LES ENFANTS DE CALI

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LES ENFANTS DE CALI
LES ENFANTS DE CALI
site: www.librairieharmattan.com
e.mail: [email protected]
(Ç)L'Harmattan, 2005
ISBN: 2-7475-8793-2
EAN : 9782747587938
Guylaine RODIOL PEREZ
LES ENFANTS DE CALI
Les enfants défavorisés de la deuxième ville de Colombie
L'Harmattan
5-7, rue de l' École-Polytechnique
75005 Paris
France
L'Harmattan Hongrie
Hargita u. 3
1026 Budapest
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L'Harmattan Italia
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Recherches Amériques latines
Collection dirigée par Denis Rolland
et Joëlle Chassin
La collection Recherches Amériques latines publie des travaux de
recherche de toutes disciplines scientifiques sur cet espace qui s'étend
du Mexique et des Caraïbes à l'Argentine et au Chili.
Déjà parus
Albert BENSOUSSAN, J'avoue que j'ai trahi. Essai libre sur la
traduction, 2005.
Xavier VATIN, Rites et musiques de possession à Bahia, 2005.
Christophe ALBALADEJO & Xavier ARNAULD DE
SARTRE (sous la direction de), L'Amazonie brésilienne et le
développement durable, 2005.
Guido Rodriguez Alcala et Luc Capdevila (présenté par), Une
colonie française au Paraguay au XIX: siècle: La NouvelleBordeaux,2005.
Ide lette MUZART-FONSECA DOS SANTOS & Denis
ROLLAND (org.), Le Brésil face à son passé: la guerre de
Canudos,2005.
Severo SALLES, Dictature et lutte pour la démocratie au
Brésil (1964-1985), 2005.
STRESSER-PEAN, Le soleil-Dieu et le Christ, 2005.
Pierrette BERTRAND-RICOVERI, Mythes de l'Amazonie. Une
traversée de l'imaginaire shipibo, 2005.
Jean-Pierre BLANCPAIN, Immigration et nationalisme au
Chili. 1810-1925,2005.
Marc LENAERTS, Anthropologie des Indiens Ashéninka
d'Amazonie,2004.
Pietro LAZZERI, Le conflit armé en Colombie et la
communauté internationale, 2004.
Mylène PERON, Le Mexique, terre de mission franciscaine
(XVI-XIX), 2004.
Michel MONER et Christine PÉRÈs (textes réunis et présentés
par.), La littérature pour enfants dans les textes hispaniques,
2004.
A Aldrin
« Rodaderos, basureros, barrancas, canadas,
quebradas, eso son las comunas. Y ellaberinto
de calles
ciegas de construcciones
caoticas, vivida prueba de como nacieron :
como barrios « de invasion» 0 « piratas »,
sin planificacion urbana y defendidas con sangre»
Fernando
Vallejo
« Ravins, décharges, défilés, gorges, canons, c'est ça
les Communes. Et le labyrinthe des rues aveugles
aux constructions chaotiques, vivant témoignage de leur genèse:
elles sont nées comme des quartiers « pirates» ou « d'invasion »,
sans planification d'urbanisme,
et défendues à mort. »
Fernando
Vallejo
INTRODUCfION
Deux tiers des Colombiens vivent avec moins de 230 000 pesos (environ
83 euros) par mois (1). Même ramené au coût de la vie du pays, c'est très peu. En
août 2004, une livre de viande revient à 2 500 pesos, le même poids de riz, à
800 pesos. L'enquête du Centre d'investigation pour le développement (CID), qui
dépend de la faculté de sciences économiques de l'Université nationale, rendue
publique en août 2004, évoque deux raisons principales à cette situation: l'échec
d'une politique de l'emploi par le gouvernement et une concentration toujours
plus forte des richesses menaçant la pérennité de la classe moyenne.
« Le diagnostic du gouvernement et du plan de développement pose que la
violence prend principalement ses racines dans le narcotrafic. Cette perception est
mauvaise. Le narcotrafic alimente la violence, mais la vraie cause, c'est l'exclusion. Et la concentration des terres est une des formes les plus agressives de l'exclusion », peut-on lire dans le rapport du CID. Cette concentration des richesses
dans le monde rural s'est aggravée ces dix dernières années si l'on en croit cette
étude.
Conséquence du manque d'emploi dans les familles, les enfants arrêtent leur
scolarité au collège ou au lycée - parfois même avant - pour travailler et aider
leurs parents. Cela génère encore plus de sous-emploi car moins bien payés, ils
peuvent plus facilement prendre la place de leurs aînés. A plus long terme, ce phénomène handicape à la fois la richesse de la famille qu'ils vont construire
(emplois peu qualifiés) et celle du pays tout entier. Au premier semestre 2004, le
taux de chômage officiel est de 14,3 % dans le pays (13,2 % en janvier 2(05),
mais la réalité serait plus proche des 19 %. Et encore, les petits vendeurs dans les
rues sont-ils comptabilisés comme des travailleurs! Certes, ils passent l'essentiel
de leur temps à exercer leur activité, mais les ressources qu'ils en tirent n'ont rien
à voir avec un quelconque salaire (2).
Le partage inégal des richesses et les conséquences d'une guerre qui dure
depuis quarante ans - déplacement de populations déstabilisant le pays tout
entier, déscolarisation des enfants, travail des mineurs, non-respect de leurs droits
les plus élémentaires - font que ce pays andin doté de ressources multiples
(parmi lesquelles les émeraudes, le café, le pétrole et le charbon) qui connaît une
terrible récession depuis la fin des années 1990 voit sa dette extérieure approcher
les 45 % du PIB à l'horizon 2005 selon les prévisions du FMI.
Alors que le nombre d'homicides a régulièrement décru au niveau national
entre 2002 (7 220 meurtres sur tout le territoire lors du premier trimestre) et 2004
(5 308 homicides entre janvier et mars), que la ville de Bogota suit cette tendance avec une baisse de 20,8 % entre les premiers trimestres de 2002 et 2003, puis
de 0,5 % entre 2003 et 2004 sur la même période, le cas de la ville de Cali est
complètement différent. La situation y est très préoccupante puisque la tendance
est justement inverse. En 2003, il Y a eu 565 homicides entre janvier et mars, et
on en compte 662 durant le premier trimestre 2004. Ces chiffres sont d'autant plus
inquiétants qu'ils sont largement supérieurs à ceux de Bogota (377 homicides
pour le premier trimestre 2003 et 375 pour le premier trimestre 2004) alors que
la capitale compte trois fois plus d'habitants que la préfecture du Valle deI Cauca.
Pour le premier trimestre 2004, le taux d'homicide à Bogota est de 5,6 pour
100 000 habitants, et il est cinq fois supérieur à Cali, avec 29,3 tués pour 100000
habitants (source Dijin) (3).
Les six premiers mois de 2004 ont fait 1 251 décès de mort violente à Cali. Et
la loi Zanahoria (4) mise localement en place pendant trois mois au printemps
retrouve sa place dans le débat à la fin de l'été. Le couvre-feu pour les mineurs,
assorti d'une série de mesures provisoires elles aussi (restriction de port d'arme,
interdiction de circulation des motos à certaines heures...), a en effet été suivi
d'une baisse sensible des statistiques morbides. Avec 143 blessés par arme à feu
et 68 par arme blanche qui débarquent tous les mois aux urgences de l'hôpital du
Valle, Apolinar Salcedo, le maire, se creuse la tête pour faire baisser les chiffres
de la violence dans sa ville. Mais comme il le déclare à El Pais dans I'édition du
12 août 2004 : « Si j'envoie les gens dormir à 18 heures, ça fait peut-être baisser
le nombre de morts, mais ça peut aussi affecter toute l'économie de la cité. Les
mesures répressives doivent revêtir un caractère exceptionnel, sans devenir permanentes, sinon nous passerions d'une démocratie à un régime autoritaire. »
Pourtant, ces lois auront bien cours lors du dernier trimestre 2004, avec un
premier bilan encourageant au 1er décembre. Le mois de novembre 2004 a en effet
été le moins meurtrier depuis six ans à Cali, avec 150 morts dans la ville tout de
même (207 tués en 2003). Sur les onze premiers mois en revanche, on compte
déjà 101 homicides de plus que l'année passée. Le début d'année avait été particulièrement violent. Mais le porte-parole de la mairie, Miguel Yusty Marquez,
reste lucide dans ses déclarations à la presse et précise que le plus difficile sera
de maintenir cette courbe descendante en décembre. En 2003, 244 homicides ont
été comptabilisés durant ce mois dans la capitale du Valle. Les festivités de la
ville n'y sont pas étrangères.
La mairie envisage de poursuivre sa loi de couvre-feu pour les mineurs et de
limitation de vente d'alcool en 2005.
Le département du Valle présente une superlicie de 21195 km2 pour une population évaluée en 2002 par le Dane (Département national de statistiques) à
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4318 191 habitants dont 2 264 256 à Cali (plus de 2,4 millions prévus en 2005). La
densité est donc de 203 hablkm2, c'est l'une des plus élevées du pays.
Pendant la période de la Violence (dans les années 1950), conservateurs et
libéraux s'y sont particulièrement affrontés dans le centre et le nord du département. La guérilla, elle, est apparue plus précisément dans la Cordillère occidentale et la Cordillère centrale. L'une d'elles a même été dirigée par Pedro Antonio
Marin alias Tirofijo alias Manuel Marulanda, aujourd'hui l'un des principaux
chefs des Farc.
Au début des années 1980, le M19 est aussi très présent dans le département.
Dans la ville de Cali, il se recentre dans la zone de Siloé. Enfin, du milieu des
années 1980jusqu'aux années 1990, les groupes de « nettoyage social» tuant les
homosexuels, les délinquants, les prostituées, les indigents, les pauvres, les syndicalistes et des hommes de gauche se baptisent Cali Limpia ou Amor a Cali...
Dans les années 1990, plus que la guérilla, c'est le narcotrafic qui augmente
les statistiques de la violence. A la fin des années 1990, les luttes entre les différents groupes armés ont repris de la vigueur et la limpieza social fait des ravages.
Mais dans la ville de Cali, les homicides sont surtout dus à la guerre entre les
pandillas (des bandes de délinquants organisées par quartier) et aux activités de
la mafia. Les chiffres donnent le vertige (5). Cali compte 1 102 homicides en
1990,2226 en 1994, 2 033 en 2001.
Les Farc (Forces années révolutionnaires de Colombie) sont la première guérilla à apparaître dans le Valle au milieu des années 1970. A la fin des années 1980,
elles créent le Front 30. En 2000, le rapport de l'Observatoire du programme présidentiel du droit humanitaire et DIH de 2003 estime leurs effectifs à 1 200 hommes
dans le département. A leur actif, en avril 2002, la prise en otages des douze députés de l'assemblée départementale. En 1999 et 2000, l'ELN (Ejercito de liberaci6n
nacional), fait de son côté deux prises d'otages massives. Celle de l'église de la
Maria, dans Cali, et celle, en dehors de la ville, du « kilomètre 18 ». En 2002, sa
présence est beaucoup plus discrète.
Côté paramilitaires, le Bloque Calima des AUC (Autodefensas Unidas de
Colombia, c'est-à-dire les paramilitaires) s'installe en 1999. n entre en conflit
avec les Farc notamment sur la route menant de Cali à Buenaventura. En avril
2001, les AUC sont reconnues coupables du massacre d'El Naya dans la
Cordillère, provoquant une vague d'immigration vers Cali.
Les affrontements entre les paramilitaires et la guérilla prennent les paysans
et les indigènes au piège, leur laissant pour seule possibilité la fuite vers la métropole de la région. Sans ressource ni terre. Un flot de déplacés contribuant à aggraver la situation des quartiers d'Aguablanca ou de Siloé, où les droits les plus élémentaires ne peuvent être assurés.
En quelques années, Cali devient le réceptacle de cette immigration dans l'urgence. Le rapport de l'Observatoire du droit humanitaire parle de 750 personnes
s'installant dans cette ville en 2000 pour fuir des violences. Et encore, cette population craintive, déracinée, souhaitant au minimum se faire repérer, n'est pas toujours comptabilisée.
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D'après ce même rapport, les massacres des AUC sont les plus importants du
conflit armé.
La Cordillère occidentale, la région côtière pacifique, les zones proches du
département limitrophe du Choco, par leur géographie, leur topographie et leur
faible peuplement, favorisent l'implantation des acteurs du conflit, qui peuvent y
installer une base arrière difficile d'accès où ils peuvent se replier. Pour contrer
les forces illégales, l'armée met en place dans les années 2000 un bataillon de
haute montagne dans les hauteurs du Farallones.
Fondelibertad (6) estime en 2002 que 47 % des enlèvements sont à mettre au
crédit des Farc dans le Valle, et la délinquance commune arrive au deuxième rang
de ce sport national avec 29 % des enlèvements: demande de rançon, recherche
d'une information, chantage pour terroriser une population soupçonnée d'intelligence avec la partie adverse ou monnaie d'échange en vue d'un futur échange de
prisonniers.
Premières victimes de cet état de guerre, les populations les plus défavorisées,
et parmi elles, les plus fragiles: les enfants.
L'attention portée aux mineurs, qui représentent 40 % de la population
colombienne, est pourtant un gage de développement et de consolidation du
pays. Reconnaître leurs droits et leur permettre de les voir appliquer - c'est là
ou le bât blesse - est un facteur indispensable de développement de la nation.
Si on ne permet pas aux futurs citoyens de grandir dans les meilleures conditions, aux jeunes d'être scolarisés, formés, respectés, reconnus dans leur citoyenneté, d'une part on perd la contribution future que ces jeunes auraient dû apporter au pays.
D'autre part, on aggrave les déficits de l'Etat en raison des frais engendrés par
cette situation: délinquance, trafics, manque à gagner de la force de travail, perte
de développement, etc. Comment un pays pourrait-il se développer avec succès
sans une attention efficace pour sa jeunesse? La Colombie l'a bien compris, en
votant des lois, en mettant en place des systèmes de protection de l'enfance. Mais
sur le terrain, la réalité est tout autre.
La fondation Antonio Restrepo Barco (7) a pour « principal objectif le développement éducatif, technique et culturel des enfants de familles à faibles revenus ». Elle travaille donc dans des projets ayant trait à la protection des droits des
enfants, la santé, l'éducation, dans le domaine de l'attention apportée aux populations vulnérables. Elle préconise avant tout « la promotion d'un changement socioculturel qui reconnaisse les mineurs comme sujets de droit, participant activement
aux prises de décision et aux actions qui les concernent» et insiste sur la nécessité pour les institutions gouvernementales de travailler en étroite collaboration avec
les ONG (Organisation non gouvernementale).
Même si la fondation Restrepo Barco reconnaît les efforts de l'Etat en matière d'éducation et de Sécurité sociale, elle estime en août 2004 que 41 % des 29
millions de Colombiens vivant sous le seuil de la pauvreté sont des mineurs. Soit
12 millions d'enfants dont les conditions minimales de développement ne sont
pas garanties. La même fondation compte 2 millions d'enfants travaillant dans la
10
rue et pense que près de la moitié des déplacés sont des mineurs dont la perspective d'améliorer leur situation reste maigre.
Sur le terrain, l'ampleur du travail à réaliser est impressionante. Mais les initiatives de tous ordres pour lutter contre ces inégalités et restaurer le droit des
enfants sont tout aussi remarquables.
Cet ouvrage propose un petit tour d'horizon de la situation à Cali, métropole
du sud-ouest de la Colombie, deuxième ville en population derrière Bogotâ et
juste devant Medellin (8).
( 1) Fin 2004,
1 euro
vivait avec moins
= 2 800 pesos. En 1997, 56 % de la population
230 000 pesos par mois, soit 10% de moins qu'en 2004.
(2) Le salaire minimum en Colombie est de 332000 pesos (environ 120 euros).
(3) Dijin : police judiciaire. Direccion de las investigaciones
judiciales y de inteligencia nacional.
de
Sa
petite sœur, au niveau départemental,
s'appelle Sijin (le S pour servicio).
(4) Zanahoria signifie « carotte ». lLlloi a ainsi été baptisée par l'ancien maire de Bogota, Antanas
Mockus. Un clin d'œil au jus de carotte par opposition à la consommation d'alcool.
(5) Rapport de l'Observatoire du programme présidentiel du droit humanitaire et DIB (2003).
(6) Le Fonds national pour la défense de la liberté individuelle
dépend du ministère de la Défense.
Son action consiste à proposer et à exécuter les politiques contre les enlèvements
et à attribuer les
subventions destinées à cette lutte.
(7) Fundacion Antonio Restrepo Barco. [email protected]
(8) Les médias présentent souvent Medell{n comme la deuxième métropole de Colombie. Mais les
chiffres officiels du
Cette dernière était
données relatives à
recensements.
Leur
Dane (Département
national de statistiques) donnent Cali juste devant Medell{n.
il Y a quelques années effectivement devant Cali par le nombre d'habitants. Les
ces populations se basent sur des évaluations, des enquêtes, pas sur de vrais
précision en est d'autant plus surprenante...
et à relativiser.
Il
CHAPITRE
I
Cali es Cali
Santiago de Cali, capitale de la salsa, de la danse et de la rumba...
Cali, ville où les femmes ont la réputation d'être les plus belles de Colombie.
Cette métropole n'a-t-elle pas d'ailleurs donné au pays la reine de beauté lors de
la traditionnelle élection le Il novembre 2003 à Cartagène ?
Cali, qualifiée aussi de « Sultane» du département du Valle.
Cali enfin, capitale du métissage. Si la population afro-colombienne est plus
présente sur les côtes Caraïbe ou Pacifique, si les Bogotains et les habitants de
Medellin sont plus souvent qu'ailleurs d'origine européenne, Cali est le lieu de
tous les métissages: Noirs et Blancs, Noirs et Indiens (zambos), Indiens et
Blancs, un peu des trois sangs mélangés... Toutes les combinaisons sont présentes. Toutes les origines aussi: populations afro-colombienne, indigènes non
métissés comme les Indiens paeces par exemple.
La préfecture du département du Valle deI Cauca s'est accrochée aux Andes le
25 juillet 1536 (date de sa fondation), à une altitude proche de 1 000 mètres. La
tempémture y avoisine généralement les 24 ac. A 500 kilomètres environ de la
capitale et 450 de Medellin, la deuxième ville du pays pour la population, plantée
au pied de la Cordillère occidentale, est une métropole moderne avec des îlots de
verdure et une rivière qui porte son nom: le ,fo Cali.
Le département du Valle deI Cauca doit son nom au grand fleuve qui parcourt
le pays du sud au nord, le Cauca, un peu moins long que le Magdalena, mais qui
présente tout de même plus de 1 000 kilomètres de berges. 80 % de la population
vallecaucana est urbaine. Cette région riche du pays domine tout l'Ouest de la
Colombie.
Tmversé par la Cordillère occidentale et la Cordillère centrale, ce département
comporte une vallée (d'où le nom de Valle) très fertile pour l'agriculture, des
plaines sur le littoml pacifique... On peut le découper en trois zones: la vallée
entre les deux cordillères, où l'on produit de la canne à sucre, de la banane, du riz,
du coton, du cacao, du maïs, des haricots... Cali fait partie de cette zone; la région
montagneuse, peu fertile au sud, on y cultive du café et des fleurs au Nord. A l'Est,
sur les hauteurs, c'est un paysage de paramos (très hauts plateaux), à
4200 mètres; la région côtière (costeiia), au bord du Pacifique, autour de la baie
de Buenaventura.
Dans le même département, on peut donc se trouver au niveau de la mer ou à
plus de 4000 mètres d'altitude... Une variation qui explique aussi la diversité des
climats.
Sebastian de Belalcâzar est le fondateur de la ville. Son patronyme a été
emprunté à un petit village d'Estrémadure, en Espagne, d'où il était originaire.
La Colombie a pris son indépendance le 20 juillet 1810. A Cali, on avait un
peu d'avance puisque les idées de liberté, d'indépendance et d'égalité triomphèrent le 3 juillet 1810 !
La ville va prendre de l'importance grâce à son ouverture sur le Pacifique.
L'ouverture du canal de Panama et les chemins de fer d'Antioquia (département
un peu plus au nord) et du Pacifique la désenclavent. L'exportation du café,
notamment, est donc aussi possible par ce port de la côte Pacifique alors que seuls
ceux de la mer des Caraibes étaient privilégiés jusqu'alors. Malheureusement, le
fe"ocarril dei Pacifico (Chemin de fer du Pacifique) disparaîtra comme la plupart des autres dans les années 1970.
Si au départ Cali est un satellite de Popayân et que sa région vit des deux activités principales basées sur l'élevage et la production sucrière, la ville va peu à
peu prendre la place qui est la sienne dans la Colombie d'aujourd'hui.
Jusqu'aux années 1950, la déforestation provoque une érosion aux conséquences préjudiciables. La partie basse de la ville est souvent inondée. Plus tard,
la construction de routes viabilisées et le drainage de la région vont donner l'impulsion pour un fulgurant développement.
Mais c'est aussi l'époque de la Violence, génératrice de mouvements de
population. Des paysans fuient leurs terres des départements voisins de Quindio
et de Tolima. Cet exode rural amène une main-d'œuvre bon marché et utile pour
l'expansion de la ville mais aussi son lot de problèmes sociaux et urbains qui ne
font que commencer.
C'est le drame de Cali. Son corollaire, ce sont les enfants jetés dans les rues,
vendant des fruits, effectuant quelque clownerie pour obtenir une pièce du passant ou de l'automobiliste arrêté au feu rouge.
En 1954, la ville arbore son propre drapeau. Le rouge symbolise le sang versé
pour obtenir l'indépendance, le blanc, la pureté et le vert, les zones rurales qui
entourent la ville. Elle a aussi son hymne (1).
Son explosion démographique la met aujourd'hui au deuxième rang des villes
de Colombie derrière Bogotâ et tout juste devant Medellin, avec un peu plus de
2,4 millions d'habitants estimés en 2005 (Dane).
Mais qui sont les Calenos ? Des immigrés.
Si 43 % des Bogotains ne sont pas nés dans la capitale, cette proportion atteint
47 % pour les Calenos qui ne sont pas nés à Cali. 300 000 personnes viennent du
Narino (au sud). Avec les Antioquenos (au nord), c'est la colonie la plus ancienne et la mieux organisée.
L'immigration des paisas (originaires d'Antioquia, du Tolima, du Quindio et
du nord du Valle) a permis un certain développement de la ville. Dans les années
1940, certains hommes politiques parlaient même de « terre rêvée », ce qui pro-
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voqua de multiples déplacements vers la ville. C'est la première grande vague
d'immigration en provenance du Nariiio et d'Antioquia vers le Valle. Suit la période de la Violence (évoquée plus haut) et le massif exode rural.
Dans les années 1970, Cali acquiert une certaine réputation en matière de
technologie agro-industrielle. En 1972, le raz-de-marée de Tumaco a pour conséquence une vague d'immigration vers Cali, à l'origine d'Aguablanca, alors zone
agricole et de marécages.
Dans les années 1990, la recrudescence de la violence provoque un nouvel
afflux de déplacés. Depuis, ils continuent de rejoindre Cali, par petits groupes, par
famille. On n'assiste plus à un exode massif mais à l'arrivée quotidienne de
quelques familles qui rejoignent les quartiers pauvres, s'agglutinant auprès
d'autres familles qui ont vécu la même histoire.
Ces arrivées successives de populations ont eu pour conséquences des
constructions anarchiques à Aguablanca et Siloé. Lorsque la nature se déchaîne,
les habitants de ces quartiers paient un lourd tribut. L'eau, que rien ne retient,
dévale les pentes et emmène tout sur son passage...
Du point de vue démographique, une étude du Dane (Département national de
statistiques) montre qu'entre 1997 et 2003, le nombre de foyers constitués d'une
femme seule avec des enfants mineurs a été multiplié par trois dans le pays. Cali
n'échappe pas à cette tendance.
Le 4 mars 2003, lors d'une table ronde départementale rassemblant
400 femmes chefs de famille de 42 communes du Valle à la chambre de commerce de Cali, le préfet German Villegas révèle que 31 % des foyers de la région
sont tenus par des femmes, phénomène qui est le plus flagrant dans les strates
Sisbén 1 et 2 de la population (2). Quand le foyer gagne moins d'un salaire minimum (12 000 pesos par jour), on appartient à la strate 1 ou 2. C'est le seuil de
pauvreté, la misère, la vie dans les bidonvilles, etc. (Siloé et Aguablanca à Cali).
Les ouvriers, artisans, employés constituent les strates 3 et 4. Les habitants des
quartiers résidentiels, aisés, riches, voire très riches, forment les strates 5 et 6 de
la population (les quartiers du nord de Cali).
Et les Indiens? Ils luttent chaque jour pour conserver leurs racines. Leurs coutumes ont traversé les siècles. A Cali, ils ne représentent que 5 % de la population,
mais ils jouent un vrai rôle dans l'économie de la ville: l'artisanat, le textile, et
la médecine traditionnelle. On va volontiers les voir pour soigner les bobos avec
des produits miracles...
A Cali, on répertorie les Yanaconas, les Quichuas, les Ingas, les Paeces et les
Gambianos. Pour tous ceux-là, l'intérêt de la communauté passe avant leur intérêt propre. La Constitution de 1991 leur donne une certaine autonomie qui leur
permet d'avoir leurs lois.
Les problèmes écologiques les préoccupent beaucoup. TIsveulent protéger la
Terre mère qui les nourrit, les espaces verts de Cali mais au-delà, faire prendre
conscience aux Calenos de la nécessité de réduire le volume des ordures par
exemple.
A 40 kilomètres du centre-ville, on trouve de magnifiques propriétés, de
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grandes fermes. L'une d'elles abrite le musée de la Canne à sucre: c'est l'hacien da Piedechinche. A l'ouest, s'étend le parc naturel régional Los Farallones. C'est
de là que la statue de Cristo Rey surveille la ville et envoie une brise rafraîchissante le soir. Si Cristo Rey est fascinant vu d'en bas, de près, on en reste également bouche bée!
Des cimes de la cordillère de Los Farallones, avec un peu de chance, les
Colombiens disent qu'on peut apercevoir à l'ouest les luxuriantes forêts du Choco
et plus loin encore, le Pacifique et en regardant vers l'Est, les cimes enneigées des
Andes.
Ce n'est pas un hasard si Cali est la plus grande concentration de centres de
recherches universitaires de l'ouest du pays. « Cette région compte la plus gmnde biodiversité par hectare. On y trouve plus de 5 000 espèces différentes pour
10000 mètres carrés; En un seul hectare du Choco, il y a plus d'espèces que dans
toutes les îles Britanniques réunies» déclarait à El Pais le chef de pharmacologie
à l'université du Valle, Oscar Gutiérrez, à l'occasion du deuxième symposium
international de biodiversité, le 9 octobre 2003.
« Oiga, mire, vea, véngase a Cali para que vea...» (<<écoute, regarde, viens
voir à Cali»), dit la chanson du groupe Niche. Cali ne manque pas en effet de
richesses à montrer au visiteur!
Aujourd'hui, la métropole est fière de son université très renommée, de ses installations sportives, de son musée d'Art moderne La Tertulia, du sens de l'hospitalité de ses habitants. Et il y a de quoi! Dans la capitale du Valle, on est prêt à se
mettre en quatre pour vous accueillir comme il se doit.
La canne à sucre, introduite dès 1550, permet la production de pane la (bloc de
sucre non raffiné) mais aussi d'aguardiente, un alcool fort et anisé. Les conditions
sont idéales pour la culture de la canne: l'altitude de 1 000 mètres, mais aussi l'humidité, l'exposition au soleil et la température moyenne de 24°C. En plus de ces
cultures, pour laquelle la région a développé la plus importante industrie sucrière
du pays (dont le centre est Palmira), les productions de coton, de sorgho, de soja,
de maïs, de tournesol, de raisins et de bien d'autres fruits sont autant de richesses
locales.
Aussi, la cuisine de Cali est l'alchimie de multiples influences indigène, noire,
européenne et créole. Sa situation au milieu de ces terres fertiles et généreuses où
l'on cultive toutes sortes de fruits, de légumes et de tubercules, et les relations avec
le port de Buenaventura, qui permet l'arrivage de poissons et de fruits de mer, font
de la gastronomie calefla l'une des plus riches du pays.
Citons l'inévitable sancocho. Certes, on déguste cette riche soupe partout en
Colombie. La particularité de la recette du Valle est de privilégier la banane, le
manioc, les marrons, le maïs, la viande de bœuf, de porc et de poule et de délaisser la pomme de terre. On le sert avec de l' aji (purée de piments) pour relever le
délicieux avocat et le riz blanc qui l'accompagnent, le tout arrosé d'un jus de lulo
(sorte de petites tomates acides). En dessert, les Caleiios vous conseilleront du
manjar blanco, une espèce de flanc à la noix de coco, à base de lait et de panela
(pain de sucre non raffiné). Mais le pastel de yuca (gateau de manioc) et les masi -
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tas de choclo (des beignets à base de maïs tendre) sont aussi typiques du département Et à 17 heures, avec un café ou un thé, comment résister au pandebono ? Le
chontaduro est également un fruit très apprécié. Les Mro-colombiennes qui le
vendent dans la rue lui prêtent des vertus aphrodisiaques.
La boisson typiquement caleiia, c'est le champû de Lola. Ce breuvage froid,
épais, confectionné à base de maïs blanc, du fruit de lulo, d'ananas, de panela, de
canelle et parfois de rhum, a ses inconditionnels. On peut en acheter partout en
ville à des vendeurs ambulants, sur le trottoir, dans les jardins publics, le long des
rues piétonnes... On peut d'ailleurs acheter un peu de tout dans la rue : des chon taduros, mangos biche, des ananas... et bien d'autres fruits ou un jus de canne que
le vendeur prépare devant vous, en glissant de grands morceaux de canne à sucre
dans son antique moulin en bois parfaitement entretenu et qui semble avoir traversé les époques sans dommage.
Les Calenos ont le sens de la fête et entretiennent un certain culte hédoniste
du corps. Le samedi et le dimanche, certains vont se baigner en famille dans la
rivière Panee. Ça ne coûte rien, tout le monde peut profiter de ce loisir-là! Mais
la nuit, un seul mot d'ordre: la danse! Cali est la capitale de la rumba, c'est-àdire la fête dans la rue, la salsa. A Juanchito, près du fleuve Cauca, les discothèques offrent le spectacle d'infatigables danseurs appliqués à ne pas faillir à leur
réputation.
Le dimanche matin, si vous rôdez près de la place Bolivar, vous croiserez
sûrement des centaines de cyclistes. Ce jour-là, certaines artères sont rendues aux
vélos et aux rollers, ce qui provoque cet étrange ballet de randonneurs.
Entre Noël et le jour de l'An, la fête de la canne à sucre coïncide avec la feria
de Cali. C'est l'un des principaux événements festifs de la ville. Concours de beauté, de danse, festivals de musique, animations en tout genre rythment la vie de la
ville alors en ébullition.
A Cali, tout est prétexte à chanter. « Las Caleiias son como las flores », écrite
par Arturo Jota Ospina et interprétée par Piper Pimienta Diaz, a été un gros succès
lors d'une feria dans les années 1970. Elle exporta hors des frontières la réputation
des femmes de Cali comme étant les plus belles de Colombie.
Le rio Cali, source de fraîcheur, serpente entre les constructions modernes. On
peut aller déguster sur ses berges quelque rafraîchissement en profitant du bruit de
l'eau vive entre les galets et d'un peu de calme. Une partie de la classe moyenne
ou plus aisée vit là, dans ce havre de verdure.
Côté architecture, les édifices d'époque coloniale se mêlent aux immeubles et
infrastructures modernes. Lorsqu'on observe Cali d'en haut, cela donne une
mosaïque de toits de tuiles roses entre lesquels auraient poussé des tours contemporaines de différentes époques du xxe siècle: certaines sont longues, blanches et
effilées ou un peu plus massives et beiges, d'autres ont essayé d'imiter la couleur
orangée des anciennes maisons de briques. La plus haute, c'est la Torre de Cali,
dans les quartiers du nord, construite entre 1980 et 1984. Elle affiche fièrement ses
44 étages et sa piste pour hélicoptère. Sa superficie est de 40 000 mètres carrés...
La Torre Mudejar de l'église San Francisco oppose sans complexe son style
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arabe à deux tours modernes toutes proches qui la dominent. Sur la place du même
nom, se trouve la gobernacion (préfecture).
Le plus vieil édifice de Cali, c'est l'église de la Merced (1545). Rattrapée par
des constructions bien plus récentes, elle offre le spectacle étonnant d'un monument d'un autre âge planté au milieu d'un décor de xxr siècle. La banque de
l'Occident, une tour de 16 étages peut-être le symbole le plus évident de cette
modernité, côtoie l'église blanche construite à l'endroit où, le 25 juillet 1536, le
frère Santo de Anasco célébra la messe de fondation de la cité. Son style colonial
en fait un monument imposant, et en même temps d'une grande simplicité.
Les églises, ce n'est pas ce qui manque à Cali! On peut citer également la charmante chapelle blanche et rose de San Antonio (1743), sur la colline du même
nom, qui offre une magnifique vue d'ensemble de la métropole depuis son esplanade. Ses cloches sont d'un alliage de bronze et d'or. Ses murs blanchis contrastent
avec la couleur de tuiles.
Dans ce quartier de Cali, en quelque sorte la vieille ville, règne une atmosphère très différente du reste de la métropole. Des petites ruelles qui grimpent le long
de la colline, des maisonnettes où travaillent des artisans. .. On se croirait presque
dans un village. Diverses architectures s'y côtoient en parfaite harmonie: époque
coloniale, époque néo-républicaine locale, influence italienne. Balcons en bois,
murs blanchis à la chaux ou peints de vives couleurs, colonnes torsadées un rien
pompeuses devant des portes d'entrées bourgeoises, maisonnettes plus modestes,
moucharabieh aux fenêtres...
Autre quartier traditionnel, celui de San Fernando. Mêlant constructions
anciennes et d'autres plus récentes, on y trouve aussi l'hôpital universitaire et le
club San Fernando, qui offre piscine, toboggans, terrains de jeux de toutes sortes
et restauration aux classes les pl us favorisées qui viennent ici se distraire les
week-ends avec leurs enfants. Il existe cinq autres clubs de détente dans la ville,
dont l'un porte Ie nom de l'écrivain vallecaucano Jorge Isaacs.
Objet de fierté de la ville, la fondation clinique Valle de Lili offre ses services
à tous depuis 1994. Elle a pour mission de proposer au plus grand nombre un
accès aux soins dans tous les domaines, avec des spécialistes reconnus dans le
monde entier.
Côté infrastructure routière, les deux grandes artères passantes sont la Quinta,
qui traverse la ville de part en part, et la Avenida Colombia.
On trouve le plus grand nombre de lycées et d'universités dans la moitié sud
de la cité. Ainsi l'université Javeriana, celle de San Buenaventura, la
Corporacion Universitaria Autonoma de Occidente et bien sûr la plus importante de la région jouit d'une réputation au niveau national: l'université du Valle, qui
a ouvert ses portes en 1945. Elle accueille 25 000 étudiants.
A l'ouest, la statue de Sebastian de Belalcazar, sur un promontoire naturel,
offre un panorama plongeant sur la cité, avec la Torre Cali ou Las Tres Cruces.
Le monument dédié au fondateur de la ville a été construit pour célébrer les
400 ans de sa fondation et créé par le sculpteur espagnol Victoria Macho. La statue est en bronze.
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Autre symbole de la ville: Cristo Rey. En 2003, la ville a fêté les cinquante
ans de cette sculpture de 26 mètres de haut et de plus de 450 tonnes. Cristo Rey
devait symboliser cinquante ans de paix après la guerre des Mille Jours (18991902). Ce monument national veille sur Cali, ses bras ouverts en croix semblant
accueillir le visiteur. C'est une place stratégique pour observer la ville... et un
rendez-vous pour les amoureux !
Sur les collines de l'Ouest, s'élèvent lns Tres Cruces. Un lieu de pèlerinage
lors de la semaine sainte.
Retour au cœur de la ville où la place de Caycedo abrite la cathédrale San
Pedro (terminée en 1842). Le dimanche, elle accueille des centaines de fidèles à
la messe de midi. Au centre, trône la statue de Joaquin de Caycedo, un des héros
de l'Indépendance. Les écrivains publics se pressent à l'ombre des hauts palmiers, attendant le client avec leur petite table bancale sur laquelle repose une
machine à écrire hors d'âge. C'est une vaste place très vivante, traversée au pas
de course par les hommes d'affaires pressés, mais où il est bon de flâner. Les personnes âgées viennent s'asseoir sur les bordures des allées centrales et passent un
moment dans la verdure. Le pont d'Espagne permet aux piétons de passer de la
place Caycedo à la Plazoleta deI CAM par dessus la Avenida Colombia. La passerelle est coupée en deux: un côté pour chaque sens selon que l'on aille vers la
place de Caycedo ou que l'on en vienne. Pas la peine de tricher pour espérer
gagner du temps, c'est aussi noir de monde dans un sens que dans l'autre!
De là, on aperçoit la Ermita, au surprenant style gothique, reconstruite entre
1926 et 1942 par l'architecte Pablo Emilio Pâez, inspirée de la cathédrale de
Cologne (Allemagne). Elle a vu le jour en 1678 mais a souffert du tremblement
de terre de 1925. C'est sûrement l'église la plus célèbre de Cali, reconnaissable
avec ses flèches pointées vers le ciel, bleu-gris et blanche.
La banque de la République abrite le musée de l'Or (toutefois pas comparable
à celui de Bogota). C'est un bâtiment massif et blanc, moderne, qui tranche avec les
maisons basses aux toits de tuiles oranges du quartier. Le visiteur appréciera en
outre l'art moderne présenté à La Tertulia, les richesses archéologiques de la région
dans le musée de ln Merced, rencontrera la civilisation des Indiens calimas au
Musée archéologique Calima, toute la mémoire précolombienne de la région.
N'oublions pas le musée des Sciences naturelles Federico Carlos Lehmann. Côté
théâtre, citons le Teatro municipal, au style créole, inauguré en 1927 dont la façade, repeinte en jaune il y a quelques années, a fait couler de l'encre, et le Teatro
Jorge Isaacs, qui a ouvert ses portes en 1932.
Dans la zone historique de la ville, au coin de la Carrera 5 avec la Calle 7, une
façade de petites briques rouges abrite le centre culturel Proartes. En son cœur,
un charmant patio et des coursives en bois. Le blanc des murs, le marron du bois,
le vert des plantes... on est en pleine Colombie, c'est sûr! Expositions d'arts
plastiques, conférences, déclamations de poésie, auditions musicales, théâtre...
Un haut lieu culturel.
Côté football, deux possibilités seulement:
on est soit supporteur du
Deportivo Cali, soit hincha (fan) de l'América, les deux clubs ayant à eux deux
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gagné 19 des 40 championnats disputés, ce qui représente donc 47 % des victoires
en 2003. Et l'Amériea est fier de ses Il victoires en championnat.
Plus près de la nature et des grands espaces, la zone du Farallones est un parc
naturel, à vocation écologique, de sensibilisation au respect de l'environnement.
Créé en 1968 entre le rto Cauea et le Pacifique, il se caractérise par une grande diversité biologique et des espèces endémiques. La végétation et la faune sont
fonction des étages thermiques (de 5 °C à 25°C). L'altitude du parc varie en effet
de 200 à près de 4 200 mètres (étages des paramos). Ici, naissent les sources d'eau,
ressource permettant à la fois le développement agricole et la production d'énergie
électrique. On compte des centaines d'espèces différentes d'oiseaux, 200 variétés
de serpents et de grenouilles, dont certaines très vénéneuses. Le parc s'étend sur
150 000 hectares, sur les communes de Cali, Jamund!, Dagua et Buenaventura. Sur
ses hauteurs, le Pieo de LorD attire les Andinistes.
Si la Colombie est la terre de tous les paradoxes, Cali exacerbe cette tendance. Comment ne pas être frappé par le contraste entre la douceur apparente de
vivre dans la « ville de l'éternel printemps», et les chiffres effarants de la violence qui la mettent au premier rang du nombre de décès par mort violente ramené à la population? Maria Isabel Ospina, réalisatrice diplômée en communication
sociale et en journalisme de l'université deI Valle exprimait, à l'issue de la projection d'un de ses documentaires à Paris le 28 avril 2003 (dans le cadre du festival100% Colombie), cette apparente contradiction: « Cali, c'est le calme et la
volupté, avec les fenêtres toujours ouvertes, les terrasses inondées de soleil...
C'est aussi entre 16 et 20 personnes qui arrivent à la morgue de l'institut médicolégal chaque jour de la semaine. Lors des fêtes comme la Fête des mères,
Halloween ou, pire, lors de la feria de Cali, c'est bien plus. Le week-end aussi
amène son lot de morts supplémentaires. 83 % d'entre eux ont entre 18 et
24 ans. »
La co-auteur de « Intérprete de la muerte », un documentaire de 25 minutes
dressant un portrait de Yolanda Sarmiento en 2000, médecin légiste la nuit à Cali
(elle a démissionné depuis) et s'occupant d'un programme d'aide sociale en faveur
des femmes enceintes d'un quartier très pauvre le jour, poursuivait: « Cela fait
trois ans que je suis en France. Je ne me suis rendue compte de certains réflexes
que nous avons, nous, les Colombiens, qu'une fois ici, dans ce pays. On peut vivre
à Cali. Bien sûr! J'y ai vécu vingt-trois ans. Et il ne m'est jamais rien arrivé. On
s'habitue. On vit avec cette violence. C'est dangereux de s'habituer mais c'est la
seule façon que l'on a de continuer à vivre, à sortir, à faire la fête. Je crois pouvoir
dire que tous les Colombiens ou presque ont quelqu'un dans leur famille décédé
de mort violente. »
Yolanda Sarmiento a quitté son travail à la morgue de Cali. Trop déprimant.
« Elle ne pouvait s'empêcher de penser, quand elle aidait une femme enceinte à
mettre un enfant au monde, qu'elle retrouverait peut-être quinze ans plus tard ce
bébé devenu adolescent sur une table de dissection », explique Maria Isabel
Ospina. Les meurtres, les règlements de comptes pour une dette, des motifs
futiles comme des CD prêtés non rendus, la délinquance commune, frappent
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