Communiquer avec les femmes vulnérables pour un changement

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Communiquer avec les femmes vulnérables pour un changement
Étude originale
Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 78.47.27.170 le 08/02/2017.
Communiquer avec les femmes vulnérables
pour un changement positif de comportement :
l’exemple du projet Yêrêlon de Bobo-Dioulasso
(Burkina Faso)
Abdramane Berthé1
Pierre Huygens2
1
Résumé
Centre Muraz
Unité « Sciences de l’homme pour l’aide
à la décision, à l’action et à l’évaluation
des interventions » (SHADEI),
01 BP 390,
Bobo Dioulasso 01
Burkina Faso
<[email protected]>
2
École de santé publique,
Politique et systèmes de santé,
Université libre de Bruxelles,
CP597
Route de Lennik, 808
1070 Bruxelles
Belgique
<[email protected]>
Pour vérifier si la prise en charge adéquate des infections sexuellement transmissibles
(IST) courantes chez les femmes vulnérables, leur exposition à une quali-quantité de
communications pour un changement de comportement (CCC) réduisent considérablement leur vulnérabilité aux IST et au VIH, les chercheurs d’une étude clinique ont enrôlé
environ 760 femmes vulnérables (travailleuses du sexe, serveuses de bars, commerçantes
ambulantes) dans une cohorte ouverte depuis 1998. Une étude socio-anthropologique a
été réalisée pour cerner les impacts du modèle de CCC mis en œuvre. Durant 45 jours,
outre l’observation des séances de CCC à la clinique des chercheurs, aux domiciles ou sur
les lieux de travail des femmes de cette cohorte, 80 femmes ont été interviewées au cours
de 37 entretiens individuels approfondis, 8 entretiens collectifs et un focus group. Il
ressort de cette investigation qu’à des degrés divers les femmes vulnérables ont une
bonne connaissance des thèmes abordés par leurs paires et une forte capacité de
restitution des messages véhiculés. Elles trouvent que les messages véhiculés lors des CCC
sont compréhensibles et applicables. Elles ont beaucoup appris sur le port et/ou la
négociation du condom, le VIH/sida, les IST, et l’herpès génital féminin. Elles négocient
mieux le port du condom avec tout type de partenaires sexuels, améliorant ainsi leur
rapport au condom. Plus de la moitié des femmes déclarent avoir adopté des comportements positifs envers les personnes infectées par le VIH et/ou des comportements sexuels
à moindres risques. Désormais, elles sélectionnent les clients et utilisent systématiquement le condom avec les clients ordinaires, retirent elles-mêmes le condom après la passe,
recourent systématiquement aux soins modernes pour tout cas d’IST. L’équipe biomédicale de ce programme note une basse incidence VIH chez les 524 femmes séronégatives
enrôlées dans cette cohorte. Le modèle de CCC tel que développé par cette équipe
confirme que la « dévulnérabilisation » vis-à-vis du VIH/sida d’une telle population, passe
par une prise de conscience du groupe de sa vulnérabilité et par la mise à disposition des
moyens adéquats de lutte contre cette vulnérabilité. Un tel modèle devrait être utilisé pour
rendre adéquate la consommation des soins modernes par les populations. Certes, la
gratuité des prestations de ce projet, la compensation financière du temps d’attente et des
frais de transport des femmes qui viennent pour les consultations programmées rendent
difficile l’appropriation d’un tel modèle par l’État burkinabé et ses partenaires. Toutefois,
pour pérenniser les acquis d’un tel projet ceux-ci et/ou les organisations œuvrant dans le
domaine de la santé publique pourraient et devront promouvoir un système de financement solidaire des soins de santé adapté aux différents contextes locaux.
doi: 10.1684/san.2007.0071
Mots clés : Burkina Faso, information, maladie sexuellement transmissible, préservatif,
prostitution, sida, VIH.
Abstract
Communicating with vulnerable women for positive behaviour change:
the Yerelon project in Bobo Dioulasso (Burkina Faso)
Tirés à part : A. Berthe
Context and objectives: Since 1998, researchers in Burkina Faso have enrolled about 760
vulnerable women (sex workers, bar waitresses, pedlars, students, etc.) in an open cohort
(the Yerelon cohort) to determine whether adequate management of sexually transmissible infection and exposure to well-designed, well-delivered, and plentiful communication
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for behaviour change (CBC) can reduce their vulnerability to HIV. This qualitative social
anthropology study was conducted to: i) analyse the messages assimilated by the women
who follow CBC sessions; ii) determine the impact of these messages on the women’s
behaviour. Methods: The researchers observed CBC sessions in the clinic, in women’s
homes and at their places of work for 45 days. They also conducted 37 individual in-depth
interviews, 8 group interviews and a focus group, selecting a “reasoned” sample of 80
women from the cohort. The data were entered with Word software and analyzed with the
’Atlas TI’ qualitative data analysis software. Results: This study shows that: i) these
vulnerable women have good knowledge of the themes raised during CBC sessions with
the Yerelon peer-leaders and are quite able to reproduce the messages. Most can repeat
and explain them; ii) the women find the messages presented during CBC, by peers who
live similar lives and speak their “language”, to be understandable and applicable to them;
iii) they learned much about condom use and negotiation, HIV/AIDS, genital herpes, and
other STIs. They know for example that condoms have two sides, one lubricated and the
other not, and that condoms effectively protect against pregnancy and some STIs; iv) they
negotiate condom use better with all types of sexual partners, thus improving their
relation to it; v) a large majority report new positive behaviour, selecting clients and
partners, and using condoms routinely, taking it off after intercourse themselves. They
also now routinely use modern medical care for any STIs; vi) Of 524 women seronegative
at inclusion in 2003, only 0.8% became infected in the first three months of the study, and
no others in the year that followed. Conclusion: In Bobo-Dioulasso, Burkina Faso, the
communication offered in the CBC programme to vulnerable women by peer-advisers
trained by a multidisciplinary team, improved to varying degrees the women’s knowledge
of the various topics covered. This improvement changed their behaviour positively,
leading to routine condom use, especially with occasional partners. This has resulted in
low HIV incidence. This model can and must be spread to other vulnerable populations.
Admittedly, the free services and products provided in the programme make it harder to
perpetuate and disseminate. The promotion of health mutuals is one method to provide
funding.
Key words: AIDS, Burkina Faso, HIV, information, sexually transmitted infection,
preservative, prostitution.
A
près une vingtaine d’années de
lutte contre le VIH/sida, celui-ci
reste toujours un problème de
santé publique en Afrique. Cependant,
l’ampleur et les impacts de cette épidémie
sur ce continent connaissent des variations spatio-temporelles. Les pays ou les
zones ayant pris en compte les populations vulnérables dans la réduction du
risque d’acquisition et/ou de transmission
du VIH enregistrent des succès dans la
prévention et la prise en charge globale.
Certes, toutes les populations sont vulnérables au VIH ; cependant, certaines
comme les femmes, les travailleuses du
sexe le sont plus que d’autres au regard de
leurs faibles capitaux culturel/scolaire,
financier, social, physique, de leur statut
social, de leurs activités socioprofessionnelles. De nos jours, une baisse significative de la prévalence globale peut certainement être obtenue en réduisant les
inégalités face au risque, en améliorant les
conditions de vie (économique, social,
sanitaire) des populations vulnérables.
Depuis le début de l’épidémie du sida, des
avancées importantes ont été obtenues
avec les programmes spécifiques, qui
montrent que les femmes utilisent de plus
en plus les préservatifs avec leurs clients
mais pas avec leur partenaire. Et comme
l’affirmait Mathieu [1] : « Le préservatif ne
joue pas pour les prostituées un rôle
uniquement prophylactique, mais constitue une sorte de barrière permettant de
conserver une forme minimale d’intégrité
corporelle en se gardant de tout contact
direct avec le sperme du client. »
Par ailleurs, au sujet du faible pouvoir des
femmes à négocier le port du préservatif
avec leur partenaire fixe, fiancé ou
époux, Harcourt et Philpot [2] (cités par
Mathieu [1]) affirmaient : « La plupart des
femmes interrogées se refusent à demander à leur amant d’utiliser les préservatifs
par peur des conséquences d’une telle
demande sur leur relation; du fait de leur
propre désir de clairement distinguer
sexualité pour l’argent et sexualité pour le
plaisir ; et parfois parce que leur parte-
104
naire non-payant n’était pas au courant
de leurs activités professionnelles ».
Jusqu’où peut-on progresser dans ce
domaine ? Quelle(s) méthode(s) faut-il utiliser ? Quelle(s) forme(s) ou modèle(s) de
prise en charge (économique, sociale, psychologique, sanitaire) faut-il développer ?
Dans le cadre de la prise en charge sanitaire des femmes vulnérables (travailleuses du sexe, vendeuses dans les cabarets,
serveuses de bar, petites commerçantes
ou employées de commerce) [3], des
chercheurs burkinabé1 ont enrôlé en
1998 environ 440 femmes vulnérables
dans une cohorte ouverte portée à 760 en
2003 pour vérifier si « la prise en charge
adéquate des IST courantes chez ces femmes, leur exposition à une quali-quantité
de communication pour un changement
de comportement (CCC) réduiraient
1
Les chercheurs du projet Yêrêlon du Centre
Muraz de Bobo-Dioulasso. Ce projet a été
financé par l’Agence nationale de recherche sur
le sida et les hépatites virales [ANRS 1222].
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considérablement leur vulnérabilité aux
infections sexuellement transmissibles
(IST) et au VIH ». À travers ce programme
de recherche/intervention dénommé projet Yêrêlon (se connaître soi-même en
langue bambara), ces femmes bénéficient
gratuitement et trimestriellement, ou
selon leurs besoins, d’une prise en charge
médicale, psychologique, de don en préservatif, de CCC.
Le modèle de CCC du programme Yêrêlon est organisé comme suit : l’équipe
pluridisciplinaire conçoit un programme
et forme 30 paires-conseillères parmi les
femmes vulnérables pour la réalisation
d’activités CCC (séances de causeries
éducatives) à la clinique Yêrêlon, au
domicile ou sur le site de travail des
participantes. De mai 2003 à octobre 2004, plus de 2 500 femmes ont participé une ou plusieurs fois à environ
270 séances de CCC. La durée moyenne
d’une séance est de 30 minutes. Le nombre de femmes participant à ces séances
varie entre 8 et 20 et reste plus élevé à
domicile ou sur le lieu de travail des
femmes qu’à la clinique.
En octobre 2004, pour cerner les impacts
de ce modèle de CCC, appel a été fait aux
socioanthropologues de l’unité de recherche « Sciences de l’homme pour l’aide à la
décision, à l’action et à l’évaluation des
interventions » (Shadei), un observatoire
des pratiques et des espaces plus ou
moins propices à la prostitution au Burkina Faso. La présente étude est une
analyse qualitative des impacts de ce
modèle CCC sur les comportements des
bénéficiaires.
La sélection des femmes à interviewer
s’est faite de façon raisonnée durant le
temps de collecte des données. Ils ont
tenté de couvrir toutes les catégories de
femmes en mettant l’accent sur les « trotteuses » (travailleuses du sexe qui recherchent leurs clients le long du trottoir),
les femmes sur tabouret (travailleuses du
sexe qui s’asseyent sur un tabouret/
escabeau en attendant leurs clients) et les
serveuses de bars, car ces femmes sont
les plus nombreuses dans la cohorte du
projet Yêrêlon, les plus vulnérables et les
plus difficiles à mobiliser pour les CCC.
En général, c’était au terme d’une
séance de CCC que les investigateurs/
observateurs sollicitaient au maximum
deux femmes volontaires pour un entretien individuel approfondi dont la date,
l’heure et le lieu étaient consensuels.
Quelques entretiens collectifs ou focus
group ont eu lieu avec deux, trois ou neuf
femmes.
En outre, des entretiens collectifs ont été
réalisés avec chacune des 6 « pairesleaders » et leurs paires de base et avec les
responsables du programme de recherche.
Au terme de cette étude qualitative, 80
femmes (bénéficiaires, paires de base,
paires-leaders et responsables du programme) ont été sollicitées, interviewées
au cours de 46 entretiens (8 collectifs et
38 individuels) et 1 focus group.
Les données collectées ont été encodées
à l’aide du logiciel Word et traitées à l’aide
du logiciel d’analyse de données qualitative Atlas TI.
Résultats
Objectifs
et méthodologie
de l’étude
Brève présentation
des femmes/bénéficiaires
interviewées
L’objectif général de cette investigation
est de cerner les changements de comportements induits par les messages véhiculés pendant les séances de CCC portant
sur divers thèmes : les IST, l’herpès génital, le VIH/sida, le port et la négociation
du condom.
Pendant 45 jours, les investigateurs ont
observé les séances de CCC. Conscients
que leur présence à ces séances modifiait
aussi bien le dispositif d’animation que le
comportement des participantes, ils ont
plutôt utilisé ces séances comme une
porte d’entrée dans le milieu.
Au total, nous avons interviewé 48 participantes de la cohorte. Ces femmes ont
été interviewées sur leur site de travail
(25/48) (bars, cabarets, maisons closes ou
chambres de passe), à la clinique Yêrêlon
(10/48) ou à domicile (13/48). Leur âge
varie entre 17 et 43 ans avec une
moyenne de 27 ans. Certaines (13/48)
n’ont jamais été scolarisées. D’autres, en
revanche, l’ont été et ont atteint le niveau
primaire (17/48), secondaire (8/48) ou
supérieur (1/48). Par omission, le niveau
d’instruction n’a pas été demandé à 9/48
femmes rencontrées pendant un focus
group. Les interviewées sont issues de
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divers groupes ethniques du Burkina
Faso (Bissa, Bobo, Dafing, Dagari, Gourmatché, Gourounsi, Mossé, Sambla, Samo
ou Samogo, Sénoufo, Tiéfo, etc.), de certaines ethnies originaires du Nigeria
(Binin, Ibo), de la Côte d’Ivoire (Guérés),
etc. Elles se répartissent en cinq nationalités - burkinabé (38/48), nigériane (6/48),
ivoirienne (2/48), ghanéenne (1/48), libanaise (1/48) - et en diverses catégories
socioprofessionnelles - travailleuses du
sexe (11 trotteuses, 4 trotteuses/tabouret
et 2 prostituées s’asseyant sur tabouret),
serveuses de bar (9/48), vendeuses de
bières traditionnelles (5/48), sans emploi
(5/48), commerçantes (4/48), militantes
d’associations luttant contre les IST et le
VIH/sida (3/48), coiffeuse (1/48), élève
(1/48), employée de commerce (1/48),
brigadier de propreté (1/48) et technicienne de surface (1/48). La durée de leur
inclusion dans cette cohorte varie entre 2
et 72 mois (6 ans) avec une durée
moyenne de 14 mois.
Impacts des séances de CCC
sur les femmes
selon leurs déclarations
Toutes les femmes interviewées sauf une
affirment avoir amélioré leurs connaissances sur les divers thèmes (les IST, l’herpès
génital, le VIH/sida, le port et la négociation du condom) abordés au cours des
CCC. Cela a amélioré leur perception du
préservatif, donc leurs rapports à celui-ci.
Selon les interviewées, l’inclusion dans la
cohorte les a incitées notamment à :
– devenir plus radicales envers les clients
ordinaires, les partenaires occasionnels
(déclaration de 10/48 interviewées).
« Même avec mon titulaire, lorsqu’il refuse
de payer mon loyer parce que j’ai refusé
de coucher avec lui sans capote, je le
laisse partir et c’est tout », résume l’interviewée n° 6, serveuse de bar, 23 ans ;
– mieux négocier le port du préservatif
avec les « titulaires » ou partenaires fixes
(30/48) : « Notre participation à ce projet
nous a donné des arguments à négocier
le port du préservatif ; par exemple on
peut dire : ’J’ai une plaie sur le sexe, je ne
veux pas te contaminer alors porte la
capote’ ; ou bien ’je suis en règle...’ En
tout cas grâce au projet nous avons beaucoup d’astuces et d’arguments. » (extrait
de l’entretien collectif avec 9 femmes de
la cohorte rencontrées dans un cabaret).
L’usage de ces astuces, stratagèmes et
arguments est parfois handicapé par le
désir d’avoir rapidement beaucoup
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d’argent, le souci de conserver leur partenaire fixe, le désir de mieux savourer le
coït, l’orgasme dans le cadre d’une relation privilégiée : « Mais avec mon chéri,
c’est tout autre chose. C’est moi-même
qui me plains s’il veut porter la capote
parce qu’ici (avec les clients) c’est avec
capote, il n’y a pas de goût. Mais avec un
chéri je veux sentir le goût, alors je refuse
qu’il porte la capote. » (extrait de l’entretien collectif avec deux trotteuses ivoiriennes).
La quasi-totalité des interviewées ne s’est
pas contentée de renforcer ses capacités à
négocier le port du préservatif ; elle
(46/48) a aussi largement développé son
aptitude à faire porter le condom par
leurs partenaires et à retirer elles-mêmes
le condom après l’acte sexuel : « Même si
c’est dans le noir et que nous avons les
yeux fermés, on met la capote sans problème. » (entretien collectif avec neuf
femmes de la cohorte rencontrées dans
un cabaret).
Chez les participantes au programme, la
consommation du préservatif a été
influencée par le renforcement de leur
pouvoir de négociation du préservatif et
leur aptitude à faire porter le condom. Si
pour la majorité des interviewées (36/48)
l’usage du préservatif a sensiblement augmenté et est devenu systématique avec
tous les types de partenaires sexuels ou
avec les partenaires occasionnels seulement, pour d’autres (9/48) la quantité de
condoms utilisés est restée élevée mais
stagnante ou aurait même diminué (2/48)
à cause de l’abstinence ou de la baisse de
la clientèle.
Avec leur partenaire fixe ou « titulaire »,
l’usage du préservatif répond plus souvent à un besoin de planification familiale, de gestion de la menstruation qu’à
un souci de protection contre les IST, le
VIH, etc. : « Quand je suis rentrée dans le
projet, j’ai eu un nouveau copain ; avec
lui je porte la capote quand je suis en
règle et quand ce sont les périodes dangereuses (périodes de fécondité). Avec
les clients, je porte la capote » certifie
l’interviewée n° 34, trotteuse burkinabé,
19 ans.
L’augmentation de la quantité de préservatifs consommés chez ces femmes est un
des indices de leur changement positif de
comportement. À ce sujet, la quasitotalité (45/48) des interviewées affirment
avoir changé positivement de comportement.
Pour quelques-unes (3/48), leur inclusion
leur a plutôt permis de maintenir leurs
anciens comportements préventifs. Le
tableau 1 juxtapose les anciens et nouveaux comportements selon les déclarations des femmes interviewées :
Chez les bénéficiaires du programme,
une des conséquences ou indice de leur
changement positif de comportement est
la diminution significative du nombre
d’IST depuis leur participation à ce projet.
Les 32 femmes abordant ce sujet affirment :
– ne pas savoir l’effet de leur participation
à ce projet sur leurs cas d’IST (1/32) ;
– n’avoir connu aucun cas d’IST avant et
au cours du programme (18/32) ;
– connaître la même fréquence d’IST
avant et au cours du programme (1/32) ;
– que leur inclusion a non seulement
modifié leurs rapports aux IST (gestion
des IST) mais a diminué sensiblement la
survenue de ces infections (12/32) :
« Grâce à mon inclusion dans le projet, je
ne panique plus devant une maladie du
sexe. Et je ne cache plus rien allant dans
ce sens. Par exemple, je viens d’avoir des
démangeaisons du sexe, il y a un bout de
temps. Dès le lendemain, je me suis
rendu à la clinique. J’ai été visitée et j’ai
été guérie. Si c’était avant, je n’allais pas
avoir le courage d’aller à la clinique,
j’allais cacher ma maladie », avoue avec
fierté l’interviewée n° 23, prostituée clandestine, libanaise, 19 ans.
Utilisant une forme de connaissance
d’autrui par sympathie, les femmes interviewées
affirment
majoritairement
(39/48) qu’un bon nombre de femmes
enrôlées dans la cohorte de ce projet ont
amélioré leurs connaissances sur les thèmes abordés, ont adopté des comportements préventifs et sont satisfaites des
activités du programme.
Impacts des séances de CCC
sur les femmes
selon les responsables
du programme,
les paires-leaders
et les paires de base
Certes, la cohorte a permis de générer
une réflexion sur les thèmes abordés, et
de repenser leurs comportements et attitudes vis-à-vis d’elles-mêmes et de leurs
partenaires. Cependant, pour diverses
raisons (inattention pendant les CCC,
désintérêt/négligence des CCC, etc.), la
quali-quantité de ces impacts varie d’une
femme à l’autre, d’un domaine (sujet
abordé) à l’autre.
106
Selon les responsables du programme,
les paires-leaders et les paires de base,
quelques femmes :
– n’ont pas eu le changement de comportement escompté : « Mais il faut aussi
reconnaître que d’autres n’ont pas
changé. Elles prennent toujours des grossesses, pourtant elles ne sont pas
mariées. » (extrait de l’entretien collectif
avec une paire-leader et cinq de ses six
paires de base)2 ;
– n’utilisent pas leur dotation de préservatifs, d’autres vont jusqu’à en vendre
une partie. Autrement dit, l’offre gratuite
et régulière de préservatifs masculins aux
femmes a évidemment augmenté leur
stock de condoms, mais il reste difficile de
mesurer la consommation réelle ;
– ne savent pas encore négocier ou faire
porter le préservatif à tous les types de
partenaires.
Ainsi, plus que les 48 femmes interviewées, les responsables du projet Yêrêlon, les 30 paires-conseillères de ces femmes relativisent et atténuent les impacts
du projet sur les femmes.
Constat
de l’équipe biomédicale
L’équipe biomédicale de ce programme
note une diminution significative de
l’incidence VIH chez les 524 femmes
séronégatives enrôlées dans cette
cohorte : « De la pré-inclusion à la première visite (V1), soit 4 mois d’intervalle,
4/524 (0,8 %) se sont infectées par le VIH.
Depuis cette période jusqu’à la visite 3
(V3), soit 12 mois après la pré-inclusion
et 9 mois après V1, aucune femme incluse
ne s’est infectée. » (entretien avec un
membre de l’équipe biomédicale).
L’intervention a également entraîné une
baisse marquée de la survenue d’infections génitales [4, 5].
Discussion
Rapport au préservatif
Outre l’amélioration de leurs connaissances sur les IST et le VIH/sida, les femmes
2
Cependant, il faut noter que dans ce milieu ou
selon ces femmes vulnérables, être enceinte
n’est pas toujours synonyme de résistance aux
changements, de non-usage de préservatif,
d’incompréhension et/ou d’inapplication des
messages véhiculés mais est plutôt l’indice, la
preuve de changement, de la fidélisation à un
partenaire titulaire.
Cahiers Santé vol. 17, n° 2, avril-mai-juin 2007
Tableau 1. Juxtaposition des anciens et nouveaux comportements des participantes au programme
de recherche Yêrêlon suite à leur inclusion dans la cohorte.
Table 1. Juxtaposition of old and new behaviour of women included in the Yerelon Cohort.
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Anciens comportements
Nouveaux comportements
1. Multipartenariat sexuel et le non-usage systématique du
préservatif, non-négociation du port du préservatif : « Avant
j’avais 3 amants titulaires. Et avec ces trois je ne portais pas
régulièrement la capote », témoigne l’interviewée n° 25,
serveuse de bar, 20 ans.
1. Diminution du nombre de partenaires sexuels,
« Sélection des partenaires » ne présentant pas les signes
cliniques des IST et/ou du VIH/sida, négociation et usage
systématique du préservatif avec les partenaires ou clients
ordinaires, intermittent ou quasi systématique avec les
partenaires fixes ou titulaires, demande de préservatif
féminin : « Maintenant j’ai un seul amant. C’était deux, mais
l’autre là on ne s’entend plus. Avec le seul qui est resté, je
ne porte pas toujours la capote. On peut utiliser la capote 3
fois sur 7 dans la semaine » continue l’interviewée n° 25,
serveuse de bar, 20 ans.
2. Usage d’objets souillés : « Comme anciens
comportements, je coupais mes ongles avec les anciennes
lames. Je me faisais tresser avec les mêmes aiguilles dans
les salons de coiffure... », illustre l’interviewée n° 3,
serveuse de bar, 28 ans.
2. Usage d’objets non souillés pour se raser, se coiffer, etc. :
« Comme nouveau comportement, je n’utilise plus les
anciennes lames et quand je veux aller dans un salon de
coiffure, j’amène mon aiguille » illustre l’interviewée n° 3,
serveuse de bar, 28 ans.
3. Non-retrait du condom par la partenaire, après le rapport
sexuel : « Même avant le projet, j’utilisais les préservatifs
avec tout le monde mais je n’enlevais pas le préservatif
après le rapport sexuel... « , rapporte l’interviewée n° 6,
serveuse de bar, 23 ans.
3. Retrait du condom par la partenaire, après le rapport
sexuel : « Maintenant après le rapport sexuel, j’enlève
automatiquement le préservatif à l’aide d’un mouchoir ou
du bout de mon pagne parce c’est l’eau de mon vagin qui se
trouve sur la capote », rapporte l’interviewée n° 6, serveuse
de bar, 23 ans.
4. « Travailler » (se prostituer) selon le gré du client :
« Avant, quand je croisais quelqu’un, je buvais dans le
même verre que lui. Quand la personne m’invitait à boire et
je ne savais pas que c’était dangereux. Si je partais avec
quelqu’un, je me déshabillais automatiquement sans faire
attention. J’embrassais aussi », déclare l’interviewée n° 24,
trotteuse burkinabé, 32 ans.
4. « Travailler » (se prostituer) avec prudence, selon les
« normes du métier » ou selon son propre gré : « Je
n’embrasse plus si je vois ton corps d’une autre manière, je
n’accepte plus. Ensuite, si je vois que tu es un peu
compliqué, je te laisse partir. ‘Embrasse-moi, déshabille-toi,
je veux sucer tes seins ou bien je veux ’languer’, moi je
n’accepte point, je refuse... Faire sans préservatif, ça c’est
hors de question même s’il me donne le monde entier »,
explique l’interviewée n° 24, trotteuse burkinabé, 32 ans.
5. Honte de déclarer ou de se présenter avec une IST, usage
d’eau chaude pour soigner, soulager l’herpès : « Avant pour
l’herpès, on mettait de l’eau chaude. On n’utilisait pas la
capote. On stigmatisait les PVVIH... » (extrait de l’entretien
collectif avec 3 femmes de la cohorte rencontrées dans un
cabaret).
5. Recours systématique à la clinique pour la prise en
charge des cas d’herpès : « Maintenant pour l’herpès, on va
directement à la clinique, on porte la capote, on est solidaire
avec les PvVIH » (extrait de l’entretien collectif avec 3
femmes de la cohorte rencontrées dans un cabaret).
6. Crainte du test de dépistage (faire et retirer le résultat).
6. Surconsommation du test de dépistage.
7. Stigmatisation des PVVIH.
7. Comportements solidaires envers les PVVIH.
8. Mauvais port du condom qui se brisait pendant les
rapports sexuels.
8. Bon port du préservatif masculin.
9. Infection ou réinfection du partenaire par ignorance de sa 9. Abstinence sexuelle pour ne pas infecter un nouveau
sérologie positive.
partenaire sexuel, utilisation systématique du préservatif :
« Comme nouveaux comportements, j’ai décidé de ne plus
faire le rapport sexuel parce que je ne veux pas contaminer
quelqu’un... je préfère m’abstenir » déclare l’interviewée
n° 13, veuve, militante infectée d’une association, 30 ans.
semblent avoir changé leurs rapports au
préservatif. Avec de bonnes aptitudes à
négocier, porter ou faire porter le
condom, elles avouent le consommer/
utiliser plus et mieux, même si son usage
n’est pas systématique surtout avec les
partenaires fixes, copains ou fiancés, et
ce pour plusieurs raisons : désir de tirer le
plaisir maximal du coït, souci de conserver le partenaire et les différents soutiens
dont elles bénéficient de sa part. L’analyse du rapport des femmes vulnérables
aux préservatifs montre une évolution
positive dans le temps sous l’effet du
programme national de prévention destiné à la population générale et des pro-
Cahiers Santé vol. 17, n° 2, avril-mai-juin 2007
grammes spécifiques ciblant les populations vulnérables. En 1998, par exemple,
Cartoux [6] notait que « l’utilisation du
préservatif est devenue plus fréquente
depuis un an environ, principalement
parce que les clients refusent un rapport
non protégé. Cette utilisation reste cependant insuffisante pour toutes les catégo-
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ries de prostituées sauf les femmes sur
tabouret qui s’identifient plus facilement
comme des professionnelles et sont plus
disciplinées. Un quart des prostituées ont
des rapports non protégés avec un quart
de leurs clients parce que ceux-ci refusent
mais bien souvent ’pour l’argent’. La moitié a des tarifs ’sans préservatif’ ».
En 2001, Huygens et al. [7], après avoir
identifié et décrit quatre principaux types
de partenaires sexuels (partenaires fixes
ou petits amis, protecteurs, clients réguliers et clients ordinaires) chez les « prostituées clandestines » écrivaient : « Avec les
clients ordinaires, l’usage du préservatif
est, en principe systématique... de nombreuses prostituées clandestines interrogées rapportent refuser le rapport sexuel si
le client n’utilise pas de préservatif... Dans
certains lieux, des stratégies ont été élaborées par les prostituées clandestines pour
contrôler l’utilisation du préservatif par
leurs paires... Cependant, certains témoins
signalent l’usage non systématique du préservatif chez de nombreuses prostituées
clandestines trotteuses burkinabé, ceci
même avec les clients ordinaires, à condition que ceux-ci y mettent le prix... ».
De nos jours, toutes les catégories de
femmes vulnérables utilisent ou affirment
utiliser systématiquement le préservatif,
avec tout partenaire occasionnel, ordinaire, etc. et négocient davantage son
usage avec leur partenaire fixe, leur
fiancé ou époux. Avec les clients ordinaires ou occasionnels, lorsque les femmes
se retrouvent plus ou moins contraintes à
accepter une relation sexuelle non protégée (sur ce point, nous nous accordons
avec les autres auteurs comme Huygens
et al., Mathieu, Harcourt et Philpot, etc.),
elles tentent de sélectionner ces clients
après un entretien visant à déterminer le
degré d’exposition au risque d’infection à
VIH ou aux IST du client et/ou après un
« examen clinique profane » visant à
rechercher les signes cliniques des IST et
du VIH/sida. Cet « examen clinique » peut
comprendre l’observation de l’habillement, des mimiques, de la corpulence
(rapport taille/poids, signes d’amaigrissement), la recherche de boutons, de plaies
ou d’anomalies sur le corps, la bouche,
surtout sur le sexe et le pubis, etc. En
outre, au cours du rapport sexuel, elles
peuvent négocier ou imposer le retrait du
pénis avant l’éjaculation ou prendre
immédiatement et systématiquement une
douche vaginale après celle-ci.
Chez toutes les catégories de femmes vulnérables, la tendance à l’usage systématique du préservatif avec les différents parte-
naires sexuels est un indice du
changement ou de la tentative de changement positif de comportement. L’analyse
du tableau 1 juxtaposant les anciens et
nouveaux comportements selon les déclarations des femmes montre qu’elles tentent
de réglementer, voire professionnaliser,
leur rapport avec les partenaires occasionnels ou ordinaires en établissant plus ou
moins des normes ou « règles du métier3 »
comme la sélection des partenaires considérés comme étant « à moindre risque », la
négociation et l’usage systématique du
préservatif avec les clients ordinaires, le
retrait du condom par la partenaire après
le rapport sexuel, l’interdiction d’embrasser ou de « languer » les clients ordinaires,
le recours systématique à la clinique pour
la prise en charge des cas d’IST ou en cas
de rupture du condom, l’abstinence
sexuelle (en cas d’infection) pour ne pas
infecter un nouveau partenaire ou adoption d’une politique d’utilisation systématique du préservatif.
Résultats
des analyses biomédicales
L’équipe du programme Yêrêlon nous a
rapporté qu’en 2001, l’incidence annuelle
du VIH chez les 300 femmes négatives
enrôlées dans sa cohorte était de 3 % [5].
À la fin de l’année 2003, après avoir porté
cet effectif à 524 femmes, cette équipe
note une basse incidence VIH, car trois
mois après leur inclusion, seulement
0,8 % des 524 femmes séronégatives
étaient infectées par le VIH, et jusqu’en
2006 aucune autre femme n’a été infectée. Cette baisse de l’incidence pourrait
résulter du changement positif de comportement chez ces femmes. Ainsi, grâce
aux activités de prise en charge médicale
des IST et autres pathologies, de soutien
psychosocial, de sensibilisation, etc.,
développées par le programme de
recherche Yêrêlon, l’incidence du VIH est
en baisse chez ces femmes vulnérables.
Si au début de l’épidémie les prostituées
(du fait de leur multipartenariat sexuel)
ont été identifiées, indexées/stigmatisées
comme les vecteurs de la transmission du
VIH et qualifiés de « groupe à risque », de
nos jours ces discours stigmatisants doivent être révisés car ces femmes constituent une des catégories socioprofessionnelles qui a rapidement pris conscience
de sa vulnérabilité (certes grâce à des
interventions exogènes) et qui a proposé
des réponses de plus en plus adéquates.
Jadis cibles ou simples bénéficiaires des
interventions exogènes prenant très peu
en compte leurs besoins, les femmes vulnérables de Bobo-Dioulasso sont, à présent, les actrices, conceptrices et réalisatrices de leurs propres activités de
prévention
(causeries
éducatives,
démonstration du port du préservatif,
projections de films suivies de débats, de
prise en charge médicale (à travers
l’appui d’une infirmière) et de soutiens
(scolaire aux orphelins et enfants vulnérables, social). Avec l’appui de ce programme de recherche Yêrêlon, elles se
sont organisées en association de lutte
contre le VIH/sida (association Yêrêlon),
ciblent à leur tour d’autres catégories de
populations vulnérables, dont les veuves,
les orphelins et les enfants vulnérables,
les habitants des zones rurales, etc. pour
prévenir et/ou prendre en charge le
VIH/sida. Malheureusement, les dysfonctions de cette association entravent la
pérennisation des acquis de ce projet.
Conclusion
et recommandations
À Bobo-Dioulasso, l’offre quantitative
(plus de 270 séances) et qualitative (portant sur divers thèmes) de CCC à la clinique Yêrêlon, aux domiciles et/ou aux
services des femmes vulnérables par des
paires-conseillères4, a amélioré à des
degrés différents les connaissances de ces
bénéficiaires sur les thèmes abordés,
engendrant un changement positif de
comportement dont une tendance à l’utilisation systématique du condom surtout
avec les partenaires occasionnels. Un
3
Selon Mathieu [1] chez les prostituées françaises, les « règles du métier » les plus fréquemment invoquées sont : les interdictions
d’embrasser le client, de « monter » avec plusieurs clients, d’éprouver du plaisir lors des
passes ou encore la limitation de leur durée (p.
44) ... ; ne pas respecter les emplacements,
tenter de s’approprier de la clientèle d’autrui, ne
pas respecter les tarifs en vigueur ou accepter
certaines pratiques interdites telles que les pratiques non-protégées ou, chez les femmes, la
sodomie... (p. 50).
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4
Nous préférons ce terme (pair-conseillère) à
celui de pair-éducatrice qui à notre avis est
contradictoire. Un pair (alter ego) peut
conseiller et non éduquer ses pairs, car contrairement à un conseiller qui propose et dont
l’auditeur dispose, l’éducateur détient souvent
des moyens de coercition qu’il utilise légalement sur ses sujets sociaux. Or les pairs dits
éducateurs ou éducatrices manquent de ces
moyens-là.
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corollaire de ce changement positif de
comportement, couplé avec l’accès au
diagnostic et au traitement efficace des
IST, est la baisse de l’incidence du VIH
chez ces femmes.
Cette intervention du programme Yêrêlon
atteste que la prise en charge adéquate
des IST courantes chez les femmes vulnérables, leur exposition à une qualiquantité de CCC réduisent considérablement leur vulnérabilité aux IST et au VIH.
Autrement dit, permettre à une population vulnérable de prendre conscience de
sa vulnérabilité, lui fournir les moyens
nécessaires (médical, psychosocial, économique, culturel, etc.) pour réduire cette
vulnérabilité est synonyme de contribuer
à « dévulnérabiliser » cette population.
Ainsi, l’intégration harmonieuse de la
prise en charge médicale, biologique,
psychosociale est gage de succès d’une
intervention. Cependant, la gratuité des
prestations de ce programme liées au
respect des règles éthiques de la recherche, a aussi contribué largement à son
succès. Cette gratuité rend actuellement
difficile l’appropriation d’un tel modèle
par l’État burkinabé et ses partenaires.
Toutefois, ceux-ci et/ou les organisations
œuvrant dans le domaine de la santé
publique pourraient et devront promouvoir un système de financement solidaire
des soins de santé adapté aux différents
contextes locaux. Le programme devra
également évoluer pour s’intégrer totalement dans le système de soins avec
recouvrement partiel des coûts pour
garantir la pérennisation. Ce programme
constitue un modèle qui peut s’adapter
au format de l’offre publique de soins en
Afrique de l’Ouest. Les clés du succès ne
sont pas forcément monétaires, mais plus
liées à la confiance en l’équipe (d’où
l’approche par les paires), à une offre
d’accès aux soins et à l’IEC adapté, non
stigmatisant (sans jugement) et de qualité.
Au-delà du cas spécifique du VIH, les
résultats de cette intervention suggèrent
que pour rendre adéquate la consommation des soins modernes au Burkina Faso,
il faut, en plus de la prise en charge
médicale des pathologies locales par les
formations sanitaires, développer des
séances quali-quantitatives de CCC aussi
bien dans les formations sanitaires qu’aux
domiciles ou dans les services, aux lieux
de sociabilité des communautés et promouvoir le préfinancement des soins de
santé ■
Remerciements
Nous remercions chaleureusement Alice
Desclaux, Nicolas Nagot et Maurice Yaogo
pour leurs lectures critiques et constructives qui ont nourri notre réflexion tout au
long de cet article. Merci à toutes les
participantes à cette étude, aux collaborateurs et à l’ANRS.
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Références
1. Mathieu L. Prostitution et sida : sociologie
d’une épidémie et de sa prévention. Paris :
l’Harmattan, 2000.
2. Harcourt C, Philpot R. Female prostitutes,
AIDS, drugs and alcohol in New South Wales.
In : Plant MA, ed. AIDS, Drugs and Prostitution. London : Routledge, 1993.
3. Nagot N, Ouangre A, Ouedraogo A, et al.
Spectrum of commercial sex activity in Burkina Faso : classification model and risk of
exposure to HIV. J Acquir Immune Defic Syndr
2002 ; 29 : 517-21.
4. Nagot N, Meda N, Ouangre A, et al. Review
of STI and HIV epidemiological data from 1990
to 2001 in urban Burkina Faso : implications
for STI and HIV control. Sex Transm Infect
2004 ; 80 : 124-9.
5. Nagot N, Ouédraogo A, Ouangre A, et al. Is
sexually transmitted infection management
among sex workers still able to mitigate the
spread of HIV infection in West Africa? J
Acquir Immune Defic Syndr 2005 ; 39 : 454-8.
6. Cartoux M. La prostitution à BoboDioulasso, Burkina Faso : types et pratiques.
1997-1998.
Rapport
d’enquête.
BoboDioulasso : Unité de recherche « Sciences de
l’homme pour l’aide à la décision, à l’action et
à l’évaluation des interventions » (SHADEI) du
Centre Muraz, sd.
7. Huygens P, Berthé A, Ouattara C, Traoré A,
Nagot N. L’initiative Yêrêlon. Tome II. Comprendre et atteindre les prostituées clandestines à Bobo-Dioulasso dans le contexte de
l’épidémie de VIH : vers une approche étiologique et compréhensive de la prévention auprès
des femmes vulnérables. Rapport final
d’étude. Bobo-Dioulasso : Unité de recherche
« Sciences de l’homme pour l’aide à la décision, à l’action et à l’évaluation des interventions » (SHADEI) du Centre Muraz, sd, 2001.
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