1864 francoise
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1864 francoise
1864 FRANCOISE Un jour, l’auteur eut connaissance d’une vieille femme cassée par le temps, non pas seulement pliée, mais bien cassée car ses jambes tenaient son tronc perpendiculairement à elles ; elle portait, en outre, un bouquet de fleurs au côté gauche du corsage. Cette dame était connue depuis longtemps sous le nom de « la vieille aux fleurs ». Le narrateur, intrigué, suivit un jour cette dame qui descendait la rue du Cherche-Midi et s’engageait dans la rue du Regard, prenant ensuite la rue Notre-Dame-des-Champs, la rue Montparnasse et s’engagea dans le cimetière du Sud. Elle s’arrêta devant un petit tertre surmonté d’une colonne tronquée, ombragée de drapeaux tricolores, au pied de laquelle elle déposa un bouquet de tamarins. C’était la tombe des quatre sergents de la Rochelle. Une quarantaine d’années s’étaient écoulées depuis leurs exécutions. La vieille dame reprit bientôt le chemin du retour et entra au 94 de la rue du Cherche-Midi ; M. Delvau lui offrit un bouquet de fleurs qu’il fit suivre de quelques mots en patois saintongeois, accent qu’il avait reconnu dans les remerciements de la sexagénaire. Le lendemain, elle reprit, de bonne heure, le chemin du cimetière et déposa sur la même tombe le bouquet que lui avait offert M.Delvau la veille, il avait en outre, obtenu d’elle la promesse du récit de sa vie. Son père, ouvrier tailleur de la ville de Marans, était devenu veuf très tôt avec deux filles jumelles ; par la suite, sa sœur se maria, quant à elle, elle entrait au service d’un minotier de la ville. Elle avait maintenant vingt ans et était devenue une jeune fille fraîche et gaie aussi, se trouva-telle fréquemment courtisée. Dans les premiers jours de mars 1822, elle vit passer devant elle quelques sergents dont elle ne remarqua que le plus petit, Marius ; en détournant la tête, il aperçut la jeune fille ; ce fut ce qu’on appelle un « coup Chapitre inédit de l’histoire des quatre sergents de la Rochelle – M. Alfred Delvau/Histoire des quatre sergents de la Rochelle. Nouvelle édition. 1872 – Gallica BNF 1864 FRANCOISE de foudre ». Au bout de quelques semaines, elle apprit l’arrestation de Marius Raoulx et de ses compagnons pour avoir mis le trône de Louis XVIII en péril. Elle quitta M. Fleury, le minotier, pour se rendre à Paris en quête de son bien-aimé. Au bout de quelques mois de recherche, elle apprit, le 21 août, que l’on était en train de juger Marius et ses compagnons. Ce n’est que le 5 septembre qu’elle eut connaissance de la sentence « Ils étaient condamnés à mort ! » Le 22 septembre, au milieu d’une foule grouillante, elle retenait les sanglots qui lui secouaient la gorge alors que des ombres farouches traversaient les groupes, tenant sous les habits des armes cachés ; ces braves gens, en supériorité, auraient pu délivrer les quatre victimes. Arriva la charrette dans laquelle se trouvait Raoulx « Marius ! Marius ! » s’écria-t-elle. Marius tourna le regard du côté où était venu l’appel, il se pencha et choisit un bouquet de fleurs dont la foule inondait la charrette et lui jeta en disant : « Garde-le toujours, Françoise, en souvenir de moi. » La charrette disparue, laissant à terre, la jeune fille à demi-inconsciente. Françoise manqua parfois de pain, mais jamais la tombe des quatre sergents de la Rochelle ne manqua de fleurs. - Françoise décéda le 23 août 1864, à l’Hôtel-Dieu. - Goupillon, le mouchard, fut exécuté par des « vengeurs » qui profitèrent de la Commune (1871) pour l’exécuter, il avait près de quatre-vingt ans (Wikipédia). - En mai 1968, des étudiants honorèrent la tombe des quatre sergents de la Rochelle (Wikipédia). Aujourd’hui, quatre piliers, reliés de chaines entourent la colonne qui s’élève comme un grand vase vide. Chapitre inédit de l’histoire des quatre sergents de la Rochelle – M. Alfred Delvau/Histoire des quatre sergents de la Rochelle. Nouvelle édition. 1872 – Gallica BNF