La société civile au Maroc
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La société civile au Maroc
Centre Africain de Formation et de Recherche Administratives pour le Développement L’Observatoire des Fonctions Publiques Africaines Séminaire Conjoint CAFRAD/OFPA sur la Clarification des Missions de l’Etat, de la Société Civile et du Secteur Privé dans la Gouvernance Economique et la lutte contre la Pauvreté en Afrique La société civile au Maroc Par Rachid EL HOUDAIGUI Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales Tanger (Maroc) Tanger, Maroc, 24-27 Mai 2004 La société civile est sans doute l’un des traits les plus marquants de notre époque, à tel point qu’elle est devenue aujourd’hui un acteur incontournable dans le fonctionnement des sociétés contemporaines. Cette nouvelle situation est le fruit du travail que les organisations ont mené en matière des droits de l’homme, de promotion du rôle socio-politique de la femme, de défense de l’enfant, de lutte contre la corruption, de lutte contre la pauvreté, de préservation de l’environnement. On assiste aussi à une nouvelle forme de société civile internationale pour laquelle le profit n’est pas l’objectif principal. C’est dans ce contexte qu’apparaissent des nouvelles formes d’économie et de solidarité et que l’on parle d’une économie solidaire. Dans ce cadre, le rôle d’une société civile idéale serait de faire coopérer trois secteurs : l’Etat, le secteur privé, le secteur à but non lucratif à vocation sociale. Au Maroc comme dans les pays du sud, le combat de la société civile se développe sur deux axes prioritaires : les libertés publiques et le développement socio-économique des populations, aussi bien urbaines que rurales. L’objectif de mon propos est d’exposer devant le cas de la société civile marocaine en partant de l’idée centrale que cette dernière est le produit d’un processus historique enclenché des les débuts du 20 éme siècle. Aujourd’hui, elle atteint un degré de maturité suffisant pour disposer d’une certaine autonomie et d’un champ d’intervention relativement large. Sa participation au processus décisionnel est progressivement acceptée. Trois axes seront donc traités : I. la société civile est le produit d’un processus historique Ce processus est réparti en trois étapes : La première étape est celle de la naissance de certaines composantes (partis politiques et groupe socio-culturels) de la société civile qui s'est manifestée tout au long du Protectorat par la résistance et la lutte contre le colonisateur. Avec l'indépendance du Maroc en 1956, la société civile sera au cœur du combat politique qui opposa le mouvement national (partis politiques) au Pouvoir. La première constitution de décembre 1962 consacre définitivement la suprématie du Pouvoir et en fait par voie de conséquence le principal créateur de courants d'opinion. Ceci est d'autant plus vrai que les canaux constitutifs des associations étaient entièrement contrôlés par le pouvoir politique : le ministère de l’intérieur contrôlait les associations, la radio et la télévision étaient essentiellement publiques. Du coup, le pouvoir a domestiqué la notion de société civile et de lui enlever sa connotation de contre-pouvoir potentiel, en récupérant le discours qu’elle inspire. Il a ainsi créée des associations régionales, qualifiées ironiquement d'organisations "non gouvernementales-gouvernementales" , présidées par des personnalités appartenant au cercle rapproché du pouvoir ou par d’anciens ministres. Reconnues d'utilité publique, elles bénéficient d’avantages suffisants pour contribuer, officiellement, au développement économique, social et culturel de leur communauté. La troisième étape correspond à la fin de l’ordre bipolaire et les tentatives d’ouverture politique qu’a connu le Maroc au début des années 90. En effet, depuis cette période 2 plusieurs associations agissant dans des domaines différents sont apparues sur la scène publique marocaine. Des ONG à vocation économique et sociale se caractérisent par une certaine autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics, ce qui leur permet d'agir librement dans plusieurs domaines comme ceux de la santé, l'environnement, l'intégration de la femme dans la vie professionnelle, la promotion de la petite et moyenne entreprise, le développement rural et la défense des consommateurs. D’autres O.N.G. qui interviennent dans des domaines "politiquement sensibles" créent beaucoup de problèmes aux pouvoirs publics, du fait de leur intervention dans plusieurs crises relevant du domaine de la politique étrangère. A titre d'exemple, la participation remarquable des organisations marocaines des Droits de l'Homme au processus qui a débloqué la crise opposant le gouvernement marocain à la communauté internationale (France, Etats-Unis, Amnesty International, Parlement Européen) au début des années quatre-vingt dix. On estime aujourd’hui le nombre d’associations à 40000 selon le recensement réalisé par la section marocaine d’AI II. Les associations et leur domaine d’intervention A partir de dénomination des nombreuses associations on peut comprendre comment leurs domaines d’intervention sont différents. Et pourtant, en même temps, certains mots clés reviennent avec insistance : développement, droit de l’homme (de la femme) de l’enfant, culture, éducation, éducation environnemental, développement durable…….Parfois on a l’impression de retrouver des termes qui fonctionnent presque comme (mots de passe) qui semble indiquer une sorte d’adaptation aux règles du système international. En effet l’utilisation par stratégie ou par conviction, de ces mots et ces objectives ou modalité d’intervention de la part des associations nationales doit être mise en relation avec le scénario national qui détermine non seulement le choix politiques mais aussi et surtout les financements. Souvent les associations sont liées à des projets des OI présentes sur le territoire national, tels que le PNUD ou l’UNESCO, mais aussi à des projets et des actions des ministères nationaux ( Ministère de l’Aménagement du Territoire, Ministère de l’Education nationale…… Par ailleurs, d’autres associations qui bien que travaillant dans les mêmes domaines se distancient d’une façon évidente des lignes d’action des projets gouvernementaux. Ce sont des ONG qui travaillent sur les aspects sociaux et culturels du développement, sur le processus participatif et donc sur la réalisation d’une gouvernance locale, sur la promotion des droits de l’homme (en tant que premier pas vers un processus de démocratisation). D’autres catégorie d’association interviennent dans le domaines économiques ou /et politique. Je pense bien sûr aux associations professionnelles et aux syndicats. La CGEM (confédération générale des entreprises du Maroc et devenue en 10 ans un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics. Elle joue à la fois une fonction technique de consulting et de lobbying. L’émergence quantitatif de la société civile (40000) pose néanmoins un véritable problème pratique et qui n’est pas sans compliqué la production de toute politique publique nationale ou locale. C’est celui de l’absence de réseaux associatifs capable de coordonner les actions dans un domaine donné. 3 La nécessité de créer des réseaux est perçue comme une exigence majeure de la société civile, le but sera d’avoir un interlocuteur unique et fort capable d’influencer les décisions publiques. III. la participation au processus décisionnel On peut distinguer deux formes de participation à l’élaboration de la décision au Maroc : La première se présente sous forme de pression directe ou indirecte que pourrait exercer des associations sur le gouvernement. La deuxième forme intervient lorsque les pouvoirs publics eux-mêmes organisent la concertation avec les associations ou les groupes d’intérêt avant d’opérer leur choix ou d’adopter leur politique publique. Dans ce dernier registre un modèle décisionnel nous semble adopté au Maroc, c’est e processus complexe avec ou sans effet de mobilisation. Il se traduit par la volonté du décideur de décentraliser la décision dans la gestion des politiques publiques; c’est surtout la montée en force des associations professionnelles, humanitaires et sociales, et l’étendue de leurs relations internationales qui ont fait que le décideur leur ouvre les champs décisionnels. Chacune d’elle est engagée dans un réseau de solidarité internationale propre à son domaine, ce qui leur donne une légitimité suffisante pour s’affirmer comme acteur incontournable du processus décisionnel. Leurs domaines d’intervention sont les négociations commerciales et financières bilatérales ou multilatérales, la défense des droits de l’Homme, les questions socio-culturelles et la promotion économique. Les étapes de l’élaboration et de la prise de décision sont plurielles et longues, d’où l’appellation complexe. Dans ce cas de figure, les acteurs intervenants sont en plus du sommet de l’Etat, l’administration et le groupe d’intérêt concerné. Le processus dure le temps qu’il faut pour conclure la question traitée. Lors d’une négociation commerciale, par exemple, les acteurs économiques participent à deux des trois phases de la décision : l’élaboration des demandes et la préparation avec le gouvernement de la position officielle, puis dans certains cas l’accompagnement des négociateurs. La troisième phase met fin à la mobilisation des groupes d’intérêts et de l’opinion publique puisqu’on rentre dans la zone réservée à l’Etat, celle de la prise de décision. Par ailleurs, le cheminement du processus complexe change dès qu’il s’agit d’une question dans laquelle les intérêts du pouvoir et des acteurs divergent ostensiblement. Dans ces conditions, l’agencement des relations politiques change et les trois unités décisionnelles se trouvent engagées dans un rapport de force déséquilibré. Ainsi donc, l’aspect consensuel qui caractérise le processus complexe avec effet de mobilisation se transforme en interaction conflictuelle. En ce sens, le décideur, pour ne pas perdre la face, tolère la participation des membres de la société civile sans pour autant céder à leur pression ni répondre complètement à leurs doléances. Ce fut le cas de la crise des droits de l’Homme, provoquée en 1990 par un réseau d’associations humanitaires nationales et internationales et qui a failli bousculer les fondements même du pouvoir. Pour terminer, je voudrais préciser que la constructions de la société civile telle qu’elle est pensée dans certains pays du sud présente une lacune méthodologique : c’est celle qui continue à opposer l’Etat à la société civile en laissant entendre que l’affaiblissement de l’Etat était nécessaire à l’émergence d’une société civile. 4