La fille de nulle Part

Transcription

La fille de nulle Part
2013
Rencontre et débat
avec le réalisateur
Jean-Claude BRISSEAU
document
à consulter
sur place
Cette compilation de textes a été réalisée par l’équipe
documentation de LA MAISON DE L’IMAGE à Aubenas
à l’occasion des RENCONTRES DES CINEMAS D’EUROPE 2013
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Synopsis
Michel, professeur de
mathématiques à la
retraite, vit seul depuis la
mort de sa femme et
occupe ses journées à
l’écriture d’un essai sur les
croyances qui façonnent la
vie quotidienne. Un jour, il
recueille Dora, une jeune
femme sans domicile fixe,
qu’il trouve blessée sur
le pas de sa porte et
l’héberge le temps de son
rétablissement.
Sa présence ramène un
peu de fraîcheur dans la
vie de Michel, mais peu à
peu, l’appartement devient
le théâtre de phénomènes
mystérieux.
Réalisation : Jean-Claude Brisseau
Scénario : Jean-Claude Brisseau
Directeur de la photographie : David Chambille
Montage : María Luisa García et Julie Picouleau
Producteur : Jean-Claude Brisseau
Production : La Sorcière Rouge
Distribution : Les Acacias
Pays : France
Genre : Drame fantastique
Durée : 1 h 31
Sortie : 6 février 2013
Interprétation :
Virginie Legeay : Dora
Jean-Claude Brisseau : Michel Deviliers
Claude Morel : Denis, l'ami toubib
Lise Bellynck : Lise Veillers, l'ancienne élève
Sébastien Bailly : le fou
Anne Berry : la mort
Emmanuel Noblet : son exécutant
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Virginie Legeay interprète Dora dans le dernier film de Jean-Claude Brisseau.
http://lejournaldupeintre.wordpress.com/2013/02/14/la-fille-de-nulle-part-jc-brisseau/
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Positif
n° 624
Février 2013
http://www.fichesducinema.com/spip/spip.php?
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Le Monde
6 février 2013
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Studio-Ciné-Live
n° 46, Février 2013
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Le Canard Enchainé
6 février 2013
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SYNOPSIS
Michel, professeur de mathématiques à la retraite, vit seul depuis la mort de sa femme et occupe ses
journées à l’écriture d’un essai sur les croyances qui façonnent la vie quotidienne. Un jour, il
recueille Dora, une jeune femme sans domicile fixe, qu’il trouve blessée sur le pas de sa porte et
l’héberge le temps de son rétablissement. Sa présence ramène un peu de fraîcheur dans la vie de
Michel, mais peu à peu, l’appartement devient le théâtre de phénomènes mystérieux.
LA CRITIQUE LORS DE LA SORTIE EN SALLE DU 06/02/2013
Woody Allen nous avait
déjà fait le coup avec
Whatever works : si un
vieux bonhomme recueille et
héberge une jeune fille, ce n'est pas sa
faute à lui : elle est venue demander de
l'aide jusque sur son palier. Dans le cas de
Jean-Claude Brisseau, qui joue le rôle du
saint-bernard, cette visite à domicile est
d'autant plus piquante que le cinéaste a
longtemps été soupçonné d'aimer un peu
trop les jeunes actrices de ses films.
Mieux, la tendance des humains à
s'illusionner est la grande affaire du veuf
solitaire, qui rédige une somme sur ce
thème. Quand une cohabitation commence,
en tout bien tout honneur, entre lui et sa
protégée, les conversations sur la croyance
vont donc bon train, et religions, science et
art sont convoqués. L'érudition de JeanClaude Brisseau (qui fut prof lui aussi)
alimente des dialogues malicieux et lucides
: il est rare que le cinéma français se risque
à cette altitude.
Or la piste érotique est abandonnée
d'emblée. Le coup de maître de Brisseau
consiste à faire de l'apparition elle-même
l'alpha et l'oméga du film. En assumant sa
dose de chimères : cette fille de nulle part,
blonde et diaphane, douée d'un solide sens
de la repartie, qui débarque dans la vie
quotidienne du prof de maths à la retraite,
« radoteur et partiellement cinglé », n'est
peut-être qu'une hallucination, un effet
secondaire de la solitude. Jamais le film ne
quitte la zone incertaine du songe éveillé,
multipliant les péripéties surnaturelles,
souvent dans un grand rire sous cape.
Une fille qui squatte à la maison, avec son
mystère et ses fêlures, c'est aussi un défi à
la paupérisation du cinéma d'auteur : peuton faire un vrai film de fiction avec les
moyens d'un home movie ? Brisseau
prouve que oui. Grand fan de Hitchcock, il
fabrique son Vertigo d'appartement, où le
veuf n'a de cesse de retrouver dans sa
visiteuse providentielle le fantôme de son
épouse. Et face à une débutante —
Virginie Legeay — filmée comme une star,
le cinéaste, ogre en apparence, se révèle,
sur le tard, un acteur merveilleux de
brusquerie et de timidité. Avec ce film
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discrètement drôle et touchant, aux accents
testamentaires, il livre un best of de son
oeuvre. Où l'on retrouve la part
fantasmatique de Choses secrètes comme
les phénomènes paranormaux de Céline,
avec davantage d'humour. Il y a aussi cette
scène, a priori inutile : dans la rue, l'ancien
prof est abordé par une femme, une de ses
anciennes élèves, qui lui dit sa
reconnaissance. Comme un écho apaisé,
heureux, à Noce blanche, le drame en
milieu lycéen qui avait consacré Brisseau.
La Fille de nulle part est un film où tous
les miracles paraissent possibles, une
dernière fois. — Louis Guichard
Louis Guichard
http://www.telerama.fr/cinema/films/la-fille-de-nulle-part,435623,photos.php_____________
« La fille de nulle part »
Article paru dans Politis n° 1239
Une jeune femme, Dora
(Virginie Legeay), est
agressée sur le palier d’un
appartement où habite un veuf, Michel
(Jean-Claude Brisseau lui-même), qui lui
porte secours et l’héberge. Pour Michel,
solitaire reclus chez lui, « protégé » de
l’extérieur par des centaines de cassettes de
films, l’arrivée de Dora sonne comme le
début d’une vie nouvelle. S’instaure entre
eux une relation complexe, à la fois
paternelle et protectrice, où se mêle aussi
de la séduction. Dora, jeune femme sans
attache enjouée et mystérieuse, aide
Michel à finir la rédaction d’un essai sur
les croyances alors que des phénomènes
étranges commencent à apparaître dans
l’appartement, comme des rugissements de
bête féroce dans le débarras. Cette « fille
de nulle part » est-elle un ange ou une
figure maligne ? Récompensé par le
Léopard d’or au dernier Festival de
Locarno, la Fille de nulle part est un film
que Jean-Claude Brisseau a réalisé sans
aucun moyen mais avec une foi renouvelée
dans les pouvoirs du cinéma. Autant ceux
dont usait déjà Méliès (avec apparitions et
phénomènes magiques) que les pouvoirs de
révélation d’autres univers accueillants, qui
hantent Brisseau. La Fille de nulle part est
un film frugal et ensorcelant.
http://www.politis.fr/La-fille-de-nulle-part,20898.html_______________________________
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Critique
Brisseau intérieur
5 février 2013 à 19:06 (Mis à jour: 6 février 2013 à 10:15)
Par OLIVIER SÉGURET
Home-vidéo. Grand prix à Locarno, «la Fille de nulle part», tourné chez lui, marque le retour
en force d’un cinéaste abonné aux controverses.
Jean-Claude Brisseau chez lui, à Paris. - Martin Colombet
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largement, la Fille de nulle part fait écho à
une cosmogonie cinéphile où Hitchcock
tiendrait la place d’un Zeus redoutable. On
a parfois le sentiment que les grands
maîtres, les grands films, les grandes
peintures, dont les références constellent
les murs et bibliothèques de l’appartement,
sont ici chez eux, comme des fantômes, et
qu’ils peuvent agir à tout moment, prendre
le pouvoir sur la mise en scène. Lorsque
c’est le cas, on est très loin de la rigolade
connivente : la façon dont le spectre de
Psychose, au mitan du film, déchire
l’écran, est l’occasion de l’un des plans les
plus glaçants qu’il nous ait été donné de
voir.
Tout commence par effraction : la jeune et
belle Dora tombe un jour, avec brutalité,
sur la vie solitaire mais paisible du vieux
Michel, prof retraité et veuf inconsolé. Cet
homme à la fois colossal et fragile, poli par
les ans et blindé par l’existence mais
hébété par le chagrin, fait penser à un
énorme bouchon de carafe en cristal, très
dur mais très fragile, que la chute de Dora
pulvérise : il s’agira dès lors d’en
rassembler, fragment après fragment, les
éclats.
En dépit de son titre, la Fille de nulle part
est un film consacré à Michel, que le
cinéaste Jean-Claude Brisseau interprète
lui-même. A deux ou trois plans près, ni le
film ni son héroïne-titre ne quitteront
l’appartement très parisien de ce
personnage principal, qui se trouve être le
domicile du metteur en scène. Et toutes les
questions posées par le film concernent
Michel, sa vie et ce qu’il en fait. Dora,
dans ce contexte, est à la fois une créature
projetée par le destin et une partenaire ;
elle agit comme personnage externe et
agent interne, devient une femme
authentiquement providentielle, une sorte
d’assistante à la réalisation d’un rêve. C’est
aussi pourquoi les frontières du
fantastique, du paranormal et à certains
égards de l’épouvante, seront très vite
évanouies dans le processus où elle et
Michel s’engagent.
Mystique. Si le hitchcockisme est un
ingrédient crucial de la Fille de nulle part,
ce n’est pas le seul. Il émane aussi du film
cette légèreté presque enfantine qui est la
marque des chefs-d’œuvre tardifs et dont
les derniers Satyajit Ray ou Akira
Kurosawa ont fourni d’illustres exemples.
Le cinéma de Brisseau atteint ici à une
forme géniale et dreyerienne du prosaïsme,
où les seuls effets spéciaux s’appellent
langage, corps, lumières, musiques, et
suffisent à produire un souffle surnaturel
vertigineux. Même le moins mystique des
spectateurs se retrouve ainsi partie
prenante d’une boucle ardente où Dora et
Michel paraissent nous prouver que, oui,
l’amour éternel existe peut-être, nous
permettant même d’envisager avec sérénité
que, oui, après tout, Dora est possiblement
le grand amour réincarné de Michel.
Zeus. Le fait que Dora soit désignée par le
titre comme ne provenant «de nulle part»
doit être pris au pied de la lettre : c’est une
fille sans endroit, sans autre endroit que cet
appartement. C’est pourquoi on est
autorisé à penser qu’elle habite surtout le
cerveau de Michel, dans les combles
incertains du rêve, du fantasme, ou du
chagrin. Et ainsi, tout le «film» dans lequel
s’est embarqué Jean-Claude/Michel n’est
peut-être que l’expression d’une immense
mélancolie où l’a enveloppé le deuil. Un
chagrin si excédé qu’il se manifeste dans le
réel et s’incarne dans une autre femme…
Il n’est pas indifférent, par ailleurs, que le
modèle économique de cette Fille de nulle
part offre une démonstration en actes
qu’un très grand film peut naître de très
petits moyens. Tourné en vidéo numérique
avec l’argent qu’a rapporté une diffusion
télé de Noce blanche, un tel film devrait
servir de cas d’étude à toute la corporation,
actuellement agitée par les angoisses que
l’on sait. Comment faire sobre sans faire
pauvre ? Demandez sa recette à Brisseau !
La Fille de nulle part est aussi un film que
la postérité rangera, jurons-le, sur l’étagère
maudite des œuvres qui prennent
éternellement feu, vous brûlent les doigts,
C’est l’explicite dimension Vertigo du
film, dont le chignon à la Kim Novak de
Dora offre une métonymie furtive. Plus
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les rétines, peut-être même la cervelle. Il
rejoindra le Flammes d’Arrietta, le Malina
de Shroeter et tous les autres grands films
brasiers : même si ses plans dégagent une
rectitude de retable, ils vibrent dans leur
pourtour de la lumière qui les consume,
irradiés par des flammes invisibles qui les
dévorent majestueusement.
échapperait aux lois d’Euclide. Un cinéma
de la peinture et de la sismographie. Les
ondes et vibrations que le film s’emploie à
capter sont certainement de la nature la
plus fugitive, liquide et immatérielle. Mais
leur amplitude est immense et le cercle de
leur influence à la surface du monde de
Michel ne cesse de s’élargir, menaçant
finalement d’atteindre au plus profond le
spectateur, et de l’engloutir à son tour sous
sa
sphère.
Plus que jamais, le cinéma de Brisseau
s’affirme ici dans une géométrie qui
La Fille de nulle part de Jean-Claude Brisseau avec lui-même, Virginie Legeay, Claude
Morel, Lie Bellynck… 1 h 31.
http://next.liberation.fr/cinema/2013/02/05/brisseau-interieur_879544___________________
Interview
«On s’est
servis d’une
poussette pour
les travellings»
5 février 2013 à
19:06
Par JULIEN GESTER
Chez Brisseau, hanté, c'est ouvert. - DR.
Jean-Claude Brisseau revient sur les raisons qui l’ont poussé à tourner, chez lui, avec
des moyens rudimentaires, un home-movie pourtant ambitieux.
Bien que ses films continuent de rencontrer un certain succès à l’étranger (notamment aux
Etats-Unis), la carrière de Jean-Claude Brisseau, a vu son aura s’essouffler en France ces
dernières années, entre déboires judiciaires (condamnation pour harcèlement sexuel en 2005)
et insuccès commerciaux. D’où, sans doute, la difficulté à mobiliser des financements, si bien
que son nouveau film, la Fille de nulle part, s’est présenté au dernier festival de Locarno
comme par surprise, en home-movie bricolé qui se réfère autant aux tables tournantes de
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Victor Hugo qu’à l’Exorciste 3. Le jury d’Apichatpong Weerasethakul ne s’y est pas trompé
et a décerné son léopard d’or à ce cinéaste de «68 ans et demi» qui, «comme Hugo, Tourneur
ou Jung», croit aux fantômes. Libération l’a rencontré pour lui faire relater la genèse
accidentée d’un singulier retour de flamme.
Assurer cela en même temps que la mise
en scène, quasiment sans équipe, c’était
compliqué.
Comment en êtes-vous venu à
réaliser la Fille de nulle part
chez vous avec des moyens
minimaux ?
Mon plaisir se trouvait ailleurs : d’abord
dans le fait de réaliser un projet atypique
qui mélange la vie quotidienne à des
éléments fantastiques, comiques et si
possible émouvants. Ensuite, je voulais
démontrer que l’on pouvait éventuellement
faire des choses émouvantes avec rien ou
presque, sans dépendre de la technicité, de
la qualité de la photographie ou du son. Me
libérer de certaines contraintes artistiques
mais que le film ait tout de même un
impact, et j’ai l’impression que ça
fonctionne un peu, puisque lors d’une
projection à laquelle j’assistais les
150 personnes qui étaient dans la salle ont
hurlé d’effroi…
J’avais un projet autour de la bande à
Bonnot que je n’arrivais pas à financer, et
mon producteur m’a suggéré de travailler à
un autre scénario, plus léger, que l’on
pourrait tourner en numérique avec peu de
moyens. Je l’ai écrit, je me suis fait bouler
par l’avance sur recettes du Centre national
de la cinématographie en sous-commission
et j’ai laissé tomber. Il y a deux ans, j’ai
proposé à Virginie Legeay, qui avait été
mon élève à la Femis puis mon assistante
sur les Anges exterminateurs, et à qui je
voulais apprendre la mise en scène, de
faire ce film avec moi : d’y jouer tout en
m’assistant dans sa réalisation.
Pensez-vous que vous auriez pu
réaliser un film aussi libre et
détaché des genres dans un
cadre de fabrication industrielle
classique ?
En l’absence de fonds autres qu’un peu
d’argent que j’avais touché pour le passage
d’un de mes films à la télé, j’ai décidé de
tourner chez moi, avec des moyens
rudimentaires (on s’est, par exemple, servis
d’une poussette pour les travellings) :
c’était gratuit, pratique, et assez spacieux
pour y créer des recoins sombres. Et cela
suscitait un contraste intéressant, avec ces
étagères couvertes de films en VHS
comme cadre à l’histoire d’un personnage
qui dénonce les illusions dans lesquelles
les hommes vivent.
C’est difficile à dire, puisque pour moi la
question ne s’est pas posée. Faute de
budget, je ne disposais pas tout à fait des
moyens
techniques
de
Lawrence
d’Arabie… C’est sûr que plus un film
coûte cher, plus j’essaie de respecter un
minimum de normes narratives, histoire
que le public, et donc mon producteur, s’y
retrouve : je n’aime pas faire perdre de
l’argent à ceux qui me soutiennent. Là, je
pouvais me permettre d’essayer des
choses, notamment de m’amuser à renouer
avec le jeu non conventionnel de films de
Renoir ou de la Nouvelle Vague comme
Lola ou Tirez sur le pianiste. A une
époque, j’avais un contrat avec une grosse
société
de
production
qui
a
malheureusement fait faillite. Il stipulait
que j’alternerais grosses productions et
petits
projets
expérimentaux.
Ma
perspective était de pouvoir à la fois tenter
des choses et faire des films qui font rêver,
C’est aussi le peu de moyens
qui vous a poussé à y incarner
vous-même
le
personnage
principal ?
A l’origine je devais tenir un petit rôle, et
puis, sur l’insistance notamment de
Virginie, j’ai fini par remplacer un ami qui
ne pouvait se rendre suffisamment
disponible. Cela a été très pénible : je
n’aime pas être filmé, et j’ai eu du mal à
être à l’aise avec les textes à retenir que
j’avais certes écrits mais qui étaient longs.
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sur le contenu idéologique de l’information
à la télévision, qui tend de plus en plus
vers une forme de propagande. C’est tout
de même sidérant de voir, que du JT aux
émissions de divertissement ou aux
fictions, on ne voit que des juges
d’instruction, des flics, des flics et encore
des flics ! (il s’exclame) C’est tout ! C’est
comme si on préparait des générations
entières à un régime un tantinet fascisant,
en nous assénant que l’on est submergé de
voyous mais qu’heureusement la police est
là.
comme ceux de la MGM à l’âge d’or
hollywoodien. J’avais notamment un projet
sur la guerre d’Indochine, ou un autre qui
se déroulait au Moyen Age, avec Sean
Connery. Mais la boîte s’est écroulée.
Pour revenir à votre question, je pense que
c’est culturellement compliqué, en France,
de mélanger les genres. Même les films de
Godard, Truffaut ou Renoir qui s’y sont
essayés ont été des échecs. Le fait
d’hybrider de la poésie avec des éléments
fantastiques ou grotesques, cela n’est pas
inscrit dans notre culture, pas conforme.
C’est quelque chose de beaucoup plus
anglo-saxon, profondément enraciné chez
Shakespeare.
Par ailleurs, c’est fou le nombre
d’informations qui n’apparaissent jamais à
la télévision, mais ce n’est pas nouveau. A
l’époque de De bruit et de fureur (1988),
les gens ne voulaient pas croire ce que je
dépeignais de la délinquance [dans une
cité de banlieue, ndlr], et il a fallu des
années pour qu’avec la médiatisation on
me reconnaisse finalement que ce n’était
pas des délires de ma part. Je me rappelle
que Frédéric Mitterrand, qui est un très
gentil garçon par ailleurs, m’a dit à
l’époque que ces images de voyous dans
les caves ne pouvaient être que des
fantasmes. Quand j’ai raconté ça à ceux
qui vivaient ces situations dans la réalité,
vous imaginez bien qu’ils ont quelque peu
déchanté…
Dans une scène très brève, on
voit apparaître une image de JT
sur un écran de télévision, où il
est question de la guerre en
Afghanistan. Qu’est-ce que cela
dit de votre rapport à l’actualité
?
Je passe peu de temps devant la télévision,
mais, quand je le fais, c’est presque
toujours pour les informations, qu’il
m’arrive de regarder en boucle pour les
analyser. Cela m’intéresse de me pencher
http://next.liberation.fr/cinema/2013/02/05/on-s-est-servis-d-une-poussette-pour-les-travellings_879549
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Jean-Claude Brisseau : "Ce que je demande, c'est de
l'authenticité"
LE MONDE | 05.02.2013 | Propos recueillis par Jacques Mandelbaum
Jean-Claude Brisseau reçoit dans son appartement parisien, sur les lieux mêmes où il a
tourné son dixième long-métrage, couronné en août 2012 d'un Léopard d'or au Festival
de Locarno. Juste reconnaissance pour ce franc-tireur, né le 17 juillet 1944 à Paris, à
temps pour assister à la libération de la ville, sous la botte nazie. Fils d'une femme de
ménage opérant dans les cinémas parisiens, ancien professeur de français dans un
collège de Seine-Saint-Denis, ce colosse aux affinités communistes se lance de chic dans
la carrière cinématographique. Ses relations avec le milieu sont orageux, ses films d'une
urgente beauté. Des affaires judiciaires liées aux rapports qu'il entretient avec ses
actrices le tenaillent depuis une dizaine d'années. La Fille de nulle part est pourtant un
film d'une absolue pureté.
producteur, Frédéric Niedermayer, m'a
alors proposé de faire quelque chose de
plus modeste, en vidéo. Comme je n'avais
jamais utilisé ce format, j'ai acheté une
caméra et fait des essais, mais j'ai trouvé ça
tellement laid que j'ai renoncé. Et puis un
jour, Virginie Legeay, une ex-élève de la
Femis avec laquelle je suis devenu ami, qui
avait également été mon assistante, m'a
demandé de faire un film pour elle. Je me
suis lancé.
Votre dernier film, "A l'aventure",
remonte à quatre ans. Tout ce temps a-til été consacré à la préparation de celuici ?
Non, je me suis longtemps battu pour un
projet qui n'a pas abouti, consacré à la
bande à Bonnot. Le film était cher, et puis
ce n'était pas facile de trouver des acteurs
de 20 ans qui sachent vraiment tenir un
flingue tout en étant "bankable". Mon
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Comment s'est monté le film ?
Dora, qui est aussi le nom d'une des plus
célèbres patientes de Freud... Voyezvous ainsi les rapports entre metteur en
scène et actrice ? Il faut y voir le fait que
je lisais Freud en préparant le film, que la
phase du scénario est un peu pénible pour
moi, et que j'ai pris le premier prénom qui
me tombait sous la main...
Sans un sou de nulle part. Je venais de
toucher 62 000 euros pour le passage de
Noce blanche à la télévision ; j'ai utilisé
cette somme pour faire mon film, dont le
budget est en dépassement de 200 %. Le
défi, pour moi, était essentiellement
esthétique : je voulais voir s'il était
possible de faire un film qui puisse toucher
le public sans avoir pour autant la
perfection technique nécessaire à cette
séduction. Il y avait là un côté franchement
expérimental, d'autant que le film est aussi
un mélange délibéré entre une veine
réaliste, comique, philosophique et
fantastique. Le prix à Locarno et la sortie
en salles sont pour moi une très agréable
surprise.
Comment définiriez-vous alors votre
conception de ce rapport ?
Ce que je demande essentiellement, c'est
de l'authenticité. Dans toutes les
expressions imaginables, de la tendresse au
désir.
Les fantômes peuplent votre film, y
croyez-vous ?
Votre présence dans le film contribue à
lui donner une dimension intime,
d'autant plus touchante.
On pourrait parler, plus exactement, de
phénomènes parapsychologiques. Il se
trouve qu'un grand nombre de ceux qui
figurent dans mes films, je les ai
personnellement vécus. J'ai parlé avec mon
père au cours d'une séance de spiritisme, je
lui ai demandé où il préférait être enterré,
s'il voulait reposer aux côtés de sa
maîtresse Simone ou de sa femme. Il m'a
répondu Simone, mais je l'ai enterré aux
côtés de ma mère. Je crois donc aux
présences. Je crois que nous avons une
vision partielle et partiale du monde. Je
crois qu'il y a des choses derrière les
choses. Et c'est cela que le cinéma doit
montrer
Je ne l'ai pas voulue. Un ami s'est désisté,
on m'a poussé à le remplacer. J'ai détesté
ça. D'abord, je n'aime pas retenir du texte
par coeur, ensuite, j'ai horreur de me voir.
Et puis on a tellement dit que les rôles
masculins de mes films me ressemblaient
que je n'y accorde plus d'importance. Ce
n'est pas parce que je mets en scène Bruno
Cremer en enseignant tombant amoureux
d'une de ses élèves dans Noce blanche qu'il
me représente, bien au contraire.
Au début du film vous êtes plongé dans
la lecture de Freud, avant de recueillir
.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2013/02/05/jean-claude-brisseau-ce-que-je-demande-cest-de-l-authenticite_1827400_3246.html__________________________________________
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À chaque film sa genèse, liée le plus
souvent à une envie de raconter une
histoire, de mettre en scène des
personnages dont le réalisateur se tient
proche. La Fille de nulle part est née de la
demande d’une jeune femme, Virginie
Legeay, assistante de Jean-Claude Brisseau
sur son film Les Anges exterminateurs.
Avec les droits d’auteur empochés lors de
la diffusion de Noce Blanche à la
télévision, le cinéaste s’est lancé. « Je
souhaitais depuis longtemps revenir aux
conditions « amateur » de mes débuts. J’ai
donc décidé de faire un film avec rien,
d’aller à la simplicité absolue. » Sollicité
par son entourage, il incarne un des deux
principaux rôles avec Virginie Legeay.
Une dizaine de personnes seulement figure
au générique. L’appartement du réalisateur
sert de décor. Les travellings ont été
effectués grâce à une poussette…
un homme sur son palier. Il la recueille
chez lui le temps de sa convalescence.
Commence une étrange cohabitation où
chacun se dévoile peu à peu. Débutent
aussi
de
mystérieux
phénomènes
paranormaux.
Ne feignons pas de l’ignorer : l’économie
de bouts de ficelle qui a prévalu à la
réalisation du film se voit à l’écran. Le
maquillage de Dora, blessée par son
agresseur, ne fait pas illusion une seconde.
Si grand soit l’appartement, on en a
rapidement fait le tour. Faute de moyens, le
fantastique flirte parfois avec le ridicule.
Au lieu de céder aux amicales pressions
des siens, Jean-Claude Brisseau, acteur
sans jeu, aurait dû rester derrière la caméra.
Les longs dialogues autour du manuscrit
paraissent filandreux. Et pourtant, malgré
tous ces défauts patents, le spectateur finit
par se trouver happé par le récit et les
personnages attachants de ce film austère
et poétique, aussi sincère que naïf. Un film
dont la sensualité qui affleure n’a que peu
à voir avec ce que l’affiche, très
suggestive, laisse entendre.
Michel, professeur de mathématiques à la
retraite, vit seul depuis la mort de sa
femme vingt-huit ans plus tôt. Il travaille
d’arrache-pied sur le grand œuvre de son
existence, un manuscrit consacré aux
illusions et aux croyances. Un jour, une
jeune femme est violemment agressée par
CORINNE RENOU-NATIVEL
http://www.la-croix.com/Culture/Cinema/La-fille-de-nulle-part-bouts-de-ficelle-et-sincerite-_NG_2013-02-05-907594___________________________________________________________________
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Habitué au scandale, Jean-Claude Brisseau frappe une nouvelle fois là où le spectateur ne
l'attendait pas : le fantastique. Malgré les premiers instants décevants du film, notre
contributeur a aimé cet ovni cinématographique exigeant.
CRITIQUE CINÉMA. Jean-Claude Brisseau est un cinéaste dont le nom respire le scandale. Audelà de ses films, ce sont également sa personnalité et sa vie qui amènent à qualifier le réalisateur de,
disons, marginal. "La Fille de nulle part" rentre dans cette logique. Pour le pire et pour le meilleur.
Le spectateur sait qu'il ne sera pas réconforté et que la démarche de Brisseau va heurter, comme
toujours, les sensibilités. Avec son équipe ultra réduite et son budget plus que limité, la technique ne
va pas entrer en ligne de compte dans le pur plaisir que le cinéma peut parfois donner à son auditoire.
Et cela se ressent directement à la vision.
On n'y va pas pour le jeu des comédiens
Les comédiens ne proposent pas de jeu d'une extraordinaire qualité. Si cette jeune fille s'en sort avec
les honneurs, on ne peut pas en dire autant de Jean-Claude Brisseau qui joue lui-même le personnage
principal. Ce n'est, clairement, pas un comédien de métier. Cela se voit, cela s'entend. Il déclame ses
tirades de manière très plate, dans un non-sens du rythme qui amène à considérer sa performance
comme un ersatz d'un mauvais film français tout droit sorti de La Nouvelle Vague.
Mi-naturaliste tant on sent le degré personnel, mi-maladroit quand le naturel revient au galop et peutêtre mi-référencé à cette école du cinéma si caractéristique, on ne sait pas trop quoi penser de ces
propositions de jeu qui bousculent les interprétations. Cela peut énerver, surtout les détracteurs de ce
cinéma très, ou trop, français ; cela peut consterner devant un tel niveau élevé de médiocrité ; cela peut
surtout perdre car les impressions, les sensations, les réflexions chahutent, s'entrechoquent, se mêlent
les unes aux autres pour finalement ne pas donner quelque chose de cohérent.
Un dispositif paresseux
Le spectateur a alors bien du mal à entrer dans le scénario, basé sur cette étrange relation de couple qui
ne dit pas son nom, qui s'annonçait pourtant passionnant. La mise en scène, dans une pure logique de
globalité formelle, se rapproche de cette lecture. La photographie est laide, osons le mot, et ne met pas
du tout en valeur les décors ou la dimension naturaliste que Brisseau veut donner au projet ; la caméra
est bien trop statique pour élever le film sur les possibilités interprétatives de l'image quand ce n'est
pas le matériel qui peut basculer dans les limites de la rupture technique.
Un contre-champ est mal utilisé, une image apparaît plusieurs fois à l'écran, la caméra tremble et
manque de tomber, les erreurs sont prégnantes, palpables, physiquement présentes et choquent un
spectateur habitué à des réglages techniques précis.
L'ensemble reste dans un dispositif très plan-plan, pour ne pas dire paresseux et on a bien l'impression
que Jean-Claude Brisseau prend les considérations techniques par dessus la jambe. L'économie de
moyens n'excusant pas tout, on ne peut pas dire que "La Fille de nulle part" respire le cinéma à plein
nez. Bien entendu, ces approches formelles ne doivent pas rebuter le spectateur. Pour apprécier le
métrage, il faut creuser, persévérer, aller au delà des clichés, des attentes et de la surface de l'image.
On croirait que le réalisateur ne connait rien à la discipline cinématographique. C'est tout le contraire
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Un film riche
"La Fille de nulle part" est un film qui révèle sa richesse sur le tard, presque à la sortie de séance, après
un temps de latence. Il n'est pas un objet viscéral, instinctif, sensitif. Tout au contraire, s'il est un film
qui prétend parler au cerveau plus qu'au cœur, c'est bien celui-ci. Attention néanmoins, le réalisateur se
refuse à tomber dans un enfermement hermétique. Les passerelles existent.
Le métrage n'est, en effet, pas totalement dénué d'émotions. La preuve, c'est que "La Fille de nulle
part" peut être vu comme un beau discours sur la vieillesse et son corollaire, la jeunesse, sur la
nostalgie et la capacité à essayer de vivre correctement le présent. Jean-Claude Brisseau a mis de sa
personne dans un film qui respire indéniablement la sincérité.
Même s'ils ne sont pas déclamés avec un aisance avérée et professionnelle, les dialogues sont souvent
touchants et parfois accompagnés d'une mise en image cohérente. À ce titre, les contre-champs sont
symptomatiques. Ces moments correspondent aux séquences shootées à l'extérieur. Comme un
symbole, alors que l'on pourrait croire qu'elles permettent une ouverture dans les existences, ces scènes
enferment les personnages dans leurs conditions.
Le cours de la vie se pare d'une tristesse bien palpable et c'est à ce moment que le spectateur peut se
rendre compte que les erreurs techniques premières, visibles et repoussantes ne gênent plus trop.
L'humain prend partiellement le pas sur le matériel. "La Fille de nulle part" affiche alors sa richesse.
Surtout, la réalisation rend parfaitement hommage à un genre particulier : le fantastique.
Un spectateur surpris
La chose est quand même incongrue car on ne soupçonnerait pas le métrage d'aller dans une telle
direction. Si la caméra ne se promène pas dans les différentes pièces de l'appartement, si l'image est
souvent fixe, c'est qu'il y a bien une raison. Cette dernière tient dans une conscience
cinématographique de tous les instants. En effet, en refusant de donner des clés géographiques sur
l'espace filmique, Jean-Claude Brisseau peut constamment surprendre son spectateur.
Il arrive, ainsi, à faire venir son fantastique de la manière à la fois la plus simple et la plus théorique.
Les questions techniques s'effacent définitivement.
"La Fille de nulle part" est une apologie du champ et du hors champ, de l'arrivée d'un monde dans le
nôtre. Alors que le spectateur ne s'y attend pas, le réalisateur se permet de créer des images superbes et
littéralement glaçantes avec ces apparitions fugaces et surprenantes ou des compositions très
picturales.
Brisseau nous flatte
Nous ne sommes pas dans la constante démonstration, le réalisateur est un classique parmi les
classiques. Il préfère faire les choses simplement, de manière toujours réfléchie et évite d'en mettre
plein les yeux par une explication futile, un rapport cause / conséquence qui annihilerait tout effet de
surprise. L'intégralité de la démarche est pensé et fait constamment marger les méninges en ouvrant
des thématiques sur le langage cinématographique alors que l'on pourrait croire à un bricolage de tous
les instants. Brisseau nous prend à contre-pied. Et il va même plus loin.
Le cinéaste est un amoureux du septième art, en particulier, et de la culture, en général. Refusant la
dictature de l'instantanéité, de la médiocrité et de la faiblesse intellectuel, il ose parler à son spectateur
de manière adulte. Le cinéma français n'en est pas toujours capable et recevoir des louanges de la part
d'un artiste est non seulement flatteur – personne n'est pris pour un imbécile –, c'est terriblement
positif pour notre état mental qui fonctionne alors à 100 %.
Merci à Jean-Claude Brisseau pour sa démarche. Le scénario est un outil évident de cette stratégie et
pose des fondations solides. Cet homme et cette jeune femme s'allient pour écrire un ouvrage
théorique d'une belle complexité thématique, complexité qui va se retrouver dans la mise en scène et
dans les épreuves qu'ils vont traverser.
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Des décors malins
De manière plus "légère", il faut noter que les références dans les dialogues sont, de plus, nombreuses.
Ces deux personnages permettent de faire lien entre la forme et le fond tant ils investissent ces deux
corollaires de la globalité cinématographique. Parallèlement, le réalisateur utilise tout un jeu sur les
décors – en plus de bibliothèque ou et de la vidéothèque personnelles de Brisseau, le film étant tourné
dans son propre appartement –, sur certains personnages qui convoquent des représentations, des idées
mentales, des stéréotypes culturels.
Mais tout ceci n'est pas si futile. Cela s'intègre parfaitement dans le processus de "La Fille de nulle
part". Nous ne sommes plus dans de la contextualisation spatiale, dans l'arrière plan froid, plat et sans
identité. Ces éléments font sens, proposent un réel discours qui corrobore les paroles et les attitudes
des protagonistes et ne permettent pas de simplement construire un plan.
On dépasse le cadre de la stricte forme filmique et de l'écriture. C'est bel et bien le corps du film qui
travaille la notion artistique. Le réalisateur n'a donc peur de rien. Et si son film est truffé d'erreurs, cela
ne va pas l'empêcher d'avoir une foi inébranlable envers le cinéma en convoquant les multiples
possibilités. Les partis-pris courageux ne démontrent que cela et à y regarder de plus près, ce que l'on
pourrait prendre comme des faiblesses sont en fait des forces.
Brisseau connaît le cinéma
Pas de besoin de gros moyens, de mouvements alambiqués, d'une construction léchée ou d'effets
spéciaux numériques plus vrais que nature pour que le métrage tienne débout. Un plan resserré
masquera, un drap hantera, des échasses agrandiront, un positionnement corporel reflétera la violence.
Champ / hors champ / représentation : voici le tiercé gagnant pour que "La Fille de nulle part" puisse
prouver son pouvoir d'illusion.
C'est donc bien de cinéma dont il est question. Le cinéaste coupe, là-aussi, court à nos clichés
premiers. Cette attitude est payante, surtout qu'il arrive à doser quelques petites apostrophes bien
senties. Brisseau connaît le cinéma et il a aussi envie de se faire plaisir en convoquant des outils de
faisabilité dignes de ses maîtres. Bresson a été cité par certains, Renoir peut également l'être. Le film
se détache, pour le meilleur, de la commande mercantile et de la posture commerciale.
"La Fille de nulle part" est un métrage troublant. On pourrait le croire détestable, il n'en est pas moins
une réelle œuvre cinématographique à part entière. Il faut, seulement, prendre en compte une
singularité qui le fait sortir des sentiers battus de la production française. Nous ne sommes pas
habitués à une telle démarche mais cela doit être célébré.
http://leplus.nouvelobs.com/contribution/785594-la-fille-de-nulle-part-jean-claudebrisseau-nous-choque-nous-flatte-nous-surprend.html_________________________
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« La Fille de nulle part »: un film
bouleversant et essentiel
Un vieille homme et des fantômes, une jeune femme et une
morte : bouleversante épure sur l’amour fou.
On a beaucoup parlé du retour de Francis Ford Coppola à un cinéma indé, libre, léger, peu
onéreux, quasi estudiantin. Tout est relatif, et les trois derniers Coppola feraient figure de
superproductions à côté de La Fille de nulle part, véritable objet artisanal, film maison fait avec
trois sous.
Jean-Claude Brisseau n’a certes jamais œuvré dans la production lourde, mais ce nouveau film est
particulièrement punk dans son mode de fabrication : deux personnages, tournage numérique dans
l’appartement du cinéaste sans retouches de décor, avec lui-même et son assistante dans les rôles
principaux.
Cette fraîcheur de débutant est le premier effet du film, qui continue de transmettre une idée
essentielle, d’autant plus forte ici qu’elle est portée par un cinéaste connu et chevronné : nulle
obligation d’être riche, réseauté, beau, glamour, insider, dépendant de toute la lourdeur du
système, pour faire du cinéma, il reste possible de dégainer un film comme un écrivain pond un
livre ou un groupe un single.
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L’autre effet touchant de La Fille de nulle part consiste à totalement déjouer les attentes
éventuelles de spectateurs qui seraient attirés par la réputation de Brisseau, Barbe-Bleue qui
croquerait les jeunes actrices innocentes, réalisateur qui ferait du cinéma pour le seul plaisir de
filmer des actrices dénudées en quête d’orgasme.
Le début de La Fille de nulle part pourrait laisser croire que ces spectateurs-là vont être comblés.
Michel, un vieux professeur de maths, solitaire et désenchanté, recueille Dora, une jeune femme
qui s’est fait tabasser par un homme. Dora est jolie, s’installe chez Michel le temps de se remettre.
Elle prend une douche, porte des tenues légères, se prend d’affection pour son “sauveur”.
Parfaitement conscient de ce que cette situation peut éveiller comme attente chez le spectateur qui
connaît ses films et/ou sa réputation médiatique, Brisseau s’amuse à esquiver et se déplace ailleurs
– Dora l’aguiche, dévoile un sein, Michel repousse gentiment ses avances.
La Fille de nulle part sera le film le plus chaste de Brisseau, explorant la métaphysique d’une
relation plutôt que sa part physique. Dora rappelle à Michel sa compagne défunte, à tel point qu’il
croit voir en elle sa réincarnation.
De ce vertige hitchcockien, Michel/Brisseau tire une séduisante et romanesque théorie : les
amants séparés par la mort se retrouveraient périodiquement à travers une réincarnation rajeunie,
formant ainsi une chaîne ininterrompue à travers le temps. Belle hypothèse de défi à l’inéluctable
de la condition humaine.
De même que Brisseau mêle le réalisme quotidien et les bouffées de paranormal, il concilie la
simplicité et le conceptuel, le brut et le théorique, le cru et le cuit, la prose et la poésie. Par
exemple, rien de plus évident et commode que de filmer dans son propre appartement, mais
comme le logement est saturé d’objets, livres et affiches de cinéma, on peut interpréter ce lieu
comme un tombeau cinéphilo-fétichiste qui rehausse l’histoire et les personnages.
Comment faire apparaître le surnaturel dans un endroit aussi banal qu’un appartement parisien?
Par le son, par d’étranges et soudains grognements venus du placard à balais. Par manque de
moyens comme par inclination personnelle cinéphile, Brisseau apprivoise le fantastique,
sympathise avec les fantômes, en fait un objet prosaïque appartenant au quotidien. Le fantastique,
c’est chez Brisseau le lieu de la croyance, l’esprit, la voix intérieure de chacun.
Jean-Claude Brisseau joue le rôle principal et ça n’est pas rien. D’abord, une façon de
s’engager pleinement dans son film, de le signer de son corps. Et ce corps lourd, ce visage marqué
rappellent un peu Gérard Depardieu. Brisseau n’a évidemment pas le génie de comédien de
Depardieu, mais son amateurisme, sa gaucherie, sa façon de réciter son texte sont fascinants.
Chez Brisseau, comme dans son cinéma, existe un mélange unique de sophistication et de
primitivisme. Sophistication du discours, du questionnement existentiel, des référents
cinématographiques qui hantent
son cinéma et ce film, mais primitivisme du do it yourself, du physique de bûcheron de l’acteurcinéaste, de sa diction et de son phrasé non policés.
Dans un pays qui souffre tellement de la fracture peuple/élite, Brisseau et son cinéma fusionnent
ces deux pôles supposés inconciliables. La Fille de nulle part dit que le cinéma exigeant, la
métaphysique, ce n’est pas réservé aux bourgeois, ça peut être pour le peuple et par le peuple.
par Serge Kaganski
le 05 février 2013
http://www.lesinrocks.com/cinema/films-a-l-affiche/la-fille-de-nulle-part/__________
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Jean-Claude Brisseau, cinéaste atypique
C’est dans son appartement, donc sur son lieu de tournage,
que l’on rencontre Jean-Claude Brisseau, cinéaste
atypique et émouvant.
Jean-Claude Brisseau est inquiet. Il y a deux semaines, il a fait un malaise et est tombé. Il
devrait faire des examens mais il n’a pas vu de médecin depuis très longtemps, il a très peur,
il a toujours eu peur des médecins, de toute façon – « je suis hyper-émotif », dit-il. Un jour,
l’un d’entre eux lui a déclaré : « Vous avez le corps de John Wayne mais la sensibilité d’une
adolescente de 14 ans. » Grand, massif, Jean-Claude a 68 ans et ses cheveux longs ramenés
en arrière sont tout blancs. Avec sa peau un peu burinée, il ressemble plus à un vieux chef
indien qu’à John Wayne.
Dans son bureau, les murs sont couverts de DVD et de VHS bien rangés : des films
américains surtout, beaucoup de westerns, quelques vieux films français (la collection René
Chateau), tout Bergman mais surtout l’intégrale Hitchcock, bien sûr. Dans la pièce voisine, il
a fait installer un grand écran et un rétroprojecteur. C’est là qu’il travaille, qu’il décortique les
films qu’il aime plan par plan, pour regarder dans le moteur, pour voir comment ils sont faits.
Appuyez sur le « bouton » Hitchcock (il les a tous vus), Brisseau vous en parlera pendant des
heures, entrant dans le détail du découpage et l’explication du placement d’un plan à tel
moment du film et non à tel autre avec un sens de la précision et de la sensibilité au récit tout
à fait étonnant. De la façon dont ces films sont fabriqués, écrits, construits. La seule fois qu’il
a rencontré Truffaut, dans les années 70, chez Rohmer, aux Films du Losange dont Brisseau
était alors un des réalisateurs maison, ils n’avaient parlé que de cela.
« Truffaut, quand il était critique, parlait beaucoup des thèmes des cinéastes, et c’est normal.
Mais là, il était réalisateur, et nous n’avons parlé ce jour-là que de construction. On se
parlait comme deux techniciens en narratologie. C’était passionnant. »
Brisseau était alors un jeune homme. Né dix à quinze années après les cinéastes de la
Nouvelle Vague, il avait découvert le cinéma au coin de sa rue, littéralement. Son père,
« parti très vite », était ingénieur, et sa mère travailla alors comme femme de ménage. Dans
les cinémas du quartier… Au 251 de la rue Marcadet, métro Guy-Môquet, où Jean-Claude et
ses frères et soeurs ont vécu toute leur enfance. De la fenêtre de leur HLM, il voyait l’entrée
du cinéma. Le cinéma et Brisseau ne firent bientôt plus qu’un. Il ne parle pas de ses
camarades de classe, mais beaucoup des jeudis et samedis passés au cinéma, seul ou en
famille – le weekend surtout. « Le cinéma ne coûtait pas cher, pas cher du tout. C’est pour
cela aussi qu’il était populaire. Et puis il était ‘permanent’. Si on avait aimé un film, on
pouvait rester aux séances suivantes. »
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« Je voyais vraiment tous les films qui sortaient »
Brisseau s’était organisé un trajet de onze kilomètres qui lui permettait d’écumer toutes ses
salles préférées de la rive droite, et de jeter son dévolu sur les films qui le séduisaient le plus.
« Je voyais vraiment le cinéma comme un enfant. Par exemple, j’ai mis un certain temps à
comprendre comment un acteur pouvait jouer dans plusieurs salles en même temps. » Un film
se jouait au présent pour ce petit spectateur. « Le lundi, en classe, je repensais aux films. Je
voyais vraiment tous les films qui sortaient. » De plus, chose très rare à l’époque, il a la
télévision dès 1947, puisque son père en a construit une de ses propres mains…
Brisseau est plutôt à l’aise en classe. Le jour de l’examen pour passer en 6e, il bâcle l’épreuve
de mathématiques pour avoir le temps de filer voir un film. Il est reçu premier de son
arrondissement. Le cinéma le poursuit, ou il le poursuit. Il est au lycée Chaptal, aux
Batignolles, et commence à lire les Cahiers du cinéma, peut-être le numéro avec Jean Seberg
en couverture (au moment de la sortie d’À bout de souffle). Il souhaite entrer à l’Idhec –
l’ancêtre de la Fémis, où il sera intervenant – mais n’y parvient pas, des histoires d’emplois
du temps incompatibles avec ceux du lycée Voltaire où le grand critique catholique Henri
Agel donne des cours de préparation au concours de l’école de cinéma. Alors il « fait »
Normale Instit. Puis, en interne, devient prof de français. Il réalise ses premiers films
amateurs. Face à la déception de ses amis devant ses films, il se rend compte qu’il n’a pas
encore tout compris. Il se penche alors davantage sur le découpage, tel un ingénieur du récit…
Brisseau, le prof, découvre la banlieue. Les barres, la misère et la violence sociale.
Aubervilliers. Il tente de faire découvrir le cinéma à ses élèves en leur projetant des films avec
les premiers magnétoscopes.
En super-8 sonore, il réalise La Croisée des chemins en 1975, qui est projeté dans un festival
de cinéma amateur. Rohmer le voit, est conquis. Grâce à lui, Brisseau produit un premier film
avec l’aide de l’INA, La Vie comme ça, en 1978. Les Films du losange, la boîte de prod
fondée par Barbet Schroeder et Rohmer, produit son premier long, Un jeu brutal (1982). Mais
Brisseau reste prof, en parallèle, jusqu’au succès de Noce blanche (1989), qui va lui permettre
de quitter l’enseignement, les HLM. C’est De bruit et de fureur (1988) qui l’a vraiment lancé.
Il y fait jouer pour la seconde fois Bruno Cremer, ce grand bourgeois qui accepte, pour
Brisseau, de jouer les prolos déjantés. À l’époque, cette vision noire et violente des cités de
banlieue vaut à Brisseau des ennuis avec les syndicats enseignants, ses amis, qui n’acceptent
pas de se reconnaître dans ce cinéma réaliste, dont ils jugent qu’il donne une mauvaise image
de leur milieu. C’est pourtant la vérité que décrit Brisseau ( » divisée par dix », ajoute-t-il),
une vérité qu’il a vue de ses yeux dans les collèges et les quartiers. Le type qui tire des coups
de fusil dans son appartement, il l’a connu. Brisseau est en avance d’un train.
Noce blanche est un succès, le sommet de sa carrière en matière commerciale. Brisseau sent
qu’il peut entrer dans la cour des grands. Mais c’est loin d’être son film préféré, aujourd’hui il
y trouve des éléments un peu commerciaux, faciles… Car Brisseau a quelque chose de pur,
d’honnête. « Oui, monsieur (il vous appelle souvent comme cela), je suis resté de gauche. Et
chrétien. »
Sa géniale trilogie sur la sexualité féminine – Choses secrètes (2002), Les Anges
exterminateurs (2006) et À l’aventure (2007) – lui a valu quelques mésaventures. Et il
n’hésite pas, sur un ton un peu complotiste qui trouble le journaliste, à affirmer que ses
problèmes judiciaires de 2006 (il fut condamné pour harcèlement sexuel pour avoir pratiqué
des essais un peu trop chauds avec de jeunes actrices de Choses secrètes) ne doivent rien au
hasard : la profession lui aurait toujours reproché d’être un fils de pauvre qui refusait de se
plier aux lois d’un système économique du cinéma qu’il juge trop souvent gangrené par la
corruption, le blanchiment d’argent. Cela, il l’a découvert au fur et à mesure. Il n’en démord
pas.
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Du coup, aujourd’hui, il produit ses films avec trois euros six centimes. Mais réussit toujours
à filmer la peau des corps féminins avec un soin qui rappelle à la fois le cinéma hollywoodien
et la peinture de la Renaissance. La Fille de nulle part, son nouveau (et somptueux) film, a
remporté le Léopard d’or lors du dernier Festival de Locarno. Il l’a tourné chez lui :
« C’est pratique, monsieur, parce que j’aime vivre dans les lieux où je tourne. J’aime tourner
des petits films comme celui-là – j’en ai d’autres sur la planche. Même si je rêverais de
réaliser un blockbuster… Jean-François Rauger, le programmateur de la Cinémathèque
française, m’a dit un jour que j’étais un cinéaste hollywoodien classique né à la mauvaise
époque. »
Un grand chef indien avec la candeur d’un jeune homme fasciné par les femmes. Quel drôle
de bonhomme.
par Jean-Baptiste Morain
le 18 février 2013
http://www.lesinrocks.com/2013/02/18/cinema/jean-claude-brisseau-comme-un-sioux-solitaire-11356676/
Un prof à la retraite recueille une
mystérieuse nymphette agressée sur le
palier de son immeuble. De cette
cohabitation naît un conte foutraque
mêlant film noir, débat philosophique
et relents fantastiques. Tables qui
tournent, anges de la mort saluant le
vieux bonhomme (Brisseau himself),
fantôme de Léopoldine Hugo planquée
dans l’arrière-cuisine, petites vapeurs
biographiques… Drôle de cocktail,
moins érotisant qu’à l’accoutumée, que
concocte là Brisseau, entre compil
auteuriste et goguenardise pure – le
film, tourné avec des bouts de ficelle
dans l’appartement du cinéaste, est
bien conscient d’être fauché comme les
blés. Il n’en demeure pas moins
traversé d’une kyrielle de visions
traumatiques qui n’appartiennent qu’à
son auteur, fauve blessé dont
l’insolente et irréductible singularité
palpite encore envers et contre tout
http://cinema.nouvelobs.com/articles/23483-critique-critiques-la-fille-de-nulle-part-de-jeanclaude-brisseau______________________________________________________________
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La fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau dans le vide
Par Eric Libiot (L'Express), publié le 06/02/2013 à 12:41
Ennuyeux, et ridicule au bout du compte, puisqu'il est rapidement clair que
tout va rester dans les intentions et la posture auteuriste d'un réalisateur
qui sait gagnés à sa cause ceux qui se pâment sur ces objets peu identifiés.
N'y a-t-il donc personne pour dénoncer ce
scandale? Ou, à tout le moins, pointer
l'incongruité de la chose? Si l'on s'en tient
aux chiffres des salaires des comédiens
français publiés ici ou là, et si on les
compare au budget de La Fille de nulle
part, de Jean-Claude Brisseau, il en ressort
que le cinéaste pourrait, grosso modo,
réaliser une bonne vingtaine de films avec
le cachet d'une seule star. Le grand écart
fait mal aux deux parties. Mais si l'une se
fait vertement critiquer, l'autre n'est pas
forcément vertueuse. Où, précisément,
pléthore ou manque d'argent ne sont un
gage de rien. Et surtout pas de réussite.
Un homme, veuf, accueille chez lui une
jeune femme qui pourrait être la
réincarnation de son épouse. Deux
personnages, un appartement. A peine
plus. Et l'envie, chez Brisseau, de traiter du
fantastique au quotidien, des rêves et de
l'illusion, lui qui, cinéphile averti, sait que
le cinéma n'est qu'affaire de croyance. Bon.
Soit. Pourquoi pas. Et je dois dire que sa
mise en scène minimaliste est parfaitement
cohérente avec le projet. Mais que cette
singularité, qui finit par trop forcer la
sympathie pour un cinéaste qu'on a
pourtant aimé (Un jeu brutal, De bruit et
de fureur, Noce blanche), ne vienne pas
cacher un scénario sans idées et un
discours sans fin. Ennuyeux, et ridicule au
bout du compte, puisqu'il est rapidement
clair que tout va rester dans les intentions
et la posture auteuriste d'un réalisateur qui
sait gagnés à sa cause ceux qui se pâment
sur ces objets peu identifiés. L'entre-soi se
regarde malheureusement trop le nombril
d'une seule main.
Je me permets d'enfoncer le clou, car cette
Fille de nulle part ayant obtenu le léopard
d'or au Festival de Locarno où la critique
pensante l'a parée de toutes les vertus, je ne
doute pas de l'agitation d'encensoir qui va
accompagner sa sortie en salles. Or, si la
singularité du film n'est pas à remettre en
question, elle n'a pas à s'ériger en principe
critique. Pas plus que le parcours du
cinéaste, l'étrangeté du sujet, la radicalité
de la forme ou la main de ma soeur.
Eric Libiot
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/la-fille-de-nulle-part-jean-claude-brisseau-dans-levide_1217440.html____________________________________________________________
19
http://www.premiere.fr/film/La-Fille-de-Nulle-Part-3459178/%28affichage%29/press_______
La fille de nulle part *
Un professeur de mathématiques, veuf et
retraité, recueille chez lui une jeune SDF
qui vient d'être agressée. Très vite, des
phénomènes surnaturels surviennent dans
son appartement. Le Jean-Claude Brisseau
voyeuriste de ces dernières années laisse
place à la sincérité et à la naïveté du
cinéaste à ses débuts. On peut tout aussi
bien être happé par cet univers poéticosensoriel qu'agacé par le non-jeu de
Brisseau acteur et le côté fauché de
l'ensemble.
http://www.lejdd.fr/Culture/Cinema/Actualite/La-fille-de-nulle-part-la-critique-du-film-589372
20
« La fille de nulle part » : Brisseau, la SDF
et les fantômes
Par Annie Coppermann
Quand Jean-Claude Brisseau, le réalisateur
de « Noce Blanche », tombé depuis dans le
piège d’un érotisme aussi obsessionnel que
fatigant, a tourné, avec des bouts de
chandelle, cette « Fille de nulle part », il
n’était même pas sûr de pouvoir sortir le
film en salles. Le sujet, linéaire (la
rencontre d’un vieux solitaire, prof de
maths en retraite, veuf depuis 29 ans, et
d’une jolie SDF qu’il recueille,
ensanglantée, dans son escalier, et leur
cohabitation, d’abord méfiante, puis plus
chaleureuse, mais toujours chaste), le
décor, unique (le propre appartement du
cinéaste), la mise en scène, minimaliste, et
l’affiche, inexistante (c’est Brisseau luimême qui incarne le veuf, et Virginie
Legeay, son élève à la Femis, puis son
assistante
sur
« Les
Anges
exterminateurs », son encombrante invitée)
ne promettaient guère un avenir grandiose.
Et
pourtant,
cet
étrange
objet
cinématographique, bavard, foutraque,
avec son incursion dans le fantastique via
l’apparition de fantômes au coin du
couloir, a obtenu, cet été, le Grand Prix du
Festival de Locarno. Une récompense
assez stupéfiante, mais que l’on peut
comprendre si l’on veut bien entrer dans la
logorrhée à la fois pontifiante et
émouvante d’un Brisseau au narcissisme
revendiqué qui profite, ici, de sa liberté
pour nous livrer ses considérations sur la
vie, la solitude, la vieillesse, le monde et la
stupidité des hommes avec une belle et
parfois craquante, bien qu’arrogante,
naïveté. En face de lui, sa jeune partenaire,
très à l’aise entre provocation et manque
d’affection, crève l’écran. Alors, si les
objets filmiques non identifiés vous
tentent…
http://blogs.lesechos.fr/annie-coppermann/la-fille-de-nulle-part-brisseau-la-sdf-et-lesfantomes-a12473.html_________________________________________________________
21
La fille de nulle part :
Un conte philosophique hanté par le spectre de la création
« Je puis bien, dans la vie et dans la peinture, me passer du Bon Dieu. Mais
je ne puis pas, moi souffrant, me passer de quelque chose qui est plus
grand que moi, qui est ma vie : la puissance de créer. »
Dixit Van Gogh que cite Brisseau en
épilogue de son nouveau film, auréolé d'un
prix à Locarno.
Tandis que les personnages dissertent sur
les rêves et les mythes, la foi et les
croyances, la science et l'inconnu et
s'interrogent sur l'importance de l'illusoire
dans notre vie à tous, un ange gardien et
des anges exterminateurs se font face.
Où l'on retrouve parfois le souffle divin du
réalisateur de De bruit et de fureur, de
Noce blanche.
Tourné chez lui, un temple de la cinéphilie,
avec lui et une de ses disciples, son
douzième film (excessivement verbeux)
scelle la rencontre entre un universitaire
solitaire et une jeune femme à la dérive.
Quelque chose ressemblant fort au souffle
de la création va jaillir entre ces deux
icônes de la condition humaine.
La Fille de nulle part renvoie davantage à
la mystique de Céline (l'un de ses plus
beaux
films)
qu'aux
libidineuses
obsessions de ses productions récentes.
Omniprésent devant et derrière la caméra,
l'auteur cite Freud et Abraham, Hugo et
Genet et ouvre grand les portes de la nuit
du fond de laquelle émergent de drôles de
phénomènes paranormaux.
L'oeuvre eut sans doute été transfigurée,
autrement plus troublante, à l'image de la
splendide séquence finale
On se plaît à imaginer de vrais acteurs, de
chair et de sang, Jean-Louis Trintignant et
Léa Seydoux par exemple, chassant les «
amateurs » en place.
.
PHL.
http://www.lavoixdunord.fr/culture-loisirs/la-fille-de-nulle-part-un-conte-philosophiquehante-par-jna983b0n1012068___________________________________________________
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«La fille de nulle part», de Jean-Claude Brisseau, entretien
avec le cinéaste
06 février 2013 | Par Quentin Mével
« Ça s’appelle la mise en scène, ça… c’est
pas compliqué ! » Le nouveau film de
Jean-Claude Brisseau, La Fille de nulle
part, s’impose avec l’évidence des
classiques. Autoproduit, tourné dans son
appartement avec une caméra numérique
par un jeune cinéaste/acteur de 68 ans qui,
avec modestie et à mille lieu des slogans
marketing du pseudo « cinéma-guérilla »,
démontre avec tranquillité que le cinéma
c’est d’abord une affaire de mise en scène.
vidéo, surgissent, terrifiants, spectres et
fantômes. Rarement au cinéma on aura cru
à ce point à l’irruption du surnaturel,
rarement ce surgissement n’aura semblé si
naturel, sa présence si matérielle, sa
fonction si évidente. Car s’il est un mot qui
s’impose, c’est bien celui d’évidence, celle
où la maîtrise se fait invisible pour se
mettre au service d’un récit, d’une idée,
d’une vision.
Rencontre avec un cinéaste prolixe et
enthousiaste, surpris par le succès même de
son film qu’il croyait promis aux oubliettes
à cause de la pauvreté de ses conditions de
production. C’est pourtant auréolé d’un
Léopard d’or au Festival de Locarno, que
le film sort aujourd’hui sur nos écrans. On
attend déjà impatiemment son prochain
film.
Dans un dénuement total, mais avec une
grande vitalité et avec une foi indéfectible
dans
le pouvoir d’évocation
(et
d’invocation) du cinéma, Brisseau livre
une drôle de méditation sur notre besoin
aliénant d’illusions à travers le récit d’un
conte horrifique où, au cœur de la réalité
quotidienne filmée par une banale caméra
Par Quentin Mével et Stratis Vouyoucas
Comment est né ce film ? De quelle manière s’est déroulé l’écriture ? Y avait-il une
corrélation entre l’économie du film et l’écriture ?
Il y a eu deux phases : le producteur de mon film précédent voulait produire mon nouveau film sur
la bande à Bonnot. Un film cher. Pendant deux ans, nous avons essayé de monter le financement,
sans succès. Il m’a dit alors d’écrire un film, pour un tournage en vidéo, dans lequel je mêlerais
philosophie et fantastique. Je l’ai écrit, puis nous avons fait des essais avec une caméra vidéo, et
l’image était franchement dégueulasse. J’ai envoyé le scénario à l’avance sur recette, il s’est fait
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bouler, tout le monde détestait. Alors je l’ai abandonné. Il y a deux ans, Virginie Legeay me
demande d’écrire un film pour elle. Au même moment, ma société de production reçoit 62000
euros pour la diffusion de Noce blanche à la télévision. J’ai ressorti mon scénario, que l’on
pouvait tourner avec peu de moyens : lieu quasiment unique, très peu de personnages… Elle est
d’accord, elle jouera le rôle féminin. A l’époque, je ne devais pas jouer le rôle masculin. J’ai
repris le scénario et modifié deux séquences à la fin. J’écris toujours mes scénarii seul car je pense
dès l’écriture à la mise en scène. Virginie était aussi mon assistante, elle était là tout le temps. Je
lui ai appris aussi à jouer la comédie. On a choisi ce lieu (l’appartement de Jean-Claude Brisseau,
ndlr) car il était proche géographiquement de chacun d’entre nous et que j’avais du recul car il est
grand – il faut toujours du recul pour pouvoir cadrer quelqu’un en pieds. Et puis, sur mes
précédents films, j’aimais bien dormir sur les lieux du tournage pour m’imprégner des lieux. Ici,
c’est chez moi, je connais bien !
La seule chose un peu nouvelle est que trois semaines avant le tournage, le copain qui devait jouer
le rôle masculin principal déclinait car il n’avait pas le temps et les qualités requises pour
apprendre le texte. Virginie et Lisa, ma femme, (Lisa Hérédia qui est aussi la monteuse et
collaboratrice de Brisseau depuis de longues années, ndlr) ont poussé pour que je joue ce rôle – je
déteste me voir à l’image. C’était aussi compliqué d’apprendre les textes et de les dire librement.
Je me disais que j’allais parler comme je le fais dans la vie, et que je regardais cette jeune femme,
que j’estime beaucoup, de manière parfois plus ou moins filiale et plus ou moins tendre – ce qui
correspond à ma manière de la voir dans la vie. Le son a été enregistré de manière sauvage, à
partir de micros cravates et de micros branchés sur la caméra. Nous avons eu des soucis
d’informatique – une séquence a été perdue sur le tournage. On a failli tout perdre au montage,
suite à de mauvais conseils donnés. Je voulais aussi essayer de retrouver les conditions de
tournage de mes premiers films en super 8, d’autant que j’avais la nostalgie de l’époque de la
Nouvelle Vague, voire du cinéma des années 30, où la perfection technique n’était pas
spécifiquement recherchée, voire parfois, on s’en foutait. Les cinq premières minutes du film de
Truffaut, Tirez sur le pianiste, on voit deux mecs dans la rue, simplement éclairés par les
réverbères, on voit pas grand-chose. A l’heure actuelle, on ne pourrait plus faire ça. Cette
mauvaise qualité technique, que l’on retrouve à plusieurs reprises dans le film, on s’en fout.
C’était un petit peu ce que je recherchais : essayer de me démerder pour que quoi qu’il se passe
l’émotion subsiste.
Comment travaillez-vous cela à l’écriture ?
J’écris mes scénarios en général en 25 ou 26 jours. Mais je les modifie aussi en fonction des
possibilités : une fois j’ai changé le sexe d’un des personnages suite à une rencontre dans la vie.
Lorsque j’écris, je pense d’abord à l’intérêt pour les spectateurs : qu’est-ce que je peux faire de
ces séquences pour que cela devienne intéressant ? Si les gens s’emmerdent, je suis totalement
responsable. J’y pense donc dès l’écriture du script. Et je me demande comment je vais réaliser.
Tout dépend en partie du budget, mais là, ce qui m’intéressait était de faire un film qui puisse
toucher, un peu atypique, qui mélange différents genres, mais qui puisse être intéressant pour le
public. Et lorsqu’il y avait du fantastique, le faire avec rien. J’ai vu hier le dernier Coppola, parce
qu’on me disait qu’il y avait des similitudes avec le mien, mais il y a du blé quand même ! Même
beaucoup, qu’on ne dise pas de conneries !
Votre découpage, vous le faites au jour le jour ou est-il complètement préétabli quand vous
commencez le tournage du film ?
Le découpage est déterminé au dernier moment, pendant le tournage du film. Je réfléchis au
découpage en pensant au montage, puisque je suis là au montage, même quand c’est Lisa qui
manipule. Je filme de telle sorte que je puisse retravailler éventuellement à la salle de montage, en
corrigeant les erreurs, en raccourcissant, en donnant du rythme.
Moi, j’aime bien qu’une séquence soit tournée et terminée le jour même. Qu’on n’ait pas à la
tourner deux jours de suite. Pour ne pas avoir de problèmes de raccords.
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Souvent le chef opérateur me demande quels vont être les plans du lendemain. Parce qu’il faut
décider de la position des lumières. Là, ça n’était pas la peine, puisqu’on décidait au dernier
moment. Mais c’est vrai que je commençais toujours la mise en scène par l’éclairage de la fille.
L’éclairage de Virginie d’abord et ensuite tout le reste. Mais on décidait ça au dernier moment.
Qu’avez-vous modifié dans le scénario ?
La fin. Dans la première version, le type sortait dans la rue, content, pour acheter du champagne,
comme dans le film, puis une banque se faisait dévaliser et il recevait une balle perdue. On a
trouvé à juste titre que c’était un peu tiré par les cheveux, et surtout cela coûtait pas mal d’argent :
bloquer la rue, la présence de nombreux figurants, plusieurs voitures. Bref j’ai changé ça pour
obtenir quelque chose de plus simple.
L’image de la caméra que vous avez finalement utilisée pour le film vous a plu pour quelles
raisons ?
J’ai fait exactement les mêmes plans que ceux réalisés avec l’autre caméra vidéo (celle que j’avais
essayée deux auparavant). C’était le jour et la nuit. Le problème avec la vidéo est qu’elle encaisse
mal les différences de diaphragme dans le même plan. Là, il n’y avait aucun problème. Je suis
ensuite allé filmer au bord de la seine des plans très larges de manière à voir le ciel. Je m’attendais
à voir tout blanc, eh bien non, il était un peu bleu, ce qui m’a définitivement persuadé.
Il y a une tension dans le film entre une approche très matérialiste de la mise en scène
(portée aussi par le regard du personnage masculin) et le genre fantastique.
Effectivement je voulais quelque chose qui soit très proche de la réalité quotidienne puis, un
virage vers le fantastique. C’est presque naturel pour moi ce genre de trucs. J’aime le côté tout à
fait quotidien dans le fantastique. D’autant que j’ai vécu moi-même des choses comme ça. J’avais
fait même tourner des tables, avant de lire Les tables tournantes de Jersey de Victor Hugo. Je ne
pratiquais d’ailleurs pas du tout comme lui. Tout le monde me disait qu’il fallait être concentré,
que cela devait se passer la nuit… moi, je faisais ça de jour, et quand la table n’allait pas assez
vite, je l’engueulais. Parce que vous savez, ça peut être long le texte d’une table. J’ai montré ça à
mes collègues profs, quand j’étais encore prof, mais eux avaient la trouille lorsqu’ils voyaient la
table se tirer. Moi, cela ne me fait absolument rien. La seule chose est que j’aimerais comprendre,
avoir la solution, mais je ne l’ai pas. Le fantastique je le sens très naturellement. J’aime beaucoup
le cinéma fantastique, bien que la plupart du temps je sois déçu par la qualité des films.
On pense beaucoup à Hitchcock, Vertigo et Psychose, en voyant votre film, mais aussi à
Jacques Tourneur, dans cette façon de suggérer la peur.
Sauf que Tourneur, d’après ce que j’ai compris, croyait vraiment aux fantômes. Moi un peu, mais
pas sous cette forme-là. J’ai eu l’impression parfois de choses qui se baladaient, des
craquements… comme Jung, que j’étais en train de relire – il croyait beaucoup aux phénomènes
de type parapsychologique - lorsqu’il était un jour avec Freud, il entendit des bruits, comme des
fantômes, et lui a dit de ne pas avoir peur que le même bruit allait revenir, ce qui s’est produit. Je
suis un peu comme ça. Tourneur l’est beaucoup. J’apprécie le fait qu’il puisse faire peur sans rien
montrer, en particulier dans La Féline.
Nous discutions beaucoup à l’époque de la sortie de Psychose d’Hitchcock pour savoir la raison
philosophique d’un long plan quand Perkins va chercher sa mère, puis il redescend, la caméra est
en bas puis monte tout en haut au plafond. Et en fait, c’est une question de logique pure,
exactement comme les figures de style dans beaucoup de ses films, comme L’inconnu du NordExpress. Il commençait d’abord par la construction dramatique. Et ensuite seulement il abordait
les figures de style. Mais il fallait d’abord tenir le spectateur en haleine. Cette manière d’aborder
les films m’a toujours intéressé.
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Comment procédez-vous pour mettre en scène le suspense, la montée d’une certaine tension,
et la peur ? Par exemple dans la séquence où il entend du bruit, se déplace jusqu’au placard
et ne trouve rien. Il se déroule alors une série d’évènements à la fois banals et paranormaux.
J’ai quand même préparé un peu l’arrivée de cette séquence. Je prépare le spectateur : lorsqu’on
entend le bruit, plan sur le mec, puis plan sur le bouton de porte ; c’est une manière de dramatiser
le rien. De la même manière, dans une précédente séquence, ils entendent du bruit, elle est dans le
canapé, inquiète. Nous nous dirigeons donc vers l’endroit d’où le bruit venait. Il y a un travelling
avant. Mais il s’agit d’un travelling avant sur du vide. Je veux dire par là qu’on a filmé la porte
telle qu’elle est. C’est au niveau de l’assemblage des plans et du son que l’on peut intriguer ou
foutre la trouille. Ça s’appelle la mise en scène, ça… c’est pas compliqué. Et en utilisant des
éléments ultra simples, ce qui m’a beaucoup intéressé. Si on fait la récapitulation simple des
éléments qui foutent la trouille, il n’y en a pas tellement : soit ils sont liés à la bande sonore, avec
les bruits, soit vous laissez entendre aux spectateurs qu’il y a peut-être quelque chose, sans en être
certain. Et puisque le non-visible est très important, vous regardez souvent des trucs qui se passent
derrière des portes. Ça amène souvent à filmer des lieux vides. Ce qui fait peur. J’ai dramatisé le
couloir, dès la première fois. Le type se lève et au fond du couloir, il voit peut-être une sorte de
fantôme qui disparaît tout de suite, et il va vérifier que la jeune femme est bien en train de dormir.
C’est une première dramatisation du couloir. Une seconde arrive, lorsqu’ils travaillent sur
l’écriture d’un livre, et qu’il y a des travellings avant sur la porte. Ce qui me permet, lorsque
commence la troisième séquence, que vous évoquez, dans laquelle il y a un long plan-séquence et
qu’il ne s’y passe rien, de la dramatiser.
On perçoit un sentiment de véritable jubilation de votre part à tourner ce film à la fois
modeste et très ambitieux. Vous faites de nombreuses références explicites à d’autres films.
Le tournage a été un enfer dans la mesure où je devais jouer et que je n’ai aucun contrôle sur moi.
Sinon, oui, il y a un certain nombre d’images de films qui me trottent dans la tête. C’est vrai que
je me suis un petit peu amusé. Mais c’est surtout dans le mélange des genres, en me demandant
comment ces trucs vont marcher. N’oubliez pas non plus que le film est censé renvoyer à des
choses fondamentales de la vie ; c’est pas pour ça que c’est réussi. Mélanger des éléments
philosophiques, fantastiques et liés à l’Art n’est pas évident, mais très intéressant.
Vous évoquez dans le film les illusions aliénantes et nécessaires.
Je pense effectivement que les illusions portent les deux à la fois : on vit dans un monde
d’illusions, un monde de croyances – votre femme, une carrière, un drapeau…. Et que se passe-til lorsque ces croyances tombent ? Vous souffrez. Il y a aussi les croyances religieuses, les
croyances politiques… Je me souviens que plus jeune, pendant les années électorales, nous
discutions beaucoup, on s’engueulait. Ce qui signifie que nous étions tous attachés profondément,
puisqu’on s’engueulait. Moi, je suis marxiste, j’ai longtemps été militant proche du PCF : il y a
passion et adhésion. C’est pour ça que lorsque les illusions tombent, ça fait mal. Les amis qui
partagent les mêmes idées que les miennes, ont connu de nombreuses déceptions lors du dernier
tiers du siècle dernier. Je prends l’exemple du parti communiste, j’aurais pu prendre d’autres
exemples. Ils ne sont pas les seuls. En tout cas, cela veut dire que nous vivons dans un monde
d’illusions. Je me rapproche de mon personnage lorsque je dis à la jeune fille que, plus on adhère
à une croyance, plus on se rapproche du délirant, et que, vraisemblablement, plus on a de doute,
plus on a du recul, plus on se rapproche du vrai, c’est à dire d’une certaine forme de vide. Et là on
peut demander ce qu’est ce vide. Le vide des grands mystiques, pour reprendre une expression qui
vient de la philosophie hindoue, selon laquelle « tout est Maïa », c’est à dire « tout est illusion ».
Et qu’est-ce qu’il y a derrière ? Aborder ces questions dans un film comme celui-ci m’a beaucoup
intéressé, en laissant sous-entendre que peut-être le mec qui dit ça est un peu givré sur les bords,
d’autant que le personnage vit franchement dans un monde d’illusions, entouré de DVD. Mon
personnage navigue dans un passé illusoire, ne serait-ce que dans un imaginaire lié directement
aux films. On voit d’ailleurs régulièrement la jaquette du film Vertigo, mais je n’ai pas fait exprès.
Il est dans les illusions mais avec la volonté de ne pas y croire.
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Oui de se détacher, de les analyser.
Et progressivement dans le film, les fantômes avec lesquels il vit, se matérialisent. Et lui, il a
besoin de rationaliser le parapsychologique, d’en comprendre la mécanique intellectuelle.
Oui, c’est vrai.
Le film est d’autant plus touchant qu’il est techniquement rudimentaire. C’est ce qui rend
les effets encore plus saisissants. Que ce soit du côté du fantastique ou du côté de l’émotion,
le film est très intense.
Je veux ajouter que nous sommes tous les trois des comédiens amateurs. Et moi, je me suis dit : je
vais parler comme je parle dans la vie. Mais l’une des raisons pour lesquelles je ne voulais pas
d’acteurs professionnels, c’est que j’avais en tête un certain nombre de films Nouvelle Vague (les
tout premiers) ou les films de Renoir dans les années trente où le côté amateur ajoutait quelque
chose. Je vais vous donner un exemple précis en citant un film qui s’appelle Lola de Jacques
Demy. Il y a un moment, où le marin va s’en aller et l’actrice dit : « J’ai comme une grande peine
dans le cœur ». Elle joue comme un manche, or elle est touchante comme c’est pas possible !
Comme c’est joué, comme ça, spontanément, avec sa manière à elle de parler, ça devient très très
très touchant. Si elle l’avait joué de façon élaborée, disons comme Adjani, ça aurait été beaucoup
moins bien… Enfin, tout au moins, c’est ce que je pense. Et l’une des raisons pour lesquelles je
m’accepte quand même dans le film (il y a des gens qui me disent « vous êtes bien », « d’autres
qui me disent vous jouez comme un manche »), c’est que je voulais garder un ton simple qui est le
mien dans la vie.
Votre présence dans le film rappelle celle de Bruno Crémer, votre acteur fétiche, qui a aussi
joué le commissaire Maigret. Votre personnage est-il aussi un enquêteur ?
D’après ce qui m’a été dit, on a choisi Bruno Crémer pour remplacer Jean Richard dans Maigret,
entre autres, à la suite de son rôle dans Noce Blanche, ils ont aimé son côté humain, ce qui me fait
plutôt plaisir, parce que j’aime beaucoup Simenon. J’ai ses œuvres complètes ici et j’ai lu tous ses
romans.
Ce que je peux vous dire, c’est qu’on a cru pendant longtemps que Crémer était mon porteparole ce qui n’était pas le cas. Ce qui est vrai, c’est que, comme il n’avait jamais joué de rôle de
prof, je lui ai dit « Je vais diriger les figurants, comme si j’étais prof, copie sur moi », parce que
moi, j’ai été enseignant pendant vingt ans.
On a aussi dit dans mes deux premiers films, (celui où Bruno tue des enfants et celui où il joue un
voyou un peu brutal, mais prend une certaine grandeur grâce à son jeu) que c’était moi. Je ne me
suis jamais mis en scène dans aucun film sauf un : Les Savates du Bon Dieu, mais moi je sais lire,
pas comme le héros ! En dehors de ça on a beaucoup de points communs.
Mais c’est vrai que j’ai toujours eu un côté enquêteur, j’essaie de comprendre les gens.
Vous dites, le personnage du film, ce n’est pas moi…
Mais j’ai parlé comme je parle dans la vie. C’est ce que font tous les comédiens. Regardez Gary
Cooper ou John Wayne. John Wayne, il a toujours la même façon de parler, mais c’est un acteur
qui fonctionne sur sa présence, ce qui est un gros travail.
Ce qui rend aussi votre interprétation touchante, c’est qu’il y a une tension entre vous et le
personnage : vous jouez le rôle, c’est tourné chez vous, le personnage est professeur, vous
avez été professeur. On ne peut pas ne pas penser à vous, même si vous n’êtes pas veuf, du
fait que vous parliez de la solitude, du besoin d’illusions, de la vieillesse, de la mort, de
nombreuses questions qui peut-être relient le film à votre histoire…
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Je suis suffisamment timide et pudique pour ne pas répondre à votre question…
La seule chose que je puisse dire quand même, puisque j’ai été obligé de jouer dans ce putain de
film : j’ai essayé de le faire le mieux possible et heureusement il y eu le montage pour arriver à
couper et à rendre fluide. Il y a des moments où je vois que je sais mal mon texte, mais ça peut
passer pour de l’hésitation, une sorte d’émoi devant la présence nouvelle de cette jeune femme et
aussi devant le fait qu’on aborde parfois des choses relativement profondes.
C’est même très profond. Il y a deux grandes séquences de confessions, est-ce que c’est
difficile à écrire ? Et est-ce que c’est difficile à jouer ?
Les grands comédiens en ont l’habitude, c’est leur métier. Quand ce n’est pas notre métier, c’est
autre chose.
La jeune femme a une séquence, dans la pièce à côté, où elle pleure et dit que lorsqu’elle
rencontre quelqu’un, elle se fait toujours plaquer. Elle pensait qu’elle serait nulle, mais moi je la
trouvais très bien. Elle avait beaucoup moins confiance en elle que moi en elle, parce que je savais
que j’avais le matériel qui me permettrait de monter. C’est l’une des raisons pour lesquelles je suis
hostile à l’utilisation systématique du plan séquence.
En revanche, l’une des choses qui comptent pour moi, c’est de pouvoir jouer en silence, sans
dialogue. Quand j’ai dit ça à Virginie, elle s’est foutue de ma gueule, elle m’a dit « tu es en train
de me dire que je suis nulle ! » C’est absolument pas ce que je voulais dire. Au contraire. Je vais
vous donner un exemple : un jour, j’étais en train de regarder avec Crémer un film qui s’appelle
Ariane (Love in the afternoon) de Billy Wilder. Il y a une séquence, à la fin, où sachant la vérité,
le personnage de Gary Cooper prend la décision de fuir. Il avance avec Audrey Hepburn sur l’un
des quais de la Gare de Lyon. Et elle lui parle, toute malheureuse, mais en essayant de garder le
sourire. J’ai dit à Crémer : « tu as vu, elle est bien, la fille ». Il m’a dit « Jean-Claude t’es un
con… c’est pas elle qui est bien, c’est lui ! Parce que lui, il n’a pas un mot à placer. Il ne
fonctionne qu’avec sa présence et c’est le plus dur pour un comédien parce qu’on ne sait jamais si
on en fait trop ou si on n’en fait pas assez. » J’ajoute que dans le film, il est à rude épreuve dans
cette séquence, alors qu’on voit qu’il est malade et qu’il fait plus âgé que celui qui est censé être
le père de la gamine (Maurice Chevalier), il était déjà rongé par le cancer. Si le spectateur n’a pas
envie qu’ils restent ensemble, si le spectateur se dit à propos de la fille, « tu vas souffrir pendant
deux jours, mais tant mieux, tu vas pas rester avec un vieux comme ça, tu vas bientôt trouver un
jeune et tu seras heureuse », si le spectateur se dit ça, le film s’effondre ! Et ça ne repose que sur
ses épaules !
Hier, je regardais Sueurs Froides, la séquence où James Stewart a sauvé la jeune femme de la
noyade et lui parle. Je regardais son jeu : il lui parle, mais très peu. Ce qui est intéressant c’est de
voir comment il joue la surprise et l’étonnement, en particulier au moment où elle lui dit : « je suis
mariée, vous savez ! ». Et il a un très léger mouvement de tristesse dans le regard. Je suis certain
que sur le tournage, on ne pouvait pas le voir. C’est trop léger, vous ne voyez ça que sur grand
écran. Le fait de jouer discrètement, essentiellement avec son corps ou avec son regard, c’est
typiquement américain (Gabin faisait ça aussi), mais il n’y en a pas beaucoup qui savent faire ça.
Moi, quand je suis tombé sur des comédiens professionnels, je n’avais pas de grandes explications
à leur donner, ils comprenaient vite. J’ai une grande admiration pour Gary Cooper, pour une
raison simple, c’est qu’il est capable de déclencher une sorte de tension chez le spectateur, sans
bouger ! Quand vous voyez L’homme de l’ouest, dans la séquence où il retrouve son père adoptif,
il ne dit pas un mot. Et à la fin, quand il y a l’affrontement dans la ville fantôme, il ne dit pas un
mot, hein ! Si, il dit « Hello cousin », ça s’arrête là… On le regarde ! Et encore, même pas en gros
plan ! Parfois avec des plans larges ! Or ça, c’est un réel boulot. Tout le monde n’est pas capable
de faire ça. Un de ceux qui ont eu conscience du problème, c’est Alain Delon dans le Samouraï.
Dans le Samouraï, il ne dit pas grand-chose. Et il faut être capable de le faire et de capter
l’attention des gens. A l’heure actuelle, la plupart des comédiens ne pensent qu’au texte. Ce qui
pour le cinéma est un peu bêta, pour une raison simple (pas toujours, hein, j’exagère, le texte ça
compte…), c’est qu’avec un gros plan, à condition qu’il n’y ait pas que des gros plans, vous
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pouvez couper une page de texte. Parce que ce que vous voyez dans le regard toute une série
d’explications émotionnelles.
A la fois mélancolique et apaisé, c’est un film aussi très doux.
Vous savez, dans tous mes films, il y a mélange de tendresse, de douceur et parfois de violence.
Un journaliste est venu et m’a dit : « Est-ce que ce film n’est pas la cristallisation des plans que
vous faites en fonction de votre mort prochaine ? ». Il pousse un peu, là ! Mais ce n’est peut-être
pas si faux…
Quand j’ai fait le film, je répète, je l’ai fait pour Virginie, il y a un moment où je me suis investi
dedans. Par contre, d’une certaine manière, je me suis amusé dans le travail de mise en scène.
Exactement comme quand je dis aux comédiens : « Amusez-vous avec votre rôle ». Quand je dis
« amusez-vous », ça peut être dans les séquences tristes... Mais essayez de trouver quelque chose
qui ne soit pas seulement « Ah ! Qu’est-ce que je vais être bien pour le public ! » Et là, je me suis
un peu amusé avec ce film, pensant d’ailleurs qu’il ne sortirait jamais. Je me suis dit « au pire, il
sortira dans une salle, pendant deux jours ». Je ne plaisante pas, hein ! Et j’ai été surpris de me
retrouver à Locarno. Je peux même vous donner un exemple : l’année dernière, j’ai fait une toute
petite projection avec six ou sept personnes et je déteste montrer un film que j’ai tourné en ma
présence ! Pourquoi je l’ai fait ? Parce que je me disais, il est possible que j’aie fait une sombre
connerie, est-ce que ça vaut le coup que je continue à dépenser de l’argent pour le film ? Vous
voyez à quel point j’étais peu sûr ! Celui qui aussi m’a rassuré, c’est Olivier Père. Il est venu le
voir et il m’a dit : « Si tu veux, tu vas à Locarno. » Je me suis dit : « Ah !... » (rires)
Même si vous parlez de la fragilité dans laquelle vous étiez pendant le tournage, on sent une
sorte de jubilation : une économie modeste, un petit groupe, comme une famille. La joie
d’un tournage simple… Le plaisir aussi de revenir aux tournages super-8 de vos débuts.
Crémer m’avait dit aussi, « Bergman avait sa troupe et toi tu aimes bien travailler avec les
mêmes". Et c’est vrai que je me suis bien entendu avec les gens qui ont tourné le film. Enfin, pas
toujours… Oui, j’étais content de le faire, comme exemple. D’abord pour la jeune femme, parce
que j’espère qu’elle fera des films. Enfin, elle est capable de le faire et maintenant c’est sa voie à
elle… Mais aussi comme exemple pour les jeunes qui vont faire des films. Je pense qu’ils ont une
certaine tendance à se focaliser sur la technique, à avoir une image magnifique dans chaque plan,
ce que permet le numérique : on peut passer beaucoup de temps à retravailler les images, mais je
pense que c’est une déviation par rapport au reste. L’important c’est ce qui est vivant dans votre
film. Et je suis content de la réaction des gens. Parce que je l’ai fait avec rien. Ça veut dire que
d’autres peuvent faire la même chose ! Cela dit, tout le monde a été payé sauf moi… Je me suis
payé comme comédien rien que pour avoir l’agrément du CNC. En tant que producteur,
scénariste, metteur en scène, je ne suis pas payé. On peut faire des films comme ça. Le tournage
n’a pas été si long que ça. On a tourné cinq semaines, mais il y a eu trois interruptions. Pour les
horaires de travail, c’était simple : les gens étaient convoqués à 13 heures, ils bouffaient ici, c’est
Lisa qui faisait la cuisine, à 14 heure on commençait à tourner et l’on finissait à 18 heures parfois
à 17. Une fois, on a tourné jusqu’à 20 heures !
Est-ce que vous avez très vite envie de retourner quelque chose ?
Je voulais tourner un peu dans les mêmes conditions, mais cette fois ci, je ne recommencerai plus
à assurer la production tout seul. Je suis sur ce terrain-là, un producteur nul. Je sais organiser un
film, même si je n’aime pas ça, mais je n’aime pas m’occuper des contrats, etc. J’ai besoin de
quelqu’un, surtout que là, j’ai été seul. Cela fait deux ans que ça dure et la dernière année a été
particulièrement pénible.
J’ai déjà écrit un scénario, un tout petit peu plus compliqué que celui-là que je compte tourner un
peu dans les mêmes conditions. Mais, ça va dépendre du succès du film et j’espère qu’il sera
acheté par Arte, mais ça dépend aussi des indices d’écoute…
29
Il fut une époque où j’avais signé avec Bouygues, avec CIBI 2000 pour qui je devais faire des
gros films et des petits films après… mais ils se sont effondrés ! Je devais faire un gros film sur le
Moyen-âge qui ne s’est pas fait. Mais, même si j’avais réalisé ces gros films qui m’intéressaient,
j’aurais continué à faire des films expérimentaux. La fille de nulle part est pour moi un film
expérimental et je suis plutôt content de voir que les gens ont l’air d’être émus par le film.
Vous avez une croyance très forte dans le cinéma
Oui. Pas seulement dans le cinéma. Et ce que je trouve très dommage dans le cinéma récent, c’est
que la notion de mise en scène telle que l’avaient mise en évidence les gens des Cahiers du
Cinéma, période jaune, mais aussi les metteurs en scène, n’est plus valorisée : regardez à quel
point le fait de filmer un décor a disparu, la plupart des films sont filmés comme ça (Brisseau
mime le gros plan), comme ça, c’est tout !. Et je trouve ça triste, parce que le fait d’avoir des
échelles de plans, le fait d’avoir des plans larges, le fait de filmer un décor donne toute une série
de renseignements, mais vous pouvez donner aussi une valeur émotionnelle par le décor et vous
pouvez renvoyer à des problèmes de classes sociales par le décor. Tout cela a disparu. Je répète :
la mise en scène au sens où l’entendaient Hitchcock ou Raoul Walsh, ça a disparu ! Je pousse un
peu, mais à peine. Et je trouve que c’est triste. J’exagère délibérément pour mieux me faire
comprendre !
http://blogs.mediapart.fr/blog/quentin-mevel/060213/la-fille-de-nulle-part-de-jean-claudebrisseau-entretien-avec-le-cineaste_______________________________________________
30
(…)
La fille de nulle part
De Jean-Claude Brisseau
Léopard d’or 2012, plus haute récompense du festival de Locarno, manifestation très
cinéphilique, La fille de nulle part est un petit joyau. Son auteur, Jean-Claude Brisseau, 70
ans, est une personnalité d’exception dans le cinéma français. Ancien professeur de lettres en
banlieue parisienne, il s’est fait connaître avec De bruit et de fureur (1988) et surtout avec
Noce Blanche (1989), film dans lequel Vanessa Paradis jouait une élève qui séduisait son
professeur, interprété par Bruno Cremer.
Le cinéma de Brisseau marie des thèmes sociaux, érotiques et religieux. Son nouveau film
remue tout cela avec maestria. Un professeur à la retraite, joué par Brisseau en personne,
recueille une jeune fille sans domicile fixe. Elle l’aide à terminer un livre de philosophie
centré sur le sens de la vie humaine. Tandis qu’ils travaillent à ce livre, des phénomènes
bizarres se produisent dans l’appartement. L’épouse décédée du professeur semble revenir le
hanter…
Jean Claude Brisseau agite dans son film des questionnements vieux comme le monde et il les
régénère. Il aborde avec une fausse simplicité et une vraie intelligence la question des
religions, celle de l’existence de Dieu, la réincarnation, toutes choses qui existaient en mineur
dans ses films précédents, notamment dans le très beau Céline (1992).
La fille de nulle part bénéficie d’une mise en scène dotée d’un solide classicisme qui est la
marque d’un grand cinéaste reconnu comme tel au festival de Locarno.
(…)
http://www.temoignagechretien.fr/ARTICLES/Culture/Les-films-de-la-semaine/Default-54-4322.xhtml
31
Festival de Locarno lundi27 août 2012
Un Pardo d’or pour Jean-Claude Brisseau
Jean-Claude Brisseau et Virginie Legeay, second rôle dans «La Fille de nulle part». (Keystone)
Le doyen des cinéastes en compétition remporte le premier prix avec «La Fille de nulle
part», un petit film attachant et bancal
Pendant longtemps. A Locarno, ce sont des
premières ou deuxièmes œuvres qui s’affrontaient
en Compétition nationale. L’homologation du
festival en catégorie A (comme Cannes ou Venise)
a abrogé cette clause. Mais le jeunesse reste
l’apanage du rendez-vous tessinois – cette année
encore la plupart des cinéaste sont nés entre 1960 et
1984. Sauf Jean-Claude Brisseau qui, affichant 68
ans au compteur, est le plus âgé des cinéastes ayant
jamais concouru. Et il a gagné la Pardo d’or avec
La Fille de nulle part.
ne sont comédiens, et le film s’en ressent – «Je ne
suis pas Alain Delon, ni Brad Pitt», consent,
rigolard, le cinéaste. Tournés avec les moyens du
bord, ce thriller ésotérique, souvent bavard,
véhiculant toutes les obsessions du cinéaste, atteint
toutefois son but: prouver qu’un film peut faire peur
sans effets spéciaux dispendieux.
Inepte et prétentieux, le film le plus odieux de la
sélection est Somebody Up There Likes Me, de Bob
Byington (États-Unis). Un jeune homme doté d’une
irrésistible tête à baffes traverse l’existence en
dilettante, mèche pendante, échine molle, bouche
hautaine. Il épouse une femme friande de gressins,
engendre un binoclard à casquette de base-ball
rouge, fonde une chaîne de restaurants servant des
pizzas et des glaces, meurt sans avoir pris une ride.
Cette série de saynètes fadasses que relève un grain
de vulgarité puérile (planter les fleurs qu’une
femme a refusée dans le cul d’un chien en
peluche...) témoigne de l’inconsistance inquiétante
du nouveau cinéma indépendant américain et
décroche un Prix spécial du jury au deuxième
meilleur film.
Curieux choix que ce film sur la vieillesse et la
mort. Le président, Apichatpong Weerasethakul, at-il été touché par les fantômes de Brisseau qui
rappellent ceux d’Oncle Boonmee? La dame
blanche dans son suaire et l’homme singe de la
jungle thaïlandaise sont toutefois issus de cultures
extrêmement différentes...
La Fille de nulle part est de l’avis même de son
auteur un «tout petit film». Avec les 67 000 euros
que lui a rapportés le passage à la télévision de
Noce blanche, Jean-Claude Brisseau a tourné ce
huis-clos dans lequel il tient le rôle principal et la
scénariste Virginie Legeay, ancienne élève à la
FEMIS, celui de sa blonde muse. Ni l’un ni l’autres
Antoine Duplan
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/d2d23b10-e44c-11e1-a8cdc80421c763ab/Un_Pardo_dor_pour_Jean-Claude_Brisseau#.UfTaJqw6Z0U______________
32
Brisseau en sa demeure
CONTE FANTASTIQUE • «LA FILLE DE NULLE PART» DE JEAN-CLAUDE
BRISSEAU
Film fauché d’un cinéaste en marge et
vieillissant (connu du grand public pour
Noce blanche avec Vanessa Paradis), La
Fille de nulle part a été présenté comme
une curiosité incongrue. Une œuvre fragile
et quasi condamnée d’avance, qui doit sa
sortie à un Léopard d’or surprise accueilli
avec scepticisme – reçu à Locarno d’un
jury
présidé
par
le
Thaïlandais
Apichatpong
Weerasethakul
(Uncle
Boonmee). Difficile d’imaginer carte de
visite moins engageante!
D’une sincérité absolue (on devine la part
autobiographique), grave par ses thèmes
mais léger dans la manière de les aborder,
érudit et bavard sans être pédant, le film ne
manque ni de profondeur ni d’humour,
éveillant en prime une réelle émotion
malgré ses maladresses assumées. Dans le
ton intello-comique, les interrogations
métaphysiques et le recours au fantastique,
les réflexions sur la condition humaine et
la tyrannie du désir, Woody Allen n’est pas
loin! Par une grâce mystérieuse, la diction
récitée de Brisseau (très Nouvelle Vague
par défaut) en devient délicieusement
décalée. A la frontière du ridicule, ses
tableaux érotico-morbides n’en sont pas
moins troublants. Avec trois bouts de
ficelle, le cinéaste parvient même un
instant à nous ficher une sacrée frousse, et
sa Fille de nulle part compte enfin
quelques scènes mémorables, telle cette
discussion sur le déplacement «surnaturel»
d’un mégot de cigarette ou une hilarante
séance de spiritisme avec un guéridon
volant...
Certes, Brisseau a tourné ce film sans
budget ni acteurs professionnels et dans
son propre appartement, y jouant luimême... comme un pied. Qu’importe, si le
charme opère! Et c’est le cas, tant on est
vite happé par cette drôle d’aventure d’un
ancien prof de math, veuf inconsolable
écrivant un essai sur la nature salutaire des
croyances illusoires, qui recueille une jolie
SDF effrontée. Farouche cartésien bientôt
témoin de manifestations paranormales, le
vieil homme déprimé verra en la jeune
femme une réincarnation de son épouse,
dont la compagnie lui redonnera goût à la
vie...
Mathieu Loewer
SAMEDI 27 AVRIL 2013
A l’affiche à Genève, Lausanne et La Chaux-de-Fonds
http://www.lecourrier.ch/108093/brisseau_en_sa_demeure?page=1_____________________
33
La Fille de nulle part de JeanClaude Brisseau
Jean-Claude Brisseau et Virginie Legeay au
Festival del film Locarno
véritable manifeste de cinéma guérilla. Car
tournage léger et micro budget ne
signifient pas amateurisme sous la
direction d’un cinéaste obsédé par le style
et la forme. Chez Brisseau tout est question
de mise en scène, et La Fille de nulle part
est une véritable leçon de cinéma. Si l’on
retrouve les préoccupations mystiques,
philosophiques et morales du cinéaste,
avec de nouveau des incursions du côté du
paranormal et du spiritisme, La Fille de
nulle part s’enrichit d’une surprenante
dimension émotionnelle qui le fait
échapper à un simple exposé théorique.
Avec le portrait de cet homme vieillissant,
solitaire, misanthrope et idéaliste, Brisseau
se livre à une étrange confession intime,
sacrifiant pour la première fois à
l’autobiographie, à son corps défendant,
sans renoncer à sa passion pour le
romanesque.
Le nouveau long métrage de Jean-Claude
Brisseau, La Fille de nulle part, est un
émouvant retour aux sources. Le film est
autoproduit, interprété par Brisseau, et
essentiellement tourné dans son propre
appartement, un peu à la manière des films
amateurs de ses débuts, et le numérique
(employé pour la première fois par
Brisseau) remplace le super 8. Le film fait
penser à ces œuvres de cinéastes qui n’ont
plus rien à prouver mais ont toujours soif
d’expérimentations. Le confinement du
sujet (la relation platonique entre un vieux
professeur et une jeune fille sauvage) et la
modestie des moyens apparaissent,
davantage qu’un aveu de résignation,
comme une authentique démonstration de
résistance politique et économique, un
Olivier Père
La Fille de nulle part a obtenu le Léopard d’Or au Festival del film Locarno où il a été présenté en première
mondiale en août 2012. Il sort aujourd’hui en salles, distribué par Les Acacias.
http://www.arte.tv/sites/fr/olivierpere/2013/02/06/la-fille-de-nulle-part-de-jean-claude-brisseau/_____
34
retrouveraient périodiquement à travers
une réincarnation rajeunie, formant ainsi
une chaîne ininterrompue à travers le
temps. Ces réincarnations permettraient
d'être toujours sensible à l'érotisme et de ne
pas tomber dans le désespoir qui est celui
de l'ami de Michel. Le présent se trouve
ainsi hanté par le passé (photographies
d'acteurs et d'actrices en noir et blanc,
affiches de cinéma, jaquettes de films
classiques) et par l'espoir du futur ; par des
fantômes petits et grands noirs ou blancs.
La fusion presque incestueuse des âges et
des temps est corroborée par la référence à
Hugo et Léopoldine.
L'économie de moyen va bien au
cinéma de Brisseau. A l'aventure (2009)
avait déjà un coté rohmérien avec ses
grandes scènes de discussions où l'on
prend au sérieux peines de cœurs et de
l'âme avec l'envie de séduire son
interlocuteur. Ici, c'est tout à la fois Dora et
le spectateur que Michel et le metteur en
scène essaient d'intéresser à leur discours
sur les croyances. Celles-ci sont de trois
types. Il y a les religions qui fonctionnent
pour ceux qui y croient, la science et
l'abandon à l'inconnu. C'est cette
expérience sensible à laquelle s'abandonne
Michel sachant qu'elle le conduit vers la
mort comme l'indique le carton introductif
: "Oh Dieu, ouvre-moi les portes de la
nuit" attribuée à Victor Hugo ou son
fantasme de Dora enlaçant la mort,
Jean-Luc Lacuve le 15/02/2013
La nuit pourrait ne pas être le néant et être
juste une porte vers une nouvelle vie dans
laquelle les amants séparés par la mort se
http://www.cineclubdecaen.com/realisat/brisseau/filledenullepart.htm___________________
35
Un professeur de mathématiques
retraité recueille une jeune SDF. Dès
lors, des phénomènes mystérieux se
produisent...
SLEEPING WITH
GHOSTS
« Faire un film avec rien », voilà l’intention
première de Jean-Claude Brisseau avec ce
dernier long-métrage. Et dès les premières scènes, cela saute effectivement aux yeux : tourné en DV
dans son propre appartement, avec une équipe extrêmement réduite, Brisseau et sa collaboratrice
artistique s’accordant les deux rôles principaux. Et pourtant l’ambition narrative du réalisateur est
inversement proportionnelle à ce coté home-made. Car La Fille de nulle part vise haut: mysticisme,
croyances, fantômes et réincarnation. Oui, sous les aspects familiers d’une relation ambiguë entre un
homme âgé et une toute jeune fille (même s’il n’y a pas trop d’érotisme cette fois), La Fille de nulle
part est aussi, surtout, un film fantastique. Une révolution ? Pas tant que ça, car ce que l’on retrouve
accentué dans cette histoire de fantômes de poche, c’est le mystère qui planait déjà dans les précédents
films du réalisateurs (Choses secrètes ou plus encore A l’aventure).
Ce qui rend La Fille de nulle part aussi singulier, aussi étrange, c’est cette curieuse alliance entre un
fantastique qui ne se cache pas et l’illusion d’ultra-réalisme permanent (renforcé par la DV). C’est
justement le coté terre à terre et presque trivial de certaines scènes (les sorties au distributeur, pas
forcément indispensables à première vue) qui vient paradoxalement mettre en valeur l’émergence
brutale du merveilleux en le rendant lui aussi particulièrement tangible. Traités de la même manière
que les autres éléments du récit, les mystérieux cris entendus dans le couloir et les visions éroticomystique deviennent aussi réelles que les meubles ou les affiches de films qui tapissent l’appartement.
Bien vu. Et ces scènes fantastiques contaminent en retour les scènes les plus quotidiennes : qu’un
mégot se retrouve déplacé par le vent et c’est presque un gouffre d’interprétation métaphysique qui
s’ouvre.
Mais cette stimulante combinaison est à double tranchant, et il est parfois difficile de faire abstraction
du coté relativement amateur de l’ensemble. A quel point le film fait-il vraiment exprès d’avoir l’air
cheap ? Et au final, ce mélange de discussions théologiques ultra-sérieuses et de jeu d’acteur un peu
bancal rappelle moins un éventuel chic Rohmérien (autre cinéaste du pouvoir de la parole) que le
System D d’un Jean Rollin. Ce n’est pas une moquerie, car si on a trop réduit la filmographie de
Brisseau à des histoires de fesses, il faut rappeler qu’il possède lui aussi une qualité trop rare dans le
cinéma français contemporain : il n’a pas peur du ridicule.
par Gregory Coutaut
http://www.filmdeculte.com/cinema/film/Fille-de-nulle-part-La-4589.html________________
36
Oui, les travellings de ce film, aux dires de Jean-Claude Brisseau luimême, ont bien été réalisés avec une poussette. Oui, il a fixé dessus une
planche horizontale sur laquelle il a placé son optique. Oui, il a
quasiment tout fait lui-même, de la prise sonore sauvage au rôle
principal, lui qui, il y a quelques mois à peine, n’avait d’ailleurs jamais
touché à un appareil numérique. Et c’est ainsi qu’un vieux baroudeur
comme Brisseau emporte le Léopard d’or au festival de Locarno,
redécouvre l’épure et l’intime qui lui vont si bien, érige Virginie Legeay
en féminité contemporaine et montre à tous nos jeunes réalisateurs de
qualité française ce que c’est qu’être jeune.
Mais on ne comprendra strictement rien au
film en le ramenant à ses quelques
tremblements involontaires et autres
imperfections de facture. En art, le coût de
production n’est pas un argument. Il est
aussi aberrant de parler de cinéma pauvre
ou de bricolage à propos de ce film que de
qualifier une esquisse d’Hartung de
misérable sous prétexte qu’elle n’a pas
réclamé le quart d’une mine de plomb pour
naître sur une feuille. Et tout comme les
millions de Django ne sont pas parvenus à
rendre Tarantino plus intéressant, les
pauvres deniers de Brisseau ne l’ont pas
empêché de faire une œuvre magnifique.
L’histoire de l’art est comme la rue : on y a
37
nous aiguillant au départ sur cette piste
morale, va tout bonnement l’évacuer par
trois mots, au bout de quelques minutes de
film, lorsque à la provocation de Dora qui
ouvre son peignoir pour offrir son sein
droit, il répond, imperturbable, comme s’il
connaissait trop la musique : « Allez,
couvrez-vous. » Les jeux de regards de
Mort à Venise tendaient à se toucher ; ceux
de La Fille de nulle part ne vont chercher
qu’à se comprendre. Comme si le subversif
explorateur du corps féminin que fut
Brisseau au cours des années 2000, du
réussi Choses secrètes à À l’aventure en
passant par le très lourd Les Anges
exterminateurs, avait trop de fois mordu au
fantasme. Loin des scènes orgiaques de ses
précédentes productions où l’épaisseur
luxueuse des étoffes le disputait à la
chaleur étouffante des éclairages, Brisseau
retrouve l’épure pour nous offrir une vue
inédite sur son espace privé, un
appartement trop grand pour lui dans
lequel cet ascète dit se sentir mal. Jamais,
peut-être depuis Soft and Hard de Godard
en 1985, un cinéaste aussi renommé
n’avait offert son intimité dans une
sincérité aussi touchante, dans cette rupture
tonale qui n’appartient qu’à lui et par
laquelle il ose, une fois encore, mêler le
tragique au burlesque, le fantasmagorique
à l’anodin. Car La Fille de nulle part est
aussi bien une fiction au découpage
classique, percée ça et là de visions
surnaturelles, qu’un documentaire brut sur
les pièces, couloirs et pas de portes de
l’appartement où pense, dort et vit un
cinéaste. C’est au prix de cette géniale
torsion des genres que les magnificences
du mysticisme visuel de Brisseau
parviennent à s’incarner dans une simple
lumière au fond d’un placard.
vu tant de splendeurs à la peau nue et tant
de laiderons bien maquillés.
Parce que Brisseau est un autodidacte
formé à même les images des autres, des
milliers de films traversent et constituent le
sien. Mais ce qui émeut en premier lieu
dans La Fille de nulle part, c’est la raison
pour laquelle ce film n’est pas Mort à
Venise, raison qui se dresse d’abord
comme une indécision : de Visconti à
Brisseau, même canevas scénaristique,
celui d’un croisement de regards et de
corps aux âges opposés. Dora (marquante
Virginie Legeay), si elle n’a pas l’âge du
Tadzio viscontien, de ses formes aussi
rondes que retenues à ses répliques
mutines, garde la blancheur et l’écarlate
des
beautés
pubères
pas
encore
découvertes.
Et
Brisseau-Michel,
professeur de mathématiques à la retraite
travaillant à l’écriture d’un essai sur les
croyances du quotidien, découvre la
chevelure maculée de sang de cette jeune
fille avec la même certitude perceptive que
Bogarde-Aschenbach, musicien réputé en
mal d’inspiration, découvrait il y a 42 ans
celle du Tadzio parcourue par le soleil
vénitien. Plus troublant encore, le fait de
retrouver dans le film de Brisseau une
musique qu’il nous semblait impossible
d’arracher à son socle viscontien, le
quatrième mouvement de la cinquième
symphonie de Mahler. Dans les deux films,
son utilisation, placée sous le signe d’une
immense lancinance aux multiples reprises,
érige son thème en véritable principe de
montage où prime une émotion de tête, un
affect de la pensée. Car Mahler, c’est
mental. De sorte que la seule chose
susceptible de distinguer ces deux récits
aux fondements intellectualistes ne pouvait
être que la manière dont ils choisissent
chacun de répondre à la question suivante :
que faire du corps et de ses désirs ? Et c’est
bien à partir de ce point que le récit de
Brisseau, dès le début du film, s’écarte à
mille lieux de celui de Visconti pour tout
reconstruire sur un fond bien à lui.
La suite du récit, au chamanisme aussi
« étrange » que « rigolo » – pour reprendre
les mots de Michel face à une apparition –,
va
préférer
transmuer
Dora
en
réincarnation d’un amour passé plutôt
qu’en porteur d’un désir nouveau. Si,
durant le premier quart du récit, la seule
présence de Dora dans son appartement
rend Michel heureux comme il ne l’avait
pas été depuis le temps où sa femme était
encore de ce monde, c’est que Dora a le
charme que nos regards prêtent aux choses
Car si Visconti érigea le corps en un
interdit aussi puissant que la tentation était
grande pour son personnage de succomber
à l’incarnation charnelle de l’harmonie que
symbolisait Tadzio, Brisseau, bien que
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du passé lorsque nous refusons de cligner
des yeux de peur de les faire disparaître à
jamais. Brisseau évite alors magistralement
la figure du corps troublant qu’il connaît
bien (au moins depuis les fesses aussi
ingénues qu’hypnotiques de Vanessa
Paradis dans Noce blanche qui passaient
l’air de rien devant le regard dévasté de
Bruno Crémer) que celle, douteuse, de la
muse en stase devant un créateur en extase.
Car si la beauté de La Fille de nulle part,
son irréductible originalité, commence
dans cette scène du sein recouvert où la
logique de l’attraction des corps est
éjectée, c’est au profit de la construction
d’un lien entre Dora et Michel bien plus
fort que le corps et qui naîtra de la
nécessité de faire œuvre commune. De la
blessée assise qui écoute, passive, les
monologues d’un géant que les règles de
vie et la solitude ont rendu « radoteur et
Matthieu Bareyre
partiellement cinglé », Dora se transforme
rapidement en conseillère, collaboratrice,
jusqu’à finalement, sur la face imprimée du
livre fini sur lequel leurs noms respectifs se
retrouvent côte à côte, se découvrir coauteure. Ce que le récit passe une heure et
demie à construire et à promouvoir,
cherchant des agencements possibles d’une
relation rare et inédite, c’est une figure
féminine qui, tout en préservant les images
de ses mystérieuses variables, ne soit pas
autre chose pour l’homme qu’un égal,
qu’un
indispensable
et
nécessaire
semblable. Comme si La Fille de nulle
part commençait sur un récit appartenant
au canevas révolu des années 1980 et,
nourri de son autocritique, parvenait à finir
sur une proposition pour les temps qui
viennent. Le nouveau cinéma de JeanClaude Brisseau peut commencer.
http://www.critikat.com/La-Fille-de-nulle-part.html__________________________________
39
LA FILLE DE NULLE PART de Jean-Claude Brisseau
Par Hendy Bicaise le 9 février 2013 Le Président du jury de Locarno 2012, Apichatpong Weerasethakul, a décerné le
Léopard d’or à La fille de nulle part. A près de 70 ans, Jean-Claude Brisseau reçoit la
première récompense majeure de sa carrière. Moins un film-somme – en somme, tous
ses films le sont – qu’un parfait aboutissement : une nouvelles histoire de femmes, de
chemins intérieurs et de passation.
Entre quatre murs, une partition à deux corps : celui de Michel, vieil homme solitaire incarné
par Brisseau et celui, d’abord blessé bientôt soigné, de Dora, jeune femme qu’il recueille chez
lui. Depuis qu’elle est entrée dans sa vie, Michel s’amuse de nouveau, « comme un enfant ».
Quand il confesse le mal-être qui était le sien depuis la mort de sa femme, sans le savoir, il
nuance son propos. Heureusement, comme dans A l’aventure (2008) (il faut se remémorer les
charmants monologues d’Etienne Chicot), comme dans Les savates du Bon Dieu (2000) (et
ses belles répliques à double-sens), l’inconscient prend les devants. Durant cette confession,
Brisseau fait s’adosser son personnage contre un poteau, et sur celui-ci est inscrit : « Je
ramasse ». Le pauvre Michel est à la
ramasse. La mélancolie gagne
encore la partie.
Le bonheur n’est qu’éphémère chez
Brisseau. Déjà, dans Un jeu brutal
(1983) et Céline (1992), lorsqu’une
jeune fille venait délivrer le
personnage principal
de ses
afflictions, son aide était limitée
dans le temps. La fille de nulle part
se referme sur le même geste qu’Un
jeu brutal, vingt ans plus tôt : le
fantôme du protagoniste revient dire adieu à celle qui sut le soulager momentanément de ses
tourments. De leurs premiers échanges jusqu’à leurs adieux, la relation qui unit Michel et
40
Dora est séduisante. Mais si le couple occupe tout l’espace, les visages les plus marquants du
film ne sont finalement pas les leurs.
Deux apparitions furtives attirent l’attention du spectateur. L’une saura stimuler sa
compréhension de l’intrigue, quand l’autre semble éclairer les intentions profondes du
cinéaste.
La première femme. Durant l’une des rares scènes en extérieur, Michel croise une ancienne
étudiante (interprétée par Lise Bellnyck, une fidèle du cinéaste). La jeune femme l’embrasse
et le trouble. Brisseau a confessé avoir manqué de couper ce passage au montage du fait de sa
trop grande résonance avec sa propre vie ; il y est dit que Michel était enseignant et passionné
de cinéma américain. Brisseau a finalement gardé la scène, et c’est tant mieux. C’est lorsque
l’étudiante réapparait en fantôme, quelques séquences plus tard, que son visage prend une
toute autre valeur. Grâce à lui, le spectateur perçoit autrement les spectres qui hantent Michel
: ce ne sont pas des oiseaux de mauvais augure, pas plus des anges exterminateurs, ces
femmes s’apparentent plutôt à d’anciennes conquêtes du professeur retraité. Reste à savoir
pour quelles raisons ces fantômes le persécutent. L’explication se dévoile par une nouvelle
apparition.
La seconde femme. Quand Michel
tend une photo à Dora, sur laquelle
est immortalisée son épouse, les
inconditionnels
de
Brisseau
reconnaissent une figure bien aimée :
María Luisa García. Monteuse,
costumière, actrice pour le cinéaste
depuis vingt ans, elle prend ici les
traits de la femme décédée de Michel.
Alors, si lui voit en Dora son premier amour ressuscité, le spectateur peut tout autant supposer
que Virginie Legeay, qui incarne Dora à l’écran, soit une réincarnation de María Luisa García.
Comme son ainée, l’actrice a déjà été actrice et assistante-réalisatrice pour Brisseau. Une
épouse ou sa remplaçante, une collaboratrice ou sa suppléante ; il est bien question ici d’anges
gardiens, de passation et de résurrection. Michel les aime autant l’une que l’autre, JeanClaude aussi, suppose-t-on. C’est cet amour, soudainement ravivé, qui provoque la colère de
spectres à l’encontre de Michel. Leurs apparitions, inventives et variées, se hissent au niveau
de grandes frayeurs du cinéma d’épouvante. Si la fée de De bruit et de fureur (1988)
préfigurait celle de Sailor and Lula (David Lynch, 1990), les fantômes de La fille de nulle
part s’invitent avec la même indolence glaçante que les visages les plus étranges de Twin
Peaks (1992) ou Mulholland Drive
(2001).
Ce petit jeu des comparaisons
n’empêche pas de considérer La fille
de nulle part comme une œuvre
éminemment « personnelle » dans
l’œuvre de son auteur. Or, si
Brisseau tient le rôle principal de son
dernier film, celui d’un professeur à
la retraite doublé d’un passionné de cinéma ; si les décors sont ceux de son propre
appartement ; le cinéaste refuse de reconnaitre la part d’autobiographie que chacun serait tenté
d’y déceler. Autobio non, mais auto-produit oui. C’est cet autre don de soi qui,
paradoxalement, alloue au film ce qualificatif souvent galvaudé : le fameux film
« personnel ». Au-delà des comédiens amateurs et des décors réels, l’un des frais de tournage
41
principaux fut l’achat d’une caméra numérique. Et c’est cet objet, pratique et peu onéreux,
idéal pour mener à bien des projets limitant infrastructures, soutiens financiers et regards
extérieurs, qui permet au créateur de se livrer dans ce qu’il possède de plus intime. Le mode
d’enregistrement ne régente plus seulement un régime d’images, mais saisit tout autant les
vibrations intérieures de celui qui les ordonne. La révolution numérique est finalement moins
esthétique qu’affective. Tout donner, sans réserve, se laisser bercer, se laisser sonder : voilà
qui permit à Coppola d’enfanter L’homme sans âge, Tetro et Twixt entre 2007 et 2012, ou à
Kim Ki-Duk de façonner Arirang de 2008 à 2011. Le dernier-né de cette illustre famille, c’est
La fille de nulle part. Un cadeau inestimable pour les adorateurs de Brisseau.
LA FILLE DE NULLE PART (France, 2012), un film de et avec Jean-Claude Brisseau,
http://www.accreds.fr/2013/02/09/la-fille-de-nulle-part-de-jean-claude-brisseau.html______
La fille de nulle part
À l’heure où se réactive comme jamais la
conviction que le cinéma n’est qu’affaire de
croyance, et donc de fantômes (il suffit de voir
les
derniers
films
d’Apichatpong
Weerasethakul, Leos Carax, ou Coppola), La
fille de nulle part a tout d’une leçon. Sa morale
tient de l’ascèse, quoique le dénuement radical
du film lui fût imposé, avant tout, par la
situation d’extrême marginalité à quoi
l’industrie a condamné Brisseau.
Voilà un film tourné à la maison, avec un
budget dont beaucoup de courts métrages ne
sauraient se contenter, un film fantastique dont
les travellings ont été réalisés en fixant la
caméra sur une poussette. Brisseau lui-même
dit l’avoir fait pour « voir si l’on peut créer de
l’émotion à partir de rien ». Très émouvant,
traversé par une intense et désarmante
mélancolie, La fille de nulle part donne raison
à son intuition mais révèle le mensonge
derrière la question : sous le « rien » dont parle
Brisseau il y a, intact, le talent d’un grand
cinéaste. Les habitués de son cinéma
reconnaîtront, dans l’histoire de cette relation
platonique entre un professeur veuf (Brisseau
lui-même) et la jeune fille mystérieuse qu’il
recueille, l’étrange alchimie de son cinéma,
mélange de philosophie naïve, d’amour du
cinéma hollywoodien classique, et de pensée
magique (ici on fait tourner les guéridons en
s’inspirant de Victor Hugo pour réveiller le
spectre des amours défuntes). À la jeune fille,
le professeur dit : « Avec vous j’ai
l’impression d’être à nouveau un enfant. »
C’est bien Brisseau qui parle, livrant le secret
de ce film dont la bouleversante innocence lui
fait retrouver l’enfance de l’art.
Jérôme Momcilovic
http://www.revue-etudes.com/Cinema/La_fille_de_nulle_part/7502/15276_______________
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On pourrait, bien sûr, s'amuser de
l'amateurisme certain avec lequel Brisseau
bricole les effets spéciaux de La Fille de
nulle part. On le pourrait si Brisseau (lire
notre entretien) ne parlait si gravement, si
sérieusement, de ce dénuement, s'il
n'expliquait qu'il a tourné ce film pour voir
« si l'on peut créer de l'émotion avec rien ».
Ce ton, propre à Brisseau, c'est aussi celui
avec lequel Michel, veuf et ancien prof de
mathématiques à la retraite auquel il prête
son imposante stature, tente d'expliquer le
plus rationnellement du monde à Dora
(Virginie Legeay) comment un mégot tombé
sur sa terrasse a pu se déplacer tout seul, sans
l'aide du vent. Ce ton bouleverse, parce qu'il
est plein du sérieux d'un petit garçon qui est
sûr de ce qu'il a vu, contre l'avis de tous.
C'est aussi le sérieux du magicien, celui qui
remet en doute ce que tout le monde avait
cru voir. Stanley Cavell disait que,
contrairement aux autres arts, le cinéma ne
venait pas de la religion mais de la magie.
Avec La Fille de nulle part, Brisseau se
présente à nous comme un dévot magicien
qui aurait fait vœu de pauvreté.
Cette pauvreté c'est, de toute façon, le
bricolage d'artificier avec lequel Brisseau fait
ses films, lui qui aimerait filmer l'absolu
avec trois sous en poche. Il faut donc
beaucoup suggérer, filmer l'invisible, parler
beaucoup (la figure du savant ou du
professeur revient toujours), faute de pouvoir
tout montrer. Cet art de la suggestion charrie
avec lui ses thèmes, filmables sans moyens :
la marge, la rébellion et le paranormal, très
tourneurien ici, et que Brisseau partage aussi
avec Rohmer. Il suffit d'ailleurs de traduire le
titre du film en anglais - The Girl from
Nowhere - pour redonner au film toute sa
dimension de série B. Cette influence
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eu lieu - à deux pas, le vent (ç'aurait pu être
le souffle d'une bouche de métro
hollywoodienne) soulève la jupe d'une jeune
femme, laissant apercevoir ses cuisses et sa
culotte cruelle. Michel, lui, s'amuse comme
un fou avec sa sorcière de Dora, écrit son
livre sur le rôle des croyances dans la vie
quotidienne tout en se laissant croire
ironiquement que cette jeune fille est la
réincarnation blond cendré de sa femme
brune.
américaine, qui pousse sur fond de paysage
français très marqué, donne à la filmographie
de Brisseau un caractère instable et hybride,
difficile à identifier, quelque part entre les
productions RKO et la série Sous le soleil.La
Fille de nulle part assume presque malgré
lui cet arrière-plan américain, et il s'agit
d'ailleurs littéralement d'un arrière-plan :
impossible de regarder le film sans balader
son regard le long des piles de DVD et de
VHS qui jalonnent les murs de l'appartement
de Michel (qui est celui de Brisseau),
impossible de ne pas le voir à la lumière de
ces titres qui fonctionnent comme des portes
entrouvertes laissant passer des courants d'air
américain.
Il faut voir aussi ces plans douloureux de
belles endormies qui jalonnent depuis le
début les films de Brisseau, ces plans
hallucinés d'un corps de femme nue qui tend
la croupe ou bombe le torse. Dora, bien
qu'objet d'un amour platonique et paternel,
sera elle-même hallucinée, prise dans le rêve
balthusien de Michel, projetée nue dans le
couloir de l'appartement, sur fond de petites
étoiles foncées. Elle-même verra dans ce
couloir des phénomènes paranormaux : la
jouissance et l'érotisme sont toujours
identifiés chez Brisseau à des phénomènes
paranormaux. Dans A l'aventure, jouissance
féminine et hypnose rejoignaient le même
gouffre, expériences interdites filmées
comme des mystères dont on ne peut
rapporter aucune véritable image, aucune
idée précise de l'arrière-monde d'où elles
reviennent.Ce poids que traîne La Fille de
nulle part tient aussi à cette relation
condamnée d'avance entre une jeune fille et
un vieux monsieur, relation morte-née,
pourrie en ses prémisses, comme dans Noce
Blanche. Michel reconduit la figure familière
de l'initiateur, du professeur, omniprésente
chez Brisseau, figure de celui ou celle qui
enseigne à l'autre en frôlant parfois le
vampirisme. Ce vampirisme qui cherche à
s'étendre rappelle le Ferguson malade de
Vertigo et d'ailleurs, sans hasard, le DVD du
film trône sur l'une des étagères, pendant que
Dora défile devant Michel dans ses
nouveaux vêtements, rappelant Madeleine
retrouvée défilant dans son tailleur gris.
Ferguson et Michel partagent cette même
agonie du deuil, ce même regard hébété
devant une apparition impossible à figer, et
qui glissera toujours du plan pour disparaître.
Lorsque Michel recueille Dora qui vient de
se faire agresser devant chez lui, commence
une sorte de fuite en appartement qui aurait
très bien pu prendre les atours du road-trip
de bandits amoureux (façon Les Amants de
la nuit) puisque l'horizon est le même : les
amants traqués tentant de vivre en autarcie,
contre le monde et contre la vie. Dora est
sans logement, Michel est seul et meurt
d'ennui. Dora (qui renvoie sans doute à la
Dora de Freud) deviendra sa secrétaire, sa
maîtresse désirée, la réincarnation de sa
femme, sa fille, son amie. Chacun va ainsi
prendre soin de l'autre, à l'image de ce
parapluie qui fait canne de fortune pour Dora
et qu'elle-même tiendra plus tard sous la
pluie, au-dessus de la tête de Michel. Mais
cette Dora apparue de nulle part risque de
disparaître à tout moment, la moindre
escapade hors des murs de l'appartement
menace le petit couple - rien ne saurait
retenir une jeune fille.Une émotion très
forte,une sorte d'angoisse, de nausée
existentielle, traverse le film, prend corps
avec le peu qu'on voit de Paris, ville triste et
ironique, peuplée de filles jolies comme des
cœurs. Elle passe aussi par ce regard
d'homme vieux et seul porté sur l'éternité des
jeunes filles, un regard qui n'a jamais été
aussi plein de renoncement. Il faut voir cette
très belle scène sur un banc entre Michel et
son ami médecin, personnage rothien, qui
s'ennuie profondément et constate tristement
que le déclin de ses désirs charnels n'a jamais
Murielle Joudetle 05 février 2013
http://www.chronicart.com/Article/Entree/Categorie/cinema/Id/la_fille_de_nulle_part-12450.sls
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Jean-Claude Brisseau : « Les tables tournantes, je les
engueule »
Jean-Claude Brisseau nous a reçu dans son appartement parisien, où fut presque
intégralement tourné La Fille de nulle part. Environnement quotidien du cinéaste,
collections diverses, films, livres, photos. Persistance palpable du film, de son
climat et de ses scènes. Voix forte de Brisseau. Présence discrète de Lisa Hérédia
dans les pièces attenantes. Lieu calme, paisible, propice aux apparitions
Chronic’art : D’où est partie l’idée d’intégrer, dans La Fille de nulle part, la forme du
dialogue philosophique au genre fantastique ?
Jean-Claude Brisseau : Je sortais d’un projet sur la Bande à Bonnot qui n’a pas pu se faire.
Frédéric Niedermeyer, producteur d’A l’aventure, m’a alors proposé de faire un petit film qui
mélangerait philosophie et ce que je voudrais. J’ai donc écrit le scénario de La Fille de nulle
part. Pourtant, si on se place au premier degré, je ne qualifierais pas cette forme de dialogue
philosophique - même si de manière générale, tous les films que j’ai pu faire étaient le résultat
d’une interrogation sur le sens de la vie. Le personnage que j’incarne écrit un livre sur notre
attachement illusoire à un certain nombre de choses qui nous tiennent à cœur (homme,
femme, idéologie, religion, carrière). Ce qui est contradictoire, c’est que d’un côté le héros dit
qu’il faut dépasser les illusions, quitte à se confronter au vide, et que de l’autre, avec le
fantastique, le spiritisme, il se confronte directement à l’inconnu.
Il y aurait deux souffrances, deux impasses : d’une part celle de vivre dans l’illusion, de
l’autre de se rendre compte que la vérité, c’est la mort.
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Il y a de ça, oui. C’est un certain sentiment tragique de la vie, qu’il m’arrive en effet de
ressentir. Et je ne suis pas le seul.
Dans ses grandes lignes, le film parle de la fin d’un deuil, et d’une nouvelle rencontre,
d’une amitié. Pourtant vous parlez aussi de meurtre, de mort et de sang.
Etant donné l’âge du personnage, la mort ne concerne pas seulement celle de ceux qu’il aime
mais la sienne propre. Mais on peut dire aussi que quand on se détache, c’est-à-dire quand on
dépasse les illusions, on meurt à soi-même. On trouve le vide. J’évoque ça avec le personnage
qui se pend après mai 68. Finalement, si on s’attache à des choses, c’est directement lié au
social. Il n’y a pas d’autre raison que le social. On réagit en fonction de l’image que l’autre
renvoie de vous. Sartre disait que l’image de l’amour lui avait était donnée par une statue.
Statue construite par des hommes. Les attachements sont tous narcissiques du fait qu’on soit
tous humains.
Aimer, quelque part, ce serait aussi tuer ou se faire tuer. Dans Psychose, le meurtre de
Janet Leigh serait l’expression ultime du désir de Norman Bates ?
Oui. D’ailleurs, puisqu’on parle de Psychose, si Gus Van Sant a raté son remake c’est en
partie parce qu’Anne Heche n’est pas désirable pour deux ronds, notamment dans la séquence
de la salle de bain. D’ailleurs je ne sais pas ce que vaut Hitchcock, je ne l’ai pas encore vu Scarlett Johansson me semble plus désirable, quoique trop jeune pour le rôle.
Avec La Fille de nulle part, il ne nous semble pas que vous ayez si directement évoqué
Psychose, depuis La Croisée des chemins.
Ah bon, La Croisée des chemins ?
Oui : la grande maison inquiétante, où vit seul votre oncle Lucien Plazanet, qui s’habille
en femme et porte des perruques, et puis l’idée d’une menace qui plane…
Ah c’est vrai... Mais dans La Croisée des chemins l’atmosphère est moins terrifiante que
poétique. Parce que je ne voulais pas foutre la trouille dans ce film.
Si La Fille de nulle part contient des éléments fantastiques, ne serait-ce pas, au fond,
parce que s’attacher à quelqu’un c’est se laisser hanter par lui, à tout le moins par
l’hypothèse de sa disparition ?
Oui. J’avais un camarade d’enfance qui est mort soudainement à treize ou quatorze ans, dans
une cour de récréation. Sa mère n’a jamais pu supporter, et elle en est morte. Observez Victor
Hugo : s’il a commencé à faire tourner les tables, c’était pour retrouver l’âme de sa fille
Léopoldine. Dans Demain dès l’aube, c’est comme si la fille était là, présente.
Personnellement je crois que nous avons une vision partielle du monde. Je crois en
l’existence, non pas forcément de fantômes tels qu’ils se présentent dans le film, mais pour
reprendre le mot de Cocteau, « de choses derrière les choses ».
Dans vos films, le fantastique vient souvent du fond de l’image : un pan de décor s’ouvre
et le fantôme se dévoile dans la profondeur de champ, comme s’il avait toujours été là,
caché dans l’image. Si l’irrationnel vient du fond de l’image et non pas, par exemple, du
bord du cadre, est-ce qu’on ne pourrait pas dire la même chose des corps, en tant qu’ils
renferment toujours, au sein même de leur réalité physique concrète, la grande
Inconnue ?
Je vais vous livrer le principe de ma raison. Vous remarquerez qu’il y a très peu de gros plans
quand je filme des corps nus. Ce qui m’intéresse, à tout le moins dans mes films précédents,
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c’est le mouvement des corps en général, et de la montée du plaisir et/ou de la jouissance en
particulier. Or pour cela il faut les filmer, et donc avoir du recul. Sur Les Anges
exterminateurs, je voulais faire une sorte de travelling sur les filles nues, mais le décor qu’on
avait prévu ne collait pas, parce qu’on ne pouvait pas mettre les rails. La caméra cognait
contre le mur. On a été obligé d’aménager complètement la scène pour la mettre dans un autre
décor, dans lequel le travelling était possible. Le principal, c’était d’obtenir le mouvement de
certains corps, en particulier ceux des femmes. Vous remarquerez au passage que dans La
Fille de nulle part, il y a très peu de nus. Dans mon prochain scénario, qui est fini, il y a une
scène érotique - parce que je ne suis pas tout à fait content de ce que j’ai pu faire dans les
films précédents, quand ils traitaient de ces questions-là. Cette scène, ce sera pour moi la toute
dernière du genre.
Pourquoi ?
Un producteur m’a dit un jour que tout le monde avait le droit de filmer des scènes érotiques
sauf moi. « Parce qu’on peut machiner des trucs contre toi, m’a-t-il dit. Tu es tellement naïf
que tu tomberas dans le panneau à chaque fois ». C’est possible.
Dans La Fille de nulle part, le travail d’acteur a été très difficile pour vous ?
Un enfer. Ce n’est pas moi qui devais jouer le rôle, au début, mais un ami, qui
malheureusement était indisponible tous les jours. Déjà, je déteste ma tête. Quand on me
demande des photos de moi, je n’en ai pas. Je ne suis jamais photographié, même en privé. Là
il fallait en plus que j’apprenne un texte par cœur. Mais l’important c’était Virginie Legeay
(actrice dans Les Anges exterminateurs, assistante de Brisseau, ndlr). Moi que je sois moche
ou pas, je m’en foutais. Toute la mise en scène est partie d’elle.
Le film fait un peu penser, parfois, à Autoportrait de décembre de Godard. Il se filme
chez lui, et filme aussi ses collections de VHS, en même temps que des reproductions de
tableaux, et des citations. Il filme des accumulations, des stockages, comme s’il avait la
volonté de tout posséder, de tout conserver en un seul plan. Derrière le fait de filmer vos
collections, pour vous, il y aurait une hantise de la perte ?
Non, je ne pense pas. Je ne connaissais pas l’existence de ce film de Godard. Le personnage
que je joue est attaché à ces choses, c’est pour ça que j’ai tourné dans cet appartement-là, avec
tous ces portraits de comédiens morts depuis plus d’un demi-siècle, des tas de films, des
bouquins… En y réfléchissant, on pourrait dire qu’il y a quelque chose de La Chambre verte,
dans lequel Truffaut constate que toutes les choses, livres et autres, qui l’entourent,
concernent des personnes mortes. Ici, chez moi, c’est pareil, pour la plupart des films et des
livres. Mais ce que mon personnage voudrait bien, justement, c’est pouvoir se détacher de ces
choses, pas seulement de ce qu’il y a sur ses étagères, mais de se détacher de tout.
Donc il y a quand même de la mélancolie chez lui. Il est mélancolique, et lutte pour ne
plus l’être.
C’est vrai qu’à ce niveau-là, le personnage me ressemble. Je suis un peu mélancolique. La
Fille de nulle part, c’était à l’origine pour la petite Virginie… Du fait d’un différend entre
nous, je me retrouve à faire la promotion tout seul, alors que le film était fait pour elle, pas
pour moi. Et même si elle n’a participé ni au scénario, ni à la mise en scène, elle m’a
beaucoup aidé. D’autant que je ne m’attendais pas à un tel accueil du film (Léopard d’or à
Locarno 2012, ndlr). Oui, ça me rend triste. Mais même, la plupart des films que j’ai faits, et
en particulier La Croisée des chemins, c’est d’une mélancolie assez grande. Presque au sens
clinique.
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On ne s’est jamais vraiment remis du geste du gamin à la fin de De bruit et de fureur, à
cause de la noirceur.
Vous savez, à propos de La Fille de nulle part (je vous parle de ça parce que c’est pareil dans
De bruit et de fureur) on m’a demandé pourquoi les deux filles s’embrassaient. J’ai répondu :
1. que c’était un fantasme du personnage qui les regarde ; 2. que ce dernier était fasciné par
l’image de sa mort, de sa propre mort. Dans De bruit et de fureur, le moment où le môme se
tire une balle dans la tête, on voit en même temps le corps d’une femme nue. La mort,
associée au féminin et à l’érotisme, me taraude, c’est une évidence.
On trouve chez vous ces deux tendances : d’un côté la confrontation au mystère du
corps, purement physique (en l’occurrence, dans les films précédents, celui de la
jouissance féminine) et de l’autre au mystère de l’âme.
Les deux éléments sont parfois contradictoires d’ailleurs. Mais si jamais vous trouvez
quelqu’un qui a réussi à trouver une réponse au problème complexe de la jouissance féminine,
vous me donnerez son nom. Il y a toujours quelque chose d’assez étrange et obscur derrière
tout ça.
Dans A l’aventure, vous juxtaposez ces deux tendances en mettant deux gestes en
parallèle : le spasme sexuel (cambrement) et l’arc hystérique.
Ce que je voulais faire avec mon héroïne, dans A l’aventure - sans être parvenu à aller
jusqu’au bout - c’est d’aller « voir ce qui se passe ailleurs ». Que la fille arrive à une sorte de
jouissance quasi absolue, en tout cas extrêmement grande et violente, en ayant l’impression
d’être dans un monde complètement différent. Et que quand elle revient sur terre, elle veut
repartir.
Pour vous, transgresser c’est transgresser l’ordre établi, mais c’est aussi transgresser les
lois physiques ?
Tout au moins ça implique la volonté de ne pas vivre dans un monde, y compris physique, qui
soit conforme à tout ce qu’on raconte. Le domaine scientifique et les expériences mystiques
que certaines personnes ont eues sont extrêmement intéressants à ce sujet. Quand on lit ce que
Sainte Thérèse d’Avila raconte de ses extases, c’est assez hallucinant.
Ses visions, telles qu’elle les décrit dans son autobiographie, sont parfois très sexuelles…
Elle n’était pas dépendante d’un objet humain, ou quel qu’il soit. Alors que nous, nous
sommes dépendants de quelque chose. C’est entre autres pour ça que je me suis intéressé au
plaisir féminin. On ne jouit pas comme ça, sans bouger.
Qu’est-ce que La Fille de nulle part, dans lequel vous jouez, et qui se passe chez vous,
aurait à dire de vous, Jean-Claude Brisseau ?
Vraiment peu de choses. Ce personnage ce n’est pas moi. Le seul héros masculin qui pourrait
être moi, dans mes films, c’est Stanislas Merhar dans Les Savates du bon Dieu. Bien sûr, dans
La Fille de nulle part je dis des choses que je pense, par exemple quand je dis que je n’aime
pas cet endroit, cet appartement, c’est ce que je pense. J’étais plus heureux dans mon HLM,
où je suis né.
Dans ce film vous faites passer le spectateur, de manière parfois très brutale, d’un état
émotionnel à un autre, chose commune chez vous. Mais dans De bruit et de fureur, par
exemple, le mélange des genres appuyait en bout de course une noirceur globale, et
croissante. Cette fois, ces mélanges, ces ruptures brutales ne perturbent pas la marche
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tranquille du film. La Fille de nulle part contient des pics émotionnels très accentués
mais le film retrouve toujours un sang-froid, une placidité qu’il garde jusqu’au bout…
C’est peut-être pour cela que certains ont qualifié le film comme étant plus apaisé que mes
précédents. D’ailleurs même à des endroits du film où les gens ont peur dans la salle, si on
regarde bien, il y a encore là quelque chose de comique.
Pouvez-vous nous parler de la scène horrifique du fantôme au couteau, qui surgit dans
la pièce où nous nous trouvons en ce moment même ? Parmi les plus terrifiantes qu’on
ait vues depuis longtemps au cinéma.
A ce point-là ?
Complètement. J’irais même jusqu’à dire que pour un spectateur jeune, inexpérimenté,
cette scène peut avoir quelque chose de traumatisant…
(la femme de Jean-Claude Brisseau, Lisa Hérédia, entendant ce qu’on vient de dire, entre
dans la pièce en riant, ndlr)
Vous riez ?
Lisa Hérédia : Oui, parce que quand on l’a tournée c’était très drôle, c’était une petite
stagiaire avec un drap sur la tête et deux trous pour les yeux.
JCB : Le dispositif était simple. Mais sur la mise en scène, c’était assez préparé. Pour cette
scène-là j’ai commencé par accentuer la vie quotidienne, un couloir, des gestes communs, et
puis d’un coup j’entends un bruit bizarre. Ce genre d’étrangeté remonte à ma propre enfance
de spectateur. Je sentais, sans être capable de me l’exprimer, que si la séquence durait, c’est
qu’il se passerait quelque chose. C’est pareil ici.
Cette séquence dure, on se demande quand va arriver la chute, et même on commence à
douter que cette chute arrivera, puisque nous sommes dans une incertitude - sans doute
en partie due au travail sur le mélange des genres. On finit par se persuader que la
séquence est finie. Et alors vous nous faites cette blague, féroce, épouvantable : la chute
arrive vraiment.
Oui, c’est ultra simple sur le fond. Tout le film est comme ça : ultra simple. C’est de la mise
en scène, du montage. On peut arriver à foutre la trouille avec rien.
Comment est venu le choix de Mahler pour la musique du film ?
Par hasard : je me demandais quelle musique utiliser pour mon film, j’avais ce disque, je l’ai
écouté. Quand c’est un musicien, il écrit et on regarde ensemble, mais généralement je
cherche la musique qui correspond le mieux au film, je me pose devant ma collection de
disques, à la campagne, j’en choisis quelques-uns et je les mets en faisant défiler le film, dans
la salle de montage. Et là je vois si ça marche ou pas.
Jean Musy a signé la musique de beaucoup de vos films, et puis pour Choses secrètes, ce
n’est plus lui…
En effet, je ne sais plus ce qui s’était passé. En dehors de toutes les musiques baroques qu’on
peut entendre dans ce film-là, j’en voulais une autre : l’Adagio qu’on entend dans Platoon. Or
c’était trop cher, 360 000 francs, et le musicien du film était incapable d’écrire quelque chose
qui ressemblait à ça. Je ne regrette pas la musique religieuse que j’ai finalement choisie, du
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Vivaldi, qui correspond au sens du film. Mais quand même, l’Adagio de Platoon donnait une
tonalité, une force vraiment différente.
Comment s’est fait le choix de la Passion selon Saint Jean, qu’on entend au début de
Choses secrètes ?
Je l’ai choisi parce que Bach donne une dimension beaucoup plus vaste, d’un point de vue
historique, au film. Mais dans une version qui n’est plus à la mode, une version plus lyrique,
celle de Karl Richter, enregistrée dans les années 60. En général, sur le plan émotionnel, la
musique donne quelque chose que l’image ne donne pas. On m’a dit, à propos de Céline,
« Pourquoi tu as mis cette musique, à un moment où la poésie passe par l’image ? L’échelle
de plan suffit, la musique fait pléonasme ». Or selon moi pas du tout. Elle donne une sorte de
grandeur mystique et sidérale que l’image seule ne donne pas.
Le fait que Victor Hugo ait fait tourner les tables vous a beaucoup intéressé ?
Oui, mais j’ai pratiqué cela bien avant de savoir qu’il l’avait fait lui-même.
Dans La Fille de nulle part, à une exception près, on ne sait jamais vraiment si les
fantômes sont véritablement à craindre.
On m’a fait remarquer qu’il était étrange que les personnages n’aient pas peur pendant les
apparitions. Or ayant moi-même eu des expériences avec table en mouvement, je n’ai jamais
eu peur. Moi je fais ça en plein jour. Et d’ailleurs, les tables tournantes, je les engueule. Mais
il faut faire attention au lieu. Par exemple, ici, dans cette pièce (où a été tournée la séance de
la table, dans le film, ndlr), il est impossible de faire tourner les tables. Observez autour de
vous et dites-moi pourquoi. (on regarde, on ne voit rien, ndlr). A cause du plancher. Il y a des
voisins en dessous, et quand la table bouge, ils gueulent. C’est l’une des raisons pour
lesquelles j’ai arrêté le spiritisme, dans mon HLM : à cause des voisins du dessous.
Quelles sont les autres raisons ? On a du mal à imaginer qu’ayant eu des expériences
surnaturelles pendant une assez longue période, on s’arrête comme ça, comme par
lassitude.
C’est vrai que c’est assez extraordinaire. C’est vrai… J’ai vu une table se projeter contre un
mur et tout démolir comme dans le film. Je connais des gens qui ont réussi à faire monter un
piano d’un étage. Comme ça. Mais vous savez, comme on dit, des gens ont du « fluide »,
d’autres pas. Ma femme Lisa en a. Mon oncle, l’acteur de La Croisée des chemins,
aujourd’hui mort, en avait beaucoup. Et puis oui, je me suis lassé.
Avez-vous eu déjà l’idée de filmer une séance ?
Non, jamais. Lorsque j’ai fait ça, c’était avant les caméras vidéo. Avec les caméras super 8
vous avez trois minutes d’autonomie. Ça coûte trop cher.
Concernant les mélanges sociaux et fantastiques : Les Misérables, que vous évoquez à de
nombreuses reprises dans le film, peut aussi se lire comme un roman fantastique, pleins
de fantômes, de revenants. Jean Valjean y est même enterré vivant. En outre les
personnages sont contraints de se faire illusionnistes pour survivre à la société illusoire.
Ils se déguisent, changent de têtes, de noms…
On est tous contraints de faire ça. Mon oncle comédien disait qu’on joue tous un rôle dans la
vie, qu’on est tous comédiens. Jouer un rôle, je vous avouerais qu’avec le temps, j’en ai
marre… C’est une des raisons pour lesquelles je ne me prête plus à des choses trop vaines,
relations factices, soirées, toutes ces choses pour se faire connaître. De toute façon on aura
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tous disparus dans un siècle. Dans quelques millions d’années, qu’est-ce qui restera de nous ?
On vit dans une illusion. Se faire reconnaître, ça sert à rien. J’ai été content de faire des films quoique ça m’ait rendu plus souvent malheureux que je n’aurais pensé, notamment sur ce
film, à cause des problèmes dont je vous ai parlés. Mais à quoi bon
Que vous évoque le ciel étoilé ? C’est une figure récurrente chez vous (La Fille de nulle
part, mais aussi Céline, Les Anges exterminateurs, À l’aventure), comme chez Hugo
d’ailleurs.
C’est pour moi l’énigme de la condition humaine. Et aussi quelque chose de poétique, puisque
ça nous renvoie au monde à quatre dimensions. Comme l’étoile la plus proche est à quatre
années lumière et demie de nous, il faut quatre années lumière et demie pour que sa lumière
nous parvienne. Donc le ciel, c’est également une image illusoire. C’est quelque chose de
simple, aussi. Les enfants regardent les étoiles.
« J’aurai l’air d’être mort mais ce ne sera pas vrai » : c’est par la fin du Petit Prince que
finit De bruit et de fureur…
Oui. Et puis vous savez, le ciel étoilé, je le filme souvent sur une toile peinte.
Vincent Garreaule 05 février 2013
http://www.chronicart.com/Article/Entree/Categorie/cinema/Id/la_fille_de_nulle_part12450.sls#!Article/Entree/Categorie/webmag/Id/jean_claude_brisseau_____les_tables_tournantes__je
_les_engueule___-12449.sls
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"La fille de nulle part" : trouble érotico-fantastique chez
Brisseau
par Romain Le Vern le 05 février 2013
CRITIQUE. "La Fille de nulle part", le beau home movie de Jean-Claude Brisseau, explore
toutes les angoisses du réalisateur hors-norme.
Michel Jean-Claude Brisseau, professeur de
mathématiques à la retraite, vit seul depuis la
mort de sa femme et occupe ses journées à
l'écriture d'un essai sur les croyances qui
façonnent la vie quotidienne. Un jour, il
recueille Dora (Virginie Legeay), une jeune
femme sans domicile fixe, qu'il trouve blessée
sur le pas de sa porte et l'héberge le temps de
son rétablissement. Sa présence ramène un peu
de fraîcheur dans la vie de Michel, mais peu à
peu, l'appartement devient le théâtre de
phénomènes mystérieux.
Brisseau et la jeune SDF (Virginie Legeay)
qu'il recueille chez lui - un sein exhibé, un
refus poli de Brisseau et on n'en parlera plus.
Ensuite, Brisseau joue dedans, et ce n'est
évidemment pas un hasard : ce mathématicien
paranoïaque et fermé à la vie, esprit cartésien
confronté à l'irrationnel, a beau être fictif, il
pourrait bien lui ressembler comme deux
gouttes d'eau. D'autant que la volonté d'expier
un traumatisme, la peur du regard des autres
sont autant de sujets qui l'obsèdent. Mais "La
fille de nulle part" n'a rien d'un film rabougri,
c'est un film de fantômes avec des anges et des
démons où l'imaginaire, l'effroi comme le
merveilleux réveillent et réparent un
personnage dormant les yeux ouverts.
Lors de son procès en 2005, Jean-Claude
Brisseau, accusé d'avoir manipulé deux
actrices lors du casting de "Choses Secrètes",
se défendait en confessant vouloir faire un film
sur le rapport entre le plaisir et l'interdit et
filmer la montée du désir comme Hitchcock le
faisait avec la peur. A l'époque, tout le monde
lui avait ri au nez - ou presque. L'anecdote est
bonne à savoir avant de visionner "La fille de
nulle part". Après avoir exploré les arcanes du
désir féminin ("Les anges exterminateurs", "A
l'aventure"), Jean-Claude Brisseau revient en
force avec ce beau home movie qui pourrait
bien être ce qu'il a réalisé de mieux depuis
"Choses Secrètes" (2002).
Pour croire à ce cheminement des ténèbres à la
lumière jusqu'à l'illumination finale, il faut
croire Brisseau. Il faut avoir la foi, comme lui
ou comme Apichatpong Weerasethakul (le
réalisateur thaïlandais Palmé d'or au Festival
de Cannes avec le miraculeux "Oncle
Boonmee - celui qui se souvient de ses vies
antérieures") qui lui a remis un Léopard d'or au
Festival de Locarno l'année dernière. Il faut
écouter Brisseau psalmodier des dialogues
ésotériques. Et il faut enfin - parce que le film
sait être drôle aussi - le voir se disputer avec
les fantômes. Au fond, peu importe qu'il ait été
réalisé avec rien (la foi, encore, toujours), ce
film existe. Envers et contre tous.
Brisseau exorcise les démons
Deux choses. Déjà, ironiquement, l'érotisme
est évacué dès la première rencontre entre
http://lci.tf1.fr/cinema/news/la-fille-de-nulle-part-trouble-erotico-fantastique-chez-brisseau-7809757.html
52
La Fille de nulle part de Jean-Claude Brisseau
Le 28 février 2013 par Michel Bezbakh
Alors qu’il mène une vie d’intellectuel solitaire, prof de math à la retraite en pleine rédaction d’un ouvrage
philosophique, Michel (Jean-Claude Brisseau) entend des bruits étranges. Sur son palier, un homme passe à
tabac une jeune femme. Il s’agit de Dora (Virginie Legeay), que Michel recueille, soigne, et apprend à
aimer. Jusqu’à la considérer comme la réincarnation de sa femme, morte il y a vingt-sept ans. L’affiche de
Sueurs froides domine régulièrement l’arrière-plan. Jean-Claude Brisseau a voulu faire son propre Vertigo.
L’étrange apparition de cette jeune fille blonde naturelle et insaisissable marque le début de phénomènes
paranormaux – dont le climax correspond à un instant de pure terreur. La banalité du quotidien est
progressivement gagnée par le fantastique jusqu’à ce que l’on ne sache plus distinguer le vrai du faux, ce
qui relève de l’imaginaire ou de la réalité. On se demande si toute cette histoire n’est pas le fantasme d’un
homme trop seul pour garder la tête froide. Si cette vidéo d’un schizophrène dont Michel s’inspire pour
53
écrire son livre ne correspondrait
pas exactement à ce qu’il est en
train de vivre. Peut-on placer une
confiance aveugle en nos
perceptions ? La question mérite
d’être posée au spectateur de
cinéma, trompé sans cesse par les
subterfuges du septième art. Le
film amène l’interrogation avec
intelligence, en jouant notamment
de manière très fine sur le horschamp, et de façon plus grossière
mais amusante sur le montage.
Dans cet appartement habité par
les films, les livres, les morts et
les vivants, les boitiers de DVD
s’accumulent sur les étagères comme autant de souvenirs, d’illusions, d’histoires que l’on a crues vraies
sans jamais vraiment être dupe. La Fille de nulle part raconte cet étrange besoin de l’homme, celui de
croire à quelque chose.
C’est un film cultivé, cultivant,
habité. Mais c’est bien plus la
forme de l’objet qui fascine que
les idées qu’il véhicule. L’écart
entre le jeu de Jean-Claude
Brisseau, qui s’évertue à réciter
son texte le plus mal possible, et
celui de Virginie Legeay,
beaucoup plus naturel, est l’une
des spécificités du film. On n’est
pas surpris d’apprendre que
cette dernière, co-auteur de
l’œuvre, admire Eric Rohmer. Il
n’est pas surprenant, non plus,
de savoir qu’elle s’est d’abord intéressée à la dimension sonore du
cinéma, tant cet univers du film est extraordinairement matériel,
chaleureux, palpable.
Mal maîtrisé, certes. Mais à l’image du jeu d’acteur de Jean-Claude
Brisseau, volontairement bâclé, le bénéfice que tire un film de sa
technique est ici intentionnellement réduit au maximum. L’image
numérique n’est pas belle, les prises de son, souvent mauvaises.
Comme par magie, l’approximation technique crée une harmonie
fascinante.
La Fille de nulle part manie un cinéma très proche du spectateur,
qui, comme par modestie, élude son infinie complexité pour se livrer
tout entier, tel une offrande très personnelle. C’est l’un de ces films
« faits à la maison », avec trois francs six sous, qu’on a l’impression
de pouvoir réaliser soi-même. Pour faire du cinéma, il suffit parfois
d’une caméra, d’une lampe, et d’un micro posé sur une table. Mais
tout le monde n’est pas capable de faire du grand cinéma. Tout le
monde n’est pas capable de créer ce suspense très particulier,
presque inexistant et pourtant si présent, de parler à chacun de nous
aussi intimement que le fait Jean-Claude Brisseau. Ce film de nulle
part est un joli cadeau.
http://www.cadependdesjours.com/Cinema-critique/la-fille-de-nulle-part-de-jean-claude-brisseau/
54
« Une nuit, en me réveillant et me retrouvant
seul, nu, démuni devant le vide de ma
condition… pour calmer mon angoisse, je me
suis mis à prier Dieu auquel je ne crois pas… »
sur les croyances humaines quand un
bruit de lutte l'attire dans le couloir de
son immeuble. L'agresseur prend la
fuite, une fille blonde est affalée dans
l'escalier avec du sang partout : c'est
ainsi que l'étrange Dora fait irruption
dans la vie de Michel. Quand je dis
étrange, ce n'est peut-être pas le bon
mot, c'est juste pour vous faire signe,
vous dire qu'il ne faut pas croire que
vous entrez ici dans une histoire
banale. C'est bien une rencontre
d'exception qui va se produire entre cet
homme et cette jeune femme, et par la
même occasion entre nous et le film.
Ange gardien, sorcière, médium…
Dora a une façon d'être là, si simple et
si évidente, si attentive, que le dialogue
s'établit très vite entre le solitaire jamais
consolé de la disparition de sa femme et la
fille sans attache surgie de nulle part.
Pourquoi, à un moment précis de votre
existence, se produit la rencontre qui vous
redonne le goût du jeu, ravive votre
curiosité, vous interpelle et vous fait
bouger… Depuis que Dora est là, le
bouquin de Michel trouve un nouveau
rythme, les idées affluent mais aussi de
curieuses manifestations apparaissent dans
cet appartement jusqu'alors tranquille,
comme si les interrogations de Michel
bousculaient un monde parallèle au nôtre,
dérangeaient
les
fantômes…
Des
manifestations qui ne semble pas étonner
Dora, comme si lui étaient familières « ces
mystérieuses
rencontres
avec
l'invraisemblable » dont parle Victor Hugo
C'est un gros ours mal léché, solitaire,
même plus jeune et même pas beau…
Quoique… On pourrait s'interroger sur la
relativité de la notion de beauté tant il
apparaît ici que ce qui émane de l'être
humain et vous attache se situe bien audelà du simple aspect physique. Il y a les
apparences et il y a le reste, tout ce qui se
trame en filigrane de nos vies, de nos
corps, au-delà de ce que l'œil perçoit, audelà de ce qu'on croit savoir de soimême… Et c'est bien le miracle du film de
remuer avec une intensité peu commune
toutes les formidables interrogations qui
traversent nos existences, sur ce qui nous
dépasse et nous meut.
L'homme, dans un appartement chaleureux
aux rayonnages gavés de bouquins et de
films, se concentre sur l'écriture d'un essai
55
qui pratiquait abondamment le spiritisme
dans
sa
maison
de
Jersey…
depuis Un jeu brutal, De Bruit et de fureur,
Céline… de retrouver le bonhomme investi
comme jamais dans un film nourri de son
histoire, de ses douleurs, de sa curiosité
insatiable. S'il se met lui-même en scène
dans le rôle de Michel, Virginie Legeay lui
donne la réplique dans une connivence qui
dépasse largement le rapport habituel entre
acteurs (n'est-ce pas elle qui a eu l'idée
originale et a poussé Brisseau, avec Lisa
Heredia, son épouse et collaboratrice, à
aller au bout de cette histoire ?) : leur duo
est extraordinaire et bouleversant. Quand à
la 5e symphonie de Malher qui ponctue les
images, accompagne en douceur tout le
film, elle renforce son mystère, le colore
d'une nostalgie sublime et donne envie de
le revoir en boucle sitôt les dernières notes
tues, les dernières images évanouies…
A mille lieues des films qui coûtent des
millions d'euros et ne produisent que du
vide, le film de Jean-Claude Brisseau,
tourné dans son propre appartement,
produit avec le cachet perçu pour le dernier
passage de Noce blanche à la télé, est une
merveille foisonnante de richesse et
d'invention, entre réalisme et fantastique,
un poil mystique et profondément athée.
Le film est si personnel et d'une telle
liberté que Brisseau lui-même n'en est pas
revenu d'avoir reçu le Léopard d'Or au
Festival de Locarno. Cinéaste atypique, un
peu en retrait ces dernières années, il est
encore plus émouvant pour ceux, dont nous
sommes, qui l'ont aimé dès ses débuts,
http://www.cinemas-utopia.org/bordeaux/index.php?id=1961&mode=film_________
56
jouant à domicile, le film
courait le risque de rester
là où la fille était
annoncée, c’est à dire
nulle part. Force est de
constater qu’il n’en est
rien, et c’est tant mieux.
Car Brisseau choisit de
concentrer son propos sur
quelques thèmes qui lui
sont chers. Les illusions,
les fantômes, le désir
comme
nécessité
de
l’existence,
tout
cela
apparaissant comme une
déclaration d’amour au
cinéma et au pacte
faustien
qui
lie
le
spectateur au film. Pour
cela le cinéaste s’appuie
sur une intrigue minimale
concernant Michel, prof
de math à la retraite et
veuf, venant en aide à
Dora
qu’il
découvre
tabassée sur le pas de sa porte. Ce qui
se joue entre les deux a tout de
l’échange immatériel, entre la jeunesse
et l’expérience, la liberté de celle qui
n’a rien et l’emprisonnement psychique
de celui qui n’a plus personne, entre
l’ésotérisme érotique de Dora et la
rationalité marxiste de Michel. Féconde
à la fois pour l’une et pour l’autre, ce
qui
démarrait
comme
une
confrontation entre deux animaux
solitaires se transforme au fur et à
mesure en un tandem complice, une
couplicité des misfits de la société.
Avouons qu’on l’avait un peu
volontairement perdu de vue, Brisseau.
Très exactement depuis que son nom
était apparu plus souvent dans les
chroniques judiciaires que dans les
pages cinéma des journaux, et pour
une histoire de cornecul - un casting
auprès de deux comédiennes, poussé
jusqu’au harcèlement sexuel, qui lui
avait valu une condamnation à un an
avec sursis et 15 000 euros d’amende.
Une trilogie de films priapiques plus
loin, on ne savait donc plus trop à quoi
s’attendre de la part de l’auteur de
l’indépassable De bruit et de fureur.
D’autant qu’en annonçant un huis clos
entre une jeune femme recueillie dans
une volée d’escaliers et l’ogre Brisseau
Cinéaste marxiste, Brisseau profite en
outre de cet écart de générations pour
transmettre, sans fausse nostalgie,
57
mais avec un désespoir poignant, les
rêves brisés de mai 68. Racontant
d’une part à Dora le suicide de l’un de
ses camarades de révoltes après la
reprise en main gaulliste, écoutant
d’autre part son plus vieil ami disserter
sur le désir qui refuse de se rendre
malgré le temps qui passe, le laissant
terminer par cette réplique : « le Parti
« d’ailleurs économique ». Disposant
de 70 000 € provenant de la diffusion
télé de l’un de ses précédents films, le
metteur en scène a profité de ce
régime forcé pour enlever tout le gras
qu’on voit dans le cinéma français
actuel. Réduisant à l’os son équipe
avec un chef opérateur, et trois
comédiens plus lui même, son cinéma
retrouve en légèreté, en efficacité,
comme s’il renouait avec cette
nécessité vitale qui fait le sel des films
de la nouvelle vague française.
Contrairement à Truffaut qui, lorsqu’il
tourna La peau douce dans son propre
appartement parisien, marqua son
arrivée dans le cadre bourgeois d’un
cinéma traditionnel, Brisseau fait le
chemin inverse et revient à la forme de
ses premiers courts métrages, ceux qui
avait donné envie à Pialat (et Rohmer)
d’aider le jeune prof de français
cinéphile à passer la rampe de la
réalisation longue. Voir revenir ainsi à
la vie un cinéaste qu’on croyait
disparu, ou, à tout le moins passé à
l’état de spectre ne peut que nous
réjouir. Il aura fallu que chez Brisseau
le bruit laisse sa place au (presque)
silence, pour voir ressurgir une sorte
de fureur. Celle du beau geste, celle du
cinéma.
m’a nommé au conseil municipal. Et
pourtant je m’emmerde ». Auraient-ils
halluciné leurs jeunesses ?
Ce thème de l’illusion d’ailleurs
parcours l’ensemble du film, lui
donnant une vigueur particulière, sans
laquelle peut être la relation entre la
belle (Virginie Legeay), et la bête (Jean
Claude Brisseau) aurait pu n’être qu’un
aimable face à face rohmérien. C’est
alors que Brisseau fait intervenir l’un
de ses meilleurs motifs, celui du
fantastique. On ne pensait pas encore
possible de pouvoir surprendre un
spectateur avec une prise de son
saturée et une paire de draps. C’est
pourtant ce qui arrive, révélant par là,
toute l’ingéniosité, la précision dans le
découpage des scènes de Brisseau.
Donnant à voir ce qu’on pourrait se
résumer tout simplement par un talent
de cinéaste.
Talentueux,
Brisseau
l’est
aussi
certainement pour avoir réussi à
monter son film dans une sorte
Thomas Bauder
http://www.regards.fr/web/la-fille-de-nulle-part-le-home,6219__________________
58
Poème d’amour fulgurant envers la Femme, le nouveau Jean-Claude Brisseau est une
œuvre austère et fragile qui mérite amplement son Léopard d’Or au festival de Locarno.
L’argument : Michel, professeur de mathématiques à la retraite, vit seul depuis la mort de sa
femme et occupe ses journées à l’écriture d’un essai sur les croyances qui façonnent la vie
quotidienne. Un jour, il recueille Dora, une jeune femme sans domicile fixe, qu’il trouve
blessée sur le pas de sa porte et l’héberge le temps de son rétablissement. Sa présence ramène
un peu de fraîcheur dans la vie de Michel, mais peu à peu, l’appartement devient le théâtre de
phénomènes mystérieux.
Notre avis : Si le grand public connait le cinéma de Jean-Claude Brisseau par Noce
blanche (1989) avec Vanessa Paradis et Bruno Cremer, ceux qui ont suivi la carrière en dents
de scie du réalisateur savent à quel point l’artiste a évolué au cours des décennies, allant vers
toujours plus d’épure cinématographique. Si Brisseau n’a pas toujours touché juste (on se
rappelle les échecs artistiques des Savates du bon Dieu ou encore de l’amère expérience de A
l’aventure en 2009), il a su imposer au cours du temps un style et des thématiques qui en font
un auteur incontournable du cinéma français, et ceci même si ses meilleurs films (Céline,
59
Choses secrètes, Les anges exterminateurs) sont toujours reçus avec un certain dédain par les
critiques. Les choses ne devraient pas changer avec La fille de nulle part puisque le cinéaste
continue ici de tracer sa voie au mépris des modes et des goûts contemporains. Encouragé par
l’actrice Virginie Legeay, Brisseau nous revient avec une œuvre intimiste et fragile, tournée
avec une petite caméra numérique dans des conditions extrêmement précaires qui rappellent
les récentes expériences d’Alain Cavalier.
Se situant dans un appartement parisien, le huis clos concerne un ancien professeur de
mathématiques solitaire qui recueille une jeune femme perdue et qui converse avec elle au
sujet de la religion, du sens de la vie, de l’amour et du temps qui passe. Autant de thèmes qui
sont évoqués par le cinéaste – il interprète lui-même le rôle de l’écrivain – avec un sens
évident de la formule, doublé d’une gravité qui fait tout le sel de ces conversations
métaphysiques. Alors qu’il fait profession de foi d’un athéisme proche du nihilisme, le
réalisateur se laisse pourtant une fois de plus tenté par l’évocation des esprits qui finissent par
exsuder des murs de l’appartement. Comme dans ses œuvres précédentes, Brisseau nous met
en présence de visions fantastiques, tour à tour menaçantes ou bienveillantes. Ces apparitions
furtives sur fond de musique classique (la sublime 5ème symphonie de Mahler) nous
renvoient alors à un fantastique surréel (et non pas surréaliste) qui évoque le cinéma d’un
Cocteau ou encore les poussées mystiques des derniers Bresson. Malgré la précarité du
dispositif formel, le cinéaste parvient même à rendre hommage à la peinture de la Renaissance
à
travers
de
nombreuses
compositions
picturales
très
travaillées.
Certes, on pourra lui reprocher de s’être laissé convaincre d’interpréter lui-même le rôle
principal. Son jeu maladroit nous laisse d’abord dubitatif, avant de conférer au film une allure
Nouvelle vague qui n’est pas pour nous déplaire. Très belle déclaration d’amour envers la
femme (ou plutôt toutes les femmes), La fille de nulle part ne fera une fois de plus pas
l’unanimité, mais ce poème cinématographique devrait réconcilier une bonne fois pour toutes
les déçus de A l’aventure avec un auteur qui n’a pas fini de nous enchanter.
Virgile Dumez
http://www.avoir-alire.com/la-fille-de-nulle-part-la-critique______________________
60
Avec La fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau nous ouvre une nouvelle page de son
journal de fiction intime. Comme un novelliste de l’image, à la lisière du conte et de la fable,
il nous invite à la rencontre de Dora, jeune fille désœuvrée, et de Michel, l’écrivain solitaire
qui la recueille ensanglantée alors qu’elle vient d’être agressée dans l’escalier. Comme
frappés d’une malédiction, ceux qui la côtoient, d’abord séduits par son énigme insondable,
semblent pressés de s’en débarrasser. D’un côté cet ancien professeur de mathématiques,
intellectuel misanthrope et rationnel s’interrogeant sur les religions et les croyances, de l’autre
côté Dora fille des rues, paumée, sans domicile fixe mais au mystère presque surnaturel.
Venue « de nulle part », elle semble même communiquer avec les esprits. Brisseau exploite
cette sensation de fossé entre générations à travers ces deux personnages symboliques qui
prennent chair avec leurs mots. Entre le vieux bougon partagé entre la pitié et la méfiance et
la jeune femme le regardant comme un homme d’un autre temps s’installe une curieuse
communication, faite de confrontation, de fascination, puis de sentiments ambigus qui sans
jamais être vraiment charnels finissent par ressembler à de l’amour, mais un amour qui
n’obéit pas aux règles établies. Car si l’arrivée de Dora dans l’appartement semble
bouleverser le monde des morts comme celui d’un vivant, si des éléments surnaturels
surgissent avec elle, Dora apporte le rêve à celui qui n’en a plus, la présence à celui qui n’était
plus habitué qu’à lui-même. Cette irruption est dichotomique, cette ultime source de vie
s’affirmant aussi comme le signe d’un au-delà qu’elle ouvre au vieux professeur.
61
Avec La fille de nulle part, filmé en HD chez lui avec les moyens du bord et quelques acteurs,
dont lui-même dans le rôle principal, Brisseau semble réinventer son cinéma, en redécouvrir
les formes. C’est d’une maladroite et précieuse beauté que s’emplit La fille de nulle part dans
ses plans parfois approximatifs ou sa prise de son parfois défaillante. Fragilité de l’instant,
émotion de l’incertain et de l’accidentel. Ce sont de ces failles même, de ces imperfections
que jaillit l’insaisissable magie.
Brisseau met toujours en garde dans ses interviews contre le parallélisme du personnage et de
l’auteur. Déjà dans A l’aventure, « l’homme sur le banc », cet étrange philosophe errant qui
discourait sur le bonheur, les croyances et la vie avec l’héroïne, ne pouvait que nous ramener
aux préoccupations du cinéaste. Ce précédent opus constitue un fabuleux prologue à cette
ambiguïté autobiographique. Ici l’identification de Brisseau – entre mémoire vécue et
fantasmée - à cet ancien professeur solitaire passionné de Ford et d’Hichcock, que ses
anciennes élèves n’ont jamais oublié et qui viennent lui faire la bise avant leurs adieux, est
plus que jamais tentante, même si Brisseau joue évidemment malicieusement avec son moi.
Avec comme décor son appartement, ses livres et ses dvds en évidence (y compris celui de
Choses Secrètes), Michel se lance dans des débats métaphysiques et philosophiques, et
lorsqu’il s’interroge sur la véracité des Saintes écritures, on ne l’arrête plus, à l’instar de
Brisseau en interview partant de digression en digression, que l’on retrouve mot pour mot
dans le discours de son héros. Sa vision n’est d’ailleurs pas exempte d’une ironie, d’un sens
de l’autodérision, comme lorsque Dora répond face à la satisfaction de Michel d’avoir enfin
pu avoir la seule conversation passionnante depuis des années : « vous appelez ça une
conversation ? J’aurais plutôt dit monologue ». Car La fille de nulle part n’est pas seulement
beau, il est également drôle, entre ses joutes verbales, ces échanges du mûr et du juvénile, et
ces sourires spontanés. Rarement l’univers du cinéaste n’avait paru si lumineux, radieux,
excepté peut-être les Savates du bon Dieu
.
Brisseau n’en oublie pas pour autant la séduction du romanesque et du poétique. L’alchimie
qui naît progressivement au sein de ce nouveau couple est d’une émotion folle, vraie,
palpable. Ce qui fait que Brisseau reste et restera probablement l’un des plus importants
cinéastes français vivants tient à sa capacité à exploser les frontières du réel et du rêve. Ni
l’un ni l’autre n’existent, il s’agit d’un même monde. Le fantastique appartient au quotidien,
62
les tables tournent, Michel interroge les textes écrits ; le spirituel dialogue avec le spiritisme.
Littérature, réalité tangible, fantômes, corps nus déposés sur un autel ne font qu’un. Et même
lorsque le spectre apparaît c’est pour être ramené par Michel à une réalité palpable, pour y
être désacralisé, débarrassé de ses atours anxiogènes ou fascinatoires. « Si tu crois que tu me
fais peur, tu te trompes, descends de là, je veux juste savoir qui tu es ». Alors qu’on aurait pu
s’attendre à la traditionnelle apparition bleutée et diaphane telle qu’on la voyait dans De bruit
et de fureur ou Céline, et même ses trois dernières œuvres, Brisseau choisit de prendre le
contrepied de son inspiration en changeant de ton et de couleurs. La lumière est étrangement
rosée et les revenants y montrent leurs visages en plein jour, et en toute simplicité. Malgré
cela, les visions spectrales de Brisseau restent superbes, grands corps étirés en lévitation,
enveloppés dans des longues robes noires.
Une fois n’est pas coutume, ici encore, Brisseau restera un homme qui aimait les femmes.
L’érotisme y est visuellement discret (une hallucination saphique sur un autel vient nous
rappeler combien Brisseau aime filmer la nudité) mais toujours palpable, instaurant un trouble
subtil. Et son actrice, la formidable Virginie Legeay apporte toute la force fragile de la
jeunesse au personnage de Dora. De film en film l’univers de Brisseau s’imprègne de la
vieillesse et de la mort, évoquant toujours un peu plus distinctement l’approche de la
disparition, la vie comme un intervalle avant l’heure dite.
Jean-Claude Brisseau, cinéaste-philosophe à la fois passionné et candide, naïf et érudit,
s’emporte comme un enfant dans ses raisonnements infinis. Il se laisse glisser en Michel, nous
invitant à prendre part à un voyage flottant, galvanisé par cette fusion de l’intime et de
l’imagination. Dora et Michel incarnent deux mal-de-vivre, de celui qui commence et de celui
qui n’est déjà pas loin de la fin. Le vide métaphysique et le doute, au centre de l’œuvre du
réalisateur, n’auront jamais été aussi présents que dans La Fille de Nulle part mais la réponse
de Brisseau cinéaste est la même que celle de Brisseau personnage. La raison de vivre dans un
monde sans Dieu subsiste dans le désir de créer. La fille de nulle part en apporte la preuve
irréfutable. Elle est splendide. On ne l’en remerciera jamais assez.
http://www.culturopoing.com/Cinema/Jean+Claude+Brisseau+La+fille+de+nulle+part+-5357
63
La Fille de nulle part
05 fév. 2013 Par Cédric Le Penru
Jean Claude Brisseau avec très peu d'argent (la recette d'une
rediffusion télé de Noce blanche) se lance dans un exercice
de reconquête de la pureté originelle du septième art, filmant un quasi huis clos en
son appartement. Bref, un film « fait à la maison », au sens propre.
Nous voilà donc face à un objet filmique aux
antipodes des productions Europa Corp, de
l'idée même que l'on peut se faire de la super
production voire de la « nouvelle qualité
française » ; façon jeune cinéaste super
branchée qui joue de l'OMD en fond sonore.
Ici ce sera du Mahler (la cinquième) du début
jusqu'à la fin, et c'est sublime ! Combien de
films français avons-nous vus l'année dernière
où l'excès de moyens semblait n'être là que
pour masquer l'indigence du discours et/ou du
scénario. La Fille de nulle part en est l'exact
contraire : Un manque de moyens au service
d'un propos intelligent.
l'histoire (un plan façon peinture Renaissance
Italienne, un passage très Scary movie). Les
digressions de dialogues entre les deux
protagonistes (autour de la religion, de la foi,
de la Bible) ne sont pas sans rappeler la
justesse des longs échanges et apartés chers à
Rohmer.
Le jeu d'une sincérité redoutable de la jeune et
belle Virginie Legeay vient compenser ce qui
apparaît comme certainement la plus mauvaise
idée de l'oeuvre : J.C. Brisseau joue lui-même
le principal rôle masculin (Michel). La fausseté
de sa diction (ainsi que d'étranges blancs entre
les mots) laisse cependant place, via
l'indolence poétique du dispositif, à une
acclimatation presque agréable de l'auditeur.
Un peu à la manière des réalisateurs de la
Nouvelle Vague qui ne s'appesantissaient pas
trop sur l'excellence du jeu mais cherchait à
tout prix l'authenticité et la « vérité » des
situations, le réalisateur de L'ange noir ne
s'encombre pas d'un excès de maniérisme
qualitatif. Enfin, la beauté des thèmes évoqués
et cette déclaration d'amour aux femmes (les
présentes et les absentes) que nous offre ici le
cinéaste laissent le spectateur sur une
impression de vraie et belle complétude
cinéphile.
L'argument de départ est pourtant simple :
Michel recueille Dora (troublante Virgine
Legeay) qui vient de se faire tabasser sur le pas
de sa porte, mais la jeune femme est étrange.
Méprisant l'avis de son meilleur ami (Claude
Morel, médecin d'amitié), ce professeur de
mathématiques à la retraite et veuf se met à
héberger de manière permanente la demoiselle,
pourvue visiblement de pouvoirs quasi
surnaturels. Et ça tombe bien l'homme est en
train d'écrire un livre sur les croyances.
Malgré la grande faiblesse des outils de
captation visuels (caméra DV « bruitant » les
zones sombres et à l'étalonnage des couleurs
capricieux) et sonores (souffle à tous les étages
et yoyo incessant des niveaux), cet opus sait
nous frapper de plusieurs chocs visuels au
moment des « escapades » fantastiques de
Un long-métrage à voir absolument - ne serait
ce que pour prouver à tous les nababs du
cinéma français que l'on peut faire beaucoup
(et bien)... avec (presque) rien.
http://www.ecranlarge.com/movie_review-read-33008-178071.php______________
64
samedi 2 mars 2013
La Fille de nulle part - Jean Claude Brisseau
4/10
"Fait maison"
M. Jean Claude Brisseau ne parvient plus à financer ses films. M. Jean
Claude Brisseau a donc la brillante idée, pour son nouveau film, de
tourner (et de se mettre en scène) dans son propre appartement. Si un
grand souffle mystique non dénué d’intérêt se dégage de ce nouvel opus,
La Fille de nulle part est aussi un film d'auteur terriblement prétentieux,
laid, et stupide.
office
L'aspect « poétique
fauché » du
film de Brisseau est mis à nu dès
la première scène : Il recueille
Dora, soit disant gravement
blessée
par
son
agresseur.
L'artifice est parfaitement visible,
on en conclut donc que c'est une
volonté du réalisateur (l'agression
n'est également pas montrée).
L'atmosphère
du
film,
peu
sérieuse, peut donc plaire aux
premiers
abords.
Malheureusement, elle va se
dégrader tout au long de la
progression de cette histoire
ridicule, et petit à petit, nous
commencerons à entrevoir une
grande panne d'inspiration du
scénariste, Brisseau lui même.
Enormément de scènes par la
suite apparaissent comme faisant
de
« bouche
trou ».
Le lieu de tournage étant son
propre
appartement,
Brisseau
n'hésite pas à étaler sa culture et
sa passion pour le cinéma
(Bergman, John Ford et d'autres
seront évoqués), ou même à en
faire
explicitement
référence
(scène terrifiante avec la copie
conforme de Norman Bates de
Psychose
d'Hitchcock).
Cette
scène saugrenue au milieu du film
surprend autant que beaucoup
d'autres, par ailleurs très en
rapport avec la religion, thème
omniprésent dans l'oeuvre du
cinéaste. La résurrection des
morts (en particulier sa femme)
est tout de même un thème
profondément éculé
dans le
65
cinéma fantastique. Si certaines
scènettes peuvent nous faire
penser au cinéma du thaïlandais
Apichatpong Weerasethakul (qui
lui est un véritable génie faisant
de ce thème autre chose qu'un
simple archétype du cinéma
fantastique), celles de Brisseau
n'apportent strictement rien à son
intrigue qui aurait presque pu s'en
passer : Surréalisme et onirisme
ne sont pas les bienvenus dans
cette
histoire,
pas
assez
développée,
avec
des
personnages
d'une
platitude
exaspérante.
L'aspect
autobiographique est lui aussi très
désagréable, compte tenu du fait
que Brisseau ne prend même pas
d'alter ego.
Mais le pire dans tout cela est
sans conteste la bande son. La
symphonie
N°5
de
Gustave
Mahler (nous faisant penser au
chef d'oeuvre de Visconti, Mort à
Venise, 1971) reviens une dizaine
de fois, et accentue l'« effet
prétentieux dramatique ridicule »
qui nous étouffe au bout d'une
longue
heure.
La Fille de nulle part a quand
même le mérite de révéler une
jeune diplômé de la FEMIS
(département scénario) : Virginie
Legeay (Dora). C'est aussi le
principal atout (et peut être bien
le seul) de ce souffrant et
pathétique film d'auteur.
Jeremy S.
Michel : Jean Claude Brisseau, scène onirique
http://artdufilm.blogspot.fr/2013/03/la-fille-de-nulle-part-jean-claude.html________________
66
fascine parce que
sa dimension
testamentaire n’échappera à personne. Que
fait-on de sa vie, quelles traces laisse-t-on
et quels moments ont compté, autant de
questions qui taraudent Michel, dans lequel
il est rigoureusement impossible de ne pas
voir le double du cinéaste, non seulement
parce qu’il l’interprète, que l’appartement
en question est le sien, mais aussi parce
que les deux partagent la même
philosophie et un regard convergent sur le
monde et la vie. Celui qui a été jusqu’à
présent un réalisateur dérangeant et
encombrant, abordant les thèmes des
violences sociales, du plaisir féminin ou
des pratiques mystiques, semble atteindre
ici une forme d’apaisement et de sagesse.
La douceur du ton, la prévenance
paternelle manifestée vis-à-vis de Dora et
la bonne humeur désormais recouvrée à
savoir que sa fin de vie connaitra une
raison d’être, sinon un enchantement
fugace et vif, plongent l’homme dans une
sérénité sans naïveté ni angélisme qui a
bien quelque chose de poignant et
touchant. Parfois œuvre fantastique, avec
des maladresses confondantes et des
représentations d’un autre temps, La Fille
de nulle part est aussi un film de fantômes,
revisitant le parcours d’un homme au
crépuscule de sa vie. Il y a là quelque
chose d’infiniment bouleversant, sans
aucune tricherie, d’une impudeur totale.
Quelque chose aussi d’un homme qui se
livre et se met à nu.
De prime abord, le dernier film de JeanClaude Brisseau a tout pour faire fuir : une
histoire tirée par les cheveux d’un vieil
homme solitaire recueillant une jeune fille
molestée dans l’entrée de son immeuble,
des variations guère limpides et souvent
oiseuses sur les croyances et la
réincarnation, l’ensemble dans un huis-clos
(le vaste appartement labyrinthique et
rempli d’objets et de livres) où résonnent
les dialogues très littéraires et très mal
joués par les deux comédiens : le
réalisateur lui-même et la jeune Virgine
Legeay. Cela donne un résultat crispant,
irritant et ennuyant. Pourtant, contre toute
attente et au mépris de la moindre logique,
le film suscite l’intérêt, voire subjugue et
Patrick Braganti
La Fille de nulle part, Drame, fantastique français de Jean-Claude Brisseau
Sortie : 6 février 2013, Durée : 01h31
http://www.benzinemag.net/2013/02/11/la-fille-de-nulle-part-jean-claude-brisseau/_________
67
La fille de nulle part, comme son titre
l’indique, témoigne du parachèvement
d’un cinéma qui, lui, a bien une
provenance. Primé d’un Léopard d’Or au
festival de Locarno 2012 décerné par le
président du jury, le cinéaste thaïlandais
Apichatpong Weerasethakul, ce dernier
opus du sulfureux Jean-Claude Brisseau
n’émerge pas de l’insignifiance. Ce
cinéaste, anciennement professeur de
français dans un collège pour ensuite
s’abandonner progressivement à la
création, s’intéresse au début de son œuvre
au
démantèlement
des
crises
socioculturelles, sexuelles et éducatives de
l’hexagone. De bruit et de fureur, son
deuxième long-métrage réalisé en 1988,
sonde le démembrement autodestructeur de
l’éducation nationale par le biais d’un
naturalisme onirique qui ne porte jamais
atteinte à l’actualité frappante de la
situation. S’en suit un virage, à partir de
son film le plus connu, Noces blanches
(avec Vanessa Paradis), où le cinéaste
explore les tabous d’une sexualité féminine
complexe et oedipienne, dont le très beau
Les Anges exterminateurs est le
représentant le plus abouti tant au niveau
de la mise en scène que de l’emboîtement
autobiographique controversé auquel le
film se prête. En effet, le cinéaste est
condamné en 2005 pour harcèlement
sexuel lors de l’audition des deux actrices
principales du film Choses secrètes. Cette
affaire lui vaut une solide réputation de
cinéaste manipulateur, un comble pour cet
admirateur du cinéma, entre autres,
d’Alfred Hitchcock.
intellectuel endeuillé (Brisseau cinéasteacteur) en quête de transmission. Une
entreprise qui portera ses fruits lors de la
rencontre inopinée avec une jeune femme
battue par son amant au pied de sa porte
(son actrice fétiche et collaboratrice
artistique Virginie Legeay). Ainsi, c’est le
naturalisme et le mysticisme, marques de
fabrique du cinéaste, qui s’invitent autour
d’un objet filmique aux accents
testamentaires. Le film expose des
contraintes budgétaires qui lui vaudraient
l’appellation de film fauché. Sauf qu’un
film pauvre n’est pas synonyme
d’impossibilité créative, n’en déplaise aux
cinéastes et spectateurs formatés de notre
laborieuse époque. Le long-métrage se
concentre quasi exclusivement au sein d’un
appartement parisien bourgeois encombré
par un savoir cinématographique, littéraire
et scientifique imposant. Un espace clos
également habité par des secrets, des
blessures non cicatrisées, dont celles du
deuil difficile d’un homme ayant cultivée
sa solitude à des fins de survie. Dans cette
unité de lieu et de temps (trois journées
environ), le cinéaste déploie un théâtremonde inauguré par un plan sur un mur
étoilé et qui se clôturera par ce même
motif. Jean-Claude Brisseau, cinéaste et
acteur principal de son film, met en scène
une solitude souveraine perturbée par
l’arrivée d’une tierce personne, une « fille
de nulle part » dont on connaîtra
vaguement le profil, à ceci près qu’elle est
vagabonde et qu’elle épouse des amours
contrariés. L’événement met alors en
exergue une relation, un rapport à une
altérité radicale au sens où l’entend le
philosophe Emmanuel Levinas, c’est-àdire que le sujet seul (Brisseau) ne va plus
objectiver autrui pour le ramener à soi
Venons-en alors au film à proprement
parler. La fille de nulle part est l’histoire
minimaliste et profonde d’un vieil
68
acceptée, Jean-Claude Brisseau entame un
dialogue avec le sens de l’existence, avec
le mode de vie d’hommes condamnés
depuis trop longtemps, comme le déclare la
fameuse « fille de nulle part » à propos de
la réflexion de « Brisseau-acteur », à
choisir entre « la croyance, la science ou
l’inconnu ». De ce point de vue, qu’est-ce
que le cinéma, sinon, une entreprise mêlée
de ces trois axes de vie ? La création
désespérée,
furieusement
romantique
(Victor Hugo est l’un des grands
personnages principaux de ce film), où le
rouge des rideaux de la salle à manger
tamisant la scène finale du sacrifice est
également le fil rouge de la trame
narrative, est la pulsation d’un longmétrage qui fait un étrange et fascinant
pied-de-nez aux ingrédients types d’un
cinéma d’auteur qui, tout comme le cinéma
dit « mainstream », souffre parfois d’un
mimétisme autosuffisant qui se sclérose sur
lui-même. Le cinéma de résistance
qu’instaure Brisseau s’installe par la
prédominance clairement assumée de
l’artifice sur le « naturel », un fait plutôt
inédit chez un auteur qui s’était jusque-là
maintenu au sein d’un entre-deux. Le
naturalisme ne se fait plus autoritaire mais
se transmue par-delà cette facticité
manifeste dans les faux-raccords, les
imperfections sonores ou la théâtralité
assumée de la mise en scène.
(retrouver la réincarnation de sa femme et
la posséder), mais il va se mettre au service
total de l’autre (léguer tout son héritage et
ainsi se débarrasser de l’égo de l’auteur
tout-puissant). C’est ainsi que va se
déployer tout au long du film un cinéma du
sacrifice, du dernier souffle, dont les choix
de montages cut font écho aux audaces de
la Nouvelle Vague. A ce titre, on pense
fortement au premier long-métrage de
Jean-Luc Godard, le bien-nommé A bout
de souffle. En effet, ce souffle jusqu’auboutiste mêle alors ciel et terre,
constellations insaisissables et aplats
angoissés.
L’imaginaire et ses représentations sont les
axes fondamentaux de cette œuvre où la
parole, fragile et mouvante, fait office de
motif tranchant. Ayant au départ la forme
d’un monologue qui sonne volontairement
faux au début du film (un côté « récité »
qui agacera à coup sûr les puritains du
pseudo-naturalisme), cette parole devient
peu à peu, par le biais d’une convocation
paranormale flirtant sans cesse avec ce
qu’on
qualifie
communément
de
« ridicule », une nouvelle proposition
esthétique. La forme filmique inédite que
nous propose Jean-Claude Brisseau est
dépouillée des ressorts propres à un cinéma
de genre qui serait celui de la ghost-story.
Ainsi, les fantômes n’apparaissent pas dans
la pénombre, le visage effrayant, mais sont
là, charnels et allégoriques, à peine vêtus
de leurs fonctions. En filmant la
transformation poussive d’une solitude
Porté par un élan déconcertant, La fille de
nulle part œuvre à un film-somme des
expérimentations d’un cinéaste incompris,
affûtant parfois même ce qui pouvait
apparaître durant un temps comme un tic
boursoufflé (notamment l’érotisme, qui est
ici d’une finesse inouïe). En ayant le culot
iconoclaste de filmer des fantômes en DV,
Jean-Claude Brisseau tente de repousser
les limites de la création au sein d’un
cinéma français contemporain qui, en ces
temps qui courent, ne brille pas par son
excédent de prises de risques…
http://kusanaki.fr/critiques/la-fille-de-nulle-part-leffronterie-testamentaire/________________
69
En salles depuis le 6 février dernier, « La fille de nulle part », le nouveau
long métrage de Jean-Claude Brisseau, surprend et intrigue. Cet objet
cinématographique, presque estudiantin dans la réalisation, entremêle
les genres, faisant cohabiter fantastique, drame, littérature et sentiments.
La fille de nulle part égare le spectateur pour mieux le prendre par
surprise. De passage à Metz, vendredi dernier, La Plume Culturelle a
rencontré le réalisateur.
critique. « De bruit et de fureur », film
réalisé en 1988, vedette du Festival de
Cannes alors qu’il ne figure pas sur la
sélection officielle, va crédibiliser le
réalisateur, et « Noce Blanche » lui
apportera le succès commercial en 1989.
Jean-Claude Brisseau ne fait pas partie de
ces réalisateurs qui savaient qu’ils allaient
faire du cinéma. Issu d’une famille
populaire, le petit garçon qu’il était aimait
déjà beaucoup les salles obscures où sa
mère l’emmenait trois ou quatre fois par
semaine. « J’adorais cela. Nous pouvions
nous le permettre car à cette époque, aller
voir un film en salle ne coûtait vraiment
pas cher », se souvient le réalisateur. En
grandissant, il continue de fréquenter les
salles de projection et découvre la revue «
Les cahiers du cinéma ». Son parcours
professionnel va pourtant l’éloigner du
cinéma, et l’homme aux lunettes d’écaille
n’entrevoit absolument pas la possibilité
d’entrer dans le monde de l’écriture de
films. « Je suis devenu enseignant puis
professeur. Je dispensais des cours de
français et de littérature », explique JeanClaude Brisseau. 1975, l’année qui marque
les débuts de l’artiste derrière la caméra. «
J’ai acheté une petite caméra Super 8
Sonore et j’ai commencé à tourner
quelques films très amateurs. Pourtant
mon travail a été remarqué et l’on m’a
conseillé de continuer. » Son premier film
pour le cinéma, « Jeu Brutal », fait très
peu d’entrées, mais attire l’attention de la
La fille de nulle part
Son dernier film, sorti en salles le 6 février
2013 s’inscrit dans la ligne de ceux qui ne
rentrent dans aucune catégorie, de ceux
qui ne vous laissent pas indifférents. Le
film, tourné quasiment de façon amateur
surprend. Sur l’écran, deux personnages,
interprétés l'un par Jean-Claude Brisseau
lui-même, l’autre par sa jeune assistante
Virginie
Legeay.
Tourné
dans
l’appartement du cinéaste avec caméra
numérique, sans la moindre retouche. «
Dans le film, je déclare que je n’ai jamais
aimé cet appartement. Eh bien ! c’est tout
à fait vrai, je ne me suis jamais senti bien
entre ces murs », explique l’artiste.
L'acteur laisse habilement transparaître ce
malaise, interprétant le rôle d’un exprofesseur de maths perdu. Entre sa vie
mise sur pause depuis le décès de sa
70
jeter en sous-commission. Ils ont
considéré que mon scénario était nul. »
Comme Dora avec le livre de Michel,
Virginie pousse l’artiste à ne pas
abandonner et à réaliser malgré tout le
film. Entièrement autofinancé, ce dernier
ne remporte, pour ses premiers jours,
qu’un mince succès. « J’ai investi dans ce
film tout ce que j’avais gagné avec « Noce
Blanche », explique le cinéaste, et pour
l’instant, il représente un perte de 150%.
» Pourtant la critique, unanime, décrit le
film
comme
intéressant,
voire
incontournable. Même si le réalisateur n’a
pas sa langue dans sa poche et ne se
laisse pas déstabiliser par ce manque de
succès, il y a bien une question à laquelle
il refuse de répondre. « Je ne vous dirai
pas ce que représente de film pour moi,
déclare
Jean
Claude
Brisseau,
énigmatique. Il est encore trop récent et
ce n’est pas très clair dans ma tête. Le
seul indice que je peux vous fournir sera
ce que m’a dit un journaliste : ce film est
peut-être une mise en scène de ma mort
et la fille en serait l’élément déclencheur
en libérant le personnage de Michel et le
laissant aller vers sa fin. » A vous de vous
forger votre propre opinion en allant voir
« La fille de nulle part ».
femme et l’écriture d’un essai qui vise à
prouver que nous vivons tous dans une
vaste
illusion,
Michel
(Jean-Claude
Brisseau) recommence à vivre quand le
hasard conduit Dora (Virginie Legeay) sur
son perron. La gaucherie et l’imperfection
du jeu de l'acteur-réalisateur le rendent
saisissant, et le jeune Virginie apporte une
étonnante touche surréaliste à l’ensemble.
Dérouté par le choc des genres, le
spectateur ne sait plus s'il doit être
angoissé, triste ou heureux. « Il n’y a pas
de part autobiographique, assure JeanClaude Brisseau, mais je ne peux parler
que de ce que je connais. Sur « Noce
Blanche » je disais souvent à Bruno
Cremer, 'tu dois jouer comme si tu pensais
réellement ce que tu disais' », ajoute-t-il.
Un projet audacieux
Malgré sa poésie et son intensité, « La fille
de nulle part » a failli de ne jamais voir le
jour. « Comme je n'avais rien fait depuis
deux ans, on m’a proposé de réaliser un
film traitant du fantastique et de
philosophie. Ce sont des domaines qui me
parlent alors je me suis lancé, raconte
Jean-Claude Brisseau, mais je me suis fait
http://www.laplumeculturelle.com/La-Fille-de-nulle-part-OVNIcinematographique_a3166.html__________________________________________________
71
Couronné par un léopard d’or au dernier festival de Locarno, Jean-Claude Brisseau
continue de briguer l’élégant espace du cinéma du Panthéon avec « La Fille de Nulle
part ». Plaidoyer pour un cinéma du bricolage et du questionnement.
Alors que sa troublante trilogie sur le
plaisir féminin (Choses secrètes, Les anges
exterminateurs et A l’aventure) a
malheureusement surtout attiré l’attention
suite à sa condamnation en justice pour
harcèlement sur les castings du premier
volet, on croyait Jean-Claude Brisseau, à
près de 80 ans, un peu out. Mais près de
deux mois après sa sortie, « la fille de nulle
part », léopard d’or 2012 (voir notre
annonce) est encore complètement dans la
course. Fidèle à son esthétique, directe et
simple, Brisseau continue d’y poser
inlassablement les questions qui le hantent
: la place du paranormal et de la mystique,
le mystère du désir féminin, et la force de
nos illusion. Financé avec les droits d’une
rediffusion de « Noce blanche », le film est
économe jusqu’à forcer un Brisseau pas
très à l’aise a endosser en plus de ses rôles
de réalisateur, producteur, scénariste,
directeur de la photographie, et monteur,
celui d’acteur. Il jour le rôle d’un vieux
professeur de mathématique cinéphile
retrouvant sur son palier parisien, une
jeune femme de 26 ans, battue à mort et
dont il va s’occuper. Dans le rôle du blond
ange peut-être réincarné, l’on trouve son
assistante et coscénariste des « Anges
exterminateurs », Virginie Leguay.
Fable sur la solitude, écrite avec une
maladresse aussi poignante que touchante,
et tournée quasi-exclusivement dans un
appartement, « la fille de nulle part » est
d’un dépouillement qui heurtera certains, à
voir des grands fantômes caricaturaux
sortir des placards et le réalisateur
vieillissant se plaignant sans colère de la
solitude sur un banc parisien. Et pourtant…
Il y a quelque-chose d’irrésistible dans
cette « Fille de nulle part ». Quelque chose
de vraiment fort : le sens de la nécessité.
Fragiles parce que communes, les
questions que pose Brisseau sont celles du
commun des mortels, et pourtant, malgré le
manque de moyens et avec le seul outil qui
est à sa disposition : une caméra, le
réalisateur poursuit sa quête : tenter de
mieux cerner ces questions à travers le
cinéma. Devant un tel impératif et une telle
force de création on fait fi des lignes mal
dites, des cadrages étranges et des ficelles
un peu épaisses et l’on se laisse prendre à
la comédie tellement humaine et tellement
ouverte que Brisseau et sa muse Leguay
nous proposent. « La fille de l’après-midi »
est plus qu’un film, c’est une réponse
authentique à l’absurdité du temps qui
passe.
http://toutelaculture.com/cinema/a-laffiche/la-fille-de-nulle-part-accroche-jean-claudebrisseau-aux-sommets-du-7eme-art/______________________________________________
72
La Fille de nulle part
publié par Rémi
trentaine
d'années, plus
ou
moins
reclus dans un
appartement
bourré
à
craquer de dvds, de vhs, de livres et
d'affiches de films, qui tâche d'écrire
un essai sur l'illusoire, le délire et le
poids des croyances dans la vie des
hommes. Un matin il entend des bruits
dans le couloir de son immeuble, sort
et surprend un type en train d'agresser
une jeune fille qu'il recueille chez lui. Il
la soigne, prend soin d'elle et peu à
peu une relation se noue entre eux, au
point que Dora s'installe chez Michel.
Or cette fille "de nulle part", orpheline
sans foyer qui refuse que son hôte et
protecteur appelle la police ou le
médecin, va non seulement aider
l'ancien prof dans la rédaction de son
ouvrage, sauver son âme comme luimême a sauvé son corps meurtri et
ensanglanté, mais transformer malgré
elle son appartement en un lieu
fantastique frappé d'apparitions.
J'ai toujours beaucoup de sympathie
pour les cinéastes démunis qui malgré
leur pauvreté, voire leur solitude, font
des films et les font bien. Je pense par
exemple
à
Abel
Ferrara,
tout
récemment. Mais dites-vous que le
budget dont disposait ce dernier pour
4h44 dernier jour sur Terre devait
être relativement confortable comparé
à celui de Jean-Claude Brisseau, qui a
tourné La Fille de nulle part dans
son propre appartement et qui l'a non
seulement écrit, réalisé et produit mais
qui y tient le premier rôle et a mis la
main à la patte sur pratiquement
chaque étape du projet, avec l'aide
quasi unique de sa jeune actrice et
productrice, Virgine Legeay. Ces
conditions de travail se voient dès le
départ à l'écran, dans la simplicité des
moyens et le côté "home made" de la
caméra numérique frontalement posée
face à des acteurs pas vraiment
professionnels et sans artifices, mais
on
ne
tombe
jamais
dans
l'amateurisme pour autant. Brisseau va
au plus direct sans bâcler son film.
Tout est travaillé et maîtrisé, des
angles de prise de vue au montage en
passant par les (rares mais d'autant
plus remarquables) travellings (opérés
à l'aide d'une poussette si j'ai bien
suivi), sans oublier les effets spéciaux
et l'utilisation de la musique. Et en
prime c'est ambitieux.
On a donc une histoire réaliste très
simple et assez minimaliste, celle d'un
homme plutôt âgé, seul et déprimé,
qui rencontre une jeune femme pour
laquelle il va nourrir un amour
platonique et multiple (Dora est autant
sa fille que la réincarnation de sa
femme), à laquelle se mêle un récit
fantastique obscur plein de zones
d'ombres mystérieuses et vouées à le
rester. Et les deux aspects sont aussi
réussis que bien mêlés. Quand il filme
C'est l'histoire d'un ancien professeur
de mathématiques (Brisseau joue un
peu son propre rôle), veuf depuis une
73
Avec ce mélange de reprises dans un
film unique en son genre et ne
ressemblant qu'à son auteur, Brisseau
parvient à nous émouvoir (la scène en
extérieur où Michel parle des jeunes
filles en jupes avec son ami médecin,
puis croise par hasard une ancienne
élève, est l'une des plus rohmeriennes
et des plus touchantes du film), à nous
faire peur et à nous faire rire (parfois
les deux à la fois), à créer enfin des
images saugrenues certes, mais belles
et frappantes (dans des séquences qui
contiennent par ailleurs les seuls et
rares plans érotico-saphiques du film,
d'inspiration romantique - le fantôme
d'Hugo plane sur le film - et très loin
du soupçon de voyeurisme ou de
vulgarité qui pesait sur Les Anges
Exterminateurs).
Les
travellings
avants sur l'ouverture du couloir
ensemencé d'étoiles, qui vaut pour
porte des enfers, des songes ou de la
mort, sont la preuve qu'on peut
réaliser de très belles choses avec trois
fois rien. L'ensemble de ce film
surprenant, riche et singulier, qui
répond au fameux "Lumière contre
Méliès" en les réconciliant, le prouve
sans cesse. La Fille de nulle part,
qui travaille le spectateur que je suis
longtemps après-coup, se fait fort
d'entremêler beaucoup de formes et
de sujets avec peu de moyens sans
tomber dans le n'importe quoi ni dans
le foutraque. D'une grande tenue et
d'une inspiration constante, il me
semble en prime que c'est un film très
juste sur les hommes de plus de 50
ans. Brisseau lui-même en a presque
70 et ça ne se voit ni sur lui ni dans le
courage dont il fait preuve ici.
réaliste, Brisseau fait penser à Rohmer,
avec ces corps en déplacement dans
des
espaces
physiques
et
cinématographiques
construits
et
complexes, ces esprits connivents
attirés l'un par l'autre et ces dialogues
pleins de contenu (Brisseau parle dans
le film comme dans la vie, à base de
"c'est-à-dire... d'une part... d'autre
part...", et ça colle assez bien à son
personnage de prof de maths
reconverti en penseur philosophe
autodidacte),
ponctués
d'énoncés
performatifs aussi grandiloquents que
sincères (quand Michel propose par
exemple à Dora de devenir son
héritière).
Quand il filme fantastique, avec une
vraie ingéniosité de mise en scène
(sauvant certaines scènes du ridicule,
et à cet effort participe l'humour de
Brisseau, très présent), il évoque
autant Shining (avec sa "Redrum" et
ses jumelles dressées côte-à-côte dans
l'embrasure d'une porte) que le grand
Hitchcock (l'assez terrifiante scène du
couloir est une reprise à l'horizontale
de celle de l'escalier dans Psycho,
sans compter que Brisseau, chez qui
trône de façon assez ostentatoire le
dvd de Vertigo, emprunte aussi au
maître le motif de la blonde
réincarnation d'une femme aimée,
avec
essayage
de
vêtements
obligatoire à la clé). Mais ceci vaut
principalement pour les séquences
fantastiques à tendance "horrifique" même si c'est un bien grand mot - du
film, qui en d'autres instants se
consacre plutôt à la mise en scène
tranquille et toute en puissance,
parfois digne d'un Manoel de Oliveira,
d'apparitions fantomatiques.
Rémi
http://ilaose.blogspot.fr/2013/03/la-fille-de-nulle-part.html____________________________
74
Un professeur de mathématiques à la retraite
avait jusqu’alors employé son temps à la
rédaction d’un essai. Le sujet en était la part
des croyances dans la vie de tous les jours. Il
voulait montrer que ces superstitions la
gouvernent, qu’on le veuille ou non. Le vieil
homme vivait isolé dans un grand appartement
parisien, et l’absence de dialogue privait son
travail d’une dimension, celle qui lui permît de
dépasser le cadre des superstitions vulgaires.
Du moins il voulait y croire.
accueillit cette nouveauté, toujours avec la
même curiosité, le même amusement. Cela ne
pouvait-il pas servir d’écho à ce sombre essai
qui naissait sur son ordinateur, si éloigné des
réalités ? Le nourrir même, ce recueil des
radotages d’un vieillard sénile !
Et le vieux professeur n’était pas désabusé, il
tomba amoureux de la jolie fille. Il se sentit
même sur le point de faire une découverte,
celle d’une vérité interdite à la jeunesse, que la
jeune fille, parmi ses visions, ne pouvait
comprendre. Car elle n’en avait pas
l’intelligence.
Un jour, une jeune fille se fit agresser devant
sa porte. Le vieil homme entendit un bruit, et
accourut sur le palier. Il ne sut pas qui était
cette mystérieuse jeune femme, mais il lui
prodigua les premiers soins et l’installa dans
son canapé. Celle-ci ne dit jamais d’où elle
venait, ni quelles étaient ses intentions, mais
l’homme posa un regard sur cette fille perdue.
Cette rencontre impromptue éveillait alors en
lui quelque chose de profond, une curiosité
mêlée d’inquiétude, la même qui avait motivé
la rédaction de son petit essai. Ce dernier avait
jusqu’alors été nourri d’obscurs souvenirs. Et
l’inconnue, que l’homme hébergeait désormais
dans l’ancienne chambre de son épouse,
décédée depuis dix ans – cette fille avait des
visions.
Mais le vieil homme était absolument
désintéressé. Il restait serein devant tout,
devant son amour pour la jeune fille, en qui il
voyait une réincarnation de sa femme, devant
les apparitions de fantômes qui se dressaient,
immenses, dans son salon. Les tables se
soulevaient et se mettaient à danser au milieu
des pièces.
Car l’homme était animé d’un désir sans objet
fixe, qui se portait tantôt sur la jeune fille,
tantôt sur ces possibles découvertes d’un audelà, ou encore sur son épouse décédée. Au
terme des va-et-vient de son désir, au terme de
cette promenade dans l’appartement qui était
en réalité une métaphore du monde – il
mourut.
Elle percevait des phénomènes étranges qui se
produisaient au sein même du grand
appartement, parmi les vieux livres. L’homme
L’objet de nos croyances manque à notre désir.
La Fille de nulle part, de Jean-Claude Brisseau
Avec : Virginie Legeay, Jean-Claude Brisseau, Claude Morel,
http://laregledujeu.org/2013/02/15/12361/lecture-rimbaldienne-de-la-fille-de-nulle-part/_____
75
tabasser chez Michel, ancien professeur à
la retraite. Il y a là une rencontre, évidente,
entre deux solitaires pas très bien adaptés à
la vie normale. Ils apprennent à se
connaître, curieux, sondent leurs traumas
respectifs : lui est un veuf inconsolable,
elle provoque partout où elle passe le
retour des esprits.
Une histoire de cinéma tient parfois à bien
peu de choses. D’un côté à la persistance
créatrice de Jean-Claude Brisseau, échaudé
par plusieurs procès, mis au ban de la
production française et du « milieu », de
l'autre à sa rencontre avec Virginie Legeay,
jeune cinéaste de la Fémis, au temps du
Enfermé
dans
son
appartement, Brisseau puise
la matière onirique du film
dans ses obsessions : Michel
dévoile à Dora sa passion
théorique pour l'au-delà et les
phénomènes de réminiscence
tandis qu’elle lui en fait
partager
l’expérience
concrète. Duo magique, la
jeune blonde hitchcockienne et le vieil
ogre en basket apprennent ensemble la
possibilité de croyance. Ces considérations
magiques n’auraient pas tant de goût si
elles ne prenaient pas corps dans l’antre
personnelle de Brisseau cinéaste. Sa
passion pour les acteurs et son patrimoine
cinéphilique,
d’affiches
de
films
hollywoodiens en rangées de cassettes
vidéos, jusqu’à la confondante similitude
des trajectoires de Michel et de JeanClaude (c’est lui qui joue), donnent prises
tournage des Anges exterminateurs
(2006). L’argent pour réaliser son 13e long
métrage n’eut d’importance que par son
absence, obligeant le cinéaste à tourner
dans son propre appartement, avec une
caméra DV. Passé douloureux, mille
contraintes et soudain la liberté.
La Fille de nulle part est le récit d’un
retour à la vie, timoré d’abord, puis de plus
en plus éclatant. Une jeune femme blonde,
Dora, débarque une nuit après s’être fait
76
aux trouvailles visuelles. Quoi de plus
tangible que de convoquer ses mythes dans
un environnement familier, peu fictionné ?
fatigué, comme une récompense après tant
d’efforts déployés pour l’approcher. On
comprend sans peine qu’Apichatpong
Weerasethakul lui ait décerné le Léopard
d’Or lors du Festival international du film
de Locarno 2012, tant ils partagent ce goût
pour la proximité entre les défunts et les
vivants, mais aussi celui de l'artisanat dans
la fabrication de films, que Brisseau a, par
obligation, depuis longtemps intégré,
portant sa sincérité comme bannière. En
cela, La Fille de nulle part (quel beau titre
!), c’est aussi la compréhension subtile que
pour produire l'alchimie d'un cinéaste
revenant, le savoir-faire des anciens doit se
nourrir de la vigueur de la jeune
génération.
En deux scènes d’effroi extraordinaires de
vitalité, Brisseau filme des fantômes
comme un Brian De Palma ferait surgir un
tueur de femme au détour d’une scène
anodine. Plus tard, la tension dramatique
contenue dans un guéridon qui s’envole
finit d’emporter le film vers des sommets
de fantasmagorie. Bien sûr la mort est
omniprésente - douces références à Victor
Hugo et à sa défunte Léopoldine jusqu’au
tableau mortuaire final autour du corps de
Dora -, mais c’est une mort douce,
inéluctablement promise à un corps
http://www.iletaitunefoislecinema.com/critique/5774/la-fille-de-nulle-part________________
77
18 février 2013
La Bête, le tyran et l'impossible
La fille de nulle part, Jean-Claude Brisseau
L'air sérieux de Brisseau dans La fille de
nulle part, acteur et metteur en scène, ne
demande qu'une réponse adéquate de la
part de ceux qui critiquent et commentent
son film. Si l'attitude du cinéaste ne fait
visiblement guère de cas des difficultés de
production, les commentateurs semblent
n'avoir pas regardé le film tant ils
s'attardent sur celles-ci. Or, nul ne devrait
s'étonner de l'irruption aussi aisée du
fantastique dans le petit appartement
parisien qui sert de cadre quasi-exclusif à
La jeune fille de nulle part. En effet, si
l'attitude des journalistes était exempte
d'un voyeurisme malsain à la hauteur de
celui dont ils avaient fait montre en se
penchant sur les affaires au cœur
desquelles Brisseau s'est trouvé par le
passé, elle se passerait de ce qu'elle voit
comme une transformation d'un lieu banal,
qu'on sait être l'appartement du réalisateur,
en un château de conte de fées.
l'appartement. Le transport de Dora de
l'une à l'autre s'effectue si facilement, en
état de quasi-lévitation, qu'elle aurait pu
aussi bien traverser les murs au lieu de
passer par la porte d'entrée. La nature des
(dé)placements des personnages se précise
très vite, par le travail sur les raccords
entre chaque plan au sein d'un même
espace. Brisseau traite de l'assignation d'un
personnage à un espace, qui lui pose
visiblement problème, à rebours des
intenses réflexions journalistiques sur
l'incroyable débrouillardise d'un cinéaste
qui tourne chez lui. Ainsi, le cinéaste se
demande dans quel mesure Dora
s'acclimate à l'appartement, et comment
Michel se le réapproprie.
Si l'appartement de Michel est presque
immédiatement donné comme un château
de Bête « cheap », les personnages sont
moins stéréotypés qu'il ne le paraissent au
premier abord. La relation professorale qui
aurait pu s'établir entre Michel et Dora est
perturbée par la distribution de la parole
que le film met en place : chacun n'y
accède qu'à être filmé, qu'à être inscrit dans
son cadre. Être vu, c'est pouvoir
s'exprimer : le lieu auquel on est assigné
libère les mots, et on finit par croire plus
volontiers à un casting des espaces que des
acteurs. Pourtant, Brisseau ne donne jamais
le lien a priori nécessaire entre les
différents lieux dont la parole surgit :
l'appartement lui-même parle et produit des
sons, mais ne se laisse pas appréhender
comme un ensemble architecturé de
manière logique. L'assignation des
personnages à des postions géographiques
à la fois précises et défiant toute logique
évite au film un systématisme et un
Michel est un ancien professeur de
mathématiques
veuf
qui
travaille
désormais à la rédaction d'un ouvrage sur
les croyances collectives. Il accueille chez
lui la jeune Dora, victime des coups de son
ami sur son palier. A la suite de son
arrivée, Michel constate l'apparition de
phénomènes
étranges
dans
son
appartement. Dora finit par lui confesser
ses pouvoirs psychiques, et Michel lui
propose de l'aider dans la rédaction de son
livre, alors que se noue entre eux une
relation ambiguë.
Ce qui frappe d'emblée, c'est la toute
première transition d'un espace à un autre,
de la cage d'escalier à l'intérieur de
78
déterminisme de la prise de parole (le
professeur qui enseigne à la jeune fille
ingénue) et subvertit également ce qu'on
pourrait attendre d'un tel système, sa dérive
sexuelle par exemple.
Dans la deuxième partie, la question de
l'utopie et de l'illusion se pose plus
franchement. La véritable apparition du
logos, donc des discours et des discussions
politiques et philosophiques (qui sont aussi
des colloques sentimentaux verlainiens que
les fantômes de la mort viennent hanter),
vient télescoper le jeu des espaces. Le lieu
de l'action, à proprement parler, n'existe
pas, alors que l'espace des conversations se
déporte
vers
le
dialogue
des
représentations : aucun lieu n'est réel, et les
représentations peuvent tout aussi bien
trouver leur place sur un écran d'ordinateur
qui fait défiler les lieux de mémoire (au
sens qu'a donné à l'expression Pierre Nora,
c'est-à-dire tous les images, symboles, etc.
qui constituent la mémoire d'une
communauté donnée) des illusions
perdues. La métaphore de Brisseau est un
peu littérale, mais s'il en passe par le jeu
des écrans, c'est que le cinéma est le seul
capable de donner chair à l'illusion, qu'a
provoquée la croyance en l'utopie, d'avoir
aperçu un lieu où quelques effets bricolés
ont rendu possible l'improbable. L'art
poétique et politique du cinéaste, c'est de
redonner naissance, sous les décombres
des contes les plus rabâchés, aux joies du
montage le plus simple, celui qui répare le
réel en même temps qu'il invente des
fantasmes.
Jamais on ne pourra se figurer de manière
précise le plan de l'appartement, de sorte
qu'on ne sait jamais vraiment ni de quel(s)
lieu(x) il s'agit dans ce film, ni d'où on voit
ce qui s'y déroule. Non seulement les
espaces ne sont pas vraiment reliés entre
eux, mais le film raccorde lui-même
étrangement les personnages aux lieux
qu'ils occupent. Le naturalisme premier du
conte moderne (« la Belle et la Bête ») est
subverti par le fantastique qui s'y installe,
comme en témoigne un raccord qui suffit à
faire entrer Dora en lévitation au cœur
d'une scène de discussion banale : on pense
à l'épisode du tyran de Padoue dans Les
onze Fioretti de Roberto Rossellini,
lorsqu'un des frères se jette sur une échelle
de bois et que le simple passage d'un plan à
un autre le transforme en avatar de
Superman. L'appartement ne peut être
habité qu'à condition que l'investissement
de celui-ci par les personnages fasse l'objet
d'une opération fantastique, merveilleuse,
en tout cas qu'il dessine les contours d'une
utopie formelle qui ferait toujours échapper
ses personnages aux limites d'un pays,
d'une contrée, d'un logement, fussent-ils
imaginaires.
http://cassavetes.canalblog.com/archives/2013/02/18/26443384.html____________________
_
79
Un film sorti de nulle part
Voilà un film qui fera difficilement
l’unanimité, même dans sa propre
appréciation, et qui au mieux divisera, au
pire agacera. Un film que certains
pourraient traîner dans la boue mais que
d’autres pourraient en partie célébrer. JeanClaude Brisseau le concède lui-même : il a
réalisé un tout petit film, comme au temps
de ses débuts quand, avec sa première
caméra super 8, il a fait « La Croisée des
chemins ». Ce sera pourtant l’œuvre que
visionneront Pialat et Rohmer dans un
festival de films amateurs et qui lancera ce
prof de français dans la sphère
cinématographique française.
rencontre du public et de la profession.
C’est donc avec un tout petit budget (en
partie l’argent récupéré grâce au passage
télé de son film le plus connu « Noces
blanches ») que Brisseau se lance derrière
la caméra, après quatre ans d’absence et
avec un script écrit quelques années plus
tôt. Il réalise dans des conditions
complètement amateurs, dans son propre
appartement et en DV. Devant la caméra, il
dirige des comédiens non professionnels,
interprétant lui-même le rôle principal,
alors qu’il n’a jamais joué la comédie (et
que ça se voit !). Son cinéma est épuré au
maximum, avec son unité de lieu, de temps
et de personnages, ses effets spéciaux
basiques et bricolés…
Près de quarante ans plus tard, l’histoire se
répète. Le Festival de Locarno sélectionne
son nouveau métrage et le jury emmené
par le réalisateur thaïlandais Apichatpong
Weerasethakul lui décerne le Léopard d’or,
une récompense que Brisseau lui-même
n’avait pas imaginé pouvoir décrocher.
Une visibilité qui lui permettra de trouver
un distributeur et de renouer avec la
D’aucuns trouveront assurément qu’ils
n’en auront pas eu pour leur argent. Mieux
vaut en avoir conscience avant d’aller voir
cette « Fille de nulle part ». Mais tout de
même, Brisseau a plus de choses à dire que
la moitié des productions actuelles. Son
personnage principal, un ancien prof de
80
maths qui écrit sur les mythes et les
illusions, ne se rend paradoxalement pas
compte qu’il vit lui-même dans une tour
d’ivoire remplie de vieilles photos de son
épouse décédée et de toute une collection
de vieux films de cinéma. Brisseau illustre
ainsi comment nous vivons dans une
certaine existence fantasmée et illusoire…
ce qui l’amène naturellement aux
phénomènes paranormaux. Avec ces
interrogations qui troublent le cinéaste :
comment expliquer qu’ils existent même
s’ils ne sont que dans l’esprit de ceux qui
les vivent ? Faut-il convoquer sa foi, la
science ou l’inconnu ? Et si cette jeune
fille de nulle part n’était que le fruit de sa
propre imagination pour personnifier la
réincarnation de sa femme disparue ?
dans la vie du vieux monsieur. Brisseau les
sublime à la fois dans une simplicité de
moyens qui les imprègne dans le réel, et
dans des tableaux qui renvoient à
l’onirisme d’un Gustav Klimt et au
naturalisme d’un Gustave Courbet. « La
Fille de nulle part » surfe enfin sur un
ancien courant cinématographique dont
Brisseau semble nostalgique : la Nouvelle
vague. Et il s’inscrit dans son cinéma de
toujours, avec ce plaisir de filmer le corps
des femmes, de mixer le fantastique et le
social, à la manière notamment de son
long-métrage de 1991 « Céline » qui
mélange mysticisme et vie quotidienne. Ce
Léopard d’or, fait de bric et de broc,
interprété approximativement, surprendra,
déroutera, mais s’incarne comme un film
somme pour Brisseau, réalisé comme à ses
30 printemps, dans une jeunesse
cinématographique retrouvée.
Le long-métrage prend, ainsi, des airs de
film de science-fiction avec ces fantômes,
chers d’ailleurs à Weerasethakul, qui
surgissent subitement dans l’appartement
depuis que la fille de nulle part est entrée
Mathieu Payan
http://www.abusdecine.com/critique/la-fille-de-nulle-part_____________________________
81
Le premier problème du film qui
saute aux yeux et aux oreilles
dès
la
première
scène
est
malheureusement
double.
L’écriture
et
son
interprétation. L’écriture des
dialogues est très « écrite »,
manquant totalement de naturel
et de réalisme. Cet obstacle se
confronte
parallèlement
à
l’absence sidérale d’intention
de
jeu
des
deux
comédiens
principaux (et quasi uniques du
film), le résultat en est des
plus indigeste. Le texte est en
effet (et sans effet) récité
comme on lirait un livre que
l’on
découvre,
sans
être
certain de bien le comprendre.
Les
virgules,
au
mauvais
endroit, accentuent le malaise
de la non-interprétation.
s’éloigne,
puis
revient,
poignarde sa victime (poussant
des grognements inadéquats), et
enfin
repart,
sans
le
portefeuille de l’agressé…
Brisseau,
plus
adipeux
que
jamais nous plonge (une fois de
plus)
dans
sa
libidinale
obsession d’une relation entre
un vieux monsieur instruit et
une jeune fille ingénue… Là ou
« Noce
blanche »
avait
le
mérite de mettre en scène des
comédiens
qui
sauvaient
l’histoire
(Bruno
Cremer
et
Vanessa
Paradis),
ici
elle
tombe dans un ennui et un
sentiment général de malaise,
dont
seule
la
fascination
qu’elle
suscite
incite
à
rester jusqu’à la fin de cette
non-histoire.
Deuxième déception, et pas des
moindres : l’histoire. Elle se
développe dans la douleur, sans
aucuns soucis de cohérence, ni
même de crédibilité. Pour ne
citer
que
deux
exemples,
l’arrivée
d’un
médecin
débarquant les mains dans les
poches, où un voyou attaquant
l’un des personnages pour son
argent, se voyant repousser,
Quelques
citations
d’auteurs
classiques,
mixées
à
des
envolées
(à
ras
de
terre)
philosophico-existentialistes
et
ésotérico-théologiques
donnent une indication sur la
(probable)
volonté
du
réalisateur de revendiquer son
appartenance
à
un
cinéma
« intello ». Alors qu’il n’est
82
en réalité qu’un fourre-tout
dont la prétention n’a d’égal
que l’ennui et le ridicule dont
elle est le résultat.
promulguées par l’ensemble de
la presse à l’égard de cette
« Fille (de) nulle (part) »?
Là,
réside
le
seul
point
méritant
que
cette
création
engendre.
La lourdeur de la réalisation
reproduisant par moment, dans
un
systématisme
pénible
des
champs
contre-champs
mal
synchronisés n’arrivent pas à
faire oublier, ni les erreurs
de scripte, ni les problèmes de
prise de son…
Voici donc une histoire qui, ne
partant de rien, et en passant
par pas grand chose (en tout
cas rien de plaisant), arrive
tout de même, à renfort de
mauvaises
idées
et
de
maladresses, absolument nulle
part. Et ça, c’est pas rien,
puisque ça existe…
Alors
comment
expliquer
les
louanges
d’une
seule
voix
http://www.films-auteur.fr/blog/lire-article-720511-9752981la_fille_de_nulle_part_de_jean_claude_brisseau.html________________________________
83
Virginie Legeay interprète Dora dans le dernier film de Jean-Claude Brisseau.
http://lejournaldupeintre.wordpress.com/2013/02/14/la-fille-de-nulle-part-jc-brisseau/_______
84
La maison de l’image
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