Note sur la truite de mer

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Note sur la truite de mer
BULLETIN -HMMH Dl PISCICULTURE
*
Sixième Année
N»
69
M a r s 1934
NOTE SUR LA TRUITE DE MER
P a r M. L. KREITMANN
Conservateur des Eaux el Forêts.
La Truite (Salmo irutta L.) présente des aspects divers, suivant-son-habitai. Ici, elle se confine dans les ruisseaux ; sa'taille-reste alors réduite,
sa. livrée répète la teinte des fonds sur lesquels elle vit, passant du gris
presque noir j u s q u ' a u jaunâtre, parfois même tachée c o m m e d u . m a r b r e ' :
mais, toujours, elle s'avive de points rouge vif auréolés d'orange. Là, la
Truite s'ébat dans les vastes espaces des lacs ou: des grands fleuves ; les
longs parcours influent sur sa taille ; son poids peut dépasser plusieurs
kilogrammes ; la couleur de sa robe vire du gris-bleu ou du-gris verdâtre
sur le dos à l'argenté sur les flancs et au blanc m a t sur le ventre ; des
taches noires en étoile m a r q u e n t toujours la moitié supérieure du corps,
et même les opercules et la nageoire dorsale.
' Ces deux formes de la Truite sont sédentaires ; leurs seuls déplacements
sont ceux qui, .à la fraye, poussent les géniteurs vers l'amont, à la recherche de plaques de fin gravier, dans le lit de leur-rivière d'origine, ou dans
des affluents moins t u m u l t u e u x .
Mais, côté à côte avec elles, dans le même bassin, d'autres Truites obéissent à u n instinct de lointaines migrations et, a b a n d o n n a n t dé bonne
heure leurs zones d'alevinage, elles descendent le cours des fleuves, franchissent les estuaires et pénètrent dans les eaux salées. .C'est la Truite de
mer. Ses m œ u r s rappellent singulièrement celles du Saumon, mais son
aire de distribution est beaucoup moins étendue ; elle ne fréquente-guère
que les tributaires de la m e r du Nord et de la Baltique ; elle se rencontre
encore en France-dans lés fleuves côtiers de la Manche, et elle se raréfie
au delà du Finistère.
Elle paraît se plaire aux lointains périples ; on a en effet capturé vers
les côtes allemandes des individus qui avaient été marqués, comme Truitelles, en Ecosse où cette forme abonde. La Truite de m e r interrompt
aussi assez fréquemment son séjour en mer pour séjourner par intervalles
dans les estuaires. Si l'ambiance salée excite son appétit et provoque son
développement, les incursions dans les eaux saumâtres ou mêmes douces
peuvent le ralentir et la lecture des écailles 4 la Truite de mer et par
suite la détermination de son âge et des circonstances- de sa vie ne sont
:
:
e
Article available at http://www.kmae-journal.org or http://dx.doi.org/10.1051/kmae:1934026
pas facililées par son h u m e u r vagabonde qui la fait passer trop facilement
d ' u n milieu à l'autre.
Elle se distingue du Saumon par des caractères anatomiques ; elle possède, en particulier, u n vomer dont la plaque antérieure est triangulaire
ou arrondie et porte à sa base une ligne de 3 ou !\ fortes dents et dont !a
tige est armée d ' u n e rangée de dents incurvées de part et d'autre, et rarem e n t caduques, tout au moins sur la moitié antérieure. Le vomer du
Saumon présente au contraire u n e plaque antérieure pcntagonale,
dépourvue de dents à tout âge, et une tige allongée dont les dents, rangées
en u n e ligne, tombent peu à peu presque toutes ou même toutes. Le nombre des appendices pyloriques est sensiblement moins élevé chez la Truite
que chez le Saumon.
Si l'on s'en rapporte aux caractères extérieurs d'un examen apparemm e n t plus facile, on s'aperçoit que les différences sont assez faibles. La
nageoire caudale de la Truite est découpée d ' u n trait reclilignc, tandis
que celle du Saumon est entaillée et se partage en deux lobes ; mais il
arrive que cette distinction manque de netteté. La bouche est moins
grande chez la Truite et ne dépasse guère le bord postérieur de l'œil ; il
s'agit là encore d ' u n e proportion parfois incertaine.
Les livrées sont semblables ; le dos de la Truite de mer est gris-bleuâtre,
mais sa couleur peut tirer sur le brun jusque sur les flancs, le ventre est
blanchâtre. La moitié supérieure du corps est marquée de taches noires
en étoile, mais celles-ci peuvent aussi manquer plus ou moins. Le Saumon
se parc d'une teinte foncée gris-bleu tachée de noir ; les flancs s'éclaircissent et le ventre vire à l'argenté. Les mâles des deux espèces portent, en
p a r u r e de noce, des points noirs arrondis, auréolés d'orange ; ceux-ci
sont généralement plus nombreux chez le Saumon. La déformation de la
mandibule inférieure, si caractéristique chez le Saumon mâle auquel elle
a fait donner le n o m de bécard, se retrouve, mais beaucoup moins accentuée, chez la Truite de mer.
Celle-ci, nous l'avons dit, passe sa période juvénile dans les eaux douces- ; elle se développe pendant son adolescence en mer, tantôt au large,
tantôt près des côtes et m ê m e dans les estuaires ; puis, quand elle devient
adulte et que les prémices de la maturité sexuelle se manifestent, elle
reprend en sens inversé son premier voyage et remonte les fleuves à la
recherche des frayères sur lesquelles elle pourra se reproduire.
En règle générale, ses* migrations dans les eaux continentales sont courtes ; en Allemagne, dans le Rhin, elle atteint à peine l'embouchure du
Main, alors que le Saumon, son compagnon, poursuit sa route jusqu'en
Suisse, ou plutôt la poursuivait, car rares deviennent les individus qui
peuvent encore franchir les obstacles accumulés par l ' h o m m e sur sa route
et dont le barrage de Kembs est le dernier édifié. A ce point de vue, la
Truite de mer, moins exigeante que le Saumon pour la situation de ses
frayères, ne m a n q u e pas de présenter un grand intérêt pour la mise en
valeur des fleuves qu'elle fréquente et sa propagation mériterait d'être
suivie avec attention.
Pourtant,
p l u s o n s ' a v a n c e vers l'Est, et p l u s elle r e m o n t e v e r s la tête
des-bassins
; e l l e p é n è t r e . d é j à h a u t c l a n s . l'rJlbe et l a F u l d a e t d a v a n t a g e
e n c o r e d a n s l ' O d e r o ù s a z o n e d e Ira y è r e s c o ï n c i d e a v e c c e l l e d u
Saumon.
D a n s l a V'istule, e l l e s e s é p a r e m ê m e d u S a u m o n e t c ' e s t l à u n e
situation
particulière q u e j'ai eu T o c c a s i o n d e constater r é c e m m e n t et sur
laquelle
je désirerais retenir l ' a t t e n t i o n .
L a d e r n i è r e r é u n i o n d u C o m i t é d e s E x p e r t s d u S a u m o n e t d e la
de-mer
constitué
par
le
Conseil
International
pour
Truite
l'Exploration
île
la
M e r a e u l i e u e n P o l o g n e e t j ' a i e u l ' a v a n t a g e ' d ' y r e m p l a c e r M. l e P r o f e s seur R o u l e ,
Au
empêché.
cours d'une
pittoresques
des
zoologue de
excursion
Carpathes
très intéressante
polonais,
le
dans
une
Professeur
région
Siedlecki,
l'Université jagellonienne de Cracovie,
des
le
plus
réputé
a fait p a r c o u r i r
aux
m e m b r e s d u C o m i t é la z o n e d e s f r a y è r e s d e la T r u i t e d e m e r s u r la D u n a j e c . ' C e t t e r i v i è r e est u n
affluent
d e la V i s t u l e d a n s l a q u e l l e e l l e se jette
à q u e l q u e soixante k i l o m è t r e s e n aval et à l'Est de Cracovie. D e
longueur
semblable
à leur
dans
Carpathes
et n e
•le S a u m o n ,
confluent,
toutes
paraissent
évite
la
guère
Dunajec
remonte d'ailleurs guère plus
préférence
inverse,
bifurque
deux
prennent
différer
l'une
leur
de
l'autre.
et se
maintient
haut
; la Truite de m e r ,
toujours
dans
dans
la
source
la
Cependant,
Vistule
qu'il
manifestant
Dunajec
et
à p r è s d e j'.ooo m è t r e s d ' a l t i t u d e .
fesseur
Directeur. de
Cracovie,
quentent
a vérifié
ces
deux
le s a v a n t
très . e x a c t e m e n t
rivières
et
a pu
les
l'Institut
caractères
mettre
ën
sa
Le Pro-
d'hyçlrobiologie
des
ne
une
continue
course jusque vers Zakopane,
Spiczakow,
les
poissons
cjui
évidence,. sans
de
fré-
conteste,
l e c u r i e u x p a r t a g e d e s e s p è c e s cjui s e f a i t a u c o n f l u e n t d e l a V i s t u l e et d e
la D u n a j e c ,
sans parvenir j u s q u ' à présent à en
découvrir
les causes.
En
p l u s , o n c o n s t a t e ici q u e , c o n t r a i r e m e n t à ce q u i se p a s s e d a n s les b a s s i n s
plus
occidentaux,
la Truite
de mer
dépassé
le S a u m o n
dans
sa
vers les sources ; elle p a r c o u r t p l u s de 1.200 k i l o m è t r e s d é p u i s
course
l'embou-
c h u r e d e la V i s t u l e j u s q u ' à ses f r a y è r e s et il l u i faut u n a n p o u r a c c o m p l i r
ce l o n g t r a j e t . A u s s i e s t - c e f a t i g u é e ^ p a r l e j e û n e et p a r l ' é l a b o r a t i o n d e s e s
produits-sexuels,
qu'elle parvient au terme de son voyage.
sont de belle taille ; n o u s en a v o n s vu de 7 k i l o g r a m m e s ,
poids
Les
individus
et c'est là
un
normal.
D a n s le désir d e c o n s e r v e r et m ê m e de m u l t i p l i e r cette s p l e n d i d e
de la Truite,
les l i m n o l o g u e s
de P o l o g n e
e n . p o u r s u i v e n t Ta
forme
propagation
artificielle ; il est p r o c é d é d a n s c e b u t à des p ê c h e s e x c e p t i o n n e l l e s q u i
ne
s o n t p a s s a n s e x i g e r d e s q u a l i t é s s p é c i a l e s d ' e n d u r a n c e et d ' h a b i l e t é de là
part du personnel
qui
en
est
chargé.
Les
deux pièges
que
nous
avons
v i s i t é s , à 5o k i l o m è t r e s d e d i s t a n c e l ' u n d e l ' a u t r e , é t a i e n t p l a c é s d a n s
endroits
o ù les e a u x d e la r i v i è r e s o n t
largement
étalées' en
une
les
happe
m i n c e et r é g u l i è r e . L e s g a r d e s d i s p o s e n t , d ' u n e r i v e à l ' a u t r e , u n
barrage
de claies, d o n t les brins' sont assez rapprochés p o u r s'opposer au
passage
dû
poisson
et a s s e z é c a r t é s
p o u r laisser
l'eau
s'écouler.
Ces
l i é e s à d e s p i e u x f i c h é s d a n s l e l i t de. la r i v i è r e et e l l e s s o n t
claies
sont
maintenues
^_ 2 4 4
-
inclinées par dés fourches ; celles-ci sont enlevées et les claies rabattues,
si les eaux deviennent hautes ; il n'est cependant pas rare que l'ouvrage
soit emporté et doive être refait 2 ou 3 fois au cours de la saison. La Truite
qui vient buter contre le barrage est dirigée vers l'ouverture d'une pêcherie dite « j a r d i n e t » où les gardes la capturent à la trouble. Ils pratiquent
ces diverses opérations en marchant dans l'eau et la froidure d ' u n
a u t o m n e précoce ne paraît pas les émouvoir ni les empêcher d'exercer
leur surveillance de jour et de nuit, sur la rive, dans une baraque ouverte
à tous les vents.
Les poissons capturés sont transportés vivants dans les établissements
de pisciculture où ils sont entreposés dans des bassins j u s q u ' à leur maturité sexuelle. Nous avons visité ceux de Nowy Sacz et de Nowy Targ où la
plus aimable hospitalité nous a été offerte par le Fishing Club de Pologne
et son Président, le Professeur Juljan N o w a k . Chacun de ces établissements contient u n certain nombre de bacs d'incubation et. d'alevinage
des types habituels et peut traiter de 1 à 2 millions d'œufs ; mais un
meuble qui frappe la vue dès l'entrée et qui est tout à fait inattendu, est un
énorme poêle de faïence, nécessaire dans ces régions où les rigueurs de
l'hiver provoqueraient un gel néfaste si elles n'étaient tempérées. La récolte
qui assure l'approvisionnement en omfs est assez variable ; car la capture
des géniteurs passe de 35 à 3oo individus suivant les années ; la hauteur
des eaux, l'aménagement des barrages et l'habileté des gardes interviennent pour beaucoup dans la réussite de la campagne de pêche et, de
toute façon, u n grand n o m b r e de sujets échappe aux engins et va s'installer sur les frayères naturelles.
Au cours de son long voyage de la Baltique aux Carp'alhes, la Truite-de
m e r est exposée aux risques de la pêche ; mais c'est surtout à l'embouchure d e , l a Vistule que les filets sont les plus meurtriers pour elle. La
propagation artificielle dont nous venons de parler s'efforce de remédier
à ces abus ; son utilité est incontestable quand il s'agit de repeupler des
eaux dont la Truite est absente ou qu'elle a abandonnées ; le réempoissonnement très réussi de la Raba en est une preuve évidente. Cependant, les
frais de telles opérations restent très élevés, même dans u n . p a y s où
la m a i n - d ' œ u v r e est très peu coûteuse, et l'on est en droit de se demander
si u n e réglementation restrictive dans les eaux de l'Etat libre de Dantzig
n e pourrait aussi bien contribuer au maintien et même au développement
de la Truite de mer dans toute l'étendue du bassin de la Vistule.
Quoi qu'il en soit, en présence de l'intérêt et de l'importance que présente la pêche de la Truite de mer en Pologne, il nous a paru opportun
d'appeler l'attention sur ce poisson. Sa propagation pourrait être poursuivie utilement clans les fleuves côtiers de la Manche qu'il fréquente, pour,
la meilleure mise en valeur de leurs eaux et pour la plus grande satisfaction des pêcheurs.
p

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