Max Weber et la notion de « charisme » en sciences sociales

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Max Weber et la notion de « charisme » en sciences sociales
COLLOQUE INTERDISCIPLINAIRE
(HISTOIRE, PHILOSOPHIE, SCIENCE POLITIQUE)
Max Weber et la notion de « charisme » en sciences sociales :
contributions à l’étude de la légitimité du pouvoir
28-29 janvier 2011
Ecole Normale Supérieure (ENS) – Salle des Actes
45 rue d’Ulm, 75005 (Paris)
Colloque organisé par l’« atelier légitimation », groupe de recherche sur la
légitimation du pouvoir politique (ENS-Paris : www.atelier-legitimation.fr), avec
le soutien des départements d’histoire, de philosophie et de sciences sociales de
l’ENS-Paris et du CARPO, laboratoire de science politique de l’Université de
Versailles-Saint-Quentin-en Yvelines.
Introduction
La notion de « charisme » est largement utilisée et discutée en sciences sociales dans le
cadre des réflexions sur la légitimité et les processus de légitimation du pouvoir politique,
dans le sillage, notamment, des analyses que Max Weber lui a consacrées. Par ailleurs, il
existe – dans des disciplines comme l’histoire, la philosophie, l’anthropologie, la
sociologie politique – tout un ensemble de termes, plus ou moins conceptualisés, qui
renvoient à l’idée de « figure charismatique », tels que « grand homme », « homme
providentiel », « sauveur », « leader », qui prêtent parfois à des interprétations trop
rapides dans des configurations sociales qui s’avèrent pourtant très complexes.
L’ambition de la journée que nous présentons est donc de revenir sur ces « phénomènes
charismatiques », réels ou supposés, à travers une relecture de Max Weber, afin de
proposer un bilan des recherches passées et en cours sur la question. Il nous semblait en
effet intéressant, à l’heure où des traductions de certains travaux de Weber inédits en
français ainsi que des études sur le « charisme » ont été publiés ou sont en cours de
publication, de réunir des chercheurs issus de plusieurs disciplines pour en discuter la
pertinence.
1
Nous espérons contribuer par là au renouvellement des discussions interdisciplinaires en
sciences sociales, démarche au fondement de l’ « atelier légitimation » que nous
organisons depuis deux ans sur la légitimité et la légitimation du pouvoir. Cette journée
s’inscrit en effet dans le cadre du travail réalisé par ce groupe de recherche
interdisciplinaire, qui rassemble une dizaine de jeunes chercheurs en histoire, philosophie
et sociologie politique : c'est parce que nous avons rencontré dans nos recherches,
centrées sur des époques et des configurations très différentes, cette notion de
« charisme », qu’a surgi ce questionnement autour de l’usage et des lectures que l’on peut
encore en faire, afin d’essayer de mieux en déterminer l’intérêt scientifique mais
également les risques éventuels.
1. Quelques éléments de définition
Le mot « charisma » signifiait en grec la grâce ou la faveur attachée à une personne ou à
un acte ; il désigna par la suite un don religieux dans le christianisme primitif. C'est en ce
sens que Rudolph Sohm l’utilise, le premier, pour caractériser la qualité religieuse
exceptionnelle des prophètes de l’Ancien testament.1 S’opposant à cet usage du mot,
limité au christianisme primitif, Max Weber élargit la notion et en propose sa propre
définition : « Nous appellerons charisme la qualité extraordinaire (à l’origine déterminée
de façon magique tant chez le prophètes et les sages, thérapeutes ou juristes, que les chez
les chefs des peuples chasseurs et les héros guerriers) d’un personnage qui est considéré
comme doué de forces et de qualités surnaturelles ou surhumaines, ou au moins
spécifiquement extra-quotidiennes qui ne sont pas accessibles à tous, ou comme envoyée
par Dieu, ou comme exemplaire, et qui pour cette raison est considérée (gewertet) comme
« chef ». »2. Reprenant et généralisant un concept de la sociologie et de l’histoire des
religions, Weber l’érige ainsi en catégorie centrale de la sociologie de la domination, et
plus particulièrement, de la domination politique, jusqu’à en faire un des trois « types de
domination » qu’il distingue dans le célèbre chapitre de Economie et société3.
Depuis lors, le « charisme » est devenu une notion courante pour analyser la légitimité de
régimes politiques ou de « figures » historiques dans diverses disciplines des sciences
sociales. Weber lui-même a fait usage du concept dans ses réflexions sur la réforme
constitutionnelle de l'Allemagne, par exemple, s'interrogeant sur la nature du régime
parlementaire dans une période où celui-ci connaît une crise profonde, et sur l'héritage
politique de Bismarck. Cela déboucha sur des débats de théorie constitutionnelle, comme
celui du rôle et des limites du pouvoir exécutif et des procédures du consentement censés
en garantir la légitimité (élections, plébiscites et référendums). A partir ou contre Weber,
des penseurs aussi opposés que Carl Schmitt et Jürgen Habermas développeront leur
1
SOHM, Rudolph, Kirchenrecht, Leipzig, 1892 ; HALEY, Peter, « Rudolph Sohm on Charisma », The
Journal of Religion, 1980, n°60, pp. 185-197.
2
WEBER, Max, Économie et société, 1. Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, 1971, p. 320.
3
Ibid., ch. III, p. 285-390.
2
propre théorie philosophique de la légitimité politique4. On retrouve également le concept
dans l’interprétation historique et sociologique de phénomènes aussi divers que la
croyance au pouvoir guérisseur de certains Rois thaumaturges, comme l’a montré Marc
Bloch dans son célèbre ouvrage5, l’émergence de figures dites « charismatiques » en
période de crise (Hitler dans les années 30, de Gaulle en 1958, par exemple) ou encore
l’usage des outils de la « communication politique » dans la construction du
« leadership ».6
C'est dire si ce concept représente un outil aujourd'hui apparemment incontournable pour
les analystes du pouvoir politique, quelle que soit leur approche initiale. « Idée séduisante
ou concept pertinent ? », comme s’interroge Hinnerk Bruhns7 : le « phénomène
charismatique » n’a cessé de susciter débats et controverses autour de la traduction et de
la compréhension même de l’usage qu’en fait Max Weber8, qui rendent nécessaire un
retour sur cette notion.
2. Problématique
En effet, on peut, d’un côté, considérer que le « charisme » d’un acteur politique est
entièrement construit et qu’il est le produit d’un certain nombre d’institutions, de
pratiques sociales (comme les serments politiques, les campagnes présidentielles ou les
allocutions publiques) ou encore de configurations historiques particulières. Cette
position a parfois conduit à une remise en cause radicale de la pertinence de cette notion
pour l’étude sociologique des processus de légitimation. Si, au contraire, on considère
que le « charisme » est bien personnel, qu’il est le résultat de la rencontre de qualités
individuelles et d’attentes collectives, il reste alors à comprendre les conditions
d’institutionnalisation, de « routinisation » et de reproduction de ce « charisme »
individuel.
En définitive, la question centrale que pose le « charisme » aux sciences sociales serait de
déterminer s’il existe des « hommes charismatiques », dotés de propriétés objectives
« extraordinaires » qui pourraient les faire qualifier de la sorte, ou si le « charisme » est
toujours « situationnel »9, c'est-à-dire émergent de configurations institutionnelles et de
logiques de situation particulières.
4
DYZENHAUS, David Legality and legitimacy :Carl Schmitt, Hans Kelsen, and Hermann Heller in
Weimar Republic, Clarendon Press, Oxford, New York, 1997
5
BLOCH, Marc. Les Rois thaumaturges. Etude sur le caractère surnaturel attribué à la puissance royale
particulièrement en France et en Angleterre. Paris : Gallimard, 1983 (1ère éd. 1924).
6
KERSHAW, Ian, Hitler. Essai sur le charisme en politique, Paris : Gallimard, 1995 (éd. originale : Hitler.
A Profile of Power, Longman, Londres, 1991).
7
BRUHNS, Hinnerk, « Le charisme en politique : idée séduisante ou concept pertinent ? », Les Cahiers du
Centre de Recherches Historiques, 2000, n° 24, mis en ligne le 16 janvier 2009. URL :
http://ccrh.revues.org/index1882.html. Consulté le 24 février 2010.
8
Une des raisons de ces malentendus, en France, réside peut-être dans certaines lacunes de la traduction en
français de l’œuvre de Weber, comme par exemple la section 5 « Die charismatische Herrschaft und ihre
Umbildund » (« La domination charismatique et sa transformation ») du chapitre 9 « Sociologie der
Herrschaft » de Economie et Société.
9
Voir DOBRY, Michel. Sociologie des crises politiques. Paris : PFNSP, 1986, p. 236.
3
3. Thématiques du colloque
VENDREDI 28 JANVIER 2011
Session 1 - Pour une généalogie de la notion de « charisme » : de la religion au
politique (10h00 -12h30)
Intervenants ;
Isabelle Kalinowski (Chargée de recherche, CNRS-CSE, Paris), Le charisme :
sociologie politique et sociologie des religions chez Max Weber.
Jean-Philippe Heurtin (Professeur de science politique - Université de Versailles SaintQuentin-en-Yvelines), L'impensable charisme d'institution. Les effets théoriques de
l'interprétation protestante de l'ecclésiologie catholique.
Antoine Gailliot (Doctorant en histoire romaine, Université Paris 1), Le triomphe du
général victorieux dans la Rome républicaine : rituel, charisme, légitimité.
Session 2 – La construction de l’ « homme charismatique » (14h00-17h00)
Intervenants :
Hinnerk Bruhns (Directeur de recherches, CNRS-CRH/EHESS), Retour pratique sur la
notion de « charisme » chez Weber : à propos des cas de César et de Hitler.
Raphaëlle Laignoux (Docteur en histoire romaine, A.T.E.R. à l’Université Paris 1),
D’Octavien à Auguste : la construction du pouvoir personnel à la fin de la République
romaine.
Nicolas Mariot (Chargé de recherche, CNRS-CURAPP), Les tournées croisées des
présidents Carnot et Auriol face aux généraux Boulanger et de Gaulle sont-elles une
affaire d'inégal charisme?
Brigitte Gaïti (Professeur de science politique, Université Paris 1), Les métamorphoses
du charisme : le cas du général de Gaulle entre 1946 et 1969.
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SAMEDI 29 JANVIER 2011
Session 3 – Charisme et institutions (9h30 – 12h30)
Intervenants :
Félix Blanc (Doctorant en philosophie, EHESS, IRSEM), Max Weber, l'expérience de la
guerre et la réforme constitutionnelle de l'Allemagne: vers un "charisme institutionnel"?
Jean-Claude Monod (Chargé de recherche, CNRS-ENS), Sur le "tournant césariste" des
démocraties de masse : relectures et actualisations d'un diagnostic wébérien.
Lili Wu (Docteur en sociologie, University of Chicago) The Dilemma of Charismatic
Authority: Mao's Cultural Revolution in China.
Vanessa Bernadou (Doctorante en science politique, Université Paris Dauphine),
Réflexions sur la routinisation d’une autorité charismatique. Le cas de Nestor Kirchner
(2003-2010).
Session 4 – Bilans et perspectives critiques (14h00-17h00)
Intervenants :
Catherine Colliot-Thélène (Professeur de philosophie, Université Rennes 1), Charisme,
césarisme et démocratie chez Max Weber.
Vincent Azoulay (Maître de conférences en histoire grecque, Université Paris-Est
Marne-la-Vallée), Sous le charisme, la charis : un impensé de la théorie wébérienne ?
Michel Dobry (Professeur de science politique, Université Paris 1), Que faire du
"charisme" ? Quelques difficultés et quelques problèmes de recherche (titre provisoire)
Les organisateurs :
Vanessa Bernadou, [email protected]
Félix Blanc, [email protected]
Raphaëlle Laignoux, [email protected]
Francisco Roa Bastos, [email protected]
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