Des quotas pour l`emploi: le pour et le contre

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Des quotas pour l`emploi: le pour et le contre
Reflexions, le site de vulgarisation de l'Université de Liège
Des quotas pour l'emploi: le pour et le contre
13/12/11
Pour favoriser la diversité dans le monde du travail, les pays européens développent, en ordre dispersé,
des politiques de quotas obligatoires de plus en plus contraignantes. Non sans résistance. Deux chercheurs
liégeois, Annie Cornet et Christophe Cusumano (HEC/ULg) expliquent la politique des quotas en France et
en Belgique, dans un article à paraître dans L'encyclopédie de la Diversité : regards croisés (1).
Pour diverses raisons, certaines catégories de la
population éprouvent des difficultés à accéder à l'emploi ou à des postes à responsabilités, en tout cas dans
une proportion qui refléterait leur importance numérique dans la population totale. C'est pourquoi certains pays
s'efforcent de corriger ces déséquilibres en instaurant des quotas pour promouvoir la diversité dans le milieu
professionnel. Il n'existe, à cet égard, pas de modèle uniforme dans les pays européens, mais les auteurs ont
concentré leur étude sur les dispositions réglementaires en Belgique et en France.
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Mais, d'abord, qu'est ce qu'un quota? C'est un objectif chiffré par la loi ou décidé par une organisation. Pour
atteindre le quota désiré, les organisations peuvent entreprendre des actions positives, ciblées sur un groupe
(femmes, hommes, jeunes, travailleurs âgés, personnes d'origine étrangère…) ou des discriminations
positives, c'est-à-dire des mesures qui accordent un traitement préférentiel aux personnes appartenant à
certains groupes jugés prioritaires. Les discriminations positives sont des mesures temporaires dont l'objectif
est de réparer des discriminations passées et de procéder à un rattrapage en terme de représentativité des
groupes cibles.
Certaines lois ne disent rien sur les procédures à appliquer pour atteindre les objectifs fixés, et donc sur le fait
que le choix en faveur d'un représentant du groupe cible doit se faire -ou non- « à compétence égale » avec un
autre candidat. D'autres lois obligent à recruter une personne appartenant au groupe cible, indépendamment
de ses compétences, et ce pour assurer un rattrapage.
En France, il existe des quotas pour le handicap, l'égalité entre hommes et femmes dans les conseils
d'administration et l'apprentissage. En Belgique, des quotas existent pour le handicap et pour l'égalité hommes
- femmes dans les conseils d'administration. En revanche, ces deux pays n'ont pas de quotas en faveur
d'autres publics cibles comme, par exemple, les personnes d'origine étrangère. Cela s'explique par le fait qu'il
y est interdit de collecter des données sur l'origine, hormis une information sur la nationalité, contrairement à
d'autres pays comme le Royaume-Uni ou les États-Unis.
Handicapés, pas manchots
Les quotas sont justifiés par l'hypothèse que le principe de l'égalité de droit ne suffit pas à assurer une égalité
de fait aux personnes handicapées, car elles rencontrent des barrières réelles face à l'emploi (accès aux
locaux, aménagement des postes de travail) et sont victimes de préjugés et de stéréotypes en lien avec leur
productivité et leurs compétences. Cette vision a conduit à des obligations légales qui s'inscrivent dans une
logique d'actions et de discriminations positives.
En France, une loi du 10 juillet 1987, renforcée par la loi dite « handicap » du 11 février 2005, impose aux
entreprises de plus de 20 salariés de compter 6% de travailleurs handicapés au sein de leur effectif. Sept
catégories de personnes, définies par la loi, peuvent entrer en considération pour satisfaire à l'obligation légale.
Les bénéficiaires peuvent être engagés à temps plein ou partiel, à durée déterminée ou indéterminée, et même
par intérim ou comme stagiaires, pour une durée minimale de 40 heures consécutives. Mais les entreprises
peuvent également s'acquitter de leur obligation en recourant au secteur protégé et adapté (dans la limite
de 50% de leur obligation d'emploi), par la mise en place d'un accord collectif agréé exonératoire ou par le
versement d'une contribution à l'Association de gestion du Fonds pour l'insertion professionnelle des
personnes handicapées.
En Belgique, l'Etat n'a fixé des quotas que pour le secteur public. Un arrêté royal du 5 mars 2007 prévoit
ainsi que les services publics doivent mettre au travail des personnes handicapées à concurrence de 3%
de leur effectif global à temps plein ou équivalent, statutaires et contractuels confondus. Si les efforts d'une
organisation sont jugés manifestement insuffisants, des sanctions pourront être prises, comme le fait de
refuser des recrutements prévus. Mais, dans les faits, les contrôles et les sanctions sont rares. Un peu
comme en France, il est cependant possible de diminuer le quota réglementaire de personnes handicapées
à employer si les pouvoirs concernés ont conclu des contrats de travaux, de fournitures et de services avec
des entreprises de travail adapté, qui emploient elles mêmes des personnes handicapées.
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Fonctions dirigeantes : des femmes, et vite !
Dans la plupart des pays européens, elles restent sous-représentées dans les fonctions dirigeantes. La
moyenne européenne est de 11,7% de femmes dans les conseils d'administration (CA). En France, elles
occupaient, en 2010, 14% des postes dans les CA des entreprises cotées au CAC 40, principal indice
boursier de la place de Paris. En Belgique, elles n'étaient que 8% dans les CA des grandes entreprises. Durant
la dernière décennie, le Danemark, la Norvège, l'Irlande, la Finlande, l'Islande et l'Espagne ont successivement
installé des quotas pour remédier à cette situation. La France et la Belgique leur ont emboîté le pas en 2011.
En France, la loi fixe des quotas pour les quelque 2000 entreprises qui emploient un nombre moyen d'au
moins 500 salariés permanents et réalisent un chiffre d'affaires net ou un bilan total d'au moins 50 millions
d'euros. Voici les principales modalités du système:
-si, à la date de publication de la loi, l'un des deux sexes n'est pas représenté au CA, le prochain administrateur
nommé doit être de ce sexe-là ;
-au 1er janvier 2014, la proportion des membres du CA de chaque sexe ne peut être inférieure à 2O% ;
-au 1er janvier 2017, la proportion des membres du CA de chaque sexe ne peut être inférieure à 40%.
Deux sanctions sont prévues :
-la nullité de toute nomination en violation de la loi (mais les délibérations auxquelles l'administrateur litigieux
aura participé ne seront pas frappées de nullité) ;
-la suspension de la rémunération des administrateurs jusqu'à ce que le CA respecte le quota.
En Belgique, le 2 mars 2011, la Commission de droit commercial et économique de la Chambre a
approuvé une proposition de loi qui imposerait, dans un délai de 5 à 7 ans, la présence de 30% de femmes dans
les CA des entreprises cotées en Bourse et dans les entreprises publiques. Afin d'y arriver, la Commission
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recommande des mesures transitoires pour atteindre l'objectif et exige, notamment, que la participation accrue
des femmes n'entraîne pas une augmentation de l'effectif des CA.
Les arguments pour…
Les quotas sont généralement justifiés par le fait que les proclamations de bonne volonté ne suffisent pas, et
que seule la contrainte légale, assortie de sanctions, permet de remédier à la sous-représentation des publics
cibles dans l'emploi. A première vue, l'analyse des politiques de quotas mises en œuvre tend à démontrer
l'efficacité de la contrainte légale. Ainsi, la Norvège, où une loi de 2004 a imposé un quota 40% de femmes
à atteindre dans les conseils d'administration. Or l'objectif a été atteint dès 2010, alors qu'elles n'étaient que
6,8% en 2002.
Par ailleurs, les quotas, en montrant que l'intégration des personnes discriminées est possible, participent
à l'évolution des mentalités, réduisant les stéréotypes et balayant progressivement les préjugés. La
diversification de la main d'œuvre, l'apport de « sang neuf » est aussi présenté comme un moyen de générer
davantage d'innovation et de créativité, voire de susciter une meilleure gouvernance, plus équilibrée, dans
les conseils d'administration.
…et contre les quotas
L'un des premiers arguments adverses est l'entrave à la liberté de l'employeur de choisir, sans contrainte
extérieure, les personnes qu'il désire intégrer dans son entreprise. En corollaire, on évoque le risque de
devoir préférer, à un candidat compétent, une personne qui l'est moins, mais que l'on engage en raison
d'une caractéristique physique (sexe ou handicap), avec un impact négatif potentiel sur l'organisation
dans son ensemble. Cet argument ne vaut cependant que si le quota oblige à choisir une personne
indépendamment de ses compétences. Ainsi, en ce qui concerne l'égalité entre hommes et femmes dans
les conseils d'administration, les quotas français de 20% en 2014 et de 40% en 2017 ne sont pas une
discrimination positive, puisque la loi n'oblige pas à trancher en faveur de l'un des deux sexes lors de
la nomination d'un administrateur. En revanche, la disposition imposant de nommer un administrateur
d'un sexe bien précis, si ce sexe n'est pas encore représenté au CA, obligera concrètement la majorité
des entreprises concernées à nommer une femme, même si les candidats masculins sont meilleurs.
On peut aisément imaginer que la position de cette personne sera difficile, quel que soit son niveau de
compétence. Ainsi, les quotas sont parfois perçus comme pouvant poser des problèmes aux personnes qui
en bénéficient. Le risque étant qu'elles soient stigmatisées, perçues comme incompétentes, et devant leur
« place » uniquement au fait qu'ils ou elles possèdent « la » caractéristique qui leur a donné un privilège.
Enfin, les quotas sont parfois présentés comme des objectifs impossibles à atteindre, en raison du faible
nombre de personnes possédant les caractéristiques ou les compétences demandées. Cet argument peut
être fondé dans certains cas. Mais il doit être considéré avec prudence, ajoutent les auteurs, car la pénurie
annoncée peut tout simplement masquer le fait que l'organisation n'a pas su mobiliser les réseaux capables
de la mettre en contact avec les personnes ayant le profil recherché.
Peur des quotas : parfois positive
Les différents systèmes en vigueur, ici et là, ne montrent aucun modèle uniforme de quotas dans les
pays européens. Ils constituent, au contraire, une notion très large, qui s'adapte au contexte et aux
besoins spécifiques à chaque pays. D'autres types de quotas que ceux retenus en Belgique ou en France
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pourraient d'ailleurs être imaginés. Ainsi, relève Annie Cornet, on pourrait concevoir des mesures favorables
à l'emploi des aînés, notamment dans les pays où l'on déplore qu'ils quittent, trop tôt, le monde du travail…
Voire encourager une politique de recrutement favorable… aux hommes, dans des secteurs où leur sousreprésentation est de plus en plus manifeste et considérée comme un facteur négatif par la plupart des
spécialistes. Il en est ainsi pour l'enseignement maternel, primaire et même secondaire, en Belgique comme
dans d'autres pays européens. D'une manière générale, observent les chercheurs liégeois, l'observation du
développement des quotas en Europe montre que l'on passe peu à peu d'une politique de « soft law » à
une politique de « hard law » :
il
ne s'agit plus de promouvoir la diversité et la lute contre les discriminations dans l'emploi en faisant appel
à la simple « bonne volonté », mais par des mesures plus coercitives, assorties de sanctions. Le choix est
cependant loin de rallier un large consensus. Il est vivement débattu et contesté, au nom de la liberté de
l'employeur, voire d'un rejet de toute tentative de régulation par l'Etat. Cette peur de voir surgir des législations
contraignantes n'a cependant pas que des effets négatifs : elle incite certaines organisations patronales à
recommander à leurs affiliés de faire progresser la diversité dans leurs politiques de recrutement, afin d'éviter
que des quotas leur soient imposés par voie d'autorité.
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