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N°2 Septembre 2002 MISE AU POINT Médicaments et Sexualité Dr Stéphane Droupy - Urologue, CHU de Bicêtre, Le Kremlin Bicêtre I. INTRODUCTION L ’incidence des troubles sexuels secondaires à la prise de médicaments est sans doute sous-estimée. Les médicaments impliqués dans la survenue de troubles de l’érection, du désir, de l’éjaculation et de l’orgasme sont notamment les vasodilatateurs, les antihypertenseurs, les psychotropes, les hormones, les antiulcéreux, les hypolipémiants et certains cytotoxiques. [1, 2, 4] En pratique clinique, il est fréquent de suspecter une participation iatrogène lorsque l’on est confronté à un patient souffrant de troubles sexuels. Le problème est alors d’obtenir une modification du traitement en cause et de le faire en accord avec le spécialiste (cardiologue, psychiatre, …) prescripteur. Cette démarche échoue le plus souvent car ni l’urologue ni le spécialiste concerné n’est capable de faire une proposition de traitement substitutif alliant efficacité et innocuité. L’objectif de cet article est de fournir une liste des traitements impliqués dans les dysfonctions sexuelles et de proposer dans chaque classe thérapeutique le médicament le plus à même d’éviter les effets secondaires sexuels. II. MATÉRIELS ET MÉTHODES Seuls les médicaments commercialisés en France ont été examinés. Pour chaque molécule nous avons tenté de définir s’il existait un risque d’effet secondaire sur l’érection, la libido et l’éjaculation. Les mentions légales du dictionnaire Vidal, la littérature internationale et les ouvrages cités en références ont été colligés afin de déterminer la responsabilité du médicament dans la survenue des troubles. Les cas cliniques isolés n’ont pas été pris en compte ou sont cités en tant que tels dans le texte. L’absence de données contradictoires et le petit nombre de patients inclus dans les séries de la littérature constituent un biais incontournable. En l’absence de mention légale d’effet indésirable et de données dans la littérature il a été considéré que le médicament n’était pas responsable d’effets secondaires même si d’autres médicaments ayant un mode d’action proche le sont. En l’absence de mention légale et en présence de données dans la littérature il a été considéré que le médicament pouvait être responsable d’effets secondaires. Il est également difficile de diffé24 rencier pour certaines pathologies notamment psychiatriques les effets sexuels de la maladie et ceux du traitement. Enfin, les effets bénéfiques du traitement sur les symptômes sexuels liés à la maladie n’ont pas été étudiés pour la plupart des molécules. Lorsque c’est le cas pour un médicament, il peut apparaître dans sa classe comme ayant le moins d’effets néfastes. 1. LES ANTIHYPERTENSEURS a) Bétabloquants : L’action pharmacologique des bétabloquants est complexe et tous n’agissent pas de façon identique. Ils diminuent les résistances périphériques, altèrent la sensibilité des barorécepteurs et bloquent les récepteurs béta adrénergiques périphériques. Certains réduisent l’activité rénine. Les bétabloquants liposolubles (Propanolol, Metoprolol et Oxyprenolol) franchissent la barrière hémato-encéphalique et ont une action sur le SNC. Le propanolol serait responsable de 5 à 15% de DE, de 1 à 4 % de baisse de libido et de rares cas d’éjaculation retardée voire de Maladie de Lapeyronie. La spécificité de l’Atenolol et du Médicaments et Sexualité N°2 Septembre 2002 MISE AU POINT Métoprolol pour les récepteurs béta1 semble limiter leurs effets néfastes sur la sexualité. Labetalol par un bloquage alpha et béta retarderait l’éjaculation et la détumescence (un cas de priapisme rapporté chez un dialysé). • Epargneurs potassiques : b) Sympatholytiques : d) Les Inhibiteurs Calciques : La reserpine et la guanéthidine ne sont plus utilisées en pratique clinique dans le traitement de l’hypertension artérielle en raison notamment d’effets secondaires majeurs sur la sexualité des patients (diminution de la libido, anéjaculation, éjaculation rétrograde et dysérection). Les effets néfastes de la méthyldopa sur les centres de l’érection, de l’éjaculation et de la libido s’exercent par le biais d’une action complexe centrale (sédation, dépression, hyperprolactinémie) et périphérique (antagoniste alpa2 adrénergique) chez l’homme mais également chez la femme. La prazosine (alpha1bloqueur postsynaptique) ne peut être tenu responsable de dysérection des cas de priapisme ayant même été rapportés. Il est recommandé comme traitement de deuxième ligne chez les patients sexuellement actifs. Les mécanismes par lesquels les inhibiteurs calciques qui induisent une relaxation musculaire lisse, et qui seraient responsables de troubles de l’érection ne sont pas clairement élucidés. La diminution de la pression artérielle et l’inhibition parasympathique pourraient en être la cause. En revanche, les inhibiteurs calciques seraient responsables d’infertilité en bloquant la réaction acrosomiale essentielle à la fécondation. La spironolactone est un antiandrogène responsable dans 30% des cas de DE chez les patients traités pour hypertension artérielle. Ces troubles sont réversibles à l’arrêt du traitement. e) Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine / antagonistes de l’angiotensine II : Sans effet sur le système nerveux autonome, les IEC et les antagonistes de l’ATII agissent par vasodilation et n’interagissent pas de façon néfaste avec les fonctions sexuelles. Ils sont recommandés chez les patients souhaitant préserver leur fertilité. [1,2, 4] c) Les diurétiques : • Thiazidiques : La diminution du volume sanguin et la vasodilatation secondaire sont impliqués dans la survenue de troubles sexuels fréquemment rencontré chez les patients traités par diurétiques thiazidiques. Selon les études 15 à 28 % des patients souffrent de troubles de l’érection parfois associés à une baisse de la libido. Des dysfonctions sexuelles féminines ont également été rapportées. 2. L ES PSYCHOTROPES, ET TRAITEMENTS DES AFFECTIONS NEUROLOGIQUES Les relations entre les médicaments psychotropes et les fonctions sexuelles sont d’interprétation difficile en raison des troubles sexuels liés à la pathologie psychiatrique ell- même. a) Neuroleptiques : • Les phénothiazines Les neuroleptiques altèrent l’en25 semble des fonctions sexuelles de l’homme et de la femme dans plus de 50% des cas : Libido, érection, éjaculation, mobilité des spermatozoïdes et orgasme. Les neuroleptiques interagissent avec les neurotransmetteurs impliqués dans les fonctions sexuelles (blocage de la transmission dopaminergique, augmentation de l’activité sérotoninergique, action anticholinergique). Les neuroleptiques sont fréquemment responsables d’hyperprolactinémie et d’une diminution des taux de testostérone. Au niveau périphérique les neuroleptiques interagissent avec les fonctions sexuelles par le biais d’actions bloquant les récepteurs alpa adrénergiques et les canaux calciques. Leurs effets délétères sur les fonctions sexuelles sont dose-dépendants et réversibles. Dans certain cas, à faibles doses des cas de priapismes ont été rapportés. Ainsi par exemple le Largactil n’a pas d’effets secondaires à 125mg/j, des cas de priapismes ont été rapportés à 100mg/j, les troubles sexuels disparaissent au dessous de 400mg/j. • L’Halopéridoldol est exceptionnellement responsable de troubles sexuels. • Le Fluanxol pourrait être impliqué dans un cas d’anéjaculation réversible sous cyproheptadine. • Le Sulpiride interagit de façon dose-dépendante par le biais d’une hyperprolactinémie. • La Clozapine antagoniste dopaminergique plus spécifique des récepteurs D4 n’a été reconnu responsable que de priapismes. • Le Prazinil semble bien supporté sur le plan sexuel [1, 2, 9]. N°2 Septembre 2002 Médicaments et Sexualité MISE AU POINT b) Antidépresseurs Les troubles sexuels sont fréquemment associés à la dépression qu’ils en soient la cause ou la conséquence. Parmi les patients dépressifs non traités 30% environ souffrent de troubles sexuels et parmi les patients traités par antidépresseurs 30 à 40% voient apparaître des troubles sexuels. Les propriétés anticholinergiques et sympatholytiques des antidépresseurs sont responsables des conséquences sexuelles. Les imipraminiques sont responsables de troubles de l’érection, d’altérations de la libido, de retard d’éjaculation et d’anorgasmie. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine sont tous responsables de dysfonctions érectiles, de troubles de l’orgasme et de l’éjaculation même si des cas d’orgasmes spontanés ont été rapportés. Les IMAO semblent pouvoir être responsables de troubles de l’érection chez près de 40% des patients, de diminution de la libido et d’anorgasmie bien que ces mentions ne soient pas précisées pour les spécialités disponibles sur le marché français. Les antidepresseurs qui ont le moins d’effets secondaires sexuels (<15%) sont la miansérine (Athymil), la mirtazapine (Norset), la viloxazine (Vivalan), le tianeptine (Stablon) et certains IMAO [1, 2, 6, 9]. c) Les normothymiques Les effets secondaires des sels de lithium semblent limités lorsqu’ils sont utilisés en monothéra- pie. Une diminution de la libido et des troubles de l’érection ont été rapportés en association notamment avec les benzodiazépines. d) Les anxiolytiques Les benzodiazépines peuvent être responsables de troubles de la libido. Les dysérections ne sont rapportées qu’exceptionnellement et sont toujours réversibles à l’arrêt du traitement. L’Atarax (hydroxyzine) n’est pas responsable d’effets secondaires sur les fonctions sexuelles. La Buspirone (Buspar) semble avoir des effets positifs sur la libido et l’érection [1, 2, 9]. e) Les antiépileptiques Les troubles de l’érections, de l’orgasme et du désir sont fréquemment rapportés par les patients sous traitement antiépileptique. Ces effets secondaires ne sont pas rapportés dans les mentions légales de ces médicaments. Les troubles, souvent en relation avec les crises, peuvent être liés à la maladie, à la sédation, aux effets centraux et aux modifications des taux d’androgènes circulants liés aux médicaments. Les taux d’androgènes seraient plus élevés chez les patients sous acide valproïque (Dépakine), abaissés chez les patients sous carbamazépine et modifiés de façon dose dépendante chez les patients sous oxcarbazépine (Trileptal) [5, 7, 8] Ainsi, les effets secondaires sexuels ne font pas partie des mentions légales de la classe, de nombreux médicaments n’ayant pas fait l’objet d’étude concernant la sexualité, il est difficile de se 26 prononcer sur le choix du moins toxique d’entre eux. La Lamotrigine (Lamictal) semble, en l’état actuel des connaissances, être le mieux supporté des antiépileptiques sur le plan sexuel. Son association permettrait parfois de réduire les doses des autres médicaments et de récupérer les fonctions sexuelles perturbées [3] f) Les antiparkinsoniens L’influence de la Levodopa (Modopar, Sinemet) chez les parkinsoniens est variable et environ la moitié rapporte une amélioration du désir et de l’ activité sexuelle. Les agonistes dopaminergiques centraux utilisés en association av ec la Levodopa n’ont pas d’effets secondaires néfastes connus sur les fonctions sexuelles, l’apomorphine ayant même fait la preuve d’une certaine efficacité dans le traitement des dysérections.[2] 3. LES ANTI-ANDROGÈNES L’objectif de ces traitements utilisés dans le cancer de prostate est la diminution du taux de testostérone ou le blocage compétitif des récepteurs des androgènes. Les conséquences sur la sexualité sont donc majeures chez des patients le plus souvent âgés. Cependant un certain nombre de différences ont été rapportées en fonction des protocoles thérapeutiques utilisés. Ainsi, des études cliniques rapportent que l’utilisation des anti-androgènes non stéroïdiens en monothérapie dans certaines indications (non métastatique et localement avancé) permettrait de N°2 Septembre 2002 Médicaments et Sexualité MISE AU POINT Tableau : Médicaments responsables de troubles sexuels iatrogènes. L’altération des fonctions (érection, libido et éja culation) évaluée de telle manière que rarement est <5%, parfois entre 5 et 15% et fréquemment >30%. Les médica ments conseillés sont ceux pour lesquels il existe à l’évidence une meilleure tolérance en ce qui concerne les effets secondaires sexuels. INDICATION ANTI HYPERTENSEURS PSYCHOTROPES ET MÉDICAMENTS DES CLASSE LIBIDO ERECTION EJACULATION CONSEILLÉ Rarement altérée Fréquemment altérée Rarement altérée Aténolol Béta-adalate Ténorétic Ténordate Ténorine Bétatop Sympatholytiques Parfois altérée Parfois altérée Parfois altérée Prazosine Diurétiques Parfois altérée Parfois altérée Pas altérée Inhibiteurs calciques Pas altérée Rarement altérée Pas altérée Inhibiteurs Calciques IEC /ATII Pas altérée Pas altérée Pas altérée IEC / ATII Neuroleptiques Fréquemment altérée Fréquemment altérée Fréquemment altérée Leponex Clonazépine Haldol Prazinil Antidépresseurs Fréquemment altérée Fréquemment altérée Fréquemment altérée Athymil Norset Vivalan Stablon Normothymiques Pas altérée Pas altérée Pas altérée Atarax Anxiolytiques Pas altérée Parfois altérée Pas altérée Buspar Parfois altérée Parfois altérée Parfois altérée Lamictal Inhibiteurs de la pompe à proton Pas altérée Pas altérée Pas altérée Mopral Lazor Zoltum Ogast Eupantol Inipomp Pariet Antihistaminique H2 Parfois altérée Parfois altérée Pas altérée Statines Pas altérée Parfois altérée Pas altérée Fibrates Pas altérée Parfois altérée Pas altérée Bétabloquants AFFECTIONS NEUROLOGIQUES ANTIÉPILEPTIQUES ANTI -ULCÉREUX HYPOLIPÉMIANTS 27 Médicaments et Sexualité N°2 Septembre 2002 MISE AU POINT limiter les effets secondaires sexuels. D’autres médicaments ont une action anti-androgènique soit directe soit par le biais d’une hyperprolactinémie (spironolactone, cimétidine, psychotropes). 4. L ES ANTIULCÉREUX Les antihistaminiques H2 (Cimétidine et Ranitidine) ont été impliqués dans la survenue de dysfonctions érectiles réversibles à l’arrêt du traitement. Une action locale sur le muscle lisse caverneux et endocrinien par le biais d’une hyperprolactinémie a été évoquée dans la pathogènie de ces troubles. Les inhibiteurs de la pompe à proton n’ont été qu’exceptionnellement impliqués dans la survenue de troubles sexuels mais de rares cas de gynécomasties sont rapportés dans les effets secondaires [1, 2, 9]. 5. L ES HYPOLIPÉMIANTS Les statines et les fibrates sont responsables de troubles de l’érection chez plus de 12% des patients traités. Les mécanismes responsables restent mal précisés. Certains cas cliniques semblent indiquer la possibilité de disparition des troubles en remplaçant le médicament par un autre parfois de la même classe [8]. III. CONCLUSION IL est difficile de fournir des informations pratiques, exhaustives et objectives dans le domai- ne des troubles sexuels liés à la prise de médicaments. Cette liste est présentée sous la forme d’un tableau permettant de reconnaître pour une classe thérapeutique les effets secondaires sexuels et propose un certain nombre de médicaments reconnus comme ayant moins d’effets néfastes sur la sexualité afin de permettre une modification du traitement. Cette modification doit bien sûr être réalisée en accord avec le spécialiste prescripteur. Nous développons une base de données informatiques regroupant l’ensemble des effets secondaires sexuels des médicaments et permettant la recherche par nom commercial, molécule, classe ou mode d’action pharmacologique. Il est ainsi possible pour un médicament donné de vérifier s’il peut être responsable d’effets secondaires sexuels et de rechercher dans la même classe thérapeutique un médicament ne présentant pas ces effets secondaires. Nous sommes à l’écoute de toutes les informations qui permettraient de compléter et d’améliorer les connaissances dans ce domaine IV. REFERENCES 1. Brode rick G.A., Foreman M. Iatrogenic male sexual dysfunction: Drug induced and operative. Singer c., Weiner WJ, Sexual dysfunction: a neuro-medical ap proach. Armonk, NY: Futura Publishing Company, Inc 1994, 299-331. 2. Forman R, Gilmour-White S, Forman N . Drug-induced infertility and sexual dysfunction. Cambridge University press 1996 28 3. Hussain AM, Carwill ST, Miller PP, Radtke RA. Improved sexual function in three men taking lamotrigine for epilepsy. South Med J 2000; 93(3):3356. 4. Jardin A, Wagner G, Khou ry S, Giuliano F, Padma-Nathan H, Rosen R. Epidemiology and natural history of erectile dysfu nction. 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