La controverse de Valladolid

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La controverse de Valladolid
La Séance du mois
Septembre 2006
La controverse de Valladolid
de Jean-Daniel Verhaeghe
Scénario de Jean-Claude Carrière
> Français, Histoire
> Seconde, Première
Introduction
Le film se prête à un travail en français et en histoire ou, mieux, à une étude conjointe dans les deux
matières – le professeur d’histoire pouvant intervenir pour compléter le travail fait en français.
Des extraits du roman de JC Carrière et de sa pièce (La Controverse de Valladolid) peuvent être
étudiés conjointement au film, en lien avec les objets d’étude suivants :
— en classe de Seconde : démontrer, convaincre et persuader
— en classe de Première : “convaincre, persuader et délibérer : essai, dialogue argumentatif et
apologue” ; ou “le théâtre, texte et représentation”
— en classe de Troisième : la direction essentielle du programme à laquelle correspondrait un travail sur ce film serait l’étude du discours argumentatif, avec pour objectif-clé d’étudier la différence entre convaincre et persuader.
La richesse des possibilités pour approfondir le travail plus technique sur l’argumentation, notamment sur les stratégies argumentatives mises en œuvre, fait que le film est particulièrement adapté
à la classe de Seconde. En Première, il peut être utilisé comme “activité complémentaire” à l’étude de la pièce, dans le cadre du croisement de deux objets d’étude (théâtre et argumentation).
Par ailleurs, le film se rattache en Histoire aux axes suivants, dans le cadre de la partie du programme de Seconde “Humanisme et Renaissance” :
— Les grands voyageurs ; la conquête des Amériques et l’attitude des conquérants
— Le questionnement sur l’homme
1
I Présentation du film
1. Film, roman et pièce de théâtre
Un film de commande
Le téléfilm a été commandé à Jean-Claude Carrière pour le 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique en 1992. Lui-même précise dans une présentation du film en juillet 2001 qu’il disposait de très peu de
temps et de bien peu de moyens pour ce téléfilm : pas de voyage, peu de scènes d’extérieur. Le projet en
revanche était de faire découvrir à un public nombreux un débat historique fondamental, en essayant
d’allier respect d’une certaine vérité historique et ce qu’il appelle “vérité dramatique” : reconstituer ce que
pouvaient être les mentalités de l’époque, faire revivre la tension de ces débats.
Le film a été réalisé pour la télévision et la sortie en salles par Jean-Daniel Verhaeghe sur le scénario de JeanClaude Carrière, scénario publié sous forme de pièce de théâtre. De ce scénario, l’auteur a tiré un roman la
même année (éditions Pocket).
Une adaptation ?
Le texte de la pièce a été rédigé dans l’optique d’une adaptation, et le texte du roman est postérieur ou
parallèle à la sortie du téléfilm. Aussi on ne parlera pas ici d’adaptation cinématographique et on n’étudiera pas le film après l’étude littéraire du roman ou de la pièce : c’est du téléfilm qu’a été tiré le récit ; non
l’inverse. Des extraits du roman permettront en revanche d’éclairer l’étude des séquences filmées.
En revanche, on peut parler d’adaptation ou d’aménagement par rapport avec la réalité historique et aux
sources auxquelles on peut avoir accès (témoignages, écrits d’historiens ou de voyageurs).
2. Fiche technique du film
Un film de Jean-Daniel VERHAEGHE, scénario de Jean-Claude CARRIERE
Année de production : 1992
Durée : 90 minutes
Distribution :
- Jean Carmer (Le légat du pape)
- Jean-Pierre Marielle (Bartolomé de Las Casas))
- Jean-Louis Trintignant (Sepulveda)
- Jean-Michel Dupuis (un des colons)
- Claude Laugier (Frère Ambrosiano)
- Pascal Elso (Frère Emiliano)
3. Séquences du film et découpage
N° séquence
Chapitrage DVD Temps du récit Résumé
1
générique
1
Entrée du légat du pape en salle capitulaire
- arrivée dans la salle de la controverse
- observe Christ en croix, s’incline
Vue sur les toits du clocher
Arrivée des deux espagnols (propriétaires terriens) en
armes cachés dans une salle contiguë
2
1
Début des débats : discours du LP
- préambule et présentation du débat
- thème de la controverse (mission)
- présentation des deux opposants
Première
journée de
débats
3
1
Exposé des faits de Frère Bartolomé de Las Casas,
plaidoirie en faveur des Indiens
4
2
Reprise du légat et questions à FB, argumentations
croisées
5
3 -6
Réponse de Sepùlveda
- questions à FB
6
7
Coup de théâtre 1 : arrivée de l’idole Quetzalcóatl
2
7
8
Soirée hors de la salle
- découverte des Espagnols
- plan sur la cage des indiens
- discussion Espagnols/légat
8
9
Fin de nuit sur le cloître
- cris d’enfants
- chants religieux
- cloches de mâtines
9
9-14
Reprise des débats
- Deuxième coup de théâtre : les Indiens
- examen des Indiens et questions : on frappe l’idole ;
on menace l’enfant, l’Indien acrobate joue
- intervention des bouffons de cour : les Indiens ne rient pas
- le légat trébuche : sourire et rire des Indiens, joie de Las
Casas
Seconde
journée de
débats
10
15
11
16 - 17
Clôture des débats par le légat
- intervention des colons espagnols : conséquences économiques de la décision
- interruption pour délibération
12
18
- prière du légat
- lettre du roi au légat
- annonce du verdict
Troisième jour
13
18
Discours final des deux adversaires (péroraisons)
- Frère Bartolomé
- Sépùlveda
- épilogue : la salle des débats est vide.
- Un Africain balaie la salle.
4. Film et histoire : les modifications
Dans une perspective de clarté et de concentration des événements, pour plus de théâtralité, l’auteur du
scénario a modifié ou simplifié certains aspects de la réalité historique, au profit de la “vérité dramatique” :
Voir en annexe notre rappel historique
- Un huis clos : la controverse se tenait en grand apparat dans le couvent des Dominicains (Le couvent de
frère Gregorio dans le film) proche du Palais Royal, devant un vaste public. Elle se tient dans le film à huis clos
avec une assemblée réduite (Les colons se cachent dans une pièce contiguë pour observer les débats).
- La durée des débats : la controverse s’est en réalité étendue sur plusieurs mois, après des années de préparation : Août et septembre 1550, avril et mai 1551. Dans le film, la préparation est occultée (le légat du
pape précise cependant avoir longuement réfléchi), et le débat dure 3 journées.
- L’objet du débat : le débat philosophique et théologique de 1550 à 1551 a été provoqué par Charles Quint
afin “qu’il se traite et parle de la manière dont devaient se faire les conquêtes dans le Nouveau Monde (…)
pour qu’elles se fassent à justice et en sécurité de conscience.” (Paul III : Encyclique Sublimis Deus, 1537).
La teneur du débat se déplace à la question précise des Indiens.
Le légat du Pape : “le saint-père m’a envoyé jusqu’à vous avec une mission précise : décider, avec votre
aide, si ces indigènes sont des êtres humains achevés et véritables, nos frères dans la descendance d’Adam.
Ou si, au contraire, comme on l’a soutenu, ils sont des êtres d’une catégorie distincte, ou même les sujets de
l’empire du Diable.” (chapitre 3 du roman, chapitre DVD 1)
L’adaptation concentre les débats sur peu de temps, rend l’affrontement plus rapide et plus direct, puisque
l’accent est mis sur les personnages principaux, les autres étant réduits à des figurants, avec de très rares interventions parlées : la théâtralité en est accentuée.
- L’issue du débat : le débat ne fut pas tranché lors de la controverse. Dans le film, il se termine par une décision claire : les Indiens sont des hommes véritables. JCC joue quelque peu sur la vérité historique : le débat se
clôt par l’ajout d’un codicille qui précisera que les Africains remplaceront dans les délais les plus brefs les
3
Indiens pour cultiver les terres des Amériques. La fin du téléfilm donne l’impression que la sentence finale du
cardinal marque le début véritable de l’esclavage, alors que les transferts d’esclaves par les Espagnols
existaient depuis le début du XVIème siècle.
“S’il est clair que les Indiens sont nos frères en Jésus Christ, doués d’une âme raisonnable comme nous, et
capables de civilisation, en revanche il est bien vrai que les habitants des contrées africaines sont beaucoup
plus proches de l’animal. (…) Aristote dirait que, comme le veut la nature de l’esclave, ils sont des êtres tota lement privés de la partie délibérative de l’esprit, autrement dit de l’intelligence véritable. En effet, toute leur
activité est physique, c’est certain, et depuis l’époque de Rome ils ont été soumis et domestiqués.” (…)
“mais pourquoi ne pas les ramasser vous-mêmes, en nombre suffisant ? Vous auriez ainsi une main d’œuvre
assurément robuste, docile et encore moins dispendieuse. La mortalité des Indiens s’en verrait ainsi compen sée.” (chapitre 15, 18 du DVD)
II. Activités autour du film et du roman de JC Carrière
1. Questionnaires de projection pour les classes
Journée 1 : séquences 1 à 7 (chapitres DVD 1-8)
Le cadre spatio-temporel :
a. Décrivez la salle du débat :
b. Comment sont placés les personnages ? Quelle est leur position lorsque le débat commence ?
c. Quelles sont les allusions au cadre religieux ?
d. En quoi l’organisation spatiale fait-elle penser à un procès ?
Les personnages
e. Qui sont les deux personnages qui se cachent, et pourquoi se cachent-ils ?
f. En quels termes le légat du pape présente-t-il Sepùlveda et Las Casas ?
g. En quoi ces deux personnages sont-ils qualifiés pour intervenir dans cette controverse ?
L’objet du débat :
h. Qu’est-ce qu’une controverse ?
i. Recopiez précisément l’objet de la controverse.
j. Quelles seront les conséquences de la décision prise à l’issue de la controverse ?
L’argumentation :
k. Quels sont les registres employés par Las Casas lorsqu’il parle des Indiens et de l’attitude des Espagnols ?
l. Quelle stratégie emploie ensuite Sepùlveda ?
m. Reformulez les thèses respectives de Sepùlveda et Las Casas.
n. Quels arguments emploie-t-il pour prouver que les Indiens appartiennent à une espèce inférieure ?
o. Relevez dans les interventions des deux personnages
- Un argument d’autorité
- Un sophisme
- Un syllogisme
- Un argument ad hominem
p. Repérez les procédés de persuasion employés par les deux adversaires.
q. Quels aspects de la culture indienne LC met-il en avant pour montrer leur degré de civilisation ?
r. Relevez les arguments avancés par les conquistadores :
s. lors de leur entretien nocturne avec le prélat du pape
t. lors de leur intervention publique
u. Quelle “solution de remplacement” le prélat propose-t-il à l’issue de la controverse ? Quel “commerce”
cela annonce-t-il ?
4
Etude de deux séquences courtes :
La plaidoirie de Las Casas (séquence 3, chapitres DVD 1-2)
- Comment Las Casas est-il filmé ?
- Quels angles de vue sont choisis ici ? En quoi les mouvements de caméra servent-ils le déroulement de l’argumentation ?
- Quels choix argumentatifs fait Las Casas ?
- Quel est notamment le rôle de l’anecdote et de l’exemple dans son argumentation ?
- Est-il convaincant pour le public ? Quelle est la réaction de la salle ?
Les Indiens : (séquence 7, chapitres DVD 9-14)
- Que pensez-vous de cet épisode ? Qu’apprend-il au spectateur sur
o Les Indiens
o Le contexte et les connaissances intellectuelles des participants à la Controverse
- Quel est l’objectif du légat ?
- Quelle est la différence entre l’Indien acrobate et les autres Indiens ?
- Par quels procédés est accentuée la tension lors de la scène où l’enfant est retiré à sa mère ?
2. Notes pour la projection et réponses aux questionnaires :
a. Les formes argumentatives
Stratégies argumentatives :
Les 2 personnages incarnent deux manières d’argumenter :
- Frère Bartolomé : la persuasion et l’émotion
Las Casas prend très à cœur le débat lui-même, mais aussi la survie des peuples indiens. Souvent debout, le
visage marqué par l’émotion, la voix parfois brisée, le personnage représente la juste cause face à l’injustice.
Jean-Pierre Marielle est filmé en plan rapproché ou en pied. Le regard de Las Casas, ses gestes, trahissent une
émotion, calculée pour frapper l’auditoire au départ, puis spontanée.
- Sepùlveda : l’art de questionner et de convaincre
Le philosophe frappe davantage par sa maîtrise en son calme. Il se place volontairement du côté de la raison. Comme c’est à Las Casas qu’il revient d’entamer le débat, Sepùlveda écoute posément et en prenant
des notes ce que dit son adversaire. Par la suite il entame une réfutation, en essayant de le déstabiliser.
Rompu à tous les artifices de la rhétorique, il questionne las Casas en revenant sur les failles de son argumentation, et lui renvoie régulièrement son émotion, son ton passionné, qui contrastent avec ses questions insidieuses et ses raisonnements.
Les registres employés :
Les deux personnages tentent de provoquer diverses réactions de la part du public, et éprouvent eux-mêmes
des émotions non toujours maîtrisées. L’étude des registres est particulièrement intéressante ici : les marques
du registre polémique sont visibles, et dans les procédés rhétoriques (interjections, modalités exclamatives et
questions rhétoriques, figures d’insistance comme l’anaphore et les répétitions, lexique dévalorisant…) et
dans les gestes d’indignation des personnages. Le recours au registre polémique appartient bien sûr à Las
Casas lorsqu’il décrit les exactions des Espagnols dans les premières séquences du film. A plusieurs reprises le
ton de sa voix baisse, son débit ralentit lorsqu’il évoque une anecdote particulièrement émouvante.
Les types d’arguments et de raisonnements utilisés :
Les participants à la controverse font appel à tout l’art de convaincre, et varient des arguments soigneusement préparés. Ils emploient divers types d’arguments que les élèves de 2nde et de 1ère peuvent apprendre
à repérer :
- Le sophisme : ce raisonnement est employé dans l’intention d’induire en erreur sous une apparence de
logique. Sepùlveda, rompu aux finesses des logiciens, y fait appel :
Sepùlveda : “Si le Christ le voulait, ces gens-là seraient tous chrétiens ? N’est-ce pas vrai ?” (…) “Le fait qu’ils
rejettent l’Evangile est donc bien la preuve de la méchanceté que je dis. Ils sont placés par naissance hors
de l’effet de la grâce divine. Ils ne rejettent pas le Christ. C’est le Christ qui ne veut pas d’eux dans son royaume.” (chapitre 10 du roman)
- L’argument d’autorité : le recours à Aristote, aux textes religieux, est utilisé par Sepùlveda à de nombreuses
reprises. Le point de départ de tous ses raisonnements est que “tous les peuples de la terre, sans exception,
5
ont été créés pour être chrétiens un jour”. Par ailleurs, il considère comme acquis, à la suite d’Aristote, que
certaines espèces sont faites pour dominer, d’autres pour être dominées.
- Le syllogisme est une forme de raisonnement davantage employée par Sepùlveda. Il donne une apparente rigueur à des raisonnements parfois spécieux en reliant deux propositions pour en déduire une troisième.
Sepùlveda : “Vous dites avec insistance qu’ils sont doux comme des brebis. Mais s’ils sont comme des brebis,
alors ils ne sont pas des hommes ! Qui peut dire que l’homme est doux ?” (chapitre 4, p 76)
Le légat : “Puisque vous dites que les indigènes sont nos semblables, ils sont donc aussi des démons ?”
Las Casas : “Eminence, pardonnez-moi, je ne peux recevoir cet argument, il me paraît mal articulé” (séquence 4 DVD)
- le rôle de l’exemple et de l’anecdote :
C’est Las Casas qui emploie le plus fréquemment ce procédé. Homme de terrain et d’expérience, il insiste à
plusieurs reprises sur ce qu’il a vu, accumulant les exemples et les anecdotes montrant la cruauté des Espagnols. La récurrence des verbes de perception dans les discours de Las Casas marque sa volonté de témoigner des faits vécus, et de se poser en témoin impuissant des infamies des colons. Son atout est avant tout
d’avoir, contrairement au philosophe et au légat, vécu dans les terres lointaines et fréquenté les Indiens. De
cette expérience, il travaille à faire un ouvrage auquel il est fait allusion, et il a rapporté une documentation
importante : il n’hésite pas à montrer des croquis des marques au fer rouge faites sur le visage des Indiens.
Las Casas : “Oui, tout ce que j’ai vu, je l’ai vu se faire au nom du Christ ! J’ai vu des Espagnols prendre la grais se d’Indiens vivants pour panser leurs propres blessures ! Vivants ! Je l’ai vu ! J’ai vu nos soldats leur couper le
nez, les oreilles, la langue, les mains, les seins des femmes et les verges des hommes…” (séquence 3 du film,
chapitres 1 et 2 du DVD ; chapitre 3 du roman)
C’est à l’émotion du spectateur que Las Casas fait appel en multipliant les anecdotes. L’art de raconter est
alors crucial. Las Casas fait revivre les scènes qu’il a vécues ou observées, allant jusqu’à reconstituer les
paroles qu’il a entendues. Sous l’émotion apparente du personnage alors narrateur est visible la volonté de
choquer, le choix de formules frappantes et surtout l’énorme travail de préparation fourni par Las Casas.
Las Casas : “Une autre fois, Eminence, toujours à Cuba, on s’apprêtait à mettre à mort un de leurs chefs (…)je
préfère aller en Enfer pour ne pas me retrouver avec des hommes aussi cruels !”(séquence 3 du film)
- l’argument ad hominem : il vise Las Casas, que son adversaire accuse régulièrement d’être aveuglé par les
indigènes. Le légat du pape fait également ce reproche au dominicain, qu’il taxe d’excès dans ses paroles.
Sepùlveda : “Depuis le début, ces nouvelles peuplades vous ont fasciné et pourrait-on dire séduit. Pourquoi ?
Je na sais pas. Mais on voit bien que vous parlez avec excès.” (séquence 5 du film)
b. La construction du récit : simplicité et accessibilité
- Le Cadre spatio-temporel et le rythme de l’histoire : l’action est étendue sur 3 journées au lieu d’une seule
selon les sources historiques ; le débat en huis clos est interrompu par trois scènes d’extérieur qui viennent
rompre le rythme du film.
Les ressorts de l’action restent peu nombreux cependant, puisque l’intérêt du film réside dans le pouvoir de
la parole et dans les mouvements de l’âme plutôt que dans le mouvement ! Un élément récurrent est notable,
qui provoque chez le spectateur un questionnement : la présence des deux colons espagnols : ils se cachent
pour entrer au couvent, observent les débats, se font poursuivre, s’entretiennent avec le légat puis interviennent lors de la dernière journée de controverse.
L’alternance de dialogue pur et d’action est présente, mais le film reste, à dessein, proche du théâtre filmé
et limite les mouvements et les scènes d’extérieur.
- L’organisation de l’espace : Dans de nombreux plans, on observe une organisation symbolique et très
schématique de l’espace : la plupart des séquences se tiennent dans une salle assez vaste, salle capitulaire
du couvent. Des stalles sont disposées le long des murs, où sont installés les témoins des débats, presque tous
des ecclésiastiques. En avant de ces stalles se trouve l’estrade réservée au légat du pape. Sur cette estrade
est une table recouverte d’un tapis brodé, et surmontée d’un très grand Christ en croix en bois sombre.
La surélévation, la posture centrale, la présence de cette croix évoquent l’autorité de nature divine de celui
que va s’exprimer au nom du représentant de dieu sur terre. Les deux adversaires accompagnés de leurs
assistants sont installés chacun à une table de part et d’autre de l’estrade et se font face.
Les couleurs et la lumière soulignent la séparation spatiale des deux camps. La chasuble rouge du Cardinal
au centre contraste avec les habits blanc et noir des deux plaideurs. Le sentiment de huis clos est accentué
lors de la première journée, d’abord par la récurrence des plans d’ensemble en plongée sur la salle capitulaire, filmée de la table du légat. L’espace est alors visible dans son austérité et sa symétrie : une allée centrale mène à la porte fermée de la salle. Les deux tables des plaideurs sont disposées de manière exactement
symétrique de part et d’autre de l’allée, et forment une sorte de croix au sol.
La salle est également filmée dans plusieurs plans à travers une ouverture derrière laquelle se trouvent les
colons espagnols. Ces plans en focalisation interne attirent l’attention sur ces mystérieux personnages, et sur
l’aspect secret et crucial du débat qu’ils sont prêts à entendre.
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- Du théâtre filmé : les plans lors des débats ne sont pas toujours fixes. Le débat s’ouvre sur un plan d’ensemble
puis des plans moyens permettant une vision générale du cadre des débats. Ensuite, alternent plans moyens,
gros plans qui mettent en valeur les réactions et les émotions de chacun des trois protagonistes.
Les scènes d’intérieur sont évidemment les plus nombreuses. Les vues d’extérieur sont rares et soulignent par
contraste l’impression de confinement lors des débats : une scène de nuit ou au petit matin sur le cloître, en
plongée ; une scène de poursuite des deux colons dans le couvent, et une vue finale sur le couvent et le ciel.
Le parti pris initial est bien celui d’une pièce de théâtre filmée, sans scène d’action ou presque. Le projet de
départ excluait en effet toute scène d’évocation des terres lointaines on de la vie des colons et des Indiens.
Loin d’être un film à “grand spectacle”, La Controverse resserre temps et action dans un lieu clos, où les mouvements sont plutôt intérieurs. Cette théâtralité donne force à la psychologie des personnages et permet un
effet d’attente plus marqué : quel sera le résultat de la controverse ? Le pouvoir de la parole entraîne l’imagination du spectateur du débat et du film (c’est flagrant lors de l’évocation des massacres par Las Casas).
C’est évidemment à une scène de procès que pense le spectateur : la disposition de la salle en fait un
tribunal, des plaidoiries ont lieu, avec des questions, le juge est présent en la personne du légat, les témoignages se succèdent. Lors de la plaidoirie de Las Casas, le montage alterné (champ/contre champ, focalisation interne sur Las Casas qui regarde le légat, et inversement, rares plans sur Sepùlveda) permet de souligner la rapidité de l’échange, les questionnements intérieurs des personnages. C’est sur le jeu des acteurs que
repose alors le film, et sur la variété des plans et leur alternance.
III. Insertion dans une séquence en français
Le travail sur le téléfilm peut être lié à :
- Un groupement de texte sur la question de l’altérité (de Montaigne aux Lumières : Des Cannibales, Supplé ment au voyage de Bougainville, Candide…)
- Un groupement de textes : regards sur l’étranger
- Une étude en œuvre intégrale de la pièce de Jean-Claude Carrière
- Un groupement de textes sur les formes de l’argumentation : le dialogue argumentatif en 1ère
Il paraît intéressant d’étudier en lecture analytique, parallèlement au film, le chapitre 7 du roman de JeanClaude Carrière, qui reprend sous forme de dialogue entre les deux adversaires la plupart des arguments
énoncés dans le film, et qui présente l’intérêt d’être une réfutation par Las Casas de chaque argument de
Sepùlveda.
Travaux d’écriture possible (sujet d’invention) :
— A la suite de la controverse, un des dominicains témoins de la scène des Indiens écrit une lettre au légat
du pape pour lui faire part de son indignation. Vous rédigerez cette lettre et vous inspirant des arguments pré sentés lors du débat et en variant les registres.
— Sur le modèle du discours du Tahitien dans Supplément au Voyage de Bougainville, vous rédigerez le dis cours d’un Indien à Sepùlveda pour exprimer son indignation face à sa vision des Indiens. Vous pourrez
reprendre certains arguments employés dans le film.
— En reprenant certains arguments repérés dans le film La Controverse de Valladolid, rédigez en une trentai ne de lignes une plaidoirie de Las Casas pour défendre les Indiens. Vous emploierez au moins trois arguments
enrichis d’exemples variés, et les ressources des registres polémique et pathétique.
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IV. Annexe : le contexte historique et le point sur le débat
Un Empire vaste et organisé
Les phases de la conquête
A l’heure de la Controverse de Valladolid, l’Empire espagnol sur le continent américain est largement constitué.
Cette conquête s’est effectuée en trois grandes phases :
- de 1492 à 1515, c’est le temps de l’exploration et de la colonisation des Antilles (Saint Domingue,
Cuba, Jamaïque)
- de 1515 aux années 1520, les Espagnols, sous la direction de Cortès, se lancent depuis les Antilles à
la conquête de la “tierra firme” la plus proche, à savoir le Mexique (empire aztèque)
- de 1530 à 1545, c’est au tour de l’empire inca (Pérou) de tomber sous les coups de Pizarro
Dans le téléfilm, Sepulveda souligne la rapidité et la facilité de cette conquête, au regard de l’avantage
numérique dont bénéficiaient les populations des Amériques : il voit là la “main de Dieu”. Las Casas quant à
lui choisit une explication plus rationnelle : l’avance technologique des Espagnols en matière d’armement.
Cette supériorité technique et militaire est en effet un des facteurs d’explication de la rapidité de cette
conquête. Il en existe d’autres : les dissensions entre les Indiens dont ont su tirer parti les Espagnols (ils ont ainsi
reçu l’aide des Tlaxcaltèques contre les Aztèques), les attentes religieuses des Indiens (arrivée des Espagnols
assimilée au retour mythique de Quetzalcoalt), et les ravages des maladies “importées” d’Europe.
L’organisation de l’Empire
En 1550, l’Empire espagnol est donc constitué de trois ensembles majeurs : les Antilles, qui tiennent lieu d’escale pour les navires venus d’Espagne ; le Mexique ( = vice-royauté de Nouvelle Espagne) et le Pérou ( =
2ème vice-royauté).
Deux vice-rois, installés à Mexico et à Lima, sont les représentants de la couronne espagnole. La hiérarchie
administrative existant en Espagne est reproduite sur les territoires américains : ainsi les audiencias ( = tribunaux) sont chargés de diffuser et de faire appliquer les décisions royales. Sur un territoire aussi vaste il est
cependant difficile, voire impossible, de s’assurer du respect de chaque décision. De fait, les villes bénéficient
d’une large autonomie. De même pour les conquistadores.
Les acteurs de la colonisation
Les conquistadores
Las Casas dénonce l’attitude des conquistadores espagnols à l’égard des Indiens : massacres innombrables,
tortures, marquage au fer rouge, travail forcé, tout cela par cupidité.
La quête de l’or, la poursuite d’un Eldorado fantasmé est sans aucun doute la motivation première de ces
conquistadores. Dans l’optique de tirer un maximum de profit de la colonisation, ils vont privilégier la
recherche de métaux précieux plutôt que l’exploitation agricole. Dans un premier temps, c’est aussi une
façon pour eux de se rembourser les frais de leur expédition. En effet, hormis le premier voyage de Colomb,
l’Etat espagnol ne finance pas les expéditions vers le Nouveau Monde. Ce sont les candidats à l’aventure
américaine qui financent eux-mêmes, par des capitaux privés, leurs expéditions. De là découle le fort esprit
d’indépendance des conquistadores face à l’autorité royale : les décisions du Consejo de Indias, en particulier celles favorables aux Indiens, sont difficilement respectées par des conquistadores qui estiment avoir un
droit particulier sur ces régions, puisqu’ils les ont conquises eux-mêmes. Dans leur entretien nocturne, un des
deux conquistadores rappelle au représentant du Pape les difficultés d’installation qu’ils ont eu à surmonter.
De fait, la mortalité est aussi très élevée parmi les Espagnols (parfois seulement 10% des membres d’une expédition survivent) : expéditions hasardeuses, morts violentes. Bartolomé Bennassar souligne bien ce point : “la
chronique des conquistadores, malgré les coups d’éclat et les fortunes miraculeuses (…), est un long récitatif
de la mort violente”.
Toujours dans cet entretien, le conquistador fait valoir qu’ils apportent soin, éducation aux Indiens (ils leur
“montrent leurs outils et leur apprennent comment s’en servir ») Il fait ici allusion au régime de l’encomienda,
établi en 1502 et 1512 : attribution d’Indiens aux colons, qui peuvent les faire travailler et en “échange” doivent leur apporter une instruction religieuse et morale…alibi “civilisateur” qui au fil de toutes les colonisations
a servi de justification à l’exploitation économique des territoires conquis.
Cette exploitation par les conquistadores s’est donc prioritairement tournée vers les métaux précieux : pillages
des trésors, puis extraction. D’artisanale jusqu’aux années 1540, cette extraction devient plus “industrielle” à
partir de 1550, pour l’or, et surtout pour l’argent (ex. : mines de Potosi au Pérou). Selon Pierre Chaunu, ce sont
300 tonnes d’or et 25 000 tonnes d’argent qui ont été transférés vers l’Espagne en 150 ans. Sur tout le volume
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de métaux précieux extraits, la Couronne prélève l’impôt du quinto (un cinquième de la production va à
l’Etat)…d’ailleurs le conquistador, lors de son intervention devant les participants de la controverse, rappelle
avec une certaine habileté les intérêts financiers de la royauté espagnole et de la papauté vis-à-vis du Nouveau Monde.
Enfin, devant l’assemblée, le conquistador s’excuse de ne pas avoir l’éloquence oratoire d’un Las Casas ou
d’un Sepulveda….il est cependant félicité par le prélat du Pape. Certes les conquistadores, issus majoritairement de la petite noblesse (caballeros et surtout hidalgos), n’étaient pas de grands lettrés, mais beaucoup
savaient lire et écrire, et certains ont même appris les langues indigènes.
Les religieux
Les religieux ont joué un rôle essentiel dans la colonisation, et en particulier le clergé régulier. Ce sont surtout
les franciscains qui se sont lancés dans l’aventure missionnaire, puis dans une moindre mesure les dominicains
et les jésuites. A tous, l’évangélisation des indigènes apparaît comme un devoir ; un immense chantier s’ouvre
devant eux : la conquête spirituelle du Nouveau Monde. Dans le téléfilm, Sepulveda et Las Casas sont bien
d’accord sur ce point : la nécessité de convertir les indigènes au christianisme, et plus précisément au catholicisme, religion universelle. Il est important de souligner qu’à ce moment (1550), les différentes réformes protestantes sont passées par là. L’autorité du Pape est contestée en Europe, le Nouveau Monde doit donc être
l’occasion de réaffirmer la grandeur de l’Eglise catholique romaine (le prélat, lors des premières minutes de
la controverse, rappelle qu’un des aspects de la question est le “respect de la loi de la couronne et du Pape”
aux Amériques).
Au cours du XVI° siècle, plus de 10 000 religieux vont partir pour cette “Nouvelle Espagne ». Une fois là bas, ils
fondent des églises, des couvents, évangélisent les populations. Ils condamnent les pratiques religieuses
indiennes, jugées impies et superstitieuses ; ils collaborent à la destruction de temples et d’idoles (le téléfilm
montre bien qu’ils n’ont pas de scrupules à frapper sur les représentations du Serpent à plumes). Mais, dans
le même temps, ils apprennent les langues indigènes (c’est un religieux qui sert d’interprète à l’arrivée des
Indiens), ils étudient les civilisations pré colombiennes, parfois avec une réelle rigueur ethnographique. C’est
le cas par exemple du frère Andrès de Olmos, qui publie un Traité des antiquités mexicaines, ainsi qu’un Arte
de lingua mexicana (grammaire et vocabulaire de la langue nahualt). Olmos, ainsi que d’autres religieux,
écrivent même des ouvrages entiers en langue indigène. On voit d’ailleurs bien dans le film que Las Casas a
une parfaite connaissance des cultures indiennes : il loue leurs connaissances scientifiques (notamment en
astronomie), leurs réalisations architecturales et artistiques, leur organisation sociale.
Par ailleurs, certains de ces religieux, et en particulier les dominicains, vont dénoncer les abus et les atrocités
commis par les Espagnols contre les Indiens. Las Casas est de ceux qui, dés la fin des années 1510, plaide pour
une colonisation sans violence, qui ferait des Indiens des sujets libres et chrétiens de la couronne d’Espagne.
Selon lui, pour mener à bien cette colonisation pacifique, il faut laisser faire les religieux. Lui-même fait un essai
de colonisation à Cumana en 1522, mais c’est un échec…il réitère l’expérience en 1537 à Vera Paz.. Il lutte
également contre le régime de l’encomienda, et obtient gain de cause, puisque les Nouvelles Lois de 1542
condamnent ce système et esquissent une réelle protection des Indiens…mais ces mesures, si elles sont appliquées par Las Casas alors évêque du Chiapa, sont assez peu mises en pratique ailleurs, et provoquent même
des révoltes de conquistadores, comme au Pérou. Parallèlement à cette action de terrain, il mène campagne à travers ses écrits, et en particulier la Brève relation de la destruction des Indes , ouvrage dans lequel
il relate les exactions des conquistadores (ouvrage de 1552, postérieur à la controverse donc, mais dont JC
Carrière s’est visiblement inspiré pour écrire les plaidoiries de Las Casas). Dans ces débats, d’autres théologiens ou intellectuels interviennent : Vitoria défend l’idée d’une souveraineté indienne et avance que la
conquête ne peut être légitimée que si elle établit un ordre plus humain, contre la tyrannie des chefs locaux,
et contre les pratiques barbares. Sepulveda est quant à lui un contradicteur acharné de Las Casas ; il écrit
notamment Democrates alter où il défend la thèse que l’on retrouve dans le téléfilm, selon laquelle les Indiens
seraient une humanité primitive destinée à servir de main d’œuvre (ce livre sera condamné par l’université
de Salamanque). La question de la publication de cet ouvrage est d’ailleurs occultée dans le téléfilm, alors
qu’elle fit partie des débats lors de la controverse.
Ainsi la colonisation du Nouveau Monde a-t-elle été l’occasion de longs débats théologiques et éthiques, qui
ont occupé les élites intellectuelles de l’Espagne du XVI° siècle, en cette période où l’Homme, grâce à l’humanisme, devient le centre des préoccupations.
Une population indigène décimée
Images et représentations des indigènes
Trois représentations des indigènes cohabitent au XVI° siècle : celle de “bons sauvages” qui auraient gardé
l’innocence originelle en restant plus proche de la nature que de la culture ; celle de populations primitives
mais dotées d’une culture propre ; celle enfin de barbares aux pratiques sanguinaires.
Le téléfilm expose ces trois points de vue. Dans sa première intervention, Las Casas décrit les Indiens comme
étant beaux, pacifiques, généreux. Il déclare même qu’ils sont “l’image du Paradis”. Les indigènes sont ainsi
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perçus comme une représentation du paradis originel, celui d’avant la Chute, où les humains vivaient en harmonie avec la nature, sans désirs superflus. Cette vision fait écho chez d’autres intellectuels, ainsi Montaigne
véhicule lui aussi cette représentation dans Des cannibales. Par ailleurs, Las Casas dans un deuxième temps
met en avant tout ce qui montre que ces populations sont des civilisations à part entière (cf précédemment).
Les Indiens qui sont amenés en Europe sont des objets de curiosité (comme l’acrobate présent dans le téléfilm). Sepulveda quant à lui préfère retenir la troisième représentation en dressant un tableau où se côtoient
idolâtrie, sacrifices humains au nom de la religion, cannibalisme, sodomie…nombre de chroniqueurs ou d’historiens reprennent ce point de vue, par exemple Lopez de Gomara dans sa préface d’Hispania victrix. Les
Indiens sont perçus ici comme un Autre diabolique, dépourvu de morale et d’humanité. Sepùlveda leur
reconnaît des qualités d’imitation des Européens, mais les présente comme un aveu de leur infériorité face
aux Européens.
Il faut préciser par ailleurs que la notion d’espèce n’a émergé en Europe que bien après la controverse, avec
les naturalistes qui ont différencié les espèces vivantes au XVIIIème siècle. Dans le contexte, il n’est donc pas
surprenant que le légat du Pape évoque les possibles accouplements d’hommes et de singes, et demande
avec gravité si les Indiens et les Blancs ont pu s’accoupler !
Il est par ailleurs fait fréquemment allusion aux thèses d’Aristote, que Sepùlveda cite et défend : le philosophe
grec justifiait l’esclavage en distinguant non des espèces mais des catégories d’hommes. Les esclaves étaient
selon lui des hommes, certes, mais “dotés d’une raison passive permettant d’obéir aux autres », ceux “dotés
d’une qualité naturelle d’intelligence et de maîtrise de soi ». Sepùlveda reprend à son compte en l’adaptant
à son époque, cette hiérarchie dans le genre humain.
“Je ne nie pas leur condition humaine, au sens où Aristote l’entend, je dis simplement qu’ils sont à la plus basse
classe de cette condition, et que leur nature diffère essentiellement de la nôtre.”(chapitre 7 du roman)
Les ravages de la colonisation
Au nom de cet argument, ils vont être massacrés ou assujettis par les Espagnols. La population indigène, en
seulement un siècle, va être littéralement décimée : de 80 à 100 millions d’habitants indiens au moment de
la découverte, les Amériques espagnoles vont passer à 8 à 9 millions d’indigènes en 1600. Las Casas énumère les raisons d’une mortalité aussi effarante : massacres (comme celui de Cholula en 1519, où 6000 Indiens
furent tués), mauvais traitements, travail forcé, maladies. Les populations indigènes ont subi un choc microbien dévastateur : Las Casas évoque la vérole lors des débats (ce n’est évidemment pas anodin, il s’agit là
de souligner le péché de chair dont se rendent coupables les Espagnols), mais ce sont surtout la variole, la
grippe, le typhus, la rougeole, les maladies pulmonaires, contres lesquelles les Indiens n’étaient pas immunisés, qui ont anéanti des populations entières. De plus, aux massacres, aux maladies, s’ajoute la très forte mortalité dans les mines, du fait de conditions de travail effroyables : manque d’oxygène en haute altitude, écart
de température considérable entre les galeries et la surface (de + 30° à – 5°), travail éprouvant physiquement
pour des hommes qui en plus sont sous-alimentés. L’intensification de l’extraction minière a demandé toujours
plus de travailleurs (13000 Indiens pour les seules mines d’argent de Potosi). Pour cela, le régime de l’encomienda légitimait le travail forcé, et parallèlement les Espagnols ont aussi pris à leur compte la mita, système
de corvée de la société inca.
La liberté des uns contre l’esclavage des autres
Un des conquistadores le souligne : faire des Indiens des sujets libres priverait les Espagnols d’une main
d’œuvre qui ne coûte rien (ce qui permet une exploitation d’autant plus intensive). Le prélat du Pape en prononçant son arrêt favorable aux indigènes prend donc soin de proposer une solution alternative : faire venir
cette main d’œuvre d’Afrique. Les conclusions de la véritable controverse n’ont pas proposé explicitement
cette solution. En fait, le recours aux esclaves noirs a commencé dés les années 1520, pour compenser le
désastre démographique que connaissent déjà les populations indigènes. En 1600, d’après Bennassar, les
noirs et les mulâtres sont déjà près d’un million (sur 10 millions d’habitants en Nouvelle Espagne)…et ce commerce triangulaire se renforce à la toute fin du XVI° siècle, pour véritablement se structurer au siècle suivant.
De leur côté, même “libres”, les Indiens vont rester des sujets exploités, obligés de renier en partie leurs
croyances et ne pouvant constater qu’avec impuissance la déstructuration de leur société traditionnelle.
Séance proposée par Garance Yahi, professeure de Français à Paris (75)
et Aude Fonvielle, professeure d’Histoire Géographie à Villepinte
pour Zéro de conduite.net
http://www.zerodeconduite.net
mail : [email protected]
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