Emmaillotement : maltraitance ou bienveillance ?

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Emmaillotement : maltraitance ou bienveillance ?
Emmaillotement : maltraitance ou bienveillance ?
Pratique utilisée par nos mères avant le 18e siècle sur les
bébés, l’emmaillotement reprend sa place dans les
foyers. Entre tradition, mode et technique d’apaisement,
les avis divergent sur la question.
Beney Laetitia & Namani Lirija
Nos pratiques tâtonnent entre des conseils, donnés par les
spécialistes, qui sont en contradiction les uns avec les
autres. Ce qui était bon pour l’enfant hier devient
mauvais aujourd’hui, et sera de nouveau à l’ordre du jour
demain (Bouyer, 2010, p.79).
Avant le 18e siècle, l’emmaillotement était une pratique populaire, traditionnelle et universelle
(Clarke, 2014). Utilisé pour ses effets positifs sur les pleurs du bébé, le sommeil et les coliques,
l’emmaillotement connaît aujourd’hui un nouvel essor dans des pays comme l’Angleterre, les
Etats-Unis et les Pays-Bas (Clarke ; van Sleuwen et al., 2007).
L’emmaillotement est une méthode qui consiste à envelopper le bébé dans un lange ou une
couverture. La technique utilisée diffère selon la durée, le tissu (étanchéité, nombre), le serrage
(tout le corps, uniquement le haut du corps), l’âge du bébé et l’objectif poursuivi (Morel &
Rollet, 2000 ; van Sleuwen et al., 2007). Par conséquent, il existe plusieurs manières de faire
selon différentes variables.
Selon Bouyer (2010), cette technique servait « d’abord à protéger l’enfant du froid, puisque
celui-ci semblait mal disposé à résister à la température qui régnait dans les maisons glaciales
d’autrefois » (p.83). Elle permettait également de raffermir le corps, d’empêcher les
malformations et « de donner au corps du bébé la figure droite qui est la plus décente [...], car
sans cela, il marcherait peut-être à quatre pattes comme la plupart des autres animaux »
(Mauriceau, cité par Bouyer, p.83).
Son utilisation permettait également de porter l’enfant plus facilement et de le « protéger des
prédateurs comme les rats (en suspendant par ses langes à un clou planté au mur !) » (Bouyer,
p.84, 2010 ; Ranson-Enguiale, s.d.). Enfin, on cherche à lui interdire tout mouvement, afin que
ses membres ne se déforment pas (Bouyer). Nous constatons que l’emmaillotement avait une
intention bienveillante, pour protéger l’enfant et l’aider à grandir dans les meilleures conditions
possibles. Aussi, par rapport au mode de vie de l’époque, l’emmaillotement était utile et
pratique pour les mères qui avaient beaucoup d’enfants, et qui, pour certaines, devaient
également s’acquitter de leurs tâches ménagères et agricoles.
Cette tradition, laissée de côté dans les pays industrialisés, est encore pratiquée dans des pays
tels que la Mongolie, certains pays de l’Est, les pays du Moyen-Orient, et certains groupes
ethniques (Clarke, 2014 ; Maneseki-Holland, 2005 ; van Sleuwen et al., 2007). Or, depuis peu,
elle revient au goût du jour (Clarke ; van Sleuwen et al.). En effet, en Angleterre, durant
l’année 2011, les ventes de couverture d’emmaillotement ont augmenté de 61% en une année
dans les magasins de la chaîne Debenhams (Qureshi, 2011). Les accessoires pour emmailloter
les bébés seraient tendances et auraient trouvé une place dans le marché de puériculture.
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Aussi, le 23 juillet 2013, la duchesse et le duc de Cambridge, Kate Middleton et William de
Cambridge présentaient leur fils, Georges, peu après sa naissance, emmailloté. Quelques jours
plus tard, sur une photo officielle, celui-ci apparaissait à nouveau emmailloté dans une
couverture. Lors de la naissance de leur deuxième enfant, celle-ci a également été présentée à
la foule emmaillotée. Kate Middleton est une personnalité appréciée et influente en Angleterre.
Nous pouvons donc imaginer que les mères anglaises, et du monde entier, s’identifient à elle en
emmaillotant leur enfant.
Dans son best-seller, The Happiest Baby on the Block, édité en 2002, le Dr. Karp développe
une méthode pour calmer les pleurs du bébé de sa naissance à trois mois. Appelée théorie des
5S’s (Swaddling, Side, Shushing, Swinging, Sucking), elle consiste à reproduire les mêmes
sensations et bruits que ceux de la vie utérine. Le premier des 5S implique l’emmaillotement
qui permet de recréer le confinement de l’utérus.
Avec quels effets pour l’enfant
L’enfant emmailloté dormirait plus, pleurerait moins et aurait moins de coliques. Telles sont les
raisons qui poussent les parents à user de cette pratique aujourd’hui. Cependant, avoir recours à
l’emmaillotement c’est aussi être conscient des risques auxquels l’enfant est exposé.
A cet effet, plusieurs études mettent en lumière les avantages et désavantages de la pratique de
l’emmaillotement.
Une étude (van Sleuwen et al., 2007) met en relation toutes les recherches sur
l’emmaillotement et ses effets sur le sommeil et l’éveil, la température, le développement
moteur et osseux, les infections respiratoires, la mort subite du nourrisson (MSN) , la dysplasie,
les pleurs, l’allaitement, la prise du poids du nourrisson et le contrôle de la douleur.
Les effets bénéfiques relevés sont :
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Un sommeil plus long et un éveil plus serein ;
Chez le prématuré, une amélioration du développement musculaire, une réduction de la
détresse physiologique et une meilleure organisation motrice et une capacité de
régulation ;
Chez le prématuré en sous-poids et sous incubateur, la température abdominale est plus
élevée ;
Une diminution des cris excessifs en comparaison avec la technique du massage sur des
enfants souffrant de dommages cérébraux ;
L’apaisement de l’enfant prématuré, lors du test du talon piqué ;
Aucune incidence sur l’allaitement.
En outre, une étude réalisée, en Mongolie (Maneseki-Holland et al., 2005), auprès de 1274
nouveau-nés, séparés en 2 groupes (emmailloté, non emmailloté), démontre l’absence de
relation entre l’emmaillotement et les infections respiratoires. Elle relève également que
l’emmaillotement améliore le sommeil des enfants, mais non les pleurs.
Les effets nuisibles sont :
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L’augmentation du risque de développer une dysplasie de la hanche, liée à la manière
d’emmailloter les jambes en extension et adduction. Selon Clarke (2014), pour un
développement sain des hanches, les jambes devraient pouvoir se mouvoir dans l’espace
sans contrainte ;
Un risque de température élevée ;
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Le risque de mort subite si l’enfant emmailloté est placé sur le ventre ou s’il est déjà
capable de se retourner. Cependant, dans tous les cas, le risque de mort subite est plus
important si l’enfant est placé sur le ventre ;
L’emmaillotement serré augmente les infections respiratoires liées à son étanchéité.
Une carence en vitamine D est observée, toutefois, elle ne causerait pas de rachitisme ;
Les enfants emmaillotés et séparés de leur mère après la naissance mettent plus de
temps à reprendre leur poids initial.
Sur la base actuelle des éléments de recherche, nous pouvons nous demander si la pratique de
l’emmaillotement sert l’intérêt supérieur de l’enfant, son droit à la participation, le droit à la
vie, à la survie et son développement, au sens de la Convention des Droits de l’Enfant. Aussi,
les États parties doivent prendre les mesures pour abolir les pratiques traditionnelles
préjudiciables à la santé de l’enfant. Pour ce faire, il est notamment important d’informer les
parents et les enfants, et de développer des soins préventifs.
Alors que l’enfant naît pour découvrir le monde avec des sens plus développés que ceux des
adultes, ces mêmes adultes emmaillotent leur enfant et le posent dans un lit pour leur confort
sous prétexte de réduire les pleurs et les coliques et améliorer le sommeil. D’ailleurs, Rousseau
(1966) écrivait en 1762 :
« À peine l'enfant est-il sorti du sein de la mère, et à peine jouit-il de la liberté de
mouvoir et d'étendre ses membres, qu'on lui donne de nouveaux liens. On l'emmaillote,
[...] il est entouré de linges et de bandages de toute espèce, qui ne lui permettent pas de
changer de situation. Heureux si on ne l'a pas serré au point de l'empêcher de respirer,
[...] » (p.43).
Selon Teysseire (1982), la croissance de l’enfant doit se faire naturellement, sans l’apport d’un
moyen pour que celui-ci grandisse.
Il est clair que l’intention du parent d’emmailloter ne vise pas la maltraitance, toutefois il existe
d’autres pratiques, moins contraignantes pour l’enfant, telles que la méthode peau à peau
(Pignol, Lochelongue & Fléchelles, 2008) survenant immédiatement après la naissance et qui
favoriserait les premiers liens d’attachement ; la méthode du portage sécurisant l’enfant et lui
offrant la possibilité d’identifier son corps (Paradis et al., 2010).
L’emmaillotement, utilisé de manière inappropriée, comporte des risques pour l’enfant. Il est
donc nécessaire que les professionnels concernés informent les parents sur la technique, les
bénéfices et les risques de celui-ci. Ils devraient également les informer sur les alternatives,
moins contraignantes, et qui n’entravent pas l’expression du nouveau-né. Ainsi, chaque parent
pourra choisir, selon ses convictions, ce qui lui convient le mieux, tout en tenant compte des
besoins de leur enfant.
Après plusieurs centaines d’années d’argumentation en défaveur de l’emmaillotement, il
tendait à disparaître dans notre société occidentale. Une question subsiste alors : à quoi devonsnous l’essor pour cette pratique aujourd’hui ? Est-ce lié à une volonté de retour aux sources, à
un fonctionnement de la société où le temps prône l’efficacité, à l’intolérance aux pleurs ou
encore au marché commercial ?
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Bibliographie
Bouyer, R.-J. (2010). Les mémoires d’un bébé : un siècle d’éducation de l’enfant de Pasteur à
Dolto. Paris : Jean-Claude Gawsewitch
Clarke, NMP. (2014). Swaddling and hip dysplasia: an orthopaedic perspective. Archive of
Disease in Childhood, 99:5–6. DOI:10.1136/archdischild-2013-304143
Karp, H. (2004). Le plus heureux des bébés : une nouvelle méthode pour calmer les pleurs et
favoriser le sommeil de votre bébé (Danielle Champagne, trad.). Québec : Editions Ada
(Œuvre originale publiée en 2002).
Maneseki-Holland, S., Bayandorj, T., Jamseren, Y., Bavuusuren, B., Spier, E., Marshall, T.,
Sprachman, S. (2005). The traditional practice of swaddling: does it harm or benefit the
infant? Results of a randomised controlled trial in mongolia. Archive of Disease in
Childhood, 90 (Suppl II):A9–A10. En ligne
http://adc.bmj.com/content/90/suppl_2/A9.full#sec-7
Morel, M.F & Rollet, C. (2000). Des bébés et des hommes : Traditions et modernité des soins
aux tout-petits. Paris : Editions Albin Michel S.A.
Paradis, C. et al. (2010). Porter et portage : corps et puberté dans l'accompagnement de vie des
enfants et des adolescents polyhandicapés. VST - Vie sociale et traitements, 2010/3 n°
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Pignol, J., Lochelongue, V., Fléchelles, O. (2008). Peau à peau : un contact crucial pour le
nouveau-né. Spirale 2/2008 (n° 46) , p. 59-69. DOI : 10.3917/spi.046.0059.
Qureshi,
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(2011).
Swaddling
baby is
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En
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Rousseau, J.-J. (1996). Émile ou de l’éducation. Paris : Garnier-Flammarion
Teysseire, D. (1982). Pédiatrie des lumières. Paris : Librairie philosophique J. VRIN
Van Sleuwen, B.E., Engelberts, A.C., Boere-Boonekamp, M.M., Kuis, W., Schulpen, T.W.J. et
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