Un mariage clés en main

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Un mariage clés en main
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Reportage
Migros Magazine 16, 19 avril 2005
«Préparer un mariage, c’est comme bâtir une maison dont nous serions
les architectes. Nous faisons appel aux meilleurs artisans.»
Un mariage
clés en main
A Genève, Noëlle et Philippe Marozeau sont organisateurs
de noces. Reportage sur les traces d’une profession nouvelle:
le «wedding planner».
n ce début d’après-midi, les
rayons du soleil frappent sur les
volets verts du château surplombant le lac Léman. «A moyen
terme, nous aimerions l’utiliser pour les
réceptions que nous organisons», espère
Philippe Marozeau, en se promenant dans
le parc. Derrière lui, trois éléphants taillés
dans le lierre semblent marcher en file
indienne. Une folie du jardinier? Non, le
décor d’un mariage en Italie. Avec Noëlle,
son épouse et associée, et ses deux enfants,
il habite, à quelques pas d’ici, l’ancienne
maison du gardien, une ravissante chaumière à un jet de pierre des écuries et de
l’orangerie.
E
Ils réalisent tous vos vœux
Nous sommes à Vandœuvres, dans la très
chic banlieue genevoise. Auprès des fondateurs de Mariage sans soucis, une société spécialisée dans l’organisation de
noces clés en main. Vous désirez vous marier? A votre place, ils dénichent l’église
dont vous rêviez, engagent le traiteur qui
bluffera vos invités et recrutent un DJ qui
saura davantage s’intéresser à ses platines
qu’aux bouteilles de la réserve. Louer des
chevaux blancs, faire venir de Bavière un
bar sculpté dans la glace, demander l’autorisation de tirer un feu d’artifice ou faire
confectionner une fontaine en chocolat?
Autant de vœux, parfois saugrenus, que
les Marozeau réalisent sans rechigner.
«Aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, les futurs mariés font très souvent
appel à des ‘wedding planners’. Cela commence seulement ici», explique Noëlle,
une fois installée dans le salon de leur maison. Philippe confirme: «A nos débuts, en
2004, nous avions une majorité de clients
étrangers. Aujourd’hui, la plupart des couples faisant appel à nous sont suisses.»
Les Marozeau ont eu du flair en reprenant l’idée anglo-saxonne. Cette année, ils
organiseront une vingtaine de mariages.
Chacun demande des mois de préparation.
Le jour J, Philippe et Noëlle assistent à la
soirée depuis les coulisses pour s’assurer
que tout se déroule selon un timing extrêmement précis. Ainsi les mariés peuventils s’adonner complètement à leurs invités. Pas besoin de se charger de l’intendance ou de gérer les impondérables.
«Lorsque mon frère s’est marié, précise
Philippe, j’étais tellement occupé à superviser la cérémonie et le repas que je ne l’ai
pas entendu prononcer le fameux oui. Ce
jour-là, j’aurais bien voulu qu’il ait engagé
un ‘wedding planner’.»
Intimité partagée
Dans leur living, les Marozeau accueillent
les clients. «Etant donné que nous allons
partager leur intimité, ajoute Noëlle, il est
important que nous dévoilions aussi la
nôtre. Ainsi, nous pouvons créer une relation de confiance.» Sur les canapés, entre
les photos de leur mariage et la télévision,
le couple reçoit aussi les différents prestataires. Aujourd’hui, le représentant d’une
société spécialisée en éclairage vient leur
Vous désirez vous marier
sans vous prendre la tête?
Noëlle et Philippe, ici en
présence d’un modèle,
s’occupent de tout.
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proposer divers systèmes de luminaires
ou d’écrans géants. Philippe Marozeau
montre un intérêt pour un générateur
d’électricité peu bruyant et ne dégageant
aucune odeur de gasoil, à l’inverse du
dernier qu’il avait loué. «En pleine fête,
j’ai dû aller à une station-service acheter
de l’essence.»
Le bouquet de la mariée, ce bijou
Pas le temps de regarder les catalogues en
détail. Philippe a rendez-vous avec une
fleuriste à Coppet. Il saute dans sa voiture.
En chemin, il raconte: «J’aime travailler
avec des jeunes qui en veulent et qui acceptent de travailler les week-ends.»
Barbara Séquin est de ceux-là. Dans le
vieux village de la commune vaudoise,
elle assemble fleurs et feuillage en sculpture. Avant chaque mariage, elle se rend
dans l’église et le restaurant sélectionnés
afin de connaître les tonalités chromatiques des lieux. Puis elle rencontre la
future épouse. «Le bouquet de la mariée
est un bijou. Sa forme et ses couleurs
doivent correspondre à la taille et au teint
de celle qui le portera.» Philippe Marozeau
approuve, avant de reprocher à la fleuriste
le fait que les bougies des compositions
florales du dernier mariage se sont consumées trop rapidement. Sans doute parce
qu’elles étaient trop jeunes. Par chance, les
mariés n’ont rien remarqué.
«Se marier, c’est un peu comme bâtir
une maison dont nous serions les architectes. Nous faisons appel aux meilleurs
artisans», analyse Philippe Marozeau. La
journée s’achève à 17 heures, avant de
recommencer de plus belle le lendemain.
Rendez-vous est pris à 9 heures au restaurant du Parc des Eaux-Vives, à Genève.
Une maison de maître déroulant jusqu’au
Pour une
fête réussie,
il faut
compter
au moins
200 francs
par invité,
selon
Mariage sans
soucis.
Robe non
comprise.
lac sa pelouse bordée de vertigineux cèdres.
Ici, le couple organise, exceptionnellement, un anniversaire. Le chef du restaurant, un décorateur spécialement engagé
pour l’occasion et Philippe Marozeau ont
rendez-vous avec leur client, un homme
d’affaires genevois. Il s’agit de mettre en
place les tables et de faire en sorte que le
menu prévu s’allie aux décorations imaginées. Chaque détail compte. La presse,
elle, restera éloignée des stucs dorés des
salons particuliers. Discrétion oblige. On
Conseils pour réussir son mariage
Devenus experts ès mariages,
Noëlle et Philippe Marozeau
distillent ici leurs bons
conseils:
1. Préparez toujours le
mariage dans la bonne
humeur afin d’éviter toute
dispute dans le couple.
2. Etablissez en priorité la
liste des invités. Elle sera
déterminante pour le choix de
l’endroit.
3. Comptez idéalement un
temps de préparation de dixhuit mois. Vous pourrez ainsi
réserver l’abbaye de
Romainmôtier ou la terrasse
du petit palais du Montreux
Palace.
4. Etablissez un plan de
table. Très difficile à réaliser,
un bon plan s’avère toutefois
un élément indispensable
pour un mariage réussi.
5. N’oubliez pas que le
mariage est avant tout la fête
des mariés, pas celle des
parents ou des amis. Restez
ferme face aux désirs de
madame votre mère qui veut
inviter ses copines.
6. Demandez une petite
enveloppe à la place d’une
liste de mariage. Vous pourrez
rembourser une partie des
frais. Pas très romantique
mais financièrement
intéressant. De toute façon,
vous avez déjà trois woks.
murmure toutefois que le budget dépasse
celui d’une fête traditionnelle.
Noëlle rejoint son époux. Ensemble,
ils filent dans les bureaux de One FM, où
ils sont attendus pour enregistrer une
publicité. «Nous bénéficions du soutien
de la Fondation Genilem qui aide certaines entreprises à leurs débuts, notamment
en offrant des messages publicitaires»,
explique Philippe.
Les rendez-vous s’enchaînent
«Oh mon amour, enfin mari et femme»,
susurre Noëlle, avec un accent mi-espagnol, mi anglo-saxon trahissant ses origines vénézuéliennes et américaines. «Oui
mon sucre...», répond Philippe la bouche
collée au micro. Vingt secondes pour dire
l’essentiel! Lionel Demander, animateur
et producteur, les aide à poser leurs voix.
Malgré la difficulté de la langue française, Noëlle maîtrise le sujet. Journaliste
de profession, elle a présenté les nouvelles collections des couturiers sur CNN.
A peine la dernière phrase enregistrée,
le couple saute dans sa Smart. Direction
l’hôtel Epsom où Lawrence Simmons, responsable des mariages, les attend. But de
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Philippe en
discussion avec une
fleuriste: le bouquet
de la mariée doit
s’accorder au décor.
Noëlle et Philippe
Marozeau
visitent les hôtels et
jugent le confort
d’une chambre.
la rencontre: visiter des chambres que
Mariage sans soucis pourra préréserver
pour les invités de leurs clients. Les Marozeau filent finalement au Jade, qui appartient au même groupe, pour une visite
éclair. Cinq minutes pour faire ouvrir une
chambre, scanner, analyser l’espace dans
les moindres détails. Philippe a l’œil des
professionnels. Il a étudié à l’Ecole hôtelière de Lausanne.
Le rythme s’accélère. Il faut encore
aller voir la suite dite africaine du Royal,
établissement dans lequel Matt Damon a
récemment séjourné. Les Marozeau pressent le pas. Par chance, les trois hôtels sont
dans le même quartier. Dans le hall, l’ascenseur tarde. L’impatience se lit sur les
visages. Arrivé au dernier étage, Lawrence
Simmons leur ouvre l’appartement: deux
grandes pièces au lourd tapis zébré. Des
scènes de safari sont accrochées aux parois. Plus loin, une salle de bains dont
Noëlle tombe immédiatement sous le
charme. «C’est exactement ce que je veux
pour la maison.»
Ici aussi, tout se passe très vite. On inspecte, on inventorie, on ausculte. Jusqu’à
tester la tendreté du matelas.
En moins de temps qu’il ne faut pour le
dire, tout le monde redescend et les Marozeau s’élancent en direction d’Annemasse.
Ils sont attendus dans une boutique de
robes de mariée. «En général, nous ne nous
chargeons pas du choix de la robe. C’est
trop personnel. Nous nous contentons
donc de fournir de bonnes adresses. La
future mariée sait tout de suite lorsqu’elle
a trouvé le bon modèle, car des larmes lui
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montent alors aux yeux», assure Noëlle.
Après une vingtaine de minutes de trajet, la
voiture s’arrête dans une rue marchande de
la ville française. Un clochard mendie,
assis sur le sol. A deux pas du magasin
pour princesses d’un jour.
A l’intérieur, logiquement, le blanc
domine. L’an passé, la tendance était au
bordeaux. En 2005, les créateurs lui préfèrent l’or et le cuivre. Avec ou sans falbalas,
tous les modèles ont l’avantage d’être bon
marché, environ 30% de moins que de
l’autre côté de la frontière. «Une cliente
sur deux vient de Suisse, commente
Josiane Pernet, la gérante d’Inoui. Pas
seulement de Genève.»
Après des essayages sur un modèle, le
couple repart en direction de Vandœuvres
pour accueillir Michel* et Julie* qui se
passeront la bague au doigt en mai. «Nous
avons fait appel à Mariage sans soucis, car
nous n’avions pas le temps ni l’envie de
tout organiser», déclare Michel, un trentenaire travaillant dans le commerce. Nous
n’en saurons pas plus, le futur couple
Pierre Wuthrich
préférant rester discret.
Photos Aimée Hoving, Anoush Abrar
*Noms connus de la rédaction.
Infos: www.mariage-sans-soucis.com
Lisez la suite de notre dossier sur:
www.migrosmagazine.ch
Le marché du mariage
en Suisse
Chaque année, 40 000 mariages sont
célébrés en Suisse. Ils généreraient un
chiffre d’affaires de 3,6 milliards de francs
(en comptant les cadeaux offerts, les nuits
d’hôtel, etc.) et toucheraient directement ou
indirectement quatre millions de Suisses,
selon le magazine romand «Se marier».
Philippe Marozeau estime qu’un ratio
inférieur à 200 francs par invité devient
difficile pour organiser un mariage, même
modeste.
Mariage sans soucis demande un cachet
équivalent à 10% des frais, pour un minimum de 3000 francs. En 2005, le plus gros
budget de la société s’élève à 180 000
francs.
L’Office fédéral de la statistique estime
que 40% des mariages de 2002
se termineront par un divorce. Comme la
moitié des divorcés se remarient, il y a
encore du boulot pour Mariage sans soucis.
Sources: Office fédéral de la statistique, «Se marier».