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4REPÈRES ET TENDANCES 4CONJONCTURES 4LIVRES ET IDÉES 4DOSSIER PEUT-ON SE PASSER D’INDUSTRIE ? PIERRE DE GASQUET * Le modèle industriel italien à rude épreuve Le miracle de la « troisième Italie », celle des petites et moyennes entreprises qui avaient tiré l’économie du pays au cours des années 1970, est en train de s’essouffler, et résiste mal à la concurrence des pays à bas coûts de main-d’œuvre. Hormis quelques champions – Luxottica, Merloni, Tod’s –, la compétitivité des groupes industriels est en chute libre. Aux handicaps du pays – retard de la modernisation des infrastructures, coût élevé de l’énergie – s’ajoutent les faiblesses propres à l’industrie : insuffisance grave de la recherche-développement, petite taille des entreprises, excès du capitalisme familial, inefficacité relative du modèle des « districts »… À l’abri de protections multiples, l’entreprise italienne s’est mal préparée à la mondialisation. Elle va devoir reconquérir le terrain perdu. quier » de la péninsule. Pour lui, il n’y a pas encore de « crise généralisée du système des entreprises italiennes », mais un réel déclin du « modèle » des districts industriels, fondé sur le « piccolo è bello » (« small is beautiful »). Pourquoi un pays qui compte encore plusieurs leaders mondiaux significatifs dans des secteurs importants – les lunettes, par exemple, avec Luxoticca, ou les machines textiles avec Itema – se retrouve-t-il aujourd’hui lanterne rouge de la croissance en Europe avec une prévision de croissance d’à peine 1,2 % en 2004 ? Pourquoi est-il devenu le « ventre mou de l’Europe », pour reprendre l’expression du Financial Times ? « Districts inDustrieLs » : La Fin Du miracLe A L’ Italie a rétrogradé du 33e au 41e rang mondial dans le dernier classement du World Economic Forum. Ses exportations ont reculé de 3,9 % en 2003. « Nous avons besoin d’un nouveau pacte de croissance entre les banques et les * Correspondant à Milan du journal Les Echos. entreprises, une alliance pour éviter le déclin économique dont on parle tant et qui ne s’est pas encore vérifié », déclarait récemment Alessandro Profumo, le patron d’UniCredit1, considéré par la presse allemande comme le « meilleur ban- la base de l’ascension des moyennes entreprises du Centre-Nord (Emilie-Romagne, Toscane, Vénétie, Marches…), le « modèle du district », qui a pris son essor dans les années 1 « Un nouveau pacte entre banques et entreprises », interview au Sole 24 Ore du 25 mai 2004. Sociétal N° 46 g 4e trimestre 2004 4REPÈRES ET TENDANCES 4CONJONCTURES 4DOSSIER 4LIVRES ET IDÉES PEUT-ON SE PASSER D’INDUSTRIE ? 1970, semble avoir atteint ses limites. industriel italien se révèle ainsi particuL’Italie compte quelque 200 districts lièrement vulnérable aux périodes de industriels (juridiquement reconnus par récession et à la concurrence des pays une loi du 5 octobre 1991), émergents. Avec un niveau pesant à eux seuls 40 % du d’endettement bancaire PIB et 3 millions d’emplois. (dont l’essentiel est à court La Vénétie aurait Fondés sur une économie terme) double de la déjà perdu près de proximité et sur la coomoyenne des entreprises de 100 000 pération informelle entre françaises, allemandes ou entreprises locales, ces espagnoles, les PMI italienemplois en pôles industriels se trouvent nes souffrent d’une strucdix ans, dont aujourd’hui fragilisés par la ture financière défavorable 44 000 pour mondialisation – en particuet peu propice à l’innovalier par la concurrence tion. À quoi s’ajoute un défile seul district croissante de la Chine, dont cit de transparence et des de Trévise. la structure de spécialisarisques de confusion entre La délocalisation tion est assez voisine de patrimoines de l’entreprecelle de l’Italie. Les filatures neur et de l’entreprise, pour la de Biella (Piémont) ou le comme l’a montré le cas croissance fameux district du meuble extrême de Parmalat. devient ainsi de la Brianza sont désormais concurrencés de plein L’insuffisante dimension des la délocalisation fouet par l’Asie, en même entreprises semble en réapour la survie. temps qu’ils sont handicalité intimement liée au pés par l’envolée du prix modèle d’organisation des des matières premières. districts. Selon les éconoPour l’économiste Angelo Tantazzi, présimistes du centre-gauche Pierluigi dent de Borsa Italiana, les districts resBersani et Enrico Letta2 , les difficultés, tent un élément dynamique du sur les marchés internationaux, de la capitalisme italien, mais les entreprepetite et moyenne entreprise, comme neurs qui les ont créés devront surmoncelles des districts, sont structurelles, et ter des faiblesses ataviques comme le non liées aux prix. Mais ils restent perrecours excessif au crédit bancaire. Les suadés que les districts conserveront PMI italiennes ont trop longtemps misé un rôle stratégique déterminant. sur la dévaluation de la lire ou les aides publiques. Des DéLocaLisations Le tissu industriel reste constitué, à plus de 95 %, de PMI. C’est l’une des principales faiblesses congénitales du système productif italien et cela explique, en partie, sa perte de compétitivité. Les petites entreprises (moins de 10 salariés) assurent 49 % du total des emplois dans la péninsule, contre 27 % en France et 21 % en Allemagne. Elles produisent 34,5 % de la valeur ajoutée, contre seulement 17,5 % des emplois et 27,8 % de la valeur ajoutée pour les entreprises de plus de 250 salariés. Sur un total de 121 000 entreprises environ, les PMI sont plus de 69 000, réalisant chacune moins de 5 millions d’euros de chiffre d’affaires. Seules 2 000 entreprises dépassent 100 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le tissu Sociétal N° 46 g 4e trimestre 2004 gaLopantes L e débat franco-français sur le péril des délocalisations industrielles n’a pas eu beaucoup d’écho dans la péninsule. Pour une raison simple : le phénomène est monnaie courante depuis au moins dix ans dans plusieurs secteurs clefs du made in Italy (textile-habillement, électroménager, industries mécaniques). Plusieurs fleurons industriels du Nord ont déjà délocalisé une part importante de leur production en Chine ou dans les pays de l’Est : Benetton, De Longhi, Merloni, Marzotto, Ermenegildo Zegna, leader mondial de l’habillement masculin haut de gamme. Sous l’effet de ces déplacements, la Vénétie aurait déjà perdu près de 100 000 emplois en dix ans, dont 44 000 pour le seul district de Trévise selon les chiffres de la FIOM, branche des ouvriers métallurgistes de la Confédération générale italienne du travail (CGIL). La délocalisation pour la croissance devient ainsi la délocalisation pour la survie. Déjà propriétaire de Kenwood en Chine, le fabricant d’électroménager De Longhi a récemment annoncé son intention de délocaliser d’ici à 2005-2006 70 % de ses emplois sur le continent asiatique (30 % aujourd’hui). Après avoir investi en Roumanie et au Mexique, son concurrent Zoppas a annoncé la fermeture de deux de ses quatre usines italiennes en vue d’accélérer le transfert de sa production en Chine, au grand dam des syndicats locaux de Vénétie. Pour Gianni Mion, administrateur-délégué d’Edizione Holding, la société holding du groupe Benetton qui a déjà largement entamé sa diversification dans les services (Autostrade,Autogrill…), il ne faut pas se leurrer, « la crise du Nord-Est va encore durer longtemps ». Existe-t-il une sortie « par le haut » ? L’espoir est mince, car le déficit chronique d’investissement dans la recherchedéveloppement est devenu le talon d’Achille du modèle industriel italien. L’empire Fiat en a déjà subi les conséquences. Selon les dernières données du neuvième rapport sur l’« économie globale et l’Italie », publié par le centre de recherche Luigi Einaudi3, le niveau d’investissement national italien en R&D (1,1 % du PIB) est désormais inférieur de moitié à celui de l’Allemagne ou de la France. En outre, « de tous les principaux pays européens, l’Italie est celui où le rôle des entreprises dans la recherche a le poids le plus faible. Cela s’explique par la faible dimension moyenne des entreprises, qui empêche nombre d’entre elles d’atteindre la masse critique à partir de laquelle il devient opportun de faire de la recherche ». 2 Pierluigi Bersani et Enrico Letta, Viaggio nell’economia italiana, Donzelli Editori, 2004. 3 Mario Deaglio, Pier Giuseppe Monateri, Anna Caffarena, La globalizzazione dimezzata, Guerini & Associati, publié avec la banque Lazard, mai 2004. LE MODÈLE INDUSTRIEL ITALIEN À RUDE ÉPREUVE De fait, avec un niveau d’investissement en R&D équivalent à 0,53 % du PIB, l’industrie italienne se situe au dernier rang des pays du G8, loin derrière le Japon (2,12 %) ou les états-Unis (1,97 %), et à un niveau inférieur de moitié à la moyenne de l’industrie européenne (1,19 %). « Il y a encore quelques années, nous étions présents dans l’industrie pharmaceutique, l’industrie chimique et l’informatique, mais le “système-pays” dans son ensemble n’a pas réussi à assurer le financement de la recherche et de l’innovation nécessaires à la pérennité de nos entreprises », déplore MassimoCapuano, le patron de la Bourse italienne. Le capitaLisme FamiLiaL en Question L es dynasties industrielles sont en perte de vitesse dans la péninsule. À elle seule, la lente reconversion du groupe Benetton, devenu symbole de la « tertiarisation » de l’industrie italienne, incarne une certaine soif de modernisation. Depuis la décision de Luciano Benetton d’accomplir un « pas en arrière » dans la gestion de son groupe, les signaux se multiplient qui montrent une séparation croissante, dans les entreprises, entre contrôle familial et gestion opérationnelle. Les actionnaires familiaux prennent leurs distances. Dernier en date, le comte Pietro Marzotto a annoncé, à la mi-juin, la cession de ses 17,4 % dans le groupe familial, propriétaire de Valentino. Après avoir recruté Andrea Guerra, l’ex-numéro deux de Merloni, le patron de Luxottica, Leonardo Del Vecchio, prépare lui aussi activement le passage du contrôle opérationnel du d’investiture de mai 2004. La question de numéro un mondial des montures de la crise des élites et de la fuite des cerlunettes à son management. De même, veaux obsède le patronat. Pour Corrado « les liens entre Fiat et la famille Agnelli Passera (Banca Intesa, première banque ne sont pas immuables », italienne, détenue à 16 % par déclarait l’ex-président de le Crédit agricole), il ne fauNombre de Fiat, Umberto Agnelli, dans drait pourtant pas sous-estisa dernière interview aux mer la capacité de rebond banquiers Echos, en date du 13 novemdu modèle italien. italiens plaident bre 2003. « Dans les moyenLe système bancaire revenaujourd’hui pour nes entreprises, le caractère dique un rôle majeur : celui familial de l’actionnariat peut de sélectionner et de stiune franche être un facteur positif (…). muler les entreprises innoséparation entre Mais au-delà d’une certaine vantes, celui aussi de faciliter l’actionnariat dimension, l’actionnariat famila transition entre généralial devient un handicap », tions. Mais la menace d’une de contrôle et ajoutait le chef de la dynastie marginalisation de l’éconola gestion turinoise. Déclaration en mie italienne est bien réelle : des grandes forme de testament ? Nomsur les 500 premières entrebre de banquiers italiens prises mondiales répertoentreprises. plaident aujourd’hui pour riées par le magazine une franche séparation américain Fortune, l’Italie ne entre l’actionnariat de contrôle et la compte plus que quatre groupes indusgestion des grandes entreprises, sépatriels (Eni, Fiat, Enel et Telecom Italia) et ration considérée comme nécessaire quatre groupes financiers (Generali, à leur survie face aux défis de la UniCredit, Banca Intesa et San Paolo mondialisation. Imi). Cela ne veut d’ailleurs pas dire que le modèle de la public company à l’anglosaxonne fasse l’unanimité. « Nul n’a encore réussi à démontrer qu’une public company soit meilleure qu’une entreprise à contrôle familial ou à actionnariat concentré, et vice versa », estime le président de Telecom Italia, Marco Tronchetti Provera. Le capitalisme des condottieri peut-il être sauvé ? « On a l’impression que l’Italie s’est embourgeoisée sans avoir réussi à construire une vraie classe bourgeoise dirigeante », constatait le nouveau président de la Confindustria, Luca di Montezemolo, lors de son discours « Il est indéniable que l’entreprise italienne s’est développée sur un marché autarcique, à l’ombre du politique, et ne s’est pas préparée aux défis de la globalisation », estime le vice-président de la Confindustria, Andrea Pininfarina. Sa recette ? Faire équipe pour regagner du terrain à l’export, accélérer les investissements directs à l’étranger et mettre le cap sur les délocalisations d’activités productives. Pour le styliste automobile italien, coté en Bourse depuis 1986, le marché chinois est une grande opportunité. Il entend y réaliser bientôt la moitié de son activité de design et d’ingénierie… g Sociétal N° 46 g 4e trimestre 2004