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Session 10 - 2
« L’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience de consommation :
une investigation du cas spécifique des expériences virtuelles »
Antonella Carù
Professeur Università Bocconi Milan
[email protected]
Bernard Cova
Professeur Euromed Marseille et Visiting Professeur Università Bocconi Milan
[email protected]
Valérie Deruelle
Chercheur France Télécom Division Technologies & Innovation Lannion
[email protected]
Résumé
Le plaisir vécu dans une expérience de consommation peut aller de la simple excitation des sens à
un état optimal dit de flux (jouissance). Cependant, l’accès à ce plaisir/jouissance n’est pas
évident et requiert un ensemble d’opérations permettant au consommateur de s’immerger dans
l’expérience. Le développement de services liés aux NTIC amène à interroger les modulations et
les conditions d’accès au plaisir/jouissance dans les expériences virtuelles. A partir de l’analyse
des récits de 55 consommateurs mis en situation sur un site web (Google Earth ou MSN
Shopping ou Photoblog) et d’observation de ces situations, notre recherche montre l’existence
d’états qualifiables de jouissance dans 27% des cas et met en avant l’importance des opérations
de nidification et la nécessité du contrôle dans l’accès à ces états.
Abstract
Pleasure lived during a consumption experience can range from a reflex sensorial response to an
optimal state of contentment called flow (enjoyment). However, there is nothing straightforward
or systematic about the access to such a state of pleasure/enjoyment. It requires a whole set of
operations in order to allow the consumer to immerge her/himself. The development of the socalled CME questions the types and conditions of access to pleasure/enjoyment within virtual
experiences. On the basis of the analysis of 55 consumers’ narratives concerning their experience
with a website (Google Earth or MSN Shopping or Photoblog) plus researchers’ observations
during these experiences, our research shows that 27% of the experiences lead to something close
to enjoyment. Our research also highlights the importance of the operation of nesting and the
major role of control in the access to such states.
Session 10 - 3
« L’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience de consommation :
une investigation du cas spécifique des expériences virtuelles » 1
1. Introduction
Cette recherche veut combler un vide entre les recherches en marketing centrées sur la satisfaction
du consommateur en rapport avec certains attributs d’un service lié aux NTIC (Evanschitsky, Iyer,
Hesse et Ahlert, 2004 ; Meuter, Ostrom, Roundtree et Bitner, 2000 ; Szymanski et Hise, 2000) et
les recherches en design / sociologie de l’innovation centrées sur l’interaction entre l’usager et le
service lié aux NTIC (Lynch et Horton, 1999 ; Silverstone et Hirsch, 1992). Elle prend pour objet
le plaisir dans l’expérience de consommation de service liée aux NTIC et s’intéresse plus
particulièrement à l’accès à ce type d’expérience : l’immersion du consommateur dans
l’expérience virtuelle semblant le but recherché par de nombreux opérateurs du Web.
L’expérience de consommation est entendue comme une construction sociale subjective et
objective, produit d’une interaction réciproque entre un (ou plusieurs) individu(s), un lieu et une
pratique de consommation (Bouchet, 2004). On peut différencier deux grands niveaux de plaisir
vécu dans une expérience de consommation : du simple plaisir des sens à la ‘jouissance’ du
sentiment d’accomplissement. Le plaisir simple naît de la stimulation des cinq sens par un
ensemble de dispositifs polysensoriels et/ou de la stimulation de l’imaginaire par la mise en jeu de
récits, histoires, intrigues et images (Schmitt, 1999). La jouissance provient d’une mise en jeu des
compétences du consommateur dans une situation de défi (Csikszentmihalyi, 1997 et 2000). Enfin
l’accès à une expérience de consommation plaisante ou jouissive peut être compris comme un
ensemble d’opérations subjectives entreprises par le consommateur en interaction avec le contexte
de l’expérience (Csikszentmihalyi, 1997 ; Carù et Cova, 2003).
Le premier but de la recherche est de comprendre les types de plaisir/jouissance éprouvés dans
l’expérience de consommation des services liés aux NTIC. Le deuxième but de cette recherche
est de décrire et/ou préciser les processus d’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience de
consommation. Le troisième but de cette recherche est de confronter les différents modèles
d’accès au plaisir/jouissance proposés dans la littérature afin de contribuer à une amélioration du
cadre théorique.
2. Plaisir et jouissance dans l’expérience de consommation
Depuis quelques années, les chercheurs en marketing s’évertuent à bien marquer la différence
entre le simple plaisir ressenti dans une expérience ordinaire et la jouissance issue d’une
expérience extraordinaire qui représente pour eux l’objectif à atteindre par le marketing
expérientiel et/ou le marketing de l’expérience (Addis, 2005 ; Hetzel, 2002 ; Pine et Gilmore,
1999 ; Zarantonello, 2005).
O’Shaughnessy et O’Shaughnessy (2002), dans leur discussion sur l’hédonisme, insistent ainsi
sur la nécessité de clairement faire la différence entre ‘plaisir’ (pleasure) et ‘jouissance’
1
Cette recherche bénéficie du support du programme de recherche France Telecom R&D/Euromed Marseille sur
« Le plaisir dans l’expérience de consommation ».
Session 10 - 4
(enjoyment) : “Csikszentmihalyi voit la jouissance comme une expérience optimale et il la
distingue bien du simple plaisir, qu’il considère comme une pure réponse réflexe incorporée dans
les gènes pour la préservation de l’espèce… Bien que des expériences plaisantes peuvent en
certaines occasions être optimales, le plaisir est généralement évanescent. C’est seulement si
l’expérience plaisante intègre une intensité d’attention, un sentiment d’accomplissement et de
croissance psychologique, que le plaisir peut devenir jouissance” (O’Shaughnessy et
O’Shaughnessy, 2002, p. 540).
La recherche du simple plaisir par la stimulation des sens relève d’une approche sensorielle du
produit (design d’objet) ou du magasin (design d’environnement) qui est aujourd’hui bien pris en
compte par les approches de design et de marketing se centrant sur la dimension polysensorielle
des émotions générées par un support matériel. La jouissance, par contre, n’a fait l’objet que de
recherches récentes (Eccles, Woodfruffe-Burton et Elliott, 2006 ; Novak, Hoffman et Yung, 2000)
fondées sur le concept de ‘flux’ (flow) introduit par Csikszentmihalyi (1997). Dans les
expériences dites de ‘flux’ (flow experience), l’énergie psychique mise en jeu est maximum
(Csikszentmihalyi, 2000) ce qui nous permet de vivre des moments exceptionnels pendant
lesquels “ce que nous sentons, ce que nous souhaitons et ce que nous pensons sont en totale
harmonie” (Csikszentmihalyi, 1997, p. 29) ; nous sommes alors totalement immergés dans
l’expérience que nous vivons, ce qui nous fait notamment perdre la notion du temps. Deux
dimensions majeures permettent de faire une distinction entre les expériences selon
Csikszentmihalyi (1997) : le niveau de compétences (skills) et le niveau de défi (challenge).
L’expérience de flux (flow) se réalise quand les niveaux de compétences et de défi sont tous deux
à leur maximum. C’est cette conjonction qui fait accéder au plus grand niveau de jouissance
(enjoyment) pour l’individu et donc pour le consommateur (Eccles, Woodfruffe-Burton et Elliott,
2006).
Ceci étant, certaines recherches sur le plaisir dans l’expérience de consommation font état de
l’existence d’une espèce de sous catégorie de l’expérience de flux relevant d’une jouissance
moins totale et plus éphémère. Carù et Cova (2003, p. 59) parlent de « petites conquêtes » pour
décrire ces petits moments de jouissance ou micro-immersions dans l’expérience : c’est-à-dire des
petits moments forts qui se traduisent par un sentiment de bien-être, de développement et de
gratification. Carù et Cova (2003) mettent ainsi en avant que dans les expériences de
consommation, il y a rarement immersion totale du consommateur dans l’expérience, mais plutôt
immersion partielle. Fornerino, Helme-Guizon et de Gaudemaris (2005 et 2006) reprennent cette
idée d’immersion en définissant l’état de ‘flux’ comme un cas particulier d’immersion, celui de
l’immersion totale, et en proposant d’utiliser le mot ‘immersion’ pour caractériser les états moins
extrêmes de jouissance du consommateur proches des petites conquêtes : « l’immersion est un état
de concentration des activités de l’individu autour d’une unique expérience accompagnée en
général d’une forte intensité d’activités en cours » (Fornerino, Helme-Guizon et de Gaudemaris,
2006). Trois composantes de l’état d’immersion ont été mises en évidence - cognitive, affective
et physique – comme deux facettes – sociale, individuelle – (Fornerino, Helme-Guizon et de
Gaudemaris, 2006).
3. Immersion et accès au plaisir/jouissance dans l’expérience
Dans les approches de marketing expérientiel, il semble qu’une fois que le contexte de
consommation a été enclavé, sécurisé et thématisé (Firat et Dholakia, 1998) et qu’il a été
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théâtralisé et mis en scène (Pine et Gilmore, 1999), le consommateur est supposé ‘plonger’ sans
problème dans le contexte et ainsi avoir accès immédiatement à l’expérience (Carù et Cova,
2006c). C’est là que les théories du marketing expérientiel et du ré-enchantement de la
consommation trouvent leurs limites (Jantzen et Ostergaard, 2005). Si cela est valable pour
certaines situations de magasinage et pour certains consommateurs, ça ne l’est pas pour tous et
pas dans toutes les situations : l’accès à l’expérience « n’est ni évident, ni systématique et
requiert des compétences ou des aptitudes dont le consommateur ne dispose pas nécessairement »
(Ladwein, 2002, p. 61). En fait, si tout ceci semble valable pour un consommateur ‘expert’ du
produit, du service et/ou du contexte qui va (peut-être) pouvoir s’y plonger directement, il ne
semble pas l’être pas pour un consommateur ‘novice’ qui ressent une distance par rapport au
produit et à sa mise en scène ce qui freine l’immersion et peut ainsi annuler l’expérience. La mise
en scène spectaculaire comme l’enclavisation peuvent aller jusqu’à créer un effet de seuil envers
ce consommateur. Pour les néophytes d’un produit et/ou d’un contexte, l’accès à l’expérience
prend ainsi bien plus souvent la forme d’un parcours complexe et incertain fait d’opérations
d’appropriation que celle d’un plongeon (Carù et Cova, 2003).
On comprend donc qu’en marketing, le concept d’immersion souffre du sentiment d’immédiateté
que véhicule l’idée de plongeon qui souvent lui est associée (Carù et Cova, 2003) : le fait ‘d’être
dans la place’ semblant suffire à occasionner l’immersion. C’est là une des faiblesses des
conceptualisations actuelles en marketing expérientiel : l’immersion dans l’expérience est
comprise à la fois comme le processus (immédiat !) d’accès à l’expérience (Pine et Gilmore,
1999) et l’état final à atteindre, c’est-à-dire celui, pour le consommateur, d’être immergé dans
l’expérience, dans son contexte, son univers, son environnement particulier (Fornerino, HelmeGuizon et de Gaudemaris, 2005).
Nous proposons donc ici, pour éviter toute confusion, de considérer (Carù et Cova, 2006c)
l’immersion du consommateur comme un processus (et non un état) permettant l’accès au vécu
d’une expérience plaisante sinon jouissive. L’immersion peut être un processus instantané ou
progressif. L’immersion ne se fait pas dans l’expérience proprement dite mais dans un contexte
expérientiel organisé par une entreprise. On entend généralement par contexte expérientiel, un
assemblage de stimulus (produits) et de stimuli (environnement, activités) propre à faire advenir
l’expérience. Rappelons que, pour toutes les entreprises qui ont adopté le marketing expérientiel,
il devient primordial de maîtriser les déterminants du processus d’accès au plaisir dans
l’expérience de consommation. Pour être plus précis, il s’agit pour une entreprise de construire
un contexte expérientiel apte à favoriser l’immersion du consommateur de manière à ce que celuici vive une expérience plaisante/jouissive. En effet, l’entreprise n’offre pas des expériences
contrairement à ce qui a pu être avancé au travers de l’idée d’économie de l’expérience.
L’expérience est un épisode vécu par le client en interaction avec l’offre de l’entreprise (Carù et
Cova, 2006a et 2006c). L’entreprise peut donc offrir au maximum des produits et des contextes
expérientiels que le consommateur mobilisera à sa façon pour (co)produire son expérience.
Si l’immersion est un processus d’accès à une expérience plaisante ou jouissive de
consommation, les opérations constitutives de ce processus comme les moyens de faciliter ces
opérations sont donc des sujets d’importance pour les marketers. Deux modèles aujourd’hui sont
proposés pour comprendre ce processus : le ‘modèle de flux’ développé par Csikszentmihalyi
(1997) pour permettre d’avoir accès à une expérience de flux et le ‘modèle d’appropriation’
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développé par Carù et Cova (2003) pour permettre d’avoir accès à une expérience
plaisante/jouissive de consommation.
Le modèle de flux (Csikszentmihalyi, 1997) se divise en huit composantes :
(1) un objectif précis ;
(2) du feedback;
(3) des défis à la hauteur des compétences ;
(4) concentration et focalisation ;
(5) contrôle ;
(6) perte de la conscience de soi ;
(7) transformation de la perception du temps ;
(8) l’activité devient autotélique (c’est-à-dire qu’elle est effectuée pour elle-même).
A partir de ces composantes, et bien que Csikszentmihalyi (1997) ne spécifie pas de relations
entre elles, Novak, Hoffman et Yung (2000) proposent les regroupements suivants :
• conditions préliminaires à l’accès à l’expérience (1, 2 et 3),
• caractéristiques du processus d’accès (4 et 5),
• conséquences de l’accès (6, 7 et 8).
Le modèle d’appropriation (Brunel et Roux, 2005 ; Carù et Cova, 2003) s’appuie sur la notion
d’appropriation (Serfaty-Garzon, 2003) mise en jeu pour comprendre l’accès au plaisir dans le
cas d’expériences artistiques, culturelles ou touristiques. Il y aurait plaisir ou jouissance dans
l’expérience de consommation quand le consommateur est apte à actualiser cette expérience par
des méthodes ou opérations (Ladwein, 2003) que l’on peut qualifier d’appropriation et qui
mettent en jeu ses compétences. L’accès au plaisir/jouissance peut ainsi être conceptualisé
comme un ensemble d’opérations d’appropriation (conduites, pensées, projections…). Les
principales opérations d’appropriation de toute expérience de consommation peuvent être
conceptualisées comme suit (Aubert-Gamet 1996 et 1997 ; Carù et Cova, 2003) :
• Nidification: l’individu se sent chez soi en isolant une partie de l’expérience à laquelle
il est confronté, partie qui lui est déjà familière de par son expérience accumulée et
dans laquelle il s’installe. Il fait ainsi l’exercice fréquent de la stabilité et du contrôle
de l’expérience par les compétences qu’il a développées et se donne une image
positive de soi à même de lui permettre de se laisser aller ensuite.
• Exploration : l’individu va, à partir de son nid ainsi créé, tenter des explorations,
repérer de nouveaux produits ou activités, pour développer ses points d’ancrage et de
contrôle (balises). Il développe sa connaissance du contexte de l’expérience auquel il
est confronté et il étend progressivement son territoire ;
• Marquage : l’individu va imprimer un sens particulier à l’expérience ou à une partie
de l’expérience. Ce sens ne sera pas le sens général donné à l’expérience mais le sien,
construit à partir des ses référents, de son histoire personnelle… Ici, l’individu fait
usage de sa créativité pour jouer subjectivement avec le contexte de l’expérience et y
inscrire du sens.
A la suite de ces trois opérations, le consommateur a accès au plaisir/jouissance dans
l’expérience. A noter que le contrôle (ou la maîtrise) présent comme composante du processus
dans le modèle de flux (Csikszentmihalyi, 1997) est considéré par certains chercheurs en
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marketing (Brunel et Roux, 2005) comme manifestation de l’appropriation et non comme
opération permettant l’accès à l’expérience.
4. Le cas spécifique du plaisir/jouissance dans les expériences virtuelles
Pourquoi avoir fait le choix des expériences virtuelles (expériences faites au travers de
l’ordinateur)? Parce que la dimension sensorielle, même si elle existe, y est minorée par rapport à
la mise en jeu des compétences des consommateurs qui est centrale aux modèles de flux et
d’appropriation permettant d’accéder à une expérience de consommation plaisante/jouissive. Un
premier travail de recherche a été réalisé par Novak, Hoffman et Yung (2000) sur la base du
modèle de flux dans le CME (Computer Mediated Environment) ; il repose sur des réponses à un
questionnaire et ne s’intéresse pas à un type particulier de sites web ou de services NTIC à part
les sites d’online shopping. Aujourd’hui, de plus en plus de services NTIC déclarent ouvertement
vouloir favoriser l’immersion du consommateur. « Certains consommateurs vont jusqu’à passer
10 heures par jour en face de leur ordinateur, immergés dans un domaine de consommation
éthéré, désincarné, fluide et sans limite » (Siddiqui et Turley, 2006, p. 72).
L’objet de la recherche est le plaisir/jouissance ressenti(e) dans l’expérience de consommation en
CME avec des services de NTIC. Pour étudier de façon différenciée ces services, il est intéressant
de s’appuyer sur une typologie non générée par les producteurs mais par les consommateurs :
Siddiqui et Turley (2006) ont généré et validé la typologie suivante (figure 1) à partir d’entretiens
longitudinaux avec 72 répondants. Cinq grands types de produits/services composent cette
typologie. Nous nous appuierons par la suite sur cette typologie pour définir précisément notre
terrain de recherche.
Social Interaction Directed Products
¾ E-mail
¾ E-Greeting cards
¾ Web pages
Experience Rich Products
¾ Entertainment (Garning video/audio products)
¾ Simulation and VR (Musical Instruments
Information Rich Products
¾ News, (Newspaper, journal, bulletin board)
¾ Search engines, directories
¾ E-books, encyclopaedia, E-magazine, library
¾ Records and databanks
Service Oriented Products
¾ Recruitment services
¾ Banking and Accounts
¾ Travel
¾Shopping auction
Functional Products
¾ Creativity and Synthesis providing Products (Word-processor, spread sheet, web-page designer, photo-editor)
¾ Personal Assistance Products (Diary, calendar, alerts, spell checker, thesaurus, scheduler-planner)
¾ Professional tools (processors, synthesizers, analyzers and other simulated test and diagnostic tools)
Figure 1 : Typologie des produits/services liés aux NTIC
(source : Siddiqui et Turley, 2006, p. 75)
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5. Le projet de recherche
L’objet central de notre recherche est l’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience de
consommation virtuelle. Le but est d’expliquer comment se fait l’accès au plaisir/jouissance par
la confrontation de modèles existants en fonction du type de plaisir/jouissance ressenti par le
consommateur de services NTIC. Pour atteindre ce but, nous avons développé un projet de
recherche fondé sur l’approche introspective de l’expérience (Carù et Cova, 2003 et 2006a) :
c’est une approche de type qualitatif à laquelle nous avons appliqué un traitement de données
qualitatif en utilisant les modèles existants comme grille d’analyse. L’interprétation des résultats
s’est aussi appuyée sur un traitement quantitatif des données obtenues.
La méthode de recherche a été formulée comme suit :
• Terrain. On a choisi trois types de CME (Siddiqui et Turley, 2006) : un type
Social Interaction Rich (un blog photo comme Wanadoo Photo) ; un type
Information Rich (un moteur de recherche comme Google Earth) ; un type Service
Oriented (un site de service comme MSN Shopping). Nous avons écarté les deux
types extrêmes car l’un Experience Rich suppose un accès trop évident et l’autre
Functional suppose un accès quasiment impossible au plaisir/jouissance. Les
expériences se sont déroulées dans leur grande majorité dans le contexte
« naturel » du consommateur, chez lui ou sur son lieu de travail, face à son
ordinateur. Après accord avec le chercheur, il était demandé au consommateur de
naviguer sur un site de service choisi par le chercheur et ce pour une durée de 30 à
40 minutes.
• Echantillon. Un échantillon équilibré entre consommateurs novices, moyens et
experts ; un échantillon réparti géographiquement entre grandes villes et villes
moyennes.
• Taille de l’échantillon. 60 récits introspectifs de consommateurs français et
italiens (1 à 2 pages par récit) ont été recueillis en recherchant le panachage
suivant : un tiers de novices un tiers d’experts et un tiers de moyens dans
l’utilisation des services liés aux NTIC. La familiarisation ou non avec
l’informatique étant considérée dans la littérature spécialisée (Gonzalez, 2005)
comme une condition importante dans l’accès ou non à l’expérience sur un site de
service lié au NTIC, une question filtre a été mise en place afin de déterminer le
niveau des participants. Finalement, seuls 55 récits/observations ont été jugés
valables et ils présentent une sur-représentation de moyens (28) par rapport aux
experts (17) et aux novices (10).
• Méthode collecte des données 1). La rédaction de récits introspectifs des
consommateurs est aujourd’hui considérée comme le meilleur moyen d’accès à
l’expérience subjective vécue par le consommateur. Partant du postulat
(Richardson, 1999, p. 470), que « si l’on ne peut rien savoir sur l’expérience
subjective en tant que telle, on peut chercher une solution intermédiaire au travers
de l’étude des récits qui en sont faits », la méthode retenue pour rendre compte de
l’expérience subjective vécue par chaque consommateur est celle de l’analyse des
récits introspectifs. Ce type d’introspection rétrospective bien que se rapprochant
de la catégorie définie par Wallendorf et Brucks (1993) comme introspection
Session 10 - 9
•
•
guidée, s’en différencie par le fait que l’individu rédige son récit hors de la
présence du chercheur. Cela suppose, par contre, une phase de préparation durant
laquelle certaines instructions sont transmises aux individus ; ces instructions
ayant été auparavant testées par les chercheurs sur leur propre personne
(Richardson, 1999). Selon Wallendorf et Brucks (1993, p. 353), « l’introspection
guidée offre aux chercheurs sur le comportement du consommateur un potentiel
pour explorer de nombreux sujets liés aux expériences de consommation et aux
états internes qui ont été sous-étudiés jusqu’ici ». Il a ainsi été demandé aux
consommateurs participant à l’expérience de rédiger un récit relatant leurs états
intérieurs pour le lendemain (Carù et Cova, 2006b). Ci-dessous un extrait de récit
d’expérience avec Google Earth :
“Je m’assoie et il me fait démarrer un site magnifique avec une terre toute
bleue et je m’aperçois assez vite que je peux voyager autour de la terre
dans mon fauteuil. C’est carrément génial. Ces : vues aériennes sans le
mal d’avion. Après quelques minutes où l’écran se passe de moi je
commence à cliquer sur des places que je voudrais visiter. Pas trop
compliqué, mais j’oublie vite où je dois cliquer. Même si je le fais 40 fois,
c’est pareil, j’oublie”.
Méthode collecte des données 2). Il est cependant souvent nécessaire de la
compléter par une observation non participante du consommateur (Carù et Cova,
2006b). C’est ce qui a été le cas : il est très vite apparu que la collecte de récits
introspectifs devait être complétée par une collecte de réactions observées
directement par le chercheur du fait du manque de substance de nombreux récits
lié à la fois à la difficulté d’écriture pour certains et à une focalisation sur
l’évaluation du site plus que de l’expérience vécue pour d’autres. En effet, tous les
individus ne sont pas aussi réflexifs que le voudraient certains sociologues
contemporains (Molénat, 2006). Chaque récit introspectif rédigé par un
consommateur a été ainsi couplé avec une description de type ethnographique
(observation) rédigée par le chercheur. Ci-dessous un extrait d’observation
d’expérience avec Photoblog :
« Il consulte son album et voit ses photos. Semble ne pas avoir de réaction
particulière (De nombreux programmes sur son PC ressemblent à
l’interface de wanadoo pour les albums). Il clique sur commander pour
voir les tirages. Il semble un peu amusé de ce qu’on peut commander mais
surtout moqueur. En effet, il tire ses photos lui-même et s’y connaît donc
beaucoup. Il n’est pas très emballé. Il vérifie les formats proposés et
dénigre un peu le site de sa pauvreté (C’est un expert qui regarde un site
de « débutant » !). Il reste dubitatif sur ce que ça va donner ».
Méthode d’analyse des données 1). L’analyse a porté sur les 55 récits/observations
jugés valables. L’analyse et l’interprétation du contenu des récits introspectifs
mets en jeu, à la fois, une approche intratextuelle et une approche intertextuelle.
L’analyse s’appuie sur la structure temporelle des opérations d’appropriation et
des composantes de flux pour interpréter et modéliser les récits/observations
d’expériences des consommateurs. Sur cette base, un premier traitement a été
effectué : une analyse intratextuelle, récit/observation par récit/observation, de
Session 10 - 10
•
•
type syntaxique pour permettre une mise à jour de la structure de chacun à partir
des composantes et opérations appartenant aux deux modèles de référence d’accès
au plaisir/jouissance. Chaque composante ou opération a été auparavant clairement
explicitée en termes de verbes ou locutions verbales (voir annexe 1) à partir d’une
analyse bibliographique (Carù et Cova, 2003 ; Csikszentmihalyi, 1997). Toujours
dans le cadre de l’analyse intratextuelle, une analyse thématique nous a permis de
détailler les modulations du plaisir/jouissance atteint dans l’expérience.
Méthode d’analyse des données 2). Un traitement quantitatif fondé sur les
fréquences d’apparition de chaque composante/opération/modulation a ensuite été
appliqué à chaque récit/observation. Sur cette base, une analyse quantitative
intertextuelle a suivi toujours fondée sur les fréquences relevées (absolues et
relatives).
Elle
a
permis
d’évaluer
l’importance
de
chaque
composante/opération/modulation et de mettre en lumière certaines relations entre
elles. A noter que suite aux expériences réalisées dans des travaux précédents
(Carù et Cova, 2003), nous n’avons pas eu recours aux logiciels d’analyse
textuelle. En effet, ceux-ci ne sont pas performants quand il s’agit d’analyser des
corpus de des données très hétérogènes sans codification préalable (Helme-Guizon
et Gavard-Perret, 2004) comme le corpus d’un ensemble de récits introspectifs.
Méthode de représentation des résultats. Le mode de présentation des données de
la recherche utilise deux possibilités. En ce qui concerne les modulations du
plaisir/jouissance, il fait une large place aux « voix des consommateurs »
impliqués dans la recherche (Stern, 1998) afin de donner corps à ces modulations.
En ce qui concerne les composantes/opérations d’accès et leurs relations avec les
modulations du plaisir/jouissance, il s’appuie sur le comptage des fréquences et
leur interprétation.
6. Résultats
6.1. Les modulations du plaisir/jouissance
Notre recherche confirme et précise l’idée d’un continuum de modulations du plaisir/jouissance
dans l’expérience de consommation (figure 2) allant de la simple excitation à l’état de flux (ou
immersion totale selon Fornerino, Helme-Guizon et de Gaudemaris, 2006) en passant par l’état
de « petite conquête » (ou immersion simple selon Fornerino, Helme-Guizon et de Gaudemaris,
2006). Et ce continuum se manifeste autant positivement en termes de plaisir que négativement
en termes de déplaisir : excitation négative ou énervement ; « petite défaite » ; flow négatif ou
détachement complet).
L’excitation se traduit positivement par des phrases du type :
• « Ah ouais ! C’est bien foutu leur truc ! » (Benjamin),
• « C’est amusant » (Romain).
Elle se traduit négativement par des phrases du type :
• « Je n’ai pris aucun plaisir » (Eric),
• « Il prend un air dépité. Il commence un peu à s’énerver. Il rigole et se moque un peu »
(à propos de Sébastien).
Session 10 - 11
Les petites conquêtes se traduisent par des phrases du type :
• « Ero contento perchè in ogni città potevo vedere i vari monumenti, le varie piazze »
(Alessandro),
• « Je tourne autour, je monte, je descends, c’est trop rigolo. C’est bleu, c’est vert, c’est
beau » (Christine),
• « Je suis content car je peux mettre un titre à ma rubrique et un commentaire »
(Romuald).
En négatif, les petites défaites se retrouvent dans des phrases du type :
• « Il relance une recherche. Il ne trouve toujours pas. Il est très frustré » (à propos de
Baptiste),
• « Une erreur apparaît. Il est désemparé » (à propos de Jean).
L’état de flux se traduit par des phrases du type :
• « Il reste encore environ 30 min devant à chercher, mettre des notes, à appeler ses amis
pour venir voir » (à propos de Mikael),
• « J’arrivais plus à détacher mes yeux de l’écran, avide de retrouver des endroits
familiers et le sourire aux lèvres » (Caroline),
• « A ce moment-là j’en oubliais même que j’étais venue, à la base, sur ce site pour créer
mon album photo. Mes expressions n’étaient désormais plus interrogatives comme au
début mais exclamatives sur ce je voyais ou faisais » (Isabelle).
En négatif cela donne une phrase comme :
• “Alla rabbia si è aggiunta una sensazione di noia… Sensazione di resa e anche leggero
abbattimento” (Claudia).
Excitation
PLAISIR
Petites Conquêtes
Flux
JOUISSANCE
Figure 2 : Continuum du simple plaisir à la jouissance
On a ensuite essayé de comptabiliser et mettre en lumière les cas extrêmes sur ce continuum. Sur
55 récits-observations jugés comme valables pour l’analyse, seulement 7 présentent des états dits
de flux positif (ou immersion totale) au sens de Csikszentmihalyi (1997). Dans le secteur de
services liés aux NTIC, l’état de flow est donc une exception qui semble dépendre soit du type de
site, soit du niveau d’expertise de l’individu : sur 7 situations de flow, 5 sont vécues avec Google
Earth, une avec MSN Shopping et une avec Photoblog ; sur 7 individus ayant vécu cet état, il y
deux experts, trois moyens et deux débutants. Compte tenu de leur faible représentation dans
l’échantillon, les débutants apparaissent être relativement ceux qui accèdent le plus souvent à
l’état de flow. A noter que chacun de ces états de flow a été précédé d’états de « petite conquête »
tous positifs et que tous ces états adviennent durant la deuxième moitié de l’expérience et se
prolongent jusqu’ la fin (sauf dans 1 cas sur 7 où l’état de flow s’est terminé au moment d’une
mise en cause des compétences du consommateur). Par contre, l’alternance entre les états
Session 10 - 12
d’excitation positive et négative ressentis par ces consommateurs ayant atteint l’état de flow
présente une différence relativement limitée avec le reste des récits-observations (voir annexe 2) :
il y a en général plus d’états d’excitation positive que d’étatsd’excitation négative.
En ce qui concerne la jouissance un peu moins continue et moins profonde des « petites
conquêtes » (ou immersion simple), là encore les chiffres sont relativement faibles : sur 48
récits-observations desquels on a donc extrait les états de flow (incluant chaque fois un état de
petite conquête), seuls 8 présentent un état de petite conquête. Dans ces 8 situations, on trouve
souvent une alternance d’états d’excitation plus négative que positive. Pour ces 8 petites
conquêtes, le type de site n’est pas significatif, tandis que le niveau de compétences semble être
significatif : dans la même mesure que pour les états de flow, les novices représentent la catégorie
vivant le plus les petites conquêtes.
A l’opposé de ces 15 états très positifs, on trouve 19 états négatifs ou très négatifs : un état de
flow négatif, cinq états de petite défaite et 13 états d‘excitation quasi totalement négatifs. Il est
remarquable de noter que parmi les 19 consommateurs ayant vécu ces états négatifs, un seul est
débutant, onze sont moyens et sept sont experts ce qui semble corroborer l’idée qu’un trop fort
niveau de compétences par rapport à un trop faible niveau de défi conduit à l’échec de l’accès à
l’expérience de plaisir/jouissance (Csikszentmihalyi, 1997). En ce qui concerne les sites, il y a
une dominance pour les états négatifs en liaison avec MSN Shopping (12) contre trois en liaison
Google Earth et deux avec Photoblogs :
• « Un sentiment d’ennui se dégage lors de l’utilisation du site MSN Shopping » (Julien R),
• « Je suis atterri sur un site identique à MSN Shopping. Là, je me suis demandé quel était
l’intérêt? A quoi sert MSN Shopping ?» (Marc),
• « J’ai été énervé d’emblée en constatant qu’il n’y avait pas de section vinyles… Bon tu
vois déjà c’est pourri y’a pas de vinyles » (Milan).
Le reste des 55 récits-observations, soit 21 cas présentent essentiellement des alternances
d’excitation positive et négative.
6.2. Les composantes/opérations et leurs relations avec les modulations
L’analyse quantitative des composantes de flow (contrôle et concentration) et des opérations
d’appropriation (nidification, exploration, marquage) ne s’est pas directement faite sur les
fréquences relevées car celles-ci dépendaient trop fortement de la longueur de chaque
récit/observation qui était très variable. On a donc travaillé à homogénéiser ces données au
travers de pourcentage pour chaque récit/observation : on a d’abord mis en évidence le poids
relatif de chaque opération d’appropriation ; on a ensuite mis ces résultats en parallèle avec les
composantes de flow en calculant le poids de chacun de ces dernières par rapport à l’ensemble
des opérations d’appropriation. Ceci a permis de rendre compte du poids relatif de chacun sans
avoir à mélanger les éléments des deux modèles.
On a ensuite cherché les relations possibles entre les modulations du plaisir/jouissance et les
composantes-opérations constituant les modèles d’accès à l’expérience (figure 3). Quand on
cherche à décrire et/ou préciser les processus d’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience de
consommation à partir des modèles existants, on s’aperçoit que les modèles d’appropriation et de
Session 10 - 13
flow rendent chacun compte d’une partie de ce processus sans que ni l’un ni l’autre puisse être
considéré comme meilleur : ce sont deux représentations partielles et forcément partiales d’une
même réalité.
APPROPRIATION
•NIDIFICATION
•EXPLORATION
•MARQUAGE
Excitation
PLAISIR
FLUX
•CONCENTRATION
•CONTROLE
Petites Conquêtes
Flux
JOUISSANCE
Figure 3 : Relations entre modulations du plaisir/jouissance et modèles d’accès
Si l’on s’intéresse aux trois opérations du modèle d’appropriation et à leurs relations avec le
plaisir/jouissance, il faut noter le double mouvement suivant (annexe 3) :
• Plus on passe des expériences négatives, puis à la simple excitation puis aux petites
conquêtes puis aux états de flow et plus la part relative des opérations de nidification est
importante ;
• Plus on passe des expériences négatives, puis à la simple excitation puis aux petites
conquêtes puis aux états de flow et plus la part relative des opérations d’exploration est
faible.
Ce résultat tend à faire penser que la nidification est une opération cruciale dans l’accès à la
jouissance et que l’absence de nidification oblitère cet accès. Alors que beaucoup d’opérateurs du
web travaillent sur la stimulation en poussant le consommateur à explorer toujours plus, ce
résultat montre qu’ils auraient intérêt à développer des possibilités de nidification, c’est-à-dire
des possibilités pour le consommateur de se sentir ‘chez lui’ en confiance autour de points
d’ancrage familiers liés à son vécu passé avec le site, avec Internet ou son vécu en général (amis,
famille, lieux, centres d’intérêts, etc.). Les opérations d’exploration elles sont toujours
nécessaires mais, en elles-mêmes, elles ne permettent que l’accès à l’excitation et non l’accès à la
jouissance. A noter, toujours au chapitre des opérations d’appropriation, que le marquage ne
présente pas de variation significative tout au long du continuum.
Si l’on s’intéresse maintenant aux deux composantes du modèle de flux et à leurs relations avec
le plaisir/jouissance (annexe 3), il faut noter le poids très important du contrôle dans l’accès aux
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petites conquêtes : très souvent, une petite conquête résulte d’une phase d’excitation négative qui
est une frustration poussant à développer du contrôle et ainsi accéder au plaisir d’avoir surmonter
la difficulté. L‘accès aux états de flow et de petites conquêtes passe ainsi par une majorité
d’épisodes de contrôle positif tandis que dans tous les autres cas, on voit plutôt un équilibre entre
épisodes de contrôle positif et épisodes de contrôle négatif. A noter, toujours au chapitre des
composantes de flux, que la concentration ne présente pas de variation significative tout au long
du continuum ; elle est cependant plus élevée dans l’accès aux petites conquêtes. Les petites
conquêtes semblent ainsi fortement explicables par le modèle de flow : contrôle et concentration.
Si l’on s’intéresse maintenant à l’imbrication possible des deux représentations (modèle
d’appropriation et modèle de flow), on arrive à une conclusion invalidant l’hypothèse de Brunel
et Roux (2005) qui considèrent le contrôle (en positif) comme la résultante d’opérations
d’appropriation : plus qu’un résultat de l’appropriation, le contrôle semble être une tension en
partie indépendante de l’appropriation qui voit s’alterner des épisodes de déception et
d’incompréhension et des épisodes de contentement et de compréhension permettant à l’individu
de poursuivre (ou non) l’expérience. Le nombre d’épisodes de cette composante du modèle de
flow dépend, et cela n’est pas contre-intuitif, du niveau d’expertise de l’individu : plus on passe
des experts, puis aux moyens, puis aux débutants et plus le contrôle est important avec pour ces
derniers un poids supérieur d’épisodes négatifs.
Ceci étant, le contrôle dans ses manifestations extrêmes semble jouer le rôle d’une composante
« veto » dans l’accès au plaisir/jouissance dans l’expérience : trop de contrôle annihile tout défi et
empêche l’accès à la jouissance ce qui peut expliquer le faible niveau d’accès à la jouissance des
experts et leur fort taux d’expériences négatives ; pas assez de contrôle rend les défis
insurmontables et empêche ainsi aussi l’accès à la jouissance ce qui peut expliquer la
recherche de contrôle et le développement d’opérations de nidification de la part des débutants
afin d’accéder à la jouissance.
7. Première discussion et suite de la recherche
Les premiers résultats de notre recherche montrent que l’état de flow (ou immersion totale)
présenté bien souvent comme le but d’une expérience de consommation réussie dans les théories
de marketing de l’expérience (Pine et Gilmore, 1999) et de marketing expérientiel (Schmitt, 1999)
est une rareté quand il s’agit d’expériences vécues avec les services liés aux NTIC : seuls 7
consommateurs sur 55 accèdent à une tel état de jouissance ! Ceci n’est pas forcément dû à la
nature virtuelle de l’expérience puisque ce résultat rejoint celui obtenu dans le cas de l’expérience
de concert de musique classique (Carù et Cova, 2003) et il n’est pas non plus dû à un choix biaisé
de consommateurs avec, par exemple, une surreprésentation de novices. Force est donc d’insister
sur le fait que l’accès à un tel état ne peut donc pas être le seul objectif d’un programme
marketing. Si l’on y ajoute les 8 petites conquêtes (ou immersion simple), on arrive à un total de
15 états voisinant la jouissance sur 55. Il n’y a donc qu’un peu plus de 27% d’expériences
plaisantes intégrant une intensité d’attention, un sentiment d’accomplissement et de croissance
psychologique caractéristiques de la jouissance (O’Shaughnessy et O’Shaughnessy, 2002).
Pour aider les consommateurs novices à mieux s’immerger et atteindre ces états de jouissance
dans des services liés aux NTIC, nos résultats montrent l’intérêt pour les entreprises de
s’intéresser plus précisément à l’opération de nidification dans le modèle d’appropriation et à la
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composante de contrôle dans le modèle de flow au détriment d’une trop grande focalisation sur
l’exploration et la concentration. Traduits en termes managériaux, ces résultats confirment l’idée
(Carù et Cova, 2006c, p. 43) que « pour réaliser l’immersion, il ne leur suffit pas de sur-stimuler
les sens et l’imaginaire du consommateur… ; il leur faut surtout faciliter l’immersion du
consommateur dans le contexte expérientiel » et que cela passe par des dispositifs l’aidant à faire
son nid dans ce contexte (exercice de la stabilité) et à contrôler ce contexte (développement de la
stabilité).
Nos résultats montrent aussi que, contrairement à ce qui a pu être observé pour les services hors
ligne (Carù et Cova, 2006c ; Ladwein, 2002), dans le cas des services en ligne, l’immersion n’est
pas facilitée par l’expertise, bien au contraire : plus on est confirmé ou expert, plus on risque de
disposer d’un niveau de compétences qui ne sera pas mis au défi par le contexte expérientiel du
site ce qui ne permettra pas au consommateur de dépasser le stade de l’excitation positive mais
souvent aussi négative. Il n’y a donc pas plongeon automatique dans un site web menant à la
jouissance et aux états de flow et il sera intéressant de revenir sur l’analyse intra-textuelle des
récits/observations des experts pour mieux comprendre ce phénomène. Ceci étant, une explication
simple réside peut-être dans le choix des trois sites (Google Earth et surtout MSN Shopping et
Photoblog) : ils sont trop simplistes pour un expert et n’offrent qu’un intérêt minime, même si
l’on note que deux experts arrivent à la jouissance avec l’un de ces sites (Google Earth).
L’analyse de tout ce que peuvent apporter les 55 récits/observations d’expérience de services liés
au NTIC est loin d’être terminée. Une analyse des passages d’une modulation du
plaisir/jouissance à une autre tout au long de chaque récit/observation est en cours afin d’aboutir
à une typologie des séquences de plaisir/jouissance dans l’expérience. Une analyse thématique
intertextuelle et inductive va suivre de manière à mettre en évidence (occurrence) les éléments du
service qui ont un impact expérientiel (du type Sherry, 1998 pour Nike Town Chicago, p. 134135), c’est-à-dire un impact sur l’accès à l’expérience et sur le plaisir/jouissance. L’impact
respectif de chaque élément sera ensuite évalué sur la base de la fréquence de citation dans les
récits/observations. Comme l’ont montré les études sur la satisfaction avec les sites web
(Gonzalez, 2005), les éléments dits instrumentaux du site sont des facteurs de confort (Ladwein,
2001), de facilité d’usage et de navigation qui influencent l’insatisfaction et l’excitation négative
quand les éléments dits hédoniques sont des facteurs de stimulation qui influencent la satisfaction
ou excitation positive. Notre recherche complètera ces résultats en s’intéressant au plaisir et à la
jouissance et en mettant en avant les facteurs d’impact du contexte expérientiel qui leur sont
propres.
Session 10 - 16
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Session 10 - 19
Annexe 1 :
Règles de codage du récit en opérations d’appropriation ou composantes de flow
APPROPRIATION
• Nidification : verbes ou locutions verbales traduisant un ancrage (avoir, connaître, savoir,
être à l’aise, avoir confiance…) ou faisant référence à un point d’ancrage (ami, centre
d’intérêt, famille, lieu…). En négatif, la nidification se caractérise par la perte d’ancrage
(être perdu…) ;
• Exploration : verbes ou locutions verbales traduisant une dynamique (aller, cheminer,
parcourir, suivre...) ;
• Marquage : verbes ou locutions verbales traduisant une interprétation (penser, sentir…).
FLOW
• Contrôle : verbes ou locutions verbales traduisant un processus de maîtrise (comprendre,
pouvoir, se rendre compte…) ;
• Concentration : verbes ou locutions verbales traduisant un processus de focalisation sur
l’activité (être concentré, être curieux…). En négatif, la concentration se caractérise par la
perte de focalisation (décrocher…).
Session 10 - 20
Annexe 2 :
Les états de flow: caractéristiques des participants et résultats
PARTICIPANTS
Prénom
Niveau de
compétence
RESULTATS
Service lié au
NTIC
Mikael
EXP
Google Earth
Roger
MOY
Google Earth
Thomas
EXP
Google Earth
Véronique
DEB
MSN Shopping
Caroline
MOY
Google Earth
Isabelle
DEB
Photoblog
Armando
MOY
Google Earth
Excitation
Petites
conquêtes
Flow
9
6+/34
3+/116
10 + / 6 7
3+/46
4+/24
3+/15
1 +/ 4 -
1
1+
1
1+
2
2+
2
2+
3
3+
1
1+
3
3+
1
1+
1
1+
1
1+
2
2+
1
1+
2
2+
3
3+
Note : pour chaque récit/observation, on a calculé le nombre d’épisodes de chaque modulation du
plaisir/jouissance (ligne supérieure) en mettant en lumière (ligne inférieure) le nombre d’épisodes
positifs et négatifs de chaque modulation.
Session 10 - 21
Annexe 3 :
Opérations d’appropriation, composantes du modèle de flux et leurs relations
aux modulations du plaisir/jouissance
Plaisir / Jouissance
Exploration
Nidification
Marquage
Contrôle
Concentration
Flow
54%
27%
19%
33%
13%
Petites conquêtes
61%
22%
17%
42%
28%
Excitation
(négative et
positive)
62%
19%
20%
31%
18%
Expériences
négatives
(flow négatif et
petites défaites)
71%
11%
19%
28%
19%
Note : on a d’abord mis en évidence le poids relatif de chaque opération d’appropriation
(exploration – nidification – marquage) ; on a ensuite mis ces résultats en parallèle avec les
composantes de flow (contrôle – concentration) en calculant le poids de chacun de ces dernières
par rapport à l’ensemble des opérations d’appropriation.