chinampas étaient placés de manière idéale pour approvisionner en produits frais et périssables, difficiles à transporter, les populations situées à proximité des espaces mis en culture. Cependant, avec le développement des transports frigorifiques, il est désormais plus rentable de faire appel aux horticulteurs d'Espagne, du Midi méditerranéen, de Bretagne ou du Bénélux. De la même manière, Mexico s'approvisionne désormais de plus en plus loin de ses bases agricoles, qui de toute façon ne peuvent pas alimenter les vingt millions d'habitants de la capitale. Cette situation explique en partie le grand paradoxe de l'agriculture métropolitaine. Les caractéristiques générales de l'agriculture à Mexico montrent qu'il s'agit d'une activité assez repliée sur elle-même, peu ouverte sur la ville qui l'entoure et qui, souvent, la menace. Les plantes cultivées dans le District Fédéral ont en général une faible valeur ajoutée (fig.1). Les deux tiers des superficies sont occupées par le maïs, plante de civilisation par excellence, et par des cultures fourragères (principalement l'avoine). La milpa reste donc l'élément de base de cette agriculture mal reliée à son environnement urbain. Au lieu de se lancer dans des productions maraîchères qui trouveraient facilement preneur sur les nombreux marchés de la capitale, les paysans du DF se consacrent à des cultures traditionnelles qui rapportent peu, et cela pour plusieurs raisons : en grande partie contrôlé par l'État (c'est encore le cas du maïs) leur prix de vente est faible5; en outre, elles se heurtent à la concurrence des grandes régions céréalières, mieux adaptées à la production de masse (quand elles ne doivent pas affronter des produits importés des États-Unis); enfin, une grande partie de la récolte est destinée à l'autoconsommation des famillas ou à celle du bétail élevé sur les exploitations. C'est dans le sud de l'agglomération que l'on rencontre les plus importantes zones de production agricole, mais aussi les plus spécialisées. Les délégations de Milpa Alta et de Tlalpan représentent (en valeur) plus de 90 % de l'avoine et 65 % des fêves produites dans le DF 6. Milpa Alta et Tlahuac totalisent 64 % du maïs en grain, 62 % des haricots et la totalité du maïs fourrager. Tlalpan est plus particulièrement spécialisée dans la culture du petit pois (93 % de la production) et dans celle des épis de maïs frais (88 % du total), alors que Tlahuac fournit 55 % des épinards. Le poids des traditions rurales ne suffit pas à expliquer cette spécialisation. La proximité des espaces densément urbanisées joue en effet un rôle fondamental dans l'orientation de la production. Là où la presión foncière est la moins forte se développent des cultures plus demandeuses d'espace (l'avoine fourragère est surtout cultivée sur les pentes de l'Ajusco, encore peu touchées par la croissance de l'espace bâti). Or on touche là un point essentiel concernant l'avenir de ces terres agricoles, soumises à une très forte pression foncière. L'ampleur des problèmes écologiques Le grand développement linéaire des berges rend d'autant plus difficile leur entretien, ce qui accroît la fragilité des parcelles cultivées. L'accumulation de vases et de limons, matériau fragile et friable, explique la mauvaise tenue des îlots, malgré la présence d'arbres qui ont été plantés sur tout leur pourtour afin d'assurer leur maintien. À Xochimilco, les paysages ruraux sont ainsi marqués par de grands alignements de peupliers qui suivent la ligne des canaux et matérialisent la bordure des champs gagnés sur les marécages. Le curetage des fossés et le plaquage des résidus sur le sommet des talus permet de compenser en partie l'érosion provoquée par l'eau qui s'infiltre dans les berges et mine progressivement leur résistance. À Amiens, le problème est d'autant plus aigu que le niveau des eaux peut varier considérablement au cours d'une même journée, puisque les hortillonnages se situent dans un bief placé entre deux écluses qui contrôlent le passage des embarcations sur le canal de la Somme. Ces variations journalières de niveau provoquent sur les berges des phénomènes de compression et de décompression qui accroissent leur fragilité. Dans une agglomération qui concentre le quart de la population mexicaine et au moins le tiers de la production industrielle du pays, les problèmes écologiques touchent directement l'ensemble du secteur agricole. Les paysans de Xochimilco sont ainsi quotidiennement confrontés à la pollution des eaux de surface qui alimentent leurs "jardins flottants". En effet, seule une infime partie des eaux usées de l'agglomération est traitée de manière satisfaisante et, dans le sud du bassin, de nombreuses maisons ne sont pas connectées au réseau d'égouts. Les rejets se font donc directement dans les canaux qui bordent les chinampas. En saison sèche, les barques chargées de touristes en goguette flottent sur un liquide noirâtre et malodorant, que les paysans utilisent pour arroser leur maïs et leurs légumes frais. L'agriculture sur l'eau : espace vert ou écomusée ? Le prix du foncier est le principal obstacle au développement d'une agriculture commerciale efficace et rémunératrice dans l'agglomération de Mexico. En effet, comme dans toutes les grandes villes du monde, la valeur potentielle des terrains à bâtir rend peu rentable le maintien ou le developpement des activités agricoles. Dans ce contexte, seul l'État peut, s'il en a la volonté, préserver les espaces ruraux de Mexico, afin de garantir aux paysans les moyens de poursuivre leurs activités, mais aussi d'offrir aux citadins une meilleure qualité de vie grâce au maintien, à l'intérieur de l'AMCM, d'espaces non urbanisés. Le tourisme, qui a modifié le profil socio-économique des habitants de Xochimilco en les réorientant vers des activités plus rémunératrices que l'agriculture, peut donc devenir, de manière paradoxale, l'ultime rempart des paysans de Mexico. Le risque est alors de transformer un véritable espace agricole en musée vivant, destiné aux seuls loisirs des citadins fatigués du béton, de l'asphalte et des encombrements. Mais si l'on se promène un dimanche sur les canaux de Xochimilco, on peut voir que les habitants de Mexico n'ont pas perdu leurs habitudes en quittant leurs rues congestionnées : près des embarcadères, les embouteillages de barques et de canots, malgré leurs couleurs vives et leurs décors floraux, n'ont rien à envier à ceux du periférico ou du circuito interior au moment des plus belles heures de pointe. De la même manière, mais à une autre échelle, les hortillonnages d'Amiens sont aujourd'hui essentiellement considérés comme un " espace vert ", une zone écologique à préserver au sein de l'agglomération amiénoise. Des zones protégées permettent à la flore et à la faune locale de se développer, même si l'environnement n'a plus rien de naturel. Des " safaris photos " sont organisés pour permettre aux visiteurs venus de toute l'Europe de prendre sur le vif des espèces rares ou en voie de disparition dans la banlieue des autres grandes villes française (amphibiens, oiseaux, petits mammifères aquatiques). Chaque année, à partir du premier avril, l'association de protection des hortillonnages permet aux touristes de se promener sur les rieux qui bordent les parcelles cultivées. Les visites sont très encadrées : elles se font sur des embarcations qui rappellent la traditionnelle barque à cornet, mais dont les capacités ont été augmentées pour faire face à la demande (photographie). 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Cette distorsion s'explique en partie par le fait qu'un même cultivateur peut travailler sur deux unités de production différentes. 4 En 1965, irrité de voir l'ampleur du culte porté au Niño Pan par la population locale, le curé de la paroisse décida de lui interdire l'accès de son église. Les fidèles décidèrent alors de porter plainte contre le religieux et la justice mexicaine, toujours prête à ferrailler contre la hiérarchie catholique, leur donna gain de cause. 5 Malgré le vent néolibéral qui souffle sur le Mexique depuis le milieu des années 1980, la Compagnie Nationale des Subsistances Populaires (CONASUPO), fondée en 1965, continue à assurer la commercialisation de plus de 40 % du maïs mis en vente sur le marché mexicain. 6 Pour la saison 1994-1995 (données extraites de l'Anuario estadístico del DF, INEGI, 1996). 1 17