Regain de polémique : attaque contre les textes des adeptes d
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Regain de polémique : attaque contre les textes des adeptes d
Regain de polémique : attaque contre les textes des adeptes d’autres confessions¹ Dr John Chesworth Conférencier, Centre for Muslim-Christian Studies Oxford, Royaume-Uni [email protected] La compréhension des relations entre les différentes confessions est de plus en plus importante sachant que nous vivons dans une société dont le pluralisme va s’intensifiant. Pour que les différents groupes religieux vivent de façon harmonieuse, il est nécessaire qu’ils soient en mesure de se comprendre mutuellement. Lorsque des confessions, comme l’islam et le christianisme, se côtoient – et sont toutes deux des religions missionnaires que leurs textes sacrés obligent au partage de la foi avec les autres –, il est utile de réfléchir à la façon dont elles gèrent leurs relations mutuelles. Les musulmans comme les chrétiens ont des textes sacrés qui sont la colonne vertébrale de leur foi. Depuis le XVIIIe siècle, ces textes ont souvent servi de support à la polémique, pour attaquer l’« autre ». Les ouvrages de deux auteurs du XIXe siècle continuent d’exercer une indubitable influence : Mizan ul-Haqq (L’équilibre de la liberté) par Karl Pfander (1803-1865), paru pour la première fois en 1829, et Izhar al-Haqq (La manifestation de la vérité) par Rahmat Allah al-Kairanawi (1818-1891), publié en 1864. En 1854, les deux hommes se sont rencontrés à Agra, en Inde, pour un débat ; Kairanawi a, pourrait-on dire, « remporté » cette confrontation. Leurs deux ouvrages sont toujours imprimés. Durant la dernière partie du XXe siècle, le discours polémique populiste basé sur les textes sacrés a connu un regain parmi les musulmans et les chrétiens, qui se sont servis des outils fournis par Pfander et Kairanawi ; Ahmed Deedat (1918-2005), notamment, est parvenu à influencer beaucoup d’autres en utilisant les méthodes de Kairanawi. Cet article examine un exemple contemporain où musulmans et chrétiens usent et abusent des écrits des autres, et notamment tous les dimanches au Speakers’ Corner (le coin des orateurs) à Hyde Park, dans le centre de Londres. Il s’agit là d’un espace de liberté de parole où n’importe qui peut dire virtuellement n’importe quoi, en comptant sur la seule force de sa voix pour se faire entendre, l’utilisation de micros étant interdite. Depuis 1995, Jay Smith de la Hyde Park Christian Fellowship s’exprime dans ce lieu et débat régulièrement avec des orateurs musulmans, comme Adnan Rashid. Dans un débat, chaque orateur dispose tour à tour de cinq minutes ; les discussions se poursuivent souvent pendant plus de deux heures. Généralement, il y a beaucoup de chahut et les autres orateurs font suffisamment de bruit pour que le débat ne puisse être clairement audible. 1 Un programme radiophonique, intitulé « Up the Ladder in Hyde Park » (Sur l’escabeau à Hyde Park) et présenté par le célèbre animateur de radio Justin Brierley, suit Jay Smith et la Hyde Park Christian Fellowship le dimanche, tandis qu’ils débattent passionnément, en toute liberté, avec des musulmans radicaux dans le Speakers’ Corner. Ainsi, nous pouvons comprendre quelles sont leurs méthodes et la façon dont ils se préparent. Dans les premiers temps de son activité, Smith a subi les agressions physiques de personnes dans la foule, blessées par ses paroles. La police l’a même invité à utiliser un escabeau afin de pouvoir l’observer en cas d’attaques. La Hyde Park Christian Fellowship se décrit comme une association informelle, constituée de 20 à 30 membres, dont la mission est d’enseigner et de témoigner ; elle fait office de cercle de formation pour les apologistes et plus particulièrement les témoins auprès des musulmans. Le groupe prépare les sessions du dimanche après-midi par une séance de formation – qu’il décrit comme consistant en un déjeuner dominical et une lecture sur une apologétique de l’islam. Il s’ensuit quatre heures d’échanges sur l’Evangile à Hyde Park ; les participants vont de la prière à l’observation, posant des questions, s’agitant, prenant la parole et, éventuellement, s’exprimant du haut d’une échelle. L’analyse d’un débat en juin 2008 entre Adnan Rashid et Jay Smith, sur la question de savoir si la Bible prédit la venue de Mahomet, illustre l’utilisation contemporaine qui est faite des textes. Adnan Rashid ouvre alors le débat par le verset d’Isaïe 29:12, en se servant de la Bible du roi Jacques, pour montrer que Mahomet est clairement mentionné dans la Bible : « Ou comme un livre que l’on donne à un homme qui ne sait pas lire, en disant : Lis donc cela ! Et qui répond : Je ne sais pas lire. » Il rapporte que Mahomet était connu pour être illettré, en citant un Hadith de Bukhari, et le Coran, al-Araf (7):157 : « Ceux qui suivent le Messager, le Prophète illettré qu’ils trouvent décrit chez eux dans la Torah... » Jay Smith lui répond en affirmant que le Coran dit aux musulmans que Mahomet apparaît dans la Torah (les cinq premiers livres de l’Ancien Testament) et l’Injil (l’Evangile ou Nouveau Testament), opinion que Smith dit respecter. Il poursuit en disant que cela explique pourquoi les musulmans recherchent dans la Bible des versets qui évoquent Mahomet. Il se concentre ensuite sur le contexte du verset d’Isaïe, attirant l’attention sur les versets 11 et 13. Il insiste sur le verset 13, en se référant à la nouvelle version internationale de la Bible : Le Seigneur dit : « Quand ce peuple s’approche de moi, il m’honore de la bouche et des lèvres mais son cœur est éloigné de moi, et la crainte qu’il a de moi n’est qu’un précepte de traditions humaines. » Il se dit heureux pour les musulmans de voir que ce verset fait référence à Mahomet, montrant ainsi clairement que l’islam est une religion faite par les hommes : « C’est une religion qui est contre Dieu, une religion qui a été faite par l’homme. 2 Merci Adnan de souligner cela ». Concernant le verset 13, Adnan Rashid répond qu’il fait référence aux israélites ; il cite ensuite le Deutéronome 33:2, en se référant de nouveau à la Bible du roi Jacques : « L’Éternel est venu du Sinaï, Il s’est levé sur eux de Séir, Il a resplendi de la montagne de Paran, Et il est sorti du milieu des saintes myriades : Il leur a de sa main droite envoyé le feu de la loi. » Rashid Hill attire l’attention sur les localisations géographiques du Sinaï, de Seir et de Paran, et sur les personnages bibliques auxquels ces lieux font référence : le Sinaï pour Moïse ; Seir, en Syrie/Palestine, pour Jésus et « Paran – « où est-ce ? En Arabie, alors à qui cela peut-il renvoyer ? » Rashid affirme que cela fait référence à Mahomet. A ce moment, Smith l’interrompt, prétendant à grands cris qu’il existe trois Parans différents mentionnés dans la Bible. Ce jour-là, le débat a dégénéré, jusqu’à des insultes personnelles de la part de Rashid, notamment, qui a ironisé sur les 14 années que Smith a consacré son doctorat sans parvenir à le terminer. Il lui a même proposé en guise d’aide un exemplaire de « L’islam pour les nuls » (Islam for Dummies), affirmant que, alors que lui est bénévole, Smith est généreusement subventionné par les Evangélistes américains. Tandis que Smith parlait, dans la foule, des supporters qui avaient suivi la formation de la Hyde Park Christian Fellowship le soutenaient avec leurs chants « Jésus, Jésus », tandis que les adeptes de Rashid répétaient inlassablement « Allahu Akhbar » (Dieu est grand). Dans ce débat, la Bible a été citée 26 fois et 16 extraits ont été repris, tandis que le Coran n’a été cité que trois fois et que deux passages seulement ont été utilisés. L’utilisation de citations tirées des écritures saintes présente un point faible, à savoir la tendance qui consiste à les sortir de leur contexte et à choisir des versions de la Bible et du Coran qui étayent les arguments avancés – en omettant bien évidemment les parties qui ne sont pas « appropriées ». Ces débats peuvent également être suivis en ligne. Rashid et Smith ont tous deux plusieurs clips, postés sur YouTube, consacrés aux débats et aux réfutations. Smith a aussi créé les Pfander Films sur YouTube et posté plus de 60 clips de 10 minutes en 2007 et 2008 ; le choix du nom semble être une référence volontaire à Karl Pfander. Cet exemple londonien montre que le regain de polémique a conduit à l’utilisation des textes sacrés pour promouvoir sa propre foi au détriment de celle des autres. Les musulmans se sont inspirés des méthodes développées par Ahmed Deedat, qui utilise la Bible pour attaquer le christianisme. Les chrétiens ont réagi en utilisant des méthodes similaires, en se servant de la Bible pour défendre le christianisme, et du Coran pour attaquer l’islam. Les adeptes de cette méthode avancent qu’il s’agit là d’un moyen légitime de propager leur foi et d’offenser les adeptes d’autres confessions pour les contraindre à une remise en question ; 3 d’autres s’interrogent sur la méthode, qu’ils jugent susceptible d’attiser les antagonismes entre les confessions. _____________________________________ ¹ Cet article est une synthèse du document intitulé « Polemical Revival: Attacking the other’s texts », présenté à la conférence de la European Society for Intercultural Theology and Interreligious Studies sur le thème « Interreligious Hermeneutics in pluralistic Europe », organisée conjointement avec le Center for Intercultural Theology and Study of Religions de l’université de Salzbourg du 15 au 17 avril 2009, à Salzbourg en Autriche. Pour le document dans son intégralité, contactez l’auteur : [email protected] 4