article original Détection du virus d`Epstein

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article original Détection du virus d`Epstein
abc
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Ann Biol Clin 2008 ; 66 (1) : 59-62
Détection du virus d’Epstein-Barr
dans les cancers du sein à stroma lymphoïde
Detection of Epstein-Barr virus in breast cancers with lymphoid stroma
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
A. Trabelsi
S. Rammeh
W. Stita
M. Mokni
A. Mourou
S. Korbi
Laboratoire d’anatomie et de cytologie
pathologiques, CHU Farhat Hached,
Sousse, Tunisie
<[email protected]>
Résumé. Objectif : le but de notre travail est de rechercher le virus d’EpsteinBarr dans le carcinome médullaire du sein et le carcinome canalaire infiltrant de
haut grade à stroma lymphoïde. Patients et méthodes : nous avons recherché
l’EBV dans une série rétrospective de 18 carcinomes médullaires et 18 carcinomes canalaires infiltrants à stroma lymphoïde par immunohistochimie, en utilisant l’anticorps anti-LMP1 et l’hybridation in situ à l’aide des oligonucléotides
EBER1 et EBER2. Résultats : les études pour la LMP1 et par hybridation in situ
étaient positives dans 5 cas (3 carcinomes médullaires et 2 carcinomes canalaires infiltrants). Les cellules épithéliales non tumorales ainsi que les cellules
lymphoïdes du stroma étaient négatives. Discussion et conclusion : pendant de
nombreuses années, les corrélations entre la réplication de l’EBV et l’apparition
du phénotype malin ont été limitées aux cancers du nasopharynx et aux cellules
lymphoïdes, cependant, des travaux récents, objet de controverses, ont mis en
évidence la présence de l’EBV dans de nombreux autres cancers, entre autres le
cancer du sein. Ce cancer étant très fréquent, l’implication de ce virus, même
dans un sous-groupe rare, pourrait avoir des implications importantes. Les résultats fournis par notre travail pourraient suggérer une implication de l’EBV dans
ce type de carcinome mammaire. D’autres études sont toutefois nécessaires.
doi: 10.1684/abc.2008.0191
Mots clés : virus d’Epstein-Barr, carcinome, sein, immunohistochimie,
hybridation in situ
Abstract. Objective: the purpose of our work is to detect Epstein-Barr virus
(EBV) in 2 types of breast cancer: medullary carcinoma and high grade invasive
ductal carcinoma with lymphoid stroma. Patients and methods: we proceeded to a
retrospective study of 18 medullary carcinoma and 18 high grade invasive ductal
carcinoma with lymphoid stroma. The detection of the virus was carried out by
immunohistochemistry with anti-LMP2 antibody and by hybridization in situ by
oligonucleotides EBER1 and EBER1. LMP1 as well as hybridization in situ were
positive in 5 tumors (3 medullary carcinoma and 2 high grade invasive ductal
carcinoma with lymphoid stroma). Results: positivity was observed in tumor cells
and neither in epithelial non tumoral ones nor in lymphoid cells. Discussion and
conclusions: during numerous years, correlations between the replication of EBV
and the appearance of a malignant phenotype were limited to nasopharyngeal
carcinoma and to lymphoid cells. A controversy regarding the association of EBV
with breast cancers has recently been reported in the literature. This cancer being
very frequent, the involvement of EBV even in a small proportion of breast
cancers could have important implications. Our results suggest a possible implication of EBV in these tumours but other studies are necessary.
Article reçu le 21 avril 2007,
accepté le 4 octobre 2007
Key words: Epstein-Barr virus, carcinoma, breast, immunohistochemistry, in
situ hybridization
Tirés à part : A. Trabelsi
Ann Biol Clin, vol. 66, n° 1, janvier-février 2008
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Le virus d’Epstein-Barr (EBV) est un virus ubiquitaire du
groupe herpes humain. Il infecte les cellules lymphoïdes
et les cellules épithéliales de l’oropharynx. Son association aux syndromes lymphoprolifératifs et à d’autres cancers, particulièrement gastriques, est fortement documentée [1, 2]. Des travaux récents, objet de controverses, ont
mis en évidence la présence du génome de ce virus dans
les cancers du sein, particulièrement à stroma lymphoïde,
qui regroupent le carcinome médullaire (CM) et le carcinome canalaire infiltrant de haut grade à stroma lymphoïde (CCISL) [3, 4]. L’implication de l’EBV dans ce
groupe de cancers mammaires pourrait avoir des conséquences importantes étiopathogéniques, préventives et
thérapeutiques. Notre travail vise essentiellement la détection du génome viral dans ce groupe particulier de cancers
mammaires.
L’hybridation in situ a été effectuée avec les oligonucléotides EBER, complémentaires des 2 transcrits primaires
nucléaires EBER 1 et 2 de l’EBV conjugués à l’isothiocyanate de fluorescéine (Dako). Des contrôles positifs et
négatifs ont été inclus dans chaque série. Les contrôles
positifs ont été obtenus par incubation avec une sonde
sens et par incubation avec une sonde antisens après
digestion par ARNase. Les coupes ont été déparaffinées,
réhydratées puis digérées par la protéinase k (1 lg/mL
dans un tampon TE, pH 8), 30 minutes à température
ambiante. Après incubation avec la sonde pendant une nuit
à 42 °C dans une chambre humide, les coupes ont été
soumises à des lavages dans un tampon TBS pH 7,6.
L’anticorps anti-FITC conjugué à la phosphatase alcaline
a été appliqué sur les coupes pendant 30 minutes. Les
coupes ont été lavées dans 2 bains de TBS pH 6 pendant
3 minutes. Ensuite le chromogène BCIP/NBT a été appliqué pendant 30 minutes.
Patients et méthodes
Il s’agit d’une étude rétrospective portant sur 36 carcinomes mammaires dont 18 carcinomes médullaires et 18
carcinomes canalaires infiltrants de grade III à stroma
lymphoïde ne répondant pas à tous les critères du carcinome médullaire. Ces cas ont été répertoriés au laboratoire d’anatomie et de cytologie pathologiques de l’hôpital
Farhat Hached de Sousse, durant une période de 15 ans
(1987-2002). Ils ont été sélectionnés sur la base d’un diagnostic anatomopathologique confirmé après relecture des
lames par 2 anatomopathologistes, de la disponibilité d’un
tissu tumoral fixé en formol et enrobé en paraffine et de
l’absence d’une infection par le virus de l’immunodéficience humaine. Les patientes étaient toutes des femmes
tunisiennes originaires de la région du centre. Leur profil
sérologique concernant l’EBV n’était pas connu.
L’étude immunohistochimique a été effectuée sur du tissu
fixé en formol et enrobé en paraffine, avec l’anticorps
anti-LMP1 (clone CS1-4, Dako). Un démasquage antigénique a été effectué par un traitement au four à microondes.
Résultats
Notre étude concernait 36 patientes dont l’âge variait de
33 à 83 ans. L’âge moyen était de 54,3 ans. Les 36 cas
étudiés correspondaient à 18 CCISL et 18 CM. Le statut
ganglionnaire était précisé dans 29 cas. Des métastases
ganglionnaires axillaires ont été retrouvées chez 15
patientes. Les récepteurs hormonaux, étudiés par immunohistochimie dans 21 cas, étaient négatifs dans 17 cas.
L’étude immunohistochimique a montré une positivité
cytoplasmique dans les cellules tumorales pour la protéine
LMP1 dans 5 cas (14 %) parmi les 36 étudiés (figure 1).
Toutefois, les cellules épithéliales non tumorales ainsi que
les cellules lymphoïdes du stroma étaient dans tous les cas
négatives. Par hybridation in situ, un signal nucléaire pour
les EBER a été détecté dans les cellules tumorales uniquement dans les 5 cas exprimant la LMP1 (figure 2). Il
s’agissait de 2 CCISL et de 3 CM. Le tableau 1 résume les
caractéristiques anatomocliniques des 5 tumeurs EBER
positives.
Tableau 1. Caractéristiques anatomocliniques des tumeurs EBV positives.
Cas n°
1
2
3
4
5
60
Age (ans)
39
42
71
56
61
TNM
T2N0M0
T1N0M0
T3N0Mx
T1N1M1
T2N1M0
Type histologique
CM
CM
CM
CCISL
CCISL
Récepteurs hormonaux
Non précisés
Négatifs
Négatifs
Négatifs
Non précisés
LMP1
Positif
Positif
Positif
Positif
Positif
EBER
Positif
Positif
Positif
Positif
Positif
Ann Biol Clin, vol. 66, n° 1, janvier-février 2008
Cancer du sein et EBV
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Discussion
Les propriétés biologiques particulières de l’EBV sont à
l’origine de la remarquable variété des pathologies associées à ce virus et de sa diffusion mondiale. Dans certaines
pathologies, l’EBV est présent dans la quasi-totalité des
cas et dans presque toutes les cellules ; c’est le cas du
lymphome de Burkitt, du carcinome indifférencié du
nasopharynx, des lymphomes cérébraux primitifs des
malades atteints du sida, des lymphoproliférations des
transplantés et des lymphomes T/NK du nasopharynx.
Dans d’autres pathologies telles que la maladie de Hodgkin, l’EBV est inconstamment retrouvé [5]. L’association
de l’EBV à certains lymphomes primitifs mammaires et la
similitude du carcinome médullaire avec le carcinome
indifférencié de type nasopharyngé intimement lié à
l’EBV incitent certains auteurs à la recherche de ce virus
dans le cancer du sein, particulièrement à stroma lymphoïde qui regroupe le carcinome médullaire et le carcinome canalaire infiltrant de haut grade à stroma lymphoïde [3]. Les études publiées ont fait appel à des
méthodes différentes et rapportent des résultats controversés. À notre connaissance, uniquement deux études ont
porté sur des carcinomes médullaires. Dans ces deux
séries, tous les cas étudiés étaient négatifs pour l’EBV [6,
7]. Par contre, notre étude montre la présence de l’EBV
dans 3 carcinomes médullaires sur 18 étudiés.
Fina et al. [4] ont mené une étude rétrospective à propos
de 509 cas de cancer du sein chez des femmes appartenant
à des territoires géographiques différents selon l’incidence
de l’infection par l’EBV ; ce virus a été détecté dans
31,8 % des carcinomes mammaires, alors qu’il était
absent dans les cellules épithéliales mammaires non tumorales et dans les cellules lymphoïdes du stroma. Concernant la répartition géographique, ces auteurs n’ont pas
trouvé de différence dans l’association de l’EBV au can-
cer du sein, contrairement au carcinome du nasopharynx
et au lymphome de Burkitt. Bonnet et al. [3], dans une
étude portant sur 100 carcinomes mammaires, ont détecté
l’EBV par PCR (polymerase chain reaction) dans 51 %
des cas. En plus, la présence de l’EBV avait une signification pronostique péjorative : grade histologique élevé,
avec des récepteurs hormonaux négatifs et un taux plus
élevé de métastases ganglionnaires.
L’expression de LMP1 par les cellules infectées par
l’EBV dépend du type de latence virale et sa négativité
n’élimine pas la présence de l’EBV [8]. Dans notre série,
la détection du type de latence II de l’EBV (LMP1 positif), était retrouvée dans 5 cas, soit 14 %. Cette positivité
était limitée aux cellules épithéliales carcinomateuses ; et
ces 5 cas LMP1 positifs étaient également positifs à
l’hybridation in situ (soit une corrélation à 100 % des
cas). Alors que dans la série de Chu et al. [9], les cas
EBER positifs étaient tous LMP1 négatifs.
D’autres études n’ont pas permis de détecter l’EBV dans
le cancer du sein [1, 5-7, 10-12]. Ainsi, l’analyse des
différentes études rapportées montre des résultats controversés concernant l’association EBV et cancer du sein,
cette variabilité serait due à plusieurs facteurs, en particulier la sensibilité qui varie entre les différentes techniques
utilisées ainsi que le nombre réduit des cas rapportés [1, 7,
10, 13]. D’autres cofacteurs et/ou des prédispositions particulières dans la population (génétiques, géographiques,
ethniques...) pourraient être en rapport avec le taux d’association, relativement élevé, retrouvé dans certains cas.
La détection de l’EBV dans les cellules tumorales ne permet d’attribuer un rôle oncogène certain à ce virus. Selon
Labreque et al. [14], la présence de l’EBV peut être expliquée par le passage de l’EBV dans les cellules épithéliales
néoplasiques après sa réactivation dans les lymphocytes B
circulants et l’EBV ne joue pas dans ce cas un rôle direct
dans l’oncogenèse.
Figure 1. Positivité cytoplasmique des cellules tumorales pour
LMP1 (immunohistochimie x 400).
Figure 2. Marquage nucléaire d’une cellule tumorale avec la
sonde EBER (hybridation in situ x 400).
Ann Biol Clin, vol. 66, n° 1, janvier-février 2008
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article original
Conclusion
Dans l’état actuel des connaissances, une implication de
l’EBV dans le cancer du sein reste une hypothèse plausible. Plusieurs points relatifs au rôle de l’EBV dans ce
cancer seront éclairés dans l’avenir.
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in situ hibridization and polymerase chain reaction. Am J Clin Pathol
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8. Kafe H, Wechsler J, Gaulard P, Gosselin B. Le virus d’Epstein-Barr :
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Ann Biol Clin, vol. 66, n° 1, janvier-février 2008