Rachat d`entreprises: Les 100 jours qui comptent

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Rachat d`entreprises: Les 100 jours qui comptent
La lettre 45
Janvier 2013
DOSSIER : Rachat d’entreprise
Rachat d’entreprise : les 100 jours qui comptent
ou 100 jours pour réussir.
La réussite du rachat d’une entreprise repose pour une grande part sur le bon
déroulement des premiers mois. Quels sont les pièges à éviter ? Les bonnes
pratiques à mettre en œuvre ?
P
Gérard-Louis Morhange
Directeur associé
d’Acting-Finances
[email protected]
06 11 44 23 79
lus de 50% des acquisitions sont des échecs. Souvent parce que la période critique qui suit le transfert effectif
du capital de la société cible est mal gérée : trop de précipitation ou au contraire trop de lenteur, des erreurs
de décisions chez les dirigeants de la société acquéreuse ou bien encore l’arrivée de trop nombreux
nouveaux venus parachutés depuis la société acquéreuse...
Les effets négatifs peuvent se faire sentir immédiatement mais aussi à long terme, particulièrement au sein de la
société acquise, allant jusqu’à l’échec total.
Quelles décisions stratégiques, quelle organisation des opérations, quel rythme de changement? Comment éviter le
choc des cultures ou le rendre moins dangereux pour la réussite du rapprochement ? C’est le sujet de cette Lettre.
Nous nous sommes limités au cas d’acquisition par une PME, familiale ou entrepreneuriale, d’une entreprise comparable par la taille, le secteur et le type d’actionnariat et pour 100% de son capital.
L’achat dans un contexte de diversification ajoute encore à la difficulté. Et les cas d’acquisition par une personne
physique, seul repreneur, ou par une grande entreprise, se présentent de manière assez différente.
1 / La phase préalable à l’acquisition
Le parcours préalable à l’acquisition est long et complexe : ciblage et identification de la cible, négociations, protocole d’accord, dues diligences, modalités juridiques de l’acquisition (par l’entreprise acquéreuse, par une holding séparée, etc.),
signature des accords...
Ces nombreuses étapes ne doivent pas “faire oublier” l’enjeu central, celui de la
stratégie générale de l’entreprise.
...
■ Les aspects stratégiques du rapprochement
Olivier Avril
Gérant Associé
d’Acting-Finances
[email protected]
06 25 78 11 44
L’énergie déployée
dans la phase préalable
d’acquisition ne doit pas
l’être au détriment de la
bonne préparation du
jour J opérationnel.
Le premier facteur de réussite d’une acquisition repose sur une claire définition
des objectifs de celle-ci, très en amont de la date d’acquisition et même avant
d’entrer dans le processus effectif qui a conduit à celle-ci.
Les questions cruciales posées sont les suivantes : la stratégie de l’entreprise est-elle définie et partagée par les dirigeants et les cadres de l’entreprise et l’acquisition envisagée concourt-elle à cette stratégie ?
En l’absence de réponse à ces questions, le risque d’échec est élevé. Il faut donc vérifier que la cohérence de l’acquisition projetée avec la stratégie globale a été soigneusement pesée.
Les acquisitions répondent généralement aux objectifs suivants :
> l’accélération de la croissance par l’acquisition de segments dynamiques du marché,
> la sécurisation du chiffre d’affaires par l’acquisition d’un fonds de commerce de clients captifs ou fidélisés,
> l’acquisition de produits complétant la gamme existante pour faire jouer des effets d’économie d’échelle de vente
et de distribution,
> l’acquisition de nouveaux marchés pour les produits existants ou de nouveaux canaux de distribution
> l’acquisition de technologies non disponibles en interne, de licences, de sources d’approvisionnement, de compétences particulières, etc.
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■ L’absence de préparation stratégique de l’acquisition en amont et la tentation de procéder à des
“achats d’opportunité” augmentent considérablement le risque d’échec.
Au contraire, l’identification claire des objectifs et facteurs clés de l’acquisition permet au management de se focaliser sur
le maintien en interne et le développement des ressources-clés stratégiques, dès le début de la période critique des 100
jours.
2 / Le jour de la cession et les jours suivants : la mise en place de la nouvelle gouvernance
En l’absence de fusion, l’acquisition doit donner lieu à la mise en place, concomitante à la prise de contrôle, de la nouvelle
gouvernance de la société acquise. Dans le cas le plus complexe, celui de la constitution d’une SA, cela implique la démission des anciens administrateurs et dirigeants, la nomination des nouveaux administrateurs et des nouveaux dirigeants,
ainsi que les modifications statutaires pour assurer le contrôle effectif de la société par l’acquéreuse.
■ Le Conseil d’administration
Il est de pratique courante de prévoir la démission des administrateurs et dirigeants de l’ancienne équipe à la date du changement d’actionnaires. Les courriers signés font partie des dossiers juridiques gérés par les conseils des vendeurs. Une
Assemblée Générale, réunie à la suite immédiate de la cession, procède donc à la nomination des nouveaux administrateurs émanant de la société acquéreuse. Un conseil d’administration peut alors se réunir immédiatement pour procéder
à la nomination des nouveaux dirigeants.
■ Les nouveaux dirigeants et les modifications statutaires concernant la gouvernance
Dans le cas assez peu fréquent où l’ancien dirigeant reste en place dans l’entreprise en tant que mandataire social, pour
une durée convenue contractuellement allant de plusieurs mois à deux ou trois années, il convient d’apporter des modifications à la gouvernance de la société acquise en vue de contrôler les opérations de la direction, en complément du
contrôle légal par le conseil d’administration composé désormais de représentants de l’acquéreuse. Ces modifications seront idéalement réalisées par une assemblée générale extraordinaire (AGE) suivant l’assemblée générale ordinaire (AGO)
mentionnée ci-dessus, AGE qui modifiera les statuts afin d’apporter les changements souhaités, tels que :
• séparation du mandat de président du conseil d’administration et du mandat de directeur général,
• nomination d’un directeur général délégué issu de la société acquéreuse,
• et / ou toute autre modification assurant le contrôle conjoint des opérations par la société acquéreuse.
Dans cet esprit, il est utile de limiter les opérations que le dirigeant maintenu peut décider seul. Le type d’opérations
nécessitant généralement l’autorisation préalable du conseil d’administration sont les suivants : investissements corporels ou incorporels supérieurs à un montant spécifié, approbation des budgets annuels, ouverture de comptes bancaires,
sollicitations d’emprunts ou autres financements bancaires, toutes opérations de garantie à des tiers par hypothèque de
biens immobiliers appartenant à la société, nantissements de titres, etc. Cette limitation non
opposable aux tiers de bonne foi vise à établir une règle du jeu interne, opposable à l’intéressé
qui engage sa responsabilité civile et financière. Elle peut se réaliser sous plusieurs formes
: par la voie statutaire, à la faveur de l’AGE mentionnée ci-dessus, ou par la voie du conseil d’adLe rachat des participations de
ministration en laissant ce dernier, renouvelé comme mentionné ci-dessus, décider des cal’ensemble des actionnaires minoritégories d’opérations qui demanderont une autorisation préalable du conseil.
taires, mêmes les plus symboliques,
Dans le cas de départ immédiat du dirigeant de l’entreprise acquise, remplacé par un nouveau dirigeant issu de l’entreprise acquéreuse, ou si l’ancien dirigeant est maintenu comme
est hautement souhaitable avant ou
dans le cadre d’un simple contrat de prestation de services, la mise en place de nouau plus tard au jour de l’acquisition. conseil
velles règles de fonctionnement de la société est évidemment plus simple et les changements
apportés aux statuts moins nombreux.
3 / Les facteurs clés des 100 premiers jours “opérationnels”
Au-delà de la diversité des situations, il existe un certain nombre de facteurs clés pour la réussite des 100
premiers jours opérationnels de la nouvelle entreprise :
la “prise en main de l’entreprise”, les premières mesures de la nouvelle équipe, le
contrôle et la mesure des changements, l’adaptation de l’organisation, la communiAsseoir le leadership du
cation.
dirigeant et l’autorité du
groupe qu’il représente.
■ La prise en main de l’entreprise
Les 100 premiers jours constituent une période de découverte et d’écoute.
La prise en main efficace de l’entreprise par son nouveau dirigeant et le groupe auquel il appartient suppose une somme de connaissances que toutes les études préalables ne donnent que très partiellement.
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Quelques axes d’actions pour y parvenir :
• chercher à obtenir rapidement une juste évaluation de la situation générale de l’entreprise, technique et humaine ;
cela passe par l’étude du comportement et de la motivation des salariés : il faudra chaque fois que possible les rassurer,
• aller à la rencontre des clients, fournisseurs et partenaires sur le terrain,
• identifier les grands risques sociaux ou juridiques,
• détecter les réseaux d’influence, formels ou non, qui permettront de compléter l’équipe rapprochée
qui va porter le changement.
La qualité de la prise en main de l’entreprise va dépendre de la capacité de la nouvelle direction à s’imprégner des informations dans ces différents domaines pendant un temps court de 1 à 3 semaines.
Mais elle va dépendre aussi de sa capacité à ne pas trop chercher à entrer dans les détails, pour finalement s’y noyer. C’est
l’intuition du dirigeant, son écoute, qui doivent, au final, lui permettre de prendre des décisions malgré les lacunes des informations disponibles.
L’identification et le choix des appuis
La période de prise en main doit permettre au dirigeant de trouver ses appuis et de constituer ou compléter son équipe. Le
premier cercle doit être rapidement défini, dans les 2 à 3 premières semaines. Outre les fonctions de DRH (gestion du personnel) et DAF (finances), forcément clés, l’équipe sera complétée par les quelques personnes ayant un rôle incontournable dans l’entreprise. Elle s’élargira ensuite aux échelons suivants de la hiérarchie. Pour tous ces postes, la confiance doit
s’instaurer rapidement. Si ce n’est pas le cas, une décision rapide est à prendre. Le choix des appuis dans l’entreprise passe aussi
par la neutralisation des inerties ou des oppositions. Cela devra se faire par des actions ciblées excluant un renouvellement
important de collaborateurs qui prendrait trop de temps. Le DRH pourra apporter dans ce domaine une aide précieuse.
Dans la période des 100 jours, la constitution de l’équipe “moteur” est une priorité. Mais il s’agit, dans ce contexte, d’aller
à l’essentiel sans forcément résoudre les questions de long terme.
■ Les premières mesures
Le choix des premières mesures est essentiel et intervient au cours des 3 premières semaines. Elles vont symboliser le changement et la rupture avec le passé. Elles doivent permettre de dégager une ligne claire qui va augmenC’est le moment où il ter l’adhésion des équipes dans cette période des 100 jours.
premières mesures peuvent être ponctuelles ou en partie symboliques car les transformations de fond seront
vaut mieux éviter de Les
forcément pour plus tard. En revanche, elles doivent être bien choisies, notamment parmi les plus faciles à réussir.
dire que « l’on a tout Il vaut mieux prendre 5 décisions de changement, de petite ou moyenne importance, que de ne rien faire dans l’atcompris ».
tente de l’idée “géniale”...
Les bons repères pour les premières mesures sans que cela soit
exhaustif, elles devront avoir un impact dans deux domaines : la
Les premières mesures ne doivent
trésorerie et la relation clients (ou le commercial). Ce sont des mesures
jamais attendre car les habitudes
simples qui remettront en cause des processus et permettront de corne se changent facilement que
riger des aberrations connues de tous, d’assurer au client une meilleure
ponctualité, une meilleure qualité, un meilleur choix, etc.
dans une période de temps limité.
■ Le rythme du changement
Le bon rythme des changements doit être trouvé en fonction des urgences, mais aussi de la capacité des personnels de
la société acquise à « encaisser » les évolutions stratégiques et organisationnelles liées au nouvel actionnariat. Il faut éviter de casser la dynamique antérieure et de démotiver les salariés, tout en évitant en parallèle l’attentisme et les craintes
liées au report des décisions qui doivent être prises. Cette situation requiert des qualités particulières chez le nouveau dirigeant : fermeté vis-à-vis des objectifs, flexibilité vis-à-vis des moyens, facilité de contact avec les salariés (ne pas s’enfermer dans son bureau), finesse psychologique et enfin exemplarité.
■ Le contrôle et la mesure des actions
Une attention soutenue pour le cycle Actions - Résultats - Contrôles
> Faire avec l’existant et faire simple : des indicateurs basiques, clairs, communs, compréhensibles par tous
> La mise sous contrôle du cash et des engagements de dépenses
> Le suivi des plans d’actions et leur durcissement si nécessaire
> Le reporting est plus important que le budget.
■ L’adaptation de l’organisation
Modifier l’organisation antérieure au regard des objectifs de la société acquéreuse est nécessaire pour optimiser les ressources de l’ensemble des deux sociétés. Les problèmes surgissent plus souvent au niveau de la société acquise, même
si les réorganisations peuvent également impacter les services de la société acquéreuse.
S’agissant d’entreprises du même secteur, il est normal de trouver des synergies de coûts à faire jouer entre les deux entités,
par exemple la modification de l’organisation industrielle entre deux usines ou le regroupement de deux services publicité
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en un seul opérant pour le compte des deux entreprises. Ces synergies, identifiées avant l’acquisition, et qui peuvent avoir constitué un facteur clé de décision de l’acquisition, impactent souvent l’organisation antérieure. Il est
alors opportun, afin de minimiser les effets déstabilisants et souvent démotivants pour les salariés des entreprises
concernées, de créer des équipes de projet inter-entreprises pour planifier les changements. Les modifications d’organisation doivent être ensuite, conformément à la législation, soumises pour avis aux représentants du personnel, et faire l’objet en parallèle d’une information complète et précise de la part des directions, dans les deux entreprises. Les modalités de ces changements et leurs conséquences sociales doivent être prises en charge par le
ou les services des Ressources Humaines compétents, afin de gérer au mieux le processus en liaison étroite avec
la hiérarchie et de minimiser les conséquences sociales éventuelles.
■ La communication
Communiquer vers l’extérieur
Une communication immédiate vers l’extérieur est nécessaire et doit avoir été travaillée à l’avance pour éviter les
erreurs et retards liés à l’impréparation. Il convient de penser en premier aux clients, aux fournisseurs et aux
banques des deux entreprises, non seulement ceux de l’entreprise acquise mais aussi ceux de l’acquéreur, ensuite
seulement à l’assureur-crédit et aux conseils de l’entreprise (avocats, experts comptables, courtiers d’assurance).
Cette communication se fera par écrit (courriers types aux clients et aux fournisseurs) mais aussi sous forme de
réunions avec les tiers les plus importants, auxquelles participeront les nouveaux dirigeants (directeur général et/ou
directeur financier). Si l’ancien dirigeant est resté en tant que conseil, sa présence en tandem lors des entretiens
constituera un plus vis-à-vis du lien de confiance qu’il va falloir construire pour instaurer de nouveaux liens de
confiance. La nouvelle direction devra également rencontrer rapidement le commissaire aux comptes (s’il existe).
■ Communiquer en interne
Pendant cette période des 100 jours, la communication interne est (également) absolument essentielle.
Suite à une période d’incertitude et de trouble, liée aux « fuites » de la période des négociations et des dues diligences, les besoins d’information et les attentes des salariés sont très forts. Les angoisses nées des incertitudes
concernant les projets de l’entreprise acquéreuse, notamment en ce qui concerne l’emploi, peuvent être très
vives. Il faut donc informer rapidement pour éviter les rumeurs et la démobilisation et lorsque c’est possible, rassurer et apaiser. Dans une entreprise « à taille humaine », il est important de gérer cette communication au double plan des organes représentatifs du personnel et de la relation directe, fréquente dans ces entreprises. C’est une
des nombreuses tâches prioritaires du nouveau dirigeant. Communiquer et écouter : Cela s’applique à tous les niveaux
des équipes reprises Il y a souvent beaucoup d'idées dans les cartons qui n'ont pas été lancées faute de moyens,
de vision, de volonté de la Direction, de cloisonnements,... Le mode projet peut être un bon moyen d'impliquer les
équipes et de faire ressortir les personnes qui ont du potentiel et qui peuvent être moteur.
4 / Le problème spécifique des anciens dirigeants
■ La valeur de leur apport et de la transmission des informations
La présence des anciens dirigeants après la transmission de propriété peut se révéler la meilleure ou la pire des
choses. La décision de les conserver temporairement ou de les laisser partir à la date du changement de propriétaire est dans tous les cas à prendre de manière pondérée avant l’acquisition, de même que les modalités de leur
maintien. Schématiquement, le choix est entre un départ immédiat et un maintien avec des modalités nouvelles
assurant la sécurité et l’efficacité de la nouvelle gouvernance, ce qui passe par une limitation des pouvoirs. Cette
dernière peut aller de l’absence totale de pouvoir (contrat de conseil extérieur de la nouvelle direction) à une limitation plus ou moins forte des pouvoirs passant par les modifications statutaires décrites ci-dessus.
L’avantage de la présence des anciens dirigeants pendant la période de prise en main consiste en la possibilité
de recourir à leur connaissance de l’entreprise et de son environnement et dans plus de souplesse dans les nouvelles relations à établir avec les clients et les fournisseurs.
A contrario, le personnel peut s’étonner de voir maintenu en place un ou des dirigeants qui ont pu être critiqués dans
le passé et qui semblent cautionnés par les nouveaux arrivants.
Dans certains cas aussi, la présence de l’ancien dirigeant peut compliquer le leadership à construire par le nouveau
dirigeant, même en l’absence d’attitude négative, par le fait qu’il a pris dans le passé des positions opposées aux
actions mises en place par la nouvelle direction.
■ Les clauses d’earn out ou complément de prix
Lorsque le dirigeant d’une société rachetée est maintenu à son poste, car il est une composante importante du “fonds
de commerce”, les clauses de complément de prix pourront avoir un effet pervers : l’intérêt du dirigeant à vouloir obtenir des résultats rapides pourra être en contradiction avec la stratégie du groupe. Et son empressement “de
court terme” pourra avoir au final un impact négatif sur les résultats.
Quant à l’entreprise qui a effectué le rachat, elle sera certainement gênée ou freinée dans sa politique d’intégration
au groupe tant que les clauses d’earn out ne sont pas apurées.
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5 / Pièges à éviter et bonnes pratiques
■ Les pièges à éviter
L’évaporation des actifs
Le grand risque, dans le domaine stratégique, c’est de voir se produire une évaporation des actifs corporels ou immatériels
qui étaient principalement visés par l’acquisition ; dans ce cas de figure, l’entreprise acquéreuse se trouve avoir payé le prix
sans conserver la chose : les salariés clés, en quittant l’entreprise, peuvent emmener avec eux certains clients (commerciaux), le savoir-faire industriel, les relations privilégiées avec certains fournisseurs clés, etc.
Le report indéfini des mesures d’économies liées aux synergies
Un cas très souvent rencontré est celui des synergies de coûts identifiées avant l’acquisition (par exemple, suppression
d’une usine moins productive, regroupement de services de support (back office) tels que services publicité, services comptables, services achats). Ces synergies se traduisent concrètement par des doublons de responsables et des services en
sureffectif, conduisant à prévoir les économies correspondantes dans le business plan de l’entreprise acquéreuse. Les mettre en œuvre est nettement plus difficile que de les inscrire dans un tableau Excel !
C’est pourquoi le report sine die des décisions ayant des impacts douloureux
sur le plan du personnel (suppressions de poste, fusions de services, avec
séparation d’un des responsables, etc.) est fréquent et se traduit finalement
Il faut de la fermeté et de la
par l’absence de réalisation des synergies de coûts visées et un échec
stratégique.
détermination pour appliquer
L’acquéreur doit donc conserver le cap (ses objectifs de synergies), mais
les plans abstraits conçus
adapter le tempo de l’exécution de ses plans, de manière pragmatique, à
avant l’acquisition .
l’évolution des esprits chez les salariés des deux entreprises en dosant
fermeté et flexibilité.
Les risques liés à l’absence de finalisation et de sécurisation juridique de l’acquisition
La finalisation juridique des opérations d’acquisition (suivi des formalités) est indispensable pour éviter tout mécompte
ultérieur. Lorsque l’acquisition est transnationale, le suivi des avocats du pays de la société acquise est particulièrement
important. On connaît le cas de sociétés acquises à prix élevé auprès d’actionnaires qui, à la faveur de circonstances favorables, réussirent à se voir reconnaître la propriété de la société qu’ils avaient vendue plusieurs années auparavant et
dont ils avaient encaissé le prix (cas des pays de l’est dans les années 90, époque où la législation dans ces pays était floue
et les décisions judiciaires très lentes et particulièrement aléatoires).
Le piège des conflits « culturels »
C’est un sujet important et complexe à traiter. Vous trouverez un cas concret en annexe de ce document.
■ Bonnes pratiques
Il est souhaitable, au vu des difficultés signalées ci-dessus, de détacher dès les tous premiers jours un responsable de l’entreprise acquéreuse au sein de l’entreprise acquise, responsable qui peut être le dirigeant de l’acquéreuse, un nouveau dirigeant ou un cadre de responsabilité. Cette personne aura la responsabilité du plan d’action en vue de conserver les actifs clés stratégiques, ressources humaines, matérielles et immatérielles et de faire jouer les synergies recherchées.
Les tâches prioritaires seront définies en fonction de la nature des objectifs visés : prise de connaissance (sur le terrain,
différente de la connaissance extérieure qu’en avait l’acquéreur précédemment) de la situation, de l’organisation, des processus et des hommes, élaboration d’un programme de fidélisation des hommes-clés, et identification des clients et fournisseurs clés liés aux domaines identifiés comme stratégiques.
Il faut valider aux plus vite les hypothèses fondatrices du business plan (sans rentrer dans les détails), marges par clients
ou par produits, prix de revient, plan de production ou d'achat, principales lignes de dépenses à mettre en appel d'offre, organisation, projets,...
Ceci peut nécessiter l'appui d'un Conseil externe qui va être mieux à même de recueillir, structurer et évaluer les informations.
Prise de contrôle des processus financiers
Dans le cas où le dirigeant de l’entreprise acquise reste en poste, le temps de latence entre le transfert effectif de la propriété de la société et la révocation des pouvoirs financiers antérieurs est propice à des abus divers, voire même des détournements éventuels. On citera comme exemples rencontrés dans la pratique la signature de contrats ou avenants au profit de certains salariés de l’entreprise ou la cession de certains actifs à des prix sous-évalués.
Lorsque le dirigeant quitte l’entreprise immédiatement, tous les pouvoirs bancaires antérieurs tombent. Pour éviter une absence de signataires des comptes de banques, il faut donc informer immédiatement les banques du changement de dirigeant, leur fournir la documentation juridique nécessaire (procès verbaux certifiés conformes des conseils et AG) et
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mettre en place, en même temps que les annulations de tous les pouvoirs antérieurs consentis par l’ancien dirigeant, les
nouvelles délégations et signatures bancaires afin de sécuriser le contrôle interne des flux financiers d’encaissements et
de décaissements bancaires.
Pratiquement, il faut mettre en place immédiatement des moyens de paiements, éventuellement via le chéquier de la société mère (à passer en compte courant).
C'est le moyen d'instaurer immédiatement la confiance, lorsqu'il y a eu une période ou les process de règlements étaient
difficiles. C’est particulièrement vrai pour les petits montants dont les blocages empoisonnement la vie de tous les services
au quotidien. C'est un moyen simple d'instaurer la confiance avec des enjeux limités. Il est également possible de confier
un chéquier à l’un des cadres de la société mère impliqué dans la reprise.
Mettre en place les nouvelles délégations en matière de sécurité du travail
Ce sujet, particulièrement important dans les secteurs industriels, ne doit pas être remis à plus tard. Les délégations en
matière de sécurité du travail conférées par l’ancien dirigeant doivent être remplacées par une nouvelle chaîne de délégations, en veillant toujours à ne déléguer en cascade qu’à des collaborateurs dotés des pouvoirs et de l’autonomie nécessaires pour correspondre à une délégation réelle de ces pouvoirs. Rappelons que les responsabilités dans ce domaine
sont pénales et que l’absence du dirigeant sur les lieux de production ne l’exonère en aucun cas de sa responsabilité en cas
de sinistre, en l’absence de délégation.
Conclusion
« La stratégie, disait Napoléon, est un art simple, mais tout d’exécution ». Il n’y a qu’une seule
manière de réussir parfaitement une acquisition, mais 1000 occasions d’échouer.
La réussite passera donc par :
• la conformité de l’opération avec les objectifs, la stratégie et les contraintes
de l’entreprise acquéreuse,
• la sécurisation juridique et financière des opérations,
• la volonté ferme de maintenir le cap après l’acquisition : préservation des actifs incorporels,
mise en œuvre des synergies,
• la gestion souple des ressources humaines de l’entreprise acquise, passant par une écoute
et une disponibilité importante, tout en ne cédant pas sur les décisions essentielles.
Cet article est un travail de synthèse réalisé par
l’équipe d’Acting-Finances. N’hésitez pas à
nous solliciter dans le contexte de la reprise
d’une entreprise.
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ANNEXE
Le piège des conflits « culturels »
e rapprochement juridique est souvent simple affaire
de technique, les changements opérationnels, affaire
de réflexion et de bon sens ; même les changements
d’organisation relèvent de la pratique ordinaire de la
gestion des entreprises. En revanche, le rapprochement
des mentalités collectives constitue un problème complexe
et parfois insurmontable !
Prenons un exemple pour illustrer les difficultés
rencontrées dans les opérations de rapprochement
d’entreprises :
L
■ L’acquéreur (appelons le : l’entreprise A) : PME industrielle
à capital familial, connaissant une expansion remarquable
depuis quelques années, sous la direction d’un jeune
dirigeant, de formation ingénieur, issu de la troisième
génération de la famille propriétaire.
Au cours des dix dernières années, soutenue par ses
banquiers, l’entreprise a développé considérablement sa
production grâce à des investissements importants dans
l’automatisation de la fabrication dans ses trois usines.
Produisant des produits de grande consommation assez
banalisés, la société attribue son succès à sa capacité à
mettre sur le marché une gamme limitée de produits de
bonne qualité à prix très compétitifs, grâce aux lancements
de séries longues et à l’automatisation des opérations. Pour
réaliser son objectif de maintenir la pression sur ses prix
de revient industriels, la société a fermé dans les dernières
années deux de ses trois usines réparties en France et
regroupé la totalité de sa production dans une seule usine
nouvelle, de taille importante, située à la frontière belge.
Les frais administratifs et commerciaux de la société sont
limités, la commercialisation se faisant à travers un réseau
large de distributeurs incluant principalement la grande
distribution.
Cette entreprise procède à l’acquisition, dans le cadre
de son plan stratégique, d’un concurrent, afin « de
bénéficier d’une gamme de produits plus large et de
faire jouer des économies d’échelle ».
■ L’entreprise acquise (l’entreprise « B ») : de taille plus
modeste, bénéficie d’une image de fiabilité et d’esthétique
situant ses produits dans le haut de gamme et lui
permettant de s’adresser à une catégorie de clients qui
achètent peu les produits A.
L’organisation industrielle de B se caractérise par un atelier
unique de taille moyenne, proche du siège, des opérations
plus nombreuses, un montage plus flexible, des séries
moins importantes, des options de produits plus
nombreuses et une gamme plus large que celle de
l’entreprise A.
Les problèmes posés à A par la prise de contrôle de B sont
multiples et complexes : à quelle rationalisation industrielle
procéder ? Comment procéder vis-à-vis des produits de B :
les conserver en totalité, réduire la gamme de B ou
rationnaliser la gamme des produits en provenance des
2 entreprises A et B ? Quid du marketing ? Des marques ?
De la distribution ? De la logistique ?
Mais le plus difficile problème est le plus insidieux :
comment rapprocher 2 entreprises appartenant à des
catégories de concurrents ayant choisi des stratégies
différentes : une stratégie de coût chez A, une stratégie de
différenciation chez B ? Les mentalités de ces 2
entreprises vont nécessairement s’opposer car les
stratégies retenues ont conduit à des choix différents à
tous les niveaux de la chaîne de valeurs de ces deux
entreprises : production, logistique, commercialisation,
services et aussi approvisionnements et technologies.
Les dirigeants et les responsables de ces fonctions dans
les 2 entreprises vont nécessairement avoir des objectifs,
des réflexes et une mentalité différents. Parvenir à les
rapprocher va nécessiter à la fois des choix stratégiques
clairs pour l’avenir et un travail important de pédagogie
de la part des dirigeants. Comme dans les autres
domaines, et peut-être encore plus qu’ailleurs, le
traitement de ces différences culturelles passe par la
reconnaissance de la situation existante, l’absence de
sous-estimation de l’obstacle culturel et un effort
pédagogique de la part des dirigeants.
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