Les conscrits, une amitié « inoxydable »
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Les conscrits, une amitié « inoxydable »
V ILL E F R ANC HE TR ADITION Les conscrits, une amitié La fête des conscrits de Villefranche a lieu le dernier week-end de janvier. Au-delà des festivités, les conscrits appartiennent à un véritable réseau de fraternité. « B eaucoup de fraternité, beaucoup d’entraide et une amitié inoxydable. » Au-delà des mots, l’adage de Claude Sonnery, président de l’interclasse générale de Villefranche se vérifie dans la réalité : « L’entraide est de toute nature : ça peut aller du déménagement au coup de main pour les vendanges. » En bref, « tout ce qu’une personne peut faire pour ses amis ». Parmi ces choses qu’un ami peut faire, donner un petit coup de pouce pour trouver du travail. Demandez autour de vous et l’on vous répondra : « C’est bien connu, avec le réseau de conscrits, on peut trouver du travail. » On a eu beau chercher, impossible de trouver une personne pour témoigner. Mais pour le président de l’interclasse générale, c’est un fait avéré : « Si quelqu’un perd son travail, nous serons là pour l’aider. Il faut que cette personne soit de bonne volonté, sérieuse, corresponde au profil. Être conscrit ne signifie pas automatiquement qu’on aura du travail, cela peut aider pour avoir un entretien d’embauche par exemple. » } Dans la vague, on ne voit pas le patron et l’employé ~ Claude Sonnery L’esprit conscrit se traduit aussi par la mixité sociale qui existe au sein des classes : « On se retrouve un peu comme si on partait pour le service militaire, assure Claude Sonnery. Dans la vague, avec l’uniforme, on ne voit pas l’avocat, l’ouvrier, le patron et l’employé ; tout le monde se tutoie. L’unifor- n Pour Claude Sonnery, « l’uniforme nivelle les classes sociales ». Photo d’archives Pier me nivelle les classes sociales. » Si tout au long de l’année, l’entraide et la solidarité sont de mises entre les conscrits, au moment de la fête ces valeurs sont mises en avant. Comme les vendredis de fête des conscrits : « Depuis 1983, nous allons dans les maisons spécialisées où vivent des personnes handicapées. »* Ils vont aussi à la rencontre de leurs conscrits dans les maisons de retraite pour offrir cocardes et bouquets : « On a beau faire la fête, on n’oublie pas ceux qui ont des soucis, confie Claude Sonnery. On ne ressort pas indemnes de ces visites, c’est souvent chargé en émotion. Quand on voit le bonheur de ces personnes devant notre bouquet ou la cocarde, cela suffit à notre propre bonheur. » Laura Steen * Vendredi 29 janvier, à 14 heures : visite dans les centres pour personnes souffrant de handicap ; samedi 30 janvier, à 10 h 30 : visite dans les résidences pour personnes âgées. REPÈRES Le 31 janvier, la Calade verra déferler sa 122e vague de conscrits n 1798 Mise en place par la loi de JourdanDebrel, la conscription (et le service militaire obligatoire) naît en 1798. n 1805 Le système du tirage au sort est mis en place. Il est organisé dans chaque chef-lieu de canton. n 1850 La veille du tirage au sort, un grand banquet des conscrits est organisé. Des agapes qui se terminent au petit matin : deux Caladois se présentent alors à l’Hôtel de ville, tout de noir vêtus et haut de forme sur la tête. n 1879 www.leprogres.fr Première retraite aux flambeaux. n 1880 La fête s’étoffe avec les 40 ans. En 1884, les 60 ans font de même, puis les 30 ans en 1887, les 50 et 70 ans en 1888. n 1894 La première vague se tient dans les rues. n 1905 L’État décide de supprimer le tirage au sort et par la force des choses, la fête des classes. La Calade se mobilise. n 1910 La première amicale de classe naît. n 1921 Les 20 ans décident de porter le bouquet aux conscrites. Elles auront toutes droit à un bouquet à partir de 1946. n 1945 Toutes les classes adoptent le ruban de couleur pour orner le gibus. n 1947 Création de l’interclasse générale. n 1994 La charte des conscrits de Villefranche est rédigée pour aider les classards dans l’organisation de la fête. n 2011 La marque « conscrits » est déposée. 69B « inoxydable » IDÉES REÇUES « Les conscrits, c’est pour les riches » « On estime que les conscrits, ça coûte le prix d’un paquet de cigarettes par mois », souligne Claude Sonnery. Il insiste : « L’un des principes des conscrits est la solidarité. Si l’un de nous ne peut pas payer pour telle ou telle chose, certains paient plus, discrètement. Ce geste est complètement désintéressé. » « Les musulmans n’ont pas leur place dans la vague » Il est vrai qu’entre le banquet aux couleurs beaujolaises et la traditionnelle messe du souvenir, on peut se dire que les musulmans n’ont pas leur place chez les conscrits. La réponse de Claude Sonnery est sans appel : « J’en connais de la 79 et de la 72. Aujourd’hui, nous n’avons pas de nouveau membre de confession musulmane. Peutêtre que les conscrits véhiculent une image faussée ou tout simplement ils ne souhaitent pas participer. » Et d’ajouter : « C’est vrai que pour les banquets, il y a du porc, il y a de l’alcool. Mais tout le monde est le bienvenu. » n « Tout le monde est le bienvenu », selon Claude Sonnery. Photo Frédéric CHAMBERT « Si on n’est pas du Beaujolais, on ne peut pas entrer dans une amicale » S’il est difficile en règle générale d’intégrer un groupe (quel qu’il soit) formé il y a longtemps, les conscrits ont cette image de cercle fermé. Une mauvaise image selon Claude Sonnery : « Tous les ans, la mairie organise une soirée à l’Atelier avec toutes les classes d’une année donnée. L’occasion pour les nouveaux habitants de nous rencontrer. » En outre, il est possible de s’informer sur les conscrits en mairie ou à l’Office de tourisme. « Nous ne pouvons pas aller chercher tout le monde mais n’importe qui peut venir, notre porte est grande ouverte. » rre AUGROS Les conscrits, une histoire d’hommes ? Les conscrits caladois seraient-ils misogynes ? La question se pose : les femmes défilent partout dans le Beaujolais… sauf à Villefranche. Berceau des conscrits, la Calade est restée très fidèle à la tradition. En effet, lors de l’instauration du service militaire en 1798, seuls les hommes, âgés de 20 à 25 ans étaient appelés à s’enregistrer auprès des services municipaux. Et il faudra attendre l’année 1921 pour que les conscrites prennent part à la fête… mais seulement par le biais d’un bouquet offert par leurs conscrits. Aujourd’hui encore, la vague est 100 % masculine. « La fête des conscrits et non la fête des classes » Pour Claude Sonnery, président de l’interclasse générale de Villefranche, ce n’est pas tant de la misogynie que le respect de la tradition : « L’origine de la fête, c’est l’armée. Nous faisons la fête des conscrits et non la fête des classes. » La différence de vocable, si infime soit-elle, 69B n Bien ancrée dans la tradition, la fête des conscrits de Villefranche ne verra sans doute pas de femme défiler avant longtemps Rue Nationale. Photo archives M JEGAT implique donc une participation autre des femmes dans les autres communes du Beaujolais, célébrant la fête des classes : le « conscrit » étant ce jeune homme inscrit sur les registres du service militaire et la « classe » désignant l’année de naissance (tout sexe confondu). Claude Sonnery indique toutefois que les femmes prennent part de diverses manières : les conscrits offrent toujours un bouquet à leurs conscrites, et durant les demi-décades, elles participent aux voyages et autres événements organisés par la classe : « Il y a toujours une bonne ambiance, souligne-t-il. Tout le monde s’apprécie. » Cependant, avoue-t-il, « il y a des irréductibles », qui estiment que l’esprit conscrit changerait si les femmes prenaient part à l’ensemble des festivités : « Les hommes agissent différemment ou ont un état d’esprit différent lorsqu’ils sont seuls ou lorsqu’ils sont en compagnie de leur épouse ou de femmes en général. » Enfin, le président de l’interclasse générale rappelle que les conscrits de Villefranche vont entamer courant mars les démarches pour inscrire les conscrits au patrimoine culturel immatériel de L’Unesco. « La fête des conscrits existe depuis 1850, elle a toujours été comme cela. Modifier la tradition n’aurait pas de sens. » À la question de savoir si la Calade verra un jour une femme au bras d’un conscrit pour dévaler la Rue Nationale, Claude Sonnery tranche, en souriant : « Cela arrivera peut-être un jour… Mais on n’est pas parti pour. » Laura Steen www.leprogres.fr