LES 144 000

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LES 144 000
LES 144 000
Introduction : Alors que dans le corpus paulinien l’église primitive est présentée et comprise par
Paul comme un groupe uni, à l’identité ouverte et au sein duquel à été instauré l’égalité (cf. Ga
3,28.29; Ep 4,4-6). Alors que dans les évangiles Jésus semble vouloir rassembler l’ensemble de ses
disciples éparpillés dans toute l’oikouméné pour en faire un peuple uni (cf. Jn 10,16). Les Témoins
de Jéhovah se permettent eux de diviser le corps du christ, en invoquant une interprétation plus que
tendancieuse de la vision du ch.7 contenue dans le livre de l’apocalypse. Cette interprétation
contribue à leur marginalité, mais au-delà de ça, elle instaure une hiérarchie entre les fidèles et
dénature totalement l’enseignement biblique. Afin de contribuer à la libération spirituelle des fidèles
Témoins de Jéhovah, nous étudierons dans cet article l’ensemble de cette vision du ch.7. Un premier
rappel sera nécessaire sur ce qu’est le genre : apocalyptique, notion inconnue des fidèles. Pour
ensuite nous attacher à l’exégèse même de cette vision qui dit en fait le contraire de ce que la Watch
Tower enseigne. Et nous terminerons par le démantèlement complet de leur analyse en tenant
compte du contexte immédiat du ch.7.
LE GENRE LITTERAIRE DE LA REVELATION
Avant de chercher à comprendre quelle doit être notre attitude face au chiffre de 144 000, nous
devons d’abord nous préoccuper du livre dans lequel il figure, pourquoi cela ? Car ce livre qui
clôture le canon du N.T est un livre déroutant dans lequel il est facile de pénétrer mais une fois à
l’intérieur possible de s’y perdre.
Le premier obstacle auquel nous n’avons pas échappé est dans la signification du titre de ce livre.
Voici ce qu’écrit l’ouvrage Toute Écriture est inspirée de Dieu p.264 :
« Selon le verset d’introduction, il s’agit d’une « révélation de Jésus Christ, que Dieu lui a
donnée […]. Et il a envoyé son ange et, par son intermédiaire, il l’a présentée en signes à son
esclave Jean ». Ainsi Jean n’a été que le rédacteur et non l’auteur du texte. Par conséquent,
Jean n’est pas le révélateur, et le livre n’est pas davantage une révélation venant de Jean
(1:1). Ce dévoilement des merveilleux desseins divins pour l’avenir à l’esclave de Dieu donne
au titre de ce livre toute sa pertinence, car son nom grec, Apokalupsis (Apocalypse), signifie
« Action de découvrir, Dévoilement » ».
Or étant donné que la traduction de la Bible effectuée par les Témoins de Jéhovah est la seule
traduction française à avoir attribué au dernier livre de la Bible, non le titre Apocalypse mais
Révélation, les Témoins de Jéhovah apparaissent au sein de leur organisation comme ceux qui
contribuent à rétablir la vérité qui était cachée sous le terme Apocalypse, mais qui se trouve enfin
révélée par le canal que Dieu utilise à savoir le Collège central, sous le titre de Révélation.
Cependant, il est bon de préciser que les différents courants chrétiens, catholiques, protestants et
orthodoxes savent tous que le titre Apocalypse signifie en grec Révélation. Je le précise car de
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nombreux Témoins ne le savent pas et pensent que ceux qui parlent de l’Apocalypse demeurent
sous un voile. Moi-même j’ai longtemps partagé cette opinion, et je me rappelle aussi avoir insisté
de nombreuses fois dans mes commentaires sur la nécessité d’informer les personnes de notre
territoire de cette précision qui me semblait indispensable.
Mais alors pourquoi conserver le titre Apocalypse alors que le terme grec traduit signifie une
Révélation? La simple évocation de ces deux termes suggère des lectures différentes, l’un fait
référence à une vision catastrophique, mais l’autre à une révélation divine. Quitte à choisir nous
préférerions tous nous intéresser à une révélation de Dieu plutôt que de nous laisser narrer les
malheurs dont parle la Bible et qui nous rappelle aussi trop souvent notre quotidien.
Pour les Témoins de Jéhovah, ce livre « brosse un tableau cohérent d’événements à venir, les
visions se succédant jusqu’à la révélation complète, à la fin des visions, des desseins divins relatif
au Royaume. Il nous faut donc considérer le livre de la Révélation comme un ensemble composé
d’éléments harmonieusement coordonnés, qui nous transportent depuis l’époque de Jean jusqu’à un
avenir lointain » ce même ouvrage cite un des Pères de l’Église « Chez nous, un homme du nom de
Jean, l’un des apôtres du Christ, a prophétisé, dans l’Apocalypse qui lui fut faite1 » Ibid p.264.
Pleinement confiant que la Révélation de Jean est un livre prophétique qui annonce un
déroulement historique des évènements à venir, les Témoins de Jéhovah ont cherché à en faire une
interprétation exclusivement personnelle de toutes ces visions, en se référant notamment aux
nombreuses persécutions que les chrétiens oints, et principalement ceux du collège central de
Brooklyn, ont subies tout au long de leur existence.
Cependant, je comprends mieux maintenant pourquoi toutes les traductions françaises conservent
le titre : Apocalypse. Car cette conservation permet immédiatement d’introduire le lecteur du N.T
dans un nouveau genre littéraire, qu’il a très peu rencontré dans les évangiles et les épîtres c’est-àdire : le genre apocalyptique.
L’introduction du livre de l’Apocalypse contenue dans la TOB argumente ainsi :
« L’apocalyptique s’apparente donc à la tradition prophétique; elle en constitue un développement
particulier dont l’influence se manifeste surtout dans la littérature biblique et parabiblique à partir
du II siècle avant Jésus Christ (cf. Dn 7-12), mais dont on trouve déjà des préparations chez
Ézéchiel, Joël, Zacharie et en Esaïe 24-27 ».
Etienne charpentier écrit dans son livre Pour lire l’Ancien Testament p.89 : « Dans la Bible il n’y
a que deux apocalypses: Daniel et Apocalypse de Jean. Mais bien des textes des derniers prophètes
appartiennent déjà à ce courant (Es 24-27; 34-35; Za 168...). Entre 150 avant J.-C et 70 après, ce
courant produisit de très nombreux livres. Il modela profondément la mentalité des croyants, les
faisant vivre dans l’espérance et l’attente de la fin ».
Cette littérature juive vit le jour en réaction à des événements dramatiques, la NBS l’a qualifie de
« Littérature de crise ». R.E. Brown dans son ouvrage Que sait-on du Nouveau Testament ? p.833834, cite trois périodes historiques qui ont données naissances à des écrits apocalyptiques :
Exil à Babylone : Cette catastrophe, qui fait suite à la prise de Jérusalem, à la destruction du
Temple et à la chute de la monarchie, marqua la première mise en question d’une possibilité de
1
L’Œuvre de Justin, Apologies I et II, Dialogue avec Tryphon, Paris, 1982, p.263.
2
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salut dans l’histoire. ⇒ Ézéchiel 1-3; 37; 40-48; Zacharie 4,1-6,8; 9-14; Isaïe 24-27
La persécution de la religion juive sous le roi Antiochus Epiphane IV : Persécution en faveur
du culte des divinités grecques qui aiguisa un mal diabolique que Dieu seul pouvait vaincre. ⇒ 1
Hénoch 1-36; Daniel 7. 9; Écrits esséniens.
Destruction de Jérusalem en 70 : C’était comme l’antique dévastation babylonienne, revécue
six cent cinquante ans plus tard. ⇒ 4 Esdras. 2 Baruch2.
Cependant, il ne faudrait pas conclure trop vite que cet ouvrage n’est qu’apocalyptique, car deux
passages évoquent bien une prophétie : Ap 1, 3; 22,19. Apparemment ce livre comme d’autres
combinerait les deux, la littérature prophétique et apocalyptique. Les différents ouvrages auxquelles
j’ai accès son même divisés sur la classification littéraire de ce livre. Par exemple pour Conzelmann,
un exégète allemand, dans son Guide pour l’étude du Nouveau Testament p.415-416 il écrit :
« Quant au contenu, l’Ap est très proche des apocalypses juives; elle comporte néanmoins des
différences fondamentales par rapport à celles-ci », et il ajoute « On peut considérer que l’Ap est un
compte rendu de vision largement développé qui décrit les événements de la fin des temps qui est
proche. Mais il n’y a aucune détermination précise du moment de cette fin; la certitude que les
événements se dérouleront comme annoncé résulte du fait qu’ils ont déjà eu lieu au ciel et que Jean
les a « vu ». C’est pourquoi la « révélation » de Jean n’appartient pas au genre littéraire de
l’apocalypse au même sens que Dn ou les écrits apocalyptiques juifs qui lui sont contemporains
(cf.5.4); ce n’est pas non plus une lettre, mais un récit de vision qui se présente en partie sous forme
épistolaire ».
Cependant tous sont d’accord pour affirmer qu’il s’agit d’un écrit de circonstance, rédigé en
pleine persécution des chrétiens par Domitien en 95. Alors que ces mêmes chrétiens ont déjà subis
l’horrible persécution fomentée par l’Empereur Néron en 64 qui les accusa d’avoir mis le feu à
Rome. Et pour ce qui est du vocabulaire, toute la symbolique de cet écrit trouve son origine en
partie dans l’A.T, Brown p.832 fait mention de 65 %, mais aussi dans « les représentations du
monde gréco oriental ou dans la liturgie » (cf. TOB p.3043).
Ces visions de l’apocalypse tentent de réconforter les chrétiens, en pleine persécution romaine,
en réactivant l’attente de la Parousie du Seigneur Jésus et la destruction et la victoire du mal par
Dieu. Il nous faut donc nous méfier de ceux qui, comme les Témoins de Jéhovah, veulent lire cette
prophétie au futur, comme le développe J.P Prévost, dans Pour lire l’Apocalypse, éd. Cerf, 2006,
p.23 : « Frappés par d’étonnantes similarités qui existeraient entre notre époque et les phénomènes
qui sont décrits dans l’Apocalypse de Jean, bon nombre d’écrits ou de discours populaire scrutent
avidement le dernier livre de la Bible et invoquent son témoignage pour étoffer leur propre vision
d’une fin prochaine du monde. Notre génération, disent-ils, aurait été visée par l’écrivain de Patmos,
divinement instruit des secrets de l’avenir. Ils lisent ainsi la prophétie au futur. Prophétie équivaut
ainsi, comme le veut l’usage courant, à prédiction de l’avenir: les prophètes seraient des devins. On
ne sera pas surpris alors de voir réunis, dans ce qu’on présente comme une remarque convergence et
même unanimité, des personnages aussi différents que Ézéchiel, Daniel et Jean, pour l’époque
biblique, et Saint Malachie (XIIe siècle), Nostradamus (XVIe siècle) et Edgar Cayce (XXe siècle),
pour ne mentionner que les devins qui reçoivent la plus grande attention aujourd’hui. Tous auraient,
2
R.E Brown dans une note p.834 fait mention de 17 apocalypses de la pseudépigraphie juive.
3
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
dit-on, « prophétisé » la fin du monde, et nous serions parvenus à une période critique, où
s’accompliraient la plupart de leurs « prophéties ». »
Que penser de ce chiffre de : 144 000 ?
D’après les Témoins de Jéhovah ce nombre est à prendre au sens littéral et constitue le nombre
sceller de ceux qui doivent vivre au ciel avec Christ. Ce nombre apparaît dans le dernier livre de la
Bible qu’ils considèrent comme le livre qui expose les événements historiques depuis le 1er siècle
jusqu’à nos jours. Cependant, comme nous l’avons vu plus haut aucun spécialiste raisonnable
n’accorde à l’Apocalypse un tel crédit ni une telle visée.
Nous retrouvons un schéma analogue dans l’approche méthodologique d’avec la parabole de Mt
24,45-51. Il s’agit de texte sujet à l’interprétation, non de paroles prononcées clairement par Jésus.
N’importe quel personne qui entreprendra des recherches sur l’Apocalypse se rendra compte que
tout le monde peut y mettre ce qu’il veut3, notamment ceux qui en font une interprétation
historiciste, comme nous le dit A.Kuen4 p.12.
En ce qui concerne les Témoins de Jéhovah, il est aisé de comprendre qu’ils ont une
compréhension anachronique de la Bible. Car au vue de ce qu’il ressort ce n’est qu’après avoir
« compris » qu’il y avait une séparation entre deux groupes, 144 000 et les autres brebis, qu’ils en
sont venus à rechercher dans le N.T des versets (ex: Lc 12,32; Jn 10,16; Mt 24,45-51) qui
viendraient « corroborés » leur trouvaille. Cependant, dans une exégèse historico-critique plus
rigoureuse il est impossible d’arriver à de telles conclusions, car celles-ci ne sont obtenues que par
une manipulation des versets que l’on isole de leur contexte. Cette méthode facilite grandement
élaboration de doctrines tronquées mais ne résistent pas longtemps à l’exégèse et sont rapidement
démasquées.
Donc, afin d’illustrer d’une meilleure manière leur méthode d’enseignement nous allons
consulter une question de lecteur dans la Tour de Garde du 1er septembre 2004 qui a pour objet la
justification de l’interprétation littérale du nombre de 144000.
« L’apôtre Jean a écrit : « J’ai entendu le nombre de ceux qui ont été scellés : cent quarantequatre mille. » (Révélation 7:4). Dans la Bible, l’expression « ceux qui ont été scellés »
désigne un groupe de personnes choisies parmi les humains pour régner au ciel avec le
Christ sur la terre qui va être transformée en paradis (2 Corinthiens 1:21, 22 ; Révélation
5:9, 10 ; 20:6). » Tour de Garde
Ce premier paragraphe porte déjà les marques de ce que je reproche le plus souvent aux
« biblistes » de Brooklyn. Car lorsque l’on écrit « Dans la Bible l’expression « ceux qui ont été
scellés » désigne un groupe de personnes choisies parmi les humains pour régner au ciel avec le
Christ sur la terre qui va être transformée en paradis » le lecteur s’attend à ce que les références
bibliques citées appuies noir sur blanc cette affirmation, puisque c’est la Bible qui le dit ! Or dans
les versets cités en références et qui sont d’après la logique ceux qui vont nous permettre de vérifier
ces allégations nous n’avons pas une telle certitude. Voici le premier verset :
3
Même si je m’empresse de préciser que pour les exégètes catholiques et protestants dignes de ce nom, il y a un
fond commun historique dans leur interprétation.
4
A. Kuen, Encyclopédie des difficultés bibliques, vol. 4.
4
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
2 Co 1,21.22 :
« Mais celui qui garantit que vous et nous, nous appartenons à Christ, et celui qui nous a oint,
c’est Dieu. Il a mis son sceau sur nous et nous a donné le gage de ce qui est à venir, à savoir l’esprit,
dans nos coeurs » (TMN).
Paul se désigne avec les Corinthiens comme étant compris dans ceux qui appartiennent à christ,
oints par Dieu. Sur qui Dieu à mis son sceau (une marque) et leur a donné le gage ou les arrhes à
savoir l’Esprit saint en attente de ce qui est à venir. Le verset ne dit rien d’autre que cela. Une des
premières règles exégétiques à appliquer, et cela est normal puisque le but c’est de comprendre ce
qu’on voulu nous dire les rédacteurs et pas le contraire, c’est de ne pas faire dire au texte plus que ce
qui est écrit.
Ap 5,9.10 :
« Et ils chantent un chant nouveau, en disant : « Tu es digne de prendre le rouleau et d’en ouvrir
les sceaux, car tu as été tué et avec ton sang tu as acheté pour Dieu des gens de toute tribu, et
langue, et peuple, et nation, et tu as fait d’eux un royaume et des prêtres pour notre Dieu, et ils
doivent régner sur la terre ». (TMN)
Jean parle de personne qui chantent un chant nouveau et ce chant consiste à rendre gloire à celui
qui après avoir été tué, avec son sang a acheté pour Dieu des gens qui viennent de toutes tribus,
langues, peuples, nations et il a fait d’eux un royaume de prêtres, toujours pour Dieu, et ceux-ci
doivent régner sur terre. A noter que la mention finale « ils règneront sur la terre5 » n’oblige pas
forcément d’être au ciel.
Ap 20,6 :
« Heureux est saint quiconque a part à la première résurrection; sur ceux-là, la deuxième mort n’a
pas de pouvoir, mais ils seront prêtres de Dieu et du Christ, et ils régneront avec lui pendant les
mille ans » (TMN).
Est déclaré heureux et saint ceux qui ont part à la première résurrection, sur eux la deuxième
mort n’a pas de pouvoir et ceux-ci seront prêtres de Dieu et du Christ et ils régneront avec Christ
pendant mille ans. (Ce texte était tellement limpide dans sa lecture que j’ai même failli le recopier
entièrement).
Les Témoins de Jéhovah qui liront cela penseront peut-être que cela est grotesque ou que mon
analyse n’est que du pinaillage. Cependant, c’est la démarche que nous devons tous avoir lorsque
nous étudions la Bible : N’allons pas au-delà de ce qui est écrit. (1 Co 4,6). Avec un tel
commentaire des Témoins de Jéhovah, nous ne sommes plus dans l’exégèse biblique mais nous
avons traversé le pont vers l’herméneutique, l’interprétation. Sans cesse ils confondent ce que dit le
texte et leur compréhension du texte.
Cela n’est pas dérangeant car l’interprétation est nécessaire, mais dans ce cas on écrit pas noir sur
blanc : C’est la Bible qui le dit ! Non ! On écrit : C’est moi qui le dis ! C’est mon interprétation qui
le dit, c’est-ce que moi j’ai compris et pas la Bible, puisque comme nous l’avons constaté aucun des
textes cités n’appuient la déclaration péremptoire des Témoins. La Tour de Garde continue :
5
βασιλεύσουσιν ἐπὶ τῆς γῆς le verbe est au futur : ils règneront.
5
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
« Leur nombre, 144 000, est à prendre au sens littéral pour plusieurs raisons. L’une d’elles
figure dans le contexte immédiat de Révélation 7:4. Après avoir entendu parler de ce groupe
de 144 000 personnes dans la vision qu’il a reçue, l’apôtre Jean a vu un autre groupe. Il
dépeint ce deuxième groupe comme “ une grande foule que personne ne pouvait compter, de
toutes nations et tribus et peuples et langues ”. Cette grande foule représente ceux qui
survivront sous peu à “ la grande tribulation ”, qui détruira le présent monde méchant. —
Révélation 7:9, 14. Notez le contraste que Jean établit entre les versets 4 et 9 de Révélation
chapitre 7. Il déclare que le premier groupe, “ ceux qui ont été scellés ”, se compose d’un
nombre précis de membres, tandis que le deuxième groupe, “ une grande foule ”, ne peut être
recensé. Il est par conséquent logique de prendre le nombre 144 000 au sens littéral. Si ce
nombre était symbolique et désignait un groupe indénombrable, le contraste entre les deux
versets perdrait toute sa force. Le contexte atteste donc que le nombre 144 000 est à prendre
au sens littéral. »
Comme le suggère la Tour de Garde ainsi que la méthode exégétique, nous allons nous pencher
sur le contexte immédiat pour mettre un peu de clarté dans tout ça. Vous l’aurez sans doute compris,
si j’ai souligné une première phrase c’est parce que celle-ci me paraît tendancieuse. « L’apôtre Jean
a vu un autre groupe », et il est question aussi d’un « Deuxième groupe », cela veut donc dire qu’il
en a vu un premier puis un second, mais la vision ne soutient pas cet abus.
Voici le début du chapitre 7 :
- v. 1: « Après cela j’ai vu (ei-don) quatre anges… »
- v. 2: « Et j’ai vu (ei-don) un autre ange… »
- v. 4: « Et j’ai entendu (h;kousa) le nombre… »
A ce moment précis du développement johannique, le visionnaire voit et entend l’autre ange du
v.2 qui crie d’une voix forte aux quatre anges du v.1 « Ne faites pas de mal […] jusqu’à ce que
nous ayons scellé au front les esclaves de notre Dieu ». Et Jean entend l’énumération de ces
esclaves de Dieu scellés de toutes les tribus et il entend le nombre de 144000, mais il ne les voit
pas!
Au v.9 il y a un retour à la vu : « Après ces choses j’ai vu (ei-don) et regardez ! Une grande
foule.. ». L’emploie des verbes est intéressant pour notre analyse, il ne voit pas mais il entend. Le
« Après ces choses » du v.9 se rapporte à la vue de l’autre ange et à sa mise en garde qui vient d’être
faite aux quatre anges ainsi qu’à l’énumération des 144000. Et il n’est vraiment pas impossible que
ces deux versets ne soient pas en opposition mais que tous deux désignent exactement la même
chose, mais sous deux aspects différents. Il y a une grande différence entre entendre et voir.
Si nous prenions un exemple plus moderne pour illustrer davantage notre propos nous pourrions
dire que souvent, quand nous entendons à la télévision que tel stade contient tant de places, nous
prenons acte du chiffre cité, mais cette capacité d’accueil qui nous est généralement communiquée
par le commentateur représente pour nous une valeur abstraite. Cependant, lorsque nous allumons
notre télé et que nous voyons de nos propres yeux la foule de gens présente dans le stade, nos
données s’entrechoquent entre ce que nous avons entendu, de la part du commentateur, et ce que
nous voyons par nous-même.
Celui qui entend que le Stade de France contient 80 000 places et qu’ensuite voit de ses propres
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yeux ce que cela représente, et si nous demandions à cette personne ce qu’elle a ressenti en voyant
la masse que représentait cette foule, nous ne serions pas étonner de l’entendre nous rapporter que
cette foule lui est apparue comme une foule que l’on ne pouvait pas dénombrer et cela même s’il
venait juste d’entendre la capacité d’accueil du stade qui avait été annoncée.
Le contraste dont parle les Témoins de Jéhovah et que j’ai souligné, ce n’est pas la différence
entre un groupe de 144000 personnes et d’une grande foule innombrable, mais le contraste est entre
ce que Jean entend et ce qu’il voit.
Les 144000 sont sur la terre et la Grande foule au ciel ?
Notons aussi que l’ange du v.2 qui marque du sceau les serviteurs de Dieu, dirigera son action
sur la terre, c’est pour cela qu’il demande aux quatre anges de ne pas lâcher les éléments avant son
intervention. Les 144000 sont donc présentés sur la terre comme faisant parti de « Toutes nations
les tribus des Israélites » (v.7). Alors que la Grande foule est présentée au ciel devant le trône et
devant l’agneau.
Cet aspect est si dérangeant pour les Témoins de Jéhovah, que les 144000 soient sur la terre et
que la Grande foule soit au ciel, qu’ils ont consacré tout un article pour s’évertuer à apporter une
pseudo explication sur la façon de comprendre la préposition grec qui signifie : devant, pour tenter
de déplacer la grande foule du ciel en direction de la terre.
Il est tout aussi intéressant de constater que leur compréhension sur le sujet a changé au fil du
temps. Il fut même un temps où ils croyaient que la Grande foule irait au ciel :
« Il fut un temps où les serviteurs de Jéhovah croyaient que la grande multitude (ou grande
foule) de Révélation 7:9, 10 était distincte des autres brebis de Jean 10:16 et des brebis de
Matthieu 25:33. Comme la Bible dit qu’elle se tient “debout devant le trône”, on pensait que
ses membres seraient au ciel, non sur des trônes et régnant en qualité de cohéritiers du
Christ, mais à une position de second rang face au trône. On pensait également qu’il
s’agissait de chrétiens moins fidèles, de chrétiens qui ne manifestaient pas un véritable esprit
de sacrifice. Cette conception a été abandonnée en 1935. Un examen de Révélation 7:9 à la
lumière de textes comme Matthieu 25:31, 32 a fait ressortir que des humains se trouvant ici
même sur la terre peuvent être “devant le trône”. Il fut également mis en évidence que Dieu
n’a pas deux critères de fidélité. Tous ceux qui recherchent son approbation doivent lui être
fidèles. — Matthieu 22:37, 38; Luc 16:10. » Tour de Garde 1 février 1995 p.13
Cela fait partie de ce que le collège central appelle : les points nouveaux, c’est-à-dire un
changement de compréhension ou d’appréciation des événements, non réalisés, et qui obligent
immanquablement à repousser l’échéance. Cette pseudo progression est généralement bien accueillit
par les fidèles, qui de toute façon ne sont pas vraiment en mesure d’apprécier si oui ou non les
changements sont justifiés, ils suivent c’est tout mais ça ils en ont l’habitude !
Donc, il fut un temps où l’on croyait que la Grande foule irait au ciel. Par contre, la position
qu’elle occupait de « chrétiens moins fidèles qui ne manifestaient pas un véritable esprit de
sacrifice » est plutôt dure à entendre, c’est même une formule humiliante, voire même abaissante.
Cependant il a fallu corriger tout cela puisque maintenant, Brooklyn l’avait décidé, il n’était plus
question d’une deuxième classe au ciel mais sur la terre, et ils s’en sont tout naturellement pris à
cette pauvre petite préposition pour trouver une autre solution et justifier que la Grande foule est sur
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terre et non au ciel, et cela quoiqu’en dise le texte.
Alors effectivement pour étayer leur argumentation ils exposeront tous les versets qui font
mention d’être devant Dieu, mais non pas dans un sens locatif mais moral :
« La grande foule se tient “ debout devant le trône ” ; comment savons-nous qu’il ne faut pas
entendre par là qu’elle se trouve au ciel ? De nombreuses preuves établissent clairement ce
fait. Par exemple, le mot grec traduit ici par “ devant ” (énôpion) signifie littéralement “ sous
les yeux de ”, et il est employé plusieurs fois en rapport avec des humains qui, sur la terre, se
trouvent “ devant ” ou “ en présence de ” Jéhovah (1 Timothée 5:21 ; 2 Timothée 2:14 ;
Romains 14:22 ; Galates 1:20). En une certaine occasion, alors que les Israélites se
trouvaient dans le désert, Moïse déclara à Aaron : “ Dis à toute l’assemblée des fils d’Israël :
‘ Approchez-vous devant Jéhovah, car il a entendu vos murmures. ’ ” (Exode 16:9). Il n’a pas
été nécessaire que les Israélites soient transportés au ciel pour se tenir devant Jéhovah en
cette circonstance. (Voir Lévitique 24:8.) Non, à l’endroit même où ils se trouvaient, dans le
désert, ils se tenaient sous les yeux de Jéhovah, et celui-ci les observait. En outre, nous
lisons : “ Quand le Fils de l’homme arrivera dans sa gloire, [...] toutes les nations seront
rassemblées devant lui. ” Tous les humains ne se trouveront pas au ciel lors de
l’accomplissement de cette prophétie. À coup sûr, ceux qui ‘ s’en vont au retranchement
éternel ’ n’y seront pas (Matthieu 25:31-33, 41, 46). Par contre, les humains se tiennent sur
la terre sous les yeux de Jésus, et celui-ci tourne son attention vers eux pour les juger.
Pareillement, la grande foule se trouve “ devant le trône et devant l’Agneau ” en ce sens
qu’elle se tient debout sous les yeux de Jéhovah et de son Roi, Jésus Christ, qui portent sur
elle un jugement favorable. » La Révélation, le grand dénouement est proche ch.20 p.123124
Dans leur première phrase, il aborde furtivement leur motivation « comment savons-nous qu’il ne
faut pas entendre par là qu’elle se trouve au ciel ? ». Cette phrase est caractéristique du regard
qu’ils portent sur eux-mêmes et sur leur fonction de canal de communication divin. Ensuite ils nous
promettent de « nombreuses preuves » mais sans apporter d’autres crédits que la seule raison qui est
que la préposition grecque enôpion « est employée plusieurs fois en rapport avec des humains qui,
sur la terre, se trouvent « devant » ou « en présence de » Jéhovah ».
Ce qui est cependant très frappant c’est de ne pas se référer au contexte immédiat du ch.7 pour
savoir si oui ou non la Grande foule est bien au ciel. Le fait qu’un terme soit polysémique n’est pas
une raison en soi pour lui attribuer un sens ou une destinée impropre à son contexte. Cette attitude
élémentaire face à une bonne compréhension de texte leur échappe totalement
Or, depuis le début de la vision du ch.7, Jean ne voit pas ce qui se passe sur la terre. Preuve en
est, il ne voit pas les 144000 sur terre mais entend simplement leur énumération, ce qui veut donc
dire que l‘ensemble de la vision du ch.7 se déroule dans une sphère extra terrestre. Ensuite, une
Grande foule est présentée comme se tenant « Devant le trône et devant l’agneau » (v.9) et au v.11
le contexte immédiat mentionne : « Et tous les anges se tenaient autour du trône, des anciens et des
quatre être vivants; ils tombèrent face contre terre, devant le trône, prosternés devant Dieu ».
Le contexte immédiat du ch.7 ne soutient pas la démonstration des Témoins de Jéhovah qui veut
que l’expression « être devant Dieu » ne signifie pas forcément être transporté au ciel, mais au
contraire être sur terre sous le regard de Dieu. Notons bien que je suis parfaitement d’accord avec le
fait qu’il n’est pas nécessairement besoin pour un humain d’être transporter dans les cieux pour être
devant Dieu. Mais je suis aussi parfaitement d’accord avec le fait que dans certain cas c’est ce qui
s’est passé, et que dans le cas de la Grande foule de ch.7 ce qui doit nous éclairer ce n’est pas les
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Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
différents sens possible de enôpion dans les épîtres pauliniennes ou bien dans le pentateuque ou
encore dans les évangiles, mais le sens qu’il a dans son contexte immédiat, qui lui seul peut me
permettre de juger de la valeur sémantique du terme employé.
Et dans ce cas précis le contexte immédiat dans lequel est employé la préposition enôpion
indique bien que la Grande foule est au ciel. Notons qu’au v.9 il est dit que la Grande foule est
devant le trône ἐνώπιον τοῦ θρόνου, mais qu’au v.11 il est dit aussi que tous les anges, les
anciens (où vieillards), et les quatre être vivants « tombèrent face contre terre devant le trône ».
Donc soit tous les personnages cités sont sur la terre bien que devant Dieu, soit ils sont tous au ciel
devant le trône de Dieu. Il ne peut pas y avoir dans un même contexte et sans raison valable, une
position aussi arbitraire que celle des Témoins de Jéhovah avec un groupe « devant Dieu » mais sur
terre et un autre groupe « devant Dieu » mais au ciel.
Mais par contre dans un autre texte, en Ré 14,3 où il est question des 144000 qui sont présentés
comme étant « Devant le trône », là il ne sera aucunement nécessaire pour eux d’essayer de
décrédibiliser notre préposition grecque comme ils l’ont fait pour la Grande foule, puisque dans ce
cas là le texte ne les dérange pas. En cela, ils font comme cela les arrange.
La Grande foule et le naos
Je ne pouvais pas aborder le sort que les Témoins de Jéhovah ont fait subir à cette préposition
grecque sans mentionner non plus l’œuvre de déconstruction qu’a subi un substantif qui contredisait
leur enseignement. Car, après avoir exposé le fait que cette Grande foule se trouve devant le trône
de Dieu, le texte de l’Apocalypse 7,15 précise que : « C’est pourquoi ils sont devant le trône de
Dieu; ils lui rendent un culte, jour et nuit, dans son sanctuaire ».
Pour analysé cette déconstruction je vais combiné deux supports, la Tour de Garde et l’article
écrit par Didier B. sur son site et qui tentait d’expliquer où plutôt de relayer ce que la Tour de Garde
disait. Ces deux supports seront une occasion supplémentaire de démontrer l’incompétence des
deux parties.
Voici un premier article :
« Mais cette opinion s’harmonise-t-elle avec les faits précis que nous trouvons dans le dernier
livre de la Bible (Révélation)? D’autre part, ceux qui estiment actuellement faire partie de
cette “grande foule”, dont le rassemblement est en cours, s’attendent-ils à monter au ciel et à
devenir des créatures spirituelles semblables aux anges? Ont-ils seulement le désir d’aller au
ciel? Ils vous répondront non. Ils n’ont pas le sentiment d’avoir été engendrés par l’esprit de
Dieu en vue d’une telle espérance céleste. Le problème vient du terme grec original que l’on
a traduit diversement par “tente”, “temple” et “sanctuaire”. Ainsi, quand la Bible parle de
Jésus Christ qui chasse les changeurs et les marchands hors du temple d’Hérode, le texte
original emploie le mot grec naos. Nous lisons: “Jésus leur répondit: ‘Détruisez ce
sanctuaire [naos] et en trois jours je le relèverai.’ Les Juifs lui dirent alors: ‘Il a fallu
quarante-six ans pour bâtir ce sanctuaire [naos], et toi, en trois jours tu le relèveras?’ Mais
lui parlait du sanctuaire [naos] de son corps.” (Jean 2:19-21, Bible de Jérusalem).
Qu’entendaient les Juifs par “sanctuaire”? » Tour de Garde du 15 novembre 1980 p.14-15
Nous comprenons bien que ce qui est dérangeant dans le contenu de ce verset de l’Apocalypse
c’est que cette Grande foule se trouve au ciel et que les 144000 soient sur la terre, car ce fait
9
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
contredit l’enseignement des Témoins de Jéhovah qui martèlent depuis des années que la Bible
enseigne le contraire. Il est intéressant de constater la puissance du formatage que subissent les
fidèles sur cette question lorsqu’ils disent : « Ont-ils seulement le désir d’aller au ciel? Ils vous
répondront non. Ils n’ont pas le sentiment d’avoir été engendrés par l’esprit de Dieu en vue d’une
telle espérance céleste ».
Le bourrage de crâne des Témoins de Jéhovah fonctionne bien, et effectivement si vous
demandez aux fidèles s’ils pensent aller au ciel ils vous répondront que non, mais pas parce qu’ils
sont arrivés à cette conclusion par eux-mêmes, ce qui relativiserait totalement l’accusation de
manipulation, mais parce que le collège central leur enseigne cela depuis le premier jour. Leur
réponse négative n’est pas une gageure en soi puisqu’elle est le résultat d’un formatage intensif et
non d’une étude éclairée.
Mais comme ils le disent très clairement « Le problème vient du terme grec original » que les
traducteurs rendent de différentes façons en fonction bien sûr du contexte dans lequel il est employé.
Nous pouvons aussi regretter le fait qu’ils y voient un problème, car il faut savoir ce que l’on veut,
c’est-à-dire restituer au mieux l’enseignement biblique ou distiller le notre.
Ajoutons aussi que si beaucoup de traducteurs ne prennent peut-être pas la peine d’être très
rigoureux dans l’affichage de certaines différences sémantiques c’est parce qu’ils ne sont pas au
courant de la récupération que subissent leurs écrits par des groupes fondamentalistes comme les
Témoins de Jéhovah pour servir leurs intérêts personnels. Et cela se vérifie dans de nombreux cas
où les ouvrages ne sont pas consultés pour nourrir une bonne compréhension mais pour trouver une
caution à leur doctrine.
Pour ce qui est du terme grec original il s’agit du grec nao,j naos. Ce n’est pas un terme
compliqué et il est loin d’être aussi imprécis que veulent le faire croire les Témoins de Jéhovah.
Dans le monde grec antique il y a plusieurs termes qui sont employés pour désigner les
infrastructures nécessaires aux cultes des idoles. Ces termes seront repris par les rédacteurs du N.T
avec leur spécificité propre. Par exemple en ce qui concerne le grec ieron hiéron, il est
communément admis historiquement que ce terme désigne comme nous le dis Carrez p.122
« L’ensemble des parvis tandis que naos ne s’applique qu’aux bâtiments du temple lui-même ».
Le Lexique des Antiquités Grecques mentionnera l’emploi antique distinct de ces deux termes
tout en reconnaissant une synonymie possible, notamment dans la traduction :
Ieron « Tout lieu consacré à la religion s’appelait ieron, le sanctuaire. Il se composait
essentiellement d’un autel et d’une enceinte; une image de la divinité vénérée en ce lieu était jointe,
d’ordinaire à l’autel. En particulier, ieron désigne l’édifice qui abritait l’autel et la statue; il est
synonyme de Nao,j (voy. Ce mot), mais s’applique plus souvent à des temples modestes. Le mot
signifie aussi tout ce que l’on consacre à une divinité: une offrande aussi bien qu’une victime. »
p.167-168
Nao,j « Temple. Le naoj est, à proprement parler, la salle intérieure d’un édifice religieux où
est dressée la statue du dieu, et, dans un sens général, l’édifice même où est cette salle. Le mot
ieron, sanctuaire, est plus précis dans cette dernière acception. Le naoj n’est donc qu’une partie de
l’enceinte consacrée à une ou plusieurs divinités, et appelée temenoj (on disait également ieron) […]
Comme le culte ne se célébrait pas dans le temple, un autel se dressait en avant de la façade, parfois,
comme à Égine, sur une esplanade plus ou moins élevée en terrasse; et tout le temenoj où les fidèles
étaient admis à certains jours pour les cérémonies, était comme une annexe du temple, où s’élevait
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Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
un monde de statues votives et d’offrandes de toute espèce. » p.265-266
L’étymologie des deux substantifs est très nette, le sanctuaire ieron, désigne l’enceinte complète
du temple avec ses parvis, ses statues, où se trouvent les fidèles lors du culte; mais le naoj désigne
exclusivement la petite salle intérieure qui abrite l’idole mais qui n’est pas accessible aux fidèles.
Et cette différence de taille est respectée dans l’emploi qu’en font les rédacteurs des évangiles.
C’est ce que la Tour de Garde mettait en valeur plus haut en affirmant cependant que : « Ainsi,
quand la Bible parle de Jésus Christ qui chasse les changeurs et les marchands hors du temple
d’Hérode, le texte original emploie le mot grec naos ». Mais juste avant de constater la supercherie
ou pire encore, l’incompétence des auteurs, je voudrais revenir sur une question que pose Didier B.
alors qu’il cherche à défendre la position des Témoins de Jéhovah : « La Tour de Garde tromperaitelle ses lecteurs en affirmant que " le texte original emploie le mot grec naos "? »
Et malgré le développement qu’il va fournir pour démontrer que ces termes peuvent quelques
fois être employés pour désigner la même chose, il se laisse complètement abuser par sa volonté de
défendre la Watch Tower, car effectivement la Tour de Garde, à ce moment précis trompe ses
lecteurs quand elle affirme que le texte emploi le grec naos lorsque Jésus chassera les marchands du
temple. Et le plus aberrant encore c’est que lui-même relèvera l’erreur mais sans que celle-ci lui
dévoile toute sa pertinence.
Dans la péricope de Jn 2, 13-22, il est possible de diviser et de discerner deux blocs. Le premier
concerne les marchands du temple et le deuxième la polémique avec les pharisiens.
Bloc A, 14-17 : « Il trouva dans le temple [hiéron] les vendeurs de bovins, de moutons et de
colombes, ainsi eu les changeurs, assis. Il fit un fouet de cordes et les chassa tous hors du temple
[hiéron], avec les moutons et les bovins; il dispersa la monnaie des changeurs, renversa les tables et
dit aux vendeurs de colombes: Enlevez tout cela d’ici! Cessez de faire de la maison de mon Père
une maison de commerce! Ses disciples se souvinrent qu’il est écrit : La passion jalouse de ta
maison me dévorera. »
Bloc B, 18-22 : « Les Juifs lui dirent : Quel signe nous montres-tu pour agir de la sorte? Jésus
leur répondit: Détruisez ce sanctuaire [naos], et en trois jours je le relèverai. Les Juifs dirent: Il a
fallu quarante-six ans pour construire ce sanctuaire [naos], et toi, en trois jours, tu le relèveras. Mais
le sanctuaire [naos] dont il parlait, lui, c’était son corps. Quand donc il se fut réveillé d’entre les
morts, ses disciples se souvinrent qu’il disait cela; ils crurent l’Écriture et la parole que Jésus avait
dite. »
Il est donc très clair que la Tour de Garde trompe ses lecteurs quand elle dit que « quand la Bible
parle de Jésus Christ qui chasse les changeurs et les marchands hors du temple d’Hérode, le texte
original emploie le mot grec naos » puisque le conflit avec les marchands du temple correspond au
bloc A dans lequel il est bien question du hiéron, et que le naos ne sera mentionné qu’au sein de la
polémique avec les pharisiens dans le bloc B. Ils établissent une confusion entre les deux blocs et
trompe ainsi leurs lecteurs.
De même lorsque Jésus dit explicitement à ceux qu’ils chassent : « Cessez de faire de la maison
de mon Père une maison de commerce! » v.16, nous sommes toujours dans le bloc A et donc nous
comprenons que le ieron dans son ensemble, temple et sanctuaire, était qualifié de « maison de
Dieu ». Lorsque nous basculons dans le bloc B il n’est plus question de l’emploi de ieron mais
Jésus va parler maintenant du naoj. Et d’après Mt 24,1.2 Jésus connaissait les différents emplois
11
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
possible des termes qui servaient à désigner le temple puisque la destruction qu’annonce Jésus
concerne « les constructions du temple [ieron] » v.1.
Seulement lorsque Jésus parle de « ce temple » dans le bloc B avec les pharisiens, il emploie le
vocable naoj, parce qu’il fait référence à son corps. Tout comme Paul en 1 Co 3,16 qui utilisera la
même métaphore : « Ne savez-vous pas que vous êtes le sanctuaire [naoj] de Dieu, et que l’Esprit de
Dieu habite en vous? ». En effet le don de l’Esprit saint faisait de leur corps le sanctuaire de Dieu,
un lieu où il pouvait manifester sa présence par son Esprit.
Mais concernant Jésus, le narrateur johannique mettra le lecteur dans la confidence au v.21 en
précisant que le sanctuaire [naoj] dont parlait Jésus c’était son corps. Cette précision viendra
justement après la parole des pharisiens, pour corriger leur incompréhension puisqu’ils font
référence au temple terrestre de Jérusalem alors qu’en fait Jésus désigne son propre corps.
Face à un tel mystère incompréhensible pour les pharisiens il n’est pas du tout choquant qu’ils
reprennent le grec naoj, employé par Jésus, pour désigner l’ensemble du temple. Cet emploi qui est
certes inapproprié lorsque l’on désigne le temple terrestre dans son ensemble, a du apparaître
comme une étrangeté pour ces connaisseurs, mais comme de toute façon ils n’ont pas saisis la
subtilité générale de Jésus. Cette erreur de leur part ne se comprend que dans leur incompréhension
complète du développement de Jésus sur sa mort et sa résurrection.
Et cette erreur que les pharisiens, faute de compréhension, n’ont pas relevée ne soutient en rien le
fait que les deux termes sont identiquement interchangeables dans l’Écriture. L’ensemble des textes
cités par la Tour de Garde et Didier B. respectent la distinction qui est faite originellement entre le
ieron et le naoj.
1 Ch 29,3 : « De plus, dans mon intérêt pour la maison de mon Dieu, je donne pour la maison de
mon Dieu mon bien propre, or et argent, en plus de tout ce que j’ai préparé pour le sanctuaire
[ieron]. »
Nous retrouvons la même cohérence qu’avec le passage des vendeurs du temple où le grec ieron
désigne la bâtisse toute entière comme « Maison de Dieu »
2 Ch 6,13 : « En effet, Salomon avait fait une tribune de bronze, et l’avait placée à l’intérieur de
l’enceinte; elle était longue de cinq coudées, large de cinq coudées et haute de trois coudées. Il s’y
tint et se mit à genoux en face de toute l’assemblée d’Israël. Il tendit les mains vers le ciel ».
Salomon fit une tribune de bronze qu’il plaça « au milieu de la cour du temple ». Le terme de
ieron est donc tout indiqué dans un tel contexte.
2 Mc 6,26 : « Pour profaner le Temple de Jérusalem et le dédier à Zeus Olympien, et pour dédier
à Zeus Hospitalier celui du mont Garizim, comme le demandait les habitants du lieu ».
2 Mc 6,2 parle du naoj qui est profané. Dans le récit parallèle de 1 Mc 1, 41-64 il sera employé
au v.47 le substantif temenh qui comme nous l’avons vue dans les définitions des antiquités désigne
la même chose que le ieron. L’abomination de la dévastation, apparemment la statue de Zeus
Olympien sera disposée sur l’autel des holocaustes, qui est placé à l’extérieur du naoj. Cependant, il
est aussi question en 1 Mc 1,21-22 d’une profanation du naoj « Entré dans le sanctuaire [agiasma]
6
Tous les textes cités des deux livres des Maccabées viennent de la TOB
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Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
avec arrogance, il prit l’autel d’or, le candélabre de lumière et tous ses accessoires, la table
d’oblation, les vases à libations, les coupes, les cassolettes d’or, le voile et les couronnes; quant à la
décoration d’or sur les façades du temple [naoj], il l’enleva en entier ».
A l’époque d’Antiochus Epiphane, c’est l’ensemble du temple qui fut profané.
2 Mc 6,4 : « Le Temple [ieron] était en effet rempli de débauches et d’orgies: des païens se
divertissaient avec des courtisanes, avaient commerce avec des femmes dans les parvis sacrées
[ieron] et y apportaient des choses défendues ».
Ici le texte repart dans une description plus générale du temple et désigne des endroits où les
fidèles ont accès, c’est-à-dire dans les parvis et il sera naturellement employé ieron à deux reprises.
2 Mc 10,1-5 : « Maccabée, avec ses compagnons, recouvra sous la conduite du Seigneur le
sanctuaire [ieron] et la ville. Il détruisit les autels élevés sur la place publique par les étrangers ainsi
que les lieux de culte [temenh]. Après avoir purifié le Temple [naoj], ils bâtirent un autre autel; ils
tirèrent des étincelles de pierre à feu, prirent du feu à cette source et offrirent un sacrifice après deux
ans d’interruption; ils firent fumer l’encens, allumèrent les lampes et exposèrent les pains. Ayant
accompli ces rites, ils prièrent le Seigneur, prosternés sur le ventre, de ne plus les laisser tomber
dans de tels maux, mais, s’il leur arrivait jamais de pécher, de les corriger avec mesure et de ne pas
les livrer à des nations blasphématrices et barbares. Ce fut le jour même où le Temple [naoj] avait
été profané par des étrangers que tomba aussi le jour de la purification du Temple, le vingt-cinq du
même mois, qui est Kislew. ».
Dans ces cinq versets les trois termes sont employés et la différence entre ieron et temenh qui
désignent la bâtisse en entier avec ses composantes et le naoj qui sera très clairement identifié avec
la mention des ustensiles, du candélabre, des pains de propositions, etc. Il est donc faux de croire
que ces termes sont employés confusément par les différents rédacteurs. Chaque écrivain leur a
conservé leur particularité propre.
Mais apparemment même si la lumière peut-être faite sur ces emplois là il existe un autre
passage qui semble dire le contraire et soutenir que naoj peut être employé d’une manière plus
générale. En Mt 27,5 il est dit que « Judas jeta les pièces d’argent dans le temple [naoj], se retira, et
alla se pendre ».
Alors, étant donné que le naoj est la partie interdite aux fidèles comment se fait-il que Judas
lance ses pièces d’argent ? Voici ce que répond l’ouvrage cité par Didier B. :
« A l'origine, hiéron, naos, et témenos, sont distincts, mais un usage différent semble avoir
effacé les distinctions originales (...) Dans le N[ouveau] T[estament], en plus de hiéron (...)
nous trouvons naos sans [qu'il y ait de] réelles distinctions entre les termes (...) Matthieu
27:5 nous dit que Judas jeta les trente pièces dans le temple (eis ton naon) [...] Si naos
désigne le temple dans le sens plus limité, on pourrait se demander comment Judas a pu y
apporter l'argent, puisque seuls les prêtres étaient autorisés à y accéder. Nous pouvons ainsi
supposer que [le mot naos] est employé dans un sens plus large, comme en Jean [2:]19 " Theological Dictionary of the New Testament. »
Il est toujours dommage de s’apercevoir que sur la base d’un seul verset l’on se permet d’établir
des règles, sans fondement. Cependant, il y a un détail que personne ne semble avoir relevé jusque
13
Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
là c’est la construction narrative de Matthieu. En effet, le narrateur nous dit que Jean jeta les pièces
« dans le temple » mais au verset suivant quand le rédacteur de l’évangile va rapporter les dire des
prêtres qui vont ramassés cet argent, les prêtres ne vont pas mentionnés le naoj mais ils diront : « Il
n’est pas permis de les remettre dans le korbanas, puisque c’est le prix du sang ».
La scène où Judas jeta ses pièces qui furent ramassées par les prêtres se déroula dans la cour
d’Israël, cette cour était la dernière à laquelle on avait accès, en suivant la succession d’escaliers et
de parvis, et qui comprenait le naoj. Dans cette cour, longue de 60 mètres sur 5, se trouvait : « A la
droite de l’autel sont disposés des tables et des anneaux destinés à recevoir les animaux des
sacrifices. A sa gauche, un bassin, qui symbolise la mer, reçoit la purification des prêtres après
l’offrande des sacrifices. L’atrium du sanctuaire comprend six salles, trois au nord : la salle du sel,
la salle de Parwah où l’on déposait les peaux des animaux, la salle des laveurs où l’on nettoyait les
intestins des victimes; et trois au sud : la salle du bois, la salle de la source et la salle de la pierre
taillée où siégeait le Sanhédrin. Le sanctuaire lui-même est un espace organisé en trois parties, le
vestibule (oulam, de l’accadien ellamu, « être devant »), le Saint (hékal, du sumérien EGAL,
« grande maison », à travers l’accadien ekallum) et le Saint des Saints (devir, d’une racine signifiant
« être derrière »). Seules les deux premières parties étaient offertes au regard ».
Le Saint était donc visible par les juifs autorisés à pénétrer dans la cour d’Israël, et d’après la
Michnah « A l’entrée du Saint, une vigne en or recouvrait la porte » (M Middot, III, 8) et le
chandelier à sept branches l’éclairait. On y trouvait aussi un autel en or pour l’offrande de l’encens,
matin et soir, et la table des pains de propositions. ». Et tout cela était visible car dès l’aube, après
avoir nettoyé l’autel des holocaustes, tiré aux sorts les prêtres choisis pour les sacrifices et les tâches
secondaires, « Les prêtres qui avaient reçu mission de nettoyer l’autel intérieur et le chandelier
pénétraient dans le sanctuaire (hékal, l’espace précédant le Saint des Saints) et en ouvraient la
grande porte; le bruit qu’elle faisait - on l’entendait, dit-on, depuis Jéricho ! (M Tamid III, 8) servait de signal pour l’immolation de l’agneau (187) ».
Et les portes du sanctuaire restaient ouvertes toute la journée et n’étaient refermées que le soir,
vers la neuvième heure « Les portes du Temple étaient fermées après le Tamid du soir (environ vers
le coucher du soleil). Quelques prêtres restaient à l’intérieur pour offrir les éléments qui n’avaient
pas encore brûlé. Ils alimentaient le feu de l’autel. » (cf. Le Monde où vivait Jésus, éd. Cerf, 1998,
p.254-284). Etant donné que les portes du Saint restaient ouvertes toute la journée il est tout à fait
possible que Judas ait pu jeté l’argent soit à l’intérieur de celui-ci, soit dans sa direction. Cependant,
quelque soit la précision il est tout naturellement indiqué d’employer le terme de naoj, et nous
constatons donc qu’il n’est pas question, encore une fois, d’un usage confus de ces deux termes.
Il est donc tout à fait clair que la Tour de Garde et un de ses relais, Didier B. n’ont pas saisi toute
la rigueur qui animait les écrivains bibliques qui ont respectés scrupuleusement la différence
inhérente aux deux termes grecs qui désignent bien deux entités différentes. Cependant, et même si
j’ai pris le temps d’examiner leurs propos cela ne servait qu’un seul but celui de mettre en lumière
leur incompétence, car pour ce qui est du texte de Ap 7,15a « C’est pour cela qu’ils sont devant le
trône de Dieu, et le servent jour et nuit dans son temple », il n’est pas nécessaire de savoir de quelle
partie du temple terrestre il s’agit puisque le contexte immédiat démontre clairement que la Grande
foule est au ciel.
Encore une fois les erreurs que commettent les rédacteurs de la Tour de Garde, qui dans ce cas
précis ont littéralement cherché à décrédibiliser la possibilité que la Grande foule puisse se trouver
au ciel en déployant de grands moyens pour trouver un sens différent des termes employés dans un
autre contexte, mais sans se préoccuper du contexte immédiat qui est le seul habilité à nous
renseigner sur le sens à donner aux mots. Ces erreurs sont relayées par des fidèles, qui ont peut-être
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Stéphane Mérahila et les Témoins de Jéhovah
de bonnes intentions mais qui se nourrissent d’emblée d’un support corrompu. Et même leurs
compétences, s’il en est, se retrouvent diminuées parce que celles-ci sont aveuglées par le principe
totalement fantasmagorique que seul les Témoins de Jéhovah ont raison.
Conclusion
Il sera certainement compliqué et long pour le fidèle de revenir sur un tel formatage enseigné par
les Témoins de Jéhovah. Cependant, il est essentiel pour lui de réfléchir profondément à ce qui vient
d’être développer et de l’éprouver lui même en relisant les passages, en s’attachant à se représenter
les différentes scènes, les personnages, ce qui est dit et par qui, car cela est important pour contrer
l’œuvre de division mise en place. Alors que Christ voulait rassembler tout le monde au sein d’un
même troupeau et permettre à ceux qui n’en faisaient pas partie au préalable d’en bénéficier par la
suite, les Témoins de Jéhovah, eux, accomplissent une œuvre contraire en instaurant une division à
l’intérieur même du troupeau de ceux qui ont mis leur foi en Jésus.
En anéantissant leur enseignement du texte d’Ap 7 nous annulons aussi la division entre 144000
et Grande foule, pour rétablir l’enseignement d’un corps unique tel qu’il est développé par Paul. Et
cette notion rétablie de corps uni a pour conséquence légitime de rétablir une seule et même
alliance, dans une seule et même espérance.
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