La noblesse en France au XVIIe siècle
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La noblesse en France au XVIIe siècle
Conclusion chapitre 2 « La noblesse en France au XVIIe siècle » Problématique : En quoi la vision idéalisée d’une noblesse fermée puisant ses origines dans des temps immémoriaux et la défense du royaume est-elle moins opérante en France au 17e siècle ? La noblesse est l’un des trois ordres de la société d’Ancien Régime représentant, d’après les estimations les plus récentes, 1 % de la population française en 1700 (234 000 individus). Ce pourcentage recouvre des disparités régionales importantes : certaines zones du territoire comptent une proportion supérieure de nobles (2,5 % des habitants de la Normandie), d’autres au contraire rassemblent un moindre nombre de familles nobles (0,43 % des habitants sont nobles dans la généralité d’Amiens) ; la variation peut donc être de 1 à 5. Quoi qu’il en soit, les nobles sont toujours très minoritaires. Quelle que soit l’ancienneté de leur noblesse, les nobles se distinguent du reste de la population par des privilèges et avantages. Ces privilèges sont honorifiques (marques de noblesse, préséances), ils comportent des droits économiquement utiles (dispense du logement des gens de guerre, privilèges fiscaux, carrières réservées au service de l’État, dans l’armée ou l’Église) et permettent de bénéficier d’une justice réservée (tribunaux et peines) comme d’un régime spécifique pour les successions (partage noble). Pourtant, derrière l’unité apparente ce sont bien plus des noblesses qui cohabitent au sein du second ordre, noblesses qui tantôt s’affrontent et expriment des formes de rivalité, tantôt s’allient, notamment en nouant des liens patrimoniaux et matrimoniaux. La première opposition au sein de la noblesse tient à l’ancienneté des familles. Les familles de noblesse ancienne, de gentilshommes de nom et d’armes, dont la noblesse remonte à des temps immémoriaux se considèrent seules comme porteuses des vraies vertus nobiliaires. Elles continuent de donner leur fils à l’armée, souvent le cadet des garçons survivant, dans laquelle il exerce des fonctions de commandement auxquelles il a, au mieux, été formé auprès d’un autre noble (éphémère expérience des compagnies de cadets à l’époque de Louis XIV). Ces familles s’efforcent, tant que la situation patrimoniale le permet, de préserver ce qui est considéré comme la pureté du sang noble en privilégiant l’homogamie. Les anoblis, qu’ils l’aient été par lettre patente ou par l’achat d’un office anoblissant, continuent d’être considérés par bien des familles de vieille noblesse comme des sortes d’usurpateurs ne méritant pas, sauf dans les cas exceptionnels de ceux qui auraient fait preuve par les armes des qualités du bellatores, d’être considérés comme nobles. Quant aux familles qui se sont illégalement agrégées à la noblesse depuis le XVIe siècle en profitant de l’anoblissement taisible, elles sont, à partir de l’édit sur les tailles d’Henri IV, puis avec les avertissements prononcés par Louis XIV, et enfin grâce aux enquêtes de noblesse diligentées par l’État à partir de 1667, destinées à réintégrer le Tiers État (elles redeviennent taillables, paient des pénalités, et perdent les autres privilèges et avantages nobiliaires dont elles bénéficiaient). Les réunions des états généraux avaient montré le peu d’enthousiasme des représentants des trois ordres à voire évoluer, par sa composition, le second ordre. L’aide apportée par des familles nobles ou bourgeoises prêtes à dénoncer les faux nobles ont confirmé le souhait des nantis de ne pas modifier fondamentalement le second ordre. Malgré les oppositions fortes entre les familles d’ancienne noblesse et les anoblis, les rapprochements sont cependant de plus en plus fréquents au cours du XVIIe siècle. Les Parlements sont à cet égard exemplaires. Le service de l’État rapproche les héritiers des familles d’ancienne noblesse et les anoblis. Pour ces derniers, de véritables stratégies ont permis d’acquérir la noblesse, parfois sur plusieurs générations : degré par degré, les ancêtres se sont rapprochés de l’état noble en exerçant la noblesse de cloche, en envoyant leur fils servir par les armes, en achetant des offices toujours plus coûteux mais prestigieux, en leur 1 permettant d’épouser des filles issues de familles anciennement nobles. De fait, pour redorer le blason de lignages endettés, voire désargentés, la mésalliance avec une riche héritière issue d’une famille de noblesse récente, voire une roturière fortunée, devient très fréquente. Le second type de clivage au sein de la noblesse, tient au niveau de fortune des familles nobles, niveau de fortune qui s’avère extrêmement variable et qui conduit à des degrés d’influence très contrastés. Ces niveaux de fortune sont en partie liés aux hiérarchies existant au sein de la noblesse. Les familles de la haute noblesse - membres de la famille royale, d’une famille princière réputée étrangère, d’une famille de duc et pair -, peu nombreuses, peuvent, en raison de leur richesse préservée par des stratégies matrimoniales très raisonnées, adopter un mode de vie envié, leur permettant d’entretenir de nombreux fiefs (cf. la famille de Condé), de vivre une partie de l’année à la cour, y compris lorsqu’elle est implantée à Versailles. La noblesse seconde est constituée de familles aux revenus beaucoup plus hétérogènes. La petite noblesse, dont l’origine peut être immémoriale, compte dans ses rangs bien des familles modestes, certaines à la limite de la pauvreté. L’idéal du vivre noblement, s’il reste partagé par l’ensemble des familles nobles, n’est de ce fait pas une réalité pour un bon nombre de nobles, et, pour bien d’autres, ce n’est qu’une pâle déclinaison du modèle. Seule une partie de la noblesse peut entretenir le(s) château(x) familial(aux), l’embellir, le modifier suivant la mode, disposer de beaux jardins, aménager les bois environnants pour profiter de belles allées. Seule une partie de la noblesse peut y vivre une partie de l’année en y pratiquant à souhait les loisirs nobles, notamment la chasse à courre, en compagnie des seigneurs du voisinage. Seule une partie de la noblesse peut vivre tantôt sur ses terres à la campagne entourée d’une abondante domesticité, tantôt, lorsque la saison devient rude, s’installer à la ville dans un bel hôtel particulier. Seule une partie de la noblesse peut donner à ses fils une instruction soignée, réclamant des précepteurs aptes à former les jeunes esprits aux humanités, au latin et au grec, à l’histoire de l’Antiquité et à l’histoire de France, aux mathématiques et au dessein, à l’apprentissage d’une ou de deux langues étrangères, ou encore payer des gages à des professeurs de musique et de danse. Seule une partie de la noblesse peut garantir à ses filles une instruction de bon niveau en les envoyant dans les couvents les plus réputés, mais aussi les plus coûteux. La création de la Maison Royale de Saint-Cyr est pour l’instruction et l’éducation des filles issues de la noblesse ancienne pauvre une nouvelle opportunité de faire un meilleur mariage lorsqu’elles en sortent à vingt ans dotées. Le mode de vie noble idéalisé, mis en scène par le théâtre, les nouvelles ou les romans, ou encore dans la peinture, occulte la vraie vie de bien des seigneurs que nous connaissons grâce à de nombreuses sources (inventaires après décès, contrats de mariage, diaires, mémoires, etc.). Une partie des seigneurs doivent, par nécessité économique, cultiver leur domaine, ou au moins quotidiennement le diriger, ou se consacrer à des activités industrielles nobles, comme verrier ou maître de forge. Certains, pour améliorer la situation financière de la famille, se lancent dans le grand commerce désormais compatible avec la noblesse, même si ce sont plutôt des anoblis ayant pratiqué le grand commerce qui continuent d’investir dans ce domaine à la fin du XVIIe siècle. Les frontières sont donc moins nettes qu’il n’y parait au premier abord, d’autant que la situation de la noblesse évolue considérablement entre le XVIe et le XVIIe siècle. La noblesse s’ouvre en effet à cette époque où les rois de France Henri IV, Louis XIII, Louis XIV anoblissent pour récompenser les fidèles qui les ont servis dans des périodes de troubles, pour attirer au service de l’État les plus instruits et les plus talentueux, ou encore pour des raisons budgétaires. Au XVIIe siècle, la noblesse française est donc l’héritière d’une longue tradition liant l’ordre à la fonction du Bellatores et à une image idéalisée du vivre noblement. Pour autant, le 2 XVIIe siècle est une époque de transition où la composition de la noblesse évolue considérablement. Les rois de France contrôlent désormais beaucoup plus étroitement le processus d’anoblissement, dès lors qu’ils sont décidés à lutter contre l’agrégation taisible. Ils le contrôlent aussi dans la mesure où ils sont à l’origine de la noblesse que ce soit en l’accordant par lettres patentes ou par la vente d’offices anoblissant. L’ouverture de la noblesse, la fluidité du second ordre (on peut en sortir dès lors que l’on pratique une activité dérogeante ou quand une enquête de noblesse conduit à prouver qu’il y a eu usurpation de noblesse ; on peut y entrer par achat d’un office anoblissant ou par l’obtention de lettres de noblesse) est profondément liée à des impératifs budgétaires royaux et la construction de la monarchie absolue. D’une part, dans un contexte de guerre récurrent, les rois de France contrôlent le processus d’anoblissement pour alimenter le budget de l’État par l’impôt (en remettant à la taille ceux qui avaient profité de l’agrégation taisible) ou par des rentrées d’argent exceptionnelles (vente d’offices anoblissant, obtention ou confirmation de la noblesse à condition de verser une somme d’argent importante). D’autre part, ils construisent l’État moderne en recrutant les plus talentueux, les plus éduqués des roturiers, grâce à la perspective de l’anoblissement, alors même que ces recrutements permettent de rendre effectif le contrôle du processus (les enquêtes de noblesse ne peuvent être menées que grâce à l’administration rigoureuse des généralités par les intendants). Le second ordre, bien qu’il évolue considérablement au cours du XVIIe siècle, bien qu’il soit plus étroitement contrôlé et soumis au pouvoir royal (échec de la Fronde, haute noblesse évincée du pouvoir politique avec la construction de la monarchie absolue) continue d’exercer une influence essentielle sur la société d’Ancien Régime. Cette influence est économique, religieuse et culturelle. Le budget de l’État est contraint par les privilèges fiscaux dont bénéficient la noblesse (exemptions fiscales notamment de taille ; l’instauration de la capitation est une révolution fiscale surtout en ce qu’elle touche à un privilège de la noblesse plus que par son incidence très relative sur le budget de l’État) et par les pensions que versent le roi. En même temps, la noblesse la plus fortunée contribue à faire vivre directement des pans entiers de l’économie, notamment du luxe (soierie, production des manufactures) et indirectement, comme médiateur culturel (puisque les goûts de la noblesse sont copiés par les roturiers les plus fortunés). L’influence religieuse demeure centrale. Si une partie de la noblesse a pu être tentée par le protestantisme (jusqu’à un quart des nobles beaucerons ; de grandes familles acquises comme les Condé) et contribuer à sa diffusion en France au XVIe siècle, son enracinement finalement dans le catholicisme, son adhésion à la Contre-Réforme, ont joué non seulement en faveur de conversions au catholicisme, mais aussi à la décision de révoquer l’édit de Nantes. De fait, les familles nobles les plus influentes alimentent le haut clergé qui entoure le roi. Ce haut clergé français, outre son adhésion à la Contre-Réforme, affirme son gallicanisme (déclaration des quatre articles). L’influence culturelle enfin est incontestable. Au XVIIe siècle, l’instruction de la noblesse a considérablement progressé par rapport au XVIe siècle, elle participe à la diffusion des idées, soutient, à côté du mécénat royal, la production artistique, diffuse la mode vestimentaire, de nouveaux types de comportement définis à la cour (savoir être, alimentation). La pratique du clientélisme à laquelle toute la noblesse se voue, quelle que soit sa place dans la hiérarchie nobiliaire, contribue à assoir son emprise sociale. Les clients des nobles les suivent dans leurs pratiques aussi diverses soient-elles et démultiplient ainsi leur influence. Le second ordre, aussi peu nombreux soit-il numériquement, bien que sa composition ait évolué au cours du XVIIe siècle, bien que les activités auxquelles il se livre se soient diversifiées, occupe au sein de la société d’Ancien Régime, une place toute particulière lui permettant d’exercer influence considérable. 3